Port-au-Prince : la capitale d'un pays sous tension (original) (raw)
L'île d'Haïti se situe au coeur d'un espace géostratégique très tendu : le bassin Caraïbe (carte extraite de l'Atlas Caraïbe, de l'Université de Caen). Les enjeux de cette aire géographique sont à comprendre à travers le prisme de son développement durable et de son intégration à la mondialisation : "le Bassin caribéen est bien plus qu'un lac, une simple arrière-cour des Etats-Unis ou encore une plaque tournante où transitent moult flux illicites. Les territoires de cette région essaient comme ailleurs, tant bien que mal, de ne pas être écartés de la mondialisation et cela en dépit de l'absence pour certains d'entre eux d'un pacte territorial nécessaire à une meilleure compétitivité. Les stratégies de développement fortement suggérées voire, dans certains cas, imposées par les institutions internationales - ONU, Banque mondiale, FMI, USAID - n'ont pas réussi à créer l'environnement industrieux destiné à sortir l'intégralité des territoires du Bassin caribéen du mal développement." (Source : LAMBOURDIERE Eric, dir., 2007, Les Caraïbes dans la géopolitique mondiale, Ellipses, collection Carrefours Les Dossiers, Paris, p. 451).
Dans cet espace, la situation d'Haïti est préoccupante : tout d'abord, le pays accuse un mal-développement très marqué, comme le montre les différents chiffres de l'IDH (indice de développement humain) : si l'IDH de l'ensemble du Bassin caribéen est supérieur à la moyenne mondiale, Haïti contraste particulièrement, avec un IDH inférieur de 50 % à la moyenne mondiale. En résulte une situation de pauvreté généralisée, avec un PNB par habitant de 310 $ en 1995, nettement inférieur à celui de la région. Autre point fondamental : l'instabilité politique de ce territoire. En février 2004, le président Aristide s'enfuit en exil et abandonne son poste à la présidence. En février 2006, après des élections mouvementées, René Préval est élu président. La capitale, Port-au-Prince, a été le théâtre privilégié des manifestations entre les partisans des différents candidats. L'arrivée d'un nouveau président élu, après 2 ans de présidence temporaire, n'a pas pour autant signifié un retour à la pacification durbale, ni l'avènement d'une ère de développement pour Haïti : la situation reste particulièrement tendue d'un point de vue politique et préoccupante d'un point de vue socio-économique.
Port-au-Prince est une capitale macrocéphale : "sur les 9 millions d'Haïtiens, 2,5 à 3 millions se regroupent dans la métropole entourée de bidonvilles qui prennent chaque année une extension plus grande sans que l'on puisse voir une quelconque amélioration des infrastructures. Carrefour, le si mal nommé puisqu'il s'étend sur deux à trois kilomètres, longe la mer et se déploie sur une étroite plaine côtière en direction de l'ouest ; il a surgi dans les années 1970 et depuis ne cesse de s'accroître." (Source : Atlas Caraïbe). Cette macrocéphalie urbaine et le mal-développement du pays expliquent que les tensions et les violences se concentrent dans la ville. En effet, la population est en grande majorité agricole (80 % des actifs) et les villes concentrent la pauvreté, puisque les emplois dans l'industrie et dans les services sont peu nombreux et ne permettent pas le dynamisme des villes d'Haïti.
Source : ONU, rapport 2001 sur l’urbanisation mondiale.
Loin de l'image de la statue du "Marron inconnu" (un marron est un esclave révolté qui a fui la propriété du colon), symbole de la liberté et de l'indépendance d'Haïti, et même de l'ensemble caribéen, la ville subit de plein fouet les crises économiques, sociales et politiques qui déstabilisent le pays. Le centre-ville lui même est paupérisé et est devenu l'espace privilégié des violences et de l'insécurité.
"Le centre-ville de Port-au-Prince est situé en bord de mer. De là, l'agglomération remonte vers l'intérieur des terres le long de trois vallées. Héritage du passé, le centre-ville suit un plan en damier qui abritait le coeur politique, administratif et financier de la capitale. Avec une telle disposition, le centre-ville se distingue très clairement du reste de la ville sur les cartes comme sur le terrain. Si sa situation a commencé à se détériorer depuis la moitié du vingtième siècle, ce n'est réellement qu'en 1986, avec le coup d'Etat, que des changements majeurs ont commencé à apparaître. [...] Il forme originellement la partie Est de la ville qui s'est étendue vers l'Ouest jusqu'à occuper tout l'espace disponible au pied des contreforts des montagnes. Aujourd'hui, même si l'agglomération s'est élargie sur l'espace littoral disponible au Nord et au Sud, son expansion se fait surtout sur ces mêmes contreforts. [...] Les premières collines représentent des espaces immobiliers particulièrement prisés par les élites haïtiennes et internationales : les prémices de Pétion-Ville. Le downtown (note : en géographie urbaine, le downtown est un terme anglo-saxon qui désigne dans la ville nord-américaine les quartiers centraux) recouvre alors une réalité sociale d'un vieux centre-ville comme un espace synonyme de misère et de dangers par opposition à de nouveaux quartiers périphériques plus aisés et sûrs." (Source : COIFFIER Nicolas, 2005, Géographie et missions de maintien de la paix : le cas de Port-au-Prince (Haïti) et de la MINUSTAH. Une étude de géographie politique", mémoire de maîtrise de géographie, Université Paris-Sorbonne, p. 10).
Le centre-ville de Port-au-Prince concentre donc les enjeux et les tensions :
- reflet de la pauvreté urbaine, avec des quartiers précaires en cours de paupérisation (par exemple, le quartier du Bel Air), le centre-ville est le lieu des manifestations sociales, comme l'ont symbolisé pour le monde entier les émeutes de la faim qui ont eu lieu à Port-au-Prince en avril 2008.
- centre des décisions, le centre-ville est "jonché" de hauts-lieux du pouvoir et de la contestation, dans un pays fortement déstabilisé.
- une part des territoires urbains échappent à la souveraineté de l'Etat et sont sous le contrôle de bandes armées, créant par-là des "zones grises" dans la ville, malgré la présence d'une force internationale qui multiplie les opérations pour sécuriser les quartiers centraux de Port-au-Prince.
La présence de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti) depuis le 1er juin 2004, sera très certainement reconduite ce 15 octobre 2008 (date d'autorisation de déploiement actuelle) tant la situation, et tout particluèrement à Port-au-Prince, semble précaire et incertaine, malgré la présence de 9 055 personnels en uniformes (dont 7 174 militaires et 1 881 policiers) au 31 mai 2008 (chiffres de l'ONU).