Histoires de bisons et de chevaux : regard sur l’évolution de la frise pariétale de Cap-Blanc (Marquay, Dordogne) à travers l’analyse du panneau de l’alcôve (original) (raw)

1Situé sur la rive droite de la vallée de la Grande Beune, affluent de la Vézère, l’abri du Cap-Blanc (Marquay, Dordogne) renferme la première frise sculptée pariétale paléolithique mise au jour (décembre 1909), considérée comme l’un des joyaux de l’art pariétal paléolithique d’Europe occidentale par le naturalisme et la maîtrise technique de ses bas-reliefs animaliers.

2L’abri prend place au sein d’un contexte archéologique et graphique particulièrement riche, en plein cœur de la région des Eyzies avec, dans les proches environs, nombre de grands gisements en abris-sous-roche et de sites ornés (fig.1). Au sein de la vallée de la Grande Beune, il se trouve à proximité immédiate de quatre sites dont trois renferment des œuvres pariétales : les abris de Laussel (Moustérien de tradition acheuléenne, Moustérien typique, Aurignacien, Gravettien, Solutréen) (Roussot 1984a) à moins de un kilomètre en amont, la grotte de la Grèze (Gravettien supérieur) (Aujoulat 1984) à 500 m en aval, et la grotte de Comarque (Magdalénien moyen) (Delluc et Delluc 1981) sur la rive opposée.

Figure 1 – Localisation de l'abri du Cap-Blanc.
Figure 1 – Cap-Blanc rock-shelter location.

Figure 1 – Localisation de l'abri du Cap-Blanc.Figure 1 – Cap-Blanc rock-shelter location.

3Trente ans après les travaux de A. Roussot, notre problématique territoriale et identitaire sur les sites sculptés au Magdalénien moyen1nous a conduit à reprendre l’étude de la frise en nous intéressant particulièrement à la dynamique d’évolution de l’ensemble pariétal. Dans cette optique, nous avons réalisé, durant l’année 2008, une campagne de relevé de l’extrémité est de la frise2.

1 - Le Cap-Blanc : un abri orné et occupé

4S’ouvrant au pied d’un affleurement calcaire coniacien exposé au sud, le Cap-Blanc, dans ses dimensions actuelles, est un abri de moyenne importance (16,50 m de développement pour une profondeur de 3 m et une hauteur maximale de 4 m). Dominant le fond de vallée d’une quinzaine de mètres, il s’étend vers l’avant par une terrasse. Son extension au Paléolithique supérieur demeure inconnue. Sa voûte est effondrée et l’avancée originelle reste difficile à déterminer en raison de l’ancienneté des fouilles et du manque de données, en particulier stratigraphiques. Sa longueur est aussi incertaine, puisque le gisement n’a jamais été cerné dans ses limites latérales (Roussot 1968). La taille de l’abri et son impact visuel dans le paysage de l’époque seraient pourtant d’utiles paramètres à prendre en compte dans la question de la fréquentation et de la fonction du site, en association avec la frise pariétale.

1.1 - Des occupations multiples

5Sans développer l’historique des recherches conduites sur le site, bien documenté par A. Roussot dans son article de 1972 (Roussot 1972) et plus récemment dans son ouvrage consacré au Cap-Blanc (Roussot 1994), rappelons que le gisement a fait l’objet de plusieurs fouilles au cours du XXesiècle. Gaston Lalanne le découvre en 1909 et vide la grande majorité du remplissage archéologique en quelques mois (Lalanne 1910 ; Lalanne et Breuil 1911). Louis Capitan et Denis Peyrony dégagent en 1911 une sépulture découverte à la base du remplissage lors de travaux d’aménagement (Capitan et Peyrony 1912). Denis Peyrony réalise une petite opération en 1930, à l’extrémité ouest de l’abri (Peyrony 1950). Avec J. Tixier, A. Roussot fouille le talus à gauche de l’abri (Roussot 1972). Enfin, Jean-Christophe Castel et Jean-Pierre Chadelle mènent en 1992 une campagne de tamisage des déblais des fouilles Lalanne, sur la terrasse à l’avant de l’abri consécutivement au projet de réaménagement touristique réalisé par J. Archambeau, alors propriétaire du site (Castel et Chadelle 2000).

6L’essentiel du gisement, peu documenté, est très mal connu. Aucune stratigraphie ou répartition spatiale des artefacts ne sont disponibles pour les travaux antérieurs à ceux d’A. Roussot qui sont malheureusement restreints en surface. La stratigraphie du site a fait l’objet d’une importante révision critique par A. Roussot qui publie une série inédite de six croquis schématiques contradictoires, retrouvés dans les notes de G. Lalanne, seules illustrations de ces premières fouilles (fig. 2 – Roussot 1972). Gaston Lalanne évoque deux couches séparées par un niveau stérile, la plus profonde s’étendant sur toute la longueur de l’abri et en avant (Lalanne 1910). Lors de ses fouilles, A. Roussot identifie quatre couches principales subdivisées en plusieurs niveaux (fig. 2) et rapproche les couches 2 et 3 des deux couches reconnues par G. Lalanne (Roussot 1972). Le nombre et l’étendue des niveaux archéologiques restent, pour le moment, incertains.

Figure 2 – Stratigraphie du gisement du Cap.
Figure 2 – Cap-Blanc site stratigraphies.

Figure 2 – Stratigraphie du gisement du Cap.Figure 2 – Cap-Blanc site stratigraphies.

a/Stratigraphies des fouilles Lalanne (Roussot 1972, fig. 2) ; b/stratigraphie des fouilles Roussot (1972, fig. 3).
a/stratigraphies from Lalanne excavations (Roussot 1972, fig. 2) ; b/stratigraphy from Roussot excavations (1972, fig. 3)

7L’attribution chrono-culturelle des occupations a soulevé et continue de soulever de nombreuses questions. Le Cap-Blanc présenterait, en effet, de multiples traces d’occupation rapportées au Solutréen (Castel et Chadelle 2000), au Badegoulien (Peyrony 1950), au Magdalénien moyen (Lalanne et Breuil 1911 ; Sonneville-Bordes 1960), au Magdalénien supérieur (Sonneville-Bordes 1960 ; Roussot 1972), et à l’Azilien (Peyrony 1950 ; Sonneville-Bordes 1960). À nouveau, les fouilles Lalanne qui ont touché au cœur même du gisement nous privent de précieuses données. Au regard de leur extension, peu de matériel nous est parvenu, les vestiges les plus petits étant systématiquement délaissés. Les collections ont également subi une importante dispersion dans différentes institutions françaises (Musée d’Aquitaine, Musée de l’Homme, Musée national de Préhistoire) et internationales (Field Museum de Chicago) et dans diverses collections privées probablement, ce qui limite d’autant notre appréciation globale de l’occupation de l’abri.

8Malgré ces restrictions, les fouilles ont mis en avant une forte occupation de l’abri. Selon J.-C. Castel, l’étude archéozoologique des déblais des fouilles Lalanne révèle que « le nombre élevé de rennes exploités à Cap Blanc […] correspond à une fréquentation assez importante, en nombre de personnes ou en fréquence d’occupation » (Castel et Chadelle 2000 - p. 66). Le gisement a livré un matériel diversifié : une abondante industrie lithique, de très nombreux restes fauniques, une industrie osseuse plus rare mais néanmoins conséquente, des éléments de parure, des pièces d’art mobilier (sur support lithique et surtout sur matière dure d’origine animale) dont certaines sont absolument remarquables, sans oublier une sépulture. Le spectre faunique est largement dominé par le Renne, suivi du Cheval. D’autres espèces apparaissent de manière très anecdotique : Antilope saïga, Cerf, Chamois… (Lalanne et Breuil 1911 ; Delpech 1983 ; Castel et Chadelle 2000).

9Sans préjuger de sa ponctualité ou de sa continuité au cours des différents épisodes de fréquentation, l’intensité de l’occupation du site et l’association d’activités quotidiennes (notamment de subsistance) et d’activités symboliques (art pariétal et sépulture en particulier) posent de nombreuses interrogations quant à la nature de la fréquentation du site et à son évolution. Ces motivations peuvent perdurer mais aussi évoluer dans le temps : habitat prolongé type campement de base ? Lieu de rassemblement social, religieux ou autre ?

1.2 - Les œuvres pariétales

10Le Cap-Blanc doit sa renommée à la frise animalière monumentale sculptée sur le fond de l’abri. Dans son extension actuelle, elle se développe sur plus de 13 m de long pour une hauteur de 2 m. Elle est partiellement effondrée, en particulier dans sa partie basse où le support s’est délité en plaquettes (Roussot 1972). Elle a également subi d’importantes altérations, notamment au cours de son dégagement.

11Sa mise au jour se fait entre octobre et décembre 1909, à mesure de l’avancée des fouilles de G. Lalanne qui en donne une première description dès 1910 (Lalanne 1910), enrichie et modifiée par l’abbé Breuil dès 1911 (Lalanne et Breuil 1911). Un dernier élément sculpté est dégagé en 1930 lors des recherches de D. Peyrony à l’extrémité gauche de l’abri (Peyrony 1950). À partir de 1963, A. Roussot reprend l’étude du site. Il complète la couverture photographique de la frise, réalise un relevé schématique de l’ensemble des sculptures et reprend l’analyse de chaque figure (Roussot 1972).

