Littérature en haoussa – ELLAF (original) (raw)
Présentation générale de la littérature
Géographiquement, les populations haoussas, dans leur majorité, se trouvent actuellement dans le sud du Niger et le nord du Nigeria. Elles forment avec celles qui sont implantées au Ghana, au Cameroun, au Soudan et au Togo ce qui est désigné par le terme de ƙasar hausa « pays de langue haoussa ». Les Haoussas sont également présents au Burkina Faso, au Tchad, en République Centrafricaine et dans les grands centres urbains de l’Afrique occidentale et centrale.
1.1. Littératures en présence
La présentation de la littérature en haoussa est focalisée ici sur le Niger et le Nigeria. Elle comprend la littérature orale (adabin baka), la littérature écrite (rubutaccen adabi) et la néo-oralité. De nombreux chercheurs ont montré leur intérêt pour cette littérature, qu’ils en soient spécialistes ou non, comme par exemple, Jean Boyd (1989), Bernard Caron (2000), Graham Furniss (1985, 1991, 1995, 1996), Mervyn Hiskett (1975, 1973), Graham Furniss et Philip Jaggar (2015), Isidore Okpewho (1985, 1992), Stanislaw Pilaszewicz (1995), Ibrahim Yahaya (2017), Ibrahim Yaro Yahaya (1971, 1975, 1988) et bien d’autres. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet intérêt: le nombre très important de locuteurs de la langue, son statut et sa place, de même que sa riche tradition littéraire.
1.2. Graphies en usage
La langue haoussa se sert de deux systèmes d’écriture: la graphie arabe ou l’ajami et la graphie latine ou le boko.
Graphie arabe
Suite au contact avec l’islam, le haoussa est écrit en ajami, un terme polysémique que John Edward Philips (2004: 56) définit ainsi: « Ajami technically refers to Arabic script used to write any non-Arabic language, in this case Hausa. The word ajami is derived from the Arabic word ajam, which means Persian, or any non-Arab ». Cette graphie s’est étendue aux États haoussa dans l’empire de Sokoto fondé par Usman dan Fodio au XIXe siècle.
Graphie latine
Depuis la conquête coloniale de cet espace au début du XXe siècle, le haoussa est écrit avec les caractères latins, ce qui a donné naissance à l’orthographe boko qui succède sans l’éliminer à l’ajami. Le haoussa de Kano (Nigeria) est choisi pour la standardisation de la langue (A. Mijinguini & M. L. Abdoulaye, 2007: 207-224). Pour un meilleur usage à l’écrit, le Niger et le Nigeria — qui avaient chacun ses propres conventions d’écriture — ont procédé à l’harmonisation de l’orthographe de la langue lors d’une réunion tenue à Niamey du 7 au 12 janvier 1980 (J.-G. Malka, 1982: 7-32). Au Niger, suite à l’adoption de la loi n° 98-12 du 1er juin 1998 portant sur l’orientation du système éducatif nigérien, le Gouvernement a signé le 19 octobre 1999 plusieurs arrêtés pour définir l’alphabet et l’ordre alphabétique de cinq langues nationales, dont le haoussa1.
Littérature orale (Adabin baka)
La littérature orale constitue un champ très important de la culture haoussa. Ses genres sont vivants et se renouvellent en permanence.
2.1. Les genres oraux
La poésie (waƙa) et les jeux théâtraux (wasa) peuvent être considérés comme étant les genres oraux les plus importants. Les genres de la littérature orale haoussa se répartissent en quatre groupes, chacun des groupes comprenant plusieurs formes:
- zuben baka « récits oraux »: tatsuniya, almara, hikaya, ƙissa, tarihi ;
- maganganun azanci « dictons populaires, adages anciens et populaires »: kacici-kacici, habaici, karin magana, salon magana, take, zambo, kirari, adon harshe;
- waƙoƙi na baka « chants oraux, poésie orale »
- et wasannin kwaikwayo na gargajiya « théâtre traditionnel »: certaines formes sont destinées aux enfants (langa, wasan yartsana, tashe, wasan gauta, dokin kara), tandis que d’autres sont réservées aux adultes ( ƴan kama, kalankuwa, hoto, wowwo).
Nous passons en revue les genres et formes qui nous semblent les plus représentatifs.
Tatsuniya « conte », pl. tatsuniyoyi
Le mot tatsuniya (appelé aussi ga ta na) est du genre féminin. Le conte se dit après le coucher du soleil par un conteur ou une conteuse qui commence par la formule Ga ta nan ga ta nan « Elle est là, elle est là », à laquelle le public répond en disant: Ta zo mu ji ta « Qu’elle vienne pour que nous l’entendions » ou Ta je ta komo « Qu’elle parte et qu’elle revienne ». Le conteur termine son conte par la formule: Ƙunƙurus kan kusu « Qu’elle tombe sur la tête du rat ». Les contes font des animaux leurs personnages de prédilection.
Almara « légende », pl. almaru
Très proche du conte, la légende dans la littérature orale haoussa est définie comme étant labarin ban mamaki « histoires incroyables » considérées comme vraies.
