LES PREMIERES ARMES DU JEUNE BERLIOZ : (original) (raw)

LES PREMIERES ARMES DU JEUNE BERLIOZ :

LA M ESSE S OLENNELLE.

Par Jean Paul Penin

  1. Introduction (Pages 1-2)

  2. L��uvre (Pages 2-9)

  3. Conclusion et envoi (Pages 11-13)

FRAN�AIS

Peu apr�s la red�couverte de la Messe Solennelle de Berlioz (1992), les �ditions B�renreiter octroy�rent au jeune chef d�orchestre fran�ais Jean-Paul Penin l'exclusivit� de la recr�ation fran�aise de l'�uvre. Apr�s une br�ve pr�sentation des circonstances ayant men� Berlioz � �crire sa partition, Jean-Paul Penin en pr�sente chaque partie, autant sous l'angle de l'�criture que sous celui de l'interpr�tation. Que peut, que doit faire un interpr�te d'une oeuvre vierge de toute tradition, et pour cause, mais riche de tout un pass� qu'on ne peut ignorer ? Que faire d'une oeuvre d�savou�e par son cr�ateur mais dans lequel celui-ci a si largement puis� par la suite ? Avec sa conviction d'artiste et d�admirateur de Berlioz, � la fois comme musicien, par son �uvre, et comme homme, par ses �crits, Jean-Paul Penin apporte des r�ponses sans ambigu�t�. Par ricochet il retrouve le d�bat concernant l� �authenticit� historique � (instruments, techniques � d'�poque �) en ce qui concerne plus particuli�rement le r�pertoire romantique.

DEUTSCH

Kurz nach der Wiederentdeckung von Berliozs Messe Solennelle (1992), �berlies der B�renreiter Verlag dem jungen franz�sischen Dirigenten Jean-Paul Penin die ausschlie�lichen Rechte zur franz�sischen Wiedererschaffung dieses Werkes. Nach einem kurzem Abriss der Umst�nde,die zum Festlegen der Taktzahl f�hrten, pr�sentiert Jean-Paul Penin jedenTeil sowohl aus dem Blickwinkeldes Notentextes als auch aus dem der Interpretation. Was kann oder sollte ein Auff�hrender tun, wenn er ein Werk interpretiert, das unbeeinflusst von der Tradition und doch bereichert von einer gesamten vergangenen Epoche ist, was sich schwer ignorieren l�sst? Wie soll man ein Werk verstehen, das von seinem Sch�pfer verleugnet wird, aber aus dem dieser sp�ter soviel wieder verwertete. Dank seines k�nstlerischen Bekenntnisses zu Berlioz und seines Wissens sowohl �ber Berliozs Musik als auch �ber seine Pers�nlichkeit, liefert Jean-Paul Penin einige eindeutige Antworten. Mit �berzeugenden musikalischen, �sthetischen und philosophischen Argumenten �berf�hrt er schlie�lich diejenigen, die sich auf sogenannte historische �Authentizit�t� berufen (Instrumente und Techniken der Epoche, oder solche, die daf�r gehalten werden). (�bersetzung : Frost-R�ber).

ENGLISH

Shortly after the rediscovery of Berlioz�s Messe Solennelle (1992), B�renreiter Publishing granted the exclusive rights to the French recreation of this work to the young French conductor Jean-Paul Penin. After a brief outline of the circumstances which led to the writing of the score, Maestro Penin presents each part, as much from the angle of the writing as from the one of interpretation. What can or should a performer do when interpreting a work unencumbered by tradition and yet rich from an entire past which is impossible to ignore ? What is to be done with a work disowned by its creator but from which he drew so much afterwards ? By virtue of is artistic faith and knowledge of both Berlioz�s music and writings, Jean-Paul Penin provides some unambiguous answers. As an indirect corollary, with strong musical, aesthetic and philosophic arguments, he also nails to the mast those ones who claim a so-called romantic period historical authenticity (alleged �period instruments� and techniques).

� Il me semble �vident que je r�ussirai� �

Hector Berlioz

I. Une red�couverte

Le manuscrit d�une sonate de Beethoven, que l�on d�couvrirait dans un grenier des bords du Rhin ; celui d�un Nocturne de Chopin, �mergeant d�une biblioth�que de Cracovie ; un cahier de vers, quelques pages d�un oratorio, un acte d�op�ra du jeune Wagner, s��chappant d�une pile de vieux papiers, lors d�un d�m�nagement familial ? Improbable, inimaginable, impossible, n�est-ce pas� ? Le monde musical en �moi, les sp�cialistes fourbissant leurs analyses, les maisons de disques sur le pied de guerre� C�est tr�s exactement ce qui se passa au printemps 1993, quelques mois apr�s la d�couverte de cette Messe Solennelle juv�nile que Berlioz dans ses _M�moires_affirmait avoir d�truite, peu apr�s sa deuxi�me ex�cution.

L�influence de Lesueur, professeur de composition au Conservatoire, fut d�cisive sur la formation non seulement musicale mais intellectuelle du jeune Berlioz, dont la Messe Solennelle repr�sente pour nous le premier aboutissement, puisque nous ignorons � peu pr�s tout des oeuvres, des �bauches d��uvres, plut�t, datant de cette �poque[1]. L�originalit� de Lesueur a �t� de replacer la technique d��criture dans une logique, dans un ensemble esth�tique plus vaste et coh�rent. Il avait par exemple �chafaud�, compositeur et metteur en sc�ne de certaines des grandes liturgies r�volutionnaires, toute une th�orie qui allait jusqu�� inclure les caract�ristiques du lieu du concert, son acoustique, notamment, consid�r�e virtuellement [comme] un �l�ment musical, au m�me titre que l�harmonie et la m�lodie[2] : son Chant du 1er Vend�miaire, qu�il donna aux Invalides le 22 septembre 1800, mettait en �uvre quatre groupes orchestraux et vocaux plac�s aux quatre coins de l��glise.

Lesueur comprit de quel bois �tait cet �tudiant plus musicien que savant. Il lui fit entre autre rencontrer, en Mai 1824, Etienne Masson, Ma�tre de Chapelle de l��glise Saint-Roch, qui lui proposa d��crire rien de moins qu�une messe enti�re : occasion inesp�r�e, pour le jeune compositeur, de se faire entendre � Paris. Celui-ci, enthousiaste, consacra l�automne � sa Messe, ainsi qu�� sa mise en �uvre : il lui fallait trouver un orchestre, ainsi qu�un chef, les forces chorales de Saint-Roch �tant en principe acquises. Pour le chef, tout alla bien[3]. Quant au reste� Le r�cit, dans les M�moires, de la r�p�tition g�n�rale du 27 d�cembre 1824, d�sastre absolu, fait partie des grands morceaux d�anthologie de l�hagiographie berliozienne[4]. Mais le gar�on ne se laissa pas abattre : � Le peu de ma composition malheureuse que j�avais entendue, m�ayant fait d�couvrir ses d�fauts les plus saillants, [�] je refis cette messe presque enti�rement �. Le cur� de la paroisse fixa une nouvelle date pour l�ex�cution de l��uvre : le 10 juillet suivant. Et cette fois-ci, tout marcha � merveille. La presse en loua la verve, l�imagination, les couleurs, la force. Mais ce qui dut faire le plus plaisir au jeune Berlioz, en lutte ouverte avec sa famille, qui le souhaitait ailleurs que sur les planches, fut sans doute la r�action de Lesueur : � Venez que je vous embrasse ; morbleu, vous ne serez ni m�decin ni apothicaire, mais un grand compositeur ; vous avez du g�nie, je vous le dis parce que c�est vrai [5] �.