12Son inventaire dénombre 13 unités graphiques : cinq chevaux, trois bisons, deux cervidés et quatre indéterminés (fig. 3). Parmi ces représentations, il évoque deux retailles : sculptures qui auraient été réalisées aux dépens d’une première sculpture détruite et en partie réemployée dans la nouvelle figuration. Ces exemples concernent des chevaux, taillés à partir d’un bison et d’un quadrupède que A. Roussot ne parvient pas à déterminer. Tous les auteurs ne s’accordent pas sur cette lecture. Ainsi, H. Breuil reconnaît cinq chevaux, deux bisons, deux aurochs hypothétiques et deux figures restant indéterminées (Lalanne et Breuil 1911). Annette Laming-Emperaire ne compte que six chevaux et deux bisons (Laming-Emperaire 1962). Aucun d’eux ne signale de retaille. A. Leroi-Gourhan indique six bisons, cinq chevaux, deux cervidés, un félin et un ours (fig. 3). Il voit une troisième retaille de cheval aux dépens d’un bison (Leroi-Gourhan 1965).

Figure 3 - La frise sculptée du Cap-Blanc.
Figure 3 – Cap-Blanc carved frieze.

Figure 3 - La frise sculptée du Cap-Blanc.Figure 3 – Cap-Blanc carved frieze.

Cliché J. Vertut (Leroi-Gourhan 1965, fig. 69) ; relevé A. Roussot (1994, p. 16).
Photo J. Vertut (Leroi-Gourhan 1965, fig. 69); tracing by A. Roussot (1994, p. 16).

13Une tête de cheval qui appartenait à la frise lors de sa mise au jour fut détachée par G. Lalanne car elle menaçait de tomber. Un bloc sculpté d’un bison fut retrouvé au sol, fracturé en deux morceaux, au début des fouilles Lalanne.

14Des vestiges de peinture rouge, plus ou moins vifs, sont signalés par H. Breuil et A. Roussot, tant sur les sculptures que sur le fond. Deux anneaux ont été répertoriés : un sur la paroi, sur la croupe d’une figure (cheval n° 2, inventaire A. Roussot) et un second sur bloc découvert dans les déblais des fouilles Lalanne (Castel et Chadelle 2000).

1.3 - La question chrono-culturelle

15Si le contexte archéologique des œuvres reste confus, l’attribution chrono-culturelle de la frise l’est tout autant. Le cadre chronologique de l’art pariétal est toujours délicat à établir. Or, les niveaux d’occupations associés aux œuvres pariétales dans les abris ornés offrent généralement des moyens de datation relative (recouvrement des œuvres pariétales par les niveaux archéologiques, fragments de paroi ornée tombés dans les niveaux ou encore présence d’un outillage spécialisé). Au Cap-Blanc, les incertitudes dans la stratigraphie du site et dans l’attribution chrono-culturelle des occupations avec une fréquentation qui s’étalerait sur plusieurs techno-complexes compliquent les tentatives. Il semble que la frise n’était pas couverte par les couches archéologiques (Roussot 1984b). Le bloc sculpté d’un bison - sans présumer de son appartenance ou pas (art sur bloc) à la frise pariétale - et des pics - considérés comme les outils ayant servi à sculpter – ont été mis au jour lors des fouilles Lalanne (Lalanne 1910 ; Sonneville-Bordes 1960) dans la couche inférieure dont l’attribution chrono-culturelle demeure problématique…

16Face à ces difficultés, la datation de la frise s’est toujours faite par la méthode stylistique, en comparaison avec les autres sites sculptés, selon des critères plus ou moins précis. Elle est ainsi traditionnellement rattachée au Magdalénien moyen (III-IV), par rapprochement technique et formel avec les œuvres du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l’Anglin, Vienne) principalement (Laming-Emperaire 1962 ; Leroi-Gourhan 1965 ; Roussot 1984b).

17L’homogénéité de la frise n’est pas garantie, ce qui complique davantage le problème de son attribution chrono-culturelle. Les retailles signalées par A. Roussot et A. Leroi-Gourhan témoignent d’une évolution de l’ensemble pariétal, selon un rythme et des modalités qui nous sont inconnues. L’extrémité est de la frise – que nous avons dénommée « panneau de l’alcôve » - en est l’exemple le plus éloquent puisque deux cas y ont été recensés. Une analyse approfondie de ces phénomènes s’avère ainsi essentielle afin de mieux saisir la dynamique du dispositif pariétal du Cap-Blanc et peut-être aussi mieux cerner le cadre chrono-culturel des œuvres par des critères de comparaison affinés et renouvelés avec les autres sites sculptés du sud-ouest de la France.

2 - Le panneau de l’alcôve : retailles et évolutions

18Dans sa topographie actuelle, l’abri peut être divisé en deux zones de morphologies distinctes : un fond d’abri-sous-roche classique (11 m de long), avec un profil en marches d’escalier, et un petit renfoncement qui creuse la paroi dans sa partie droite (large de 5 m et profond de 4 m). Les deux zones sont séparées par un ressaut de la paroi formant un pilier (Roussot 1984b).

19Le « panneau de l’alcôve » occupe la portion de paroi s’enroulant autour du pilier et courant au-dessus de l’alcôve, à l’extrémité est de l’abri (fig. 4). L’ensemble graphique qu’il supporte est séparé du reste de la frise par un segment de paroi apparemment vide de toute manifestation graphique et forme ainsi visuellement une unité que nous avons associée par commodité à la notion de panneau. Il se développe sur environ 4,50 m, à une hauteur moyenne de 1,75 m au-dessus du sol actuel. La paroi n’est pas verticale. Elle oblique vers le fond de l’abri, obliquité se renforçant pour le dernier bas-relief qui plonge (fig. 5) : la première partie des figures (entités graphiques 1 et 2) tourne autour du pilier, tandis que la seconde (entités graphiques 3, 4 et 5) retrouve une paroi horizontale, plus ou moins parallèle au fond d’abri. Ces deux pans convergent dans sa partie centrale, entre les entités graphiques 1 et 3, à la manière d’un dièdre.

Figure 4 – Plan de l'abri avec indication du panneau de l'alcôve.
Figure 4 – Rock-shelter map with the indication of alcove panel.

Figure 4 – Plan de l'abri avec indication du panneau de l'alcôve.Figure 4 – Rock-shelter map with the indication of alcove panel.

(A. Roussot 1984b, fig. 2).

Figure 5 – Le panneau de l'alcôve.
Figure 5 – The alcove panel.

Figure 5 – Le panneau de l'alcôve.Figure 5 – The alcove panel.

Cliché C. Bourdier et O. Huard 2009, avec l’autorisation du CMN.
Photo C. Bourdier and O. Huard 2009, courtesy of CMN.

2.1 - Des lectures controversées

20Les différents chercheurs ne s’accordent pas sur le nombre et la nature des entités graphiques. Alain Roussot relève deux bas-reliefs monumentaux de chevaux, suivis d’un troisième bas-relief d’un arrière-train (bison ?) qui, selon lui, fut volontairement conçu et réalisé comme une représentation segmentaire. Deux petits bisons sont associés aux deux chevaux, dans le registre inférieur (Roussot 1972). André Leroi-Gourhan en livre une lecture toute autre. Les deux chevaux marqueraient un second temps dans la composition de la frise, ayant remplacé deux grands bisons dont un arrière-train aurait été conservé. Dans sa perspective structuraliste de complémentarité sexuelle des représentations pariétales paléolithiques, les deux petits bisons seraient venus « rétablir l’équilibre des espèces complémentaires » et seraient donc postérieurs aux chevaux (Leroi-Gourhan 1965 - p. 287).

21Cet ensemble graphique se révèle particulièrement complexe, avec une paroi très dégradée, des sculptures fragmentaires et plusieurs moments de réalisation. Le degré d’altération du support nous a incité à mener une analyse fine de l’état de surface. Il s’avérait nécessaire de véritablement discriminer l’anthropique du naturel, ce point ne nous semblant pas satisfaisant sur les relevés alors à disposition.

2.2 - Approche analytique des œuvres3

22Nous avons employé la méthode d’étude mise en place dans l’abri orné du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l’Anglin, Vienne) et également utilisée sur les sites de la Chaire-à-Calvin (Mouthiers-sur-Boëme, Charente) et de Reverdit (Sergeac, Dordogne). Elle consiste en une approche analytique de la paroi et des œuvres visant à différencier les éléments naturels des manifestations anthropiques d’une part, en distinguant les vestiges paléolithiques des stigmates récents (depuis la mise au jour des œuvres) d’autre part (Iakovleva, Pinçon 1997 ; Pinçon 2004 ; Pinçon et al. 2005 ; Bourdier 2009). L’acquisition des données a associé enregistrement photographique et relevé analytique réalisé par vidéo-projection (Pinçon et al. 2005 ; Bourdier 2009). Dans un souci de cohérence entre les différents abris sculptés étudiés, nous avons repris les normes de relevé développées au Roc-aux-Sorciers et déjà transposées à la Chaire-à-Calvin et à Reverdit. Ce relevé a été l’occasion d’un premier inventaire exhaustif des traces de couleur, peu considérées jusqu’à présent bien que signalées dès les premiers écrits (Lalanne 1910) et régulièrement mentionnées depuis lors. Ces vestiges ont fait l’objet de traitements colorimétriques infographiques.