Kacici-kacici « devinette »
Ce mot composé résulte de l’énoncé ka cinci ka cinci « ramasse, ramasse ». À l’origine, c’est un jeu interactif entre les enfants, lorsqu’ils sont fatigués d’écouter les contes. Cependant, la séquence de devinettes peut constituer un « temps calme » précédant éventuellement le contage. Dans certains cas, elle intervient entre deux contes pour donner du répit aux conteurs. La personne qui veut lancer une devinette commence par dire: « Kulin kulifita! », formule qui est en soi une devinette à laquelle on répond: « Gauta! ». Répondre est une façon implicite de consentir à commencer le jeu. Si le répondant estime qu’il ne connaît pas la réponse à une devinette, « il donne une ville » au questionneur et permet ainsi à ce dernier de donner lui-même la réponse (Dangambo: 2008).
Karin magana « proverbe »
Le proverbe se dit n’importe où et n’importe quand, avec des phrases courtes pouvant être déclaratives, par exemple: Ba a ba kura ajiyar nama « On ne confie pas à l’hyène la garde de viande »; ou interrogatives: In ka iya ruwa, ka iya laka? « Si tu sais nager, le pourras-tu dans l’argile ? ».
Les proverbes et devinettes reposent sur la technique du ƙulli « nœud ». Pour saisir le sens du message, il faut être capable d’en « défaire le nœud ». Cette capacité s’acquiert tout au long d’un apprentissage.
Habaici
Habaici est une variante des proverbes. C’est une parole qui est adressée indirectement à une personne ou un groupe généralement présent sur place. Dans certains cas, ce genre littéraire exprime de manière indirecte un conflit sous-jacent. Il est fréquemment utilisé par les femmes.
Kirari « éloges »
Kirari « éloges » est un genre majeur de la littérature orale haoussa. Tout comme le take « devise musicale » il est dedié à une personne, voire un personnage important. Le kirari consiste à dire les louanges (yabo) des rois, des personnalités célèbres ou riches. Ce genre est énoncé lors de cérémonies d’intronisation des chefs ou lors des festivités, comme les mariages ou les baptêmes. Les diseurs de kirari sont des griots spécialisés (ƴan ma’abba) toujours dans les cours royales, ou des griots non spécialisés (maroƙa « quémandeurs ») qui sillonnent les villes. Ces derniers prodiguent des louanges à tous sans distinction pour recevoir de l’argent ou des dons. Lorsque la récompense n’est pas à la hauteur de la prestation, le griot exprime son mécontentement par des paroles indirectes habaici (voir supra), transformant ainsi les expressions flatteuses en zanbo « dérision ».
Il est à signaler que les génies, les animaux et les choses ont aussi leurs louanges. Certaines personnes prononcent elles-mêmes leur propre kirari ; dans ce cas, il s’agit de « cri de guerre » pour lancer ou relever un défi, comme par exemple les lutteurs ou les guerriers.
Salon magana « insulte, juron »
On désigne ce genre également par les termes de karangiya ou baƙar magana. Ce sont des invectives verbales entre au moins deux personnes, sous forme de jeux de mots.
Waƙoƙi « chansons, chants »
Les waƙoƙi constituent un vaste champ. Ils comprennent des poèmes avec des rythmes, des intonations et des refrains spécifiques à chaque situation. On y distingue plusieurs types.
- Les waƙoƙin makaɗa « chansons des griots ». Les griots sont, soit liés aux cours royales (tels que Sarkin Taushin, Sarkin Katsina, Dankwairo, Narambada), soit des chanteurs populaires (Dan Maraya Jos, Haruna Oji, Mamman Shata Katsina). De nombreux instruments sont utilisés pour les accompagner, comme le kalangu « tambour d’aisselle » le goge « vielle », le gurmi ou kuntigi « luth », etc.
D’autres chansons se distinguent selon leurs destinataires, le sujet abordé ou les circonstances dans lesquelles elles sont produites; on citera:
- les chants de travail tels que waƙoƙin noma « chants de labour », waƙoƙin niƙa « chants pour moudre » et waƙoƙin daka « chants de pilage » ;
- les waƙoƙin gaɗa « chants [de jeunes filles accompagnés] de battements de mains », waƙoƙin biki « chants de cérémonies » et les waƙoƙin wasanni « chants de jeux » qui s’adressent plus particulièrement aux enfants;
- et les waƙoƙin addini « chants religieux ».
De nombreux autres chants sont pratiqués quotidiennement. Ils sont produits à toutes les occasions importantes de la vie: naissance, mariage, baptême, décès, voyage et retrouvailles, etc.
Wasan kwaikwayo « théâtre »
Il s’agit ici du théâtre traditionnel et des jeux de scène de façon générale, différenciés selon l’âge des acteurs:
- ƴan kama sont des jeux réservés aux adultes;
- langa, dokin kara, , sont produits par les enfants.
Le théâtre populaire a connu beaucoup de succès, grâce aux comédiens talentueux comme le Nigérien Yazi Dogo (Dan Inna: 2015).