Deux ans apr�s, le 22 novembre 1827, � Saint-Eustache, ce fut sous la direction du compositeur lui-m�me qu�eut lieu la seconde ex�cution de la Messe Solennelle. Berlioz n��tait plus un inconnu : il venait de concourir pour le Prix de Rome. Et surtout, son �volution artistique allait vite, incroyablement vite, le propulsant hors des sentiers battus, et tr�s loin devant son �poque[6]. La Messe Solennelle n�eut jamais les honneurs de l�opus 1 : � Apr�s cette nouvelle �preuve, ne pouvant conserver aucun doute sur le peu de valeur de ma messe, j�en d�tachai le Resurrexit_, dont j��tais assez content, et je br�lai le reste_[7] �.

Par quel miracle, alors, le chef de ch�ur Frans Moors en d�couvrit-il la partition � Anvers, plus d�un si�cle et demi apr�s ce pr�tendu autodaf� ? Une note en bas de page du manuscrit explique la pr�sence du document � Anvers : � La partition de cette Messe enti�rement de la main de Berlioz m�a �t� donn�e comme souvenir de la vieille amiti� qui me lie � lui, [sign�] A.Bessems, Paris 1835[8]. Les flammes, si flammes il y eut, n�avaient donc consum� que le mat�riel d�orchestre, �pargnant la grande partition. Apr�s la mort de Bessems, en 1868, c�est son fr�re Joseph, ma�tre de Chapelle � Saint-Charles Borrom�e d�Anvers, qui la r�cup�ra. Le reste appartient � l�histoire contemporaine. Les �ditions B�renreiter, une fois que Hugh Macdonald e�t authentifi� le manuscrit d�couvert, se charg�rent de l�inclure dans leur grande �dition compl�te des �uvres de Berlioz[9]. Dans les premiers jours d�octobre 1993, la Messe Solennelle fut recr��e simultan�ment en Allemagne, par un ensemble d�instruments � authentiques �[10], et en France, sous ma direction, en la basilique de V�zelay, par la Philharmonie Nationale de Cracovie, avec laquelle j��tais en tourn�e � ce moment l�. Radio-France et France-T�l�vision purent alors en effectuer le premier enregistrement mondial[11].

II L��uvre

La Messe Solennelle_est d�coup�e en quatorze mouvements, qui correspondent � l�ordinaire de la liturgie (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei), dont � certains des versets est r�serv� un d�veloppement particulier, ce qui les fait gratifier d�un num�ro entier. Il s�agit, dans le Gloria, du Gratias et du Quoniam ; et dans le Credo, de l�_Incarnatus, du Crucifixus et du Resurrexit. L��uvre contient �galement, n�appartenant pas � l�ordinaire de la messe, un Motet pour l�offertoire, un O Salutaris, et un Domine salvum, ainsi qu�une introduction orchestrale. L�orchestre est classique, bois par deux[12], quatre cors, deux trompettes, trois trombones, timbales, cymbales et tam-tam (pas de grosse caisse), une harpe. Deux instruments, propres � l��poque, le buccin et le serpent, ont quelques interventions ponctuelles[13]. Les solistes sont au nombre de trois, soprano, t�nor et basse, et le ch�ur est divis� en quatre parties, nomm�es, selon la coutume de l��poque, Dessus,Hautes-contres, Tailles et Basses-tailles[14].�

C�est un court pr�lude orchestral en r� majeur, Introduction, qui ouvre la Messe Solennelle. Ces vingt-trois mesures resteraient assez convenues sans la cassure brutale d�une belle ligne d�altos, pianissimo, par un accord de tout l�orchestre, bois dans l�extr�me aigu, fortissimo, cuivres et timbales. Saut de registre, changement de couleur : l�effet de surprise est remarquable. L�introduction se termine sur un accord de septi�me diminu�e de r� mineur portant la didascalie : de suite le Kyrie.

Le premier th�me, en r� mineur, de ce Kyrie (No 1) est construit en fugato[15]. D�une belle intensit� lyrique, son originalit� tient � plusieurs �l�ments. Un mi b�mol soudain, aux violons, d�s la cinqui�me mesure, est entendu tr�s classiquement en sixte napolitaine. Il appartient en fait � un sol mineur confirm� seulement � la mesure suivante (fa di�se des premiers et seconds violons) : c�est la ligne ici qui construit l�harmonie, et non le contraire[16]. Quant au fortissimo, peu apr�s, d�un r� en octave � vide, qui ponctue une carrure de huit mesures, comment le remplir ? R� majeur, r� mineur, quarte et sixte, dominante de Sol ? L� encore, l�auditeur �gar� doit attendre la mesure suivante pour conna�tre la r�ponse : r� mineur. Faut-il voir l�, juste apr�s les sauts de couleurs orchestrales de l�introduction, le germe, chez le jeune Berlioz, de ces merveilleuses maladresses qui rendront sa musique tellement originale, reconnaissable entre mille, et surtout, rien moins que reposante ? Il reprendra ce th�me, pour l�amplifier, treize ans plus tard, dans la fugue de l�Offertoire du Requiem, en utilisant exactement le m�me proc�d� harmonique et dynamique.

Le verset correspondant au Christe eleison, assez dramatique, reprend trois fois le mot Christe, un ton plus haut, et toujours sur une septi�me diminu�e. Le Kyrie � son tour est repris, emport� dans un v�ritable tourbillon en R� majeur, accelerando,crescendo, parfaitement ma�tris�. Le compositeur lui-m�me faillit pourtant s�y noyer � Quand j�ai entendu le crescendo de la fin du Kyrie, ma poitrine s�enflait comme l�orchestre, les battements de mon c�ur suivaient les coups de baguette du timbalier[17] �. Les contemporains ne s�y tromp�rent pas : tout cela n�est pas d�un �l�ve, mais d�un grand ma�tre[18].

C�est une introduction orchestrale en Sol majeur, d�accords massifs de bois et de cors, puis virtuose, des cordes, qui m�ne au premier verset d�un Gloria (No 2) plein de fougue, dont la scansion vocale �voque des vol�es de cloches qui r�pondent � des traits de violons, � des gammes � fus�es �, aux violoncelles et aux contrebasses[19]. L�originalit� de ce premier ch�ur fut particuli�rement appr�ci�e : � Ch�ur ravissant ; d�une touche suave et enti�rement neuve ; chant pur, simple et tout � fait neuf[20] �. Si le compositeur se r�jouit de ces douceurs, il n�a aucune illusion sur son public : � le peuple des amateurs s�est prononc� en faveur du Gloria in excelsis, morceau brillant et en style l�ger ; c��tait immanquable [21]�.