23Ce panneau étant composé de deux volets à l’orientation nettement distincte, nous avons décidé sur le terrain de monter deux stations de relevé différentes afin de respecter au mieux l’orthogonalité du support et des œuvres. Ce choix se justifie dans notre volonté de saisir au plus près les formes et les volumes de chaque figure, essentiels à l’appréhension et à la compréhension des retailles qui sont au centre de notre étude. Un relevé général du panneau aurait mené à d’importantes déformations en raison des deux points de fuite latéraux, ce qui aurait donc eu pour conséquence une réduction des deux extrémités latérales du panneau au profit du centre. Nous présentons dans ce travail les relevés séparés des deux volets, regroupant respectivement les entités graphiques n° 1 et 2 du côté gauche et les entités graphiques n° 3, 4 et 5 du côté droit4.

2.2.1 - Entité graphique n° 1

24L’entité graphique n° 1, un équidé, qui occupe tout le premier volet du panneau, est la mieux préservée de l’ensemble graphique ici considéré (fig. 6 et 7). Cependant, deux grandes écailles en ont emporté le bas et le haut ainsi que l’extrémité gauche. Sur la paroi originelle conservée, trois grandes zones de desquamation marquent la surface : le long de la fracture inférieure ; le long de la ligne cervico-dorsale, sur le flanc, sur la croupe et en arrière de la croupe ; à l’avant des antérieurs et du poitrail et prenant toute la tête. Une surface conséquente de la figure est demeurée intacte : cou, poitrail, antérieurs, ventre, zone en arrière de la croupe. Un certain nombre de coups récents entaillent la roche, regroupés en deux zones principales. Quelques courts tracés du charbonnage réalisé par H. Breuil et Cl. Lassale (Lalanne et Breuil 1911) se repèrent toujours dans le fond de sculpture (tête, antérieurs, ligne dorsale) et, plus étonnamment, dans le fond de certaines écailles ou fractures (zone inférieure, zone en arrière de la croupe).

Figure 6 – Entité graphique n° 1 (cheval n° 10 de A. Roussot).
Figure 6 – Graphic entity n° 1 (A. Roussot horse n° 10).

Figure 6 – Entité graphique n° 1 (cheval n° 10 de A. Roussot).Figure 6 – Graphic entity n° 1 (A. Roussot horse n° 10).

Cliché O. Huard 2008, avec autorisation du CMN.
Photo O.Huard 2008, courtesy of CMN.

Figure 7 – Relevé analytique de l'entité graphique n° 1 (cheval n° 10 de A. Roussot).
Figure 7 – Graphic entity n° 1 analytical tracing (A. Roussot horse n° 10).

Figure 7 – Relevé analytique de l'entité graphique n° 1 (cheval n° 10 de A. Roussot).Figure 7 – Graphic entity n° 1 analytical tracing (A. Roussot horse n° 10).

A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, É. Le Brun et G. Pinçon 2008.
Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, É. Le Brun et G. Pinçon 2008.

25Cette première entité graphique est un cheval sculpté de profil droit (Lalanne et Breuil 1911 ; Leroi-Gourhan 1965 ; Roussot 1972) aux dimensions monumentales (184 cm de longueur maximale et 108 cm de hauteur maximale) qui s’inscrit dans la lignée des autres sculptures de chevaux de la frise. La croupe, la ligne cervico-dorsale et toute l’avant–main se lisent parfaitement. La crinière n’est pas figurée en relief. La tête est très altérée : seuls le front et la partie proximale de la joue se sont conservés. Le reste du contour se devine plus qu’il ne se suit. Tout son relief a quasiment disparu. Bien que desquamées, les deux oreilles étonnent par leur finesse (fig. 8). Les antérieurs ont été représentés par paire, droits, légèrement décalés selon un procédé de rabattement à 45° (« perspective biangulaire oblique de Leroi-Gourhan » - Leroi-Gourhan 1992 - p. 254) qui dégage également le poitrail. L’extrémité des membres a pu être emportée par la fracture inférieure. L’arrière-train de l’animal paraît nettement plus confus : la croupe se perd dans un grand volume triangulaire vertical, qui se rétrécit à son extrémité. Devant ce volume, un relief vertical courbe pourrait s’accorder avec le contour d’une patte postérieure.

Figure 8 – Détail des oreilles du cheval (entité graphique n° 1).
Figure 8 – Horse ears detail (graphic entity n° 1).

Figure 8 – Détail des oreilles du cheval (entité graphique n° 1).Figure 8 – Horse ears detail (graphic entity n° 1).

Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN

26Cette sculpture associe plusieurs types de relief5. Le volume du poitrail et des antérieurs, traités en demi-relief, se détache très fortement de la paroi (20-30 cm). Le cou est à la limite du haut-relief. Le creusement de l’avant-main est tel que la zone de dégagement, très oblique et à pan concave dans sa moitié supérieure, paraît ramassée et très abrupte. Le piquetage de la paroi dans cette zone est d’ailleurs toujours très marqué. Le front, la ligne cervico-dorsale et l’arrière de l’animal sont traités en bas-relief : 10 à 20 cm de relief tout au plus, ce qui reste néanmoins conséquent. Cet écart de relief avec le poitrail et les antérieurs ne peut être dû à la desquamation qui demeure trop superficielle dans ces zones. Ce cheval témoigne d’un travail technique remarquable et soigné. Le contour de la sculpture a été modelé, et sa surface méticuleusement régularisée. Ce travail de régularisation, vraisemblablement réalisé par raclage est cependant partiellement masqué par les écailles qui entament le support. Le cou et la partie proximale de la tête ont été entièrement polis. Nous pouvons imaginer qu’à la manière du grand cheval central de la frise (cheval n° 5 de A. Roussot) le corps tout entier de l’animal a bénéficié de cette finition.

27Comme l’avaient déjà signalé H. Breuil (Lalanne et Breuil 1911) et A. Roussot (1972), toute la zone arrière présente un type de dégagement différent de celui de l’avant-train : le creusement, oblique et concave, est plus étalé et plus doux. Ces deux techniques de mise en relief illustrent-elles deux périodes de réalisation ou deux artistes distincts ? Traduisent-elles juste une adaptation à deux surfaces différentes (volume, dureté) ? La technique de mise en relief de la ligne cervico-dorsale nous est inconnue : sa zone de dégagement a presque intégralement été amputée par la fracture supérieure du pan ; seuls quelques centimètres ont été épargnés.

28Dans cette zone de dégagement de la partie postérieure de l’entité graphique n° 1, P. Graziosi (1956) puis A. Verbrugge (1969) avaient reconnu une main dotée de longs doigts, que A. Roussot considère comme un lusus naturae (Roussot 1972) (fig. 9). Une série de lignes profondément piquetées ressort nettement du support : quatre tracés rectilignes verticaux (longueur 25 cm), parallèles, recoupés à leur extrémité inférieure par un court tracé horizontal en zigzag. Cette portion de paroi est creusée de nombreuses écailles et très patinée, comme si elle avait été frottée. Néanmoins, l’alignement et la symétrie très stricte des cupules ne laisse planer aucun doute sur leur origine anthropique. Ce piquetage pourrait s’apparenter à un motif géométrique, type quadrilatère rempli de lignes ponctuées qui se rencontre fréquemment dans l’art pariétal magdalénien (Roc-aux-Sorciers, Marsoulas, Llonin…). La rareté des signes est cependant l’une des caractéristiques principales de l’art sculpté en abri-sous-roche. Il n’est donc pas évident que ce piquetage soit un élément de décor. Il pourrait avoir eu un objectif purement fonctionnel : descendre un relief. Dans le doute, nous choisissons donc de ne pas le garder comme unité graphique.

Figure 9 – La « main » de P. Graziosi et A..
Figure 9 – P. Graziosi and A. Verbrugge « hand ».

Figure 9 – La « main » de P. Graziosi et A..Figure 9 – P. Graziosi and A. Verbrugge « hand ».

En arrière de l'entité graphique n° 1 : une série de lignes profondément piquetées. Motif géométrique ? Stigmates techniques liés à la mise en relief de l'entité graphique n° 1.
Behind graphic entity n° 1 : a serie of deeply picked lines. Geometric pattern ? Technical marks related to the graphic entity n° 1 carving work ?

Cliché C. Bourdier 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo C. Bourdier 2008, courtesy of CMN.

29De nombreux vestiges de couleur ont été repérés sur la sculpture, dans sa moitié inférieure uniquement, préférentiellement répartis à l’arrière de la patte postérieure d’une part, sur les antérieurs et au départ de la ligne de poitrail d’autre part. Deux teintes coexistent : un rouge profond sur la zone arrière et la zone centrale et un rouge violacé sur les pattes avant et le poitrail. Elles ne se mélangent pas et apparaissent comme strictement séparées (fig. 7). Des micro-analyses complémentaires seront nécessaires pour préciser la nature de ces éléments (peinture ? infiltrations ? micro-organismes ?) en particulier pour la teinte violacée tout à fait inhabituelle.

