Agn�s de Langeac (original) (raw)

AGN�S DE J�SUS Religieuse du monast�re de Sainte-Catherine de Sienne, � Langeac (1602-1634)

Le Proph�te-Roi ne cessait, �crit le P. Lafon, d�exhorter les fid�les � consid�rer attentivement les gr�ces dont le Seigneur l�avait favoris�, afin de faire admirer les mis�ricordes et l�amour de Dieu pour les hommes : Venite, audite et narrabo, omnes qui timetis Deum, quanta feci tanimee meae (Ps. LXV, 16.) Quelque d�sir que l�on ait d�entrer dans ses sentiments, on ne peut pourtant gu�re aujourd�hui exposer les gr�ces et les faveurs dont ce Dieu de bont� honore ses serviteurs, sans encourir la censure et la critique de bien des gens. L�incr�dulit� effroyable qui r�gne dans l�esprit de nombreux chr�tiens, le m�pris pour ce qui est rapport� d�extraordinaire dans la vie des Saints, l�opini�tret� � ne rien croire de ce que nous ne pouvons ou ne voulons pas comprendre, et les pr�jug�s �tranges qui font rejeter ces histoires comme des produits de l�imagination, ne prouvent que trop ce que j�avance. A dire vrai, toutes ces difficult�s m�ont inspir� quelque crainte et une certaine timidit� � �crire la vie admirable de la V�n�rable M�re Agn�s de J�sus, prodige de saintet� qui a honor� l�Ordre de Saint-Dominique vers la premi�re moiti� du XVII si�cle, et qui est regard�e aujourd�hui dans l�Auvergne et plusieurs autres provinces de France comme une avocate puissante aupr�s de Dieu, � cause de bienfaits signal�s obtenus par son assistance. Apr�s tout, ces consid�rations humaines m�ont paru trop frivoles pour faire quelque impression sur moi, et je me reconna�trais criminel devant Dieu si, pour m�accommoder au caract�re de certains esprits, dispos�s � ne regarder les prodiges de la gr�ce que par les yeux charnels, j�ensevelissais dans l�oubli les faveurs et les b�n�dictions qui font �clater si hautement les mis�ricordes du Seigneur sur les �mes fid�les.

C�est pourquoi, me mettant fort peu en peine de la critique des m�cr�ants, je rapporterai, pour la gloire de J�sus-Christ, et pour l�honneur de sa servante, la V�n�rable M�re Agn�s de J�sus, les choses admirables qu�on trouve dans sa vie. Je dirai avec candeur et simplicit�, conform�ment aux M�moires laiss�s par ses confesseurs, et aux d�positions juridiques contenues dans les proc�s-verbaux de sa cause de b�atification, tout ce qui peut faire �clater l�abondance des mis�ricordes de Dieu sur une �me qu�il ch�rit, tout ce qui est capable d�inspirer de l�amour et de la confiance pour cette grande servante de Dieu, enfin ce qui peut exciter les chr�tiens � servir fid�lement le Seigneur et � imiter tant d�exemples de vertu.

I

Agn�s de J�sus naquit le 18 novembre 1602, dans la ville du Puy-en-Velay. Son p�re, coutelier de profession, se nommait Pierre Galand, et sa m�re Guillemette Massiote. L�un et l�autre, peu avantag�s des biens de la fortune, vivaient en bons chr�tiens dans la crainte de Dieu et la d�votion � la Sainte Vierge. Ils eurent sept enfants de leur mariage : la M�re Agn�s fut la troisi�me. Elle re�ut l�eau du Bapt�me le lendemain de sa naissance, 19 novembre, en la f�te de sainte Elisabeth de Hongrie.

Dieu fit bient�t conna�tre ses desseins sur cette enfant. On ne tarda pas � remarquer en ses actes quelque chose de grand, pr�lude de la saintet� �minente � laquelle la gr�ce devait la conduire. Elle �tait d�un naturel doux et agr�able, d�un esprit excellent et d�un jugement solide qui la rendait aimable � tout le monde et chacun voulait l�avoir dans sa maison. Les parents d�Agn�s prirent grand soin de lui inspirer la pi�t�, et, pour y mieux r�ussir, la mirent entre tes mains vertueux, qui avait une d�votion peu commune pour le Sacrement de l�autel et la Tr�s Sainte Vierge.

Ce vrai chr�tien s�occupa de cette fille de b�n�diction durant quatre ans, et n�oublia rien pour cultiver une terre si bien pr�par�e � recevoir les impressions du Saint-Esprit. Il lui apprit de bonne heure � confesser, lui expliqua les maximes de l�Evangile, lui repr�senta avec onction les r�compenses que Dieu r�serve aux bons et les ch�timents dont il punit les m�chants, et lui sugg�ra un tel amour pour la puret� que cette admirable enfant n�avait rien tant � c�ur que de conserver cette vertu.

Dieu, qui s��tait choisi de toute �ternit� la petite Agn�s pour �tre son �pouse, la disposait � devenir un jour le chef-d��uvre de sa gr�ce. Elle eut d�s son enfance un �loignement extr�me pour la conversation des cr�atures. Celle des hommes lui fut toujours insupportable ; elle n��vitait pas moins la rencontre des personnes de son sexe, si leur modestie et leur retenue n��taient pas irr�prochables. Ainsi occup�e uniquement de plaire � J�sus-Christ, elle fr�quentait les �glises, aimait la solitude, et con�ut d�s lors un si grand m�pris pour la vanit� du monde, que rien ne fut capable de fl�trir la puret� de son c�ur. Elle eut m�me le z�le de r�unir un groupe de jeunes filles de son �ge, qu�elle conduisit toutes v�tues de blanc, en procession � l��glise de Notre-Dame du Puy, pour y faire leurs d�votions. La modestie de ces innocentes cr�atures et la ferveur qu�elles faisaient para�tre dans leurs pieuses pratiques, attir�rent l�attention des habitants, qui ne pouvaient assez admirer une pi�t� si ing�nieuse. Quelques-uns n�anmoins s�en offens�rent, et pouss�s par un esprit de malice, ne rougirent point de dissiper la petite troupe et de frapper la douce Agn�s qui en �tait le chef. Cette indigne conduite n�abattit point le courage d�Agn�s. Elle rassembla soigneusement son troupeau, que la crainte du loup avait dispers�, et, devenant plus ferme par cette contradiction m�me, continua d�un pas r�solu sa procession,

Agn�s ne se rendit pas moins recommandable, d�s l��ge de cinq ans, par sa patience que par sa pi�t�. Elle n�eut pas besoin de chercher au dehors le sujet de l�exercer. Un petit fr�re fut l�instrument dont le d�mon se servit pour inqui�ter et pers�cuter celle dont la vertu lui �tait d�j� redoutable. La jalousie de cet enfant fut la cause des mauvais traitements qu�il infligea � sa s�ur. Il ne pouvait souffrir qu�elle f�t caress�e et tendrement aim�e de ses parents. L�empressement des voisins � se procurer la compagnie de l�aimable petite fille lui devint intol�rable : ne pouvant dissimuler sa col�re et son indignation, il l�insultait � tout propos et l�accablait de coups. La pauvre enfant n�en perdit ni sa douceur ni sa tranquillit� d��me : d�j� aussi g�n�reuse que la femme forte de l�Ecriture, elle conserva pour son fr�re la m�me affection et ne porta jamais plainte devant ses parents.

La fid�lit� d�Agn�s aux mouvements de la gr�ce et sa docilit� aux le�ons de l�Esprit saint lui furent tr�s avantageuses. A quatre ans, elle �tait si bien instruite du cat�chisme et des v�rit�s de la foi que ses r�ponses jetaient dans l�admiration ceux qui les entendaient. L�usage du sacrement de P�nitence, qu�elle fr�quenta d�s l��ge de cinq ans dans l��glise des P�res J�suites, lui devint une source abondante de faveurs c�lestes. Ses dispositions �taient toutes divines et ses sentiments de contrition vraiment extraordinaires. Elle r�pandait tant de larmes et poussait de si profonds soupirs pour les moindres imperfections, qu�on l�e�t prise pour une grande p�cheresse. Une des plus graves fautes dont elle se reconnut coupable, et qui la fit g�mir am�rement toute sa vie, est d�avoir pris quatre ou cinq �pingles � une femme qui lui en avait confi� une certaine provision.

Le profit qu�elle retira de ses confessions fr�quentes obligea son confesseur � lui permettre la sainte Communion � l��ge de huit ans. Agn�s recevait de quinze en quinze jours cette divine nourriture et toujours avec un amour si ardent pour Notre-Seigneur et une si ang�lique modestie qu�on ne pouvait assez admirer la puissance de la gr�ce dans une enfant si jeune. Les consolations ineffables qu�elle retirait du Sacrement d�amour embrasant de plus en plus son c�ur des flammes de la Charit�, elle demanda la faveur de communier chaque jour. Si solide que f�t d�j� sa pi�t� et si rapide son progr�s dans les voies de la perfection, le confesseur n�y voulut point consentir : il lui permit seulement une communion par semaine. Cette communion la fit avancer � grands pas dans la vertu ; car, soigneusement attentive � se rendre agr�able � Dieu par une mortification universelle de ses sens, une modestie �difiante dans tous ses actes, une vigilance soutenue � remporter, apr�s chaque communion, une nouvelle victoire sur elle-m�me, Agn�s ne respirait que pour le ciel et les biens �ternels.

L�occasion que Dieu lui fournit de se consacrer enti�rement � lui d�s sa jeunesse m�rite d��tre signal�e.

Agn�s aper�ut, un jour, une foule extraordinaire r�unie sur une place pour l�ex�cution d�un criminel. Surprise de voir un homme tortur� cruellement, elle en demanda la cause. � C�est ainsi, lui r�pondit-on, qu�agit le monde pour ceux qui le servent mal. � Voil�, r�pliqua-t-elle, un ma�tre bien dur ; je ne veux pas servir ce monde, mais m�attacher uniquement � Dieu en suivant ses maximes. � Et, se retirant � l��cart avec une compagne, elle se pr�parait � prendre la discipline pour les p�ch�s du monde, quand l�arriv�e de quelques personnes l�en d�tourna.

Agn�s, vivement touch�e du sort du malheureux qu�elle avait vu ex�cuter et saintement indign�e contre le monde, se rendit le lendemain � Notre-Dame du Puy pour implorer le secours du Ciel contre un si dangereux ennemi et se mettre sous la protection de la Sainte Vierge. Elle entendit la messe avec une ferveur extraordinaire et se sentit int�rieurement excit�e � se rendre l�esclave de la Reine du ciel. Ob�issant � cette inspiration, elle se remit entre les mains de cette M�re de puret� pour devenir son esclave et, rentr�e chez elle, s�entoura les reins d�une cha�ne de fer qu�elle porta huit ans, en signe de servitude, et qu�elle ne quitta que par ordre du directeur de son �me.

La c�l�bre �glise du Puy, surnomm�e la Basilique ang�lique, parce que, d�apr�s la tradition, elle fut consacr�e par les Anges, �tait celle qu�Agn�s, encore enfant, visitait de pr�f�rence. Sa d�votion, n�anmoins, la conduisait aussi dans les autres �glises, o� l�on n�admirait pas moins sa modestie et son recueillement. Elle se rendait assez souvent � celle des Fr�res Mineurs, bien qu��loign�e de sa maison, et elle y fut favoris�e un jour d�une gr�ce merveilleuse. Tandis qu�elle priait dans la chapelle de saint Fran�ois, ce P�re s�raphique lui apparut et communiqua � son c�ur quelque chose du feu sacr� dont lui-m�me �tait embras� durant sa vie. Agn�s, entrant dans un ardent d�sir d�appartenir toute � Dieu, r�solut de faire � l�instant le v�u de virginit�. Elle �tait sur le point d�en prononcer la formule quand une meute de chiens affreusement noirs parut dans la chapelle, lis se ru�rent sur l�enfant et la jet�rent par terre comme pour la d�vorer, mais Agn�s, reconnaissant, � la lumi�re d�en haut, la pr�sence des mauvais esprits, se releva avec courage, et, d�une voix ferme, prit son engagement, � la confusion de la troupe infernale, qui disparut � ses regards. Elle avait alors sept ou huit ans.

Le d�sir de servir Celui qu�elle avait choisi pour �poux ne s�arr�ta pas � l�hommage de sa propre personne; Agn�s t�cha de lui attirer autant de cr�atures qu�il �tait en son pouvoir. Dans cette vue, elle assembla .un certain nombre de petites filles de son �ge pour vaquer ensemble aux choses de pi�t�. Chacune prenait un Saint pour patron du mois et une vertu � pratiquer. Agn�s re�ut un jour cette sentence : Oubliez votre peuple et la maison de votre p�re (Ps. XL1V, 12). Ces paroles firent une vive impression sur son c�ur ; elle crut qu�il lui fallait les ex�cuter � la lettre. En cons�quence, et sans autre examen, elle r�solut de quitter la maison paternelle pour se retirer dans une solitude. Sortant, un matin, de la ville, avec un paquet de v�tements sous le bras, elle se dirigea vers le village de Vais, non �loign� du Puy. Arriv�e devant une Croix, elle se sentit repouss�e par une main invisible et contrainte de s�arr�ter. Cet obstacle ne la d�concerta pas : elle reprit sa marche avec un nouvel �lan jusqu�� ce que, renvers�e � terre plusieurs fois, et avertie int�rieurement que le Seigneur l�appelait � une autre solitude, elle regagna le toit paternel.

On vit d�s lors la petite Agn�s marcher � pas de g�ant dans le sentier de ta perfection. Son d�sir de s�unir � J�sus-Christ par la Communion devint plus ardent, et ce lui fut un supplice de ne pouvoir communier, l�espace de sept ans encore, qu�une ou deux fois dans la quinzaine. Son ang�lique modestie inspirait l�amour de la vertu. Les dames de qualit� recherchaient sa conversation pour se porter � Dieu, et les libertins se retenaient en sa pr�sence. Plus d�une fois, il suffit d�envoyer Agn�s dans une maison voisine de la sienne pour arr�ter les violences qu�un homme intraitable exer�ait contre sa femme et ses enfants.

Mais, p�n�trons plus avant dans les pratiques pieuses de cette enfant b�nie.

II

Et d�abord, l�oraison lui sembla l�exercice le plus essentiel � une �me qui veut �tre toute � Dieu. Elle y employait chaque jour cinq heures, � genoux, les mains jointes, sans que rien ne f�t capable de la faire changer de posture. M�ditant sur le myst�re de J�sus charg� de sa croix, elle se dit, un jour, qu�elle priait avec trop de d�licatesse, en n�imitant pas de quelque mani�re l�Homme des douleurs. C�est pourquoi, l�espace de quelques mois, elle prit l�habitude de se charger l��paule d�une lourde pi�ce de bois, tout le temps qu�elle priait.

Les longues oraisons d�Agn�s �tant devenues l�occasion de m�contentement et de trouble dans la maison, son confesseur lui conseilla d�y employer de pr�f�rence les heures de la nuit. Docile � cet avis, Agn�s se levait doucement, quand elle jugeait tout le monde endormi, ou quand elle entendait la cloche de notre couvent de Saint-Laurent sonner les Matines. Elle rev�tait une robe l�g�re et, pieds nus, une cha�ne au cou, priait trois ou quatre heures cons�cutives, quelquefois toute la nuit ; hiver comme �t�. Si parfois elle oubliait l�heure de sa sainte veille, soft Ange gardien la lui rappelait et l�excitait � secouer son sommeil.

Les occupations dont ses parents la chargeaient pendant le jour n�arr�taient point l�application de son esprit aux choses d�en haut. Toutefois, ce ne fut pas sans quelque peine qu�Agn�s parvint � jouir parfaitement de la pr�sence de Dieu. Elle y travailla l�espace de deux ans avec beaucoup de vigilance et d�assiduit�. � Ah ! �a, mon �me, disait-elle, il faut rester un peu de temps aupr�s de ton divin �poux �. Et s�appliquant � demeurer absorb�e en Dieu un quart d�heure, puis une demi-heure, elle en arriva � une union pour ainsi dire continue avec le Bien-aim� de son c�ur.

Si grandes cependant que fussent ses inclinations pour l�oraison et si abondantes les consolations qu�elle y go�tait, elle se laissait guider toujours par l�ob�issance. Son confesseur, surpris des merveilleuses op�rations de la gr�ce dans une si jeune adolescente, et redoutant quelque illusion, �prouvait Agn�s avec la derni�re s�v�rit�. Il en vint m�me � lui d�fendre l�oraison pendant trois semaines. Elle se soumit � un ordre qui lui �tait si sensible. Mais un jour qu�elle en t�moignait sa peine � son c�leste Epoux, elle entendit une voix int�rieure, disant : � Aime et tu seras aim�e �. Ces paroles la consol�rent et allum�rent en elle des flammes d�amour.

Non contente de s�adonner � l�oraison mentale et � la contemplation, la servante de Dieu avait adopt� d�j� l�usage de pri�res vocales d�une certaine �tendue. C�est ainsi que sa d�votion envers Marie lui inspira de bonne heure la r�citation du Petit Office de la Vierge et du tr�s saint Rosaire.

L�intimit� d�Agn�s avec Dieu et les Saints ne l�emp�chait pas de s�apitoyer sur les mis�res de ses semblables, et l�on peut dire que l�esprit de compassion pour les n�cessiteux �tait n� et avait grandi avec elle, Ce qu�on lui donnait pour sa nourriture devenait le partage des pauvres, et le soin de distribuer les aum�nes de la famille lui ayant �t� confi�, outre l�argent destin� � cet effet, elle versait dans le sein des indigents tout ce qu�elle, pouvait trouver. Il en r�sultait parfois pour elle des r�primandes et des ch�timents ; mais, la douceur de ses excuses finissait par lui donner gain de cause, et ses parents se sentaient d�sarm�s.

Sit�t qu�elle fut en �tat de gagner quelque chose par son travail elle en donna le profit aux pauvres ; cela ne suffisant pas aux aspirations de sa charit�, elle ne rougissait pas de qu�ter aupr�s de personnes pieuses en faveur de ses prot�g�s. Durant quatre mois elle fournit de ses chemises et de ses robes quelques pauvres jeunes filles qui n�osaient aller � la messe le dimanche, faute de v�tements convenables, et, par un hiver rigoureux, elle obligea une de ses s�urs � un acte de charit� semblable. � Agn�s, dit celle-ci dans un m�moire, Agn�s me pressa si vivement de lui pr�ter deux �cus, m�assurant qu�elle me les rendrait et que, pour cet effet, elle ne s��pargnerait point au travail, qu�il me fut impossible de les lui refuser ; si elle ne m�a pas rendu cet argent, comme je l�esp�rais, elle m�a pay�e en une monnaie infiniment plus pr�cieuse, par les grandes gr�ces qu�elle m�a obtenues de Dieu �.

Cette amie des malheureux en vint m�me � se tenir des journ�es enti�res aux portes des �glises, afin de ramasser des aum�nes pour les pauvres celui lui causa beaucoup d�humiliations, et lui valut un jour, de la part de son p�re, des reproches sanglants et de rudes soufflets.

Une pauvre fille �tait rong�e d�un cancer. Agn�s l�apprit, et, pendant de longs mois, se constitua son infirmi�re. Sentant, un jour, son c�ur bondir, � cause de l�odeur infecte qui s�exhalait de la plaie, elle eut le courage d�imiter sainte Catherine de Sienne et sainte �lisabeth de Hongrie en des circonstances semblables, et Dieu fit, pour elle aussi, le miracle de lui faire ressentir une douceur � nulle autre pareille.

