� Une musique qui a plus d'un an peut-elle �tre belle (original) (raw)

L�interpr�te face � la partition.

Mus�ographie ou appropriation ?

Conf�rence donn�e � Prague le 5 d�cembre 2000

A l�Acad�mie Nationale de Musique,

En collaboration avec les services culturels de

l�Ambassade de France en R�publique Tch�que,

Par

Jean-Paul PENIN.

� La musique est une chose beaucoup trop s�rieuse pour �tre laiss�e aux musiciens �. Si nous sommes r�unis aujourd�hui, artistes, en devenir ou d�j� �tablis, professeurs, critiques, Mesdames, Messieurs, c�est pour faire mentir ce mot d�esprit, trop facile. Le m�tier du musicien est bien �tonnant. Il s�agit pour lui de cr�er, de corriger, d��valuer, la chose du monde la plus �ph�m�re : une sonorit�. C�est qu�il lui est de la premi�re importance que cette sonorit� soit la plus belle, mais surtout la plus signifiante possible. Il passe des heures � d�cider si telle note est anacrouse ou d�sinence, si telle articulation n�est pas meilleure que telle autre, ou bien si tel coup d�archet, telle respiration, convient � la structure musicale. Il ne sait pas, il ne saura jamais d�finir ce qu�est la musique. Il a un flair infaillible, en revanche, pour savoir lorsqu�elle est absente, Passion de Bach, symphonie de Mozart, sonate de Beethoven ou de Brahms aux phras�s massacr�s par un artiste sans talent, ou bien encore transform�e en objet de mus�e. La musique, �videmment, est une chose beaucoup trop s�rieuse pour ne pas �tre laiss�e aux bons musiciens.

Mus�ographie

Longtemps, pour eux, tout fut simple. Les compositeurs �crivaient de la musique pour des interpr�tes dont le r�le �tait de l�offrir au public, de la mani�re la plus satisfaisante possible, �motionnellement. C�est principalement en r�action contre cet envahissement affectif de l�interpr�te dans le r�pertoire baroque, qu�est n�, dans les ann�es cinquante-soixante, un mouvement pr�nant un retour � une plus grande authenticit� historique : le mouvement baroqueux. Les d�cisions prises alors furent radicales, puisqu�elles impliqu�rent l�abandon des instruments modernes, au profit des instruments anciens, ainsi que la relecture syst�matique des trait�s d�interpr�tation de l��poque baroque. Il faut citer, parmi les plus importants de ces premiers sp�cialistes modernes du r�pertoire ancien, � Vienne, Nikolaus Harnoncourt et le Concentus Musicus, et, dans le monde flamand et n�erlandais, les diff�rents ensembles de musique de chambre form�s par Gustav Leonhard, les Kuijken, Frans Br�ggen. L�int�grale des Cantates de Bach, notamment, qu�a r�alis�e Harnoncourt, est impressionnante d�originalit� dans les timbres, les articulations, les dynamiques : il s�agit bien l� d�un monument discographique.

En 1982 et 1984, le chef autrichien proposait deux ouvrages, Le Discours musical et Le Dialogue musical, que leur �rudition et leurs convictions firent saluer comme les manifestes de cette nouvelle esth�tique[1]. Une dizaine d�ann�es auparavant, Ren� Leibowitz avait publi� � Paris Le Compositeur et son double, dans lequel il opposait une discipline, une �thique interpr�tative, � une vision h�doniste du discours musical, dont le risque �tait de dissimuler la valeur, le sens de l��uvre, sous le plaisir qu�il procure � l�auditeur, mais �galement � l�interpr�te[2]. Harnoncourt reprend et d�veloppe ces id�es. Il consid�re en effet que le langage, la symbolique de la musique baroque, nous sont devenus �trangers, quasiment illisibles, nos traditions interpr�tatives �tant prisonni�res d�un romantisme qui a oubli� les r�gles propres � ce r�pertoire, mais occult�, surtout, la conception particuli�re que le monde baroque aurait eu de la musique[3]. Il nous faut donc retrouver l�intelligence de cette musique � partir d�elle m�me, de ses propres lois historiques, et non selon la pure sensibilit� et l�intuition. Harnoncourt estime �galement que les continuels perfectionnements apport�s aux instruments leur ont fait autant, sinon plus, perdre que gagner. Perdre en couleurs, en possibilit�s d'articulation, ce qu�ils gagnaient en puissance et en expressivit�. Cette �volution serait beaucoup moins positive qu�il n�y para�t.

La plus belle esth�tique est celle de la subversion, et l�artiste se plait toujours � d�boulonner les statues, � effrayer le bourgeois. Ces nouvelles sonorit�s suscit�rent donc l�int�r�t des musiciens, car elles leur permettaient de pr�ter une oreille nouvelle � la musique baroque. Il faut saluer ces premiers artistes baroqueux qui t�moign�rent alors de conceptions esth�tiques assez affirm�es, courageuses m�me, pour braver l�incompr�hension (sinon l�ironie) du public et de beaucoup de critiques musicaux de l��poque. L�histoire de l�art est famili�re de ces renversements de tendances, plus ou moins brusques, menant la peinture ou la musique dans des directions nouvelles. Ce fut n�anmoins la premi�re fois qu�on se m�la, avec une telle d�termination, des d�cisions artistiques d�un personnage qu�on avait jusqu�alors laiss� en paix : l�interpr�te. Il ne s�agissait plus l� des habituelles discussions, des critiques normales qu�entra�ne toute interpr�tation (trop de ceci, pas assez de cela). Il fut soudain question de remettre en cause une relation naturelle, et jusqu�alors indiscut�e, celle qui existe entre le texte musical et celui qui doit le transmettre. Ce que l�on ne pressentait pas � l��poque, c�est que l�on touchait alors � une intimit� autrement pr�cieuse : celle qui unit la musique et l�auditeur.

On n�avait pas tord de vouloir d�poussi�rer un r�pertoire qui en avait bien besoin. Les enregistrements de certain Canon de Pachelbel et autres Quatre saisons de Vivaldi avec grand orchestre symphonique ont en effet de quoi faire fr�mir. Certes, apr�s une longue p�riode de quasi indiff�rence face au r�pertoire ancien, les trait�s d�interpr�tation avaient commenc� � fleurir, d�s le d�but du vingti�me si�cle, ainsi que quelques tentatives d�ex�cution sur instruments d��poque. Celle de Wanda Landowska, en 1913, fut la plus remarqu�e, puisqu�elle se fit construire un clavecin, instrument alors � peu pr�s oubli�. Mais ces exp�riences rest�rent relativement confin�es dans des cercles de sp�cialistes, et ne r�ussirent pas � convaincre les interpr�tes et le public, plus attir�s par la richesse sonore et l�expressivit� des instruments modernes, que par l�exactitude et l�authenticit� historique, ou, plus exactement, n�estimant pas devoir se poser de question � ce sujet. C�est en effet l��poque o� les concertos de Haendel, de Bach ou de Leclair par Cortot, Heifetz, ou Menuhin, peuvent alors c�toyer dans le m�me concert, en parfaite fraternit� musicale, Berlioz, Tcha�kovski ou Richard Strauss.

Il s�agissait donc d'une tendance esth�tique originale, lorsqu�on se mit � extraire des mus�es les instruments de la Renaissance, de l��poque baroque, puis � faire revivre tout cet ensemble de sonorit�s disparues. Les choses devenaient plus claires. Au lieu d�interpr�tes indiff�renci�s, pratiquant l�ensemble du r�pertoire avec leurs instruments modernes, apparaissaient, aux c�t�s des �sp�cialistes� de la musique contemporaine, ceux de la musique baroque, �galement avec rites, inquisiteurs, anath�mes et chapelles.

C�est alors que certains artistes, emport�s par l'enthousiasme et l�ivresse de la d�couverte, d�cid�rent� d'amplifier et de g�n�raliser la th�orie. Ils consid�raient en effet que ce n��tait plus la seule musique baroque que les interpr�tes avaient fauss�e, mais tout le r�pertoire, jusqu�au plus romantique. Des � sp�cialistes � de Haendel, Telemann ou Monteverdi propos�rent alors des le�ons d'interpr�tation sur l��uvre de Mozart, de Beethoven ou de Berlioz. Ils ne s�en tinrent d�ailleurs pas � l�aspect th�orique de la question, car ils cr��rent des ensembles � sp�cialis�s � dans telle ou telle p�riode, parfaitement d�limit�e, � quelques ann�es pr�s, de l�histoire de la musique. Apr�s avoir estampill� leurs propres interpr�tations comme � authentiques �, sous-entendant probablement que les autres ne l'�taient pas, ils en vinrent � manier des concepts jusqu�alors inconnus des artistes, comme celui d�une puret� originelle de la musique, qu�il importait de retrouver, ou bien encore des intentions du compositeur que celui-ci aurait clairement fait conna�tre, et qu�il convenait de respecter � la lettre, sous peine d'infamie musicale.

L� r�side en effet le fondement m�me, plus id�ologique qu�artistique, de la doctrine. Il s�agit maintenant de juger d�une ex�cution, non tant par l��motion qu�elle d�gage, que par son degr� de respect des r�gles anciennes. Ce radicalisme historique fait passer de la notion, peut-�tre discutable mais int�ressante, d�instruments �anciens�, � celle infiniment plus large, d�instruments �d��poque�, c�est-�-dire de celle de la musique, quelle qu�elle soit, que l�on interpr�te. De l'id�e d'�tudier les techniques d'interpr�tation d'une p�riode de l'histoire de la musique, travail d'historien, on arrive � celle de virginit� musicale retrouv�e : travail de censeur. Amplifications, g�n�ralisations infiniment redoutables, en ce qu'elles condamnent par avance toute contradiction. Elles mettent en effet le concept � l�abri de la r�futation, car il se pr�vaut d�une autorit� indiscutable : la volont� suppos�e du compositeur disparu. L�autorit� exerc�e envers les artistes, n�est plus seulement th�orique, musicologique, elle se fait coercition symbolique, car � morale �.

Inqui�tantes d�monstrations d�infantilisme esth�tique ; progr�s incontournable dans l�histoire de l�interpr�tation : l�attitude des musiciens professionnels et du public, face aux th�ories baroqueuses, repr�sente un bel �ventail de passions, de l�adh�sion enthousiaste au rejet brutal, en passant par l�incompr�hension et l�ironie. Il faut avouer que cet amalgame de baroqueux �baroques�, �classiques� ou �romantiques� ne facilite rien.