Le th�me du Laudamus te qui suit est appel� � un bel avenir : ce sera celui du Carnaval Romain dans Benvenuto Cellini. Les sopranes et les alti � l�unisson le proposent avec l�entrain que quelques ann�es plus tard la jeune Teresa mettra � retrouver son amant lors de la sc�ne du Carnaval� M�lodie l�g�re, pas plus incongrue que certaines des sautillantes polissonneries pour orgue de Lef�bure-W�ly qui �baudiront bient�t les paroisses parisiennes. Expos� une premi�re fois en R� majeur, le th�me est repris en Sol, sur un traitement du texte, disloqu�, pour le moins original[22]. En ses alternances tonales Sol-R�, le traitement de ce verset peut sugg�rer une forme sonate car il oppose deux th�mes bien marqu�s, s�par�s par un Glorificamus te qui d�veloppe un �l�ment, aux t�nors et aux basses, emprunt� au second. C�est donc tr�s logiquement en Sol majeur que l�ensemble se conclut, apr�s un _accelerando_d�bouchant sur de tr�s larges accords, pianissimo. Ils m�nent � une belle cadence plagale, le verset ayant alors retrouv� tout le recueillement qui sied au saint lieu.

Le Gratias agimus tibi (No 3) suivant d�bute par une introduction d�orchestre seul, 6/8, � la croche, au tempo d�tendu : andante grazioso, en un long th�me tranquille de 28 mesures. Il s�agit de celui que Berlioz, bient�t, affectera � la Sc�ne aux Champs de la Symphonie Fantastique. Mais ce n�est pas tout � fait la Sc�ne aux Champs : nous sommes en mi majeur, et non en fa. La clarinette double ici les violons, et non la fl�te ; il manque les pizz. des cordes graves, les contre-chants de clarinette et de cor. Bref, il s�agit l� d�une �bauche, d�une simplicit� �mouvante, ou, plus exactement, qui semble � notre oreille moderne d�une simplicit� �mouvante (Cf. conclusion). Le ch�ur reprend le th�me initial, aux voix de femmes, d�abord, puis de t�nors, dont la belle ligne m�lodique atteint des la aigus rien moins que commodes � soutenir[23].

Tout ce _Gratias_est apais�, d�un calme que la connaissance que nous avons de la Sc�ne aux Champs post�rieure doit n�anmoins nous �viter de qualifier de bucolique (on y reviendra, l� aussi, en conclusion) ; il est recueilli, voil� tout, et se termine par une r�exposition du th�me, pianissimo, dans le grave des premiers violons et le medium des violoncelles. Cette belle sonorit� de cordes, en tierces parall�les, doubl�e par les deux bassons, est �clair�e soudain par les deux fl�tes donnant la tonique et la quinte de l�accord final.

Le contraste n�en est que plus violent avec le fortissimo, Allegro vivace, du Quoniam (No 4). Une fugue�

� Brander : �Une fugue, un choral, improvisons un morceau magistral. � M�phisto, � Faust : Ecoute bien ceci ! Nous allons voir, Docteur, la bestialit� dans toute sa candeur[24]. Le contrepoint, le canon, la fugue : le g�nie du romantisme ne se reconna�t pas dans celui, non moins romantique d�ailleurs, mais plus exigeant, de Buxtehude et de Bach[25]. Et le tr�s romantique Berlioz entretiendra toute sa vie des rapports tumultueux avec ce qu�il ne prenait que pour une simple ferblanterie intellectuelle, �liminatoire aux examens, qui plus est, et � celui du prix de Rome, en particulier, o� il venait justement, en 1827, de se faire �taler. Fl�tes, hautbois, bassons, cors, trompettes, timbales : cette fugue se veut martiale, courte et brillante. Admettons qu�il s�agit l� de ses qualit�s principales. Son auteur ne s�y est pas tromp�, qui en biffa, rageur, la premi�re page du manuscrit : _il faut refaire cette ex�crable fugue_�[26]

Bien entendu, l�impression que nous procure le saut brutal du La majeur du Quoniam, c�est � dire la fin du Gloria, au do mineur du Credo (No 5), n�est en rien la volont� du compositeur. La Messe Solennelle estune messe, un bon quart d�heure, et un sermon, s�parent en th�orie les deux morceaux. Les num�ros pr�c�dents ne faisaient intervenir que le ch�ur. C�est � un soliste, la basse, que Berlioz confie le premier verset du Credo, musique dramatique, sinon violente[27]. Le verset Deum de Deo, lumen de lumine est ensuite expos� sur une sorte de cantus firmus accompagn� du cor[28].Lesueur, qui avait la r�putation d��tre un savant musicien d��glise, a-t-il initi� son �l�ve aux arcanes de l�Organum et de l�Ecole Notre-Dame ? Berlioz, en effet, reprend le proc�d� m�di�val de la teneur, pour �tirer en notes longues le chantinitial, sur l�entr�e des sopranos, fortissimo. L�effet de cette irruption soudaine est vraiment magnifique, d�une rudesse grandiose, renforc�e par le staccato lancinant des cordes dont chaque pupitre est affect� d�un rythme diff�rent, mais toujours haletant. Remarquable �conomie de moyens, superbe mise en sc�ne[29].

Le verset se termine par un effet un peu convenu qui illustre, en gammes descendantes aux cordes, les mots descendit de c�lis, et m�ne, pianissimo, � l�**Incarnatus(No 6)**, duo pour soprano et basse, en Ut majeur. Il s�agira l� de la seule intervention de la soliste. Est-ce pour cela que Berlioz eut, semble-t-il, l�id�e de supprimer totalement la basse de ce num�ro[30] ? Toute l�atmosph�re de ce morceau, qui d�bute sur deux cors solos, un peu lointains, est proche de celle, trente ans plus tard, de l�Enfance du Christ. Sa d�licatesse, sa simplicit�, avec ses ponctuations de hautbois, ses trilles de fl�tes, �voquent la sc�ne de l�Adieu des bergers, ou du Repos de la Sainte Famille. Un trait de violoncelles, tr�s �l�gant, au l�ger staccato, scand� � deux reprises d�une mesure confi�e aux bois et aux cors, vient, peu apr�s l�introduction, accompagner la soliste et l�orchestre. L�entr�e de la basse provoque une obscurcie soudaine, suivie par une dramatisation de septi�mes diminu�es et de neuvi�mes mineures. Mais, souveraine, la soliste ram�ne le calme, et le dialogue vient s��teindre, toujours soutenu par la ligne des violoncelles, sur un dernier accord, tout simple, pianissimo, de Do majeur.

R�veil brutal de cordes fortissimo : la didascalie de Berlioz lui-m�me est imp�rieuse. De suite le Crucifixus (No 7). Couleur sombre, ut mineur, th��tralisation extr�me : des sauts de septi�mes diminu�es aux bois et aux violoncelles r�pondent avec v�h�mence aux octaves et aux septi�mes des basses du ch�ur. Les sopranes les rejoignent alors, pour tisser avec l�orchestre, en dixi�mes parall�les et chromatiques, des encha�nements de septi�mes diminu�es, proc�d� dramatique simple mais efficace[31]. La conclusion de ce Crucifixus est particuli�rement originale, annonc�e par 5 appels de cors, � l�octave[32]. Que voir, que chercher dans ces 5 octaves, un peu plus anim�,suspendues au dessus des seuls violoncelles et contrebasses ? Musique pure, musique descriptive ? Sans doute faut-il se contenter de les faire bien sonner, ces cors, avec un l�ger crescendo d�intention (accentuation, dynamique), afin d�offrir une logique interne � cette courte phrase, qui d�bouche sur un accord de sixte augment�e, fortissimo. L�ensemble bascule alors de Sol � R� majeur, introduction on ne peut plus orthodoxe au sol mineur du num�ro suivant,Resurrexit (No 8).