30D’autres éléments sculptés se perçoivent à l’intérieur du cheval (fig. 7). Une profonde concavité verticale scinde son épaule en une courbe régulière. Un second creusement vertical courbe, nettement plus long, se remarque plus à gauche. Il traverse tout le corps depuis le milieu du flanc jusqu’au niveau des genoux vers lesquels il oblique légèrement. En dessous de ce point, une plage d’écaillage empêche de voir s’il se poursuit ou pas. Il est moins vigoureux que le précédent. Sa réalité ne fait cependant aucun doute. Le fond de ces reliefs est entièrement piqueté, ce qui atteste de leur origine anthropique.

31L’hypothèse de retaille d’une ancienne sculpture de bison, avancée par A. Leroi-Gourhan, est née de ces reliefs. Il voit dans la première concavité, sur l’épaule, le contour de la fesse et dans le deuxième creusement, celui de la patte postérieure d’un grand bison de profil gauche (Leroi-Gourhan 1965). À l’instar de ce chercheur, nous voyons effectivement dans ces reliefs celui d’une fesse et les reliquats du contour antérieur d’une patte postérieure, depuis la cuisse jusqu’au jarret, la légère obliquité précédemment signalée reproduirait fidèlement le modelé de la moitié supérieure de la patte (fig. 10). Nous ne suivons pas H. Breuil (1952) et A. Roussot (1972) qui estiment que la concavité de l’épaule figurerait la séparation entre deux masses musculaires. Ces reliefs en fait ne s’accordent pas avec les volumes internes d’un cheval. Les deux auteurs n’évoquent pas le second creusement, pourtant nettement visible dès que la lumière devient rasante.

Figure 10 – L'entité graphique n° 1 issue d'une retaille.
Figure 10 – Graphic entity n°1 renewal.

Figure 10 – L'entité graphique n° 1 issue d'une retaille.Figure 10 – Graphic entity n°1 renewal.

a/vestiges du contour d'une patte postérieure et de la fesse donnés par deux reliefs anthropiques dans le corps du cheval ; b/hypothèse d'un animal tête baissée dans lequel aurait été taillé le cheval. Le relief triangulaire en arrière du cheval prend alors tout son sens.

Relevé C. Bourdier 2008.
Tracing by C. Bourdier.

a/remains of hind leg and behind in the horse body ; b/hypothesis of a previous hung head animal re-sculptured into a horse, in which the triangular relief behind the horse makes sense.

32Cette hypothèse d’une retaille nous semble d’ailleurs étayée par trois autres éléments :

  1. À propos des volumes internes du cheval, il est intéressant de remarquer que cette sculpture est dépourvue de volume. Elle est relativement plate, ce qui tranche avec l’épaisseur des autres chevaux de la frise. La ligne ventrale est absente, ce manque ne pouvant résulter de la desquamation, située plus bas. Au milieu du corps en revanche, une zone très allongée, horizontale a été entièrement piquetée (fig. 6 et 7). Elle correspond à une légère inflexion du support. Elle rejoint à son extrémité droite le creusement qui traverse verticalement le corps du cheval. Ce travail de piquetage n’a manifestement pas servi à représenter la ligne ventrale du cheval, sinon pourquoi serait-elle si superficielle ? Il pourrait, en revanche, avoir permis d’effacer un volume, dont l’emplacement coïnciderait avec celui d’une ancienne ligne ventrale.
  2. À.l’arrière de la croupe du cheval, le grand relief triangulaire demeure incompréhensible à moins qu’il ne soit le vestige d’une autre sculpture. Henri Breuil y avait lu la queue du cheval (Lalanne et Breuil 1911), difforme. Alain Roussot avait simplement constaté que « l’on délimite mal les membres postérieurs et la queue » (Roussot 1994 - p. 24), sans avancer d’explications. Cet élément ne répond manifestement pas à la morphologie de l’arrière-main du cheval. Il n’est pas certain que la concavité qui le sépare de ce qui paraît être le contour d’une patte postérieure du cheval ait appartenu à la première sculpture. Peut-être a-t-elle été creusée lors de la réalisation du cheval, justement pour évoquer un membre postérieur. La partie supérieure de cette concavité porte les stigmates d’un piquetage.
  3. Enfin, comme nous l’avons évoqué précédemment, il est étrange de constater que la partie arrière de la sculpture et son avant-main n’ont pas été réalisées avec la même technique de mise en relief. Dans cette perspective de retaille, cette différence prendrait tout son sens.

33Cette hypothèse de retaille semble parfaitement fondée. À quelle représentation succéda le cheval ? Nous pouvons nous appuyer sur le tracé de la fesse, du membre postérieur et du ventre, ainsi que sur le relief triangulaire en arrière du cheval. Nous préférons ne pas prendre directement en considération la ligne cervico-dorsale du cheval, puisque aucun élément ne nous permet de déterminer avec certitude si son contour a été repris ou non. Les lignes de la fesse, de la patte postérieure et du ventre sont trop imprécises pour être diagnostiques d’un animal. L’épaisseur du flanc – au minimum de la ligne ventrale jusqu’à la ligne cervico-dorsale actuelle du cheval - concorde plutôt avec la morphologie des bovidés (bison, aurochs, bouquetin). Le relief triangulaire ne paraît pas appartenir à d’anciens antérieurs, à moins d’un corps exagérément allongé. Sa position en avant des antérieurs évoque plutôt le volume d’une tête baissée (fig. 10). Son aspect désormais rendu grossier – probablement par la conjonction de la retaille et de l’écaillage – nous empêche d’aller plus loin dans l’identification de l’animal.

34Nous sommes face à un bas-relief de cheval exécuté aux dépens d’une première sculpture, dont le volume a été effacé par piquetage comme en témoignent les creusements vestigiels de la ligne ventrale et d’une patte postérieure mais dont quelques éléments ont néanmoins été conservés (relief de la fesse, relief triangulaire de la croupe). Le cheval n’a manifestement jamais été terminé au niveau de son arrière-main. Dans la majorité des retailles connues, les artistes ont laissé des éléments de la première figure cohabiter avec la seconde, quitte à créer des aberrations anatomiques (Iakovleva, Pinçon 1997).

2.2.2 - Entité graphique n° 2

35La seconde entité graphique repérée est un petit bison de profil gauche (Lalanne et Breuil 1911 ; Leroi-Gourhan 1965 ; Roussot 1972 ; Paillet 1999), situé sur l’avant-train de la sculpture précédente, en arrière des antérieurs (fig. 6, 11 et 12). Ses dimensions réduites (34 cm de long, 29 cm de haut) tranchent avec la monumentalité du cheval. Ce bison est aisément reconnaissable à sa bosse dorsale. Son corps est épais. L’arrière-train est ramassé, l’unique patte postérieure mince et courte. Sa bosse apparaît ainsi très imposante. Aucun tracé de queue n’a pu être décelé. Sa morphologie – corps épais, bosse haute et arrondie, une patte par paire – et ses dimensions sont très proches du bison sculpté sur bloc, retrouvé dans les niveaux archéologiques de cette zone (Lalanne 1910) (fig.13).

Figure 11 – Entité graphique n° 2 (bison n° 11 de Alain Roussot).
Figure 11 – Graphic entity n° 2 (A. Roussot, bison n° 11).

Figure 11 – Entité graphique n° 2 (bison n° 11 de Alain Roussot). Figure 11 – Graphic entity n° 2 (A. Roussot, bison n° 11).

Cliché O.Huard 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN.

Figure 12 – Relevé analytique de l'entité graphique n° 2 (bison n° 11 de A. Roussot).
Figure 12 – Graphic entity n° 2 analytical tracing (A. Roussot, bison n° 11).

Figure 12 – Relevé analytique de l'entité graphique n° 2 (bison n° 11 de A. Roussot).Figure 12 – Graphic entity n° 2 analytical tracing (A. Roussot, bison n° 11).

Relevé : A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008
Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008

Figure 13 – Sculpture de bison sur un bloc trouvé en 1909 dans le secteur du panneau e l'alcôve.
Figure 13 – Bison carving found in 1909 in the alcove panel area

Figure 13 – Sculpture de bison sur un bloc trouvé en 1909 dans le secteur du panneau e l'alcôve.Figure 13 – Bison carving found in 1909 in the alcove panel area

Musée d'Aquitaine, cliché A. Roussot In Roussot 1994.
Musée d'Aquitaine, photo A. Roussot In Roussot 1994.

36La figure a bien été préservée des altérations naturelles et anthropiques (peu de coups métalliques, charbonnage limité à un segment du contour ventral). Il est ainsi probable, comme l’a avancé P. Paillet (1999), que l’avant-train n’ait jamais existé. Ses lignes s’appuient largement sur des macro-reliefs de la paroi. Son contour ventral et sa patte postérieure sont rendus par les négatifs d’arrachement d’anciennes écailles. Le bombement de la fesse et de la croupe est donné par le relief de la patte antérieure droite de l’entité graphique n° 1. Quelques traits piquetés sont venus souligner et compléter ces formes : un long tracé pour reproduire la bosse dorsale (élément caractéristique de l’animal) et deux courts segments pour la ligne ventrale et le contour postérieur de la patte arrière. L’artiste s’est donc largement appuyé, et probablement inspiré, d’éléments naturels et anthropiques qui pré-existaient. C’est à se demander si l’œuvre n’est pas simplement opportuniste.