Faisons maintenant l��tat des lieux. En ce qui concerne la musique baroque et classique (�cole de Mannheim), les choses sont claires : il est interdit, sous peine de sarcasmes, sinon d�insultes, dont celle de dinosaure est la plus aimable, d�utiliser les instruments modernes. Pour le r�pertoire pr�romantique et romantique, on les tol�re encore, � la condition expresse, dans Mozart et Beethoven, notamment, d�en limiter la puissance et la couleur : peu d�archet, petit son, vibrato, aux cordes et aux vents, le plus discret possible, tuant net ainsi la sonorit� naturelle de grands orchestres prestigieux, justement r�put�s pour leur couleur et leur somptuosit� instrumentale. Mais l� �galement, il va de soi que les chemins radieux du progr�s am�neront bient�t les interpr�tes � d�laisser les instruments modernes, au profit des instruments d��poque. Mahler et Debussy ne perdent rien pour attendre : on annonce des versions � authentiques � de leurs �uvres symphoniques.

Mais o� en est le musicien, dans tout cela ?� On lui pr�sente souvent ces versions comme un � progr�s �, s�inscrivant dans une sorte d�histoire �volutive de l�interpr�tation, qui aurait �merg� peu � peu, tout au long du vingti�me si�cle, d�un obscurantisme esth�tique, pour parvenir aux lumi�res offertes par les � sp�cialistes � actuels. Elles servent alors de rep�re � partir duquel les autres sont jug�es en fonction de leurs manques, de leur � retard � face � une lumineuse avanc�e de l�histoire, bref, comme � d�faillances � artistiques, tout juste bonnes � susciter agacement ou piti�. Il est alors indispensable de s�entendre sur la signification du mot progr�s appliqu� au domaine musical. S�il implique une complexification technique du discours harmonique et rythmique, alors oui, il s�agit d�un progr�s : le Sacre est plus complexe que la _Fantastique_elle-m�me, etc. Si le mot progr�s, en revanche, s�applique au d�sir pour le compositeur de transmettre des �motions, en utilisant les moyens d��criture connus et plus ou moins accept�s par son �poque, repoussant ainsi les limites r�guli�rement d�clar�es infranchissables de l� �inadmissible scandale�, il est �vident que ce mot n�a plus aucun sens. L�gitime en �criture musicale, en facture instrumentale, l�id�e de progr�s se r�v�le, en esth�tique, et plus particuli�rement en interpr�tation, totalement illusoire. Elle �voque le mot cynique que Balzac pr�te � l�un de ses jeunes dandys des Illusions perdues : � Progr�s: une adorable mystification � faire au bourgeois �[4].

Instruments souvent faux, _tempi_inflexibles, phras�s d�une rigidit� glaciale, heurtant le go�t musical le plus �l�mentaire : on avait transform�, au d�but de l�exp�rience, l�aridit�, sonore, en porte-drapeau d�� authenticit� �. Ces ex�cutions, sans superflu, sobres, �all�g�es�, parfaites enfin, certains les dirent froides, les plus s�v�res, glac�es. Il s�agissait de se d�marquer, de casser brutalement une tradition, f�t-ce au prix, parfois, de la caricature. Nous n�en sommes certes plus l�, mais le musicien reste bien perplexe devant certains enregistrements actuels des Partitas de Bach, aux couinements, pitoyables et disgracieux, dont le seul m�rite est d��tre � authentiques �, produits par un violon, un archet et des cordes � anciens � ou � � l�ancienne �. Comment ne pas sourirait-il pas devant les cuivres de sous-pr�fecture que la th�orie offre aux op�ras de Rameau, de Gluck, devant les ensembles squelettiques qu�elle r�serve � un grand motet de Delalande, aux symphonies de Benda, de Stamitz, de Richter ?

La doctrine n�h�site pas, d�ailleurs, � occulter certains faits historiques qui s�opposent � elle. On ne saurait jouer, par exemple, de nos jours le r�pertoire baroque pour clavecin� que sur des instruments d�pourvus du registre grave de seize pieds, consid�r� comme excessivement romantique, celui de Landowska, justement, oppos� � l�esprit du monde baroque. Mais comment alors consid�rer ces superbes instruments � trois claviers, parfois ? Que faire du clavecin hollandais, qui se trouve � Edimbourg, � Holyrod castle, et dont l��tude sugg�re qu�il s�agit d�un instrument disposant, � l�origine, de ce fameux seize pieds ? [5]

Un reproche tr�s concret, que l�on peut adresser aux sp�cialistes actuels du r�pertoire ancien, est de noyer celui-ci sous une v�ritable uniformisation esth�tique : sons blancs, couleurs � jamais pastel, j�r�miade d�archets ostensiblement tir�s et pouss�s, reprise en �cho par les vents, aucune ampleur, jamais de grande ligne, de _souffle_musical. Ce nivellement ne fait d�ailleurs qu�amplifier le probl�me actuel de la mondialisation des sonorit�s orchestrales.

Les ensembles sp�cialis�s dans ce retour radical aux sonorit�s d��poque, nous semblent bien modestes : cinq ou six premiers violons, tout au plus. Certes l�int�r�t d�une ex�cution a peu � voir avec sa puissance sonore, mais puisqu�on vient de mentionner des musiciens repr�sentatifs de l��cole de Mannheim, on lit avec int�r�t, sous la plume de Burney, relatant son voyage musical dans l�Europe des lumi�res, en 1770 et 1772, que la cour de Mannheim dispose alors de pr�s de cent musiciens et chanteurs ; que l�orchestre du duc de Wurtemberg, � Stuttgart, n�a pas moins de dix-huit violons, pour jouer les op�ras de Scarlatti, Jomelli, Sacchini. Remontons d�un si�cle, � l��poque baroque. En 1674, Alceste fut cr��, � Versailles, avec quarante-sept musiciens, et le Malade Imaginaire y fut repris en 1676 avec 51 musiciens. A Paris, on donna en 1705 le _Te Deum_de Lully avec trois cents chanteurs, et en 1723, � Prague, pour le couronnement de Charles VI, on mobilisa cent choristes et deux cents musiciens pour jouer l�op�ra La Costanza e Fortezza de Fux. En 1729, � Rome, on pr�senta, � l�occasion de la naissance du Dauphin, l�op�ra de Vinci La contestation des dieux, avec un orchestre de 71 musiciens, dont 30 violons[6]. Circonstances solennelles, exceptionnelles, dira-t-on, propices � des opulences sonores qui ne l��taient pas moins. Ce serait oublier que la fosse d�orchestre du premier grand op�ra de Dresde, construit en 1706, pouvait accueillir pas moins de cent musiciens � [7]

Il n�y a pas loin de Dresde � Leipzig. Les d�m�l�s de Bach avec les autorit�s locales y sont c�l�bres. Celles-ci restant sourdes � ses requ�tes pour� remanier les forces musicales dont il disposait, il d�cida de pr�senter, le 23 ao�t 1730, un m�moire comparant l��tat de celles-ci, avec ce qui lui semble souhaitable. Les sp�cialistes de Bach consid�rent que le terme de musique d��glise bien organis�e, dont il qualifie les seize chanteurs qu�il r�clame, correspond � son id�al esth�tique, � une sorte de maximum tol�rable de somptuosit� sonore.

Mais pour cerner les id�aux esth�tiques de Bach, il existe bien d�autres moyens qu�une lecture litt�rale, quasi f�tichiste, de ce fameux m�moire. D�s qu�il en a les moyens, il n�h�site pas � renforcer de mani�re impressionnante les forces dont il dispose habituellement. Les paroissiens de Saint-Thomas durent sans aucun doute juger _inou�es_celles requises par la Passion selon Saint-Mathieu (triple ch�ur, double orchestre). La puissance, les bons poumons, qu�il exigeait des orgues qu�il devait expertiser, en Saxe ou en Thuringe, montre combien le go�t de l�opulence sonore ne lui �tait pas �tranger, d�mentant ainsi certaines versions modernes et � authentiques � des Passions ou des cantates. Il avait �t�, dans sa jeunesse, �merveill� par les ressources et la puissance des orgues monumentaux qu'il d�couvrit � L�beck, o� Buxtehude disposait �galement d�un orchestre de pas moins de quarante musiciens, pour les cantates qu�il donnait dans la s�rie des Abendmusiken. Mais � quels sarcasmes s�exposerait de nos jours, celui qui oserait utiliser un tel orchestre pour une cantate baroque [8]

L��uvre de Bach, ce miracle le plus prodigieux de l�histoire de la musique (Wagner) transcende la dichotomie h�donisme/�thique, que l�on a �voqu�e au d�but de cette pr�sentation. Il est d�usage, en effet, face � un artiste rattach� � la fin du dix-septi�me si�cle, � la spiritualit�, sinon au pi�tisme, encore intacts, d�opposer une vision � s�cularis�e �, romantique, de son �uvre, o� la sensualit� sonore prendrait le pas non seulement sur le sens de l��uvre, mais �galement sur le message religieux, intimement attach� au texte musical. Mais cette dialectique semble bien artificielle. Peu de compositeurs autant que Bach surent tirer partie des moyens dont ils disposaient, mais �galement des ressources �motionnelles du langage musical de leur �poque. La Fantaisie Chromatique, la Sarabande de la troisi�me Suite Anglaise ne le c�dent en rien � la virtuosit� harmonique du Rameau de l�Enharmonique ou du Trio des Parques. Bach avait une pr�dilection pour le clavicorde, instrument permettant, � la diff�rence du clavecin, de transmettre directement aux cordes les plus petites intentions de dynamique et de vibrato expressif[9]. Sa curiosit� l�amena � se pencher sur la facture instrumentale elle-m�me (on lui doit deux instruments nouveaux), sur celle du piano-forte, notamment, que Silbermann lui fit d�couvrir � Dresde et � qui il sugg�ra des am�liorations techniques. Bach aurait-il vraiment d�savou� la somptuosit� orchestrale propos�e par les transcriptions de Mahler, de Schoenberg ou de Stokowski, les jeux de couleur et l�expressivit� d�Horowitz ou de Lipati, dans un choral, de Benedetti Michelangeli dans la Chaconne de la deuxi�me suite pour violon, transcrits pour le piano par Busoni ?

