Chapitre 2. La seigneurie du Vuache (original) (raw)
1L'évolution du château, de son rôle au sein de la société féodale et au centre de la seigneurie du Vuache apparaît grâce à l'ensemble des textes conservés. Ces documents sont variés : testaments, actes de concessions et de ventes, investitures des seigneurs, comptes de châtellenie, inventaires des biens seigneuriaux. Ils sont conservés aux archives de Genève, Annecy, Chambéry ou Langres.
- Les comptes de châtellenie, rédigés en latin par les châtelains des seigneurs de Vienne sur 10 rouleaux de parchemins dont certains sont très abîmés, couvrent la période de 1326 à 1343. Ces documents sont très riches en renseignements concernant la vie économique et administrative du château ; les travaux d'entretien et de réfection des bâtiments qui y sont énumérés, offrent les premières indications sur l'édifice castral.
- Les chartes, actes de caractère privé, consignant par écrit des droits et règles d'intérêts variés ; titres de propriétés, actes de vente, de donation, de privilèges octroyés ont été consultées. La plupart de celles antérieures à 1312, furent analysées et consignées par Lullin et Lefort dans le Regestre Genevois. Les archives notariales n'ont malheureusement pas pu être étudiées12.
- Les consignements de fiefs et leurs sommaires (inventaires des titres de propriétés) établis lors des investitures des fiefs inféodés par les princes de Savoie-Nemours étaient conservés par les archives de la cour savoyarde (A.D.S., série SA). Classés par fiefs et par ordre chronologique, ils fournissent quelques renseignements pour le XVe s. et le début de l'époque moderne (1397, 1447, 1498, 1701, 1758) ; le patrimoine aristocratique y est énuméré mais mal localisé et souvent non détaillé.
2Deux documents cependant présentent des inventaires détaillés du château du Vuache :
- En 1586, après le décès du chevalier de Villette, ses biens mobiliers (meubles et ustensiles métalliques de cuisine, vêtements, cheptel et numéraire) sont inventoriés (A.D.H.S., 7J 1223).
- En 1612, un inventaire est dressé lors de la passation de pouvoirs entre deux châtelains ; ce document répertorie chacune des portes contenues dans les édifices et le mobilier. La visite débute par le portail d'entrée puis présente la basse-cour et ses édifices, les tours et les pièces du logis en suivant l'ordre de progression du rédacteur. Le châtelain signale très précisement tous les travaux de restauration qu'il a fait exécuter.
3Enfin, cette étude a pu utiliser un document majeur appelé communément Mappe Sarde. Ordonné par Victor Amédée II, élaboré de 1728 à 1736, ce document révèle la mensuration générale de la Savoie. Il est précieux tant par sa représentation graphique très précise du paysage du début du XVIIIe s. que par les nombreux renseignements contenus dans les tabelles.
4Afin de limiter notre étude au domaine seigneurial, nous avons, après assemblage des cadastres des quatre paroisses de la seigneurie (fig. 5), sélectionné trois thèmes qui nous ont paru être les plus intéressants.
5 : Carte des quatre paroisses regroupées dans la seigneurie du Vuache
1 - Vulbens, 2 - Dingy, 3 - Bans, 4 - Chevrier.
- Les parcelles sont groupées en lieux-dits, suivant les indications de villageois spécialement recrutés pour guider les topographes, pour la plupart originaires du Piémont et de Lombardie ; ces lieux-dits sont dénommés par un microtoponyme souvent révélateur des particularismes de chaque lieu.Nous avons donc dressé les cartes de ces microdivisions de l'espace pour chaque paroisse et essayé de trouver l'origine des noms donnés à ces lieux. Cette étude se révélant fort complexe et requérant une bonne connaissance du dialecte franco-provençal, nous n'avons retenu que les éléments particulièrement intéressants. La majorité d'entre eux, désignée par un microtoponyme faisant allusion à la topographie ou à la couverture végétale sont d'un intérêt historique plus difficilement appréhendable. Chaque lieu-dit porte un numéro correspondant à l'ordre d'enregistrement et est retranscrit avec l'orthographe de l'époque.
- En associant les données topographiques de la Mappe Sarde (cours d'eau, routes, constructions, forêts et microtoponymes correspondant à des déboisements et des bois) avec les courbes de niveaux actuelles, nous obtenons une carte topographique de la seigneurie, particulièrement utile pour l'analyse du domaine direct et du rapport entre l'habitat et l'édifice castrai (cf. dépliant : Carte topographique de la Seigneurie en 1730).
- Dans le but d'enregistrer minutieusement la propriété foncière pour une équitable répartition de l'impôt, la Mappe présente le domaine utile tel qu'il était à la fin de l'Ancien Régime. A partir de celui-ci, nous avons, par déduction, pu étudier son évolution (cf. dépliant).
Les seigneurs du Vuache
5Tout au long de leur histoire, soit par héritage, soit par transaction ou vente, le domaine, le château et les droits qui en dépendaient, sont passés entre les mains de nombreux propriétaires ou détenteurs temporaires illustres ou peu connus (fig. 6).
6 : Tableau chronologique des seigneurs du Vuache
6La première mention connue du fief du Vuache est faite dans le testament de Hugues de Sallenoves, en 1239 ; il lègue_« le fief du Vuache depuis Dingy jusqu'au Rhône qu'il tenait de feu le chevalier Pierre de_ Vulbens ». L'usage du terme de « fief » correspond à la concession d'une terre contre un engagement dans les liens vassaliques. Il constituait l'apanage de son fils puîné Vuilhemme de Viry-Sallenoves (R.G., n° 224).