37Cette participation du support fait que la figure semble à la fois sculptée et gravée. Elle n’est en fait que gravée, mais utilise pleinement le volume de la paroi. Cette gravure large (1 à 2 cm) a été réalisée par un piquetage continu, peu profond (1 cm). Elle est irrégulière. Le départ de la bosse est ainsi particulièrement prononcé (3 cm de large et 2 cm de profondeur). Un soin spécial lui a été apporté, avec un modelage du bord interne. Le reste du contour de la bosse est, au contraire, à peine marqué. L’extrémité de la ligne cervico-dorsale et la ligne ventrale ont une gravure intermédiaire. Cet écart de traitement résulte-t-il d’une érosion différentielle ? Traduit-il la volonté d’accrocher la lumière au départ de la bosse dorsale, qui est l’attribut distinctif du bison ?

2.2.3 - Entité graphique n° 3

38A partir de ce point, la paroi change d’orientation et redevient parallèle au fond de l’abri (fig. 5). L’entité graphique n° 3 est particulièrement dégradée (fig. 14 et 15). Comme pour le volet précédent, de grandes écailles ont emporté les parties supérieure et inférieure de la paroi. La surface a subi de sérieuses altérations : naturelles sous la forme d’écaillages et anthropiques avec d’innombrables coups d’outils métalliques qui marquent le support, avec une densité légèrement moindre dans la zone basse. Tout le volume de l’animal a ainsi presque entièrement disparu. La surface originelle est restreinte à la seule périphérie de la sculpture, à l’exception d’un segment du cou et de la crinière, et d’une portion de la patte antérieure gauche.

Figure 14 – Second volet du panneau de l'alcôve : entités graphiques n° 3, 4 et 5.
Figure 14 – Second section of the alcove panel: graphic entities n° 3, 4 and 5.

Figure 14 – Second volet du panneau de l'alcôve : entités graphiques n° 3, 4 et 5.Figure 14 – Second section of the alcove panel: graphic entities n° 3, 4 and 5.

(cheval n° 12, bison n° 13 et indéterminé n° 14 de A. Roussot)

Cliché C. Bourdier, O. Huard 2009 avec l'autorisation du CMN.

(A. Roussot horse n° 12, bison n° 13 and undetermined n° 14)

Photo C. Bourdier, O. Huard 2009, courtesy of CMN. CMN.

Figure 15 – Relevé analytique du second volet du panneau de l'alcôve.
Figure 15 – Second section of the alcove panel.

Figure 15 – Relevé analytique du second volet du panneau de l'alcôve.Figure 15 – Second section of the alcove panel.

Entités graphiques n° 3, 4 et 5 (cheval n° 12, bison n° 13 et indéterminé n° 14 de A. Roussot).
Analytical tracing graphic entities n° 3, 4 and 5 (A. Roussot horse n° 12, bison n° 13 and undetermined n° 14).

Relevé : A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008.
Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux and G. Pinçon 2008.

39Cette troisième entité graphique est un nouveau bas-relief de cheval (Lalanne et Breuil 1911 ; Leroi-Gourhan 1965 ; Roussot 1972), de profil droit, de dimensions proches de celles de l’entité graphique n° 1 (117 cm de haut et 128 cm de long). S’il a perdu beaucoup de son relief, son contour se suit encore aisément. La ligne cervico-dorsale inclut une crinière qui n’est pas mise en relief, à l’image du bas-relief précédent. La tête est presque entièrement effacée. Le contour supérieur a mieux résisté. Il subsiste l’ébauche d’une oreille dressée, le front, l’amorce et l’extrémité distale du chanfrein. Le contour inférieur se réduit à l’amorce de la ganache. Cette tête, portée basse, a une forme ogivale originale, avec un museau apparemment pointu. Les antérieurs, rectilignes, représentés par paire, sont dans l’alignement de la ligne du cou et du poitrail rectiligne. Poitrail et antérieurs présentent le même rabattement à 45° que la sculpture précédente. Le volume du genou est marqué par un petit décrochement. Il n’est pas évident que l’extrémité des membres ait été entraînée par la fracture inférieure de la paroi ; peut-être n’a-t-elle jamais été reproduite. Les membres apparaissent courts et le corps épais. La ligne ventrale convexe est basse.

40Ce cheval est dépourvu de l’extrémité de son arrière-train (cuisse, fesse, queue). À sa place, se retrouve la tête du précédent cheval (entité graphique n° 1), comme si elle masquait virtuellement l’arrière-train du second, selon le même effet de composition que les deux premiers chevaux de la frise (fig. 3). L’état très dégradé de cette zone empêche malheureusement d’évaluer la chronologie des oeuvres. L’entité graphique n° 1 a-t-elle été réalisée après l’entité graphique n° 3, sa tête venant creuser et détruire l’arrière-train de la n° 3 ? L’entité graphique n° 2 a-t-elle été exécutée autour de la tête de l’entité graphique n° 1, et fut-elle ainsi privée originellement d’arrière-train ? A la différence du second cheval de la frise (fig. 3), l’entité graphique n° 2 est dotée d’une patte postérieure, partiellement amputée par une fracturation de la paroi, dont le contour postérieur correspond aussi au départ de la zone de dégagement du poitrail et du cou de l’entité graphique n° 1. L’absence de membre postérieur sur le cheval n° 3 avait conduit A. Roussot à considérer les chevaux 2 et 3 de la frise comme synchrones : « les sujets 2 et 3 forment un ensemble et l’artiste a voulu cet effet de perspective en négligeant de placer l’arrière-train du n° 3 assez en avant de la figure n° 2 » (Roussot 1972 – p. 106). Sur ce panneau de l’alcôve, la patte postérieure de l’entité graphique n° 2 indiquerait donc plutôt que cette sculpture a précédé l’entité graphique n° 1 qui l’a partiellement amputé pour le dessin de l’avant-train et de la tête.

41L’interface très altérée rend difficile toute analyse technique de ce bas-relief. À l’exception de la patte antérieure gauche, les hauts de sculpture ont disparu. Les zones de dégagement n’ont pas plus été épargnées. Quelques centimètres ont été préservés du creusement oblique de la ligne cervico-dorsale. La zone de dégagement plane du cou et des antérieurs est limitée par la sculpture suivante (nous reviendrons sur cet aspect avec l’entité graphique n° 5). Celle du ventre, également plane, est plus étendue mais partiellement sectionnée par la fracture inférieure du panneau. Malgré ces profondes altérations, la figure a gardé un relief conséquent : 17 cm au niveau du dos et du ventre, 10 cm pour le poitrail. Le volume de l’avant-main (tête, poitrail, antérieurs) est moindre comparé au tronc. Cet écart de relief est manifeste pour les antérieurs : le volume est de quelques centimètres pour la patte antérieure gauche (dont le haut de sculpture est conservé), et de plus d’une dizaine de centimètres pour celle de droite (dont nous ne disposons pas du haut de sculpture). Cette œuvre a dû bénéficier d’un traitement technique soigné. Le relief de l’antérieur droit a été modelé et sa surface égalisée ainsi que les zones de dégagement.

42À côté des quelques tracés charbonnés modernes qui soulignent principalement l’avant-train de l’animal (antérieur droit ; ligne du poitrail, du cou et de la ganache), une petite tache en forme de S de couleur rouge profond est visible sur la zone de dégagement de la patte antérieure gauche, à la limite de la fracture inférieure (fig. 15).

43Un anneau fracturé – précédemment signalé par un membre de l’équipe (Pinçon à paraître) - occupe l’extrémité actuelle de la patte arrière (fig. 16). Seul son contour supérieur caractéristique est conservé : la petite excroissance centrale du bec est encadrée par les bordures arrondies semi-cylindriques des deux perforations latérales. Au regard des membres antérieurs, il devait se situer au milieu de la patte postérieure, au niveau de son jarret.

Figure 16 - Anneau fracturé sur la patte postérieure de l'entité graphique n° 2 (cheval n° 12 de A. Roussot) – face et profil.
Figure 16 - Broken ring on the graphic entity n° 2 hindleg (A. Roussot horse n° 12) – front and profile.

Figure 16 - Anneau fracturé sur la patte postérieure de l'entité graphique n° 2 (cheval n° 12 de A. Roussot) – face et profil.Figure 16 - Broken ring on the graphic entity n° 2 hindleg (A. Roussot horse n° 12) – front and profile.

Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo O. Huard 2008, courtesy CMN.

2.2.4 - Entité graphique n° 4

44Les pattes de ce second bas-relief de cheval encadrent un nouveau petit bison (fig.17 et 18), de profil droit, restreint à sa seule ligne cervico-dorsale. Cette quatrième entité graphique longe la fracture inférieure du panneau qui ne vient cependant pas directement sectionner le tracé. Il est impossible de savoir si ce bison fut réduit à la simple représentation de sa ligne cervico-dorsale, ou si ce dessin est l’unique vestige d’une œuvre plus complète, emportée lors d’une fracturation du support. Les lignes cervico-dorsales isolées de bison sont rares dans l’art paléolithique. Les contours dorsaux complets (depuis la croupe jusqu’au museau) sont, au contraire, fréquents. En-dehors de ces fractures, la surface est bien conservée, peu écaillée mais entaillée par quelques coups d’outils métalliques dont certains particulièrement profonds.

Figure 17 – Entité graphique n° 4 (bison n° 13 e A. Rousot).
Figure 17 – Graphic entity n° 14 (A. Roussot bison n° 13).

