Le Paradis de la Reine sibylle (original) (raw)

Le Paradis de la Reine sibylle

par

Gaston PARIS

C�est une figure singuli�re, int�ressante et, par plus d�un c�t�, assez �nigmatique que celle d�Antoine de la Sale, l�auteur aujourd�hui reconnu, non seulement de Jehan de Saintr�, mais des Quinze joies de mariage et des Cent nouvelles nouvelles. Les contrastes abondent dans sa vie et dans son �uvre. Ce Proven�al, un des premiers m�ridionaux qui se soient introduits dans la litt�rature fran�aise, a mani� notre langue avec plus d�aisance que la plupart de ses contemporains : on jurerait que ses ouvrages appartiennent � la pure veine � gauloise � ; on y trouve m�me cet esprit � parisien �, m�lange d�observation ac�r�e, d�ironie indulgente et d�exp�rience sceptique, qu�on voit se manifester � travers les si�cles dans une s�rie ininterrompue d��uvres l�g�res de forme, am�res de fond. Cet homme grave, qui fut commandant militaire de Capoue, viguier d�Arles et premier ma�tre d�h�tel de Philippe le Bon, qui remplit des ambassades et fit des �ducations princi�res, a �crit des contes o� la licence des d�tails �gale l�ordinaire immoralit� des th�mes. Ce commensal habituel des rois et des ducs a peint la vie bourgeoise avec une minutie, une exactitude et un relief surprenants. Ce c�libataire a observ� les dessous les plus intimes et les plus familiers de la vie conjugale avec une p�n�tration malicieuse qui ne peut se comparer qu�� celle d�un Balzac. Enfin, pour comble de contradiction, apr�s avoir �crit dans son �ge m�r, et sans doute d�s sa jeunesse, des ouvrages d�un caract�re s�rieux et p�dagogique o� il n�a montr� que fort peu de personnalit� et de talent, il s�est mis, � plus de soixante ans, � composer des livres badins o� il s�est r�v�l� soudain comme un �crivain merveilleux et un impitoyable railleur, et c�est � soixante-quatorze ans, au moment de mourir, que, suivant toute apparence, il a termin� ce joyeux recueil des Cent nouvelles nouvelles, si longtemps, et bien � tort, attribu� au roi Louis XI.

Ce n�est pas ici le lieu d��crire une biographie d�Antoine de la Sale et une appr�ciation de son �uvre, t�che attrayante qui, je l�esp�re, trouvera bient�t quelqu�un pour la mener � bonne fin 1. C�est � un simple �pisode de l�une et de l�autre que je veux m�attacher. Sans parler de son int�r�t propre, cet �pisode nous permet de relier le La Sale septuag�naire et jovial au La Sale plus jeune et plus s�rieux. Si dans Jehan de Saintr� on trouve un long interm�de de caract�re p�dagogique qui nous rappelle assez ennuyeusement le gouverneur de princes qu��tait l�auteur, on rencontre avec une surprise plus agr�able dans la_Salade_ une parenth�se qui nous fait pressentir, bien qu�il s�y montre moins alerte et beaucoup plus r�serv�, le conteur fac�tieux des derniers jours. Le Paradis de la reine Sibylle � jusqu�� ces derniers temps rest� � peu pr�s inconnu � nous montre m�me La Sale sous un nouvel aspect, celui du touriste en qu�te d�impressions rares et observateur attentif de la nature, et soul�ve en m�me temps des questions fort curieuses au sujet d�une des plus belles l�gendes du Moyen �ge, l�gende rajeunie en notre si�cle, comme celles de Tristan, du Chevalier au cygne et de Perceval, par l�imitation cr�atrice de Wagner.

I

Antoine de la Sale �crivit la Salade entre 1438 et 1442. Il a compos� ce livre pour l��ducation du jeune prince dont il �tait alors gouverneur et auquel il l�a d�di�, Jean de Calabre, fils du roi Ren�. C�est un ouvrage moral et historique, une sorte de compilation sans ordre et sans originalit� 2, assez lourdement �crite. Le titre bizarre est une allusion au nom de l�auteur (il a �crit un livre du m�me genre qu�il a appel� la Salle), et en indique en m�me temps le caract�re, � pour ce que en la salade se mettent plusieurs bonnes herbes �. La Salade est divis�e en trente � livres �, pour la plupart fort courts. Le quatri�me, qui tranche par le ton avec les autres, est intitul� Du mont de la Sibylle et de son lac et des choses que j�y ai vues et ou� dire aux gens du pays 3. Nous n�avons � nous occuper que de celui-l�.

Antoine de la Sale �tait �g� de trente-cinq ans, et depuis assez longtemps �tabli en Italie, quand il eut l�id�e, au mois de mai 1420, d�aller visiter ce fameux mont et ce lac, dont il avait, � d�s sa jeunesse, ou� parler en plusieurs mani�res �. On appelle encore aujourd�hui Monte della Sibilla un des sommets de l�Apennin central, et tout le petit groupe qui l�entoure, qui forme une sorte de promontoire dirig� de l�ouest � l�est, et dont le Vettore est la plus haute cime, en a re�u le nom de Monte Sibillini : le Monte della Sibilla est entre Norcia, sur le versant m�diterran�en, et Ascoli, sur le versant adriatique, mais sensiblement plus pr�s de Norcia. Non loin de l� se trouve �galement le � lac de Pilate �, qui n�attirait pas moins Antoine de la Sale, et dont il parle fort longuement. Le nom de ce lac se rattache aussi � une l�gende curieuse, mais enti�rement �trang�re � celle dont je m�occupe ici. Je ne parlerai pas non plus de la tradition, longtemps persistante, d�apr�s laquelle les sorciers allaient faire consacrer leurs grimoires dans une � �lette � situ�e au milieu de ce lac. Ni Pilate ni les n�cromants n�ont rien � faire avec leur voisine la Sibylle. C�est d�elle seule que je veux pr�sentement parler ; je ne prendrai, dans le r�cit d�Antoine de la Sale, que ce qui se rapporte � elle.

Antoine s�est tellement int�ress� � son excursion qu�il en a dress� une carte et l�a jointe � son livre 4. On y voit le chemin qui, sur le mont escarp� en forme de pain de sucre, serpente depuis la base, en se bifurquant au milieu, jusqu�� la � couronne du mont �, o� se trouve l�entr�e de la � cave � ; on y voit marqu�s, au pied et sur les flancs de la montagne, la petite ville fortifi�e de Montemonaco et le village de Colino (lisez Collina). Quand on veut, comme l�a fait La Sale, gravir le mont par le versant adriatique, on passe en effet par Montemonaco et Collina. � Ce mont, dit notre voyageur, est tr�s maigre et tr�s pierreux du pied jusqu�environ la moiti�, et de la moiti� en haut sont tous pr�s les plus beaux et plaisants qu�on puisse imaginer, car tant y sont herbes et fleurs de toutes couleurs et �tranges mani�res et si odorantes que c�est un tr�s grand plaisir. � La Sale fit son ascension le 18 mai (qui correspondait � peu pr�s � notre 1er juin) : c�est en effet le moment o� dans les prairies alpestres s��panouit par centaines cette merveilleuse flore qui fait un des plus grands enchantements de la montagne. Elle n�a pas seulement charm� les yeux du voyageur ; elle a �veill� en lui une curiosit� presque scientifique : il d�crit minutieusement deux fleurs, le centofoglie et le poliastro, que � les gens du pays serrent en leurs coffres � linge, et font s�cher en poudre pour mettre en hiver dans leurs aliments en guise d��pices �. Il a m�me dessin� ces deux fleurs, et il a joint leur � pourtrait � � celui de la montagne elle-m�me. Chose singuli�re, ni les gens du pays, ni les botanistes les mieux renseign�s sur la flore de cette r�gion ne connaissent aujourd�hui le _centofoglie,_ni le poliastro, ni aucune fleur qui ressemble aux deux dessins du vieux livre 5. Il est cependant probable que La Sale, ici comme ailleurs, a �t� exact ; et d�autre part, comment ces fleurs indig�nes ont-elles disparu de leur habitat ?