Un chef d�oeuvre� Ce Resurrexit, que le compositeur reconnut avoir sauv� des flammes, repr�sente le mouvement central et le plus d�velopp� de sa Messe Solennelle : trois parties bien distinctes, pas moins de 400 mesures. Mais cette avalanche de notes ne serait rien sans l�extraordinaire invention, sans le foisonnement, l�imagination, l�enthousiasme d�un g�nie qui d�borde d�id�es.

La premi�re section, Allegro vivace, se divise en deux �l�ments. Si leur tempo reste inchang�, tout les oppose. Le premier �l�ment, fortissimo, en sol mineur, aux notes tr�s staccato, illustre les paroles Et resurrexit. Brillant, il �voque certains ch�urs de Haendel, � l�enthousiasme consciencieux. L� n�est pas l�important. Le second �l�ment, en effet, est un superbe legato, sur la phrase Sedet ad dexteram Patris, en Sol majeur, des bois et du ch�ur en mouvement parall�le, accompagn� des pizz. du quatuor. Il faut admirer combien le phras� musical y suit les diff�rents niveaux d�accentuation propres au gr�gorien, en utilisant la merveilleuse souplesse de carrures irr�guli�res � deux, trois ou cinq mesures[33]. Mais rupture soudaine : le calme est bris� par une cadence rompue qui laisse �clater une superbe fanfare, en mi b�mol, Andante maestoso[34]. Alternant les longues tenues et les appels de courtes notes staccato, elle aboutit � un formidable point d�orgue, renforc� d�un roulement de timbales, fortissimo, et surtout d�un magistral coup de tam-tam, qui annonce le solo du Et iterum venturus est [35].

Apr�s cette introduction foudroyante, et pour d�crire la suite, il faut laisser la plume au compositeur lui-m�me.

� � Pour mon compte, j�avais assez bien conserv� mon sang-froid jusque l�, et il �tait important de ne pas me troubler. Mais quand j�ai vu ce tableau du Jugement Dernier, cette annonce chant�e par six basses-tailles � l�unisson ; ce terrible clangor tubarum[36], ces cris d�effroi de la multitude repr�sent�e par le ch�ur, tout enfin rendu exactement comme je l�avais con�u, j�ai �t� saisi d�un tremblement convulsif que j�ai eu la force de ma�triser jusqu�� la fin du morceau, mais qui m�a contraint de m�asseoir et de laisser reposer mon orchestre pendant quelques minutes [37]�.�

Lors de la premi�re ex�cution, Berlioz s��tait content� de tenir la partie de tam-tam, mais l�impression n�avait pas �t� moins vive :

Dans l�Iterum venturus est, apr�s avoir annonc� par toutes les trompettes et trombones du monde l�arriv�e du jugement supr�me, le ch�ur des humains s�chant d��pouvante s�est d�ploy�. O Dieu ! Je nageais sur cette mer agit�e, je humais ces flots de vibrations sinistres ; je n�ai voulu charger personne du soin de mitrailler mes auditeurs, et apr�s avoir annonc� aux m�chants, par une derni�re bord�e de cuivres, que le moments des pleurs et des g�missements �tait venu, j�ai appliqu� un si rude coup de tam-tam que toute l��glise en a trembl�[38].

Mer agit�e, vibrations sinistres, mitraillage des auditeurs, incontestablement, dans cet Iterum venturus est, le compositeur l�che sa bord�e, pour reprendre une expression qui fut employ�e ce jour-l�[39]. Fulgurances d�une autorit� juv�nile et souveraine, de ce Resurrexit, il faudrait tout citer, tant les couleurs de cet orchestre-l� sonnent de mille feux, et pas une mesure n�est de trop. La presse fut unanime : il s�agissait bien l� d�un chef-d��uvre, � colossal et terrible, � la vigueur effrayante[40] .

La suite de la Messe Solennelle ne risque-t-elle p�tir d�un tel paroxysme ? Rythmes point�s aux cordes seules, le contraste est curieux, entre les d�ferlements apocalyptiques du Resurrexit et les quatre mesures de la classique ouverture � la Fran�aise qui introduit le morceau suivant, Motet pour l�Offertoire. En sol majeur, pour basse solo et ch�ur, il n�offre rien de bien saillant, si ce ne sont les quelques frissons, un peu convenus, sur le mot_terribilis_, encadr�s de gammes descendantes aux bassons et aux cordes graves, et des violons dans l�extr�me aigu.

Le Sanctus (No 9) suivant, en mi mineur, tout d�all�gresse, est d�une belle tenue, dialogue entre le ch�ur et l�orchestre, structur� par un rythme croche point�e-double des cordes. Le Hosanna in excelsis, chant� en l�unisson avec les cordes, est vigoureux, et m�ne � une r�exposition en Mi majeur. Joie, vigueur, �nergie : � l�occasion du verset Pleni sunt c�li, Berlioz se pr�te� m�me � un petit jeu chromatique, r� di�se/r� naturel, la di�se/la naturel, qui a d� faire tressaillir quelques perruques.

De m�me que le Motet pour l�Offertoire, la pi�ce suivante, O Salutaris (No 10), en Ut majeur, n�appartient pas au commun de la liturgie. Le compositeur le consid�rait comme tout simple[41], et de fait le th�me en est gracieux, vraiment, m�lodieux, d�abord expos� par la moiti� du pupitre de sopranes, repris par le pupitre entier, puis d�velopp� par le ch�ur au complet. La forme est sans complication, couplets-refrain, agr�ment�e d�une coda color�e d�arp�ges de harpe. Dans son compte-rendu, Le Corsaire voulut bien voir dans cet ensemblefort serein une musique du plus noble et du plus religieux effet[42]_,_tandis que Madame Lebrun, c�l�bre soliste de l�op�ra, accostait, sans finasseries excessives, le jeune compositeur � la fin de la messe : � F�, mon cher enfant ; voil� un O Salutaris qui n�est point piqu� des vers, et je d�fie tous ces petits b� des classes de contrepoint du Conservatoire d��crire un morceau aussi bien ficel� et aussi cr�nement religieux [43] �.

Berlioz fut assez satisfait de son Agnus Dei (No 11) pour le recopier int�gralement dans le Tu ergo qu�sumus du Te Deum, vingt ans plus tard[44]. Le th�me est avec variations, qui correspondent aux trois versets habituels. Cet Agnus est r�serv� au t�nor solo, le pupitre des sopranes en ponctuant la fin de chaque verset, � l�unisson d�abord, puis divis�es en deux puis en trois[45]. L�orchestration est d�une grande retenue : deux fl�tes, deux hautbois, deux bassons, un seul cor, qui double les premiers violons dans le premier �nonc� du th�me principal, imm�diatement repris par le soliste. L�ensemble est tr�s recueilli, et la tonalit� de sol mineur lui offre une profondeur remarquable, ainsi qu�une couleur assez sombre. Trop, peut-�tre : un critique le jugea beaucoup trop triste pour une messe solennelle[46].