Figure 17 – Entité graphique n° 4 (bison n° 13 e A. Rousot).Figure 17 – Graphic entity n° 14 (A. Roussot bison n° 13).

Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN.

Figure 18 - Relevé analytique de l'entité graphique n° 4 (bison n° 13 de A. Roussot).
Figure 18 - Graphic entity n° 4 analytical tracing (A. Roussot bison n° 13).

Figure 18 - Relevé analytique de l'entité graphique n° 4 (bison n° 13 de A. Roussot).Figure 18 - Graphic entity n° 4 analytical tracing (A. Roussot bison n° 13).

Relevé : A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008.
Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008.

45L’identification du bison ne prête pas à confusion avec la bosse dorsale, ici particulièrement développée (Paillet 1999). La montée de la bosse est courbe. Son sommet est plat. Ses dimensions (35 cm de large, 12 cm de haut) sont comparables à celles du premier bison (entité graphique n° 2). Elles ont très probablement été contraintes par l’écartement des pattes du cheval (entité graphique n° 3). En effet, contrairement à l’affirmation de A. Laming-Emperaire (1962), cette figure semble postérieure au grand bas-relief qui la surplombe. Sa surface est celle de la zone de dégagement du cheval que son creusement entame clairement. Malgré un travail de régularisation, elle porte encore les stigmates d’un puissant piquetage, toujours visibles en lumière rasante.

46Ce bison s’inscrit en très léger relief dans la paroi dont il ressort à peine. Le creusement en V dissymétrique est peu profond (1,5 cm en moyenne) mais abrupt, relativement large (4 à 5 cm) et régulier. Relief mis à part, cette technique rappelle fortement celle de l’avant-main du premier cheval (entité graphique n° 1) mais diffère par contre de celle utilisée pour l’autre bison (entité graphique n° 2). Le haut de relief est modelé. Une ligne gravée légèrement courbe, large et assez superficielle, part horizontalement de la base du garrot, plus ou moins parallèle au sommet de la bosse dorsale. Son tracé paraît sectionné par le relief gravé. Elle serait ainsi antérieure.

2.2.5 - Entité graphique n° 5

47Cette dernière entité graphique est la plus altérée de l’ensemble (fig. 14 et 15). Si la grande écaille supérieure du panneau ne l’a pas touchée, la grande écaille inférieure a probablement amputé l’extrémité des pattes postérieures. Elle a surtout souffert d’une importante desquamation qui a profondément attaqué la paroi et la sculpture. Le support est très tourmenté, la surface originelle réduite : périphérie de la figure, principalement sous la ligne ventrale et entre la fesse et la queue. Contrairement à l’entité graphique n° 3, les coups d’outils métalliques ne paraissent avoir joué qu’un rôle très mineur dans cette dégradation. Presque tout le contour a été brossé et repassé au charbon. Deux tracés charbonnés sont même venus compléter la silhouette en prolongeant arbitrairement le dessin de la patte postérieure droite.

48Cet arrière-train de quadrupède de profil gauche s’inscrit dans la continuité des sculptures de chevaux (entités graphiques n° 1 et 3), bien que proportionnellement plus grand : 94 cm de haut et 81 cm de large. Son état, très dégradé et fragmentaire, rend son identification délicate, comme en témoignent les multiples lectures et interprétations dont il a fait l’objet : animal indéterminé (Lalanne et Breuil 1911), bison (Leroi-Gourhan 1965), bison ou cheval (Roussot 1984b). La croupe est angulaire, mais son contour desquamé a été légèrement creusé. La queue, fine et courte, est décollée de la fesse et tombante. Elle semble complète (fig.19). La fesse est plate. Une patte postérieure, longue et mince est posée sous le corps. Le jarret finement modelé est entaillé d’un anneau fracturé, dont seule la perforation droite est encore visible bien que rabaissée par un intense écaillage (fig. 20). Contrairement à A. Roussot (1972), nous pensons que la seconde patte, légèrement en arrière de la première, appartient à cet arrière-train, et non à une autre entité graphique. Leurs proportions et leurs formes sont en tous points similaires. En outre, la fesse de l’animal est scindée verticalement par une concavité étroite et allongée qui vient séparer la masse des deux fesses (fig. 19). La ligne ventrale est haute mais, son haut de relief ayant disparu, il est impossible d’estimer l’épaisseur originelle du corps. L’aspect général est celui d’un arrière-train d’herbivore. Les dimensions et la forme de la queue, la finesse de la fesse évoquent le bison ou l’aurochs. L’attache de la queue est, en revanche, celle du cheval. En dehors de ces éléments, aurochs, bison et cheval possèdent des arrière-trains assez proches (forme de la croupe, épaisseur du corps, forme et proportions des pattes postérieures). La longueur de la queue semble disproportionnée pour les caprinés et les cervidés. Une majorité des attributs de cet arrière-train relève donc plutôt d’un boviné (bison, aurochs).

Figure 19 - Détail de la fesse de l'entité graphique n° 5 (indéterminé n° 14 de A. Roussot), modelée en deux masses par une ligne centrale piquetée.
Figure 19 - Detail of the graphic entity n° 5 behind (A. Roussot undetermined n° 14), divided by a central picked line.

Figure 19 - Détail de la fesse de l'entité graphique n° 5 (indéterminé n° 14 de A. Roussot), modelée en deux masses par une ligne centrale piquetée.Figure 19 - Detail of the graphic entity n° 5 behind (A. Roussot undetermined n° 14), divided by a central picked line.

Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN.

Figure 20 - Anneau fracturé (perforation droite) sur le jarret delapatte postérieure gauche del'entité graphique n° 5.
Figure 20 - Broken ring (right hole) on the knuckle of the graphic entity n° 5 left hind leg.

Figure 20 - Anneau fracturé (perforation droite) sur le jarret delapatte postérieure gauche del'entité graphique n° 5.Figure 20 - Broken ring (right hole) on the knuckle of the graphic entity n° 5 left hind leg.

Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN.
Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN.

49Plusieurs types de relief se rencontrent. Les hauts de sculpture n’ont pas été conservés, excepté pour la queue, la patte postérieure droite et une portion du canon de la patte postérieure gauche, traités en demi-relief. La fesse a été exécutée en haut-relief. Au regard de la vingtaine de centimètres de volume de la croupe pourtant rabaissée, le relief de cette sculpture devait être très épais, à l’image des autres sculptures de Cap-Blanc. Le ventre possède toujours près d’une dizaine de centimètres de relief au niveau du pli de l’aine. Comme pour les chevaux, le volume des pattes et de la queue est moindre (respectivement 3,5 cm et 1 cm) par rapport à celui du tronc. La technique de mise en relief « en bassin » (Delporte 1990) diffère de celles observées sur les chevaux (entités graphiques n° 1 et 3), mais s’apparente assez à celle de la zone arrière du premier cheval (entité graphique n° 1). Malgré les difficultés posées par le degré d’altération du support, il est clair que cette figure a bénéficié d’un traitement technique fin et soigné. Le jarret de la patte postérieure gauche est représenté par un modelé délicat qui contraste d’ailleurs avec le traitement des antérieurs des deux chevaux (entités graphiques n° 1 et 3). La fesse a été méticuleusement façonnée par de petits enlèvements oblongs jointifs (fig. 19). Des traces rouge profond apparaissent en deux endroits : trois points vifs dans le fond de sculpture du canon de la patte postérieure gauche et une plage très évanescente dans la zone écaillée en avant de la ligne ventrale.

50Cet animal a-t-il été volontairement limité à son arrière-train (Lalanne et Breuil 1911 ; Roussot 1972) ? Est-il alors postérieur ou antérieur au second cheval (entité graphique n° 3) ? Ou bien cette restriction anatomique résulte-t-elle d’une destruction, d’une retaille au profit de la représentation du second cheval du panneau (Leroi-Gourhan 1965) ?

51D’une manière générale, les figures fragmentaires se réduisent presque toujours à des segments anatomiques discriminants (tête, avant-train, ligne cervico-dorsale, ramure), le but étant, selon le principe de la synecdoque, de « caractériser et résumer tout l’animal » (Lorblanchet 1993 - p. 212). Les arrière-trains isolés sont rarissimes. Dans notre cas, la nature de l’animal est loin d’être évidente. Les représentations fragmentaires sont exceptionnelles dans l’art pariétal sculpté et sont alors presque uniquement des têtes. Par contre, des morceaux de sculptures animalières se retrouvent fréquemment le long des parois, témoins de retailles. Il est, en effet, frappant de constater que les Paléolithiques ont laissé les reliquats des anciennes sculptures qui ne pouvaient pas être incorporées aux nouvelles et n’ont manifestement pas cherché à les effacer (Iakovleva, Pinçon 1997 ; Pinçon 2008). Au regard de ces éléments, il nous semble peu probable que cet arrière-train soit une représentation fragmentaire en tant que telle.