Des deux sentiers qui, encore aujourd�hui, m�nent au haut du mont, Antoine prit celui de droite, plus long, mais plus ais�, et le suivit � pied, bien qu�� la rigueur un cheval e�t pu le gravir (aujourd�hui les mulets y montent sans peine). Ce sentier atteint la cr�te du mont � � environ deux milles, qui sont deux tiers de lieue � ; la distance parut longue au bon La Sale, car elle n�est gu�re que d�un millier de pas ; mais il n��tait pas � son aise : il n�avait certainement pas le pied montagnard ni l�oeil aguerri contre le vertige. � Si vous certifie, dit-il, qu�il ne faut point qu�il fasse vent, car on serait en tr�s grand danger, et m�me sans vent fait-il grande hideur � voir la vall�e de tous c�t�s, et souverainement � la main droite, car elle est si hideuse de raideur et de profondeur que c�est forte chose � croire. � Enfin il atteignit la � couronne du mont �, qui est � entaill�e � d�un c�t�, tout le reste, � � la hauteur de dix milles ou plus � (en r�alit� 2 175 m�tres), �tant � aussi droit comme un mur... En cette couronne sont deux passages pour monter au-dessus o� est l�entr�e de la cave, et je vous certifie que le meilleur de ces deux passages est suffisant � mettre peur au c�ur qui peut avoir peur, et surtout � la descente, car si par malheur le pied �chappait, aucune puissance que celle de Dieu ne vous pourrait emp�cher d��tre mis en cent mille pi�ces. Et de voir seulement la tr�s grande hideur profonde il n�est c�ur qui ne soit craintif. �

Cette � couronne du mont � a environ � vingt-cinq � trente toises de haut �, et l� est l�entr�e de la caverne, � en forme d�un �cu, aigu� dessus et large dessous. � On ne peut y entrer qu�� quatre pieds et � reculons. On arrive ainsi � une chambre qui a environ douze pieds en hauteur, et qui est entour�e de bancs taill�s dans le rocher. Cette chambre est faiblement �clair�e par un trou rond qui se trouve au-dessus (� droite d�apr�s le � pourtrait �).

Toutes ces observations doivent �tre justes, comme celles que l�on peut encore v�rifier ; mais elles ne concordent plus avec l��tat actuel des lieux. On entre aujourd�hui dans la � chambre � plus ais�ment ; le sol s�en est �lev�, en sorte qu�elle a beaucoup moins de douze pieds de haut ; les bancs ont disparu, sans doute enfouis sous la terre ; le trou rond s�est bouch�.

Antoine de la Salle n�alla pas plus loin ; il nous l�affirme � plusieurs reprises et ne veut pas surtout qu�on croie qu�il a p�n�tr� dans le souterrain myst�rieux dont il parle ensuite. Il s�est content� d��crire sur une des parois de la chambre sa devise avec son nom : il convient. DE LA SALE. On voudrait les y retrouver ; malheureusement la � moiteur de la roche �, qui d�j� de son temps avait � couvert � beaucoup de noms �crits avant le sien, a effac� aussi son inscription : en �clairant la chambre au magn�sium, on ne lit sur les parois que quelques noms de visiteurs modernes, sauf un qui para�t remonter au XVIIe si�cle.

Mais si La Sale s�est abstenu de pousser plus loin ses investigations, il nous a redit ce que les gens du pays lui racont�rent sur le prolongement de la � cave �_,_ et c�est la partie de son r�cit qui a le plus d�int�r�t pour nous. � droite, dans la chambre en question se trouve l�entr�e d�un couloir, entr�e fort �troite, qu�on ne peut franchir qu�en se couchant et en se poussant les pieds les premiers. O� m�ne ce couloir ? Les gens de Montemonaco en racontent bien des choses ; � les uns s�en moquent, et autres y ajoutent foi, par l�ancien parler de la commune gent �.

Pour la premi�re partie du voyage souterrain, il semble qu�on ait un t�moignage assez digne de confiance. Peu avant l�arriv�e de La Sale, cinq jeunes gens de Montemonaco, � par bonne compagnie, devisant des aventures de cette cave �, s�engag�rent dans le couloir, munis de provisions, de lanternes et de cordes ; Antoine vit deux d�entre eux, qui lui rapport�rent que l��troit couloir s��largissait apr�s � environ un bon trait d�arbal�te �, et qu�on y pouvait marcher debout et m�me deux ou trois de front. Apr�s avoir descendu ainsi environ trois milles, ils trouv�rent � une veine de terre traversant la cave dont issait un vent si horrible et merveilleux qu�il n�y eut celui qui os�t aller plus avant �, et qu�ils revinrent sur leurs pas, renon�ant � l�exp�dition qu�ils avaient entreprise � comme jeunesse fait souventes fois entreprendre les gens oiseux �.

Mais il y avait � Montemonaco un pr�tre, � nomm� Don Anton Fumato, c�est-�-dire Messire Antoine Fum� �, qui assurait avoir pouss� plus loin. Il disait que cette terrible � veine de vent � ne dure que quinze toises et n�est redoutable qu�en apparence. Apr�s l�avoir franchie, on se trouve bient�t devant un pont tr�s long, qui semble n�avoir pas un pied de large, et sous lequel, � une tr�s grande profondeur, un torrent fait un si grand fracas qu�il semble que tout s��croule. Mais d�s qu�on a mis les deux pieds sur le pont, il se trouve assez large, et plus on avance, plus il s��largit et plus le bruit de l�eau s�apaise. Au sortir du pont le chemin est large et uni ; apr�s un peu de marche on voit des deux c�t�s du chemin deux dragons qui semblent en vie et dont les yeux jettent des flammes ; mais ils sont faits � artificialement � et inoffensifs. Quand on les a pass�s, on arrive sur � une petite placette carr�e �, devant deux portes de m�tal qui � jour et nuit battent sans cesse �, si bien qu�il semble qu�on n�y pourrait passer sans �tre saisi et mis en morceaux. Don Anton Fumato n�alla pas plus loin. Quand il revint, il parla de l�entr�e et de la � veine de vent � tout comme les premiers explorateurs, � ce qui donnait plus de foi dans les autres choses qu�il disait �. Malheureusement Don Anton Fumato � par lunaisons n��tait mie en son bon sens, et en sa maladie allait et venait en plusieurs lieux et disait de merveilleuses choses �, et cela nuisait un peu � l�autorit� de son t�moignage ; � toutefois l�affirmait-il quand il �tait dans son bon sens, et autrement il �tait prudhomme et de bonne conversation �. Il racontait m�me qu�il avait guid� un jour dans le souterrain deux Allemands, et que ceux-ci, arriv�s aux portes de m�tal, jugeant que ce p�ril n'�tait pas plus r�el que les autres, lui avaient dit de les attendre et qu�ils essaieraient de passer ; qu�ils avaient pass� en effet sans encombre, mais qu�ils n��taient pas revenus, en sorte que � de nulle chose qui soit au del� des portes de m�tal ne se trouve nul qui le sache, fors par commune renomm�e et par voix g�n�rale des gens du pays, qui en devisent � leurs volont�s, et en disent des choses qui sont assez fors � croire, bien que je les aie entendu raconter en d�autres pays, mais non avec autant de d�tail �.

