Verlaine : Sagesse (original) (raw)

Paul Verlaine

� la m�moire de ma m�re P. V. Mai 1889.

Pr�face de la premi�re �dition

L�auteur de ce livre n�a pas toujours pens� comme aujourd�hui. Il a longtemps err� dans la corruption contemporaine, y prenant sa part de faute et d�ignorance. Des chagrins tr�s m�rit�s l�ont depuis averti, et Dieu lui a fait la gr�ce de comprendre l�avertissement. Il s�est prostern� devant l�Autel longtemps m�connu, il adore la Toute-Bont� et invoque la Toute-Puissance, fils soumis de l��glise, le dernier en m�rites, mais plein de bonne volont�.

Le sentiment de sa faiblesse et le souvenir de ses chutes l�ont guid� dans l��laboration de cet ouvrage qui est son premier acte de foi public depuis un long silence litt�raire�: on n�y trouvera rien, il l�esp�re, de contraire � cette charit� que l�auteur, d�sormais chr�tien, doit aux p�cheurs dont il a jadis et presque nagu�re pratiqu� les ha�ssables m�urs.

Deux ou trois pi�ces toutefois rompent le silence qu�il s�est en conscience impos� � cet �gard, mais on observera qu�elles portent sur des actes publics, sur des �v�nements d�s lors trop g�n�ralement providentiels pour qu�on ne puisse voir dans leur �nergie qu�un t�moignage n�cessaire, qu�une_confession_ sollicit�e par l�id�e du devoir religieux et d�une esp�rance fran�aise.

L�auteur a publi� tr�s jeune, c�est-�-dire il y a une dizaine et une douzaine d�ann�es, des vers sceptiques et tristement l�gers. Il ose compter qu�en ceux-ci nulle dissonance n�ira choquer la d�licatesse d�une oreille catholique�: ce serait sa plus ch�re gloire comme c�est son espoir le plus fier.

Paris, 30 juillet 1880.

I

I

Bon chevalier masqu� qui chevauche en silence, Le Malheur a perc� mon vieux c�ur de sa lance.

Le sang de mon vieux c�ur n�a fait qu�un jet vermeil Puis s�est �vapor� sur les fleurs, au soleil.

L�ombre �teignit mes yeux, un cri vint � ma bouche Et mon vieux c�ur est mort dans un frisson farouche.

Alors le chevalier Malheur s�est rapproch�, Il a mis pied � terre et sa main m�a touch�.

Son doigt gant� de fer entra dans ma blessure Tandis qu�il attestait sa loi d�une voix dure.

Et voici qu�au contact glac� du doigt de fer Un c�ur me renaissait, tout un c�ur pur et fier

Et voici que, fervent d�une candeur divine, Tout un c�ur jeune et bon battit dans ma poitrine�!

Or je restais tremblant, ivre, incr�dule un peu, Comme un homme qui voit des visions de Dieu.

Mais le bon chevalier, remont� sur sa b�te, En s��loignant me fit un signe de la t�te

Et me cria (j�entends encore cette voix)�: ��Au moins, prudence�! Car c�est bon pour une fois.��

II

J�avais pein� comme Sisyphe Et comme Hercule travaill� Contre la chair qui se rebiffe.

J�avais lutt�, j�avais baill� Des coups � trancher des montagnes, Et comme Achille ferraill�.

Farouche ami qui m�accompagnes, Tu le sais, courage pa�en, Si nous en f�mes des campagnes,

Si nous avons n�glig� rien Dans cette guerre ext�nuante, Si nous avons travaill� bien�!

Le tout en vain�: l��pre g�ante � mon effort de tout c�t� Opposait sa ruse ambiante,

Et toujours un l�che abrit� Dans mes conseils qu�il environne Livrait les clefs de la cit�.

Que ma chance f�t male ou bonne, Toujours un parti de mon c�ur Ouvrait sa porte � la Gorgone.

Toujours l�ennemi suborneur Savait envelopper d�un pi�ge M�me la victoire et l�honneur�!

J��tais le vaincu qu�on assi�ge, Pr�t � vendre son sang bien cher, Quand, blanche en v�tement de neige,

Toute belle, au front humble et fier, Une Dame vint sur la nue, Qui d�un signe fit fuir la chair.

Dans une temp�te inconnue De rage et de cris inhumains, Et d�chirant sa gorge nue,

Le Monstre reprit ses chemins Par les bois pleins d�amours affreuses, Et la Dame, joignant les mains�:

��Mon pauvre combattant qui creuses, Dit-elle, ce dilemme en vain, Tr�ve aux victoires malheureuses�!