52Alain Roussot a également soulevé l’hypothèse d’une sculpture inachevée (Roussot 1972). Cette figure devait initialement être retaillée dans le second cheval (entité graphique n° 3), mais pour une raison inconnue, elle a été abandonnée en cours de réalisation. Seul l’arrière-train a été exécuté. Si effectivement ce bas-relief devait être taillé dans la masse de l’entité graphique n° 3, nous avons bien du mal à comprendre pourquoi l’artiste a donné un tel volume à la croupe. Il est évident qu’en intégrant la zone de dégagement du poitrail de l’entité graphique n° 3, le relief du tronc allait être profondément surcreusé en son milieu. Le volume de la croupe aurait ainsi dû être moindre. Pour respecter les masses corporelles de l’animal, le relief de cette croupe aurait obligé l’artiste à un investissement technique considérable, en creusant très profondément le support pour dégager l’avant-train. Face à la grande maîtrise technique des œuvres du Cap-Blanc, une telle maladresse paraît peu plausible.

53L’hypothèse de la figure fragmentaire s’appuie également ici sur celle de la mise en perspective de cet arrière-train avec le deuxième cheval (entité graphique n° 3). Ce dernier, situé au premier plan, masquerait le corps du second dont seule la partie postérieure ressortirait (Lalanne et Breuil 1911 ; Roussot 1972). Cette hypothèse est séduisante, mais se heurte à quelques questions. La perspective est évoquée pour des exemples de recouvrement corporel plus réduit, comme pour les deux premiers chevaux de la frise (fig. 3) ou les entités graphiques n° 1 et 3 du panneau de l’alcôve. La forme étrange du tronc à son extrémité ne s’accorde pas avec cette interprétation. Son contour supérieur plonge brutalement de la croupe sous le museau du cheval. Pourquoi donner un tel aspect émacié au flanc ? Pourquoi ne pas avoir arrêté le contour au niveau de la croupe et plus largement empiété sur la figure, comme sur les autres exemples que comporte la frise ? Ou, pourquoi ne pas avoir repris ce contour en arrière du museau ? Ce tracé paraît en définitive plutôt avoir été contraint par le dessin du museau de l’entité graphique n° 3.

54À nos yeux, cet arrière-train serait ainsi le vestige d’une sculpture plus importante, partiellement détruite au profit de la réalisation du second cheval (entité graphique n° 3). La profonde dégradation de ces deux entités graphiques nous prive malheureusement de toute certitude, notamment quant à l’antériorité supposée de la n° 5. L’écaillage du flanc ne permet plus de percevoir l’éventuel creusement de la tête de l’entité graphique n° 3. Les techniques de mise en relief distinctes des deux sculptures vont cependant dans ce sens, d’autant que le dégagement de l’entité graphique n° 5 est comparable à celui de l’arrière-train de l’entité graphique n° 1 (premier cheval) que nous avons précédemment identifié comme appartenant à une œuvre antérieure (première étape d’élaboration du panneau). Contrairement à l’entité graphique n° 1 (premier cheval), la surface rabaissée du corps de l’entité graphique n° 3 (second cheval) nous empêche de discerner d’éventuels volumes du tronc et de l’avant-train de la sculpture antérieure. Toutefois, la hauteur, la forme et l’inclinaison de la tête de l’entité graphique n° 3 ainsi que son emplacement sur l’entité graphique n° 5, en avant de la croupe, concordent bien avec le dessin de la bosse dorsale d’un bison (fig. 21). Déjà avancée par A. Leroi-Gourhan, cette hypothèse d’une retaille de bison expliquerait d’ailleurs la forme inhabituelle de cette tête, ogivale et appointée et les proportions différentes de l’animal vis-à-vis des autres chevaux de la frise, pointées par A. Roussot : « ce cheval est moins allongé que les précédents, comme si le sculpteur n’avait pas disposé d’assez de place pour tracer la figure à sa juste taille » (Roussot 1972 - p. 110). Le ré-emploi de la bosse dorsale du bison a contraint la réalisation de la tête du second cheval (entité graphique n° 3), notamment ses dimensions et, en conséquence, les dimensions du corps tout entier.

Figure 21 - Hypothèse de retaille de l'entité graphique n° 3 (cheval aux dépens de l'entité graphique n° 5 (bison ?).
Figure 21 - Hypothesis of the graphic entity n° 3 re-sculpture from the graphic entity n° 5 (bison ?).

Figure 21 - Hypothèse de retaille de l'entité graphique n° 3 (cheval aux dépens de l'entité graphique n° 5 (bison ?).Figure 21 - Hypothesis of the graphic entity n° 3 re-sculpture from the graphic entity n° 5 (bison ?).

La tête du cheval -oblongue et portée basse- s'intègre parfaitement au dessin de la bosse dorsale du présumé bison ; ses pattes antérieures pourraient reprendre l'emplacement de celles du bison.
The hung and long horse head perfectly fits the back hump outline of the presumed bison ; its forelegs could take the place of the bison forelegs.

Relevé C. Bourdier 2008.
Tracing by C. Bourdier 2008.

55Comme le premier cheval, le deuxième cheval aurait été réalisé aux dépens d’une sculpture antérieure. Dans cette hypothèse, il aurait été taillé dans une représentation de bison dont la bosse dorsale aurait été ré-utilisée pour la figuration de la tête. Le dégagement du cou et du poitrail du cheval aurait largement creusé le ventre du bison, dans toute sa hauteur, séparant l’arrière-train du reste du corps et créant la sculpture partielle que nous connaissons aujourd’hui (entité graphique n° 5). La projection des volumes présumés de ce bison initial (fig. 21) montre que les pattes antérieures du cheval pourraient correspondre à l’emplacement de celles du bison. Peut-être ont-elles été reprises et intégrées à la silhouette du cheval à la manière de la tête qui s’est fondue dans la bosse.

56Si, comme nous l’avons exprimé supra, nous ne pensons pas que l’entité graphique n° 5 procède d’une composition en perspective avec l’entité graphique n° 3, nous ne récusons pas la recherche d’un effet de profondeur après la sculpture de l’entité graphique n° 3 et l’isolement consécutif de l’arrière-train. Le contour du flanc de l’entité graphique n° 5 est surcreusé sur toute sa hauteur, par rapport à la zone de dégagement du poitrail du cheval. Ce surcreusement aménagé en pente douce participe à l’impression de perspective entre les deux figures. Il nous semble ainsi que, suite à la retaille partielle du bison en cheval, les Paléolithiques auraient conservé l’arrière-train du bison – fait assez fréquent lors de retailles - et auraient cherché à l’intégrer à la nouvelle composition en créant un jeu de profondeur, ce qui est, en revanche, plus singulier.

2.3 - Chronologie interne

57Trois moments dans l’élaboration de l’ensemble graphique du panneau de l’alcôve sont ainsi apparus : un premier ensemble de deux sculptures monumentales de profil gauche (dont l’entité graphique n° 5 est un reliquat), retaillées et partiellement détruites pour laisser place à deux bas-reliefs monumentaux de chevaux de profil droit (entités graphiques n° 1 et 3), auxquels ont finalement été associés les deux petits bisons dans le registre inférieur, l’un piqueté et l’autre en relief gravé (entités graphiques n° 2 et 4).

58Les deux sculptures monumentales ayant précédé les chevaux (entités graphiques n° 1 et 3) partagent une même technique de mise en relief - par ailleurs distincte de celles mises en œuvre pour les chevaux - mettant en avant leur probable contemporanéité. Si la représentation antérieure au second cheval paraît être un bison (entité graphique n° 5), la nature de la figure précédant le premier cheval n’a pas pu être précisément définie, bien que les volumes vestigiels étudiés suggèrent un boviné représenté tête baissée. La projection sur les reliefs considérés d’une silhouette de bison est assez frappante. Elle n’en demeure pas moins hypothétique (fig. 22).

Figure 22 - Hypothèse d'une première étape dans l'élaboration du panneau de l'alcôve : deux bas-reliefs monumentaux de bisons, de profil gauche, ayant précédé les grands bas-reliefs de chevaux.
Figure 22 - Hypothesis of the alcove panel first ornament : two left-profile monumental low-relieves of bison preceded the big low-relieves of horse.

Figure 22 - Hypothèse d'une première étape dans l'élaboration du panneau de l'alcôve : deux bas-reliefs monumentaux de bisons, de profil gauche, ayant précédé les grands bas-reliefs de chevaux.Figure 22 - Hypothesis of the alcove panel first ornament : two left-profile monumental low-relieves of bison preceded the big low-relieves of horse.

Cliché C. Bourdier, avec l’autorisation du CMN.
Photo C. Bourdier, courtesy of CMN.

59Les bas-reliefs monumentaux de chevaux (entités graphiques n° 1 et 3) constituent la deuxième étape graphique du panneau. Leur analogie – touchant à la fois aux dimensions, aux conventions graphiques et à leur attitude – plaide en faveur d’une réalisation commune. Elle répond à un véritable effet de composition, faisant écho à celle des deux premiers chevaux de la frise (fig. 3). Le premier cheval est inachevé au niveau de son arrière-main, soit que la sculpture ait été abandonnée avant son achèvement, soit que cet état d’inachèvement ait été voulu par les Paléolithiques.