Voici donc ce que racontaient les gens du pays.

Il y eut jadis un chevalier, venu aussi des parties de l�Allemagne, � qui sont gens grandement voyageurs et cherchant les choses merveilleuses autant ou plus que nulles autres gens du monde �, qui, ayant entendu parler des merveilles du mont de la Sibylle, r�solut de les voir. Il entra donc avec son �cuyer. � Ayant franchi les portes de m�tal, ils se trouv�rent devant une grande porte de cristal. Ils appel�rent, et on leur demanda qui ils �taient. Sur leur r�ponse, on alla pr�venir � la reine �, et bient�t on leur ouvrit la porte ; on leur fit d�abord changer leurs v�tements pour d�autres tr�s riches ; puis, au son des instruments et des m�lodies, on les conduisit, � travers des chambres, des salles, des jardins, plus beaux les uns que les autres et pleins de dames et de demoiselles, de chevaliers et d��cuyers noblement v�tus, jusqu�� la reine, qui les re�ut assise sur un tr�ne magnifique et leur fit le meilleur accueil, dans leur langue maternelle, � car la reine et tous les habitants du lieu, quand ils y ont pass� trois cent trente jours, parlent toutes les langues du monde ; quand ils y ont pass� neuf jours, ils les comprennent sans les parler.

Apr�s avoir entendu le chevalier exprimer son admiration pour tout ce qu�il voyait, la reine lui dit :

� Il y a plus encore, c�est que nous serons en l��tat o� vous nous voyez tant que le monde durera.

� Et quand le monde finira, madame, que deviendrez-vous ?

� Nous deviendrons ce qui est ordonn� ; n�essayez pas d�en rien savoir. �

Puis elle lui fit conna�tre les coutumes du pays : il pouvait rester huit jours et sortir le neuvi�me ; s�il ne sortait pas le neuvi�me, il lui faudrait attendre le trenti�me, puis le trois cent trenti�me, et s�il ne sortait pas au trois cent trenti�me, il ne sortirait jamais. Il devait, en outre, ainsi que son �cuyer, � � qui de ce fut tr�s content � � choisir une compagne parmi les dames qu�il voyait sans compagnon. Le chevalier prit le terme des neuf jours, mais ensuite il le prorogea au trenti�me, et ensuite au trois cent trenti�me, � car les plaisirs qu�il avait sans cesse �taient tels qu�un jour ne lui semblait pas une heure �. En effet, les habitants de ce � paradis � ne vieillissent pas et ne savent ce qu�est la douleur ; � chacun est servi de nourriture � l�app�tit de son c�ur ; ils ont des richesses en abondance, des plaisirs � souhait ; ils ne souffrent ni du froid ni du chaud ; enfin toutes les d�lices mondaines y sont telles que c�ur ne saurait les imaginer ni langue les dire �.

Il y avait cependant � cette f�licit� une petite ombre. Tous les vendredis � minuit chacune des dames se levait d�aupr�s de son compagnon et se rendait aupr�s de la reine, et toutes ensemble allaient s�enfermer dans des chambres dispos�es pour cela, o� elles �taient jusqu�apr�s la minuit de samedi � en �tat de couleuvres et de serpents �. Il est vrai que le jour suivant � elles semblaient plus belles que jamais elles n�avaient �t� �. Mais cette transformation hebdomadaire donna fort � r�fl�chir � notre chevalier : � Il s�aper�ut bien qu�il �tait certainement chez le diable �, et se dit avec terreur qu�il vivait dans un horrible p�ch�. Il en �tait au trois centi�me jour quand Dieu lui envoya cette salutaire pens�e, et d�s lors il ne songea plus qu�� s�en aller, et � ainsi comme auparavant un jour ne lui semblait pas une heure, maintenant une heure lui semblait dix jours �.

Il parla de ses remords � son �cuyer, qui, lui, trouvait les plaisirs o� il vivait � tr�s durs � laisser �_,_ mais qui cependant ne voulut pas abandonner son ma�tre, � en esp�rance d�y retourner quand il aurait conduit le chevalier en son h�tel �. Donc, le trois cent trenti�me jour venu, ils prirent cong� de la reine, et, apr�s avoir repris leurs v�tements, ils partirent, au milieu du grand deuil de tous les habitants du paradis et surtout de leurs � compagnes 6 �. On leur remit pour les �clairer dans leur route souterraine deux cierges allum�s : ces cierges s��teignirent d�s que les voyageurs furent remont�s au jour, � ni jamais plus ne les put-on allumer �.

Le chevalier s�en alla droit � Rome, ayant h�te de confesser son p�ch�. Mais le p�nitencier auquel il s�adressa lui d�clara qu�il n�avait pas le pouvoir de l�absoudre d�une faute aussi abominable, et le renvoya au pape, qui �tait alors, selon les uns, le pape Innocent (VI), de l�an 1352, suivant les autres, le pape Urbain (V), de l�an 1362, ou encore le pape Urbain (VII), de l�an 1377. Le pape, ayant entendu la terrible histoire du chevalier, fut tr�s joyeux de son repentir et se promit bien de lui accorder quelque jour son pardon ; mais, pour donner un exemple � tous, il feignit de trouver le p�ch� irr�missible, et, montrant un grand courroux au p�nitent, � il le chassa, comme homme perdu, de sa pr�sence �.

Le pauvre chevalier se d�solait ; un cardinal prit piti� de lui et lui promit de fl�chir le pape. Mais les jours passaient, et l�absolution ne venait pas. Pendant ce temps, l��cuyer � ne cessait jour et nuit de regretter les grands biens qu�il avait laiss�s �, et s�effor�ait de d�cider son ma�tre � retourner au � paradis � perdu. Enfin, il s�avisa d�une grande malice : il fit croire au chevalier qu�on avait secr�tement instruit leur proc�s et qu�on les cherchait tous deux pour les faire mourir. Alors le chevalier, d�sesp�r�, retourna droit � la caverne ; avant d�y entrer, il dit � des p�tres qui gardaient leurs troupeaux sur le mont : � Mes amis, si vous entendez parler de gens qui cherchent un chevalier qui se repentait de son p�ch� et auquel le pape n�a pas voulu pardonner, parce qu�il avait �t� dans cette cave de la reine Sibylle, dites que c�est moi, que, n�ayant pu recouvrer la vie de l��me, je n�ai pas voulu perdre celle du corps, et que, si l�on veut me trouver, on me trouvera en la compagnie de cette reine. � Il leur remit une lettre, d�un contenu semblable, pour le capitaine de Montemonaco, et, tout pleurant, suivi de son �cuyer qui ne pleurait pas, il entra dans la caverne, et jamais, depuis, on n�eut de leurs nouvelles.

Cependant le pape avait r�solu d�accorder au chevalier l�absolution tant attendue. Quand il sut qu�il �tait parti de Rome, il fut tr�s inquiet, � car s�il �tait parti, c��tait par d�sesp�ration, dont il se sentait tr�s coupable �. Il envoya de tous c�t�s, notamment au Mont de la Sibylle, des messagers porteurs de lettres d�absolution ; mais ils ne purent qu�entendre le r�cit des p�tres et lire la lettre adress�e au capitaine 7. Le pape � fut de cela si dolent qu�� peine se pourrait croire, car il en sentait sa conscience tr�s grandement grev�e, mais le repentir venait trop tard 8 �.

Parmi les noms de visiteurs �crits sur les parois de la chambre d�entr�e, Antoine de la Sale remarqua celui d�un Allemand, � qui est �crit dans la roche comme ci-dessous est :

Her Hans Wanbranbourg 9

Intravit.