Les �crits d��poque le concernant sont assez rares pour que l�on se penche avec attention sur ceux dont on dispose. L�organiste Nikolaus Forkel eut la chance de conna�tre certains des fils de Bach, Karl Phillip Emmanuel notamment, avec lequel il eut un �change �pistolaire, en vue justement d��crire une Vie de Jean S�bastien Bach. Forkel souligne � quel point son �uvre est bien mise en valeur par les grands effectifs. Acceptera-t-on de le cr�diter de quelque objectivit� ? Alors qu�ils diss�quent � l�envi le moindre indice pouvant ressembler � une caution minimaliste de la sonorit�, les d�fenseurs de l�approche � authentique � de l��uvre de Bach s�y refusent. Ils estiment en effet que Forkel, malgr� les t�moignages de premi�re main dont il disposa, aurait �crit son livre, influenc� par l�esth�tique des Lumi�res, laissant la part beaucoup trop belle � une somptuosit� sonore dont Bach et son �poque n�auraient eu que faire[10].

Les ensembles d�instruments anciens utilisent l'archet baroque, ce qui est logique. Diff�rent de l�archet moderne (�tabli vers 1770 par le facteur parisien Tourte), par son poids, sa forme et la tension du crin, il offre, � l�interpr�te qui le d�couvre, un nouveau rapport avec la corde et l�instrument. Les caract�ristiques de cet archet ne lui permettent pas une homog�n�isation, un soutien de la sonorit�, sur toute sa longueur, du talon jusqu�� la pointe. Un rythme point� (noire point�e-croche, par exemple), est g�n�ralement li�, plus ou moins articul�, avec l�archet moderne. Il est le plus souvent coup�, avec reprise d�archet, lorsqu�on utilise l�archet ancien. Les trait�s de violon de l��poque baroque insistaient n�anmoins sur la technique du legato, sur l�importance de ne pas entendre les changements d�archets, bref, sur ce m�me jeu � la corde que nous utilisons dans le r�pertoire romantique. Mais les sp�cialistes actuels de musique ancienne soulignent au contraire que cet outil est id�al pour interpr�ter un r�pertoire dont la ligne m�lodique serait avant tout constitu�e d�un assemblage de petits �l�ments, diff�rant, en cela, de la musique romantique, caract�ris�e, elle, par de larges plans sonores. Les interpr�tations qu�ils proposent se distinguent donc par une redondance de coups d�archet extr�mement courts, aux articulations toujours tr�s nettes, aux phras�s impeccablement d�limit�s. Les tenants de cette esth�tique insistent sur la l�g�ret�, la dynamique des sonorit�s ainsi offertes, les autres regrettent la monotonie hach�e du discours musical. Ils n�ignorent pas, en effet, que la musique baroque est celle du contrepoint, de ces longues entr�es fugu�es qui se cherchent, se fuient, pour mieux se croiser ensuite. Les chanteurs ne connaissent d�ailleurs que trop les probl�mes de respiration, parfois inextricable, que posent des lignes souvent infinies.

Cette esth�tique de l��vanescence, sinon de l��maci�, propre aux sonorit�s anciennes, l�hypertrophie du d�tail, au d�pens du grand souffle musical, tout cela �voque un mani�risme pictural transpos� � la musique, privil�giant en quelque sorte l�art de la d�coration sur celui de l�architecture. Certes fresque et miniature ont-elles chacune leurs m�rites. Mais la faiblesse ou l�indigence, ou plus exactement ce qui, � nos oreilles modernes, sonne en concert comme indigence, f�t-elle historique, n�en a aucun. Le d�bat s�ouvre alors, de la perception de l��uvre d�art, musicale en particulier, hors de son contexte.

La ritualisation baroqueuse �loigne l�auditeur moderne de la d�marche des compositeurs de l��poque, qui ne mettaient aucune barri�re entre leur public et eux. Bien que l��quilibre f�t instable, sinon, il n�y aurait eu aucune �volution, le compositeur, l�instrument et l�auditeur �taient en relation d�imm�diatet�, de � contemporan�it� � les uns par rapport aux autres. La musique du compositeur maintenant disparu nous replonge dans le pass�, car elle utilise une esth�tique et un langage musical qui nous sont plus ou moins lointains. Mais s�il est impossible de percevoir un chef-d��uvre dans l�int�gralit� de sa signification (heureusement pour les interpr�tes !), il ne peut r�ellement exister qu�un moment juste et un seul, pour le saisir dans la signification exacte qu�il avait pour son auteur.

Le regard d�un bourgeois d�Amsterdam sur le tableau que Rembrandt venait de lui livrer, est - ne peut qu��tre - diff�rent du n�tre, car notre sensibilit� chromatique a vari� : Van Gogh est pass� par l�. Il en est de m�me pour un op�ra de Rameau, une symphonie de Mozart, dont les �critures appartiennent � des contextes qui nous sont �trangers, et que nous recevons autrement que des auditeurs de 1760 ou de 1785. Berlioz, Dvořak et Mahler ont cr�� d�autres sonorit�s. Le rapport que nous entretenons avec les cr�ations artistiques du pass� est fauss�, car in�vitablement anachronique. Walter Benjamin, dans les ann�es trente, avait d�velopp� la notion du hic et nunc, cette existence unique de l��uvre d'art au moment o� s'exer�ait son histoire. Plus r�cemment, l�historien de l�art Federico Zeri souligne que la distance historique qui nous s�pare de l��uvre d�art nous fait immanquablement nous replier � sur une fausse interpr�tation de l��uvre, un succ�dan�, qui consiste en une lecture fond�e non point sur l��uvre d�art elle-m�me, mais sur ce que nous voudrions qu�elle soit�[11].

R�p�tons-le, les recherches baroqueuses ont eu le m�rite de redonner du relief au r�pertoire ancien, de faire d�couvrir des �uvres oubli�es. Mais leur m�rite s�arr�te bien l� o� commence la frustration sonore de l�auditeur, en concert. Le disque, en effet, est totalement disqualifi� pour permettre de juger de la valeur r�elle d�un artiste ou d�un ensemble. La simultan�it� entre l�essor des th�ories baroqueuses et celui du disque num�rique est trop remarquable pour �tre fortuite. La d�couverte et les caract�ristiques d'un moyen de reproduction sonore, la "red�couverte" (ou l'invention) de nouvelles techniques d'interpr�tation, ont sans doute opportun�ment rejoint les lois d'un march� discographique qui saisit l� une chance exceptionnelle de se renouveler ou de se d�velopper. Esth�tique et technique se sont mises au service l�une de l�autre : �� techniques nouvelles, nouvelles sonorit�s. A l'id�ologie � papier glac� � de la technique r�pond celle de la scolastique interpr�tative. Dans les deux cas le support cr�e la vertu, il cr�e surtout de nouvelles r�alit�s fictives. Toute patine dispara�t, d�autant plus que les silences num�riques, v�ritablement intersid�raux, �tablissent maintenant des rapports signal/bruit qui d�capent l�horizon sonore de toute vell�it� de brume[12]. Brillance et contrastes sont les ma�tres mots de la technique, alors qu�aucune salle de concert, f�t-elle aussi parfaite que la Musikverein ou le Concertgebouw, ne peut offrir � l�auditeur une telle acuit�.

Mais jamais un moyen technique ne devrait servir de justification � une approche esth�tique, surtout lorsque tous deux se liguent pour transformer, en une redoutable inversion, le concert en une reproduction rat�e de l'enregistrement. Cette d�ception �voque celle qui peut suivre la d�couverte d�un tableau, �tudi� dans un ouvrage o� les couleurs et les contrastes sont excessivement rehauss�s par la technique de reproduction. Les premiers � p�tir de ce renversement de valeurs sont, ironiquement, les ensembles d'instruments anciens eux-m�mes, o� l'impression flatteuse qu'ils offrent au disque se transforme au concert en pure et simple frustration sonore. Comment l�auditeur reconna�trait-il, en effet, dans les sonorit�s plus ou moins vagues qu�il discerne sur le plateau, l�ampleur du m�me ensemble, enregistr� ? Comment pourrait-il retrouver, dans un tutti orchestral, cette ligne de fl�te ancienne, soulign�e par le micro suppl�mentaire que l�ing�nieur du son a pris bien soin de placer ? Simple t�moignage, � l�origine, de la conception d�une �uvre par un interpr�te, l�enregistrement est devenu indispensable � la vie m�me de l��uvre.

Les sp�cialistes actuels de la musique baroque se pr�valent de se mettre � son service, de la d�fendre, de la prot�ger contre les d�ferlements romantiques, contre les d�bauches de couleur et de puissance offerte par les instruments modernes. Savent-ils qu�ils sont, dans cette d�marche, en totale contradiction avec les id�es esth�tiques et philosophiques qui soutiennent la monde baroque ?

Positivit� (_mim�sis_imitatrice de la nature), r�gularit� (connaissance des r�gles), id�alit�, voici les trois principes du classicisme esth�tique issu du n�o-platonicisme cart�sien[13]. Le compositeur, le peintre, le po�te, mais l�interpr�te, �galement, s�y voient convi�s � la recherche d�un id�al, c�est-�-dire men�s au d�passement artistique. Son impressionnante diffusion dans toute l�Europe cultiv�e de l��poque, ainsi que la qualit� des d�bats et des adh�sions qu�il suscita, montrent la puissance d�un concept esth�tique qui constitua, tout au long du si�cle qui s��tend de Monteverdi � Rameau, de Rubens � Watteau, l�armature intellectuelle du langage baroque.

Pour l�artiste classique, l�art ne reproduit pas le visible, il rend visible. Il montre moins qu�il ne d�voile. Pour les contemporains de Lully, de Bach, de Haendel, le v�ritable artiste, le seul � m�riter ce titre, est donc un � re-cr�ateur �. Le jardin � la fran�aise est, en sa belle ordonnance, plus �vrai� que la nature elle-m�me, car il permet de r�v�ler cette perfection m�me, que la nature ne saurait, seule, atteindre[14]. Une fleur ne sera jamais autant fleur que savamment mise en sc�ne dans cette vasque de pierre ; la statue ne sera jamais aussi puissante qu�au milieu de cette place, dans l�alignement de ces arbres, dans cette niche de charmilles. L�eau ne sera jamais mieux eau que, lorsque canalis�e, domestiqu�e, elle finira par jaillir au milieu de cet �l�gant bassin de marbre, bien plus que lorsqu�elle sourd �naturellement� du rocher, ce qui, pour un esprit classique, n�est d�aucun int�r�t : l��uvre d�art est pour lui toujours sup�rieure � la nature.