60Les petits bisons (entités graphiques n° 2 et 4) diffèrent quant à leur technique et à la morphologie de leur ligne cervico-dorsale. Plus étonnamment, bien que beaucoup moins prononcée, la technique de mise en relief du second bison (entité graphique n° 4) est similaire à celle du premier cheval (entité graphique n° 1) : creusement oblique, abrupt, relativement large et régulier. Cette technique pourrait également être celle employée pour la ligne de dos du second cheval (entité graphique n° 3). Le lien avec le premier bison (entité graphique n° 2) est moins évident. Néanmoins, sa thématique, sa taille et son emplacement dans le registre inférieur du panneau le rapprochent immanquablement de l’autre bison. Rappelons qu’il s’appuie largement sur des éléments de la paroi : les macro-reliefs d’un écaillage pour le contour ventral et la patte postérieure, le relief de la patte antérieure droite du premier cheval (entité graphique n° 1) sur lequel il est exécuté pour la fesse et la croupe. Ses divergences vis-à-vis du second bison (entité graphique n° 4) pourraient ainsi être uniquement contextuelles. Pour la technique en particulier, le choix d’un piquetage léger pourrait répondre, comme l’avait déjà proposé A. Laming-Emperaire (1962), à la volonté d’épargner le premier cheval.

3 - éléments de réflexion sur la dynamique du dispositif pariétal

61Cette approche analytique du panneau de l’alcôve livre une vision plus complexe que celle de A. Roussot, en mettant en avant deux phases distinctes dans la construction du dispositif pariétal, avec deux ensembles graphiques bien individualisés. Un changement profond paraît effectivement s’opérer dans la composition entre une première étape avec des représentations monumentales de quadrupèdes (bisons ?) de profil gauche et une seconde étape où ces premières œuvres sont modifiées et partiellement détruites au profit de nouvelles sculptures monumentales de chevaux de profil droit, au repos, pattes jointes, tête basse. Dans cette deuxième phase, deux registres graphiques coexistent, à la technique, à la thématique et aux dimensions différentes : aux grands bas-reliefs de chevaux qui occupent tout le support sont associés dans la partie basse du panneau deux petits bisons, en léger relief. Dans l’hypothèse où les premières sculptures retaillées seraient des bisons, il est curieux de remarquer que les Paléolithiques n’ont pas hésité à les supprimer et à les remplacer par un nouveau thème (cheval), tout en conservant la thématique du bison en la ré-introduisant plus discrètement dans la composition. Ce panneau illustrerait une évolution de la thématique dominante et le changement de statut du bison au sein du discours pariétal.

62Cette dynamique de l’ensemble graphique pariétal n’est pas un fait exceptionnel. Ces mécanismes de retaille sont connus et de plus en plus documentés sur les frises pariétales sculptées depuis le Solutréen : Roc-de-Sers (Tymula 2002), Roc-aux-Sorciers (Iakovleva, Pinçon 1997 ; Pinçon 2008), Chaire-à-Calvin (Pinçon, Bourdier 2009), Reverdit (Bourdier 2009). Ce phénomène de transformation se rencontre par ailleurs dans de nombreux ensembles pariétaux peints et/ou gravés, en grottes profondes ou en plein air, où les œuvres, à défaut d’être techniquement détruites (retailles), sont masquées et effacées par un phénomène d’accumulation et de recouvrement (Combarelles, Font-de-Gaume, Foz Cõa, Pair-non-Pair…).

63Demeure la difficulté - pour ne pas dire notre incapacité en l’état actuel - à évaluer le laps de temps séparant les divers moments de création graphique. Les sites ornés et occupés offrent la possibilité d’appréhender cette chronologie pariétale par l’étude stratigraphique de leur remplissage (recouvrement des œuvres, éléments ornés effondrés dans les niveaux archéologiques) et encore par l’analyse du matériel archéologique au regard de la problématique pariétale (tracéologie du matériel lithique, études physico-chimiques des traitements des pigments, datations directes). Au Cap-Blanc, ces informations ne sont plus accessibles. Nous serions tentés de lier la dynamique graphique du panneau de l’alcôve à l’expression de deux « cultures » (techno-complexes) successives, en raison des retailles, c’est-à-dire d’un phénomène fort et définitif de destruction de sculptures antérieures au profit de nouvelles. Les études en cours sur le site du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l’Anglin, Vienne) révèlent, au contraire, de profonds remaniements techniques et thématiques du dispositif pariétal (gravures fines remplacées par une frise sculptée avec au moins un épisode de retaille clairement identifié) au sein du même techno-complexe, le Magdalénien moyen (III) à sagaies de Lussac-Angles (Iakovleva, Pinçon 1997 ; Pinçon 2008).

64Cette étude du panneau de l’alcôve offre également de nouveaux critères techniques et graphiques d’attribution chrono-culturelle. Les deux ensembles graphiques paraissent s’ancrer pleinement dans la tradition magdalénienne. Ils présentent de multiples parallèles avec les ensembles sculptés du Magdalénien moyen, notamment avec le site poitevin du Roc-aux-Sorciers : monumentalité des représentations, division technique et thématique de l’espace graphique (grands bas-reliefs sur le registre principal, petits reliefs légers sur le registre inférieur), anneaux réalisés sur les jarrets (fig. 23) (Iakovleva, Pinçon 1997).

Figure 23 - Bison sculpté sur le plafond de la Cave Taillebourg au Roc-aux-Sorciers.
Figure 23 - Carved bison on the Cave Taillebourg ceiling in Roc-aux-Sorciers rock-shelter.

Figure 23 - Bison sculpté sur le plafond de la Cave Taillebourg au Roc-aux-Sorciers.Figure 23 - Carved bison on the Cave Taillebourg ceiling in Roc-aux-Sorciers rock-shelter.

Sa patte postérieure gauche est brisée au niveau du jarret, à l'emplacement d'un ancien anneau.
Its left hindleg is broken, at the exact place of a previous ring.

Cliché L. Iakovleva, G. Pinçon -DRAC Poitou-Charentes- (Iakovleva, Pinçon 1997, fig. 1).
Photo L. Iakovleva, G. Pinçon -DRAC Poitou-Charentes- (Iakovleva, Pinçon 1997, fig. 1).

65La technique de mise en relief de la première phase de décor (relief en bassin de la zone en arrière de l’entité graphique n° 1 et de l’entité graphique n° 5) se rencontre également sur la frise de l’abri Reverdit (Sergeac, Dordogne) (fig. 24), rapportée au Magdalénien moyen (III), seule période d’occupation jusqu’à présent identifiée sur le site (Bourdier 2009). Même s’il est difficile de juger des conventions graphiques en raison de l’altération des œuvres, les chevaux montrent un respect des proportions anatomiques et des masses internes de l’animal. Les rapprochements régulièrement évoqués avec le cheval de la grotte voisine de Comarque (Delluc et Delluc 1981), en raison de sa taille grandeur nature (2,35 m) et du traitement détaillé de sa tête (œil, naseau, modelé de la bouche), sont ici inapplicables, les têtes des chevaux n’étant pas conservées. Les deux morphologies de ligne cervico-dorsale de bisons se retrouvent dans l’art pariétal magdalénien, notamment dans les dispositifs pariétaux locaux des Combarelles, de Font-de-Gaume ou de Rouffignac dont l’attribution chrono-culturelle demeure problématique (nombre de phases de décor, quelle place au sein du Magdalénien etc).

Figure 24 - Bison central de la frise sculptée de l'abri Reverdit (Sergeac, Dordogne).
Figure 24 - Central bison from the Reverdit rock-shelter carved frieze (Sergeac, Dordogne).

Figure 24 - Bison central de la frise sculptée de l'abri Reverdit (Sergeac, Dordogne).Figure 24 - Central bison from the Reverdit rock-shelter carved frieze (Sergeac, Dordogne).

Cliché A. Maulny 2007 avec l'autorisation de I. Daumas-Castanet.
Photo A. Maulny courtesy of I. Daumas-Castanet.

66Ces œuvres ne s’accordent pas, en revanche, avec les sculptures solutréennes dont elles ne partagent ni les conventions graphiques (« animaux-bassets » à membres courts et ventre pendant de A. Leroi-Gourhan) (Leroi-Gourhan 1965 ; Tymula 2002), ni les dimensions. Si au Fourneau-du-Diable les limites définies du bloc ont pu influer sur la taille des figures, cette éventuelle contrainte du support sur les dimensions données aux œuvres ne semble pas être intervenue au Roc-de-Sers dont les fragments ornés appartenaient à une frise pariétale, partiellement effondrée suite au recul du front rocheux de la falaise (Tymula 2002). Bien que les différentes techniques de mise en relief employées au Magdalénien soient inventées dès le Solutréen (Tymula 2002), les sculptures magdaléniennes se distinguent par un relief généralement plus prononcé.

67Dans le même temps, ce panneau dévoile des spécificités propres au Cap-Blanc à travers les dimensions impressionnantes de ses sculptures (de ses deux ensembles graphiques), le dégagement très profond et abrupt des bas-reliefs de chevaux et la composition de ces deux chevaux où la tête de l’un masque l’arrière-train de l’autre par un effet de perspective. Ces singularités empêchent toute précision chronologique entre une phase moyenne du Magdalénien et un stade plus avancé.

68Cette approche analytique livre une image plus complète et fidèle de cet ensemble graphique si complexe et si dégradé de l’alcôve qui a pourtant su garder toute sa force esthétique. Elle offre une vision renouvelée d’une portion de la frise pariétale du Cap-Blanc. Elle apporte une nouvelle contribution à la question de l’attribution chrono-culturelle que la reprise du matériel archéologique devrait permettre, nous l’espérons, d’éclairer davantage.