7En 1252, c'est le comte Guillaume de Genève qui légue à son fils Henri, les_« castra »_ et mandements (territoire sur lequel s'exerce l'autorité politique du seigneur) de Ternier et de Vuache (R.G., n° 401). Nous ignorons comment et à quelle date, le comte a acquis le Vuache, de Vuilhemme de Viry-Sallenoves. Henri de Genève (décédé avant 1273) était le seul frère laïc du comte Raoul ; il prêta hommage au comte Pierre de Savoie en 1254 (R.G., n° 407) et laissa de son vivant, en garantie de dots dues à ses filles Béatrice de Lunel et Eléonore, épouse de Bertrand des Baux, prince d'Orange, l'ensemble de ses biens à son frère Robert, évêque de Genève, de 1276 à sa mort en 1287 (R.G., n° 541). Robert garda ces biens sans exécuter l'obligation de doter ses nièces.
8A sa mort, ils passèrent à un autre frère, Gui de Genève (R.G., n° 474). Evêque de Langres en 1266, ce dernier accompagna le roi de France Louis IX en croisade et assista aux sacres de Philippe III. Il fut conseiller et exécuteur testamentaire de Philippe III et de Philippe IV. (Duparc, 1978). En 1278, il engagea les_« castra et cens de Terniaci et de Vaicho »_ auprès de Guillaume d'Avallon, chevalier châtelain d'« Anasiaci » (Annecy). Dans son testament, en 1290, il demande à ses neveux Jean, évêque de Valence et Gui, archidiacre de Dijon, de conserver en leurs possessions et à titre de tuteurs et curateurs, les terres de feu Henri de Genève, jusqu'à ce que les dots de leurs cousines fussent réglées (A.D.H.M., série GTI, doc. G 12).
9Cette obligation a dû être acquittée puisqu'en 1296, nous retrouvons le château du Vuache en possession du comte Amédée II, fils de Raoul de Genève (fig. 7, 8).
10En janvier 1296, le comte concéda le_« castro seu domus fortem dou Vasho »_ , une somme de 2 000 livres et une rente annuelle de 200 livres sur les terres dudit château à sa nièce Jeanne de Genève, épouse de Philippe de Vienne, seigneur de Poigny et fille de feu Aymon, comte de Genève, en contrepartie de renonciation de droits sur son héritage (R.G., n° 1406). Cet acte fut ratifié par Philippe de Vienne au mois de mai suivant (A.D.H.S., série SA, doc. 63).
11Depuis le début du XIIIe s., les comtes de Genève ne résidaient plus à Genève mais avaient fait du château d'Annecy, leur résidence principale et séjournaient temporairement dans leurs châteaux secondaires.
7 : Cession faite par le comte Amédée de Genève du château du Vuache (1296)
8 : Sceaux apposés en bas de l'acte de cession de 1296
12Après la concession du domaine du Vuache à sa nièce, Amédée II conserva le droit de ban sur la seigneurie et continua à y demeurer occasionnellement (droit de gîte). Le 24 septembre 1306, il y rédigea son testament_« in castro de Vaschio »_ (R.G., n° 1594) ; en septembre 1307, il y reçut le dauphin Hugues de Faucigny et Aimon de Quart, évêque de Genève pour conclure une alliance officielle_« actum apud el Vuacho in camera dicti comitis... »_ (R.G., n° 1614). Il y meurt, semble-t-il à la suite d'un accident de chasse ou d'une maladie, le 22 mai 1308 ; ses obsèques furent célébrées deux jours plus tard, au couvent de SainteCatherine-du-Mont, près d'Annecy (R.G., n° 1619).
13Le château reste entre les mains de la famille de Vienne, soit de Jeanne de Genève et de ses fils, Hugonin et Jean qui en prêta hommage au comte Guillaume III de Genève, le 23 décembre 1314 (A.D.H.S., série SA, 136, fol. I), soit de Comtesson, soeur de Jeanne et épouse de Jean de Vienne, frère de Philippe, et de leurs fils Hugues et Philippe. Ce dernier prêta hommage en tant que seigneur du Vuache à Amédée III de Genève, en 1320 (A.D.H.S., série SA, 136, fol. II). Le domaine du Vuache était donc certainement divisé entre les deux sœurs et leurs fils mais nous ne savons pas suivant quelles modalités. Durant cette période, le comte de Genève détenant la seigneurie banale, seul le domaine utile aurait été concédé à la famille de Vienne.
14Le 24 mai 1366, le comte de Genève autorisa la vente du Vuache, par Jean et Hugonin de Vienne, fils de Jeanne de Genève, à Marguerite de Banains (A.D.H.S., série SA, 136, fol.III). Son époux, le chevalier Jean de Chatillon de Michaille, avait vendu leur seigneurie de Banains en Dombes, le 6 octobre 1364, pour effectuer cet achat (Guichenon, 1662, p. 30-34).
15Marguerite de Banains épousa en secondes noces, avant 1383, le chevalier Girard de Ternier, seigneur du Chatelard (De Foras, 1943). Moyennant la somme de 100 livres, Girard de Ternier fit inféoder le fief du Vuache par la maison de Savoie, en prêtant hommage au comte Louis de Savoie, le 13 juin 1397 (A.D.S., série SA, 136). Outre le domaine utile du Vuache, Girard de Ternier semble avoir acquis la seigneurie politique ou droit de ban qu'il transmettra à ses descendants.
16En 1410, après l'extinction de la dynastie des comtes de Genève, Amédée III de Savoie, rachète les droits sur le comté, cependant la cité Genevoise conserve une relative indépendance. En 1418, à la mort du chevalier, le Vuache passa à son neveu Richard de Montchenu, coseigneur de Ternier et seigneur de Chaumont. Lors de l'hommage qu'il rendit au comte Louis de Savoie, en août 1447, il reconnaît_« tenir le mandement du Vuache en fief de son château de Chaumont - sous hommage lige »_ .
17En 1466, son fils Girard fut investi des_« fiefs, château et biens du Vuache »_ et_« reconnaît_ (les) tenir du prince Janus de Savoie en fief noble, lige, paternel et ancien, sous hommage lige et fidélité lige » .
18En 1498, ses terres et biens du Vuache passèrent à son fils Antoine, seigneur de Montchenu, qui tenait également le_« Vuache en fief de son château de Chaumont_ » (A.D.S., série SA, 136).