Un po�me est plus � vrai � qu�un texte en prose, car il repr�sente un aboutissement, un id�al de langue. Le mot y est affirm� par une hi�rarchie qu�ignore une prose � naturelle �. Il sera de m�me r�v�l� par la place que le compositeur lui assignera dans la mesure, par l�accord dont il l�accompagnera dans le r�citatif. Une modulation sera rendue _signifiante_par l�ajout inattendu aux cordes de quelques vents, ou gr�ce au long repos tonal qui la pr�c�de. Le po�te dramatique qui ferait parler ses personnages � la sc�ne comme ils parlent � la ville, le compositeur qui tenterait de reproduire tr�s exactement les bruits de la campagne ou la pulsation d�un c�ur �mu, tous ces hommes de l�art seraient des copistes, c�est-�-dire des menteurs : la nature n��tant qu�apparence, celui qui la copie reproduit un mensonge. Pour ce d�lit, Platon avait banni l�artiste de sa Cit�. C�est le si�cle de Descartes qui l�autorise � y rentrer. Il est en effet devenu l�interm�diaire indispensable, celui qui permet d'acc�der au � sub-lime �, de franchir les limites d�une r�alit�, pour nous en r�v�ler la v�rit�.

Sa folie rationnelle donnait � l�honn�te homme_du dix-septi�me si�cle, superbement enferm� dans ses certitudes, l�impression d�avoir compris le monde, ou du moins d��tre capable un jour de le comprendre, puisque assimilable au m�canisme de la montre qu�il avait dans la poche. Est-ce illusion que de rattacher � des valeurs quantitatives l�_harmonie d�un objet, d�une forme, d�une suite de sons ? L�interpr�te pourrait estimer que ces questions n�ont que peu � faire avec ses pr�occupations habituelles. Mais une exp�rience simple lui permettra de saisir � quel point, au contraire, elles le concernent, combien, surtout, elles �clairent le r�le dont il se sent investi face � la partition, ce r�le qu'il a toujours cru devoir remplir jusqu'� ce qu'une �trange doctrine lui enjoigne de le mettre en cause. L��volution de tel ritenuto, par exemple, lui semble id�ale. Il lui est alors facile d'analyser que la progression du mouvement est r�guli�re, qu�elle suit une �quation bien connue, celle d�un mouvement amorti, sous peine d�un sentiment d�incoh�rence, rien moins qu�agr�able ni musical. Il d�couvre la composante rationnelle du sentiment artistique.

Il est inutile qu�il plonge plus avant dans l�abstraction. Ce n�est pas parce que des pens�es sont bien structur�es, qu�elles cr�eront un artiste. Sergiu Celibidache ne manquait jamais de le r�p�ter : avant d�expliquer, d�analyser le ph�nom�ne sonore, il faut le ressentir et faire partager l��motion de le voir na�tre, surgir de lui-m�me. Ce n�est qu�apr�s cette �closion libre et naturelle qu�on peut l�observer, appr�hender quelques-uns des �l�ments qui soutiennent sa beaut�.

Lorsqu�il compose, l�auteur a en lui non seulement la structure, mais bien plus, la �v�rit� de l��uvre, cette perfection musicale qui le plonge dans le monde de l'enthousiasme, source du geste cr�ateur. Pour faire ex�cuter son �uvre, il recherche les meilleurs instrumentistes, qui disposent eux-m�mes des meilleurs instruments. C�est � l�interpr�te qu�il revient de retrouver dans la partition cette fulgurance, de se rapprocher de cet id�al, de cet enthousiasme m�me, dans lequel Platon voyait une des composantes de l�acte interpr�tatif[15]. Or ces lectures glacialement photographiques, � la m�ticulosit� quasi obsessionnelle, que les th�ories baroqueuses offrent de la partition, cette sorte d�hyperr�alisme musical, ignorent le devoir vital, pour l�artiste, d��chapper � l�objet, � son ext�riorit�, pour n�en rendre, en toute libert�, que l��motion qui le lie � cet objet. Elles m�connaissent la dualit� essentielle r�alit�-id�alit�, sur laquelle, r�p�tons-le,� repose toute la musique, toute la dialectique baroque. Que devient, par exemple, la beaut� d�chirante du final de Didon et En�e de Purcell, si l�interpr�te oublie que c�est pr�cis�ment le mot �d�chirant� qui soutient tout ce passage ? Il n�existe pas de diff�rence, pour un musicien, entre la mort de Didon et celle d�Isolde. Toutes deux sont grandes et tragiques ; les langages musicaux sont distincts, mais l�esprit reste le m�me. Purcell et Wagner ont utilis� ce que leur �poque leur offrait comme moyens les plus �mouvants pour les d�crire. Ce n�est certainement pas rendre service � l��uvre de Purcell que de lui offrir l��l�gance glac�e d�un � style � baroco-mus�ographique, artificiellement oppos� aux d�ferlements romantiques accompagnant Isolde.

On l�a soulign�, nous n�en sommes plus, heureusement, aux int�grismes des d�buts de l�exp�rience. Certaines d�monstrations de glaciale a-musicalit� ont disparu dans le cimeti�re des monstruosit�s esth�tiques. L�artiste n�o-baroqueux, en ce d�but de si�cle, n�h�site pas � nouveau � interpr�ter, � id�aliser la partition, c�est � dire � s�immiscer entre le compositeur et son �uvre. Mais une contradiction fondamentale lui �chappe. C'est en effet au nom, pr�cis�ment, du souci tr�s classique de perfectionnement, que les instruments ont �volu�. Cette utilisation de l�instrument d��poque, repr�sente donc la d�marche contraire, exactement, � celle de ses coll�gues du pass�, qui n�eurent de cesse, eux, d�am�liorer des outils dont ils d�ploraient les limites. Poussant l�argumentation esth�tique jusqu�au bout, on peut donc relever que celui qui interpr�te vraiment une �uvre, avec toute sa personnalit�, sur un instrument ancien, est plus illogique encore dans sa d�marche que les pionniers de l�exp�rience, qui refusaient � la fois les instruments modernes et l�immixtion de la personnalit� de l�interpr�te dans la partition.

Ce n�est pas la statique qui gouverne l�histoire de la musique, mais bien la dynamique. Tout mouvement, toute cr�ation, provient d�une insatisfaction, d�un d�s�quilibre que l�artiste tente de combler. Si le nouveau �produit� ainsi form� perdure, c�est qu�il aura �t� jug� sup�rieur au pr�c�dent, ou plus exactement que ses avantages auront �t� jug�s sup�rieurs � ses nouveaux �ventuels inconv�nients. Sinon, il dispara�t de lui-m�me : le cor de basset, malgr� les lettres de noblesses que Mozart lui octroya, finit par s�effacer. Le renforcement de la structure des violons et des altos, � la fin du dix-huiti�me si�cle, afin d�en obtenir plus de puissance, s�est accompagn� d�une ind�niable modification de la couleur instrumentale. Ce que les tenants actuels du violon baroque consid�rent comme un appauvrissement ne le fut pas pour les artistes de l��poque. Un �l�ment nouveau, s�il offre � l�interpr�te une plus grande expressivit�, entra�ne la mise � l��cart de celui qui le pr�c�de. C�est justement cette conception de l�art, ce � progressisme �, que la doctrine baroqueuse juge excessifs. Seraient-ils en effet beaucoup trop modernes, non applicables au pass� ?

Toutes les d�couvertes qu�on fera par le principe des �motions des organes seront des v�rit�s immuables pour tous les hommes et pour tous les �ges[16]. Ces quelques mots de Ren� Est�ve nous ram�nent en 1752. Rameau et son �tourdissant Plat�e triomphent � l�Op�ra, et il s�appr�te � remanier, en vue d�une reprise, son Castor et Pollux de 1737. Ces oeuvresjustement, qu�on ne saurait maintenant donner autrement qu�avec violons et vents � baroques �, techniques et voix de � sp�cialistes �, bref, auquel il ne saurait �tre question d�offrir la moindre d�couverte post�rieure. Est�ve fut un de ces th�oriciens de l�art qui tentaient d��tablir les canons d�une beaut� id�ale, de d�finir �galement la place et le r�le de la cr�ation artistique dans la soci�t� � laquelle elle est destin�e. Cette belle proclamation, qui convie les musiciens � la conqu�te incessante de nouvelles terres �motionnelles, est absolument d�vastatrice pour l�id�ologie baroqueuse qu�elle pulv�rise, ni plus, ni moins. Anticipant de deux si�cles Adorno et son principe d�Unkehrbarkeit, de non retour en arri�re, Est�ve accueille en effet les instruments et les techniques d'interpr�tation du futur, les n�tres, dans le r�pertoire baroque, le sien. Il affirme, sans la moindre ambigu�t�, combien les musiciens de son temps auraient appr�ci� les richesses offertes par nos instruments modernes. Il invite �galement les grandes voix modernes, model�es par Bellini, Verdi, Puccini, � se mettre au service de Purcell, Lully, Rameau, � offrir le plus beau legato brahmsien � une aria de Bach ou de Vivaldi_._

Le principe de la relecture � authentique � d�borde de nos jours sur des territoires n�ayant rien � voir avec le monde baroque, puisqu�il s�agit de jouer par exemple les sonates de Schubert ou de Schumann, les impromptus de Chopin au piano-forte. La phrase d�Est�ve permet au musicien de comprendre pourquoi, � ses oreilles modernes, lepianoforte est condamn� � rester � jamais un avorton, plein de promesses peut-�tre, mais inachev�, incomplet, dont le retour ne repr�sente qu�un regrettable appauvrissement de la sonorit� du piano, � l�int�r�t tout au plus anecdotique et � la justification purement intellectuelle. Lorsque Liszt re�oit en 1883 son second Steinway, � la sonorit� bien proche d�un piano de concert moderne, il se montre enchant� de ce "grandiose chef-d��uvre de force, de sonorit�, de qualit�s de chant et d'effets harmoniques parfaits �[17]. On imagine l'accueil qu'auraient re�u certains piano-fortistes actuels, priant le compositeur-interpr�te, bien connu pour sa patience, de se remettre "authentiquement" � l'un de ces pauvres instruments, pour y interpr�ter, comme eux, ses premi�res �tudes de 1826...