L� se termine l�ordinaire de la liturgie. Mais il �tait d�usage, � l��poque, de proposer un dernier morceau en hommage au souverain : apr�s 1815, Lesueur, en parfait compositeur officiel, n�aura qu�� substituer, dans ses messes �crites pour Napol�on, le mot regem � celui d�_imperatorem_� De ce Domine, salvum fac regem, qui conclut donc la Messe Solennelle, Berlioz aurait pu ne faire qu�une tonitruance � l�enthousiasme de commande, en R� majeur, avec grosse caisse, cymbales, et tout. Mais ce Grand final est une parfaire r�ussite, t�moignant au contraire de retenue, ainsi que d�une ma�trise parfaite des rapports de tonalit�s, de la progression des jeux de lumi�re[47].

Apr�s l�introduction orchestrale en r� mineur, la ligne du t�nor, puis de la basse, s�inscrit dans un accord de septi�me diminu�e, � tragique � s�il en est, tout � fait hors de propos pour un texte exhortant au salut du monarque. C�est alors que les sopranes et les alti reprennent en Fa majeur, et ce simple saut de tierce, associ� � la couleur des voix de femmes, offre au verset un tr�s bel �clairage. Mais bien vite on retourne � l�ombre d�un sol mineur dramatis� par un m�lisme de tierce diminu�e do di�se-mi b�mol, tr�s expressif. Tout cela ne manque ni d��lan ni d��motion, mais reste un peu triste, d�autant plus que lorsque le R� majeur attendu arrive enfin, ce n�est que pour d�boucher sur un canon � trois, piano, tr�s doux, d�un ch�ur qui se termine par l�appel angoiss� des deux solistes sur une quinte � vide si-fa di�se : Exaudi nos Domine. Alternance, ensuite, de mi mineur (avec, � nouveau le m�lisme de tierce diminu�e), et de si mineur, le tout �voluant entre piano et mezzo-forte: l�horizon reste d�sesp�r�ment bouch�. C�est alors qu��clate le final, hymne triomphal, sur un th�me tellement simple et puissant que l�on s��tonne presque qu�il ne soit pas devenu l�embl�me musical de la nouvelle Restauration que Charles X mettait en place, exactement au m�me moment[48]

III En guise de conclusion et d�envoi.

La_Messe Solennelle_ de Berlioz, un � brouillon �, un � _atelier_� du g�nie[49]?

On a souvent lu, dans ces quelques paragraphes, que le compositeur avait emprunt� tel fragment, telle m�lodie, � sa Messe Solennelle, cinq, dix, vingt ans apr�s, au b�n�fice de telle �uvre, Symphonie Fantastique, Requiem, Benvenuto Cellini, Te Deum, au risque de se voir accuser d�auto-plagiat. La s�v�rit� du terme, utilis� parfois lors de la recr�ation de la Messe, en 1993, est excessive, et surtout, anachronique[50]. De cette Messe Solennelle on a relev� quelques faiblesses. Faisons-nous l�avocat du diable. Le compositeur n�en a-t-il pas sauv� le meilleur, abandonnant le reste � son destin de mort-n� ? M�ritait-elle les honneurs d�une exhumation, apr�s cent soixante-cinq ans de poussi�re et d�oubli ? Cette question a �t� pos�e par la presse sp�cialis�e et m�ritait de l��tre, � double titre. D�ontologique, d�abord. Le compositeur a d�savou� son �uvre au point de la d�truire, ou de pr�tendre l�avoir fait, dans des M�moires destin�s au public, ce qui revient donc au m�me. Avons-nous le droit, interpr�tes modernes, d�aller contre sa d�cision ? Beethoven a pris soin de souligner combien il tenait � un Fidelio (1814) qui, dans son esprit devait faire oublier le four qu�avait �t� L�onore (1805). Malgr� tout, notre �poque a jug� bon, pour des raisons diverses, de reconstituer cette L�onore, � son grand dam, d�ailleurs, car elle accuse bien ses faiblesses face � Fidelio, et laisse le public sur sa faim : Beethoven avait raison. Mais Dukas a d�truit une grande partie de ses manuscrits peu avant sa mort. A l��coute, � l��tude de la Symphonie en ut ou d�Ariane et Barbe-bleue, quel musicien peut ne pas le regretter, profond�ment ? Certes, lorsque je dirige la Messe Solennelle, j�avoue ne pas �tre bien s�r de l�approbation du compositeur, qui, de quelque part, doit surveiller tout cela du coin de l��il. Et pourtant� Il ne peut que constater, �galement, quel succ�s, quel triomphe, immanquablement, l��uvre remporte en concert, lorsque les interpr�tes s�y donnent feu et flammes. Un cr�ateur est-il toujours le meilleur juge de son �uvre ? Ne faut-il pas rester persuad� que le public sait d�instinct rep�rer le talent ? Alors, assumons la d�cision, et oui, mille fois oui, jouons cette Messe, dans son int�gralit�, ensemble coh�rent, t�moignage exceptionnel de la pens�e d�un jeune artiste dans la pleine �closion de son g�nie.

Mais l� n�est pas le plus important. Cette �uvreen effet, et tr�s pr�cis�ment parce que le compositeur y puisa si largement par la suite, nous plonge au c�ur d�un d�bat tr�s actuel : celui que nous avons de la perception de l��uvre d�art, et plus particuli�rement de l��uvre d�art du pass�. Et pour le musicien, confront� actuellement au d�bat, virulent, rarement bien �tay�, portant sur l�authenticit� historique (instruments dits � d��poque �, techniques anciennes de jeu, ou pr�tendues telles), cette interrogation n�est-elle pas essentielle ?

� Plus vastes sont nos connaissances d�une p�riode, plus il nous est facile de p�n�trer l�esprit de ses �uvres d�art. Mais il ne faut pas se faire d�illusions, beaucoup de ses significations essentielles nous �chapperont. Une �norme quantit� de ces significations sont d�finitivement perdues. Ainsi nous arrive-t-il de nous replier sur une fausse interpr�tation de l��uvre d�art, un succ�dan�, qui consiste en une lecture fond�e non point sur l��uvre d�art elle-m�me, mais sur ce que nous voudrions qu�elle soit[51]. �

A cette Messe Solennelle, � la fois libre de toute tradition interpr�tative, et pour cause, mais indissociable, pour nous, de tout un pass� d�ex�cutions berlioziennes, quelle interpr�tation offrir, quelles r�gles appliquer ? N�en pas avoir, bien entendu, et suivre le seul et le plus bienveillant des ma�tres, le discours musical, c�est-�-dire les �motions qu�il �veille en nous, musiciens modernes.