Agn�s prenait soin encore de rechercher dans la ville les malades pauvres et de les conduire chez les S�urs hospitali�res pour y �tre soign�s. Ces bonnes Religieuses accept�rent avec empressement les premiers qu�elle leur pr�senta; mais le nombre croissant chaque jour, elles finirent par t�moigner avec vivacit� leur m�contentement. Agn�s n�en parut point �mue et continua ses offices charitables.

Un jour, elle rencontra, gisant dans la rue, un soldat d�bile au point de ne pouvoir � peine parler. Elle s�approche, l�interroge, et propose de le conduire � l�h�pital o� il ne manquera de rien. Le malade accepte avec joie ; mais sa faiblesse ne lui permettait pas de marcher sans appui. Agn�s et une compagne prennent cet homme chacune par le bras, et nonobstant les railleries du peuple, traversent ainsi une partie de la ville pour arriver � l�h�pital. Ce nouvel h�te n�y re�ut pas d�abord tr�s bon accueil : on objecta qu�Agn�s amenait plus de malades que la maison n�en pouvait abriter. Son �loquence persuasive finit par triompher : le malade fut admis. Agn�s pr�para son lit, lui fit administrer les Sacrements, et apprit le lendemain qu�il avait expir� en excellent chr�tien.

Une autre fois, elle trouva encore sur son chemin un soldat ext�nu�, paraissant sur le point de rendre l��me. Agn�s, n�apercevant personne en �tat de la seconder, prit elle-m�me sur ses �paules le moribond, et avec une force surhumaine le transporta jusqu�� l�h�pital, � la vue des habitants stup�faits d�admiration.

Une charit� si compatissante et si universelle ne pouvait qu��tre souverainement agr�able � Celui qui a promis de r�compenser les actes de mis�ricorde envers le prochain comme s�ils lui �taient rendus � lui-m�me. Plusieurs fois, le Seigneur J�sus daigna autoriser par des prodiges la conduite de l�admirable jeune fille.

Un jour qu�elle priait dans notre �glise, devant l�autel de saint Dominique, un petit enfant d�une gr�ce charmante s�approcha, demandant une aum�ne. Agn�s r�pondit avec douceur qu�elle n�avait rien. L�enfant insista. La servante de Dieu se disposait � retirer de son doigt un anneau pour le lui donner, quand elle aper�ut � terre une pi�ce d�argent. Agn�s la ramasse ; mais, avant de la remettre � l�enfant, elle lui demande s�il sait faire le signe de la croix. � Oh ! oui, tr�s bien �, r�pond celui-ci avec un sourire, et il dispara�t soudain, laissant Agn�s inond�e de consolation.

Un autre jour, comme elle allait entendre la messe � Notre-Dame, un pauvre vient � elle, et demande quelque soulagement. Agn�s, hors d��tat de le satisfaire, le lui dit, non sans tristesse : � Cherchez dans votre poche, reprit le pauvre, vous trouverez bien quelque chose � me donner �. Elle ob�it, et rencontrant une pi�ce de monnaie, la tendit au pauvre ; mais il avait disparu.

Une troisi�me fois, J�sus-Christ s�offrit � elle sous des habits de p�lerin, et la pria de r�citer � haute voix un Ave Maria, puisqu�elle ne pouvait lui faire d�aum�ne mat�rielle. A peine eut-elle prononc� le nom de j�sus, que le divin P�lerin s��vanouit � ses regards.

Souvent aussi, les n�cessit�s corporelles de diverses personnes lui �taient d�couvertes surnaturellement, afin qu�elle p�t les secourir. Notre jeune Agn�s n��tait pas moins ardente � instruire le prochain des v�rit�s de la foi, � recommander les pratiques chr�tiennes, � sugg�rer � ses compagnes d��ge le m�pris des vanit�s du si�cle. Son p�re et sa m�re, ses fr�res et s�urs ressentirent les premiers l�efficacit� de son z�le. A tous elle inspira un grand amour de Dieu, une d�votion sp�ciale pour la Sainte Vierge, et leur persuada d�entrer dans la Confr�rie du Rosaire, comme moyen infaillible de sanctification et de salut. Elle se prodigua particuli�rement � l��gard d�une s�ur plus jeune qu�elle, la disposa � recevoir dignement les sacrements de P�nitence et d�Eucharistie, lui apprit � faire oraison, et la mit si bien dans le chemin de la perfection que celle-ci, b�nie de Dieu, embrassa plus tard la vie religieuse et se distingua par ses vertus.

Nous ne saurions omettre la conversion d�un h�r�tique, procur�e par les soins de la servante de Dieu. Agn�s avait alors quinze ou seize ans. Les m�decins avaient ordonn� qu�elle all�t prendre les eaux des Salles, dans les C�vennes, et sa m�re l�accompagna. A peine �taient-elles arriv�es, qu�on leur apprit la pr�sence d�un �tranger opini�tre dans l�h�r�sie. Agn�s fut vivement touch�e de son aveuglement, et, concevant un grand d�sir de le gagner � J�sus-Christ, commen�a par le recommander beaucoup � la bienheureuse Vierge Marie. Elle va ensuite le trouver, et sans entamer de discussion sur le dogme catholique, se contente de lui parler avec toute l�onction dont elle est capable, de l�amour de Dieu et du bonheur de le servir. Peu � peu, l�h�r�tique se laissa subjuguer parles entretiens de la sainte jeune fille, et promit d�abjurer, sit�t qu�il serait rentr� dans son pays. IL fut fid�le � sa parole, et il ne cessait de d�clarer ensuite que la pieuse conversation d�Agn�s avait eu plus d�effet sur son esprit et sur son c�ur, que tous les raisonnements des th�ologiens avec lesquels il avait discut� autrefois.

III

Les faits que nous venons de rapporter s�accomplirent avant que la vertueuse Agn�s e�t atteint sa dix-septi�me ann�e : elle �tait sous la conduite des R�v�rends P�res J�suites, particuli�rement sous celle du P�re Boyre, recteur du coll�ge du Puy. Comme leur r�sidence se trouvait assez �loign�e de la maison de Pierre Galand, celui-ci d�fendit � sa fille de continuer � s�y rendre, et voulut qu�elle adopt�t l��glise de nos P�res, d�di�e � saint Laurent, pour se confesser et faire ses d�votions. La Providence, qui destinait cette sainte fille � devenir un des plus beaux ornements de l�Ordre de Saint-Dominique, permit ce changement dans sa direction spirituelle. Agn�s choisit pour guide de son �me le P�re Etienne G�rard, docteur en th�ologie, Religieux de grande pi�t� et de grand savoir, venu cette ann�e-l� m�me au Puy, en qualit� de Prieur du couvent. Le regardant comme l�envoy� de Dieu pour la conduire vers la perfection, elle lui communiqua sans tarder ses pratiques d�oraison et les gr�ces dont le Ciel la favorisait. Sa mani�re d�agir fut approuv�e de cet homme �clair� : il l�exhorta � �tre fid�le � son divin Epoux et � consid�rer soigneusement la sainte humanit� et la Passion du Sauveur J�sus, qui est la voie s�re pour arriver � la plus haute saintet�. Il lui permit la communion plus fr�quente, � raison des dispositions qu�elle y apportait. Les jours que la pieuse jeune fille recevait cette divine nourriture, elle ne mangeait, sur le soir, qu�un peu de pain et d�herbes cuites : encore n��tait-ce que par ob�issance. Tout le temps compris entre deux communions, elle le partageait entre l�action de gr�ces et la pr�paration, et communiait alors spirituellement avec une ferveur qui lui valait des gr�ces consid�rables. Le divin Ma�tre r�pondait aux saintes affections de sa servante par des consolations sans nombre, et entre autres faveurs lui accorda le don des larmes. Elle avait eu cette gr�ce d�s sa tendre jeunesse, et son premier confesseur, qui trouvait � peine dans ses aveux mati�re � absolution, admirait comment une enfant si innocente pleurait avec tant d�amertume des imperfections qui, dans le cours ordinaire des choses, eussent pass� peut-�tre pour des actes de vertu. Un jour qu�il s�effor�ait de la consoler, en lui repr�sentant que ses p�ch�s n�avaient pas la gravit� qu�elle supposait et que d�ailleurs la divine Mis�ricorde les lui avait pardonn�s. � H�las ! mon P�re, r�pondit Agn�s, ne me flattez pas. Je ne sais pas expliquer l��normit� de mes fautes : si vous me connaissiez bien, vous me chasseriez de votre pr�sence et m�me de cette �glise �.

Sa puret� ext�rieure allait de pair avec l�innocence de son �me. La retenue r�gnait dans ses paroles et la modestie dans ses actions. Jamais on ne remarqua rien en sa conduite qui p�t blesser tant soit peu les r�gles de l�honn�tet�. Bien que d�ordinaire elle inspir�t le respect pour sa vertu, elle ne fut pas � couvert des attaques de quelques libertins assez os�s pour lui adresser des propos mals�ants. Les sages r�ponses d�Agn�s couvrirent de confusion ces insolents, et l�un d�eux irrit� lui d�chargea sur le visage un violent soufflet. La chaste vierge re�ut cet affront avec joie, pour l�amour d� Celui auquel elle avait consacr� sans retour et son corps et son �me.

Dans une circonstance analogue, le Seigneur fit pour elle un miracle, que le proc�s de b�atification, fait par ordre de l��v�que dioc�sain, a pris soin de relever.

C��tait � l��poque o� Agn�s prenait les eaux min�rales des Salles. Elle se trouvait sur les bords de la Loire, en compagnie de plusieurs jeunes filles, quand des campagnards se joignirent � elles. La conversation de ces gens grossiers ne tarda pas � prendre un tour fort peu honn�te. Agn�s en fr�mit, et sensiblement afflig�e de ne pouvoir passer sur la rive oppos�e, parce que l�endroit n��tait pas gu�able, elle leva les yeux au ciel pour demander secours. A l�instant parut un Ange, sous forme d�un jeune homme, lequel la conduisit � travers le fleuve, au grand �tonnement de ses compagnes et des paysans eux-m�mes, qui s��cri�rent, comme le porte un manuscrit : � Voyez, voyez cette fille, elle marche sur les eaux �.

Depuis le jour o�, �g�e de huit ans, Agn�s avait consacr� � J�sus-Christ sa virginit�, cette vertu jetait en elle de jour en jour un plus vif �clat : les moindres taches, les plus l�g�res immodesties lui paraissaient monstrueuses : elle ignorait tout ce qui pouvait en obscurcir la beaut�.

Cependant Pierre Galand, qui ignorait le v�u de virginit� fait par sa fille songea pour elle � un �tablissement convenable dans le monde. Agn�s le pria humblement de ne point songer � l�engager dans le mariage parce qu�elle avait d�j� choisi J�sus-Christ pour �poux. Cette d�claration causa quelque chagrin au p�re, incapable d�ailleurs de lui fournir une dot pour entrer en Religion. Mais, comme il �tait chr�tien, et que sa fille eut des raisons plausibles � lui pr�senter, il ne l�inqui�ta pas.

Rassur�e de ce c�t�, mais sachant que nous portons dans un vase fragile le tr�sor de la puret�, elle redoutait sa faiblesse et les dangers du monde ext�rieur. Un des moyens qu�elle prit pour s�assurer la victoire fut une vie plus aust�re et plus p�nitente.

Elle demanda l�autorisation de prendre un breuvage form� de vinaigre et de suie. Le confesseur, croyant qu�il ne s�agissait que d�une fois, le lui permit. Mais Agn�s continua cette mortification tous les vendredis, pendant trois ans, jusqu�� ce que son estomac en f�t alt�r� : plus tard, entr�e en Religion, elle rempla�a ce breuvage par un m�lange de fiel et de vinaigre.

L�espace de neuf ans, elle n�eut pour lit que des ais, avec une pi�ce de bois pour oreiller. Elle cacha cette p�nitence avec tant d�adresse que sa s�ur fut seule � s�en apercevoir, et en garda le secret. Outre la cha�ne de saint esclavage dont nous avons parl�, elle s�entoura d�une ceinture arm�e de pointes aigu�s, qui p�n�tr�rent dans la chair, et ne put �tre enlev�e, apr�s huit ans, qu�� l�aide d�incisions. Elle portait, en outre, un cilice et quatre ou cinq fois la semaine se flagellait jusqu�au sang.

Tant de vertu faisait d�Agn�s l�objet des complaisances du Ciel, mais excitait aussi la rage de l�enfer. Il semble que les d�mons eurent sur cette innocente victime le pouvoir que Dieu leur accorda autrefois sur le saint homme Job, et pendant six ans ils exerc�rent contre elle tout ce que la fureur et la malice sont capables d�inventer.

Leurs ruses et leurs suggestions ne parvenant pas � l�emp�cher de vaquer � l�oraison, ils lui apparurent sous la figure de personnages horribles afin de l�effrayer. Tant�t ils secouaient la maison avec une telle violence qu�elle semblait pr�s de s��crouler ; tant�t ils tiraient Agn�s par la robe ou par les cheveux, et la frappaient si rudement qu�elle restait � terre meurtrie, � demi morte. � Je l�ai vue plusieurs fois en cet �tat, lorsqu�elle �tait encore dans la maison de son p�re, dit la relation de la M. Gabrielle Jacques, alors sa compagne et sa confidente ; au commencement, n�en sachant pas la cause, je voulais qu�elle se couch�t. Elle me dit que ce n��tait pas n�cessaire, et que pour lors ses parents la feraient traiter comme malade �.

Une nuit d�hiver qu�elle faisait oraison, Satan se pr�senta devant elle et lui dit avec col�re: � Que fais-tu ici, pauvre insens�e, tu serais bien mieux dans ton lit �. La vue d�un �tre si horrible la gla�a d�effroi ; mais se reprenant, et assist�e d�en haut, elle protesta qu�elle ne quitterait pas son oraison. Une gr�le de coups fut la riposte du cruel bourreau : Agn�s en fut presque r�duite � l�agonie. Son directeur, inform� de cet �v�nement, dit � Agn�s : � Si le d�mon revient, crachez-lui au visage �. La chaste vierge ob�it, mais Satan se vengea en l�accablant de coups. Malgr� tout, la sainte jeune fille restait victorieuse de son ennemi et parfois lui parlait avec une autorit� souveraine. Le prince des t�n�bres s�avisa alors de se transformer en Ange de lumi�re, et apparut m�me un jour sous l�aspect de J�sus crucifi�.

Agn�s, �prouvant en son c�ur une joie toute naturelle, au lieu du sentiment de compassion qui lui �tait ordinaire en pareil cas, reconnut l�artifice, et se jetant contre terre, s�humilia profond�ment. Il n�en fallut pas davantage pour: mettre en fuite l�esprit d�orgueil. A cette occasion son directeur lui demanda si elle discernait bien les visions c�lestes des apparitions diaboliques. � Mon P�re, r�pondit-elle, je ne suis que p�ch� ; mais j�ai confiance en mon divin Epoux, il ne permettra pas qu�une pauvre fille, uniquement d�sireuse de l�aimer et de le servir, puisse �tre tromp�e �. Le d�mon, ne r�ussissant pas � entamer par la violence et la ruse la patience de cette dame g�n�reuse, eut recours aux propos malveillants, Il suscita dans la ville du Puy, de m�chantes langues pour la diffamer, traiter sa pi�t� d�hypocrisie, et toute sa conduite de dissimulation.

Les parents d�Agn�s furent extr�mement peines de ces rumeurs f�cheuses ; mais, ayant une haute id�e de la vertu de leur fille, ils se content�rent d�ordonner � la s�ur d�Agn�s de l�informer de ce qui se passait et de l�avertir du d�shonneur qui tombait sur la famille.

Cette s�ur, t�moin oculaire de l�innocence d�Agn�s et par ailleurs pleine de respect pour ses parents, transmit, non sans r�pugnance, La communication. Agn�s lui r�pondit avec douceur : � Je n�ignore pas, ma s�ur, les accusations port�es contre moi ; dites � mon p�re qu�il ne s�afflige point de ces faux bruits, et assurez-le que je tromperai bien te monde qui me verra toute autre qu�il ne me croit �. Elle ne perdit rien de son -calme, continua ses pratiques de d�votion et de charit�, et finalement d�sarma la calomnie. Les auteurs des inf�mes proc�d�s ne tard�rent pas � en concevoir du regret, et plus tard, quand Agn�s fut sur le point de quitter Le Puy, pour entrer en Religion, ils vinrent en foule, devant l��glise du couvent, pour lui demander pardon. � De quelle faute me demandez-vous pardon, leur r�pondit l�humble fille : je n�ai jamais cru que vous m�ayez offens�e �.

IV

Une vie si pure ne pouvait .s�arranger des embarras du si�cle : le monde ne m�ritait pas de poss�der plus longtemps un tel tr�sor. J�sus-Christ, qui de toute �ternit� avait pr�destin� Agn�s � �tre son �pouse, se devait, en quelque sorte, de la retirer dans la solitude du clo�tre, afin de lui parler c�ur � c�ur et de se communiquer � elle avec plus d�abondance.

D�j�, en l�ann�e 1621, Agn�s avait re�u l�habit du Tiers-Ordre de la P�nitence de Saint-Dominique; mais cet �tat ne rassasiait pas ses d�sirs : elle voulait plus. D�autre part, la situation financi�re de la famille ne lui donnait pas l�espoir de fournir une dot pour entrer au monast�re de Sainte-Catherine, fond� au Puy, environ vingt ans auparavant. Le Seigneur allait faire na�tre une occasion favorable.

On songeait � �tablir � Langeac une maison de S�urs Dominicaines, et l�on avait r�solu de faire venir du Puy quatre Religieuses pour pr�sider � la fondation. La joie que ressentit Agn�s de cette nouvelle ne peut s�exprimer. Elle crut saluer l�aurore de sa d�livrance, et fit de grandes instances apr�s du P�re Panassi�re, sous-prieur du couvent de Saint-Laurent, et son confesseur en l�absence du P�re G�rard, afin qu�il lui obt�nt d��tre re�ue comme s�ur converse dans le monast�re de Langeac. Le P�re Panassi�re agit fortement aupr�s du P�re Raboly, autre Dominicain, confesseur ordinaire de nos Religieuses du Puy, et obtint enfin ce qu�il souhaitait.

Agn�s s�appliqua, l�espace de six mois, � se rendre capable des emplois propres aux S�urs converses ; elle se fit m�me enlever avec le fer rouge une excroissance de chair formant un sixi�me doigt, et pouvant �tre un obstacle pour bien p�trir le pain. Les six mois �taient � peine �coul�s qu�on vit se produire un changement de fortune inattendu pour la .servante de Dieu. Une dame veuve du Vivarais �tant venue s��tablir au Puy eut connaissance d�Agn�s. Sa conversation toute sainte et sa vie exemplaire la touch�rent � tel point qu�elle-m�me r�solut de rev�tir l�habit religieux au monast�re de Langeac et de constituer deux dots, une pour elle, l�autre pour Agn�s, afin qu�elle f�t re�ue comme S�ur de ch�ur. La proposition fut accueillie du P�re Raboly, et sanctionn�e par l��v�que de Saint-Flour, dont Langeac d�pendait alors.