19La seigneurie passa, en 1500, à Marin de Montchenu, chevalier du Vuache, baron de Chaumont, premier maître d'hôtel de François Ier. Il vendit une première fois le mandement et le château du Vuache à son épouse Antoinette de Pontbriand, en décembre 1533 et une seconde fois en avril 1534, à Françoise de Rovorée, épouse d'Amédée de Menthon Lornay ; il s'en suivit des procès entre ces deux dames et des échauffourées entre leurs serviteurs (De Foras, 1943).
20En 1536, au cours de la guerre qui opposa le duc de Savoie à la ville de Genève, le château du Vuache fut pris par les troupes bernoises, pillé et incendié. Mais Marin de Montchenu, stationnant avec François Ier et l'armée française au château de Chaumont, réussit à faire arrêter l'incendie. La place fut ensuite occupée par le capitaine Brémière et une compagnie de Suisses, soldats du Roi de France (Gilliard, 1935).
21Après vingt-trois années d'occupation française, la Savoie est rendue au duc EmmanuelPhilibert lors du traité de Cateau-Cambrésis, le 25 avril 1559.
22Françoise de Rovorée dut faire reconnaître ses droits sur la seigneurie car, en 1563, sa fille Alexandra de Menthon-Lornay, épouse du seigneur de Villette résidait au Vuache (A.D.H.S., série 7J, doc. 1223). A sa mort, en 1578, ses biens passent au baron Bernard de Menthon-Lornay et à sa femme Jeanne (A.D.H.S., série 7J, doc. 1146) (fig. 9).
9 : Blason de la famille de Menthon-Lornay ornant une borne découverte sur le site
23Au début du XVIIe s., le château de Vulbens est abandonné, une nouvelle résidence seigneuriale est construite autour de la tour de Faramaz (fig. 10). L'ancien château servit sans doute de carrière pour la construction du nouveau, distant de 800 m. La seigneurie fut divisée en février 1701, entre le comte René de Menthon-Lornay, descendant de Bernard et de Jeanne, et le marquis Jean Baptiste Millet de Challes. En 1708, Pierre-Louis de Lescheraine racheta les deux parts. En 1730, lors de la levée de la Mappe Sarde, la seigneurie du Vuache appartenait à François René de Coudrey de Blancheville, époux de Gasparde de Lescheraine (A.D.S., série SA, 136).
10 : Façade du château de Faramaz dans son état actuel
24En 1758, le marquis Jacques de Lescheraine fut investi du fief du Vuache qu'il conserva jusqu'à l'abolition des droits seigneuriaux en 1792 (A.D.S., série SA, 1 et 136).
25La première mention de 1239 est celle d'un seigneur foncier dont la famille a pris le nom de la seigneurie, et qui, de ce fait, pourrait en être les premiers vassaux.
26En 1252, apparaît dans les textes la famille de Genève. Ils sont châtelains et possèdent la seigneurie banale. Les deux types de seigneurie, possession du sol et du pouvoir restent partagés jusqu'à la vente de 1366 par les descendants de Jeanne de Genève de Poigny.
27Vers 1397, Girard de Ternier semble posséder le foncier et le droit de ban, mais nous ignorons comment il a acquis ce dernier. Lors de l'inféodation à la famille des Ternier-Montchenu, qui par alliance matrimoniale possédaient déjà le mandement, le comte opère une reconstitution du fief initial. On voit ainsi se resserrer les liens vassaliques : le comte de Savoie tient ses barons en leur redonnant un patrimoine dans le cadre de l'hommage lige, du fief pris comme base pour le recrutement de l'ost.
28Si l'étude des textes a rendu possible la distinction entre les deux seigneuries, l'étude de la Mappe Sarde et de ses microtoponymes a livré de nombreux renseignements qui permettent de les restituer et d'étudier leur évolution.
29La seigneurie comprend un domaine direct qui est soumis au cens, divisé en quatre paroisses, et un domaine utile ou réserve. Enfin à travers la répartition de la taille, il est possible d'évaluer l'emprise de la seigneurie politique.
Le domaine direct
30Le domaine direct seigneurial correspond au mandement sur lequel s'exerçait le pouvoir politique, juridique et économique des seigneurs qui le tenaient en fief.
31Pour le fief du Vuache, nous apprenons qu'en 1447, le seigneur Richard de Ternier détenait le_« mere mixte empire, omnimode juridiction haute, moyenne, basse et dernier supplice sur les hommes délinquants dans le dit mandement »_ , à savoir les paroisses de Dingy, Chevrier, Vulbens et Bans. La seigneurie du Vuache conservera cette extension jusqu'à l'abolition des droits seigneuriaux en 1792 (A.D.S., série SA, 136).
32Pour les siècles antérieurs à cette période, la structure du fief du Vuache est plus difficile à établir ; nous ne disposons que de trois documents pauvres en informations, recensés par Lullin et Lefort dans le Regestre genevois, ensemble des pièces connues en 1866 et antérieures à 1311.
33En 1196, c'est le prieur de Saint-Victor de Genève qui autorisa l'installation des Templiers au hameau de Cologny, dépendant de la paroisse de Bans (R.G., n° 465).
34En 1239, dans son testament, Hugues de Sallenoves légua_« le fief du Vuache, depuis Dingy jusqu'au Rhône »_ qu'il tenait de feu Pierre de Vulbens (R.G., n° 224).
35En 1295, l'évêque de Genève notifia un accord entre le comte Amédée II de Genève et le chapitre de la cathédrale de Genève au sujet de plaintes formulées par ce dernier pour des exactions et empiétements sur sa juridiction, commis par le comte, le chapitre possédant tous les droits et juridiction sur les hommes de Cologny et de Chevrier (R.G., n° 1402).