Qu�est une interpr�tation, sinon le point de jonction d�un texte et d�un go�t ? D�un texte ancien, dans ce cas, et de notre go�t moderne. La recr�ation fran�aise de l��uvre, on l�a dit, a eu lieu en la basilique de V�zelay. V�zelay, magnifique vaisseau de pierre que notre �poque serait choqu�e de voir, comme celui d�Autun, pas tr�s loin de l�, bariol� de vives peintures polychromes. Et pourtant... Ce beau calcaire blond de Bourgogne, ces linteaux, ces statues, ces chapiteaux, absolument vierges, � pr�sent, de toute trace de couleur, comblent le visiteur en qu�te sans doute d�un absolu inconsciemment associ� � la nue simplicit�. Mais cette virginit� n��tait en rien celle de l��poque, et rappelle, brutalement, l�existence unique de l��uvre d�art. Unique, c�est � dire consubstantielle au lieu o� elle se trouve, mais au temps, surtout, o� elle fut cr��e, fastueuse, une fois et une seule, de tout l�absolu de son authenticit�[52]_.Puisque l��uvre d�art n�_est, puisqu�elle n�existe avant tout que pour et par l��motion qu�elle procure, il faut accepter l�id�e que chaque �poque, chaque contexte nouveau, influant sur la perception qu�on en a, _transforme_l��uvre d�art,sans pour autant l�alt�rer, bien entendu. Les cons�quences de cet Ici et maintenant qui lui est indissolublement associ�, sont fascinantes et d�vastatrices. Fascinantes : le chef d��uvre est l�, devant nous, l�gataire d�un univers esth�tique que nous admirons, mais qui nous restera en grande partie ferm�, quels que soient nos efforts pour le p�n�trer. D�vastatrices ?

Le Gratias de la Messe Solennelle est, on l�a dit, le germe de la Sc�ne aux Champs, et l�Agnus Dei se retrouvera vingt ans plus tard dans le Te Deum. Ce qui signifie que nous sommes condamn�s � n�entendre ces extraits de la Messe Solennelle qu�au travers des m�mes passages, repris, amplifi�s, avec la connotation d�valorisante qui est in�vitablement associ�e � l�id�e d�esquisse, d��bauche. Lorsque nous �coutons les fanfares de la Messe Solennelle, nous avons dans l�oreille celles du Requiem, de dix ans post�rieures, et mille fois plus puissantes, authentique cataclysme de cuivres d�cha�n�s aux quatre coins de l��glise, qui font immanquablement p�lir ceux de la Messe Solennelle. Et quoi que nous fassions, jamais nous ne pourrons nous mettre � la place d�un brave paroissien du quartier Saint-Roch � qui ce passage de la _Messe_a pu n��tre qu�un tintamarre tout droit sorti de l�enfer. Oui, cons�quences d�vastatrices, car il nous est impossible d��chapper � cette vision biais�e, au prisme d�formant qu�impose notre contexte moderne. Ce filtre esth�tique, d�biteur d�une tradition, d�un go�t forg� par les si�cles � celui des milliers d��mes qui les ont travers�s, est comparable � la patine d�un tableau, d�un marbre, cette infime pellicule qui refl�te ou capte la lumi�re, mais qui, surtout, y emprisonne le temps. Seconde apr�s seconde, si�cle apr�s si�cle, elle se d�pose, elle enrichit l��uvre du poids des g�n�rations, de la densit� de l�Histoire. Ne serait-il pas absurde, inhumain, que de pr�tendre s�en abstraire ? Absurde car niant absurdement cette Histoire et ce Temps qui nous mod�lent ; mais inhumain, surtout, autant que ces visages que l�on croise sur les plages californiennes ou dans les ghettos de luxe avoisinant, d�effroyables vieillards � la peau retendue, aux traits artificiels et ridiculement lisses, au rictus sculpt� par le scalpel d�une illusion tragique, la jeunesse retrouv�e. On peut le regretter, mais c�est ainsi : le non retour en arri�re, cette fameuse Unkehrbarkeit diss�qu�e par Adorno, est in�luctable, et le regard neuf, l�oreille neuve n�existent pas plus que l��uvre musicale pr�tendument par�e du lin blanc d�une virginit�, d�une _authenticit�_retrouv�e. D�une authenticit� falsifi�e.

La Messe Solennelle de Berlioz, et ce n�est pas son moindre m�rite, rappelle aux musiciens que cette recherche, curieusement pris�e de nos jours, d�authenticit� historique,n�est sans doute qu�une chim�re, une illusion, quelles que soit l�ardeur et la sinc�rit� que certains d�entre eux, et les meilleurs, parfois, y mettent. Entre les mains de l�interpr�te, l��uvre sait rester elle-m�me tout en devenant autre, bord�e de la ligne infinie d��ternelles recr�ations, d��ternelles lectures, trame sans fin qu�inlassablement tisse l�homme, qu�a tiss�e, que tissera notre Histoire. Sans elle-m�me en �tre un, de bout en bout, cette Messe Solennelle juv�nile nous ram�ne tr�s pr�cis�ment � la caract�ristique premi�re du chef d��uvre : �tre capable, indemne, de traverser le temps. Indemne, mais pas intact.

Jean-Paul PENIN

Cet article est paru dans l�ouvrage consacr� � Berlioz par la Revue Internationale d�Etudes Musicales, �dit� � l�occasion du bicentenaire de la naissance du compositeur.

Ostinato Rigore, Hector Berlioz,

Editions Jean-Michel Place, Paris, 2004

Il reprend des arguments d�velopp�s sur le site **barok.free.fr**ainsi que, plus largement, dans Les Baroqueux ou le Musicalement correct_,_Gr�nd, Paris 2000.


[1] Le Cheval arabe, Estelle et N�morin, le Passage de la mer Rouge, Beverley. On se reportera, pour toutes ces ann�es de formation du jeune Berlioz, aux M�moires, bien entendu, mais surtout � l�excellente biographie de David Cairns Berlioz, La Naissance d�un artiste. Traduit par Dennis Collins, Paris, Belfond, 1991.

[2] op. Cit., p. 129. Les principes esth�tiques de Lesueur ont �t� �tudi�s par Jean Mongr�dien, in Jean-Fran�ois Lesueur, Berne 1980. Ils �voquent les �crits th�oriques de Gr�try, de peu ant�rieurs, dont on regrette qu�il n�existe pas d��dition int�grale.

[3]Il s�ag�t de Valentino, de l�Op�ra, qui n�avait rien � refuser � Lesueur, directeur de la Chapelle Royale, o� il venait justement de d�poser sa candidature comme chef d�orchestre : Lesueur croyait vraiment en Berlioz.

[4] M�moires, op. cit, t. I, p. 71-72.

[5] Correspondance G�n�rale, op. cit, p. 97.

[6]Des Francs-juges ne subsiste int�gralement que l�ouverture, proprement inou�e d�audace. Dans sa partie m�diane, (entre les chiffres 9 et 10 de la p. o. ), la m�trique du dialogue entre la grosse caisse et la timbale �voque rien de moins que le Sacre.

[7] M�moires, op.cit., p. 76.

[8]Le violoniste Antoine Bessems, originaire d�Anvers, �tait arriv� � Paris en 1826. Inscrit au conservatoire dans la classe de Baillot, il participa sans doute � la deuxi�me ex�cution de la Messe Solennelle.

[9]Frans Moors, dans l�interview qu�il donna � Alain Duault, juste avant le concert de V�zelay, �voqua avec saveur l��tonnement teint� de suspicion que provoqua sa d�couverte. Un canular d��tudiant, bien entendu�

[10] Orchestre r�volutionnaire et� romantique. Direction : J.E. Gardiner. Solistes : Donna Brown, Lean-Luc Viala, Gilles Cachemaille. Cet ensemble enregistra l��uvre le 12 octobre suivant en Angleterre, enregistrement studio.