Dans son ouvrage_Le Discours musical_, Nikolaus Harnoncourt est tr�s s�v�re envers le mouvement des Lumi�res, qu�il rend responsable d�une infantilisation, d�un abrutissement esth�tique dont l�Europe musicale ne se serait jamais remise. Il est exact que l��poque des Lumi�res est celle de la victoire de la couleur sur le dessin, de l�image sur le mot, du son sur le sens. Au je pense donc je suis cart�sien succ�de maintenant �je sens, donc je suis, je ressens donc je vis.Les r�gles ne sont plus l� que pour permettre de parvenir � la pure jouissance esth�tique. � Un concert est pour l�ou�e ce qu�est un festin pour le go�t, ce que les parfums sont pour l�odorat, ce qu�est un feu d�artifice pour les yeux �, �crit-on par exemple en 1769[18]. C�est � cette course effr�n�e � l��motion, au plaisir, � la peinture musicale, puis au mythe romantique de l�interpr�te tout-puissant, que l�on devrait cette perte, plus encore que de go�t, de sens artistique, propres � la musique ancienne. Pour �tre capables d�appr�hender ce r�pertoire, de retrouver sa signification, il nous faudrait donc, musiciens modernes, selon les th�oriciens baroqueux, effectuer une triple d�marche. Accepter d�abord de remettre en cause une tradition d�opulence sonore, l�gu�e par l��poque romantique, mais dont les musiciens des dix-septi�me et dix-huiti�me si�cles auraient fait peu de cas. Retrouver ensuite, le plus pr�cis�ment possible, les principes d�ex�cution musicale de l��poque ayant pr�c�d� celle des Lumi�res, condition indispensable pour revenir � la pens�e du compositeur. Le tout menant in�luctablement � l�abandon des instruments modernes.

Mais est-il l�gitime de d�noncer l�h�donisme esth�tique qui fut celui des Lumi�res puis, teint� de grandiose et de patriotique, celui de la R�volution fran�aise, pour laquelle Harnoncourt n�a pas de mots assez cinglants ? Faut-il vraiment stigmatiser cette course au plaisir, que le si�cle se plut � d�crire comme � une boule apr�s laquelle nous courons tant qu�elle roule et que nous poussons du pied quand elle s�arr�te �[19] ? Que recouvraient alors ces agr�ments que Lully, Telemann, Rameau laissaient au libre arbitre des interpr�tes, ces points d�orgue, ces vocalises infinies, que les chanteurs offraient � leur public, d�cha�nant parfois de v�ritables �meutes ? Quelle notion sous-tend la richesse d�orchestration, l�ampleur des sonorit�s que les compositeurs ne cess�rent de rechercher ; ces dissonances, enfin, dont la r�solution est attendue, diff�r�e, puis offerte, agacements artistiques dont les compositeurs de l��poque baroque ne furent jamais avares ? Il s�agit bien d�un plaisir, d�une jouissance, la leur, et celui du public auquel ils voulaient, ils devaient plaire. La recherche du plaisir auditif est aussi ancienne que la musique elle-m�me : peut-�tre est-ce le moteur principal de son histoire.

Les th�oriciens baroqueux estiment que le discours musical baroque faisait peu de cas de la peinture musicale, pris�e par le si�cle des Lumi�res, de plus en plus, au fur et � mesure que l�on se rapproche du romantisme. Mais de m�me que les vitraux d�une cath�drale gothique racontaient en images ce que les fid�les ne pouvaient lire, pourquoi ne pas envisager que Bach, par exemple, cherchait, dans ces _repr�sentations_musicales que sont ses Cantates, ses Passions, � raconter musicalement, c�est-�-dire � d�peindre, � �mouvoir, autant qu�� solliciter intellectuellement ? Dans la troisi�me version de la Passion selon saint Jean, il avait pr�vu une sinfonia, h�las perdue, pour d�crire, au moment de la mort du Christ, le rideau du temple qui se d�chire, le tremblement de terre, les tombeaux qui s�ouvrent. Tableau sublime et puissant, mais en quoi Bach, musicien baroque diff�re-t-il, alors, de Beethoven peignant, dans toute la fougue de son romantisme, l�orage de la Pastorale ?

Qu�auraient donc �gar� les musiciens que les th�ories baroqueuses leur permettrait de retrouver ? En quoi r�side cette perte de rep�res, sinon du go�t artistique, dont l�invitation au plaisir offerte par le mouvement des Lumi�res aurait �t� le terrible responsable ? Quel h�donisme vulgaire, quel d�sastre auraient frapp� la musique, vers la fin du dix-huiti�me si�cle, justifiant, pour revenir aux �uvres de l��poque baroque, de tenir pour nuls et non avenus les perfectionnements instrumentaux, les techniques d�ex�cution, dont nous sommes redevables � l�esth�tique des Lumi�res ? D�mentie par l�esth�tique du monde baroque, mise � mal par le si�cle des Lumi�res, que reste-t-il alors des deux cautions dont se pr�vaut l�id�ologie baroqueuse ?

APPROPRIATION

L�interpr�te est-il � proprement parler un cr�ateur, dont on attend qu�il s�approprie la partition pour l�ex�cuter comme il l�entend ? Est-il, au contraire, plus discr�tement, un technicien, charg� de restituer sobrement un texte musical consid�r� avant tout comme objet esth�tique du pass�, et dont la puissance �motionnelle ne serait plus l��l�ment prioritaire ? On entend parfois comparer les relectures baroqueuses de la musique � la restauration d�un tableau, au nettoyage d�un b�timent ancien, r�apparaissant alors dans leur beaut� initiale. On va m�me jusqu�� �voquer l�id�e d�une musique enfin d�barrass�e des souillures du temps,d�cap�e[20]. L�image est vigoureuse, mais a-t-elle un sens ? Peut-on assimiler la restitution �authentique� d�une partition avec la restauration d�une fa�ade baroque ?

Monteverdi� a �crit l�Orfeo, Racine a �crit Ph�dre : est-ce un op�ra, est-ce une trag�die ? Oui, mais qu�en reste-il si ces �uvres ne sont pas jou�es ? Elles sont, mais n�existent pas, si le mot � exister � signifie, pour une �uvre d�art, transmettre une �motion � quelqu�un. Une partition ne devient musique qu�entre les mains de l�interpr�te ; elle ne devient v�ritablement musique qu�entre les mains d�un _bon_interpr�te qui fait vivre l��uvre, la fait parler. Le texte _musical_devient alors discours musical. L�interpr�te est donc, au m�me titre que le compositeur, le ma�tre de l�action de la musique sur l�auditeur. Berlioz est parfaitement explicite : il estime qu�un interpr�te,qui n�a pas du talent mais du g�nie, cr�e comme l�auteur fit en composant[21]. Interpr�ter, c�est traduire ; traduire, c�est mettre en sc�ne. Le vrai traducteur doit se faire le po�te du po�te ; il doit se faire l�artiste lui-m�me[22]. Novalis propose l� une superbe d�finition de l�interpr�te. Elle va totalement � l�encontre de la dogmatique baroqueuse.

Alfred Cortot d�testait l�id�e d��uvres � poubelles autobiographiques �. Le grand pianiste avait tort, car elles le sont n�cessairement, non pas lorsqu'elles d�crivent, d�une mani�re un peu indiscr�te, les Episodes de la vie de l�artiste,mais en ce qu�elles sont le symbole de la personnalit� de celui qui les �crit. Pourquoi Monteverdi s�enthousiasma-t-il pour la belle histoire d�Orph�e et d�Eurydice, Berlioz pour celle de Didon ? Pourquoi l��ternel dialogue entre Mo�se et Aaron n�a-t-il jamais �t� aussi g�nialement soutenu que par Schoenberg ? Lorsqu�un pianiste, �galement, s�attache � la sonate op. 111, � tel concerto de Bart�k, c'est que les supports choisis sont en harmonie, en r�sonance avec lui-m�me : pour Schopenhauer, � la musique fait le bruit de l��tre �. Un lien extraordinairement puissant, indestructible, s��tablit alors entre le texte musical et l�interpr�te. Il arrive, tout naturellement, qu�il soit tent� de pr�senter sa _Fantaisie_-Commentaire sur un th�me fourni par le compositeur. Faut-il le lui reprocher ?

C�est la condition, indispensable, pourtant, � laquelle la pens�e du compositeur et celle de l'interpr�te se m�leront intimement pour cr�er la musique, cet id�al de forme et d'expression, ce point aveuglant o� l�intuition rejoint la raison, comme deux ondes fusionnent et font na�tre une structure g�om�trique parfaite. En cela, l'interpr�te rejoint le compositeur, l'appropriation de l��uvre par l�ex�cutant n'est que superficielle, et la hardiesse initiale du propos s'att�nue. Mais c�est �galement dans cette incapacit� ou dans ce refus � id�aliser le texte musical, par appropriation, ou par l�emploi des instruments modernes, que la doctrine baroqueuse se r�v�le profond�ment anti-artistique.

Du compositeur ou de l�interpr�te, lequel est alors au service de l�autre ? Question l�g�rement provocatrice, mais dialectique primaire. L�interpr�te n�est pas au service de l�auteur, il est au service de la partition. La notion d�arbitraire, bien loin d��tre un reproche, est au contraire un compliment rendu � son originalit�. Que l�on souscrive ou non � ses choix esth�tiques est sans importance. Ce qui compte, c�est qu�il dispose encore de ces choix. Sont alors r�concili�es m�thode classique et hyperbole romantique, car elles ne sont que les deux aspects du but supr�me de l�interpr�te : la mise en valeur de l��uvre, pour son plaisir, et celui de l�auditeur.

Assigner � l�interpr�te le r�le de restaurateur de notes est prendre une grave responsabilit�, car ce blocage esth�tique agit d'abord en amont de l'artiste, sur sa relation avec le texte musical : on le transforme en duplicateur. Mais c�est peu de choses au regard de l�action de ces th�ories en aval de l'interpr�te, en ce qu�elles modifient la relation naturelle entre l��uvre et son destinataire final, l'auditeur. Le dogme baroqueux se montre l� particuli�rement pesant.