36Les paroisses de Bans et de Chevrier, dépendantes de seigneurs ecclésiastiques n'ont donc été rattachées à la seigneurie du Vuache que tardivement. Bans a dû être intégré au domaine avant 1239 puisque à cette date le fief du Vuache s'étendait jusqu'au Rhône ; Chevrier l'a probablement été au début du XIVe s. car, dès 1326, la dîme de ce village est perçue par le châtelain du seigneur (A.D.H.S., inv. 58, fol. 387, c. 126) et Cologny, à la fin du XIVe s. ou au début du XVe s. ; les Templiers, détenant des droits sur ce hameau ont pu facilement défendre leurs intérêts.
37En l'absence de documents plus explicites, il est cependant difficile de déterminer comment les seigneurs du Vuache ont acquis ces territoires. Peut-être par transaction avec le chapitre ou peutêtre ont-ils usé du caractère ostentatoire du château, lors de l'inféodation au Duc de Savoie, pour spolier les anciens détenteurs.
38La structure du paysage de la seigneurie est mise en évidence par la carte topographique (cf. dépliant) réalisée à partir de la Mappe Sarde. Elle paraît être conditionnée par la voie romaine qui traverse le territoire étudié, sur une longueur d'environ 5 km du sud-est au nord-ouest, en longeant la base de la voûte synclinale ; la majorité des chemins secondaires se raccorde à cet axe et trois des chefs-lieux de paroisses sont implantés sur ses bords, la paroisse de Bans occupant une situation marginale de par son implantation sur la rive du fleuve. Le terroir s'étend entre deux grands espaces boisés recouvrant au sud-ouest, la cime de la montagne et au nord-est, l'angle formé par le confluent du Rhône et du ruisseau de la Vosogne. La microtoponymie relative aux déforestations et celle des hameaux extérieurs laissent supposer un terroir à l'origine plus restreint de part et d'autre de l'axe principal.
La paroisse de Vulbens
39Au centre de la seigneurie, la paroisse de Vulbens (fig. 11) regroupait les hameaux de Faramaz à l'est et de La Fontaine au sud-est autour du chef-lieu. La population de ces trois villages se répartissait entre 32 feux en 1411, 34 feux en 1518 (Acad. Salès., tome 74, pp. 301 et 318), 52 feux soit 237 habitants en 1562 (A.D.S., série SA, SA 1961, p. 22) et 60 feux en 1605 (Rebord, 1922, p. 771).
11 : Village de Vulbens en 1730
1 – Eglise et cimetière paroissiaux. 2 – Château du vuache. 3 – Four banal. 4 – Moulin banal sur bief.
40L'église paroissiale entourée du cimetière, paraît être le point d'ancrage du village, au centre duquel elle est située, à proximité du château seigneurial et à l'intersection de la route romaine et du chemin menant au gué du village de Cologny. Elle est dédiée à Saint-Maurice (chef de la légion thébaine, massacrée à Agaune, à la fin du IIIe s.) (Mariotte, 1981). Elle abritait la chapelle seigneuriale de Sainte-Catherine, attestée depuis 1484 et celle du Rosaire desservie par une confrérie (Oursel, 1953). Cet édifice a été entièrement refait vers 1820-1830 par allongement de la nef et adjonction de deux collatéraux. Seul le chevet plat, éclairé par une fenêtre géminée du XVe s. a été conservé (fig. 12). Un nouveau clocher érigé au sud du bâtiment remplace l'ancien, visible sur la Mappe Sarde du côté nord.
41L'habitat tel qu'il apparaît au début du XVIIIe s., se répartit en maisons contiguës, aménagées le long de chemins perpendiculaires à l'axe principal.
12 : Chevet de l’église paroissiale Saint-Maurice-de-Vulbens
42Le hameau de Faramaz était tenu par la famille noble de Faramans, résidante dans le donjon de Faramaz, qui correspond au microtoponyme n° 15 a la tour. Le seigneur du Vuache l'acquit avec les terres qui en dépendaient de Pierre de Faramans, avant 1466 (A.D.S., série SA, 136). Dans son testament rédigé en 1278, le seigneur Hugues de Sallenoves prévoyait un don pour la maladière de Fonz à côté de Dingy. Cette institution qui devait se trouver au hameau de La Fontaine (fons et font dans les documents anciens) n'est connue que par ce texte, elle a dû disparaître rapidement (Mariotte, 1981).
43Malgré sa superficie d'environ 1 000 hectares, le finage n'est subdivisé qu'en 51 lieux-dits (fig. 13), la plupart correspondant à des caractères géomorphologiques ou à des cultures, cependant nous noterons : le n° 5, des perrières, s'étendant sur le territoire de la paroisse de Chevrier (le n° 69, les perrieres également), correspondant à une carrière, probablement d'extraction de molasse (Longnon, 1979, n° 2592) ; les n° 26, la chavanoz, n° 38, a chavanoux, n° 39, alla chavanna) et n° 47, au grand chavanoux, toponymes qui pourraient correspondrent à des habitats ruraux ou temporaires (Longnon, 1979, n° 2676) ; au lieu-dit n° 6, a la contaminaz forme régionale de condamine (parcelle appartenant au domaine primitif, cultivée par les paysans et dont les revenus servaient à l'entretien du seigneur) (Longnon, 1979, n° 2760), le seigneur détient une partie du terrain en pré, ce terrain est exempté de taille car faisant partie du patrimoine seigneurial d'avant 1580, le reste de l'espace était divisé en parcelles tenues par des paysans.
44Les lieux-dits n° 1 et n° 2 correspondant à l'église paroissiale et au château ne portent pas de microtoponyme.