[11]Le 7 octobre 1993. Solistes : Christa Pfeiler, Ruben Velasquez, Jacques Perroni. Malgr� le patronage de l�UNESCO et de la Pr�sidence de la R�publique, la bataille fut rude, �trangement, pour faire capoter le projet fran�ais, sous forme de coups tordus � la Trafalgar, pudiquement qualifi�s par G�rard Cond� dans son article du Monde, de � pressions qu�il fallait renoncer � �lucider actuellement� � Les quinze cents auditeurs, ce soir-l�, eurent droit � un double concert. Il �tait hors de question de risquer un enregistrement discographique avec une prise, seulement. Une seule solution restait : reprendre l��uvre int�gralement, apr�s une vingtaine de minutes de pause, pour l�orchestre, les solistes et le ch�ur, dans la m�me acoustique, c�est-�-dire avec le m�me nombre, approximativement, d�auditeurs. Ce qui fut fait. Je la redonnai ensuite au festival Berlioz de la C�te Saint-Andr�, avant de l�embarquer, pour sa cr�ation am�ricaine, sous l��gide des Affaires Etrang�res (Association Fran�aise d�Action Artistique), pour des p�r�grinations qui auraient enchant� le grand voyageur qu��tait Berlioz : Missions J�suites du Paraguay, cath�drales de Quito et de Bogot�, Teatro Col�n de Buenos Aires� Des raisons non musicales, contractuelles, interdirent � l�enregistrement fran�ais de sortir en premier. C�est sans importance, le principal �tant que l�oeuvre ait fini par �tre r�v�l�e � un large public.

[12]Y compris les bassons. Tr�s vite, d�s Waverley et Les Francs Juges (1827), Berlioz passera � trois ou quatre bassons (contrebasson).

[13]L�ophicl�ide sera sans inconv�nient remplac� par un tuba. Quand au malheureux serpent, instrument en bois � embouchure (et non � anche), un coup d��il au Trait� d�orchestration permet de comprendre pourquoi il a purement et simplement disparu. � [son] timbre essentiellement barbare eut convenu beaucoup mieux aux c�r�monies du culte sanglant des Druides qu�� celles de la religion Catholique, o� il figure toujours, monument monstrueux de l�inintelligence et de la grossi�ret� du go�t qui, depuis un temps imm�morial, dirigent dans nos temples l�application de l�art musical au service divin �. H. Berlioz, Grand Trait� d�instrumentation et d�orchestration modernes, Paris, Schonenberger, 1843. Bien que r�serv� en principe � la musique sacr�e, Wagner l�utilise encore dans Rienzi en 1842. On l�y remplace de nos jours par un troisi�me basson. Signalons la pr�sence d�un serpent, en excellent �tat, semble-t-il, dans une des vitrines du Mus�e de l�Arm�e, aux Invalides.

[14]Il s�agissait alors, bien entendu, d�un ch�ur exclusivement masculin, c�est � dire de jeunes gar�ons pour les deux voix sup�rieures, sopranes et altos, et d�adultes pour les t�nors et basses.

[15]La num�rotation correspond � la grande partition d�orchestre B�renreiter, de m�me que celle des mesures qui seront indiqu�es.

[16]De la primaut� de l�harmonie ou de la m�lodie, o� comment retrouver inopin�ment la _Querelle des Bouffons_�

[17]Lettre du 20 juillet 1825 � son ami Albert du Boys. Correspondance G�n�rale,op.� cit., p. 95.

[18] Le Corsaire, 13 juillet 1825.

[19]En ce qui concerne ces derni�res, Berlioz apprendra tr�s vite que la technique moyenne des contrebassistes de l��poque rendait ces passages injouables. Un peu plus loin, dans le Resurrexit (lettre T de la P.O. B�renreiter), il est plus prudent : la premi�re contrebasse fait le trait, les autres font les grosses notes. Dans Waverley les basses se contenteront de doubler sagement en noires des traits de croches au violoncelle (chiffre 12 de la p. o. Kalmus).

[20] La Quotidienne, 15 juillet 1825 ; Le drapeau blanc, 13 juillet 1825 ; Le Corsaire, 13 juillet 1825.

[21]Lettre � Albert Du Boys du 20 juillet 1825. Correspondance G�n�rale, op. cit., p. 95.

[22]Mesures 150 et suiv. On ne peut passer sous silence un probl�me de tempo concernant tout cet ensemble. Il existe une incoh�rence entre celui du verset _Gloria_et celui, quelques pages plus loin, du glorificamus te. Comme il est difficile d�imaginer que Berlioz ait imagin� la sc�ne du _Carnaval romain_� une allure de s�nateur, les traits de violon du d�but du Gloria sont mat�riellement injouables au tempo requis par la suite. Seul un accelerando, non indiqu�, sauve la situation. Et tant pis pour l� � authenticit� ��

[23]Les t�nors des ch�urs de l��poque devaient avoir des voix d�anges et surtout des gosiers d�acier, ceux de la n�tre �tant souvent embarrass�s, � juste titre, par la tessiture continuellement tendue, �puisante, de toute l��uvre. A moins qu�il ne s�agisse l� que d�un des �pisodes de l��ternelle discussion sur la hauteur du diapason�

[24] La Damnation de Faust, r�citatif de Brander et de M�phisto, deuxi�me partie, sc�ne 6, p. o. chiffre 43.

[25]Malgr� les tr�s belles fugues de Reicha ou de Cherubini (Requiem en ut mineur), par exemple, sans �voquer le seizi�me quatuor de Beethoven.

[26]Le doute subsistant toujours quant � la date du manuscrit d�Anvers (version originale de 1825 ou r�vis�e de 1827), nous ne saurons sans doute jamais si Berlioz refit sa fugue�

[27]Un baryton ayant de bons graves convient mieux. Ce n�est pas tant le fa aigu de la mesure 28, que les longs passages autour du mi b�mol aigu, qui restent tr�s tendus pour une v�ritable voix de basse, dont la couleur, qui plus est, se d�tacherait moins de l�ensemble des basses du ch�ur. On retrouvera plus loin le m�me probl�me de tessiture, dans le Motet pour l�Offertoire.

[28]Mesures 66 et suiv.

[29]Mesures 84 et suiv.

[30]L� encore, la partie de soliste est incommode, trop tendue, mal plac�e. De toute �vidence, le jeune Berlioz ne ma�trisait pas encore l��criture vocale.

[31]Mesures 12 et suiv.

[32]Mesures 52 et suiv.

[33]Mesures 28 et suiv. Sans doute y aurait-il une �tude � faire sur l�interpr�tation du gr�gorien � l��poque romantique, peut-�tre pas si amidonn� que cela dans la m�trique des messes de Dumont. Le texte musical dicte ici le tempo, fluide, dirig� bien entendu � un, � la mesure, mais aussi l�agogique, ces d�licates fluctuations de tempo parall�les aux variations dynamiques, � ces l�gers crescendos et decrescendos, �galement, qui � tombent � naturellement sous les doigts des musiciens. Tout ce passage sera repris dans la section centrale, en La majeur, du Christe, Rex gloria, du Te Deum(chiffres 21 � 22 de la p.o. Breitkopf).