2.2. Néo-oralité
La néo-oralité regroupe toutes les formes artistiques et culturelles nées de la transformation des productions de l’oralité utilisant les nouvelles technologies. Il s’agit, entre autres, de l’oralité exprimée à travers de nouveaux médias comme la radio, le cinéma, la télévision, la vidéo. Le répertoire littéraire oral très riche du haoussa (Finnegan: 1970; Gérard: 1992) se répercute sur la néo-oralité. De nombreux ouvrages sont consacrés à ce nouveau domaine d’expression, par exemple, Mahir Saul et Ralph Austen: 2010 et Renée Larrier et Ousseïna Alidou: 2015.
Littérature écrite en haoussa (Rubutaccen adabi)
La littérature écrite en haoussa comprend les ouvrages écrits en ajami et en boko.
3.1. Littérature en ajami
Stanislaw Pilaszewicz a apporté une importante contribution sur la littérature du XIXe siècle. Il a réuni les écrits d’Alhaji Umaru, décédé en 1934, pour publier l’ouvrage Hausa prose writings in ajami by Alhaji Umaru (2000). Les textes sont rassemblés grâce à une collection privée (A. Mischlich et H. Sölken’s collection). Le livre contient onze textes haoussa en écriture ajami et en translittération romaine avec traduction anglaise dont neuf sont écrits par Alhaji Umaru.
Les ouvrages de la littéraire haoussa ne remontent pas seulement du XIXe siècle. Des textes existent bien avant, même si on ne dispose pas de datation précise pour certains ouvrages.
Ainsi, au XVIIe siècle, Abd Allah Suka écrit Riyawar Annabi Musa [Le message du Prophète Moussa]. Durant cette même période, des textes de poésie ont vu le jour, comme par exemple Wakar yakin Badar [Poème sur la guerre de Badar] de Wali dan Masani. En revanche, Wakar taba [Poème sur le tabac] de Wali dan Marina (I. Y. Yahaya: 1988) est beaucoup plus récent et témoigne de la dynamique de l’écriture en ajami.
Même si cette écriture en ajami a été supplantée par celle en boko, elle continue d’être pratiquée dans certains milieux lettrés.
3.2. Littérature en boko
Pour la seconde catégorie, la production littéraire nigeriane est importante, car elle est devenue le mode privilégié d’expression littéraire en haoussa. L’émergence du roman est liée au concours organisé en 1933 par le Literature Bureau, une agence du gouvernement colonial chargée de traduction et de productions de textes dans les langues africaines. A l’issue de ce concours, cinq romans d’une cinquantaine de pages chacun seront publiés l’année suivante, en 1934. Il s’agit de Ruwan bagaja d’Abubakar Imam, Ganɗoki [roman éponyme, prénom du héros] de Malam Bello Kagara, Shaihu Umar de Abubakar Tafawa Balewa, Idon matambayi [L’œil du curieux]2 de Muhammadu Gwarzo et Jiki magayi de John Tafida et Rupert East (voir Pilaszewicz: 1985 ; Yahaya I. Y.: 1988 ; Chaibou Elhadji Oumarou: 2017 et Yahaya I.: 2017).
Au Niger, la situation est tout à fait différente. D’après un rapport de l’UNESCO datant de 1964, « la littérature haoussa imprimée au Niger est pratiquement inexistante. Par contre, un nombre considérable de publications, journaux, revues, etc, sont publiés par la Gaskiya Corporation au Nigeria du Nord et importée au Niger » (UNESCO, Rapport concernant l’utilisation de la langue maternelle et la préparation de transcriptions pour l’alphabétisation: 1964). La littérature écrite en haoussa du Niger connaît certes un retard par rapport à celle du Nigeria, mais depuis quelques années, on constate une importante production dans ce domaine.
3.3. Diffusion
Au Niger, l’absence de maisons qui éditent des œuvres en haoussa et dans les autres langues nationales est l’une des raisons qui expliquent le retard de la production dans cette langue. Aux structures déjà existantes, comme l’Institut national de documentation, de recherche et d’animation pédagogiques (INDRAP), la Nouvelle imprimerie du Niger (NIN), le CELHTO (Centre d’études littéraires et historiques par tradition orale), se sont ajoutées les éditions Afrique Lecture, la Société internationale de linguistique (SIL), les éditions Gashingo, les éditions Albassa à Niamey et les éditions Granit à Zinder.
Au Nigeria, c’est surtout la Gaskiya Corporation, créée en 1935, qui a marqué l’histoire de l’édition en haoussa, à travers la Northern Regional Literature Agency (NORLA). Appelée d’abord « Translation Bureau » en 1930, puis « Literature Bureau » en 1934, la « Gaskiya Corporation » s’est elle-même renommée « Northern Nigerian Publishing Company » (NNPC).
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Ibrahim Yahaya
Notes:
1 Il s’agit des arrêtés 0211, 0212, 0213-99/MEN/SP-CNRE.
2 Mot à mot: « l’œil de celui qui pose des questions ». Il s’agit d’une locution qui s’emploie en réponse à quelqu’un qui pose une question impertinente, ou à l’adresse de quelqu’un qui pose trop de questions.