Mais, remarque La Sale, s�il dit qu�il est entr�, il ne dit pas qu�il soit sorti ; � c�est pourquoi je crois que c�est le chevalier susdit �. Et au-dessous est � le nom d�un autre, qui me semble des parties de France ou d�Angleterre, selon le langage de son nom, qui s�appelle Thomin de Pons ou de Pous : je ne sais si la lettre � deux jambages est une n ou un u. Celui-l� ne dit pas qu�il soit ni entr� ni sorti ; personne ne sait si c�est l��cuyer du chevalier ou un autre. �

La Sale raconte encore l�histoire d�un seigneur gascon 10 qui, en 1380, �tait venu l�-haut savoir des nouvelles de son fr�re, qu�il croyait avoir p�n�tr� chez la Sibylle. Il nous rapporte ensuite qu��tant � Rome en 1422 il fut interrog� fort curieusement, par plusieurs seigneurs lorrains et bourguignons qui se trouvaient l�, sur la caverne de la Sibylle, o� ils s�imaginaient � tort qu�il avait p�n�tr�. L�un d�eux, Gaucher de Ruppes, lui jura � sur sa bonne foi et l�ordre de chevalerie � qu�un oncle de son p�re affirmait y avoir �t�, et que dans la famille on �tait convaincu qu�il y �tait retourn� : Antoine pourrait sans doute lui en donner de s�res nouvelles. � Auquel je r�pondis, et je r�pondrais � tous ceux qui soutiendraient telles choses, qu�il �tait mal inform� ; et que ce n��tait que fausse croyance � tous ceux qui y ajoutent foi, et qu�ils abandonnent le chemin de la v�rit�, et en ce je veux vivre et finir mes jours. �

La Sale justifie doctement son incr�dulit� en montrant que � toutes les �critures saintes, tant grecques que latines �, ne parlent que de dix sibylles, et qu�aucune d�elles ne peut habiter la fameuse montagne. C�est le diable qui a mis cette fable en cr�dit � pour d�cevoir les simples gens � ; tout bon chr�tien doit se garder de se laisser prendre � cette fausse croyance et surtout d�aller se � mettre en ce p�ril �.

Apr�s cette protestation, � qui ne laisse pas de surprendre un peu chez le narrateur minutieux de l�aventure du chevalier allemand, � Antoine de la Sale termine d�un ton plus l�ger son livre du Paradis de la reine Sibylle :

� J�ai mis tout cela en �crit, mon tr�s redout� seigneur, pour rire et passer le temps, et je vous l�envoie afin que, si c�est votre plaisir, quelque jour, disant vos heures, en attendant le d�ner ou le souper, vous y alliez pour vous divertir, et je vous promets que la reine et toutes ses dames vous feront bon accueil et vous festoieront en tr�s grande joie. �

II

Antoine de la Sale n�est pas le premier qui ait �crit sur les merveilles du Monte della Sibilla, mais il ne connaissait pas son pr�d�cesseur.

En 1391, Andrea da Barberino composait l��trange roman en prose intitul� Guerino il Meschino, �uvre dont le succ�s, qui nous �tonne, n�a pas cess�, jusqu�� nos jours, d��tre immense dans le peuple italien. L�auteur de ce roman a �t� le plus f�cond � adaptateur � qui ait jamais exist� : presque tout ce qui nous reste, imprim� ou encore in�dit, d�histoires italiennes en prose emprunt�es plus ou moins directement � nos vieux po�mes fran�ais est sorti de son infatigable main. Le Guerino a-t-il aussi une source fran�aise ? On n�en a retrouv� aucune trace ; et je suis port� � croire que, pour cette fois, Andrea s�est essay� � voler de ses propres ailes, non sans les garnir de plumes emprunt�es de toutes parts : son roman, fort ennuyeux d�ailleurs, diff�re beaucoup de ses autres �crits et pr�sente des caract�res qui semblent bien italiens. N�en retenons, et bri�vement, que ce qui concerne notre sujet.

Guerino est, comme bien d�autres h�ros, � commencer par T�l�maque, � la recherche de son p�re : on lui a dit que la Sibylle de Cumes, � qui ne doit mourir qu�� la fin du monde et qui sait toutes les choses pr�sentes et pass�es �, � c�est un souvenir �vident de Virgile et des l�gendes antiques sur une sibylle immortelle, � pourrait lui en donner des nouvelles. Il apprend qu�elle fait depuis longtemps son s�jour dans l�Apennin, et, pour aller chez elle, il se rend � Norcia : il prend donc le chemin oppos� � celui que devait prendre Antoine de la Sale, le versant m�diterran�en au lieu du versant adriatique. Les habitants de Norcia essaient de le dissuader de la redoutable aventure, en lui racontant, � notez ce trait, � que, � selon une �criture �, un certain messire Lionel de France avait t�ch� de p�n�trer dans la caverne, mais en avait �t� repouss� par un vent terrible (cela rappelle la � veine de vent � que n�os�rent pas franchir les explorateurs venus de Montemonaco) ; on parlait d�un autre homme qui y �tait all�, et n��tait jamais revenu. Il persiste, s'engage dans la montagne, et, apr�s avoir fait halte dans un ch�teau situ� au pied du mont (c�est Castelluccio), arrive chez des ermites qui lui donnent de sages conseils. Il gravit des roches terribles, au-dessus de gouffres b�ants, en s�aidant plus des mains que des pieds, et parvient enfin � une caverne dans laquelle quatre ouvertures donnent acc�s. Il s�y enfonce, une chandelle � la main 11, et suit le souterrain jusqu�� une porte de m�tal, portant sur chacun de ses battants un d�mon peint qui para�t vivant, et qui tient une tablette avec cette inscription : � Qui entre par cette porte et ne sort pas au bout d�un an vivra jusqu�au jugement dernier, et alors sera damn�. � Guerino frappe, et est admis aupr�s de la Sibylle et de ses demoiselles, qui attendaient son arriv�e. Elle lui montre son palais et ses tr�sors, et son jardin, � pareil � un paradis �, o� sont m�rs ensemble les fruits de toutes les saisons, � preuve �vidente pour Guerino qu�il s�agit l� d�un sortil�ge. Ce qui est plus grave encore, c�est ce qu�il constate bient�t : le samedi, tous les habitants de cet empire prennent des formes de b�tes, de serpents ou de scorpions, et les gardent jusqu�au lundi � l�heure o� le pape, � Rome, a termin� sa messe.

La Sibylle raconte � Guerino qu�elle est bien la Sibylle de Cumes, et qu�elle vivra jusqu�� la fin du monde ; mais elle ne l��claire pas sur l�origine et le caract�re de sa puissance surnaturelle. Pendant un an, Guerino lutte d�adresse avec la Sibylle, celle-ci voulant l�amener � c�der � ses d�sirs, lui, averti par les ermites, s�y refusant, et cherchant � lui arracher le secret dont la poursuite l�avait attir� chez elle. Ils �chouent l�un et l�autre, et, le dernier jour de l�ann�e, Guerino prend cong�, re�oit les v�tements qu�il avait d�pouill�s � l�arriv�e, et rentre dans le monde des humains. Il va remercier les ermites, repasse � Norcia, et s�empresse d�aller � Rome, o� le pape l�absout de sa t�m�rit� en consid�ration du but de son voyage et de sa r�sistance � la tentation.