On peut comparer l�action de la musique sur l�auditeur � celle, lorsqu�un texte est mis en musique, � l�action de la musique sur le mot. Comme par magie, elle prend possession du mot. Elle l'amplifie, l'�largit � une dimension que seul, il n�avait pas, ou ignorait qu�il avait. Selon la belle expression de Bachelard, elle laisse le creux des mots r�sonner d�associations oubli�es. La musique transporte le mot de l�intellectuel au sensible ; elle m�ne l�auditeur, parall�lement, du r�el � l�imaginaire. Elle lui permet surtout de se retrouver lui-m�me. Le but de l�artiste est de r�unir l�id�e avec l�image : l��uvre d�art est une �motion mat�rialis�e par des mots, de la mati�re ou des notes[23]. Celles-ci, moins que rep�res, sont des signes ; la partition, moins que contrainte, est donc symbole. Elle est aussi peu l'�motion qui a touch� le compositeur, que le mot n�est le concept ou l�objet auquel il se rapporte. La force de la musique r�side justement dans sa capacit� � ramener, concept in�puisable, prospectif, toute recherche d��motion � une id�e, c�est-�-dire � un germe d�infinitude, et non � se limiter � une r�alit� par essence born�e. Pure abstraction, elle repr�sente le point de passage, la surface de contact entre le monde symbolique du compositeur, celui de l�interpr�te, puis celui de l�auditeur.

Le chef-d��uvre est toujours allusion � autre chose : il est catharsis. Le terme est habituellement r�serv�, dans son acception aristot�licienne, � l��uvre th��trale, cette iconographie conceptuelle permettant une purgation lib�ratrice de passions dont le spectateur verrait les dangers repr�sent�s sur sc�ne. Mais l��tymologie du mot laisse entendre �galement l�id�e plus g�n�rale de clarification. Si l��uvre d�art est en effet l�image d�un affect personnel, d�un pathos que son cr�ateur tire vers la lumi�re, elle am�ne �galement l�interpr�te ou l�auditeur � tirer de lui, par le processus exactement inverse, une somme d��motions qui lui sont propres, et n�ayant sans doute rien en commun avec celles qui ont permis le processus cr�atif. Autant qu'�couter l��uvre, celle-ci lui permet de s'�couter lui-m�me. C�est sans doute cette unit� dans la diversit�, qui rend pendant le concert, tellement prenant, �habit�, le profond silence de la foule assembl�e, et dont les musiciens, sur le plateau, aiment � ressentir toute l�intensit�.

La musique sait en effet extraire de r�gions secr�tes des �motions latentes et d�autant plus puissantes qu�elles sont primordiales et universelles. Par harmonie, par accord, le g�nie de quelques compositeurs r�side en leur capacit� � faire �clore tout un monde oubli�, mais toujours pr�t � resurgir � l'appel d'une m�lodie, d'une couleur ou d'un timbre,dont nous reconnaissons l�image, selon la belle expression de Rousseau. Un si�cle plus tard, Freud pourra entrer en sc�ne.

C�est une des caract�ristiques du chef-d��uvre, que d��chapper � son cr�ateur et d��tre universel et intemporel. Si son langage date immanquablement le texte musical, son esprit, en revanche, r�tablit la proximit� qui existait avec les auditeurs de l��poque. Mais les instruments anciens, eux, �loignent l��uvre de nous, la � vieillissent � artificiellement. En s�interdisant d�agir exactement comme les artistes de l'�poque du compositeur, c�est-�-dire d�exploiter au mieux des moyens contemporains, on renvoie l��uvre � un pass� cette fois d�finitif. Bien loin de la faire revivre, on ne fait au mieux que l�embaumer, ce qui revient � la trahir.

On peut consid�rer toute �uvre non contemporaine comme ancienne, et la v�n�rer comme telle. Combien plus stimulant au contraire, est d'envisager que le chef-d��uvre ne saurait vieillir, et que, contemporain il y a deux ou trois si�cles, il le demeure �galement pour nous. Loin de devoir exag�rer l�historicit� du discours musical, l�interpr�te doit bien au contraire, s�attacher � l�att�nuer, � transf�rer la partition du temps chronologique au temps mythique, pour citer Bruno Bettelheim et sa Psychanalyse des contes de f�es. Lorsque le fait historique �volue en l�gende puis en mythe, cette transformation nous en apprend plus sur l�homme lui-m�me que sur l�histoire. Moins que d�une �volution, il s�agit en effet d�une projection. L�homme s�empare d�une donn�e, plus ou moins historique, l�id�alise, puis l'�rige en symbole universel, refl�tant ses r�ves, ses interrogations, mais aussi, plus profond�ment encore, l�essence m�me de son �tre.

Dans un texte superbe, l�Homme nu, l�anthropologue Claude L�vi-Strauss �voque l�association cathartique mythe-musique. � La mythologie et la musique ont ceci en commun qu�elles convient l�auditeur � une union secr�te, avec toutefois cette diff�rence, qu�au lieu d�un sch�me cod� en sons, le mythe lui propose un sch�me cod� en images. Dans les deux cas, c�est l�auditeur qui investit une ou plusieurs significations virtuelles dans le sch�me �. De m�me que le conte ou le mythe, reflet imm�morial d�inconscient collectif, moins le discours musical, acte de symbolisation issu du plus profond de l�inconscient du compositeur, sera rep�r� chronologiquement, plus il sera puissant, �mouvant, plus il permettra au processus d�identification de l�auditeur de se mettre en marche[24]. Affubler la partition d�oripeaux temporels pr�cis, robes � paniers, talons rouges, redingotes, crinolines, c�est lui assigner par tout ce fatras un simple r�le de t�moin historique. Une preuve, en art, est introuvable : le domaine de l�art, ce n�est pas l�absolu, mais le possible. Ce qu'on ne peut donc appeler une d�monstration, tout au plus une suite d'observations que tout artiste peut faire, permet d��valuer la puissance exorbitante que s�autorise l�id�ologie baroqueuse, que s�arrogent ceux qui se placent au travers du chemin de l�interpr�te. Ils interf�rent directement avec ce que l�auditeur poss�de de plus intime : les sensations, les �motions que la musique fait na�tre en lui.

Ce n�est pas vers la science, vers la th�orie historique, que se tourne l�interpr�te v�ritablement musicien. C�est vers le plus infaillible des guides : son instinct, c�est-�-dire ce que le texte lui sugg�re, les impressions qu�il �veille en lui. Schlegel, souligne bien, dans son Cours de litt�rature dramatique, que dans l�empire des beaux arts, toutes les v�ritables r�gles sont (...) d�termin�es par le sujet de l��uvre. Elles manifestent l�essence intime de l�objet auquel elles appartiennent. Pour Engel, de m�me, on observe dans tous les arts que la th�orie sert moins � perfectionner les ouvrages que ceux-ci ne servent � d�terminer la th�orie[25].

A l�int�rieur d�un ambitus plus ou moins large, le tempo d'une gigue de Rameau, d�une sarabande de Bach, d'un allegrode Mozart ou d'un scherzo de Beethoven, est inh�rent au texte musical, c�est-�-dire � l�impression que l��uvre produit � un moment donn�, en un lieu donn�, sur l�interpr�te. Les menuets des troisi�me et cinqui�me Symphonies de Schubert sont de beaux exemples de relation de tempo_,_ indiqu�e par l��criture elle-m�me. Autant les menuets sont �nergiques, marqu�s, aux articulations pr�cises et accentu�es, autant les triosont de belles valses lentes, de merveilleux Laendler. Bien que Schubert ne donne aucune indication, ce serait d�une insigne barbarie que de conserver le m�me caract�re pour les deux fragments. L�intuition rejoint d�ailleurs la th�orie. Nikolaus Harnoncourt, dans son analyse du menuet de la Symphonie en Sol mineur de Mozart, parvient exactement � la m�me dichotomie historico-musicologique _menuet_-trio, que l'on peut sans crainte opposer stylistiquement l'un � l'autre[26]. Que penser alors de tous ces ouvrages, qui, de nos jours, proposent mille th�ories, fort savantes, concernant par exemple les tempi historiques, � authentiques �, dans Bach, Mozart, Beethoven ? A Rome, Berlioz et Mendelssohn aimaient � se retrouver pour discuter musique. Leurs avis divergeaient, parfois, mais ils s�accordaient sur un point, que Berlioz rapporte dans ses M�moires : le musicien qui, � l�aspect d�un morceau, n�en devine pas [�] le tempo, est une ganache[27].

Les r�gles sont d�termin�es par l��uvre, et non le contraire. De m�me qu�un langage musical devient st�rile lorsqu�il n�est qu�un syst�me, il n�existe aucun art de jouer Bach, Mozart, Berlioz. Ramener la musique baroque � une suite de pulsations, de points d�appuis, est aussi simpliste que de r�sumer la musique romantique � un enchev�trement de larges plans m�lodiques. C�est pure rh�torique, que d�opposer l�articulation d�une ligne wagn�rienne � celle d�un concerto pour violon de Vivaldi. Un passage sera soutenu, un autre, all�g�. Telle phrase de violon ne saurait supporter un changement d�archet ; � telle autre, un archet tr�s court sur chaque note d�une structure rythmique bien particuli�re offrira une merveilleuse vitalit�. Une h�miole chez Dvorak ou Debussy a la m�me signification que chez�Monteverdi, Bach ou Telemann.

Ce sont �galement les caract�ristiques de tel ou tel passage, qui permettent � l�interpr�te de doser son vibrato, d�adapter la couleur de son instrument ou de son orchestre, ce qui ram�ne au d�bat sur les instruments anciens. Certains traits, certains arp�ges, sont plus facilement ex�cutables avec l�archet baroque qu�avec l�archet moderne. Mais ce n�est pas en fonction de son � confort � que l�interpr�te d�cide quel instrument, ancien ou moderne, lui convient le mieux pour jouer le r�pertoire baroque. Il doit en effet choisir, en v�ritable musicien, celui qu�il estime le plus apte � servir tous les effets, sans exception, propos�s par la texture et le sens qu�il donne au texte, c�est-�-dire aux �motions que ce texte �veille en lui. Comme ses coll�gues du pass�, comment, lui aussi, ne se d�ciderait-il pas en faveur de l�instrument dont leur insatisfaction provoqua peu � peu l��mergence : l�instrument moderne ?