13 : Carte des lieux-dits de la paroisse de Vulbens en 1730
La paroisse de Dingy
45Située sur le flanc de la montagne du Vuache, au sud-est de la seigneurie et couvrant une superficie de 800 hectares, la paroisse de Dingy se caractérise par son éclatement en plusieurs hameaux : Bloux et Jurens sont deux petits groupes de maisons, situés à l'écart de la voie romaine principale, dans une zone formant un appendice par rapport au domaine seigneurial. Les toponymes de ces villages seraient d'origine germanique, Bloux provenant d'un anthroponyme féminin (Longnon, 1979, n° 2159) et Jurens désignant un lieu boisé surtout de pins (Gros, 1973, p. 238). Dingy-d'en-bas et Dingy-d'en-haut sont deux petits hameaux, distants de 500 m (fig. 14) ; l'église paroissiale, dédiée à Saint-Pierre, se trouvait au village de Dingy-d'en-haut. Elle apparaît sur la Mappe Sarde, parcelle n° 676 ; elle a été ultérieurement incorporée à un bâtiment d'exploitation agricole : on aperçoit encore le portail occidental (fig. 15) dont la clef d'arcade est décorée d'un blason (De Livron, seigneur de Savigny ?) et datée de 1554. (fig. 16) L'arc triomphal (fig. 17) est aujourd'hui inclus dans l'actuelle facade orientale. La nef sert d'étable et le choeur arasé, de fosse à purin.
14 : Villages de Dingy-d'en-Haut et de Dingy-d'en-Bas en 1730
1 - Eglise paroissiale 2 - Dingy d'en haut 3 - Dingy d'en bas
15 : Façade de l'église paroissiale Saint-Pierre-de-Dingy
16 : Blason décorant le portail de l'église de Dingy
17 : Arc triomphal de l'église de Dingy
46Les hameaux de Raclaz-d'en-bas (fig. 18) et de Raclaz-d'en-haut (fig. 19), distants de 800 m, sont situés légèrement à l'écart de l'axe antique, de part et d'autre d'un grand quadrilatère formé par deux chemins menant à la montagne. A égale distance des deux villages, se trouve une maison forte. La première mention en est faite en 1447 quand une partie du hameau de Raclaz est affermée par le seigneur du Vuache à_« certains hommes »_ (A.D.S., série SA, 136).
18 : Village de Raclaz-d'en-Haut en 1730
1 - Maison-forte. 2 - Hameau
19 : Village de Raclaz-d'en-Bas en 1730
1 – Maison-forte. 2 – Hameau
47Au début du XVIIIe s., la maison forte de Raclaz et les terres en dépendant sont en possession de l'abbé de Blancheville, frère du comte de Blancheville, seigneur du Vuache qui, lui, ne possède dans la paroisse de Dingy qu'une parcelle de broussailles (A.D.H.S., 1730, tabelle). Datable par ses éléments architectoniques de XVe s. (fig. 20), le logis est actuellement la seule partie conservée d'un ensemble qui regroupait autour de celui-ci des granges, des étables et d'autres bâtiments à fonction agricole. Il présente un plan rectangulaire. Au rez-de-chaussée, sont encore visibles un four à pain, une meule et des placards en blocs taillés pris dans la maçonnerie. A l'étage, la cuisine et une grande pièce sont éclairées par des fenêtres à accolades doubles ou à linteau trilobé (fig. 21) ; une grande cheminée aménagée dans le mur de refend permettait de chauffer ces deux salles. Une tour carrée renforce l'angle nord-est du bâtiment ; son sommet a probablement été tronqué.
20 : Façade et tour tronquée de la maison-forte de Raclaz
21 : Fenêtres du mur sud de la maison-forte de Raclaz
48Lors de la levée de la Mappe Sarde, le territoire de la paroisse a été subdivisé en 223 lieux-dits (fig. 22). Quelques uns ne correspondent qu'à une seule parcelle, parfois de taille réduite, d'autres portent des microtoponymes similaires. Le n° 82 est dénommé par la double appellation de la morenne et champ grillet. Nous noterons en particulier, les lieux-dits n° 29, le toviére provenant du bas-latin tufaria, carrière de tuf (Wipf, 1982, n° 3138), n°175, la faverge, au sud du village de Raclaz-d'en-bas, signalant la présence d'une forge (Longnon, 1979, n° 584), n° 119, dernier le tisseran, traduisible par : derrière chez le tisserand et n° 179, la ville, à l'ouest des deux hameaux de Raclaz, formé par des champs labourés, pouvant correspondre à un domaine agricole ou villa d'origine antique ou du Haut Moyen Age.
22 : Carte des lieux-dits de la paroisse de Dingy en 1730
49De nombreux lieux-dits de cette paroisse sont désignés par un anthroponyme, par exemple, n° 26, au esser de minchet, n° 49, pré martin, n° 87, champ buffet, n° 159, devant chez bavan, n° 173, desous chez bavan, n° 174, chez bavan ; ce type de toponymes apparaît au XIVe s. dans l'Ain et pourrait révéler des tenures allouées à des paysans.
50En 1756, le secrétaire de la communauté villageoise faisait de sa paroisse un portrait désastreux :
« Le territoire de ladite communauté étant le quart tant en broussailles, genèvres, ruisseaux et en terrain partie aride et partie terres blanches et gluantes qui ne peuvent rien produire malgré tous les soins, à défaut de fumier pour n'avoir que très peu de foin, l'on est obligé de laisser inculte cette partie de terrain, on ne cultive de l'autre partie que le meilleur et un peu de médiocre qui après plusieurs labeurs réitérés produit quelque chose » (Mariotte, 1981).
51La paroisse de Dingy comprenait 40 feux en 1411, 50 en 1481. à nouveau 40 en 1516 (Acad. Salès., tome 74, pp. 301, 315 et 318), 56 feux regroupant 226 habitants en 1561 (A.D.S., série SA, SA 1961, p. 24) et 30 feux en 1605 (Rebord, 1922 : p. 771).
52A la Révolution, le territoire de cette paroisse a été divisé entre les communes de Vulbens et de Valleiry (Oursel, 1953).