Ce r�cit, visiblement arrang� dans un sens �difiant, a certainement pour base un conte plus ancien, qui est aussi le fondement de celui d�Antoine de la Sale. On y voit, comme le fait tr�s bien remarquer M. S�derhjelm, la transition entre l�ancienne conception de la Sibylle et la transformation qu�elle a subie : la Sibylle est encore ici avant tout une voyante qui conna�t les choses cach�es, et c��tait l� sans doute la forme la plus ancienne de la l�gende, car cette l�gende n�est qu�une adaptation de l��pisode bien connu de l��n�ide, adaptation �rudite 12, qui a fait transporter � cet endroit de l�Apennin la grotte de la Sibylle parce qu�on y voyait, � non loin d�un lac, � une caverne avec un prolongement myst�rieux, comme celui qu�on montre encore au lac Averne. De l� le nom de Monte della Sibilla, dont on ne peut malheureusement pas d�terminer l�antiquit�. Mais l�antre de la Sibylle semble �tre en m�me temps, dans Virgile 13, l�acc�s du monde souterrain : or, une croyance fort r�pandue, � �tait-elle italienne d�origine ? c�est ce qui reste � examiner, � pla�ait sous terre, et sp�cialement dans une montagne, le royaume d�une d�esse ou d�une f�e, o� ceux qui pouvaient y p�n�trer jouissaient de toutes les d�lices. La Sibylle devint la reine d�un de ces � paradis �, tout en restant d�abord avant tout la proph�tesse qu�elle �tait ; puis peu � peu elle perdit cette qualit� primitive et ne fut plus qu�une de ces cr�atures de s�duction et de volupt� dont l�image, depuis Calypso jusqu�� la Dame du lac, a rempli d��pouvante et d�enchantement les r�ves des mortels.

On ne parle plus gu�re ensuite de notre � paradis �. Il faut cependant que la r�putation s�en f�t r�pandue en Allemagne, � on a vu que c��taient surtout des Allemands qui passaient pour y avoir p�n�tr�, � car on voit pendant le XVe si�cle plus d�un Allemand s�en enqu�rir. Enea Silvio Piccolomini � le futur Pie II � fut un jour consult� par un Allemand, m�decin du roi de Saxe, sur l�existence en Italie d�un � mont de V�nus � o� l�on enseignait les arts magiques ; il r�pondit qu�il ne connaissait, en fait de mont d�di� � V�nus, que le mont �ryx en Sicile ; quant � l�enseignement de la magie, il se rappelait qu�il y avait pr�s de Norcia une caverne, o�, disait-on, on pouvait converser avec les d�mons et se faire instruire dans la n�cromancie. Enea ne dit pas que cet endroit s�appel�t le mont de V�nus et ne para�t m�me pas conna�tre la l�gende de la Sibylle. Ce nom de � mont de V�nus � est, en effet, propre aux Allemands, qui le transportaient au mont de la Sibylle d�apr�s une forme de la tradition que l�Italie n�a pas connue. En 1497, Arnold de Harff, patricien de Cologne, allant de Rome � Venise, se d�tournait de son chemin et entra�nait ses compagnons de route � le suivre � parce que, dit-il, j�avais entendu parler d�un de ces monts de V�nus dont, dans notre pays, on raconte tant de merveilles �. Quand il exposa au ch�telain de Castelluccio son d�sir de visiter � le mont de V�nus, dont en Allemagne on dit tant de choses �tranges �, le ch�telain se mit � rire, mais voulut bien le lendemain conduire les Allemands dans la montagne, o� ils explor�rent plusieurs grottes, sans rien y voir de merveilleux. Apr�s quoi ils visit�rent le lac voisin et recueillirent quelques souvenirs des anciennes pratiques de magie dont il avait �t� le th��tre. C��taient eux, on le voit, qui avaient introduit le nom de � mont de V�nus � dans le r�cit qu�on leur avait sans doute fait du royaume souterrain de la Sibylle.

En Italie m�me, on ne parle gu�re de Norcia qu�� cause de ce lac et des prodiges qui s�y faisaient. Pulci y �tait all� pour apprendre la magie, et Benvenuto Cellini, sur le conseil d�un n�cromant sicilien, s��tait propos� de faire le m�me voyage. Plusieurs auteurs du XVe et du XVIe si�cle y font allusion, mais ne parlent pas de la Sibylle 14. Nous la retrouvons toutefois, et de la fa�on la plus int�ressante, � car ce qui en est dit ne provient ni du Guerino ni d�Antoine de la Sale, � dans l�ouvrage c�l�bre de fra Leandro Alberti, la Description de toute l�Italie, paru � Bologne en 1550. En parlant de la � Treizi�me r�gion �, ou Marche d�Anc�ne, Alberti �crit : � On voit dans ce pays les montagnes les plus hautes de l�Apennin, sur l�une desquelles est construit le ch�teau de Santa Maria in Gallo. Non loin de l� se trouve la large, horrible, �pouvantable caverne nomm�e caverne de la Sibylle ; la renomm�e (ou plut�t une fable insens�e) pr�tend que c�est l�entr�e pour arriver � la Sibylle, qui demeure dans un beau royaume orn� de grands et magnifiques palais, habit�s par des hommes nombreux et de belles demoiselles, qui prennent ensemble les plaisirs de l�amour. Il en est ainsi dans le jour ; la nuit tous, tant hommes que femmes, deviennent d�affreux serpents, ainsi que la Sibylle elle-m�me ; et tous ceux qui veulent entrer l�, il leur faut d�abord subir les caresses de ces repoussants reptiles 15. Et nul n�est contraint de rester pass� la fin de l�ann�e, si ce n�est que, chaque ann�e, il faut qu�il en reste un de ceux qui y sont entr�s. Et ceux qui y seront entr�s et en seront ressortis re�oivent de la Sibylle tant de gr�ces et de privil�ges qu�ils passent ensuite dans la f�licit� tout le restant de leurs jours. Ces fables et d�autres semblables se racontent dans le vulgaire, et je me rappelle les avoir entendu conter aux femmes, par mani�re de plaisir et de divertissement, quand j��tais encore enfant, dans la maison de mon p�re 16. �

Depuis lors on n�a plus parl� du paradis de l�Apennin 17 : il s�est �vanoui comme tant d�autres, et le mont de la Sibylle n�est plus visit� que par quelques alpinistes, par les p�tres qui y m�nent leurs troupeaux, et par les chasseurs de la montagne, suivis de leurs meutes de grands chiens noirs et roux.

III

La Sibylle a pourtant r�cemment revu des p�lerins. Il y a bien trente ans que, ayant lu le livre d�Antoine de la Sale, j�avais �t� frapp� de la ressemblance que pr�sente l�aventure de son chevalier avec celle que la l�gende, en Allemagne, attribue au Tannh�user. Je m��tais promis d�s lors d�aller visiter la grotte myst�rieuse, non sans quelque espoir de retrouver sur les murs du vestibule le nom d�Antoine de la Sale et peut-�tre celui de Hans van Bramburg avec la prestigieuse mention : intravit, et, qui sait ? de p�n�trer dans le souterrain et d�arriver jusqu�au � paradis �. Je voulais surtout savoir s�il restait dans la m�moire du peuple des alentours quelque vestige des anciennes croyances, si la Sibylle exer�ait encore sur les �mes sa fascination m�l�e de terreur et de d�sir.

J�ai r�alis� ce projet en juin 1897 ; mais, h�las ! comme jadis messire Lionel de France, j�ai �t�, � et moins pr�s encore du but, � � repouss� par le vent �. La Sibylle, craignant sans doute une investigation indiscr�te, s�est envelopp�e de brume et s�est d�fendue par un souffle glac�. Cependant ce voyage, dont le but principal a �t� manqu�, n�a pas �t� d�nu� de tout int�r�t, et j�en veux rappeler quelques impressions, en signalant ce qui pourra �tre utile � des recherches futures sur cet attrayant sujet.