L��uvre d'art compl�te que repr�sente un op�ra repose sur un paradoxe. Le livret, en effet, de point de d�part, de centre, s�y fait rapidement absence de l��uvre (Pierre Boulez). Le texte devient pr�texte : une bonne musique sauve toujours un texte faible, jamais le contraire. Il ne faudrait pas que l'interpr�te se sente prisonnier de deux tendances oppos�es mais ayant en commun d'op�rer une dissociation artificielle entre texte et musique. Certaines versions des op�ras de Mozart, par exemple, purement "sensualistes", sinon sirupeuses, en quelque sorte le beau son pour le beau son, sont bien pass�s de mode. Mais celles propos�es maintenant, en r�action, justement, � ces interpr�tations, et qui se pr�valent d�une caution � scientifique � pour transformer l��uvre en d�monstration d�historicit�, en fait roideur et inflexibilit�, sont aussi insupportables � des oreilles de musicien que celles contre lesquelles elles sont parties en guerre.

Chez Mozart, la dynamique interne du discours musical demeure toujours en _accord_avec la fluidit� de la langue parl�e, pulsation simple et naturelle, tempo andante qui peut servir de base � la construction des autres tempi.Le texte repr�sente donc un guide sur lequel peut compter l'interpr�te, et lui permet d�ignorer superbement de th�oriques �r�gles d�interpr�tation mozartienne�. Il doit avant tout se soucier que les phras�s, les tempi, s'accordent avec un texte devant concourir au plaisir de l'auditeur. Outre sa fra�cheur et sa spontan�it�, l�air y retrouve sa concision, son intelligence, et l��uvre reconquiert, dans son ensemble, une unit� rythmique, une th��tralit� due � la coh�sion �motionnelle et s�mantique entre discours musical et discours litt�raire.

Au-del� des questions de tempo, certains � sp�cialistes � proposent des versions vraiment radicales de ce r�pertoire, mais de Gluck, ou de Haydn, �galement, en ce qui concerne les phras�s, les coups d�archets, les respirations. Les t�moignages quant � l�ampleur instrumentale et aux techniques d�ex�cution que le d�but du dix-neuvi�me si�cle offrait � tout ce r�pertoire, c�est � dire influenc�es par l�esth�tique romantique, ce repoussoir absolu aux yeux des th�oriciens baroqueux estimant devoir apporter leurs lumi�res � l��uvre de Mozart, reprennent pourtant mot pour mot, parfois, ceux que les critiques utilisaient, soixante ans auparavant,� pour saluer les qualit�s de l�orchestre parisien du ConcertSpirituel. Cet ensemble, pour lequel Mozart �crivit la Symphonie Parisienne K.V. 297, notamment, l�avait rempli d�admiration, comme tous les musiciens �trangers qui se pressaient alors � Paris. Ces t�moignages cautionnent-t-ils le froid dogmatisme r�novateur � la mode actuellement dans ce r�pertoire : archet ancien, coups d�archets de viole de gambe, phras�s tr�s courts, peu de vibrato? Justifient-ils la confidentialit� des petits ensembles maintenant � sp�cialis�s � : rarement plus de vingt ou trente musiciens ? L�orchestre du Concert Spirituel disposait de 65 ex�cutants, dont 12 premiers violons� Il ne fait aucun doute que, bien souvent, Mozart, lors de ses voyages, devait se contenter d�inqui�tantes maigreurs musicales. Est-ce une raison pour le condamner encore au m�me traitement ? Lorsqu�il se r�jouit, dans une lettre � son p�re, d�avoir eu � sa disposition, pour un concert, 40 violons, 10 altos, 8 violoncelles, 10 contrebasses, et dont tous les vents �taient doubl�s, il se plait sans doute � �voquer un fait trop rare[28]. Mais qui, de nos jours, oserait doubler les vents dans une symphonie de Mozart, et y requ�rir 10 contrebasses ...?

Un autre aspect de l�interpr�tation du r�pertoire classique est trop souvent malmen� par les tenants d�une rigueur �authentique�, mais terriblement restrictive. Il s�agit de cette absolue n�cessit�, pour l�interpr�te, de savoir g�rer le phras�, la respiration musicale, c�est-�-dire la d�licate modulation de tempo qui par endroit ponctue la phrase et lui permet de reprendre souffle. Comme en harmonie, le mot �emprunt� serait ici plus juste que celui de modulation, en ce qu�il d�finit, mieux que la conqu�te d�un nouveau territoire, une furtive incursion dans une tonalit� nouvelle, dans un tempo nouveau. L� aussi, on d�plore que cette libert� qu�on laisse � la phrase de s��panouir, parfois de se reposer, puisse �tre assimil�e � un manque de rigueur. C�est sans doute la raison de la froideur d�gag�e par certains enregistrements actuels, caricatures tragiques, �clatantes d�monstrations d�a-musicalit�, o� la rigidit� m�tronomique est promue au rang de vertu cardinale. Dans une terreur panique de voir la phrase musicale simplement se d�tendre, le chef-th�oricien ne consid�re plus l�orchestre comme une base harmonique sur laquelle le chanteur peut s�appuyer, mais comme un fouet qui le harc�le, transformant l�air de Pamina en valse, et celui de Sarastro en polka. Comprendra-t-on un jour pourquoi Mozart repr�sente, plus encore que la pierre de touche, le pont aux �nes de la musicalit� d�un interpr�te ?

Si les atrophies mus�ographiques sont d�nu�es de l�gitimit� pour le r�pertoire classique, leur intrusion dans la musique romantique les �claire en tout cas d�un jour doublement cruel : esth�tiquement et intellectuellement. Il est indiscutable, comme le soulignent � l�envi leurs d�fenseurs, que nos r�f�rences sonores sont ancr�es dans une tradition issue du Romantisme. C�est justement l�objectif des th�ses baroqueuses que de d�livrer le r�pertoire ancien de cette prison dans laquelle elles l�estiment enferm� ; de lui �pargner les lourdes sonorit�s, les pesanteurs offertes par des artistes soucieux avant tout de richesse instrumentale et d��motion, de retrouver un style, enfin, que des Lumi�res trop intenses avaient jet� dans l�ombre. Fort bien. Mais que viennent faire, alors, ces th�ories dans le dit r�pertoire romantique ?

Que les � sp�cialistes � qui estiment devoir apporter leurs lumi�res � telle ou telle tranche de l�histoire de la musique, cessent en effet toute ing�rence sur un territoire o� leur pr�tendu savoir-faire prend le visage de l'imposture : l'id�ologie baroqueuse transforme le r�ve romantique en cauchemar puritain. L�exemple le plus caricatural est celui de Berlioz. Le critique viennois Edouard Hanslik ne s'y �tait pas tromp�, qui comparait l'�volution de Mozart � Beethoven � celle qui fit passer de Beethoven � Berlioz. Ni Schumann, ni m�me le merveilleux harmoniste qu�est souvent Chopin, n�ont �t� si loin dans l�audace que le jeune Berlioz. Dans la Symphonie Fantastique, par exemple, certaines trouvailles sont tout simplement stup�fiantes pour l��poque.

Il appara�t comme le point d�origine de toutes les pr�occupations qui marquent la musique de notre temps. Dans l�extraordinaire d�pouillement de _l�Epilogue_de l�Enfance du Christ, aux unissons et aux silences vertigineux, l�abolition de la tonalit�, au d�but de ce fragment, �voque les �l�ments d�une s�rie dod�caphonique, expos�s dans toute leur nudit� : intense �motion, sublime �conomie de moyens. Nous sommes l� �dans un espace qui ignore la pesanteur et un temps qui ignore la conscience du temps [...]. Nous sommes dans un instant sans dur�e�[29]. Ce qu�Andr� Boucourechliev �voquait � propos de l�extr�me concentration de la pens�e de Webern, est applicable, mot pour mot, � ce court fragment, � �crit en 1850. Son originalit�, son ouverture d�esprit et sa qu�te, surtout, d�absolu esth�tique, ouvrirent � Berlioz, il y a longtemps d�j�, les portes du plus beau des Panth�ons : l�imaginaire des artistes.

On reste alors interdit devant l�obscurantisme esth�tique de ceux qui ne veulent pas offrir nos instruments modernes � un Berlioz qui n�a jamais cess� d�appeler de tous ses v�ux la cr�ation d�instruments toujours plus puissants, plus riches, et m�me nouveaux (le Saxophone), au service d�artistes libres d��tre libres. On r�verait de lire le chapitre ravageur et les noms d�oiseaux qu�il n�aurait pas manqu� de r�server � ces dignes h�ritiers modernes de ses chers �_Grotesques de la musique_�, qui le sacrifient sur l�autel du marketing.

Conclusion.

La mode actuelle pour le r�pertoire baroque est impressionnante. Elle est explicable, d�abord par la beaut� de ce dernier. Mais il sert sans doute �galement de refuge � un public m�lomane lass� de toujours entendre les m�mes grandes �uvres du r�pertoire romantique, et se sentant parall�lement abandonn� par la cr�ation contemporaine, per�ue comme excessivement difficile d�acc�s. Proche de celui des si�cles pass�s, le public d�sire, avec raison, de la nouveaut� ou quelque chose qui en tienne lieu. Paradoxalement, ce sont les couleurs dont les th�ories baroqueuses peignent maintenant le r�pertoire, qui donnent cette impression d'in�dit, ce qui permet de joindre le prestige de l�ancien au plaisir de la nouveaut�, mais sans le risque et la fatigue intellectuelle de la modernit�.

Ces th�ories reposent n�anmoins sur de bien inqui�tantes faiblesses, puisqu�elles sont contredites par l��poque m�me qu�elle se pr�valent de servir. En 1725, Quantz, d�j� c�l�bre fl�tiste, �tait � Naples, et priait son ami Hasse de le pr�senter � Scarlatti. Celui-ci refusa plusieurs fois : � vous connaissez mon aversion pour les instruments � vents, ils ne sont jamais justes �[30] . Mais Scarlatti avait tord, puisqu�il s�agit bien de ces m�mes fl�tes, hautbois et autres bassons baroques, que les sp�cialistes baroqueux sortent maintenant des mus�es et parent de toutes les vertus� Faiblesse de leurs th�ories, mais incoh�rence, �galement : elles refusent une �volution instrumentale, mais ne peuvent survivre que gr�ce aux techniques discographiques les plus modernes. Elles ne respectent en rien la volont� des compositeurs et se r�v�lent brutalement indiscr�tes par rapport � l�auditeur. Elles sont agressives, �galement : William Christie ne vient-il pas d�affirmer � Paris que l�ex�cution de la musique de Rameau devait �tre exclusivement r�serv�e aux sp�cialistes[31] ? Il ne faut n�anmoins se faire aucune illusion : soutenues par d��normes int�r�ts marchands, elles ont sans doute quelques beaux jours. Les arguments les mieux �tay�s resteront bien l�gers face � une adh�sion purement irrationnelle ou m�diatique aux th�ories baroqueuses. C�est logique : la raison artistique se passe de raison(s).