La paroisse de Bans
53Couvrant une superficie d'environ 300 hectares, subdivisée en 25 lieux-dits, la paroisse de Bans s'étire sur la plaine alluviale, le long de la rive gauche du Rhône. Elle regroupe trois villages : Bans (fig. 23), Cologny à l'ouest (fig. 24) et Moissel à l'est (fig. 25). L'église paroissiale, située au village de Bans, était dédiée à SaintGeorges (prince de Cappadoce, martyrisé en 303) et à Saint Annemond (Saint Chamond, évêque de Lyon, assassiné et inhumé à Lyon en 708, fondateur de la cathédrale Saint Pierre de Genève) (Oursel, 1953). En 1599, elle fut emportée dans le fleuve, lors d'un éboulement de terrain (Mariotte, 1981). Les paroissiens iront, par la suite, écouter la messe en l'église de Vulbens où leur seront administrés les sacrements (Rebord, 1922, p.771). Vers 1870, un nouvel éboulement de terrain entraîna, dans le Rhône, quatre ou cinq maisons et une soixantaine d'hectares (Gay, 1894, p. 7).
23 : Village disparu de Bans en 1730
24 : Village de Cologny en 1730
1 - Commanderie des Templiers. 2 - Port des « yelts ». 3 - Hameau.
25 : Village disparu de Moissel en 1730
1 - Tuilerie appartenant au seigneur du Vuache
54En 1412, la population comprenait 12 feux, il n'en reste que 7 en 1481, 6 en 1518 (Acad. Salès., tome 74, pp. 01, 315 et 318), 10 feux rassemblaient les 60 habitants en 1561 (A.D.S., série SA, SA 1961, P· 61), 8 feux sont recensés en 1605 (Rebord, 1922, p. 771).
55A Cologny, un_« oratoire »_ de l'ordre du Temple, filiale (membre) de la Commanderie de Compessières, fut érigé avant 1196 (R.G. n° 465) ; en 1277, le précepteur de Cologny dépendait d'Etienne de Montferrand, précepteur des maisons du Temple de Dôle et du Genevois. En 1312, à la suppression de l'ordre, les Hospitaliers furent investis des biens que les Templiers possédaient dans le comté, la commanderie du Genevois reçut en particulier, ce membre de_« Cologny sous Bans »_ (Mariotte, 1981). Les Templiers puis les Hospitaliers firent fonctionner le bac à traille du port des Isles_« qui traversait le Rhône et assistèrent les voyageurs »_ (Ganter, 1971).
56Le bâtiment conventuel se composait d'une maison, avec au rez-de-chaussée, une écurie et la cuisine, de laquelle on accédait, par une échelle, au galetas et à deux chambres, situées au dessus de la cuisine, le sous-sol était aménagé en caves, la grange et des écuries étaient au nord du logis, la chapelle, dédiée à la Sainte Vierge se trouvait à l'est, un four était situé à l'ouest (A.D.S., 1730, tabelles). L'ensemble des biens de la commanderie de Cologny furent rachetés par Bernadin Baud, le 9 germinal de l'an 3 (29 mars 1795) (Ganter, 1971, p. 240).
57Le territoire de cette paroisse est subdivisé en 25 lieux-dits (fig. 26). A l'ouest du village de Cologny, le lieu-dit n° 2, du corps de garde pourrait faire allusion à une installation militaire temporaire.
26 : Carte des lieux-dits de la paroisse de Bans en 1730
58Mentionné au XIVe s. dans les comptes de châtellenie et aux XVe et XVIe s. dans les sommaires du fief du Vuache, le village de Moissel n'a laissé aucune autre trace dans l'histoire ; il avait disparu avant 1730 (fig. 25), lors de la levée de la Mappe Sarde. Seule y figure une tuilerie appartenant au seigneur, sise au lieu-dit, de moissy (A.D.H.S., 1730, tabelles) ; de même, le village de Bans (fig. 23) n'est représenté que par une seule maison. Ces deux villages occupaient une situation extrêmenent marginale par rapport au reste de la seigneurie, isolés par la forêt seigneuriale ; à l'exception d'une parcelle, n° 414, appartenant au curé de Vulbens, le reste du territoire des deux hameaux fait partie du domaine utile du seigneur du Vuache lieux-dits n° 24, du village de bans et n° 25, de moissy.
59Le territoire de Bans fut réuni à celui de Vulbens lors de la création du département du Mont-Blanc, en 1792 (Mariotte, 1981).
La paroisse de Chevrier
60Située dans la partie ouest de la seigneurie, près du Défilé-de-1'Écluse, la paroisse de Chevrier se composait d'un seul village, (fig. 27) implanté à 482 m d'altitude, sur le flanc de la montagne ; il était principalement concentré le long de deux chemins, de part et d'autre de la voie antique. Son territoire couvrait une superficie de 535 hectares, subdivisée en 74 lieux-dits (fig. 28). La forme ancienne du toponyme, aux XIIIe et XIVe s., est_« chivriaco »_ dont l'origine reste obscure.
27 : Village de Chevrier en 1730
1 - Eglise paroissiale
28 : Carte des lieux-dits de la paroisse de Chevrier en 1730
61Ce village comprenait 30 feux en 1411, 27 feux en 1481 (Acad. Salès., tome 74, pp. 301 et 315), 44 feux soit 316 habitants en 1561 (A.D.S., série SA, SA 1961, p. 20) et à nouveau 30 feux en 1605 (Rebord, 1922 : p. 771).
62L'église paroissiale (fig. 29) est placée sous le vocable de Saint-Martin (évêque de Tours, mort en 397) (Oursel, 1953 : p. 183). Elle est accolée à un bâtiment appartenant à la cure. Le chœur carré et aveugle est voûté en berceau brisé ; il s'ouvre par un arc triomphal, sur une nef rectangulaire et plafonnée. L'église est située à l'est du village duquel elle est séparée par une grande aire circulaire, lieu-dit n° 22, la betry, où l'on battait, probablement, le blé au fléau (Pérogier, 1963).
63Une série de six lavoirs correspondant au lieudit n° 32, les lavoirs, propriété communautaire et le lieu-dit n° 16, la chenevrière, où cependant aucune parcelle n'est vouée à la culture du chanvre, sont peut-être à mettre en relation avec une activité artisanale de tissage de chanvre. En effet, plusieurs tisserands de chanvre, originaires dudit lieu, convaincus par la doctrine calviniste, se réfugièrent à Genève, dans la seconde moitié du XVIe s. (A.D.H.S., série F, F242). En 1730, très peu de parcelles sont consacrées à la culture du chanvre, activité certainement abandonnée avant cette époque.