Je dois dire � l�avance que tout ce qui, dans ce r�cit, a quelque valeur pour l��tude des lieux ou de la l�gende est d� � mon excellent ami le professeur Pio Rajna, de Florence, l�auteur bien connu de ces deux beaux livres qui s�appellent les Sources du Roland furieux et les Origines de l��pop�e fran�aise. Mis au courant de mon projet de p�lerinage, il le prit tout de suite � c�ur et voulut s�y associer : on ne pouvait souhaiter un compagnon de route � la fois plus agr�able et plus pr�cieux. C�est gr�ce � lui que nous avons pu trouver, dans ce pays peu accessible, une aide et une hospitalit� sans lesquelles nous aurions eu peine � faire m�me ce que nous avons fait. Il a, seul, p�n�tr� une premi�re fois dans la � chambre � o� Antoine de la Sale s��tait jadis arr�t� ; enfin, reprenant l�ascension d�un autre c�t� et dans des conditions plus favorables, il a pu faire des observations de tout genre, dont je ne donnerai qu�un bref r�sum�, et il a ainsi pos� les jalons d�une investigation plus compl�te, qui, je l�esp�re bien, sera un jour reprise et men�e � bonne fin.

Le premier avantage que j�ai retir� de mon exp�dition a �t� de voir Spol�te, la station o� l�on quitte le chemin de fer. C�est une ville que les touristes visitent peu et qui vaut la peine d�un arr�t. Sous son vieux nom fran�ais d�Espolice, elle m��tait, depuis longtemps, famili�re. Nos chansons de geste mentionnent souvent cette vieille cit� lombarde, si�ge d�un puissant duch�, dont un titulaire, Gui, se fit m�me empereur au IXe si�cle et, d�apr�s un de nos po�mes, fut vaincu par un Guillaume d�orange.

Spol�te a conserv� un beau souvenir de son antique puissance dans le grandiose viaduc, � le Ponte delle Torri, � jet� sur un ravin sauvage au VIIe si�cle, par le duc Theudelapius. Elle a beaucoup d�autres monuments dignes d��tre vus, de l��poque romaine, du haut Moyen �ge et de la Renaissance. Sa cath�drale pr�sente les styles les plus divers. Le portail principal montre au cintre une grande mosa�que de 1207 et, dans les jambages, d�admirables et bizarres ornements du XIe si�cle, sign�s du nom de Gregorius Meliorantius. Le ch�ur est illumin� par les fresques de Filippo Lippi, les derni�res qu�il ait peintes. Il y a surtout un couronnement de la Vierge, malheureusement endommag�, o� la Vierge, adorablement belle, v�tue d�un manteau blanc tout brod� d�or, est entour�e d�un d�licieux pullulement d�anges. Et ce qui rend ces suaves peintures plus ch�res encore, c�est qu�on voit tout pr�s du ch�ur, au-dessus d�une arcade, le tombeau du peintre, qui mourut � Spol�te avant d�avoir achev� son �uvre. Ce tombeau, que Laurent le Magnifique voulut, de si loin, consacrer � son ami, a toute l��l�gance florentine : au-dessus d�un sarcophage un m�daillon porte l�image d�licatement model�e de Filippo, et sur le sarcophage se lisent deux gracieux distiques d�Ange Politien. Dans cette �glise rude et un peu barbare ces fresques et ce monument apportent comme un sourire, comme un rayon de beaut� venu d�un ciel plus doux.

Cinq heures de voiture m�nent de Spol�te � Norcia par une des plus belles routes qui se puissent voir, remontant d�abord le Nera 18, puis le Corno ou Cornia, passant d�une rive � l�autre quand le rocher la serre de trop pr�s, changeant � chaque instant d�aspect et de points de vue. Sur les hauteurs sont perch�s de vieilles tours �croul�es, des villages qui ont l�air de forteresses, comme Poncianello, c�l�bre par ses belles filles, ou de vraies villes, comme Cerreto. Aux flancs des montagnes, des grottes profondes font des trous noirs dans la verdure ensoleill�e des prairies ; les pentes plus hautes �clatent de l�or �blouissant des gen�ts. Bient�t les oliviers disparaissent, mais longtemps encore les grands ch�nes enfoncent leurs puissantes racines dans le roc. Le Nera verdit au fond du ravin avec des franges d��cume ; il est doux maintenant entre ses saules argent�s, mais souvent, au printemps ou � l�automne, il devient furieux, s�enfle d�mesur�ment, et pr�cipite � travers l�Ombrie ses flots qui viennent � Orte faire d�border le Tibre. � Le Nera donne � boire au Tibre, mais souvent il l�enivre �, c�est le dicton populaire. � Triponzo, � les trois ponts �, on passe dans la vall�e du Cornia, plus �troite et h�riss�e de rochers plus droits : elle a, comme tant d�autres, son � pont du diable � suspendu sur le gouffre. On rencontre des p�tres farouches, les jambes dans des culottes de peau de ch�vre, qui m�nent aux montagnes des troupeaux de moutons s�allongeant � perte de vue : tel de ces troupeaux compte dix mille b�tes, que les bergers poussent devant eux � grand renfort de chiens... On sent d�j� l�air se rafra�chir ; on approche de la frigida Nursia de Virgile.

Norcia �tait autrefois si diffam�e par le voisinage du lac aux sortil�ges que Norcino �tait devenu synonyme de sorcier, � ce qui para�t injuste, car dans tous les r�cits ce sont des �trangers qui viennent faire consacrer au lac leurs livres damnables. Elle est, d�autre part, sanctifi�e pour avoir vu na�tre saint Beno�t, le fondateur du Mont-Cassin, l�auteur de la r�gle des moines d�Occident, dont la statue s��l�ve sur la place publique et qui aurait d� pr�server sa ville natale d�un si mauvais renom. L�, gr�ce � la pr�voyance de notre ami, nous sommes l�objet des plus aimables attentions de la part de l�avocat Laurento Laurenti, qui traite pour nous avec les muletiers et compl�te fort utilement notre bagage. Nous partons de Norcia, o� il n�y a rien � voir, � trois heures, et en quatre heures nos mulets nous am�nent � Castelluccio.

Le sentier que nous suivons serpente d�abord sur les collines, entre des buissons charg�s d��glantines roses, puis franchit des rochers abrupts ; assez difficile par endroits, il est en somme praticable. Mais le froid augmente � mesure que nous nous �levons, et les nuages sont si bas que nous n�apercevons pas, m�me pr�s du but, les cimes du Vettore et de la Sibilla dont hier, � Spol�te, nous voyions �tinceler au soleil les plaques de neige. Nous franchissons un col appel� � bon droit la _Ventosola,_o� nous sommes assi�g�s par une bise glaciale ; elle s�adoucit un peu, mais sans l�cher prise, pendant que nous traversons lentement le piano grande qui fait l�orgueil de Castellucclo. C�est une immense prairie, qui a conserv� l��galit� de surface, bien rare � cette altitude, du lac qu�elle �tait jadis et qu�elle redevient � la fonte des neiges ; elle est couverte d�un �pais tapis de velours vert qui, sous les nuages gris de ce jour, appara�t mat et fonc�, mais qui prend au soleil les transparences d��meraude p�le des gazons alpestres. Tout au bout de cette vaste plaine se dresse le rocher, en forme de _sabot_renvers�, dont Castelluccio occupe le haut. Ce � mauvais petit ch�teau � (c�est le sens propre de Castelluccio), jadis forteresse papale, est aujourd�hui un pauvre village. Nous y arrivons tout transis, et nous sommes heureux de nous r�chauffer dans la cuisine de la maison hospitali�re que M. Calabresi, le grand propri�taire du pays, a bien voulu, � toujours gr�ce aux soins vigilants de notre ami Rajna, � mettre � notre disposition.