Les musiciens se d�diant au r�pertoire baroque firent de superbes d�couvertes, qui r�compens�rent leurs recherches musicologiques. Mais il s'agit parfois de convoquer le ban et l'arri�re-ban d'obscurs ma�tres de chapelle, de tirer d'une juste poussi�re de mortelles cantates, d'insipides oratorios. Discours m�lodique et harmonique rudimentaires, encha�nements de formules st�r�otyp�es : le r�pertoire baroque deviendrait-il, nouvelle marchandise culturelle, la caution d��l�gance pour des go�ts musicaux simples ? L'int�r�t que l'on porte � ces �uvres, ainsi que leur m�diatisation outranci�re et quelque peu aga�ante au regard de leur indigence, demeurent � bon droit incompr�hensibles aux musiciens. Les th�ories baroqueuses s�inscrivent-elles dans le regard que notre monde poserait maintenant sur l��uvre d�art, o� l��rudition du sp�cialiste substitue[rait] ses hypoth�ses � la sensation, sa m�moire prodigieuse � la pr�sence de la merveille, pour reprendre la belle expression de Paul Val�ry ? On souhaite, en tout cas, que ce monde ne devienne jamais celui o� les mots musique, interpr�tation et artiste, signifieraient sonorit�s permises, reconstitution historique et sp�cialiste en authenticit�.

Toute bonne interpr�tation d�une �uvre ancienne doit r�ussir la conciliation de la pratique musicale du temps et de la sensibilit� de l�auditeur d�aujourd�hui, en sauvegardant ce qui est essentiel dans l�une et dans l�autre[32]. Lorsque l�instrument a disparu au cours des si�cles (certains instruments m�di�vaux, par exemple, ou de la Renaissance), il est bien s�r l�gitime de retrouver ces timbres originaux. Mais s�il n�a fait qu��voluer, se perfectionner, aucun argument musical ne justifie un retour d�finitif � l�instrument ancien. Approche musicologique de la sonorit�, il ne peut, au mieux, que repr�senter une option esth�tique, parmi d�autres. Quoiqu�il en soit, les musiciens ne peuvent accepter le processus de d�tournement �motionnel, donc de falsification de l��uvre, que leur impose l�id�ologie baroqueuse. Les Indes Galantes sur instruments anciens ne sont pas une merveilleuse fantaisie, nulle part entre Turquie et P�rou, c'est une d�monstration de musicologie. Le Requiem de Mozart ou de Brahms, sur instruments "d'�poque" n�est plus une grande pri�re �mouvante, c�est devenu un rep�re chronologique. Insister sur l��ge du chef-d��uvre, est priver l�auditeur de sa libert� fondamentale de voyager, pendant le concert, aux lieux et temps qu�il lui plaira. Le th�oricien impose, l'artiste propose.

Les arguments expos�s dans ce texte sont d�velopp�s dans Les Baroqueux ou le Musicalement Correct, Jean-Paul PENIN, Paris, Gr�nd, 2000.


[1] Nikolaus Harnoncourt, Die musikalische Rede, Der musikalische Dialog, Residenz Verlag, Salzburg und Wien, 1982, 1984. Le Discours musical,Le Dialogue musical, Monterverdi, Bach et Mozart. trad. D. Collins, Paris, Gallimard, 1984 et 1985.

[2]Ren� Leibowitz Le compositeur et son double, Paris, Gallimard, 1971, p. 35-47 (pour une �thique de l�interpr�tation musicale).

[3] � A l��re baroque, la notion de beaut� sensuelle �tait moins d�velopp�e qu�aujourd�hui �. Stanley Sadie, Guide de la musique baroque, sous la direction de Julie Anne Sadie, Paris, Fayard, 1995, p. 626.

[4] H. de Balzac, Illusions perdues, p.p. P. Berthier, Paris, Gallimard, Folio, 1974, p. 378.

[5]Selon Grant O�Brien, Conservateur de la collection Raymond Russle, de l�universit� d�Edimbourg, et sp�cialiste des instruments de Ruckers, cet instrument aurait �t� amen� par Guillaume d�Orange au moment de son mariage. Il semble que la personnalit�, puissante, de Wanda Landowska, ait indispos� un certain nombre d�artistes autour d�elle, m�me s�ils admiraient son talent. Ralph Kirkpatrick est notamment de ceux-l�, et par suite, certains de ses �l�ves. Certaines prises de positions esth�tiques actuelles face au r�pertoire baroque semblent en fait d�couler de simples consid�rations humaines, trop humaines.

[6] Charles Burney, Voyage musical dans l�Europe des Lumi�res, Paris, 1992, Harmoniques, Flammarion, p. 428. Lecerf de la Vi�ville, Comparaison de la musique italienne et de la musique fran�aise, Bruxelles, Foppens, 1704, cit� par E. Borrel, l�Interpr�tation de la musique fran�aise, Paris, F�lix Alcan, 1934, p. 43.

[7]Charles Burney, op. cit., p. 384.

[8]Les premi�res cantates que Bach �crivit, trois ans apr�s son retour de L�beck, BWV 4 (Christ lag in Todesbanden), 71 ( Gott ist mein K�nig), 106 (Gotteszeit ist die allebeste Zeit), sont proches du mod�le de Buxtehude.

[9]On retrouve le principe du Bebung, le tremblement, pr�conis� plus tard par son fils Karl Philipp Emmanuel, en pleine esth�tique des Lumi�res.

[10]� Forkel court souvent le danger d�interpr�ter les sources qu�il poss�de dans l�optimisme d�un romantisme naissant. Il convient de faire _toujours_la diff�rence entre les faits objectifs et son interpr�tation �. Pr�face � l�ouvrage de Forkel, Paris, Flammarion, 1981, p. 14. C�est l�auteur qui souligne.

[11] Federico Zeri, Derri�re l'image, conversations sur l'art de lire l'art, Paris, Rivages, 1988, p. 32., op. cit., p. 141-142.

[12] L�effet de "vide �motionnel" est d'ailleurs renforc� par le processus de compression num�rique, � nettoyant � un peu drastiquement des � superflus � peut-�tre utiles, et plus encore sur les serveurs rempla�ant maintenant le support CD. "Les sons les plus d�licats, qui frappent notre oreille bien � propos, ne sont que la milli�me partie de ceux que nous �coutons int�rieurement". W. Landowska, Musique ancienne, avec la collaboration dee M. Henry Lew-Landowski, Ivr�a, Paris, 1996, p. 62.

[13] Descartes n�a pas �tabli de trait� d�esth�tique. Selon Emile Krantz (Essai sur l�esth�tique de Descartes, Paris, Germer-Baill�re et Cie, 1882), la doctrine classique s�est constitu�e de son temps ou apr�s lui, au gr� des travaux de ses continuateurs, d�lib�r�s ou inconscients : Boileau, d'Aubignac, Racine, le P�re Andr�, etc.. Gustave Lanson a contest� ce point de vue dans Philosophie cart�sienne et litt�rature, Paris, Champion, 1930. Catherine Kintzler, quant � elle, propose la voie m�diane d�un � Descartes embl�matique et r�gulateur, et non [...] constitutif et doctrinal � (Po�tique de l�op�ra fran�ais, de Corneille � Rousseau, Paris, Minerve, 1991, p. 525).

[14] Il s�agit en quelque sorte d�une sublimation de la nature par l�intellect, comme le jardin japonais peut �tre vu comme une sublimation de la nature par le spirituel.

[15]� Au concert, je ne sens jamais le contact avec le public. [�] La passion, c�est primitif. L�enthousiasme, c�est le chaos �. Gustav Leonhardt, cit� par Cornelia Geiser, Bach � l��cran, pp. 48-50, Entretien avec Gustav Leonardt, Paris, 2000, Mus�e du Louvre.

[16] R. Est�ve, L�Esprit des beaux arts, cit� par B. Cannone, Philosophies de la musique (1752-1780), Aux amateurs de livres, Paris, 1990, p. 116.

[17] L'instrument est visible et audible au mus�e de la Scala. Sept octaves, cadre en fonte, cordes crois�es : notre piano actuel est bien peu diff�rent. E. B�rger, Franz Liszt, Paris, Fayard, 1988, p. 195.

[18] Boy�, dans L�Expression musicale mise au rang des chim�res, 1769, cit� par B. Cannone, op. cit., p. 161.

[19]Madame de Puisieux, Les Caract�res, s.n. e., Londres, 1750, p. 170.

[20] Philippe Beaussant, Vous avez dit Baroque ? Musique du pass�, pratiques d�aujourd�hui. Actes sud, Arles, 1988, p. 63.

[21] H. Berlioz, id., t. I, p. 341.

[22] Novalis, Bl�tenstaub, Werke in einem Band, Aufbau Berlin und Weimar, Bibliothek deutscher Klassiker, 1989, p. 290-291. C�est l�auteur qui traduit et souligne.

[23] Elle peut �tre �galement absence revendiqu�e d'�motion, ce qui revient �videmment au m�me.

[24] L�Homme nu, Mythologies, IV, Plon, Paris, 1971, p. 585.

[25](Engel, Lettre sur la peinture musicale, adress�e � M. Reichardt, ma�tre de chapelle du roi de Prusse (trad. 1788), publi� � la suite des Id�es sur le geste et l�action th��trale, p.p. M. de Rougemont, Gen�ve, Slatkine, Ressources, 1979, t. II, p. 278).

[26] N. Harnoncourt, _L_e Dialogue musical, Monteverdi, Bach et Mozart, op. cit. p. 157-163.

[27] Cit� par D. Cairns, Berlioz, la naissance d�un artiste, Belfond trad. D. Collins, Paris, 1991, t. I, p. 472. Attitude trop subjective et romantique ?� �Le seul bon chronom�tre que l�on puisse avoir, c�est un habile musicien qui ait du go�t� (Rousseau, Dictionnaire de musique, article chronom�tre).

[28] Lettre � propos du concert du 3 avril 1781.

[29] Andr� Boucourechliev, Le langage musical, Fayard, Paris, 1993, p. 182.

[30]Charles Burney, op. cit., p. 430.

[31]Le Journal du Dimanche, 3 septembre 2000.

[32]Roland de Cand�, Jean-S�bastien Bach, Paris, Seuil, 1984, p. 390.