64Les lieux-dits n° 30, les touvières, n° 60, la sablonière et n°69, les perrières correspondent sans doute à des carrières de tuf de sable et de molasse.
65Antérieurement dépendante de l'abbaye de Chézery (Ain), la paroisse de Chevrier n'a été rattachée à la seigneurie qu'au XIIIe s. Le seigneur versait à l'abbé dix coupes de blé sur sa part de la dîme paroissiale. A la Révolution, son territoire a été réuni à celui de Vulbens (Mariotte, 1981).
29 : Façade de l'église paroissiale Saint-Martin-de-Chevrier
Le domaine utile ou réserve seigneuriale
66Le domaine utile des seigneurs savoyards est très mal connu, faute d'études particulières sur l'évolution de ce régime de propriété et la place qu'il occupait au sein de l'organisation foncière. Une approche du domaine aristocratique du Vuache est possible, grâce aux documents conservés et surtout grâce à la Mappe Sarde qui offre l'intérêt de le représenter très précisément (cf. dépliant).
67Les seules allusions directes au domaine utile que nous trouvons dans les comptes de châtellenies, de 1326 à 1341, concernent une treille et un pressoir situés à côté du château ainsi que la forêt où les charpentiers travaillant à l'entretien des bâtiments seigneuriaux, allaient chercher leurs matériaux. Le séjour transitoire de chevaux d'attelage ou de guerre du seigneur ou de son suzerain le comte de Genève, laisse soupçonner la présence de prés pour leur pâturage (A.D.H.S., inv. 58, fol.387, c.126).
68Pour le XVe s., nous disposons des inventaires des biens constituant la propriété aristocratique, établis lors des investitures des seigneurs par les princes de Savoie. Ces documents manquent toutefois de précision quant à la surface des parcelles et à leur localisation, les toponymes les désignant ne correspondent pas toujours à ceux de la Mappe Sarde. Le domaine utile du Vuache était constitué du château, des terres et des bâtiments à fonctions agricole et banale l'entourant. Cet ensemble est désigné dans les sommaires de fief, par l'expression très particulière de_« l'ale du château »_ et correspond au lieu-dit n° 2, ne portant pas de toponyme en 1730. Des bois, en particulier le lieu-dit n° 45, la forêt et le moulin de lavandier, implanté sur un bief dérivé de la rivière de Fontaine Froide à 400 m à l'est du château, au lieu-dit n° 19, a la branche, font également partie de ce premier état du domaine.
69En 1447, Richard de Monchenu possédait à proximité du château, une vigne d'environ 12 poses13, une autre vigne au lieu-dit, en lavandier, d'une superficie de 2 poses et une vigne avec un bâtiment abritant un pressoir, un pré au lieu-dit, mulier de 6 seytorées et un pré de 2 seytorées14 situé au lieu-dit, l'ocombes. Il détenait également plusieurs autres parcelles de pré dont l'une se trouvait au nord de Vulbens et une autre à Faramaz, ainsi que la moitié d'un moulin par indivision avec l'Hospice de Cologny.
70En 1466, lors de l'hommage de Girard de Montchenu, il apparaît que deux vignes, celle de 12 poses et celle où se trouvait le cellier, ont été réunies pour former une seule parcelle au lieu-dit, tary n° 4 de la Mappe Sarde ; le pré de muliet a également été agrandi de 12 seytorées.
71L'expansion du domaine se poursuivra sous le régime de ce seigneur par l'acquisition de nombreuses parcelles de vignes, prés, champs, vergers et d'un jardin appartenant à Pierre de Faramans et qui devaient constituer le domaine foncier de la maison forte de Faramaz ; par celle d'un moulin soit raisse (scierie ? en dialecte savoisien, raisse veut dire scie) acheté à Ansermet Guilliend, 7 fossorées15 de vignes encloses acquises de Claude Bedier, au lieu-dit, lavandier et qui ont été rattachées à la parcelle appartenant déjà au seigneur et 8 seytorées de prés, acquises de divers particuliers aggrandissant le pré seigneurial de mulier.
72L'ensemble de ces acquisitions apparaît lors de l'investiture d'Antoine de Montchenu, fils de Girard, en 1498 (A.D.S., série SA, 136).
73D'autres sommaires ont été dressés, en 1701, lors de l'indivision de la seigneurie entre le marquis Millet de Challes et le comte de Menthon, et en 1758, lors de l'investiture du marquis de Lescheraine mais ces documents ne nous apportent que peu de renseignements car ils ne détaillent pas les parcelles et sont relativement contemporains de la Mappe Sarde.
74En 1730, lors de la levée de la Mappe Sarde, le seigneur François de Blancheville était propriétaire de nombreuses parcelles, tant en champs, prés, vignes, chenevrières et vergers qu'en bois, broussailles, friches et rochers, mais aussi de maisons, de ruines, de fours, de moulins et d'une tuilerie, répartis dans les paroisses de Bans, Chevrier et Vulbens ; à Dingy, le seigneur ne possédait qu'une parcelle de broussailles mais son frère, l'abbé Humbert de Blancheville détenait la maison forte de Raclaz et les nombreuses terres en dépendant (A.D.H.S., 1730, tabelles). Ce domaine a éventuellement pu être créé à partir de terres appartenant antérieurement au patrimoine seigneurial.
75Sur les tabelles cadastrales, certaines parcelles portent la mention_« d'ancien patrimoine exempté de taille »_ . En effet, par édit du 27 mars 1584, le duc Charles-Emmanuel avait exempté de la tailleducale, à perpétuité, les terres appartenant à cette date à la noblesse et à l'Eglise. Dans le cas du Vuache, exceptées deux parcelles sises à Bans, ces terres se situent uniquement sur le territoire de la paroisse de Vulbens, les possessions seigneuriales des autres paroisses ont-elles été acquises après 1584 ?