[34]Le proc�d� devait lui tenir � c�ur, puisqu�� la m�me �poque Berlioz le reprend dans l�ouverture de Waverley (chiffre 8 de la p. o. Breitkopf-Kalmus). Dans une lettre du 29 novembre 1827, il indique avoir renforc� la fanfare, faisant passer les trompettes de 2 � 6 et ajoutant 2 tubas. Toutes ces modifications n�apparaissent pas dans la partition dont nous disposons. Qui serait alors celle de 1825 ? Pas forc�ment. Les 2 tubas ont bien pu se contenter de doubler, au dernier moment,� le 2�me et 3�metrombone, ou les 3�me seul, sans que Berlioz ne prisse la peine, comme une �vidence, de les ajouter sur son manuscrit. Totale libert�, bien entendu, laiss�e aux interpr�tes modernes.

[35]Basse soliste, ou bien de tout le pupitre des basses � pleine voix, comme l�indique une didascalie du compositeur ? Il est indiqu�, dans la partition dont nous disposons, Basse taille solo, ce qui n�est pas clair du tout. Dans quatre des cinq num�ros de l��uvre o� le soliste basse intervient, celui-ci est nomm� Basse-solo, le terme Basse-taille correspondant � chaque fois aux hommes du ch�ur. Que faire ? Laisser le soliste affronter seul une masse de cuivres, qui plus est fortissimo, souvent ? Offrir � cette masse le contre-poids formidable du pupitre de basses au complet, auquel on ajoutera, pourquoi pas, celui des t�nors ? Dans sa lettre du 29 novembre 1827, Berlioz indique avoir renforc� cet endroit et se plaint, par la m�me occasion, du faible effectif des ch�urs. Type m�me de la d�cision qui revient au chef, quelles que soient les discussions qu�elle entra�ne, sans int�r�t, puisque toutes mieux fond�es les unes que les autres�

[36]Virgile, l�Eneide (II, 313) : � l�appel �clatant des trompettes. � Ce th�me, bien que not� par Berlioz lui-m�me au milieu de sa lettre, n�est pas exactement celui de la Messe Solennelle, mais une variante, reprise dans le tohu-bohu final de la sc�ne du carnaval de Cellini, sc�ne qui utilise �galement d�autres �l�ments de la Messe. Elle remplace par exemple les paroles Et iterum venturus est cum gloria �judicare vivos et mortuos par celles-ci : assassiner un capucin [�] c��tait l�amant de quelque femme [�] c�est un brigand de l�Apennin.

[37] Correspondance g�n�rale, op. cit. p. 160.

[38] Id., p. 95. Go�tons dans cette lettre la pirouette finale, typiquement berliozienne, de celui qui jouit, qui ressent comme un damn�, mais ne se prend pas trop au s�rieux : Ce n�est pas ma faute si les dames, surtout, ne se sont pas crues � la fin du monde.

[39]Oublions le d�sir du jeune Berlioz de mitrailler ses auditeurs (ou qu�un sp�cialiste y consacre une belle �tude psycho-musicale).

[40] Le Drapeau blanc, le Corsaire, 13 juillet 1825. De larges extraits s�en retrouveront dans Cellini. Ce Resurrexit sera redonn� dans un concert, le 1er novembre 1829, au Conservatoire, en remplacement, au dernier moment, de la cantate Cl�op�tre. L��volution de ce morceau, � elle seule, justifierait une analyse, de l��bauche de 1825, � la version de 1829, puis � l�envoi de Rome de 1831, pour terminer en apoth�ose avec le Tuba mirum du Requiem. La version de Rome est particuli�rement int�ressante (B.N.F, cote Ms 1510), cuivres renforc�s, 4 timbales, pas de tam-tam). Elle int�gre � l�Iterum venturus est initial le verset Tuba Mirum, qui appartient � l�ordinaire d�un Requiem dont l�id�e trottait donc d�s cette �poque dans la t�te de Berlioz.

[41]Hector Berlioz, Les Grotesques de la musique, Gr�nd, Paris, 1969, p. 219.

[42]Article du 13 juillet 1825.

[43] Les Grotesques de la musique, op. cit., p. 219

[44]Comme pour les autres fragments r�utilis�s, dans le Te Deum, l�ensemble sera bien entendu d�velopp�, aussi bien dans le traitement de l�orchestre, du soliste, que du ch�ur. La coda, notamment, d�une quinzaine de mesures, r�serv�e au ch�ur a capella, en est superbe.

[45]On peut y adjoindre � ce moment-l� une partie du pupitre des altos.

[46] Le Corsaire du 13 juillet 1825.

[47]Qui n�est pas sans rappeler celle qu�il r�servera, dans la Damnation, au traitement de la marche de Rakoczy

[48]Alternances de nuages et d�ombres tonales, d�inqui�tudes et d�angoisse, brutalement dissip�es par un r� majeur triomphal et convaincu�. Il serait tellement s�duisant, dans cette th��tralisation du texte, inattendue, de regarder la calendrier d�un peu pr�s, de se souvenir que Berlioz a termin� sa Messe Solennelle � l�automne de 1824, pour la reprendre au printemps de 1825, (�je refis cette messe presque enti�rement� M�moires, op. cit., t. I, p. 72). De se souvenir �galement que Louis XVIII est mort le 24 septembre et que Charles X a �t� sacr� � Reims le 29 mai 1825. Le roi est mort, vive le roi ? H�las, toute s�duisante qu�elle soit, les opinions politiques du jeune Berlioz nous interdisent de nous faire la moindre illusion sur ne serait-ce que l�ombre de cette id�e-l�. Il n�emp�che que son Domine, salvum fac regem nostrum est furieusement bien tourn�

[49]Jean-Luc Macia, La Croix du 12 octobre 1993 ; G�rard Cond�, Le Monde, 13 octobre 1993.�

[50]On a m�me avanc� que ce reproche �ventuel d�auto-plagiat �tait la raison m�me pour laquelle Berlioz avait d�truit son �uvre. Mais ces d�licatesses sont de notre �poque, volontiers � morale �. A celle de Berlioz, beaucoup plus ouverte et libre artistiquement, le proc�d� ne posait aucun cas de conscience : il suffit de songer aux airs et aux ouvertures interchangeables de Rossini, par exemple. Et pas uniquement chez les musiciens, chez les peintres, chez les sculpteurs aussi (technique du "marcottage", qui consiste � composer une nouvelle oeuvre � partir d��uvres d�j� ex�cut�es par l'artiste). Rodin l�a beaucoup utilis�e pour les corps, les mains, les t�tes, les visages.

[51]Federico Zeri, Derri�re l'image, conversations sur l'art de lire l'art, Paris, Rivages, 1988, p. 32. C'est l'auteur qui souligne.

[52]On retrouve l� la notion de ce hic et nunc consacr� par Walter Benjamin (Ecrits fran�ais, l��uvre d�art � l��poque de sa reproduction m�canis�e, pr�sent�s par J.M. Monnoyer, Paris, N.R.F. Gallimard, 1991), que l�on peut illustrer par le jugement de l�historien, par exemple (pour autant qu'un historien puisse s'�riger en juge), si al�atoire et difficile. Il sait en effet � quel point il est des gloires ou des forfaits qu'il faut circonscrire � leur contexte. Pes�s au tr�buchet d'un autre, il n'en reste souvent pas grand chose : chaque �poque a la � v�rit� historique � qui lui convient, ou qui la rassure.