Les choses en rest�rent l�, trois mois environ, et l�on n�attendait plus que l��poque fix�e pour le d�part. Mais Dieu, qui pr�parait des humiliations � celle qu�il voulait �lever � une si �minente saintet�, permit que tous ces projets fussent renvers�s en un moment. La dame, revenue de sa ferveur passag�re, abandonna la r�solution de prendre le voile, et craignant l��clat occasionn� par sa retraite, quitta Le Puy sans bruit pour regagner son pays. Un �v�nement si peu attendu causa grande surprise dans la ville, et on en rejeta le poids sur Agn�s, qualifi�e d�ambitieuse et orgueilleuse, pour ne s��tre pas content�e de sa condition premi�re de Converse, qui toi avait �t� accord�e par faveur. � La voyez-vous, disait-on par raillerie, la voyez-vous, cette fille de service qui a voulu devenir s�ur de ch�ur et qui maintenant n�est plus rien ! � Sans s��mouvoir de ces propos d�sobligeants Agn�s ne laissait pas d��tre profond�ment afflig�e ; car son espoir d��tre Religieuse paraissait s�en aller en fum�e. Le P�re Raboly, qui avait d�j� donn� � l��v�que de Saint-Flour le nom d�Agn�s Galand pour entrer dans le monast�re comme Religieuse de ch�ur, refusait maintenant de la pr�senter comme simple Converse, et les instances du P�re Panassi�re ne parvenaient pas � le fl�chir.

Un gentilhomme de Riom, qui s�occupait de la fondation d�un monast�re de Carm�lites dans cette ville, ayant appris la d�convenue de la pauvre Agn�s, s�offrit de la faire recevoir dans le nouveau monast�re ; mais celle-ci, se sentant press�e par Dieu de pers�v�rer dans sa vocation dominicaine, se contenta de remercier.

Cependant les demoiselles fondatrices du monast�re de Langeac, apr�s �tre venues passer quelque temps � Sainte-Catherine du Puy, pour s�initier � la vie religieuse, se disposaient � partir avec les quatre S�urs charg�es de les aider dans la fondation. Agn�s �tait accabl�e de tristesse de ne pouvoir les suivre. Ses larmes, sa d�solation, l�alt�ration de ses traits �murent profond�ment le P�re Panassi�re ; il fit une supr�me instance aupr�s du P�re Raboly. Dieu b�nit sa tentative, et le Religieux consentit � recevoir Agn�s � titre de Converse.

Impossible d�exprimer avec quelle joie et quelle reconnaissance notre postulante accueillit cette heureuse nouvelle. Son visage reprit un air de sant�, et les forces revinrent � ses membres. En m�me temps s�op�ra un revirement complet dans les esprits ; ceux qui avaient le plus insult� aux �preuves de l�humble fille applaudirent � son bonheur, et quand, pour ob�ir � ses directeurs, elle entreprit de faire une petite qu�te par la ville, afin d�aider aux frais de son voyage et de sa v�ture, elle recueillit en deux jours plus de deux cents livres.

La veille du d�part, Agn�s alla prendre cong� de sa ch�re Madone de Notre-Dame du Puy. Elle passa la plus grande partie de cette journ�e dans la basilique ang�lique, et re�ut de grandes faveurs de la Vierge Marie et de son divin Fils. Agn�s consola ensuite ses bons parents et dit adieu � ses fr�res et � ses s�urs ; s�adressant sp�cialement � sa s�ur Marie, fid�le d�positaire de ses secrets, elle lui dit avec tendresse : � Quittez le monde, ma ch�re s�ur, je vous en conjure, c�est un trompeur : apr�s avoir abus� ceux qui suivent ses maximes, il les plonge dans un malheur �ternel. Mettez-vous � couvert dans un clo�tre bien r�form� �.

Marie fut vivement touch�e de tels conseils et les mit si bien en pratique qu�elle entra plus tard comme S�ur converse au monast�re de Viviers et y mourut en r�putation de tr�s haute vertu.

Agn�s, d�gag�e de tout ce qui pouvait l�arr�ter, se disposa � partir pour Langeac avec les fondatrices et les quatre Religieuses du Puy. Le voyage devait se faire � cheval. Une personne de condition avait mis � la disposition de la jeune postulante une monture vigoureuse. Mais, � l�heure de se mettre en marche, l�animal, par un incident que tout le monde attribua � un artifice du d�mon, sentit un poids si lourd qu�il se couvrit de sueur et ne put faire un pas. On amena un autre cheval qui demeura pareillement immobile. Agn�s se vit contrainte de descendre et d�aller � pied jusqu�� Langeac. Quand on arriva en vue de la ville, son Ange gardien lui montra les b�timents du monast�re et lui dit : � Voil� ta maison ! � Le d�mon, � son tour, lui apparut sous une forme monstrueuse, et au moment o� elle traversait le pont jet� sur l�Allier lui sugg�ra la pens�e de se pr�cipiter dans la rivi�re, plut�t que d�aller s�emprisonner dans un clo�tre, pour le reste de ses jours. Le bon Ange vint au secours d�Agn�s et dissipa la malice de Satan.

Avant d�entrer dans leur habitation, nos voyageuses se rendirent � l��glise pour adorer et remerci�e Notre-Seigneur. Agn�s ressentit alors de tels transports d�amour qu�elle tomba dans un ravissement qui dura trois heures. Ses compagnes, remarquant son absence prolong�e, l�envoy�rent chercher, et la sortirent ainsi de son extase.

V

Le 26 septembre 1623, le P�re Guidy, Provincial des Fr�res Pr�cheurs de Provence, prit au nom de l�Ordre la direction du monast�re, plac� sous le vocable de Sainte-Catherine de Sienne, et y �tablit la cl�ture. Il institua le P�re Raboly confesseur de la Communaut�, et mit � la t�te du monast�re deux des Religieuses venues du Puy: la M�re Marie Pascal, � titre de Prieure, et la M�re Louise Bouriat en qualit� de Ma�tresse des novices. Puis il c�l�bra le Saint-Sacrifice, et adressa une pieuse allocution � la petite communaut�.

Le m�me jour, les quatre demoiselles fondatrices re�urent l�habit de novices. Pour Agn�s, la c�r�monie de sa v�ture fut renvoy�e au 4 octobre, f�te du s�raphique Fran�ois d�Assise, un de ses Saints pr�f�r�s. En cette circonstance on lui imposa le nom d�Agn�s de J�sus. .Dire la joie de la servante de Dieu, serait chose impossible. Elle voyait se r�aliser les v�ux de sa vie enti�re. Hors d�elle-m�me, absorb�e dans la plus haute contemplation, elle parut aux yeux de ses S�urs rayonnante d�une beaut� ang�lique ?

Pour comble de bonheur, le saint Patriarche Dominique, se montrant � elle, lui dit avec bont� : � Eh bien ! ma fille, apr�s avoir beaucoup pleur� et d�sir� mon habit, vous l�avez obtenu et vous �tes consol�e. Aimez voire �poux J�sus et rendez-lui gr�ces; gardez fid�lement vos r�gles; soyez humble, ob�issante, et vous verrez que jamais je ne vous d�laisserai �.

Mais si le Ciel lui �tait si favorable, l�enfer ne pouvait la laisser en repos. Le soir m�me du beau jour, Satan se pr�senta et dit � la nouvelle S�ur : � Allons, te voil� contente ; sache-le bien, je ferai tout mon possible pour te perdre �. L�-dessus, il se mita la battre avec tant de fureur que la pauvre Agn�s s�en trouva le lendemain presque dans l�impossibilit� de remplir son office.

On lui avait assign� le soin de la cuisine. Elle regarda cet emploi non avec m�pris ou d�dain, mais comme un moyen efficace de pratiquer la chant� et la patience. Fort peu pr�par�e dans la maison de son p�re � de telles fonctions, elle y apporta du moins tant de bon vouloir que les Religieuses trouvaient bien appr�t�s tous les mets qu�elle leur servait. Du reste son bon Ange l�assistait visiblement, dit un contemporain, et il suppl�ait � diverses choses que la faiblesse de sa sant� l�emp�chait de faire. Pour avoir l�eau, Agn�s �tait contrainte d�aller tr�s loin, et le voyage lui �tait d�une fatigue extr�me. Elle s�en plaignit amoureusement � Notre-Seigneur, qui fit jaillir, dans la cuisine m�me, une source d�eau limpide et abondante. On construisit un puits appel� plus tard � le puits de la M�re Agn�s � ; il subsiste toujours pour l�avantage des malades qui boivent avec confiance de son eau.

Agn�s avait d�autant .plus besoin de l�assistance c�leste, que le d�mon, fid�le � ses menaces s�effor�ait par mille vexations, de la d�go�ter de son emploi. Il se montrait quelquefois � elle sous la forme d�un dragon, jetant des flammes par la gueule et parles narines. L�humble novice s�agenouillait aussit�t devant le petit oratoire qu�elle avait dress� dans sa cuisine, et s�abandonnait entre les mains de Dieu. Le monstre alors redoublait de fureur. Tant�t il cachait les ustensiles les plus n�cessaires, tant�t il transportait les aliments en un lieu secret et les couvrait de sable; parfois il jetait de grosses b�ches sur les pieds d�Agn�s pour les �craser, ou bien il la poussait rudement contre le fourneau ou la muraille. En toutes ces rencontres, le bon Ange intervenait assez � temps pour emp�cher Agn�s d��tre bless�e ou br�l�e. Aussi, � raison de ce m�lange d��preuves et de consolations, l��pouse du Christ appelait-elle plaisamment sa cuisine � un enfer et un paradis �.

Toute l�ann�e de son noviciat, Agn�s de J�sus s�appliqua vigoureusement � garder les prescriptions de la r�gle et � pratiquer en perfection les vertus chr�tiennes et religieuses.

Et d�abord l�humilit�, qui est le fondement de toute saintet�, remplissait son �me et la p�n�trait tellement que la servante de Dieu ignorait ce qu�est suffisance et orgueil, Son confesseur lui ayant demand� un jour si elle ne ressentait pas quelque vanit� ou complaisance pour les faveurs peu communes dont Dieu l�honorait, elle demanda avec candeur, avant de r�pondre, ce qu�il entendait par vanit� et complaisance. Ravie de ce que la qualit� de S�ur converse l�engageait � servir les autres, elle s�affligeait de recevoir � son tour quelque service, et se plaignait au Seigneur de l�empressement des Religieuses � soulager une si vile cr�ature dans ses maladies : � Ne t�afflige pas, ma ch�re fille, r�pondit le divin Ma�tre, je saurai r�compenser celles qui te servent, et leurs peines ne seront pas perdues �.

Cette humilit� lui faisait trouver des consolations extraordinaires dans les r�primandes et les corrections. Son confesseur, voulant l�humilier, la traita un jour d�hallucin�e, prenant pour des visions c�lestes les artifices du d�mon : l�humble S�ur re�ut cet avis avec joie, pleura am�rement de s��tre laiss� tromper, et r�solut d�en faire p�nitence.

Par le m�me principe d�humilit�, elle se consid�rait comme coupable des �v�nements f�cheux qui survenaient � la communaut�. La rivi�re, dont les eaux baignaient les murailles du monast�re, renversa, par suite d�une forte crue, un pan de mur du jardin. Agn�s en fut vivement pein�e, persuad�e que ses p�ch�s avaient attir� cette perte � la communaut�.

L�humilit� �tait accompagn�e chez elle d�une candeur et d�une simplicit� merveilleuses, ce qui contribua grandement � la faire aimer. Cette candeur apparaissait dans ses paroles et ses actes, et jusque dans ses rapports avec Dieu. Le P�re confesseur, en proie � une douleur aigu�, ordonna � la vertueuse S�ur de demander au Seigneur sa gu�rison. Agn�s pria son c�leste �poux avec ferveur et m�me importunit�, mais sans succ�s. J�sus-Christ lui apparut : � Agn�s, ma fille, tu es bien ; simple de m�adresser avec tant d�instances une telle demande. � H�las ! Seigneur, r�pondit-elle, vous �tes bien plus simple encore d��tre mort pour une ingrate cr�ature comme moi, si peu fid�le � vos gr�ces ! � Admirable colloque que l�amour seul peut comprendre, et dont l��criture vous donne le secret en disant que le Dieu de majest� se pla�t � converser avec les �mes pures et simples : cum simplicibus sermocinatio ejus (Prov III, 31.)

La vertu d�ob�issance n��clatait pas moins dans l�humble S�ur ; on peut m�me dire qu�il n�y eut gu�re d�occasions o� Agn�s ne l�ait pratiqu�e � un degr� sublime. Soigneusement attentive � observer les moindres points de la r�gle et des constitutions, vigilante � ex�cuter tout ce qu�on exigeait d�elle, on remarqua que la voix de sa Sup�rieure, les ordres de ses confesseurs, le seul son de la cloche eurent toujours plus de pouvoir sur son esprit que les r�v�lations dont elle �tait favoris�e et les recommandations qui lui venaient du Ciel. Ni les visites du Sauveur, ni les apparitions de la Sainte Vierge ou des Saints, ni la pr�sence habituelle de son Ange gardien, ne lui firent jamais diff�rer d�un instant le plus l�ger acte d�ob�issance.

Cette soumission et d�pendance, pierre de touche de la vraie saintet�, fut pour ses directeurs spirituels la preuve convaincante de la r�alit� divine de ses visions et r�v�lations ; elle fut en m�me temps pour elle le principe constant d�une disposition � ne se distinguer en rien du reste de la communaut�. Aust�rit�s, pri�res, communions, elle subordonnait tout � l�ob�issance, et m�me au plus fort de la maladie, br�l�e de fi�vre, elle se refusait le moindre soulagement, si l�ob�issance n�y avait donn� sa sanction.

La M�re Prieure, qui s�appliquait beaucoup � examiner l�esprit d�Agn�s, lui commanda un jour de pr�cher au r�fectoire devant les Religieuses, et voulut m�me, une autre fois, que ce f�t au ch�ur, en pr�sence de plusieurs eccl�siastiques. Agn�s ne chercha ni raison, ni pr�texte pour d�cliner une fonction si peu en harmonie avec sa condition. Mais grande fut la surprise de l�auditoire de l�entendre parler de l�excellence et de la saintet� de l��tat religieux avec une onction si communicative que tout le monde se sentit embras� des flammes sacr�es qui la consumaient elle-m�me.

VI

Cependant l�ann�e de probation �tait pr�s d�expirer, et r�guli�rement S�ur Agn�s devait �tre appel�e � faire sa profession solennelle. Mais voici que l�h�sitation se mit � son sujet parmi les Religieuses. Les p�nitences de toute sa jeunesse, le peu de nourriture qu�elle prenait et les mauvais traitements qu�elle essuyait de la part du d�mon avaient r�duit son pauvre corps � une telle faiblesse que l�emploi de la cuisine finit par lui devenir impossible. � On l�a prise pour servir la maison, se disaient les S�urs, et il faudra que la maison la serve. � Elles n�eussent pas �t� fort �loign�es de lui signifier son cong�. Mais la M�re Prieure, plus calme et mieux �clair�e, jugea qu�il pouvait y avoir l� un indice qu�Agn�s de J�sus �tait destin�e dans les plans de la Providence � s��lever de la condition de S�ur converse � l��tat de Religieuse de ch�ur. Elle parla dans ce sens au P�re Panassi�re, lequel venait d��tre assign� comme confesseur du monast�re de Langeac. Ce Religieux, qui avait dirig� Agn�s plus d�une ann�e, quand elle �tait au Puy, pensa comme la M�re Prieure. Il alla m�me jusqu�� ordonner � sa p�nitente de prier Dieu de faire conna�tre sa volont� � cet �gard.

L�humble Agn�s s�excusa tant qu�elle put de faire une telle pri�re : elle dut ob�ir. Satan en con�ut un extr�me d�pit. La premi�re fois qu�elle pria � cette intention, il lui apparut furieux et lui dit : � Si tu ne cesses de prier pour cette affaire, je te ferai perdre la vie : il ne tient qu�� toi de rester en repos �. Et voyant que la sainte fille pers�v�rait dans sa pri�re, il passa des menaces aux coups et la frappa si violemment qu�elle en demeura comme an�antie. Pareilles sc�nes se renouvel�rent de temps en temps, mais Dieu la fortifiait par sa gr�ce et ses consolations.

Les obstacles � la r�ception d�Agn�s comme S�ur de ch�ur se multipliaient de toute part. Les adversaires du projet mettaient en avant la pauvret� de sa condition, les dispositions de la R�gle et une convention faite avec l��v�que de Saint-Flour, d�o� r�sultait, disait-on, un emp�chement tout � fait insurmontable. Pour surcro�t de difficult�s, la Prieure, S�ur Marie Pascal, enti�rement d�vou�e aux int�r�ts d�Agn�s, fut rappel�e au monast�re du Puy et une Converse venue la chercher apporta une lettre peu favorable � notre novice.

Tout paraissait d�sesp�r� quand Dieu intervint, en envoyant � sa servante une maladie myst�rieuse, accompagn�e de ravissements dont toute la communaut� fut t�moin. Dans l�une de ces extases, qui dura dix heures, Agn�s fut transport�e en esprit au ciel, et vit la Tr�s Sainte Vierge lui pr�senter une rose d�une merveilleuse beaut�. Revenue � elle-m�me, elle demanda aux assistants sa rose, ce qui donna lieu ensuite au P�re Panassi�re de conna�tre toute la v�rit� de ce ravissement. Agn�s se sentit aussi �lever au Calvaire, o�, son Ange lui ayant perc� le c�ur d�un dard, les personnes qui entouraient sa couche l� virent en des transports d�amour ineffables : on dut rafra�chir avec des linges tremp�s dans l�eau sa poitrine br�lante. Elle parut m�me r�duite � une si grande faiblesse que le confesseur, craignant qu�elle ne mour�t, se mit en devoir de lui administrer les Sacrements. Agn�s reprit assez de force pour s��crier : � Venez, mon �poux, venez au plus t�t, mon bien-aim�, mon tout ! �

Ce fut au cours de cette maladie que la servante de Dieu se mit un jour � la suite de la Bienheureuse Vierge Marie, qu�entouraient un nombre consid�rable de vierges, pour assister au tr�pas d�une fille d��minente vertu, nomm�e Marie de Geyce. Elle la vit remettre son �me entre les mains de la M�re de mis�ricorde, qui la conduisit au ciel. La douleur que ressentit Agn�s de quitter cette sainte compagnie pour revenir sur terre s�exprima par des larmes abondantes, pendant trois jours : souvent elle s�adressait � la sainte �me qu�elle savait depuis peu en Paradis, et lui demandait son assistance aupr�s du Seigneur.

Tant de faits merveilleux, joints aux admirables vertus d�humilit�, de charit�, d�h�ro�que patience pratiqu�es par Agn�s depuis pr�s d�un an, firent une impression profonde sur les Religieuses, et les dispos�rent insensiblement � entrer dans les vues de Dieu. Sur ces entrefaites, les Dominicaines du Puy, qui �tablissaient une maison � Viviers, �crivirent � celles de Langeac que, si elles ne voulaient pas recevoir S�ur Agn�s pour Religieuse de ch�ur, elles lui accorderaient volontiers cette gr�ce dans leur nouveau monast�re, o� sa s�ur Marie venait d�entrer par les soins du P�re G�rard. Cette nouvelle r�jouit beaucoup le P�re Panassi�re profitant d�une conjoncture si favorable, il s�adressa � M. Martinon, archipr�tre de Langeac, et lui repr�senta que le peu de sant� : d�Agn�s ne permettait pas qu�elle demeur�t S�ur converse, et que, si l�on refusait � Langeac de la faire passer au rang des S�urs de ch�ur, il l�enverrait � Viviers, o� les Religieuses la souhaitaient tr�s vivement.

M. Martinon, qui n�avait pas peu contribu� � la fondation de Langeac, et y comptait parmi les Religieuses sa s�ur et ses deux ni�ces, entra dans le sentiment du P�re Panassi�re. Il parla en faveur d�Agn�s avec tant d��loquence que la communaut� fut unanime pour l�agr�er comme Religieuse de ch�ur, et sollicita, sans tarder, l�approbation de l��v�que de Saint-Flour.