Puis on d�lib�re avec les muletiers et les habitants sur l�ascension du lendemain. Tous hochent la t�te et la d�clarent impossible. La nuit sera glaciale et la journ�e envelopp�e d�un �pais brouillard. La course est de sept heures environ : autant pour revenir et au moins deux heures de repos l�-haut, c�est-�-dire qu�il faudrait partir � quatre heures du matin pour �tre rentr�s � huit heures du soir, et passer les seize heures dans la brume. Ils se refusent � nous fournir des mulets et des guides. Notre ami, alpiniste aguerri, finit pourtant par d�cider un jeune homme � l�accompagner, et part � pied au milieu de la nuit. La pr�vision des gens du pays �tait juste : il fut toute la journ�e dans le brouillard, et perdit plus d�une fois son chemin ; il arriva cependant jusqu�� la � chambre � d�crite par Antoine de la Sale et y fit des constatations qu�il devait compl�ter par la suite et que j�ai utilis�es plus haut. Pour nous, apr�s avoir pass� � Castelluccio une journ�e morose, et n�esp�rant plus que le temps se rass�r�n�t, nous nous r�sign�mes � repartir, d�autant plus que le froid et le vent duraient toujours et qu�on nous les disait plus �pres encore sur les hauteurs. Nous repr�mes donc, le lendemain matin, le chemin de Norcia, souhaitant de renouveler quelque jour notre visite, et de trouver la Sibylle, en ce moment si rev�che, plus accueillante une autre fois.

Ce qui me consolait un peu de ma d�convenue, c�est ce que notre ami nous avait rapport� : l�entr�e du couloir souterrain est aujourd�hui ferm�e par une �norme pierre, plac�e l�, nous dirent les naturels du pays, pour emp�cher les f�es de sortir. Souvent, en effet, surtout par les belles matin�es ou soir�es d��t�, quand le soleil levant ou la lune �clairent dans les vallons les vapeurs l�g�res et mouvantes, on voyait les f�es danser sur les prairies, et ces apparitions, toutes gracieuses qu�elles fussent, jetaient dans l��me une vague terreur ; parfois m�me, � mais cela �tait douteux, � on avait vu les f�es se m�ler aux salterelli que les villageois des montagnes m�nent le soir aux sons des zampogne. On avait donc voulu leur fermer l�issue ; � en quoi, disait Hajna � ceux qui nous racontaient cela, vous avez fait une sottise ; car les f�es se font aussi petites qu�elles veulent, et vous n�avez pu ne pas laisser quelque fente par o� elles auront su se glisser �. Et ils avouaient en effet que les apparitions dansantes avaient �t� revues m�me apr�s la cl�ture du souterrain.

Cette croyance est tout ce que j�ai recueilli dans le pays qui puisse rappeler l�ancienne l�gende, et, comme on voit, elle ne la rappelle que de tr�s loin elle se rattache plut�t aux traditions antiques sur les danses des nymphes et se retrouve telle quelle dans beaucoup de pays o� l�on ne conna�t pas d�histoire de paradis souterrain. On nous a bien parl� de la � fontaine du Meschino � et de l�ermitage o� habitaient les bons solitaires qui le conseill�rent si sagement ; on savait aussi que Guerino �tait all� consulter � la f�e Alcine � ; mais ce n��taient l� que des r�miniscences litt�raires : tous ces villageois ont lu ou entendu lire le roman d�Andrea da Barberino dans sa forme modernis�e, o� la Sibylle, sans doute par suite d�un scrupule religieux, a �t� remplac�e par la f�e Alcine, emprunt�e � l'Arioste. La pauvre Sibylle est oubli�e sur la montagne m�me dont son royaume occupe les fondements ; l�acc�s de son empire est ferm�, et nous n�aurions pu, m�me si le temps nous avait favoris�s, arriver au pont fantastique, aux dragons, aux portes de m�tal qui battent toujours, et � la porte de cristal derri�re laquelle est le paradis plein de d�lices pour le corps et de p�ril pour l��me.

Ainsi, en vue du port, j�abandonnais le projet qui m�avait fait venir de si loin. Mais Rajna, quelques semaines plus tard, recommen�a l��preuve avec un peu plus de succ�s. Cette fois, au lieu de prendre l�itin�raire de Guerino, il prit celui d�Antoine de la Sale, bien pr�f�rable, � ce qu�il parait. Il fit, de Montemonaco, deux visites � la Sibylle, et constata la parfaite exactitude, sauf les changements survenus depuis, des renseignements d�Antoine de la Sale ; mais il ne put, cette fois encore, p�n�trer dans le couloir souterrain. L�entr�e est tellement obstru�e qu�il faudrait d�assez longs travaux pour la d�gager. La section d�Ascoli du Club alpin, qui a d�j� fait une visite au Mont et rendu le vestibule plus accessible, voudra peut-�tre s�en charger, et quelque jour de hardis explorateurs, munis de vivres, de lumi�res et de cordes, entreprendront la descente que les jeunes gens de Montemonaco ont jadis pouss�e jusqu�� la fameuse � veine de vent �. Je serai heureux, quant � moi, si j�ai pu contribuer � �veiller la curiosit� pour notre l�gende et pour les lieux que cette l�gende a jadis entour�s d�un si fascinant myst�re.

Ce myst�re, comme je l�ai d�j� dit, m�avait rappel�, il y a longtemps, celui qui enveloppe en Allemagne la l�gende du Tannh�user et du _Venusberg._Je ne savais pas que j�avais �t� pr�c�d� dans ce rapprochement. Quand j�en parlai, � Pise, en 1872, � mon ami A. d�Ancona, il me dit qu�il venait d��tre fait par Alfred de Reumont, le c�l�bre historien allemand qui habita si longtemps Florence et �tait presque devenu un Florentin 19. Il est singulier qu�en Allemagne, o� on a tant �crit sur l�histoire po�tique du Tannh�user, on n�ait tenu presque aucun compte de ce parall�lisme. Il soul�ve des questions que j�essaierai de traiter dans une autre �tude. Je n�ai pas voulu les m�ler � l�expos� de la l�gende italienne telle que la font conna�tre les t�moignages d�Andrea da Barberino, d�Antoine de la Sale et de fra Leandro Alberti. Ces t�moignages nous prouvent que d�s le XIVe si�cle au moins on croyait que la Sibylle habitait l�int�rieur de la montagne qui porte son nom, et qu�elle y r�gnait sur un � paradis � souterrain, o� l�on pouvait p�n�trer, mais d�o� l�on avait grand-peine � sortir, et o� l�on rentrait parfois, malgr� l��normit� du p�ch�, tant �taient grandes les volupt�s dont on y avait joui. C�est un mythe qui se retrouve ailleurs avec d�innombrables variantes, une des formes que la pauvre humanit� a donn�es � son �ternel r�ve de bonheur. � ce titre, il est int�ressant m�me pour le philosophe ; Wagner l�a compris � sa fa�on, et, s�en emparant, lui a donn�, selon son habitude, une signification et une port�e nouvelles.

Notre voyageur du XVe si�cle n�y entendait pas tant de myst�re : il nous a simplement redit ce que les gens du pays de la Sibylle lui avaient racont�. Il y croyait peut-�tre plus qu�il ne l�avoue ; il s�en est moqu� n�anmoins et a tourn� le tout en un simple conte bleu. Antoine de la Sale pr�ludait par l�, je l�ai dit, � ces narrations qui devaient faire sa gloire ; celles-l� n�ont plus rien de fantastique, et il y a port� � sa perfection le don d�observation fid�le et minutieuse qu�il manifestait d�j� dans l�agr�able r�cit de sa visite � la montagne sibylline.