76Cette exemption n'était pas personnelle, attachée à la qualité du détenteur, mais réelle, attachée à la parcelle. Au Vuache, aucune parcelle tenue par un roturier ne semble avoir ce privilège : seules sont reconnues exemptées certaines parcelles appartenant au seigneur, une partie des biens fonciers de la commanderie de Cologny et les biens ecclésiastiques des curés desdits lieux ainsi que deux parcelles de prés et de broussailles appartenant au chapitre de Saint-Pierre de Genève. Cependant nous ne pouvons utiliser cette source qu'avec beaucoup de précautions : le seigneur, bien que n'ayant pas intérêt à céder un bien non imposable, a pu vendre des parcelles à l'Eglise, soit à la cure de Vulbens, soit au commandeur de Cologny ; les acquéreurs non nobles ont pu également ne pas pouvoir prouver l'origine aristocratique de leurs acquisitions. Certaines parcelles seigneuriales, comme les moulins de Copier et le château de Faramaz, construit au XVIIe s. autour du donjon de Faramaz ainsi que les terres l'entourant, déjà acquises à la fin du XVe s., sont soumises à la taille. Le seigneur se trouvait-il dans l'impossibilité de justifier de l'ancienneté de ces possessions ? Les troupes bernoises, occupant le château du Vuache de 1536 à 1564 ont-elles en partie détruit les archives seigneuriales ? Ces parcelles ont-elles été vendues puis rachetées ? De fait, dans l'ensemble du duché, la noblesse ne serait pas parvenue à faire reconnaître comme féodaux plus de 12 % de ses biens, annotés comme tels en marge des tabelles (Musée savoisien, 1981, pp. 27-36). D'autres terrains ont été vendus, en particulier, la vigne de lavandier. La réserve, telle qu'elle nous apparaît pour la fin du XVIe s., était moins importante qu'à la fin du siècle précédent. La fonction de premier « maistre d'hostel » du roi de France, François Ier, qu'occupait Marin de Montchenu, chevalier du Vuache et baron de Chaumont, a-t-elle contraint celui-ci à vendre des biens pour assumer financièrement sa charge ? Il céda la seigneurie du Vuache à Françoise de Rovorée en 1534.
77Le domaine aristocratique antérieur au XVIe s. se caractérise par l'éclatement des terres en parcelles réparties en deux zones principales. La première se situe au nord-est du village de Faramaz, il s'agit peut-être ici des parcelles acquises avant 1493, dépendant de la maison forte de Faramaz ou de terres gagnées récemment par défrichement. La seconde se trouvait à proximité du château, cellesci pourraient être constituées des parcelles ou des vestiges de parcelles appartenant à la réserve antérieure à 1466 et mentionnées dans le premier inventaire.
78Le seigneur détenait, certainement depuis l'origine, la totalité des bois, comme le souligne Antoine de Montchenu, qui en 1498,« reconnait tenir toute la forêt du bois et tout le bois du Vuache » ; il s'agit là d'un des principaux privilèges aristocratiques. Il détient également l'espace environnant le château et englobant la basse-cour, constituant le « vol du chapon » surface calculée théoriquement par rapport à la distance couverte par ce volatile, et peut être des parcelles, peu éloignées, vouées à la culture de la vigne, aux lieuxdits, lavandier et tary et au pâturage, aux lieuxdits mulliet et sous Vulbens. Le seigneur ne possédait aucun champ, verger ou chenevrière au moins jusqu'à la fin du XVe s.
79Peu étendu à son origine, le domaine du Vuache s'agrandit au XVe s., mais il s'accroît particulièrement entre 1498 et 1701, ceci malgré l'éloignement du lieu de résidence principale des seigneurs de cette période. Nous ne disposons malheureusement d'aucun document relatif à la réserve entre ces deux dates.
80De nombreuses parcelles, situées dans les quatre paroisses de la seigneurie, appartiennent en 1730 au frère du seigneur du Vuache, l'abbé Humbert de Blancheville, sans que nous puissions déterminer si elles faisaient partie, à l'origine, du domaine seigneurial.
Les dimes et droits seigneuriaux
81Les châtelains du château du Vuache étaient chargés de la collecte des dîmes des quatre paroisses (effectuée le jour de la fête de SaintMichel-Archange) et de la répartition entre les différents décimateurs dont le principal était le seigneur du Vuache.
82La moitié de la dîme de Bans et Cologny était perçue par le seigneur, par indivis avec le curé de Bans et le prieur de Saint-Victor de Genève. En 1466, Girard de Montchenu vendit ses parts, à l'exception des dîmes de blé et de vin, aux révérends pères « macchabées » de la chapelle de Genève ; la dîme de Moissel appartenait en propre aux seigneurs du Vuache.
83Ils percevaient la moitié des dîmes en froment et avoine de la paroisse de Chevrier par indivis avec le curé qui recevait les autres dîmes en seigle, orge et légumes. Ce droit lui avait été acquis par décision de Comtesson de Genève en 1326 (A.D.H.S., inv. 58, fol. 387, c. 126). Le seigneur devait sur sa part 10 coupes de blé à l'abbé de Chésery.
84Sur la dîme de Dingy, que tenait le seigneur, le curé de Dingy recevait_« 25 coupes de blé : avoine et froment, mesure du Vuache »_ et les nobles de Chenex percevaient_« 7 coupes de blé moitié avoine et moitié froment »_ sur la dîme de Raclaz.
85Le seigneur recevait la moitié de la dîme de Vulbens, l'autre moitié étant divisée entre le curé de Vulbens et l'abbé de Chésery (A.D.S., série SA, 136).
86Les revenus de la seigneurie consistaient également en droits que le seigneur prélevait sur l'administration et le travail des habitants du mandement : taille, cens, lods et ventes, droits sur la pêche et sur l'orpaillage, etc.