A raison des rares qualit�s d�Agn�s, dont on lui avait parl�, le Pr�lat accueillit la requ�te avec bienveillance, tout en stipulant que cette concession exceptionnelle ne tirerait pas � cons�quence.

Notre S�ur fut inform�e par son bon Ange de cet heureux �v�nement. � Ch�re �pouse de J�sus, lui dit-il, votre affaire a r�ussi en d�pit de l�enfer : b�nissez le Seigneur, dont la volont� va s�accomplir en vous �.

De son c�t�, le d�mon parut le soir m�me, et prenant un ton railleur : � Eh bien ! Madame, vous voil� donc S�ur de ch�ur ! Sachez bien que vous n��tes pas o� vous devez �tre ; je ferai tout mon possible pour vous perdre �. Puis il la chargea de coups et la laissa comme morte sur la place. Le lendemain, jour o� fut enregistr�e l�autorisation �piscopale, Satan revint avec plus de fureur et pr�cipita Agn�s du haut de l�escalier jusqu�en bas. Deux Religieuses, qui la virent tomber, furent tr�s �tonn�es qu�elle ne se f�t pas de mal et conclurent � la protection d�une main invisible.

Le 28 septembre 1624, S�ur Agn�s de J�sus �changea le scapulaire noir pour le blanc scapulaire de novice de ch�ur, et pendant quatre mois dut se soumettre � un suppl�ment de probation.

La Prieure, S�ur Louise Bouriat, lui d�signa une ma�tresse fort exp�riment�e en la vie spirituelle et chargea une autre S�ur de la former � la lecture et au chant. Non contente de lui apprendre la prononciation du latin, cette Religieuse sembla prendre � t�che d�exercer sa patience. A la moindre faute, elle retirait le livre des mains d�Agn�s, lui en frappait sur les doigts ou le jetait � terre bien loin. La pauvre novice allait ramasser le livre tranquillement et revenait pr�s de sa ma�tresse, attribuant cette mani�re d�agir � un grand z�le pour son instruction. Les autres Religieuses l��prouvaient, elles aussi, de diverses mani�res, et son confesseur, qui ne lui avait jamais �pargn� les affronts dans le monde, en devint plus lib�ral que jamais.

En revanche, quelques douceurs c�lestes venaient temp�rer l�amertume de ces humiliations. Chaque matin, � son lever, Agn�s avait coutume de se tourner dans la direction de N.-D. du Puy, et demandait la b�n�diction de la Sainte Vierge par ces paroles : Nos cum Prole pia benedicat Virgo Maria : que la Vierge Marie nous b�nisse avec son divin Enfant �.

Souvent la Reine du ciel r�pondait � cette pri�re en se pr�sentant elle-m�me et en la b�nissant. Parfois elle lui disait : � Que mon divin Fils te b�nisse ! � ou encore : � Que la Tr�s Sainte Trinit� te b�nisse, ma fille bien-aim�e �.

Son Ange gardien lui accordait une pareille faveur. En outre, il l�instruisait de ce qu�elle avait � chanter, et l�on s��tonnait que S�ur Agn�s, d�ailleurs dou�e d�une fort belle voix chant�t l�Office avec une grande s�ret�, bien qu�elle ne s�t pas encore le plain-chant.

Le Roi des Anges lui-m�me procura diverses faveurs � son �pouse ch�rie. Peu de jours apr�s qu�elle eut �t� re�ue S�ur de ch�ur, il fit para�tre devant elle un petit agneau d�une extr�me douceur et d�une beaut� ravissante. Agn�s craignit d�abord une illusion, mais Notre-Seigneur la rassura et l�agneau lui apparut depuis assez souvent, surtout lorsqu�elle se trouvait en proie � quelque grande affliction.

Cependant les Religieuses, suffisamment �difi�es sur les dispositions de leur novice, l�admirent unanimement � faire profession. La M�re Prieure le lui signifia en pr�sence de toute la communaut�.

Chose �trange ! Une si bonne nouvelle jeta Agn�s dans la plus grande peine d�esprit qu�elle e�t jamais �prouv�e. Satan lui repr�senta que c��tait folie de sa part de faire profession, surtout dans un Ordre aussi aust�re, o� jamais l��tat de sa sant� ne lui permettrait d�observer les r�gles, ce qui la placerait perp�tuellement en �tat d�offenser Dieu et de se perdre. Ces fausses insinuations p�n�tr�rent si profond�ment l��me de la pauvre Agn�s que ni ses sup�rieures, ni le P�re Panassi�re, ni d�autres �minents Religieux ne parvenaient � la d�tromper. Aux tortures morales s�ajout�rent d�affreux tourments ext�rieurs. Les d�mons, sachant qu�il ne leur serait plus permis de la pers�cuter, apr�s qu�elle serait devenue professe, redoubl�rent contre elle de rage et de violence. Les uns, sous la forme de serpents, s�entortillaient autour de ses membres ; les autres, sous la figure de loups affam�s, se jetaient sur elle gueule b�ante ; d�autres encore, semblables � des lions, poussaient � ses oreilles d��pouvantables rugissements. Ces visions infernales �taient continuelles il n��tait aucun lieu dans le monast�re o� elle en f�t exempte. La M�re Prieure esp�ra la mettre � l�abri de cette pers�cution en la faisant coucher dans sa chambre, Soin inutile. Elle-m�me, entendant le bruit des coups et les g�missements d�Agn�s, en tomba malade et faillit mourir.

Encore si le Seigneur avait consol� sa servante par les caresses spirituelles dont il l�avait si souvent gratifi�e! Mais non. C��tait vraiment pour elle l�heure des t�n�bres et de l�abandon. Agn�s, craignant d�avoir offens� Dieu, et de continuer � lui d�plaire en demeurant au couvent, souffrait des maux inexplicables et ne faisait que pleurer jour et nuit.

Impuissant � la consoler, le P�re Panassi�re se rendit au Puy pour consulter le P. Boyre. Apr�s l�avoir entendu, le savant J�suite jugea qu�une �me � qui Dieu laissait soutenir de tels combats, �tait une �me hors ligne, ne craignant qu�une chose, le p�ch�, favoris�e d�apparitions c�lestes v�ritables, ce que justifiaient m�me les apparitions du d�mon. Il concluait qu�elle �tait vraiment appel�e d�en haut � la vie religieuse. Fort de ce t�moignage, en tout conforme � ses convictions intimes, le P�re Panassi�re enjoignit � sa p�nitente de se disposer � faire profession, le 2 f�vrier, f�te de la Purification.

La veille de ce jour, Agn�s fit une confession g�n�rale, avec une douleur si vive que son confesseur craignit qu�elle n�expir�t au saint tribunal. Elle demeura ensuite prostern�e � terre, l�espace de trois heures, pleurant ses p�ch�s. Le lendemain, deux Religieuses la conduisirent au ch�ur, en la soutenant � cause de sa grande faiblesse. Aussit�t qu�elle eut communi�, la paix rentra dans son c�ur, et J�sus-Christ lui donna l�assurance qu�� l�avenir le d�mon n�aurait plus sur elle aucun pouvoir. Agn�s eut alors un long ravissement, durant lequel le divin Ma�tre lui apparut ayant � ses c�t�s saint Paul, saint Augustin, saint Dominique, saint Fran�ois, saint Bernard, et une multitude d�Anges qui chantaient fort m�lodieusement.,

Revenue de son extase, on la conduisit � la cellule de la M�re Prieure, malade encore ; Agn�s pronon�a entre ses mains les v�ux de Religion et re�ut le voile noir des professes de ch�ur. En m�me temps Notre-Seigneur lui passa au doigt, comme � son �pouse, un anneau d�un grand prix, invisible � tout autre qu�� elle. Son visage prit une expression de beaut� ind�finissable, les larmes coulaient le long de ses joues, il n��tait douteux pour personne qu�elle recevait � ce moment des gr�ces extraordinaires.

Tandis qu�elle revenait au ch�ur, elle se vit entour�e de la Tr�s Sainte Vierge et de saint Dominique, l�assurant l�un et l�autre qu�ils l�acceptaient pour leur fille et, � ce titre, la prot�geraient toujours. Le bienheureux fondateur lui recommanda de nouveau de bien garder ses v�ux, ses r�gles et les constitutions de l�Ordre. Tout le jour fut rempli pour Agn�s d�une tr�s grande all�gresse, et � maintes reprises elle entendit les Anges chanter au ch�ur le Te Deum de son engagement irr�vocable.

C�est ainsi que, malgr� le monde et l�enfer, S�ur Agn�s de J�sus fit profession, en qualit� de Religieuse de ch�ur, le 2 f�vrier 1625, � l��ge de 21 ans et quelques mois.

VII

La gr�ce que re�ut la V�n�rable M�re Agn�s au jour de sa cons�cration � Dieu la remplit de reconnaissance pour ce bienfait signal�, et la sollicita de se rendre de plus en .plus agr�able � son divin �poux. Dans cette vue, consid�rant sa vie pass�e comme un amas de d�fauts et d�imperfections elle redoubla de soin � pratiquer toutes les vertus de son �tat, et ne tarda pas � projeter autour d�elle les rayons de la plus �minente saintet�. Les sup�rieures la nomm�rent ma�tresse des S�urs converses et porti�re du couvent. Agn�s s�acquitta de ces deux charges avec un grand z�le et trouva principalement dans le second office, l�occasion d�exercer tout � son aise la charit� qui la pressait pour les pauvres. Elle plaidait si bien leurs int�r�ts aupr�s de la M�re Prieure qu�elle obtenait souvent de surajoutera la distribution des aum�nes r�guli�res, et maintes fois Notre-Seigneur ou ses Anges se pr�sent�rent, cach�s sous des habits de mendiants, pour lui tendre la main. Ils ne se manifestaient qu�apr�s avoir re�u son aum�ne.

La constante pr�occupation d�Agn�s, dans la charge de porti�re, �tait d�associer � une grande charit� une parfaite ob�issance. Le Ciel l�en r�compensa par diverses faveurs. Une fois entre autres, la Tr�s Sainte Vierge lui d�clara que son ob�issance �tait tr�s agr�able � elle-m�me et � son Fils.

Un jour que S�ur Agn�s priait, devant le Tr�s Saint Sacrement, � une intention que la Sup�rieure lui avait recommand�e, un pauvre vint � sonner. Agn�s, remarquant la p�leur de son visage, courut demander la permission de l�assister. � Donnez-lui ce que vous voudrez �, r�pondit la M�re Boud�t. Heureuse d�une permission si large, l�amie des indigents prit tout ce qu�elle put trouver � la cuisine et le remit au pauvre. A l�instant m�me appara�t Notre-Seigneur sous la forme d�un petit enfant. Agn�s se prosterne pour l�adorer, et se met en devoir de retourner au ch�ur. � Demeure avec moi, dit le petit J�sus. � Je n�ai pas la permission, r�pond Agn�s. � O� peux-tu �tre mieux qu�avec ton Epoux, reprit le saint Enfant. � Nulle part, mais l�ob�issance m�appelle au ch�ur �. L�Enfant J�sus sourit et disparut, laissant Agn�s combl�e d�une joie toute c�leste.

Cependant l��preuve attendait la servante de Dieu dans son humble fonction. Un eccl�siastique de marque vint, un jour, trouver la M�re Prieure et porter diverses plaintes contre la S�ur Agn�s, all�guant, entre autres choses, qu�elle faisait beaucoup trop d�aum�nes. Sans prendre la peine de v�rifier ces reproches, la Prieure fit appeler S�ur Agn�s, lui adressa, devant toute la communaut�, une verte r�primande, et lui enleva la charge de porti�re. Agn�s se prosterna contre terre, suivant l�usage, et accepta l�humiliation avec une s�r�nit� de visage qui marquait parfaitement le calme de son �me. Mais elle se trouvait d�sormais priv�e du bonheur de secourir les pauvres : elle ne put se d�fendre de s�en plaindre amoureusement � son Epoux. J�sus lui r�pondit : � Ma fille, s�il ne t�est pas possible d�exercer la charit� corporellement, fais-la spirituellement en priant pour les pauvres, surtout pour les p�cheurs, si nombreux sur la terre. Au jour du jugement, je manifesterai en public ce que tu auras fait et tu seras exalt�e �.

Toutefois le divin Ma�tre ne tarda pas � lui faire rendre son office de porti�re, et Agn�s, en subvenant aux besoins temporels des indigents, oublia moins que jamais le grand devoir de l�aum�ne morale. Elle faisait � ses chers pauvres de si belles instructions et leur donnait les conseils les plus pratiques avec tant de suavit�, que plusieurs vertueuses personnes se m�laient parmi les mendiants pour rassasier leur faim spirituelle. La porte du monast�re �tait comme une �cole de vertus. Les uns venaient demander quelques rem�des aux maux de leurs �mes ; les autres sollicitaient des sujets d�oraison. Tous se retiraient plus anim�s que jamais � l�accomplissement du bien.

Vers le milieu du Car�me de 1626, la Prieure dit � S�ur Agn�s : � Ma fille, je veux que vous soyez Ma�tresse des novices �. Cette d�claration fut pour notre Religieuse un coup de foudre, et elle fit valoir toutes les raisons que son humilit� put sugg�rer. Il lui fallut se soumettre � l�ob�issance, et d�s lors elle s�effor�a de remplir son emploi avec, tout le z�le possible. Elle donnait toujours � ses novices le sujet d�oraison, et leur communiquait des pens�es propres � les p�n�trer de la plus solide d�votion : oubli complet du monde et de leurs int�r�ts personnels, application habituelle de l�esprit aux choses de la foi, surtout attention aussi continuelle que possible � la douce pr�sence de Dieu. Chaque jour, elle leur faisait rendre compte du nombre de fois qu�elles avaient quitt� la � cl�ture de leur c�ur �, c�est-�-dire la vigilance � s�unir � Dieu, et elle exigeait qu�elles s�imposassent une p�nitence proportionn�e � leur n�gligence. Sa grande bont� ouvrait les c�urs les moins port�s � l��panchement. Souvent Dieu lui r�v�lait les pens�es secr�tes des je�nes S�urs, et l�exp�rience que celles-ci en avaient achevait de leur inspirer la plus enti�re confiance.

D�sireuse de voir ses ch�res filles bien affermies dans l�humilit�, elle voulait que toutes s�accoutumassent � recevoir sans s�excuser les observations ou r�primandes. Dans les commencements, l�ardeur de son z�le lui faisait faire parfois certaines corrections avec trop de promptitude. Son Ange gardien l�avertit de ne jamais aborder avec vivacit� les personnes en faute, mais de leur parler d�abord de Dieu et d�arriver peu � peu � ce qu�il y avait de r�pr�hensible. Elle profita si bien de la le�on que, tout en conservant l�autorit� et la fermet� n�cessaires, cette sage ma�tresse conduisit toujours ses novices avec la douceur et la tendresse de la meilleure des m�res.

De toutes elle exigeait une parfaite ob�issance. Une S�ur converse, au caract�re rev�che, s��tant une fois laiss� emporter � une saillie de sa mauvaise humeur, M�re Agn�s lui �ta le voile et la fit entrer, t�te nue et la corde au cou, au r�fectoire pendant que la communaut� s�y trouvait r�unie. � J�estime infiniment plus, disait-elle,un acte d�ob�issance et de soumission que toutes les choses extraordinaires qui peuvent se passer dans une �me. Ces sortes de gr�ces doivent �tre tenues pour illusoires, si elles ne sont accompagn�es d�une vraie et sinc�re humilit� �. Elle disait aussi qu�une bonne Religieuse doit toujours �tre bien unie � sa sup�rieure et voir en elle J�sus-Christ uniquement. Dieu b�nissait d�autant plus les fonctions de sa charge qu�elle-m�me s�en croyait plus indigne. Parfois elle n�osait regarder ses novices en face, tant elle se sentait confuse d�avoir � enseigner des �mes qu�elle estimait lui �tre sup�rieures devant Dieu. Aussi suppliait-elle fr�quemment le divin Ma�tre de lui enlever un poids trop lourd pour ses �paules. Notre-Seigneur lui r�pondit un jour : � Pourquoi ne veux-tu pas �lever mes �pouses et les perfectionner dans mon amour ? travaille, travaille : je suppl�erai � ton insuffisance �.

VIII

Les qualit�s �minentes et l�s Solides vertus de la M�re Agn�s jetaient un vif �clat non seulement dans le monast�re, mais encore dans toute la ville de Langeac. Dieu avait tout dispos� pour placer sur le chandelier cette lampe ardente et luisante, en la faisant briller � la t�te de la communaut�.

Vers la fin de 1626, il fut d�cid� que les deux derni�res S�urs venues du Puy, pour fonder la maison de Langeac, regagneraient leur monast�re. L�une d�elles �tait la M�re Louise Bouriat. Son d�part laissait le priorat vacant. Dans sa sinc�re affection pour la jeune fondation, elle ne crut mieux faire que d�engager les S�urs � prendre pour Prieure la M�re Agn�s, bien qu��g�e seulement de vingt-cinq ans. Toutes acquiesc�rent volontiers � ce choix. Seule l��lue se montra inconsolable, regardant cette �lection comme une juste punition de ses fautes. Vainement elle opposa les repr�sentations, les supplications et les larmes : les sup�rieurs furent inflexibles. Agn�s dut courber la t�te, et s�appliquer � remplir selon l�esprit de Dieu les obligations de sa charge. Le Seigneur l�assista visiblement, en lui conf�rant � un tr�s haut degr� la saintet�, la prudence et tous les dons que requiert le bon gouvernement d�une communaut� religieuse. Le P. Boyre, son ancien confesseur, fort exp�riment� dans le maniement des �mes pouf avoir exerc� les principales charges de sa Compagnie, r�solut, ainsi qu�il l�avoua lui-m�me, de donner � la M�re Agn�s plusieurs avis importants, de peur qu�elle ne comm�t, au d�but, des fautes consid�rables. Mais, d�s qu�il l�eut entretenue quelques instants sur cet objet, il remarqua en elle une sagesse et une discr�tion si consomm�es qu�il n�alla pas plus loin, et d�clara franchement qu�un ministre d��tat ne gouvernerait pas mieux un empire. La jeune Prieure ne montra jamais ni un air d�affectation dans sa conduite, ni le d�sir de se pr�valoir de sa sup�riorit� ; au contraire, toujours humble et repli�e sur elle-m�me, c�est � peine si elle osait lever les yeux sur ses inf�rieures. Cette sainte humilit� ne fut point un obstacle � l�accomplissement de ses devoirs. Pr�venante pour tous les besoins des Religieuses, elle consolait celles qui �taient afflig�es, encourageait les timides, et r�servait pour elle-m�me les fonctions les plus p�nibles, se consid�rant comme la derni�re de toutes. Empress�e aupr�s des S�urs malades, elle veillait � ce que les infirmi�res remplissent bien leur office : elle les pr�venait m�me souvent dans les soins � donner. Les infirmi�res, il faut le dire, ne virent point d�un bon �il ce soi-disant empi�tement sur leurs droits; elles se plaignirent au confesseur du monast�re que la M�re Prieure voulait tout faire, m�me ce qu�il y avait de plus commun. Celui-ci, d�sirant m�nager tout le monde, pria la M�re Agn�s de se borner � pr�senter aux malades les potions et les aliments. Il en re�ut cette r�ponse : � Une grande dame en ferait bien autant, mon P�re ; vraiment ce sera un bon moyen pour que j�agisse en souveraine dans la maison ! � �difi� de tels sentiments, il lui laissa toute libert� d�agir. La charit� de la v�n�rable sup�rieure s��tendait au dehors de son monast�re. Un pauvre gar�on dont les jambes �taient atteintes d�ulc�res se pr�senta pour �tre soign�. La M�re Agn�s se chargea de lui avec grande joie ; un jour, ressentant quelque r�pugnance � la vue des plaies infectes de ce malheureux, elle les essuya de ses mains, et porta ensuite ses doigts � sa bouche, afin de ch�tier la nature en r�volte.