Gaston PARIS, L�gendes du Moyen �ge,

Hachette, 1904.

NOTES

1. M. S�derhjelm, professeur � Helsingfors, dont je citerai plus loin 1�int�ressante publication, s�en occupe depuis longtemps d�j�. Dans une note de cette publication, il cite les travaux ant�rieurs, entre lesquels les excellentes �tudes de M. E. Gossart, de Bruxelles, tiennent le premier rang.

2. On y trouve cependant quelques souvenirs personnels assez int�ressants, comme le r�cit de la visite de l�auteur, tout jeune encore, aux �les Lipari.

3. La Salade a �t� imprim�e au XVIe si�cle, mais avec bien des erreurs ; nous n�en poss�dons qu�un manuscrit, conserv� � Bruxelles, et il se trouve malheureusement que l�imprim� et le manuscrit ont la m�me source, une copie d�j� assez fautive, en sorte que le texte est par endroits alt�r� sans qu�on puisse le corriger avec certitude. M. S�derhjelm vient d�imprimer avec beaucoup de soin la le�on du manuscrit de Bruxelles ; je l�ai collationn�e avec l�ancienne �dition, mais cela ne m�a pas donn� de grands r�sultats. � L��dition de M. S�derhjelm fait partie d�un m�moire intitul� Antoine de la Sale et la l�gende de Tannh�user, qui vient de para�tre dans le tome II des M�moires de la Soci�t� n�o-philologique � Helsingfors, et auquel j�ai d� plus d�une utile remarque.

4. Elle manque dans le manuscrit ; mais l�ancienne �dition la donne, sans doute assez fid�lement. M. S�derhjelm l�a reproduite � son tour ; elle contient aussi le mont et le lac de Pilate.

5. Mon ami Pio Rajna, dont je signalerai pus loin la chaleureuse collaboration, a fait dans ce sens des recherches aussi acharn�es qu'infructueuses. Je dois dire, toutefois, qu�une femme que j'ai fait causer, � Castelluccio m�a parl� d�une fleur dont on employait la poudre comme le dit La Sale, et a m�me paru conna�tre le nom de poliastro ; mais je l�avais interrog�e sur le poliastro et son usage, et elle peut fort bien avoir acquiesc� par complaisance.

6. La compagne du chevalier lui donna une � vergette � d�or, qui avait de grandes vertus. On voit plus loin qu�il la remit au pape, mais on ne sait quelles �taient ces vertus, et ce talisman ne sert � rien dans le r�cit. Vergette, dans la langue du XVe si�cle, signifie � bague �, et c�est ainsi qu�Antoine de la Sale l�emploie dans Jehan de Saintr� quand il fait donner par son h�ros � chacune des dames de la cour � une vergette d�or toute esmaill�e � fleurs de souviegne-vous de moi. � M. Kervyn de Lettenhove (voyez plus loin) a reconnu dans cette _vergette_o� il a vu non une bague, mais une baguette, le � rameau d�or �de la Sibylle virgilienne. Ce qui est plus f�cheux, c�est qu�il a invent�, en ayant l�air de les avoir trouv�es dans le r�cit de La Sale, des r�flexions contradictoires qu�auraient faites sur ce rameau d'or, le bon roi Ren� et l'astucieux dauphin Louis (devenu Louis XI).

7. � Je demandai � voir la lettre, seulement pour savoir leurs noms : mais on me r�pondit que les messagers l�avaient port�e au pape et que le pape l�avait fait br�ler. �

8. Le pape ordonna de rendre impraticable l�acc�s de la caverne et d�en combler l�entr�e ; � mais, quoi qu�on en ait fait, on ne laisse pas d�y monter, bien que ce soit � tr�s grand p�ril. �

9. C�est ainsi que porte l�imprim� ; le manuscrit a _Wanbanbourg._Si wan est pour van, ce serait un nom n�erlandais. Kervyn de Lettenhove donne von Bamberg et ajoute sur ce nom suppos� des remarques qui ne sont nullement dans le texte et qu�il attribue encore � Antoine de la Sale.

10. La Sale s�entretint avec un � mout vieil homme �, qu�il appelle Colle de la Mandel�e, qui avait servi de guide � ce seigneur, nomm� de Pacs ou de Pacques : � Je demandai d�o� le chevalier �tait ; il me dit qu�il ne savait pas bien vraiment, car il ne fut que ce jour avec lui ; mais il devait �tre des parties de Gascogne ou de Languedoc ; car lui et ses gens disaient oc, la langue qu�on parle quand on va � Saint-Jacques. �

11. Je n�glige le bizarre �pisode de Macco, l�homme chang� en serpent que Guerino foule aux pieds dans son chemin sous terre et qui lui donne quelques avis.

12. Si le latin sibylla avait pass� par voie populaire en italien, il serait devenu sevotla ou sevella.

13. Virgile, � vrai dire, les distingue ; mais il �tait tr�s naturel de les confondre.

14. L�Ar�tin, cependant, d�apr�s Reumont (voyez plus loin), rapproche la Sibylle de Norcia et la f�e Morgane, ce qui semble montrer qu�il connaissait la l�gende de la s�ductrice souterraine. Le Trissin, dans son Italie d�livr�e des Goths, fait figurer la Sibylle de Norcia comme proph�tesse, ce qui nous ram�ne � la forme la plus ancienne de la l�gende ; mais, en m�me temps, il l�entoure de nymphes qui essaient de s�duire les visiteurs et finissent par se r�v�ler comme des d�mons. On ne peut distinguer ce qui est traditionnel et invent� dans ce r�cit, d�ailleurs d�une grande platitude.

15. On trouve ici un point d�attache avec un cycle l�gendaire bien connu, et qu�on a r�cemment beaucoup �tudi�, celui du � fier baiser �,o� une jeune fille chang�e en serpent reprend sa forme humaine si le h�ros a le courage de la baiser sur la bouche.

16. Alberti ajoute que Pietro Ranzano (mort en 1492) parle dans ses �crits (qui sont rest�s in�dits) de plusieurs imposteurs qui pr�tendaient �tre entr�s dans la caverne et en avoir vu les merveilles. Pour lui, il ne croit pas � la r�alit� de ces histoires, car les anciens ne mentionnent aucune Sibylle � cet endroit ; aussi d�signe-t-il ainsi en manchette le r�cit qu�il donne dans le texte : � Voyez une belle fable � conter au coin du feu. �

17. Il faut seulement noter que le passage d�Alberti a �t� reproduit ou r�sum� par les g�ographes hollandais du XVIe si�cle : A. Ortel (1570), A. van Roomen (1591), P. van Merle (1602). Ortel fait entre cette l�gende et la chanson populaire n�erlandaise de � Danielken �un curieux rapprochement, dont je parlerai ailleurs.

18. Officiellement, on dit la Nera, mais le peuple a conserv� le masculin de l'ancien Nar.

19. Dans un discours lu, le 25 mai 1871, � la Societ� Columbaria de Florence. Ce discours est ins�r� dans les Saggi di storia e letteratura de l�auteur (Florence, Barbera, 1880) sous le titre de :Un Monte di Venere in Italia. Reumont a connu le livre d�Antoine de la Sale par l�extrait qu�en avait donn� en 1862, � ce qui m�avait �galement �chapp�, � le baron Kervyn de Lettenhove dans les Bulletins de l�Acad�mie royale de Belgique. Cet extrait est malheureusement tr�s incomplet (il ne dit rien du pape et de l�absolution refus�e) et m�me peu fid�le : j�ai donn� plus haut un ou deux sp�cimens des fantaisies que s�est permises le savant belge.

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