L�ardeur de la servante de Dieu pour les progr�s spirituels de ses filles n��tait pas inf�rieure � ses efforts pour procurer leurs avantages temporels. A la v�rit�, on la trouvait inflexible pour tout ce qui concernait le parfait �panouissement del� vie r�guli�re ; mais son z�le �tait m�l� de tant de douceur et de charit� qu�elle se rendit aimable � tout le monde. Ses allocutions en Chapitre �taient toutes de feu et embrasaient le c�ur des Religieuses. En r�cr�ation, son humeur enjou�e semblait s�appliquer � rendre ce temps v�ritablement agr�able � ses compagnes, et elle ne souffrait pas qu�aucune f�t absente sans motif l�gitime.

Souvent elle faisait tomber la conversation sur les choses de Dieu, et laissait volontiers chacune des S�urs exprimer les sentiments de son �me. Elle �cartait avec soin tout manquement � la charit� ; elle voulait que les Religieuses eussent un grand respect les unes pour les autres, mais leur interdisait toute parole louangeuse, ou capable de flatter l�orgueil. On remarqua de sa part une tendresse particuli�re pour les Religieuses ferventes, comme aussi une attention sp�ciale � mortifier les moins r�guli�res ; mais ses corrections, proportionn�es aux caract�res et aux circonstances, �taient empreintes d�une merveilleuse discr�tion.

Une mani�re de faire si prudente et si ferme mit la M�re Agn�s de J�sus en v�n�ration, non seulement parmi ses filles et les habitants de Langeac mais encore dans les pays circonvoisins. L��v�que de Mende, inform� de l��minente vertu de cette Religieuse, et d�sireux d��tablir l�s Dominicaines dans sa ville �piscopale, la demanda avec instance pour jeter les fondements du monast�re. Le P. Boyre approuva ce dessein, persuad� que le Seigneur en retirerait sa gloire, et agit aupr�s des S�urs de Langeac afin de les amener � laisser partir la M�re Agn�s pour un petit nombre d�ann�es, Mais ces pieuses filles ne voulurent jamais se s�parer de leur M�re et se d�pouiller d�un tr�sor si pr�cieux. De leur c�t�, le marquis et la marquise de Langeac, qui exer�aient, para�t-il, quelque protection sur le monast�re, d�clar�rent hautement que, malgr� les sollicitations de l��v�que de Mende, ils ne permettraient point le d�part de S�ur Agn�s de J�sus.

Le m�rite de cette grande servante de Dieu �tait donc universellement reconnu, et l�on e�t pens� qu�elle d�t jouir toujours de l�estime acquise par ses vertus. Mais, � jugement imp�n�trable du Ciel! il en advint tout autrement, et ce fut de sa propre maison que sortit la source des humiliations dont la v�n�rable M�re allait �tre abreuv�e.

Quelques S�urs du Puy, mues par des consid�rations humaines ou une secr�te jalousie, apprenant qu�apr�s le retour de la M�re Bouriat, on avait �lu Prieure de Langeac, S�ur Agn�s de J�sus, s�en montr�rent inqui�tes et chagrines. � Voil�, dirent-elles, une �lection fort malencontreuse. Cette fille de coutelier, admise comme simple Converse, a trouv� moyen de passer S�ur de ch�ur, et peut-�tre, pour contenter sa vanit�, de se faire nommer Prieure. On a eu bien tort de se pr�ter � ses fantaisies et d�entretenir ainsi son orgueil �.

Ces plaintes, ces murmures, concentr�s d�abord dans l�enceinte du monast�re, franchirent bient�t la cl�ture, se r�pandirent dans la ville du Puy, et parvinrent � Langeac, qui n�en est �loign� que de quelques lieues. Le d�mon aidant, la calomnie fit son chemin et p�n�tra jusque dans le monast�re de la M�re Agn�s. Certaines Religieuses, moins ferventes, honteuses peut-�tre de voir le m�rite de leur sup�rieure faire ressortir leurs d�fauts, se soulev�rent contre elle, t�moignant du regret de l�avoir mise � leur t�te. L�une d�elles, pouss�e plus vivement par l�esprit de malice, en vint � ourdir les plus noires accusations. A l�en croire, la Prieure, qui ne vivait, disait-on, que du pain eucharistique, mangeait en secret dans sa chambre des mets succulents. Des imputations si peu plausibles finirent par �tre �cout�es. Tout respect s�en allant, on censura la conduite de la sup�rieure, on d�natura ses intentions, on la jugea victime de l�illusion, on taxa tous ses actes d�hypocrisie. Bref, il se produisit contre la v�n�rable Prieure un tel revirement d�opinion que les S�urs �crivirent � l��v�que de Saint-Flour pour solliciter la d�position de la M�re Agn�s. Le pr�lat, �trangement surpris d�une telle demande, r�pondit par un bl�me s�v�re, et un refus cat�gorique. Mais, devant les instances r�it�r�es et les importunit�s des Religieuses, il comprit que, dans l��tat actuel des choses, c�en �tait fait de la paix du monast�re, et il chargea son grand vicaire de d�clarer le priorat vacant et de proc�der � une �lection nouvelle. S�ur Anne-Marie Martinon fut �lue.

Durant toute la temp�te dirig�e contre elle, la v�n�rable Agn�s n�avait jamais perdu le calme et la tranquillit� de son �me. Unie � Dieu, appliqu�e sans cesse � consid�rer la profondeur d� ses jugements, elle ne se plaignit en aucune mani�re des injustes proc�d�s de ses filles, se bornant � dire, pour toute justification, que leurs accusations n��taient point conformes � la v�rit�. Quand elle se vit d�poss�d�e de son emploi, elle se r�pandit en actions de gr�ces devant le Seigneur, le b�nissant d�avoir d�charg� ses �paules d�un lourd fardeau, et priant de tout son c�ur pour celles qui la traitaient si durement. Heureuse d��tre revenue � la condition de simple Religieuse, elle mit tous ses soins � vivre en parfaite �pouse de J�sus-Christ.

A l�exemple des historiens de sa vie, r�unissons ici, en un tableau d�ensemble, les principales de ses vertus, et les faveurs les plus extraordinaires qu�elle re�ut du Ciel.

IX

La r�v�lation int�rieure que Dieu lui donna de son n�ant et de sa mis�re, un jour qu�elle �tait tout occup�e de ses p�ch�s, fut l�heureux fondement de la haute perfection o� la gr�ce l��leva en si peu de temps. D�s ce moment, elle fut toujours si vivement p�n�tr�e de douleur � la vue de ses faiblesses qu�on l�e�t prise pour une grande criminelle. Ce fut la pens�e d�un de ses confesseurs, lequel, s�apercevant qu�en la f�te de sainte Marie-Madeleine elle r�pandait des larmes en abondance, crut que S�ur Agn�s pleurait peut-�tre sur des �carts semblables � ceux de l�illustre p�nitente de la Sainte-Baume. C�est pourquoi il l�examina soigneusement, lui fit faire une confession g�n�rale, s�informa de la conduite qu�elle avait men�e au Puy, par crainte qu�elle n�e�t tromp� le public sous des apparences de d�votion. Ce pr�tre revint promptement de son erreur. L�innocente Agn�s eut connaissance de sa pens�e, mais n�en parla qu�� une confidente et ne diminua rien de sa confiance en lui.

Ce sentiment d�humilit� ne parut pas moins en diverses autres occasions. On remarqua partout que cette admirable servante de Dieu, continuellement plong�e dans la connaissance de ses d�fauts, n�avait pour elle-m�me que haine et aversion. Ainsi les m�pris et les insultes, les m�disances et les calomnies, les humiliations et les reproches, les croix et les afflictions firent, toute sa vie, ses plus ch�res d�lices. C�est d�apr�s le m�me principe qu�elle ne ressentit jamais de plus grand tourment que de se voir l�objet du respect et de la v�n�ration. Une personne l�ayant imprudemment qualifi�e de sainte, lorsqu�elle �tait encore dans le si�cle, Agn�s en fut vivement attrist�e, et avoua les larmes aux yeux � sa compagne, que, si elle n�e�t craint d�affliger ses parents, elle se serait enfuie en un pays inconnu. Chose semblable lui arriva �tant Religieuse. Quelques personnes de qualit�, lui ayant rendu visite, vant�rent beaucoup sa pi�t�. Agn�s fut tr�s choqu�e de ces discours, et, se levant brusquement, alla se prosterner devant l�autel, en confessant sa bassesse.

A d�autres dames, qui la louaient sans r�serve, elle adressa une r�ponse qui n�admettait pas de r�plique. Se persuadant qu�au regard des gens du monde, l� vertu a besoin d��tre rehauss�e par l��clat de la naissance, la servante de Dieu pensa effacer la bonne opinion que l�on avait de son m�rite, en disant : � Mesdames, je suis la fille d�un fabricant de couteaux, et l�on m�a re�ue ici par pure charit� �.

Nous avons d�j� dit que, sous l�impression d�une parfaite humilit�, elle s�attacha inviolablement � suivre la voie commune dans le monast�re, et ne s�en �cartait qu�autant que l�ob�issance lui imposait le contraire. Le P�re Panassi�re lui ayant demand�, quelques jours apr�s sa profession, si elle ne serait pas heureuse de communier plus souvent que les autres S�urs : � H�las ! r�pondit-elle en pleurant, qui suis-je pour obtenir un privil�ge ? Non, je n�en veux pas. La r�gle commune pour la sainte Communion, c�est encore trop pour moi, qui suis la plus indigne du monast�re �.

L�humilit� d�Agn�s de J�sus ne s�arr�ta pas l�. Dans le si�cle, elle avait absolument d�fendu � sa s�ur de publier ce qu�elle lui avait vu pratiquer, � moins d�y �tre contrainte en vertu de l�ob�issance, quand elle serait morte ; dans le clo�tre, elle s��tudia m�me � cacher ses vertus sous des d�fauts affect�s. Cette application � obscurcir ce qui la faisait estimer lui inspira un moyen surprenant d�arr�ter toute parole d��loge � son sujet. Comme son bon Ange la visitait souvent et lui rendait des services extraordinaires, elle le pria instamment de, l�avertir lorsqu�on parlerait avantageusement d�elle. Ce fid�le gardien se pr�ta � son d�sir. Agn�s s�en servait si opportun�ment, surtout quand elle fut Sup�rieure, que les Religieuses n�osaient dire un mot � sa louange par la crainte d��tre surprises.

Un eccl�siastique s�entretenait un jour au parloir avec une S�ur des vertus �minentes de la servante de Dieu. La Religieuse s�arr�ta court, en disant avec candeur que, s�ils continuaient la conversation sur ce sujet, ils verraient arriver la M�re Agn�s, qui leur adresserait des r�primandes. L�eccl�siastique accueillit cette parole par un sourire d�incr�dulit�. A l�instant m�me appara�t la Prieure qui, montrant � la Religieuse un air s�v�re, la reprend vivement d�tenir de tels discours. Agn�s apprit aussi par son Ange gardien qu�une Religieuse du monast�re avait eu ordre du P�re Panassi�re d��crire en d�tail les actes de vertu de sa Prieure et qu�elle y travaillait dans le moment. Sans d�lai elle se transporte � la cellule de la S�ur, laquelle fort troubl�e balbutie qu�elle �crit une confession. � Ce n�est pas �, dit avec assurance l�humble Sup�rieure, et lui arrachant le papier des mains, elle le d�chire sous ses yeux.

Le P�re Boyre lui avait enjoint, � une �poque, de mettre par �crit toutes les gr�ces dont Dieu la favorisait. Cet ordre parut � notre Agn�s vraiment trop dur, et, malgr� sa soumission pour ceux qui la dirigeaient, elle ne pouvait se r�soudre � l�ex�cuter. Le confesseur, ayant renouvel� son commandement d�une fa�on expresse, elle lui pr�senta trois pages �crites en entier. Apr�s les avoir lues, le P�re Boyre les lui rendit, en disant pour l�humilier : � Voil� des choses ridicules �. Agn�s, sans mot dire, re�ut les feuilles et les br�la sur-le-champ.

Ses lettres d�bordaient des m�mes sentiments d�humilit�. A son confesseur elle �crivait, un jour : � Certaines louanges m�affligent beaucoup : il n�en peut �tre autrement, car je trompe tout le monde, je suis couverte d�une confusion telle, que je ne sais o� j�en suis, et je crains que le chagrin ne me force � m�aliter. A peine puis-je marcher, tant ces accidents affaiblissent le peu de forces que je poss�de. J�ai la volont� de demander � Monseigneur l�Ev�que, notre Sup�rieur, quelque petit coin en un monast�re de son dioc�se, afin de pleurer mes p�ch�s, et que personne au monde ne sache o� je suis... � Dans une autre lettre : � Si vous saviez comment se comporte la pauvre abominable, elle ne fait que se rouler dans l�ab�me de ses fautes. Vous vous trompez � mon �gard ; je vous le dis en v�rit�, je suis une mis�rable hypocrite : toutes les furies de l�enfer n�ont pas tant de malice que moi �.

A M. Oliery dont nous parlerons plus longuement dans la suite : � J�ai re�u avec beaucoup de consolation la lettre qu�il a plu � votre charit� de m�envoyer : je ne m�ritais pas davantage de recevoir de vos �crits ; mais j�attribue cette faveur � un bon naturel qui, par l�exc�s de son humilit�, me rend toute confuse et m�oblige d�y r�pondre par un profond silence ; car, s�il faut parler de mis�res, h�las ! qui en a plus que moi, abominable, obstin�e dans l�ab�me de mes p�ch�s, lesquels sont si grands, si �normes, que les furies infernales ns sont pas suffisantes pour les punir !... �

Ainsi pensait d�elle-m�me la servante de Dieu.

Il est temps maintenant de jeter les yeux sur sa vie aust�re et p�nitente, vie comme ins�parable de la v�ritable humilit�.

X

D�s son enfance,on l�a vu plus haut, alors qu�elle vivait parmi les habitants du si�cle, Agn�s : pratiquait ce qu�il y a de plus dur et de plus p�nible � la nature. L��tat religieux, qu�elle embrassa avec joie, acheva de r�aliser son d�sir de se crucifier et de mourir enti�rement � toute choses. Et il faut le reconna�tre, si la vie de la servante de Dieu est un miracle continu par rapport aux faveurs c�lestes dont la v�n�rable M�re fut honor�e, elle n�est pas moins un vrai prodige � raison, des souffrances, volontaires ou non, qui la remplissent.

La soif des souffrances parut en cette �me d��lite avec l�usage de la raison. Nous en avons pour preuve son ; ardeur, d�s l��ge de sept ans, � se donner la discipline plusieurs fois la semaine, � coucher sur la dure, � prendre le vendredi un breuvage form� de vinaigre et de suie, � se laisser tomber sur les bras de la cire br�lante, � inventer en un mot, chaque jour, quelque nouveau genre de mortification.

Sit�t qu�elle eut rev�tu l�habit de Saint-Dominique, son amour pour la croix s�augmenta. Souvent prostern�e en pr�sence de son c�leste �poux, elle lui demandait des afflictions et des croix. Elle fut exauc�e au del� de ses pr�visions. Maladies corporelles, douleurs morales, humiliations, confusions, reproches, devinrent son partage. Je passe sous silence les maux de t�te continuels qu�elle ressentit avec la derni�re violence, l�espace de six mois, sans prof�rer aucune plainte, et une douleur aux genoux, qu�elle subit sans modifier nullement sa mani�re de se tenir � l�oraison. J�omets �galement la fatigue d�estomac qui, pendant douze ans, ne lui permit pour ainsi dire pas de garder la moindre nourriture, et les diverses maladies aigu�s qui d�concert�rent la science des m�decins en r�sistant � leurs rem�des. Au milieu de ces maux, Agn�s de J�sus ne parut jamais ni troubl�e, ni inqui�te. Unie � Celui qui la frappait dans des vues de mis�ricorde, elle soupirait sans cesse apr�s de nouvelles croix et se regardait comme abandonn�e de Dieu d�s que la souffrance lui faisait d�faut. Sainte Catherine de Sienne lui apparut un jour ; il lui pr�senta deux couronnes, l�une enrichie de diamants, l�autre tress�e d��pines. Agn�s ne manqua pas d�imiter cette Vierge s�raphique, en choisissant, elle aussi, la couronne d��pines, et se la mit sur la t�te, non sans �prouver de tr�s vives douleurs.

Tout cela n��tait, en quelque sorte, que le pr�lude de ce que la servante de Dieu aurait � endurer.

Le premier jour de l�ann�e 1626 fut pour elle le commencement de maux extraordinaires. Elle sentit ses mains comme perc�es avec des aiguilles. Comprenant ce signe que l�heure de l��preuve �tait proche, Agn�s s�y fortifia par l�oraison. Son Ange gardien l�honora de sa pr�sence et l�anima de nouveau � suivre J�sus crucifi�. Quelques instants apr�s, elle fut attaqu�e de douleurs si violentes qu�on la crut morte durant plusieurs heures. Ayant repris ses sens et s�appliquant � l�oraison dans sa cellule, elle eut un ravissement, o�, se promenant � travers un beau jardin, elle re�ut de son guide c�leste l�invitation � cueillir de belles fleurs. � Non, pas des fleurs, r�pondit Agn�s, je veux des croix, des afflictions �. Et J�sus, paraissant � son tour, promit de la satisfaire avec abondance.

Elle ne tarda pas � voir l�effet de cette promesse. A peine en possession d�elle-m�me, elle �prouva dans les mains et les pieds des souffrances si vives, qu�elle ne pouvait ni marcher, ni porter � la bouche aucun aliment. Ces maux augment�rent le vendredi suivant, et l�on crut voir sur ses mains certaines croix rouges portant aux extr�mit�s des fleurs de lis. Cette nouveaut� remplit de joie la compagne d�Agn�s ; mais celle-ci, confuse de cette gr�ce ext�rieure, s�ab�ma au plus profond de son n�ant, et se retira dans une toute petite chambre situ�e au bout du jardin pour y vaquer � l�oraison.

C�est alors que le Ciel fut t�moin d�un combat tout divin entre l�Epoux et l��pouse. Agn�s, prostern�e en terre et baign�e de larmes s��cria avec autant de douleur que de confiance et d�amour : � Mon Epoux, je ne veux point ces marques ext�rieures ; �tez-les moi, s�il vous pla�t : point de croix visibles �.

L�Ange "gardien apparut, exhortant Agn�s � se soumettre au bon plaisir du divin Sauveur. � Non, non, reprit la servante de Dieu avec une Sainte indignation, non, je ne veux point de ces choses-l�, je n�en veux point; puisque vous venez, dites-vous, de la part de mon Epoux, je vous assure que ni vous, ni moi ne sortirons d�ici que vous ne me les ayez enlev�es, autrement, je ferai faux bond � mon Epoux en m�enfuyant dans une caverne �.

Ainsi parle l�amour, sans avoir trop conscience de ce qu�il dit. Les larmes d�Agn�s furent exauc�es. Son bon Ange l�ayant quitt�e, elle constata que les croix ext�rieures avaient disparu, bien que la douleur f�t toujours la m�me.

Sa joie de n�avoir pour partage que la souffrance toute pure accrut son courage pour embrasser de nouvelles �preuves. Son bon Ange vint l�avertir de s�y pr�parer. Le jour m�me, elle aper�ut dans sa chambre une lumi�re �clatante, au milieu de laquelle paraissait J�sus crucifi�. Agn�s se sentit, � ce moment, clou�e sur une grande croix, endurant des douleurs si intenses, qu�elle poussa de hauts cris. Les Religieuses accoururent et la trouv�rent couch�e sur son lit, les bras en croix, demandant d�une voix entrecoup�e l�assistance de leurs pri�res. Paraissant r�duite � l�extr�mit�, elle re�ut le saint Viatique. Cet aliment divin suspendit pour un temps la violence des douleurs. Elle eut m�me une extase dans laquelle il lui semblait voir la Sainte Vierge pr�ter l�oreille � ses filiales supplications. Puis son bon Ange l�avertit d�offrir � Dieu ses souffrances pour les �mes du Purgatoire, particuli�rement pour celles des Religieux et des Religieuses de son Ordre.

Les douleurs inou�es recommenc�rent d�s qu�Agn�s fut revenue de son ravissement, et dur�rent trois jours.

Le 6 f�vrier, reparurent les m�mes accidents, mais avec des circonstances plus merveilleuses. Le P. Panassi�re et M. Martinon, archipr�tre de Langeac, virent la M�re Agn�s dans le jardin, tomber tout � coup, les bras �tendus en croix. Elle demeura comme morte l�espace de trois ou quatre heures. Ses douleurs ayant un peu diminu�, on la transporta dans la chambre de la Sup�rieure, o�, prostern�e � terre, elle disait sans cesse : � O amour, que tu es violent ! Que ta puissance est grande !... Ah ! p�cheur, ne veux-tu donc point te convertir ? C�est pour toi que je souffre, ne m�prise pas le sang vers� pour ton salut !... �

Elle se confessa ensuite, avec des soupirs et des sanglots extraordinaires, re�ut la sainte Communion, et �tant sortie d�une extase o� les excellences du Calvaire lui furent montr�es, on la vit, de m�me que la fois pr�c�dente, �tendue sur sa couche comme sur une croix, les bras allong�s et les pieds pos�s l�un sur l�autre. Ses mains �taient repli�es � demi et enfonc�es en dedans. On entendait par moments craquer ses os, comme s�ils eussent �t� disloqu�s, et son c�ur battait si fort que la poitrine semblait pr�te � se rompre. Son visage paraissait cependant tout enflamm�, et les paroles que l�on pouvait saisir �taient des �lans d�amour propres � causer la plus vive impression sur les assistants.

A la suite de son extase, le confesseur, qui ne la quittait pas, lui demanda d�o� elle venait. � D�une grande salle parsem�e de croix, r�pondit-elle. � Y en a-t-il pour moi ? continua le confesseur.� Il y en a pour vous et pour mes S�urs. Oui, ajouta-t-elle en s�adressant � la Prieure, il y en a pour vous, ma M�re et pour mes S�urs ; cette maison n�aura que des croix, des croix toutes nues : il faudra de l�amour, beaucoup d�amour pour les porter �.

La suite de cette maladie ne fut qu�une s�rie de merveilles. Agn�s re�ut la visite de la Tr�s Sainte Vierge, accompagn�e de sainte C�cile et de plusieurs autres Saintes. On connut � son visage ce qui se passait d�extraordinaire, et la malade le d�clara ensuite par ob�issance. A la pri�re de la servante de Dieu, la communaut� enti�re eut la consolation d��tre b�nie par la M�re du pur amour. Les S�urs retenues ailleurs accoururent toutes par un mouvement inconscient, une seule except�e, que de vains scrupules avaient conduite au ch�ur pour y recommencer son rosaire.

Agn�s de J�sus �prouva les m�mes souffrances, le quatri�me jour de sa maladie, qui �tait le jeudi avant la quinquag�sime ; son crucifiement fut encore plus complet. Fortifi�e par son Ange gardien, qui la pr�vint de ce qui devait lui arriver, et r�solue d�endurer pour son Epoux les plus grands tourments jusqu�au jour du jugement, elle fut accabl�e en peu de temps de douleurs telles qu�on se demandait comment un corps si faible y r�sistait. L�innocente victime �tait dispos�e, � son ordinaire, comme une personne crucifi�e, les l�vres livides, la gorge noire et tum�fi�e, elle pronon�a ces seules paroles : � Mon ami, assistez-moi, mon J�sus, ne m�abandonnez pas �. Elle e�t voulu tenir le crucifix entre ses mains, mais ses mains �taient comme clou�es. Dieu suppl�a au d�sir de sa servante.

On vit le crucifix se lever et se soutenir suspendu devant elle, sans appui apparent. Ce fut alors que Dieu lui fit conna�tre les p�ch�s que commettaient tant de chr�tiens, dans ces jours de carnaval, et les douleurs de l��pouse du Christ augment�rent � proportion. Elle avoua au P. Panassi�re qu�elle �tait vraiment clou�e par les pieds et les mains.

Cependant les sympt�mes d�une mort prochaine paraissaient visiblement sur le visage de la malade, et le confesseur, n�en doutant plus, lui dit : � S�ur Agn�s, il faut mourir. � Agr�able nouvelle, r�pondit la servante de Dieu, si c��tait la volont� de mon Epoux! Mais j�appr�hende qu�il ne m�arrive encore comme l�autre fois, et qu�il ne me faille retourner � la vie �. On fit la recommandation de l��me vers onze heures et demie. Le confesseur voulut assembler la communaut�, qui �tait alors au r�fectoire ; mais Agn�s ayant repr�sent� que le moment n��tait pas encore venu, les S�urs achev�rent leur r�fection. Aussit�t apr�s, elles vinrent en toute h�te aupr�s de leur ch�re malade, et quand on eut r�cit� les Litanies de la Sainte Vierge, Agn�s parut avoir expir�. � Elle est morte ! � s��cria le P. Panassi�re. A ces mots, les Religieuses �clat�rent en cris d�chirants et vers�rent d�abondantes larmes. La M�re Prieure, particuli�rement affect�e d�une si grande perte, conduisit ses filles devant le Tr�s Saint Sacrement. Elles y �taient depuis un quart d�heure, quand la morte ouvrit les yeux, poussa un soupir et dit : � Je suis retourn�e �. Le confesseur, ne revenant pas de surprise, obligea sa p�nitente, au nom de l�ob�issance, � dire fid�lement tout ce qui s��tait pass�. La v�n�rable M�re d�clara qu�elle �tait vraiment morte, et que, se trouvant en pr�sence de J�sus-Christ et de sa sainte M�re, entour�s d�une foule immense de Bienheureux, on lui avait dit que les;souffrances qui devaient composer les fleurons de sa couronne n��tant point encore compl�tes, il lui fallait retourner au monde, afin d�apaiser la col�re de Dieu irrit� contre les hommes, et de travailler au salut du prochain.

Le soir du m�me jour, son bon Ange vint la consoler de la prolongation de son exil ; et comme la V�n�rable s��criait en pleurant : � Eh ! quand donc jouirai-je de J�sus, mon �poux, mon Tout ? � elle entendit cette r�ponse : � Ch�re �pouse, on m�a,importun� de tant de pri�res que j�ai d� te faire retourner sur terre. Et puis je veux me servir de toi pour la sanctification de plusieurs �mes qui doivent me glorifier grandement. Aie seulement bon courage et travaille de ton mieux �.

Dans le fait extraordinaire qui vient d��tre rapport�, toutes les circonstances concourent � prouver qu�il s�agit d�une mort v�ritable et non pas d�une simple l�thargie. On vit Agn�s s�affaiblissant peu � peu, r�duite � l�agonie, priv�e totalement de respiration, incapable de donner aucune marque de vie. Les Religieuses assembl�es la pleur�rent comme morte, et plus tard, le P. Boyre, homme tr�s savant et tr�s �clair�, examinant toute chose avec soin, n�h�sita .nullement � reconna�tre la r�alit� de cette mort et de cette r�surrection. A quoi on peut ajouter les suites imm�diates de ce retour � la vie. La v�n�rable M�re, qu�on avait vue dans ses maladies pr�c�dentes perdre ses forces, et sur le point d�expirer, revint cette fois en un moment � une parfaite sant�, demanda � manger, et prit de la nourriture sans fatigue d�estomac, ce qui ne lui �tait pas arriv� depuis l�Avent ; elle sortit de son lit sans le secours de personne, prit cong� de son confesseur, et, le soir, chanta Complies avec la communaut�.

Cette sant� toutefois fut de peu de dur�e. Comme Agn�s de J�sus n�avait repris la vie du corps que pour obtenir celle de l��me � plusieurs personnes plong�es dans l�iniquit�, elle reparut bient�t r�duite � son premier �tat. Ce fut un dimanche, vers le milieu du Car�me de cette m�me ann�e 1626, que recommen�a le cours de ces maux myst�rieux. Tout son corps en fut accabl� ; mais les douleurs � la t�te prirent un caract�re des plus surprenants. Il lui sembla qu�on la lui per�ait avec des �pines tr�s aigu�s l�espace de vingt-quatre heures. Son courage et sa patience furent invincibles au milieu de douleurs qu�elle d�clara �tre les plus sensibles qu�elle e�t jamais souffertes. On aper�ut m�me quelques gouttes de sang sur son bandeau. Confuse d�une pareille gr�ce, la servante de Dieu se mit en oraison et pria avec tant d�instances qu�il ne lui resta d�sormais que la douleur.

La M�re Agn�s de J�sus �prouva plusieurs fois, cette ann�e-l�, les m�mes souffrances myst�rieuses, surtout le Vendredi saint et le jour de l�Invention de la Sainte-Croix. L�ann�e suivante amena �galement pour cette amante de la Croix une recrudescence de souffrances. On remarqua particuli�rement que presque chaque vendredi, apr�s avoir pri� pour la conversion des p�cheurs, elle vomissait un sang pur et vermeil. Frapp�es d�un fait si extraordinaire, les Religieuses eurent l�adresse d�enlever un de ses mouchoirs qui en �tait teint et qu�elle avait soigneusement cach�.

On ne finirait pas si l�on voulait rapporter en d�tail tout ce que cette grande sainte a souffert sous la main puissante de Celui qu�elle servait avec une si constante fid�lit�. A diverses reprises, elle ressentit, durant plusieurs heures, les peines du Purgatoire pour des �mes qui lui avaient �t� recommand�es.

Aux f�tes des plus c�l�bres martyrs, elle exp�rimentait ce que ces t�moins de J�sus-Christ avaient endur� pour son nom. Ainsi, le jour de Saint Laurent, elle �prouva la violence du feu qui avait consum� l�illustre diacre; au jour de Saint Etienne, les coups de pierres dont fut accabl� le premier martyr; en la f�te de saint Pierre, les tourments ressentis par le Prince des Ap�tres pour glorifier son Ma�tre.

C��tait l� le caract�re particulier de cette illustre servante de Dieu : toute sa g�n�rosit� consistait � souffrir et � se crucifier. L�ann�e de sa mort, elle �crivait � M. Olier : � Vous savez combien je ch�ris votre �me, dont j�ai autant souci que de la mienne propre; mais je vois bien que cela ne peut gu�re vous servir, �tant une mis�rable ab�m�e dans le p�ch�. A votre d�part, je vous dis que j�avais demand� � notre grand Dieu la croix toute nue, la croix sans consolation. Comme il est tr�s bon et lib�ral, il me semble qu�il m�en a donn� un �chantillon, quoique fort l�ger, eu �gard � mon peu d�amour et de constance �.

C�est aussi dans le m�me esprit qu�elle s��tudia toujours � inspirer � ce vertueux eccl�siastique le d�sir de souffrir ; et une autre fois, lui �crivant sous l�impression de ses transports d�amour pour la croix, elle donnait � sa lettre cette �trange conclusion : � Je prie mon fid�le �poux de vous donner une milliasse de grandes croix, lesquelles je vous souhaite pour tr�s humble salut �.

XI

Apr�s avoir rapport�, sur la foi des confesseurs de la M�re Agn�s, les prodigieuses souffrances, croix, maladies de la servante de Dieu, l�on a sans doute quelque droit de parler des gr�ces et des faveurs merveilleuses qu�elle re�ut du Ciel. L�humilit� profonde de l��pouse du Christ, son �loignement � convoiter de tels dons, sa constance � vouloir suivre les voies communes, une sorte d�opini�tret� � refuser les gr�ces extraordinaires ou � ne les accepter qu�avec beaucoup de r�sistance : toutes ces circonstances, disons-nous, sont de s�rieuses garanties contre toute crainte d�erreur.

Parmi les gr�ces admirables dont Dieu favorisa la V�n�rable Agn�s, on peut dire que la pr�sence visible, et m�me la familiarit� de son bon Ange, n�a pas �t� la moindre. Cette �me, vraiment ang�lique, jouit d�un tel avantage d�s sa premi�re jeunesse. Son p�re se trouvait � la campagne, dans un grave danger pour sa vie. Le Gardien c�leste apparut � notre Agn�s, lui recommandant de prier son �poux qu�il inspir�t � son p�re de rentrer au plus t�t, Agn�s ob�it, et le p�re apprit le lendemain que des assassins devaient lui tendre une embuscade � l�heure pr�sum�e de son retour.

L�Ange gardien la transporta souvent dans sa chambre, quand, s��tant attard�e � quelque visite aux malheureux, Agn�s, en revenant au logis, trouvait la porte close.

Lui-m�me encore, nous l�avons dit, lui fit traverser miraculeusement la Loire pour la soustraire � des discours d�shonn�tes.

La protection qu�elle re�ut de ce c�leste esprit, au milieu de ses luttes avec les d�mons, n�est pas moins remarquable. II se faisait son d�fenseur et son consolateur, la rassurait par sa pr�sence, neutralisait les violences exerc�es sur son corps par le prince des t�n�bres. Ce gardien charitable l�avertissait de ses moindres d�fauts, l��veillait la nuit afin de vaquer � l�oraison, la disposait aux croix qui lui �taient pr�par�es, l�aidait � supporter les ardeurs .de l�amour divin, et dans une circonstance importante, lut per�a le c�ur d�une fl�che embras�e.

L�Ange gardien d�Agn�s ne se bornait pas � rendre service � sa personne, il daignait s�int�resser encore � tous ceux qu�elle lui recommandait. Au temps o� M. Olier, abb� de P�brac, pr�chait une mission en Auvergne, il lui arriva, un soir, de quitter Langeac, par un temps affreux, avec un p�ril �vident pour ses jours, � cause des routes bord�es de pr�cipices o� il lui fallait passer. La servante de Dieu chargea son bon Ange de lui servir de guide. Il en fut ainsi, et M. Olier d�clara juridiquement qu�il vit un Ange, grand et majestueux, marcher devant lui et le conduire en s�curit� au terme de son voyage.

Une autre fois que le monast�re �tait en peine de faire parvenir un paquet important � ce m�me pr�tre, alors �loign� de dix � vingt lieues, Agn�s de J�sus recommanda vivement � son Ange gardien le jeune homme charg� de la commission, et celui-ci arriva heureusement au but propos�, malgr� les difficult�s d�un chemin de montagnes inconnu de lui.

En maintes circonstances �galement, l��pouse du Christ re�ut la sainte Communion d�une mani�re miraculeuse, par la main de son bon Ange ou d�un autre habitant des cieux. Cette faveur si rare, accord�e pourtant � divers saints et saintes, fut pour elle chose assez fr�quente et l�on peut la regarder comme une r�compense de sa soumission parfaite � ses directeurs.

D�s avant qu�elle f�t Religieuse, � l��ge de dix-huit ans, Dieu permit qu�elle communi�t par une intervention extraordinaire. Une nuit qu�elle �tait en oraison, un pr�tre v�n�rable lui apparut et prenant une hostie sur un autel dress� dans l�appartement, la lui pr�senta. Aussi humble que pure, la pieuse vierge s�an�antit � la vue d�un tel prodige, mais h�sita quelques instants ; � recevoir l�hostie. Contrainte de se soumettre � ce qu�on exigeait, elle sentit son c�ur, embras� des flammes sacr�es de l�amour. Cette gr�ce lui ayant �t� renouvel�e chaque jour pendant trois semaines, sauf les dimanches et jours de f�tes, destin�s � ses communions r�guli�res, elle con�ut une vive crainte d��tre le jouet du d�mon, et en parla au P�re Panassi�re, qui la dirigeait alors. Ce Religieux, apr�s un s�rieux examen, conclut que cette faveur venait du ciel. Toutefois, ne voulant pas se fier uniquement � ses lumi�res, il consulta plusieurs Religieux d�une science et d�une saintet� reconnues. Tous furent convaincus qu�il n�y avait l� aucune illusion ; ils crurent n�anmoins qu�il �tait � propos de d�fendre � Agn�s de recevoir la sainte Communion de cette mani�re, et de lui dire de se contenter du minist�re du pr�tre.

Cette d�cision tranquillisa la servante de Dieu, qui eut bient�t occasion de manifester son ob�issance. Le pr�tre myst�rieux se pr�senta de nouveau, avec la sainte hostie. � Je ne veux point ces sortes de gr�ces, s��cria r�solument Agn�s, je m�attache � la voie ordinaire de communier, je veux recevoir comme tout le monde la Communion de la main des hommes �. Le pr�tre et l�autel disparurent en m�me temps, et Agn�s fut remplie d�une odeur si agr�able et si douce qu�elle avoua n�avoir jamais rien ressenti de pareil. Cependant, comme ses confesseurs ne lui en firent pas toujours des d�fenses expresses, elle fut favoris�e plusieurs autres fois de ces gr�ces extraordinaires. Un jour de la f�te de saint Louis Bertrand, son confesseur, pour la mortifier, lui avait interdit de communier; retir�e dans un coin de l��glise, elle se disposait � faire avec fruit la communion spirituelle quand, au moment de la Communion du pr�tre, une hostie se transporta miraculeusement sur ses l�vres et inonda son �me de consolation.

Deux fois, pendant une grave maladie, elle re�ut cette faveur par le moyen de son bon Ange, et dans un p�lerinage � Notre-Dame de Valfleury, pr�s de Saint-�tienne en Forez, aucun pr�tre ne se trouvant pr�sent, elle communia encore par le minist�re de son Ange gardien.

La Tr�s Sainte Vierge, pour laquelle Agn�s avait un culte si pieux et si filial, le lui rendait en b�n�dictions de toute sorte.

Le jour de sa profession religieuse, elle lui apparut, nous le savons, l�encouragea dans la donation parfaite d�elle-m�me, la prit tout sp�cialement sous son patronage. Au milieu des peines int�rieures et des luttes contre l�enfer qu�Agn�s eut � subir, la pr�sence de cette puissante Souveraine la soutenait �nergiquement. Un jour que la servante de Dieu se trouvait accabl�e de d�solation et comme plong�e dans un ab�me d�amertume, elle se prosterna contre terre aux pieds de sa divine consolatrice, et entendit ces douces paroles : � Ne t�afflige pas, ma fille, je t�enverrai un de mes serviteurs, qui t�aidera et te fortifiera : parle-lui sans crainte �. Le lendemain, en effet, se pr�senta le V�n�rable P�re Th�odose de Bergame, Capucin d�une grande saintet� ; apr�s avoir examin� la violence da ses peines, il lui parla avec tant d�onction que la servante de Dieu recouvra une admirable tranquillit�.

Parmi les Saints qui l�honoraient de leur pr�sence, mentionnons surtout saint Dominique, saint Fran�ois, sainte C�cile, sainte Catherine de Sienne, sainte Th�r�se. Ces habitants de la J�rusalem c�leste conversaient si souvent avec elle qu�ils semblaient la regarder d�j� comme leur s�ur dans la possession de l��ternelle b�atitude.

Mais, par dessus tout, le Saint des saints se montra prodigue de lib�ralit�s et de pr�venances � l��gard de sa fid�le �pouse, comme on l�a vu � maintes reprises.

Une ann�e, en la f�te de la Sainte Trinit�, Agn�s, dans un ravissement, contempla Notre-Seigneur qui tenait � la main une ros� merveilleusement belle et lui dit qu�elle aurait cette fleur, mais apr�s avoir pass� par bien des peines. L�extase dura longtemps : quand Agn�s revint � elle, il s�exhalait de sa personne une odeur admirable de ros�s.

La Sup�rieure l�ayant oblig�e, un jour, d�aller au r�fectoire avec ses S�urs, pour y prendre un peu de nourriture, notre ob�issante Religieuse s�y rendit avec empressement. Mais, � peine eut-elle port� � sa bouche quelques petits morceaux de pain, que l�amour divin, s�emparant d�elle, la contraignit de sortir et de se retirer au jardin. J�sus-Christ lui apparut pr�s d�un puits, et lui fit boire d�une eau myst�rieuse qui la mit dans un �tat de jubilation ind�finissable. Les Religieuses, apr�s leur r�fection, la trouv�rent hors d�elle-m�me, et ne pouvaient admirer assez les saillies d�amour que manifestaient ses paroles embras�es.

Au reste, malgr� sa crainte d��tre tromp�e par les d�mons, ou ses vives appr�hensions par rapport au salut de son �me, on peut dire que les flammes de l�amour de Dieu la consumaient sans cesse, et la faisaient languir comme l��pous� des saints Cantiques ou la s�raphique Th�r�se. Ayant entendu un pr�dicateur dire que Dieu aime toujours, sans se lasser jamais, elle en fut si transport�e que, le reste de la journ�e, elle ne pouvait que prononcer ces paroles : Dieu aime toujours, Dieu aime toujours !

� J�ai un grand d�sir d�aimer, �crivait-elle au P�re Boyre, son ancien confesseur, j�ai un grand d�sir d�aimer, mais je ne le puis comme je le souhaiterais. Je voudrais aimer Dieu tout mon so�l ; ce d�sir est si violent qu�il me para�t br�ler mon int�rieur, tant j�y sens un immense brasier. Cela me rend toute languissante et me donne un vif d�sir de sortir de cette vie, afin de jouir un peu de cet amour. Quelquefois je r�pands une telle abondance de larmes qu�il me semble que je dois mourir si je n�aime. C�est ce qui fait que, r�duite en cet �tat, je m��crie quelquefois : � Mon doux J�sus, faites que je meure � ou que je vous aime... � A l�oraison, il me semble de temps en temps que les membres de mon corps doivent se s�parer, tant ces exc�s m�emportent �.

Et au sujet de la sainte Communion elle �crivait au m�me Religieux : � Je ne communie que les dimanches ou quand il se trouve dans la semaine quelque f�te de Notre-Dame. Je ne saurais vous exprimer combien les jours me paraissent longs jusqu�au dimanche : je crois que mon d�sir me rend malade ; car quelquefois je suis tout en feu, tant est grand le brasier que je sens dans mon c�ur, et je ne crois pas pouvoir vivre longtemps de cette mani�re. J��prouve encore un si ardent d�sir de mourir que les jours me paraissent des ann�es... �

Et une autre fois, ayant eu le bonheur de faire une communion suppl�mentaire, � raison de la f�te de notre B. P�re saint Dominique, elle �crivait en se congratulant : � Aujourd�hui II est venu ! Ah ! mon Amour, demeurez si vous voulez que je vive : il est impossible de vivre sans son J�sus... �

On se rappelle qu�apr�s sa profession religieuse, le P�re Panassi�re lui avait offert de communier dans la semaine, et que pour se conformer uniquement � la pratique en usage dans le monast�re, elle avait humblement refus�. Plus tard, ses dispositions saintes oblig�rent le confesseur � la faire communier plus souvent ; il arriva m�me � lui permettre la communion quotidienne, au grand avantage de son �me. Telles �taient les ardeurs de l�amour qui la remplissait que parfois son visage paraissait enflamm� comme celui d�un s�raphin, son c�ur battait avec une telle violence que l�on dut �largir sa tunique afin de lui procurer un peu de soulagement, et l�eau froide appliqu�e sur sa poitrine bouillonnait comme si on l�e�t jet�e sur des charbons ardents ; ainsi l�atteste un des confesseurs de la V�n�rable, t�moin des faits.

XII

Les connaissances et les lumi�res surnaturelles que recevait la M�re Agn�s �taient proportionn�es aux �lans de son c�ur.

L�ardent d�sir qu�elle avait de voir le P�re Panassi�re son confesseur, vivre avec la perfection convenable � son �tat, l�obligea de prier longtemps et de pratiquer � son intention de rigoureuses p�nitences. Form� � la vie religieuse dans un temps o�:la pleine r�gularit� �tait loin de faire l�ornement du clo�tre, ce P�re se mettait peu en peine d��viter certaines transgressions de la R�gle. Il se dispensait ais�ment du je�ne et de l�abstinence, aimait � sortir de sa r�sidence, et � converser avec les s�culiers ; bref, par un ensemble de vie tout ext�rieure, il arrivait � commettre des fautes parfois m�me assez notables. Sa ti�deur faisait g�mir devant Dieu la M�re Agn�s. Elle adressait souvent au coupable de s�v�res r�primandes, et comme, par une gr�ce miraculeuse elle acqu�rait la connaissance distincte de toutes ses actions, si �loign� d�elle que f�t ce Religieux, sit�t qu�il tombait dans quelque manquement, elle l�en avertissait avec autant d��nergie que de charit�. La fid�lit� d�Agn�s � importuner Dieu en faveur de son confesseur obtint la promesse que celui-ci finirait par changer de conduite et deviendrait un Religieux mod�le. Ce qui arriva, apr�s la mort de notre V�n�rable. Retir� au couvent de Tarascon, o� l�on avait introduit la r�forme, et devenu aveugle dans sa vieillesse, ainsi qu�Agn�s le lui avait pr�dit, le P�re Panassi�re v�cut d�une mani�re fort �difiante et mourut en bonne odeur de vertu.

Ce ne fut pas la seule occasion o� la M�re Agn�s connut les choses �loign�es et futures. Plusieurs autres personnes profit�rent avantageusement de ses lumi�res. Le servant de messe du monast�re de Langeac allait se noyer dans l�Allier. Agn�s en fut inform�e par son Ange gardien, qui lui ordonna de prier pour ce jeune homme. Elle ob�it exactement, et l�infortun�, qu�on venait de retirer de l�eau sans donner signe de vie, reprit aussit�t connaissance en pr�sence du P�re Panassi�re et du chanoine Martinon.

Un avocat du Puy que Agn�s avait connu autrefois, �tant venu � Langeac, se pr�senta pour la Voir. Avant d�aller au parloir, la servante de Dieu pria le Seigneur de lui inspirer ce qu�elle aurait � dire. Son bon Ange promit de l�assister. A peine fut-elle en pr�sence du visiteur que la conscience de cet homme lui devint transparente, et .sur-le-champ Agn�s l�avertit d�avoir � confesser tels p�ch�s dont il �tait coupable. L�avocat fut docile � cet avis, et de retour au Puy, raconta au P�re Boyre ce qui lui �tait arriv�.

Une jeune demoiselle, sur le point de se marier, fut recommand�e aux pri�res de la M�re Agn�s. Celle-ci connut par r�v�lation que cette personne entrait dans l��tat du mariage par des consid�rations nullement chr�tiennes, et que tout avertissement serait inutile. L��pouse du Christ se contenta de garder le silence. L�infortun�e jeune femme mourut au bout de sept mois, accabl�e de malheurs et de chagrins.

Le fait suivant ne m�rite pas moins d�attention.

Une jeune fille des environs de Langeac, appel�e Marguerite, apr�s avoir pass� quelque temps dans le monast�re, en �tait sortie par une protection sp�ciale de Dieu sur cette maison. Elle �tait pleine de suffisance et d�orgueil, et comme par ailleurs elle avait un ext�rieur suffisamment r�gl�, le d�mon abusa de cette disposition pour persuader � la malheureuse qu�elle �tait appel�e � une saintet� �minente. Il lui procura des visions pleines de douceur, lui imprima enfin aux pieds, aux mains et au c�t�, certains stigmates d�o� coulaient, dit-on, quelques gouttes de sang.

Marguerite, toujours infatu�e d�elle-m�me, ne fut pas sensiblement afflig�e de cette faveur apparente, et alla jusqu�� la divulguer. Aussit�t nombre de personnes de la ville, et m�me des eccl�siastiques, rendirent visite � la sainte, afin de baiser ses plaies. Le confesseur d�Agn�s entra dans ce sentiment ; mais la v�n�rable M�re, instruite � l��cole de l�humilit�, et �clair�e d�ailleurs de lumi�res particuli�res, condamna d�hypocrisie tout ce dehors si bien compos�, et d�clara la visionnaire tromp�e par le d�mon. Une visite de la fausse d�vote la confirma dans sa pens�e. Agn�s ayant demand� � voir une de ses plaies, la stigmatis�e s�empressa d�avancer la main au travers de la grille ; mais, s�apercevant que la M�re Agn�s voulait avec la pointe d�un couteau sonder la plaie, elle retira promptement la main, pour s��pargner une souffrance.

La servante de Dieu, qui d�plorait et l�aveuglement de la pauvre abus�e et l�obstination de son confesseur, priait de toute son �me afin de convertir la premi�re et d��clairer le second. Tout fut inutile : elle s�attifa m�me des mortifications sensibles de la part du P�re Panassi�re, opini�tre pour voir l�esprit de Dieu dans la conduite de cette affaire. Enfin l�erreur fut d�couverte par l�adresse du P�re Boyre, lequel pr�sentai la voyante un �crit, contenant une h�r�sie grossi�re, et la pria d�faire approuver la r�daction par Notre-Seigneur, quand il lui appara�trait. La d�vote prit le papier avec joie et le rapporta quelques jours apr�s, sign� de J�sus-Christ avec le sang d�une de ses plaies. Le P�re Boyre essaya, mais en vain, de ramener cette malheureuse ; et Dieu permit qu�elle tomba dans une faute honteuse qui la discr�dita pour jamais.

Agn�s de J�sus connut encore plusieurs fois l�int�rieur de ceux qui la consultaient.

Un jeune homme, ind�cis sa vocation demanda dans quelle Religion il devait entrer : � Dans le saint Ordre des Chartreux, r�pondit-elle, c�est l� que Dieu vous appelle �. Le jeune homme ob�it, et trouva tant de paix dans ce monast�re qu�il lui �crivit, afin de la remercier de son conseil.

Une jeune fille en butte � une tentation secr�te, qu�elle ne voulait d�clarer � personne, eut le bonheur d�entretenir la servante de Dieu. Celle-ci lui d�couvrit les secrets de son c�ur et l�avertit que Dieu la voulait dans le monast�re de Langeac, o� elle entra en effet.

Ce fut encore par le conseil de la v�n�rable M�re qu�une novice du monast�re fut raffermie dans sa vocation, sur cette parole qu�elle lui fit dire par son confesseur : � Ma fille, aimez davantage votre saint habit �. M. Martinon, qu�elle pr�serva de la mort en l�avertissant de se retirer au plus t�t d�une galerie qui s�effondra d�s qu�il en fut sorti, a publiquement avou� que la M�re Agn�s avait une parfaite connaissance de son int�rieur et l�avertissait de ses d�fauts et de ses imperfections, m�me les plus l�g�res.

Enfin on �tait si intimement persuad�, dans le monast�re, que l��pouse du Christ avait le don de p�n�trer les c�urs qu�une des principales raisons all�gu�es par les Religieuses pour l��lire Sup�rieure, c�est que, connaissant d�j� leurs pens�es, elle les gouvernerait avec plus de s�ret� et de profit pour leurs �mes.

Dieu accorda encore � sa servante une onction particuli�re pour instruire les ignorants, toucher les c�urs endurcis et r�concilier les personnes divis�es. Elle prit un soin particulier du jeune enfant dont elle avait gu�ri les ulc�res, et lui inspira une pi�t� si solide qu�on le regardait dans Langeac comme un petit saint. Celui aussi qu�elle emp�cha par ses pri�res d��tre asphyxi� dans la rivi�re, prit plus tard l�habit de Capucin, par l�avis et le conseil de la v�n�rable M�re. Un homme traitait sa femme avec une telle brutalit� que la malheureuse paraissait tous les jours en p�ril de mort. Agn�s le fit venir � la grille, et lui parla avec autant de tendresse que de force. Mais l�endurci ne voulut rien entendre et sertit brusquement. L�s pri�res de l��pouse du Christ obtinrent ce que sa parole n�avait pu op�rer. Cet homme �tait � dix pas � peine du monast�re que rentrant en lui-m�me il retourne � la grille, o� l�attendait Agn�s, et lui promet de changer de vie.

Elle obtint un succ�s semblable aupr�s d�une jeune fille qui, ayant l�habitude inv�t�r�e de d�rober tout ce qui lui tombait sous la main, causait de grands chagrins � sa famille. Pri�res, remontrances, menaces, ch�timents, rien n�arr�tait cette funeste inclination. Seule, la M�re Agn�s r�ussit � convertir la petite voleuse, par une simple conversation.

Dieu daigna l�honorer encore du don de proph�tie et du don des miracles. D�j� nous en avons dit un mot : compl�tons le sujet.

Le Sup�rieur des B�n�dictins de l�abbaye de Saint-Pierre avait un grave d�m�l� avec l��v�que:du Puy touchant la juridiction. Agn�s de J�sus l�assura qu�apr�s bien des difficult�s, il finirait par avoir gain de cause : ce qui arriva.

Une Religieuse du monast�re se d�solait grandement de ce que ses infirmit�s l�emp�chaient de suivre les exercices de communaut� et m�me de r�citer son Office en particulier : � Consolez-vous, lui dit Agn�s, vos forces reviendront �. II en fut ainsi.

Une jeune demoiselle demandait l�habit ; mais son p�re s�y opposait, sans que les pri�res, les larmes de la jeune fille, les observations de personnes s�rieuses pussent le fl�chir. Agn�s, alors Prieure, dit � la postulante : � Mon enfant, ne craignez rien, cela ne durera pas; le bon Dieu retirera bient�t votre p�re de ce monde �. La pr�diction se v�rifia, et la jeune fille, entr�e au monast�re, devint la M�re Jeanne de la Croix, dont nous avons parl� � la date du 27 septembre.

Quant au don des miracles, la servante de Dieu en fut honor�e d�s son enfance. Un plat de terre, lui ayant �chapp� des mains, se brisa en mille pi�ces. Pour �pargner � ses parents une tr�s vive contrari�t�, elle obtint de la toute-puissance divine que le plat f�t miraculeusement raccommod�.

Vers douze ans, trouvant dans la campagne un paysan gri�vement bless�, elle pria la Sainte Vierge de le gu�rir, et toucha de ses mains les plaies du malheureux. Elles se ferm�rent � l�instant. Agn�s, surprise d�une si prompte gu�rison et craignant qu�on ne la lui attribu�t, alla chercher du vinaigre, en frotta les cicatrices du bless� et le cong�dia en parfaite sant�.

Gabrielle Jacques raconte dans ses M�moires qu��tant all�e un jour avec Agn�s hors de la ville, elle sentit tout � coup aux yeux une douleur si vive qu�elle ne voyait plus � se conduire. � Je priai ma ch�re compagne, ajoute-t-elle, de faire sur mes pauvres yeux le signe de la croix. Mais elle s�excusa en s�appelant une grande p�cheresse. Je la conjurai, au nom de la charit�, de m�aider au moins � marcher. Sit�t que j�eus pris sa main, je la portai � mes yeux et y tra�ai le signe de la croix. Incontinent toute douleur cessa, et je vis aussi clair qu�auparavant �.

L�an 1625, la rivi�re qui coulait pr�s du monast�re, ayant grossi d�une mani�re subite, donna lieu de craindre que le mur du jardin ne s��croul�t. Agn�s, voyant le danger, se mit en pri�res et la rivi�re ne causa aucun dommage, bien qu�aux alentours l�imp�tuosit� du courant emport�t des habitations.

Un homme du Puy, appel� Barth�lemy, qui s��tait cass� la jambe en tombant de cheval, fut gu�ri en peu de jours, apr�s s��tre recommand� par lettre � la servante de Dieu.

Il est reconnu encore que par l�application de son rosaire ou par une simple pri�re, la V�n�rable M�re a d�livr� plusieurs poss�d�s, gu�ri divers malades d�sesp�r�s, obtenu une pluie bienfaisante � l��poque d�une grande s�cheresse, assaini les fruits de la terre g�t�s par les mauvaises saisons, pr�serv� la ville de Langeac de la peste qui ravageait les environs, conserv� la vie � plusieurs Religieuses de son monast�re menac�es de la perdre � la suite d�h�morragies, dissip� l�infection qu�exhalait le corps d�une S�ur inhum�e au Chapitre dans une fosse trop peu profonde.

Pour tout r�sumer d�un mot on peut dire que cette fid�le amante de J�sus-Christ semblait avoir en mains la toute-puissance de son divin �poux.

XIII

Cependant les Religieuses de Langeac qui, sous l�empire d�un fatal aveuglement, avaient sans motif fait d�poser leur sainte Prieure, ne tard�rent pas � en concevoir un vif regret. L�humilit�, la simplicit�, la vraie pi�t� de S�ur Agn�s, qu�elles avaient os� traiter d�hypocrite leur ouvrirent les yeux, et elles cherch�rent tous les moyens possibles de lui t�moigner leur repentir et leur confiance. Elles n�eurent pas grand�peine � rentrer dans des bonnes gr�ces de celle qui les avait toujours aim�es avec une tendresse de m�re. Mais, �tant persuad�es qu�elles avaient donn� au dehors un tr�s mauvais exemple par leurs discours- imprudents, elles crurent de leur devoir d�effacer les impressions f�cheuses, con�ues par les s�culiers, sur leur ancienne Sup�rieure. Afin de confirmer par des faits la v�rit� des louanges qu�elles lui d�cernaient en toute rencontre, elles l�institu�rent Ma�tresse des novices, pour la seconde fois, puis Sous-Prieure, enfin Prieure du monast�re, trois ans apr�s son humiliante d�position.

Cette �l�vation raviva l�affliction de l�humble S�ur : elle versa beaucoup de larmes et supplia l��v�que de Saint-Flour de refuser sa confirmation. Mais la volont� divine se d�clarait manifestement : Agn�s dut prendre en mains le gouvernement de la communaut�, et l�exer�a deux ann�es encore avec grand profit pour ses filles.

C�est principalement pendant cette p�riode que son influence surnaturelle s��tendit extraordinairement au dehors du monast�re, et que s�accomplirent un grand nombre des faits relat�s en dernier lieu.

Il reste maintenant � rapporter la mission providentielle que la. M�re Agn�s eut � remplir aupr�s de l�illustre fondateur des Pr�tres de Saint-Sulpice.

Jean-Jacques Olier, fils d�un conseiller au Parlement de Paris, �tait entr� de bonne heure dans l��tat eccl�siastique. A dix-huit ans, nomm� abb� commendataire de l�abbaye de P�brac, situ�e dans une solitude � deux lieues de Langeac, il mena quelque temps la vie mondaine des jeunes clercs de cette �poque pourvus de b�n�fices en usufruit. Les pri�res d�une sainte veuve lui Valurent la gr�ce d�une premi�re conversion, qui s�acheva � la Santa-Casa de Notre-Dame de Lorette ; mais Dieu, qui l�appelait � une plus haute saintet�, � raison de l��uvre �minente � laquelle il le destinait, choisit Agn�s de J�sus pour �tre l�instrument de sa seconde et parfaite conversion. Voici, en abr�g�, comment elle re�ut et accomplit cette mission.

Un jour que la M�re demandait avec larmes la dissolution de son corps pour aller � J�sus-Christ, Notre-Seigneur lui dit : � Tu m�es encore n�cessaire pour la sanctification d�une �me qui doit servir � ma gloire �. Une autre fois, en l�ann�e 1631, elle connut plus clairement la volont� divine. Comme elle priait pour la conversion des p�cheurs, et sp�cialement pour les habitants de l�Auvergne plong�s, en grand nombre, dans l�ignorance et l�iniquit�, la Sainte Vierge lui apparut et lui dit : � Prie mon Fils pour l�abb� de P�brac �.

La servante de Dieu ne connaissait aucunement M. Olier ; mais, comprenant que le Seigneur avait sur lui de grands desseins, il n�est pri�res, larmes, p�nitences auxquelles elle n�eut recours pendant trois ann�es enti�res, pour lui obtenir la saintet� n�cessaire � sa mission dans l�Eglise.

Pendant ce temps, le jeune abb� recevait les saints ordres, se mettait sous la direction de saint Vincent de Paul ; se joignait m�me aux pr�tres de la Congr�gation de la Mission pour aller �vang�liser avec eux les habitants des campagnes. Bient�t il r�solut d�aller pr�cher des missions dans les paroisses d�Auvergne qui d�pendaient de son abbaye, et pour remplir ce minist�re avec plus de fruit, voulut s�y pr�parer par une retraite s�rieuse dans la maison de Saint-Lazare.

Un jour qu�il faisait oraison dans sa chambre, il aper��t pr�s de lui une Religieuse qui semblait venir du ciel. D�une main elle tenait un crucifix, de l�autre un chapelet. Un Ange, admirablement beau, portait l�extr�mit� de son manteau de ch�ur, et recueillait sur un mouchoir les larmes dont son visage �tait baign� : � Je pleure pour toi �, dit la merveilleuse apparition. Ces paroles, en tombant sur M. Olier, firent couler en son �me une douce tristesse, comme lui-m�me le d�clare dans une relation �crite par ordre de son directeur.

� Cette sainte �me, ajoute-t-il, revint une autre fois, � peu de temps de l�, pour me confirmer dans ladite vue, et je l�ai aussi pr�sente � l�esprit que si je la voyais encore �.

Comme preuves �videntes de son apparition, elle lui laissa le crucifix qu�elle tenait � la main, et son mouchoir � tout plein de saintes larmes �.

La retraite finie, l�Abb� de P�brac quitta Paris avec les pr�tres qui devaient seconder son apostolat en Auvergne. A mesure qu�ils avancent, les z�l�s missionnaires apprennent des populations les faits merveilleux dont le monast�re de Langeac est le th��tre. M. Olier sent na�tre en son c�ur l�espoir de retrouver l� celle qui verse pour lui des larmes si abondantes, et il se rend � Langeac. Il entrait dans une h�tellerie de cette ville, lorsqu�une S�ur touri�re vient le saluer au nom de la M�re Prieure. De plus en plus �tonn�, M. Olier se pr�sente au monast�re sit�t qu�il le peut. Ce jour-l�, S�ur Agn�s ne put quitter l�infirmerie; mais, � la grande surprise des Religieuses, elle envoya son chapelet au pr�tre �tranger. Apr�s quelques visites infructueuses, celui-ci fut enfin re�u. La M�re Agn�s entra au parloir, le voile baiss� selon sa coutume. L�entretien commenc�, M. Olier la prie humblement de lever son voile. � Ma M�re, s��crie-t-il, je vous ai vue ailleurs �. Agn�s r�pond simplement : � Cela est vrai, vous m�avez vue deux fois � Paris, o� je vous ai apparu dans votre retraite � Saint-Lazare, parce que j�avais re�u de la Tr�s Sainte Vierge l�ordre de prier pour votre conversion, Dieu vous ayant destin� � jeter les premiers fondements des s�minaires du royaume de France �.

De ce moment s��tablirent entre ces deux grandes �mes les plus nobles et les plus saintes relations. Pendant les six mois qu�il passa en Auvergne, M. Olier visita souvent la M�re Agn�s et apprit d�elle � se corriger de ses moindres imperfections, � aimer la croix et � mourir enti�rement � lui-m�me. De son c�t�, la v�n�rable Prieure, �difi�e des progr�s de son fils spirituel, n�h�sita pas � lui ouvrir son c�ur et se confessa � lui. Elle lui dit un jour : � Autrefois, je vous ai regard� comme l�enfant de mes larmes, en priant pour votre conversion ; maintenant, je vous regarde comme mon P�re �. Elle lui pr�dit les principaux �v�nements de sa vie et annon�a, entre autres choses, que Dieu formerait par lui un grand nombre d�eccl�siastiques, que la Sainte Vierge le ch�rissait beaucoup, et qu�il aurait de grandes croix.

Sur les entrefaites, M. Olier fut rappel� � Paris pour une affaire tr�s importante. La M�re Agn�s ressentit une vive douleur � la nouvelle de son d�part. Mais elle accepta ce sacrifice, pressa m�me son tr�s cher fr�re d�ob�ir fid�lement et diligemment � la volont� divine. En prenant cong� d�elle, le 12 octobre 1634, M. Olier l�entendit s��crier : � Adieu, parloirs, je ne vous reverrai plus �. C��tait annoncer sa fin prochaine.

Aussit�t elle se rendit au ch�ur, et l�, �panchant son �me devant son divin �poux : � Eh ! mon Dieu, dit-elle en versant des larmes br�lantes, que m�avez-vous fait ? Vous m�aviez donn� un homme selon mon c�ur, et vous me l�avez �t�. Eh bien, mon Tout, que votre tr�s sainte volont� soit faite �. Puis elle pria Dieu de la retirer de ce monde. � Mon cher Epoux et ami, dit-elle, j�ai accompli par votre gr�ce l��uvre que vous et votre sainte M�re m�aviez confi�e, et pour laquelle vous avez voulu que je demeurasse encore sur l� terre. Maintenant, tirez-moi � vous et donnez-moi place parmi ceux qui vous b�nissent et vous adorent sans cesse ; car si vous ne le faites, je crois que je mourrai de langueur � chaque moment. Je vous remercie d�avoir �cout� mes pri�res, et de m�avoir donn� et fait voir celui que vous d�siriez que je procurasse � votre �glise. L�ayant vu et le sachant � vous, laissez aller mon esprit en paix. Je ne vous demande pas que vous le tiriez avec moi de ce monde, m�ayant fait voir qu�il vous devait rendre de grands services dans votre �glise. Pr�servez-le du mal, ayez-le sous votre protection ; faites-lui la gr�ce de n�aimer que vous, de n��tre poss�d� que de votre esprit et de ne vivre que de votre vie. Ce sont les pri�res que vous fait votre pauvre servante, r�solue de ne bouger d�ici que vous ne l�ayez exauc�e �.

Sur l� demande de la M�re Agn�s, qui lui �crivit � ce sujet, le P�re de Condren, Sup�rieur de l�Oratoire, se chargea de la conduite spirituelle de M. Olier. Il le d�tourna de l��piscopat, qu�on voulait lui faire accepter, et le pr�para � sa grande mission de directeur de S�minaire. Quelques ann�es plus tard, en effet, M. Olier, r�alisant la pr�diction d�Agn�s de J�sus, jetait les premiers fondements des S�minaires du royaume de France, en instituant, � Vaugirard, un S�minaire et une Compagnie de pr�tres qui, transf�r�s peu apr�s � Paris, sur la paroisse Saint-Sulpice, re�urent les noms de S�minaire et de Pr�tres de Saint-Sulpice.

Lui-m�me, au souvenir de sa M�re spirituelle, et par reconnaissance pour l�Ordre de Saint-Dominique auquel il devait tant, rev�tit solennellement l�habit de Tertiaire l�an 1651 ; avec plusieurs de ses premiers collaborateurs.

XIV

Il y avait longtemps que la v�n�rable Agn�s de J�sus soupirait apr�s l�heure o�, quittant la terre, elle irait se joindre pour jamais au Bien-aim� de son c�ur. D�j� nous l�avons vue �crire au P. Boyre, son premier directeur : � Je voudrais aimer Dieu tout mon so�l... Ce d�sir me rend toute languissante et me fait souhaiter ardemment de sortir, de cette vie ; afin de jouir un peu de cet amour... �

Toujours humble, et redoutant l�illusion jusque dans ce d�sir, elle lui �crivait, durant f�t� de 1634, pour demander s�il regardait son impatience de mourir comme venant de Dieu. Le savant Religieux la rassura, et Agn�s; en recevant sa r�ponse, s��cria devant ses filles r�unies : � Voil� une lettre uniquement pour moi �. D�s lors, on remarqua en elle un recueillement plus profond et des aspirations plus fr�quentes vers le terme de son p�lerinage terrestre.

Le 12 octobre 1634, le jour m�me de son dernier entretien avec M. Olier elle tomba gravement malade. Les m�decins crurent � une inflammation de poitrine et employ�rent des rem�des �nergiques. Ce fut sans succ�s. Ils avou�rent bient�t que ce mal d�passait leur science et �tait d� en grande partie aux exc�s de l�amour divin qui d�vorait cette sainte �me.

Quant � la v�n�r�e Prieure, ferme, in�branlable, ne laissant �chapper aucune plainte, plus heureuse de se voir sur le Calvaire que sur le Thabor, elle r�p�tait souvent : � O mon Dieu, � mon doux et amoureux J�sus, soyez b�ni mille fois ! ou souffrir ou mourir ! �

Acceptant par condescendance les potions les plus am�res, elle disait agr�ablement : � La charit� a si bonne main, que tout ce qu�elle appr�te est d�licieux �. Son visage exprimait une tranquillit� extraordinaire, bien qu�elle endur�t des souffrances capables, d�clarait-elle un jour, de faire concevoir une id�e des peines de l�enfer.

Au plus fort de la douleur, elle s��criait en regardant son crucifix : � J�sus, mon amour, mis�ricorde � la pauvre Agn�s �. D�autres fois elle s�adressait � la M�re de Dieu et lui disait : � Sainte Vierge, priez pour moi, s�il vous pla�t, ayez piti� de votre pauvre esclave �.

Durant cette derni�re maladie, l�humilit� et la charit� de la sainte Prieure ne parurent pas moins que sa patience. L�empressement de ses filles � la soigner la couvrait de confusion et de reconnaissance. Les voyait-elle pleurer autour de son lit, elle les consolait avec une tendresse toute maternelle. Une nuit, la Religieuse qui la veillait, craignant un prochain d�nouement, la pria de prouver bon qu�elle all�t r�veiller les S�urs : � Non, non, dit la malade, laissez reposer ces pauvres enfants, elles sont assez afflig�es �.

La violence de la fi�vre ne permettant pas qu�on la f�t trop parler, les bonnes Religieuses �taient dans une crainte continuelle de la fatiguer. Aussi, n�osant entrer dans la chambre, elles se tenaient � la porte, pour y r�pandre leurs larmes avec plus de libert�. L�affection de la v�n�rable M�re pour ses filles ne put permettre leur �loignement. Elle voulut qu�elles vinssent les unes apr�s les autres; et elle les �coutait, les animait � la pratique de la vertu, leur recommandait la fid�lit� aux saints engagements de leur profession.

Le d�mon, cependant, voyant qu�il lui restait peu de temps, attaqua violemment celle qui l�avait si souvent couvert de honte ; mais ses efforts furent inutiles. Agn�s triompha glorieusement du prince des t�n�bres, en disant avec un geste de m�pris : � Je te renonce, Satan �. Elle eut ensuite une longue extase, dans laquelle Dieu lui fit conna�tre bien des crimes qui se commettaient, notamment � Paris.

La sainte malade s�affaiblissait. Le 15 et le 18 octobre, elle re�ut la sainte Communion, dans les sentiments d�une �me d�j� m�re pour le ciel. Nonobstant son extr�me faiblesse, elle se leva pour adorer et recevoir plus respectueusement son Bien-aim�. Le m�me jour, on lui administra l�Extr�me-Onction, et le jeudi 19, au matin, elle communia encore en Viatique. Le d�sir de s�unir � Dieu pour toujours la pressait de plus en plus, et elle se plaignait amoureusement de la prolongation de son exil. � Une heure m�en dure mille �, s��criait-elle parfois ; et r�primant ce d�sir lui-m�me, si saint qu�il f�t : � Vivre tant que Dieu voudra, reprenait-elle, et mourir quand il lui plaira �.

Les Religieuses du monast�re, comme aussi les habitants de Langeac, plong�es dans une affliction profonde, multipliaient les pri�res, faisaient des v�ux afin d�obtenir la conservation d�une sant� si pr�cieuse. La marquise de Langeac, qui, � titre de bienfaitrice insigne, avait obtenu de l��v�que de Saint-Flour la permission d�entrer dans la cl�ture, vint, le 18 octobre, visiter la malade. Elle lui dit en pleurant qu�elle avait promis d�aller pour elle en p�lerinage � Notre-Dame du Puy et d�y laisser son pesant de cire. � Je vous remercie, Madame, r�pondit Agn�s, mais je mourrai demain, qui est le jour de votre f�te �.

Le ciel, en effet, disputait � la terre ce riche tr�sor. Les Religieuses, ayant perdu tout espoir, ne song�rent plus qu�� exposer � leur v�n�r�e Sup�rieure leurs n�cessit�s spirituelles, afin qu�elle les soulage�t du s�jour de la gloire. Agn�s se pr�ta � leurs �panchements, et les voyant rassembl�es autour de sa couche, leur adressa des paroles pleines de charit�. Elle les remercia de la patience qu�elles avaient mise � la supporter onze ans dans leur compagnie. Par un exc�s d�humilit�, elle osa qualifier d�hypocrisie tout ce qui avait paru de bon dans sa conduite, d�fendit � ses filles de lui rendre des honneurs particuliers apr�s sa mort, enfin les exhorta � garder entre elles la paix et l�union, et � observer tr�s exactement tout ce qui est prescrit dans les Constitutions. Attendries par ces derni�res paroles et ne pouvant retenir leurs sanglots, les pauvres S�urs tomb�rent � genoux, suppliant leur M�re de donner � toutes sa b�n�diction.

La mourante, levant les yeux et les mains au ciel, conjura Notre-Seigneur et sa divine M�re de b�nir ses filles �plor�es, et promit en m�me temps qu�elle ne les oublierait jamais. Elle leur dit enfin : � Adieu, mes filles, � Dieu ! �

Aussit�t apr�s, sans rien perdre de sa lucidit� d�esprit et de sa s�r�nit� de visage, la sainte malade entra dans une douce agonie ; on surprenait sur ses l�vres d�amoureux colloques avec son J�sus. Ses gestes et son maintien recueilli firent assez comprendre qu�elle �tait honor�e de la visite de quelques habitants du ciel, venus pour recevoir son �me et la porter devant le tr�ne de Dieu. Sa pr�cieuse mort arriva vers dix heures du matin, le jeudi 19 octobre 1634, jour o� l�on c�l�brait alors, dans l�Ordre de Saint-Dominique, la f�te de saint Louis Bertrand, pour lequel Agn�s de J�sus avait une particuli�re d�votion.

Sit�t qu�elle eut expir�, son visage parut d�une beaut� surprenante ; cette beaut� augmenta le lendemain, lorsqu�on exposa les restes de la v�n�rable M�re dans le ch�ur des Religieuses, aupr�s de la grille. La bouche �tait fra�che et les l�vres souriantes. Le marquis de Langeac, voulant faire prendre le portrait de cette grande servante de Dieu, fit venir du Puy un peintre de talent, nomm� Solvin. Mais l�humble Religieuse qui, de son vivant, avait eu horreur de tout ce qui pouvait lui �tre honorable, ne permit point que le pieux dessein r�uss�t : les traits de son visage se d�compos�rent � tel point, que l�artiste ne put saisir aucune ressemblance. A peine fut-il parti, que la figure reprit sa premi�re beaut�. Les mains et les pieds �galement devinrent transparents comme le cristal : ce qui ravit d�admiration tous les assistants.

La mort de S�ur Agn�s de J�sus, divulgu�e dans la ville de Langeac, y causa un deuil universel : les petits enfants eux-m�mes pleuraient � chaudes larmes. De toutes parts on accourut au monast�re pour contempler la d�pouille mortelle de la Sainte et y faire toucher des objets de pi�t�.

Les fun�railles furent c�l�br�es le lendemain avec toute la solennit� compatible avec la douleur commune, et le saint cadavre fut port� au Chapitre pour y recevoir l� s�pulture ordinaire. Mais, au moment de fermer le cercueil, on constata que le c�t� gauche de la poitrine �tait d�une chaleur intense. On jugea opportun de surseoir � l�inhumation, et pendant cinq jours le corps virginal de la M. Agn�s resta expos�, exhalant une suave odeur et conservant la beaut� de Visage qui s��tait produite imm�diatement apr�s le tr�pas. Des chirurgiens, appel�s pour examiner le ph�nom�ne de cette chaleur extraordinaire, d�couvrirent diverses autres merveilles et d�clar�rent y voir une cause surnaturelle et divine. On descendit enfin le cercueil dans le caveau creus� pour la s�pulture des Religieuses ; mais, quelques ann�es apr�s, Dieu op�rant des miracles pour glorifier sa servante, Mgr de Noailles, �v�que de Saint-Flour, fit placer, le corps de la M�re Agn�s dans un tombeau �lev� du sol.

Le jour m�me de la mort de la v�n�rable M�re, M. Olier, voyageant � cheval aux environs de Paris, fut inopin�ment renvers� de sa monture. Il attribua cette chute � un ch�timent, parce que, peu d�instants avant, ayant rencontr� un villageois sur le chemin, il ne l�avait pas �vang�lis�, contrairement � sa pieuse habitude. Tandis qu�il s�en humiliait devant Dieu, un Ange, merveilleux de beaut�, vint fondre sur lui,-pour employer ses expressions, et le couvrit de ses immenses ailes comme pour marquer qu�il le prenait sous sa protection. En m�me temps, le saint pr�tre entendit la voix de son Ange gardien lui disant : � Honore bien cet Ange ; c�est un des plus grands qui soient donn�s � la cr�ature sur terre �.

Quelques jours apr�s, l�abb� de P�brac eut l�explication du myst�re. Il confessait dans l��glise Saint-Paul, � Paris, quand on lui apporta une lettre annon�ant la mort de la M�re Agn�s. P�n�tr� de douleur, il alla se prosterner devant le Tr�s Saint Sacrement, g�missant aux pieds du Seigneur et implorant dans le ciel sa douce et insigne bienfaitrice. Tout � coup il distingua ces paroles au fond de son �me : � Ne t�afflige pas, je t�ai laiss� mon Ange �. D�s lors, il lui devint impossible de s�ab�mer dans la tristesse et, recueillant ses souvenirs, il s�aper�ut que le jour et l�heure de l�apparition de l�Ange aux ailes d�ploy�es �tait le moment exact o� la servante de Dieu avait pass� � une meilleure vie.

F�t�e le 19 octobre.