��Il t�arrive un secours divin Dont je suis s�re messag�re Pour ton salut, possible enfin�!��

����� ma Dame dont la voix ch�re Encourage un bless� jaloux De voir finir l�atroce guerre,

��Vous qui parlez d�un ton si doux En m�annon�ant de bonnes choses, Ma Dame, qui donc �tes-vous�?��

����J��tais n�e avant toutes causes Et je verrai la fin de tous Les effets, �toiles et roses.

��En m�me temps, bonne, sur vous, Hommes faibles et pauvres femmes, Je pleure, et je vous trouve fous�!

��Je pleure sur vos tristes �mes, J�ai l�amour d�elles, j�ai la peur D�elles, et de leurs v�ux inf�mes�!

��� ceci n�est pas le bonheur. Veillez, Quelqu�un l�a dit que j�aime, Veillez, crainte du Suborneur,

��Veillez, crainte du Jour supr�me�! Qui je suis�? me demandais-tu. Mon nom courbe les anges m�me,

��Je suis le c�ur de la vertu, Je suis l��me de la sagesse, Mon nom br�le l�Enfer t�tu,

��Je suis la douceur qui redresse, J�aime tous et n�accuse aucun, Mon nom, seul, se nomme promesse,

��Je suis l�unique h�te opportun, Je parle au Roi le vrai langage Du matin rose et du soir brun,

��Je suis la Pri�re, et mon gage C�est ton vice en d�route au loin. Ma condition�: ��Toi, sois sage.��

����Oui, ma Dame, et soyez t�moin�!��

III

Qu�en dis-tu, voyageur, des pays et des gares�? Du moins as-tu cueilli l�ennui, puisqu�il est m�r, Toi que voil� fumant de maussades cigares, Noir, projetant une ombre absurde sur le mur�?

Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures, Ta grimace est la m�me et ton deuil est pareil�: Telle la lune vue � travers des m�tures, Telle la vieille mer sous le jeune soleil,

Tel l�ancien cimeti�re aux tombes toujours neuves�! Mais voyons, et dis-nous les r�cits devin�s, Ces d�sillusions pleurant le long des fleuves, Ces d�go�ts comme autant de fades nouveau-n�s,

Ces femmes�! Dis les gaz, et l�horreur identique Du mal toujours, du laid partout sur tes chemins, Et dis l�Amour et dis encor la Politique Avec du sang d�shonor� d�encre � leurs mains.

Et puis surtout ne va pas t�oublier toi-m�me Tra�nassant ta faiblesse et ta simplicit� Partout o� l�on bataille et partout o� l�on aime, D�une fa�on si triste et folle, en v�rit�!

A-t-on assez puni cette lourde innocence�? Qu�en dis-tu�? L�homme est dur, mais la femme�? Et tes pleurs, Qui les a bus�? Et quelle �me qui les recense Console ce qu�on peut appeler tes malheurs�?

Ah les autres, ah toi�! Cr�dule � qui te flatte, Toi qui r�vais (c��tait trop excessif, aussi) Je ne sais quelle mort l�g�re et d�licate�! Ah toi, l�esp�ce d�ange avec ce v�u transi�!

Mais maintenant les plans, les buts�? Es-tu de force, Ou si d�avoir pleur� t�a d�tremp� le c�ur�? L�arbre est tendre s�il faut juger d�apr�s l��corce, Et tes aspects ne sont pas ceux d�un grand vainqueur.

Si gauche encore�! avec l�aggravation d��tre Une sorte � pr�sent d�idyllique engourdi Qui surveille le ciel b�te par la fen�tre Ouverte aux yeux matois du d�mon de midi.

Si le m�me dans cette extr�me d�cadence�! Enfin�! ��Mais � ta place un �tre avec du sens, Payant les violons voudrait mener la danse, Au risque d�alarmer quelque peu les passants.

N�as-tu pas, en fouillant les recoins de ton �me, Un beau vice � tirer comme un sabre au soleil, Quelque vice joyeux, effront�, qui s�enflamme Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil�?

Un ou plusieurs�? Si oui, tant mieux�! Et pars bien vite En guerre, et bats d�estoc et de taille, sans choix Surtout, et mets ce masque indolent o� s�abrite La haine inassouvie et repue � la fois...

Il faut n��tre pas dupe en ce farceur de monde O� le bonheur n�a rien d�exquis et d�all�chant S�il n�y fr�tille un peu de pervers et d�immonde, Et pour n��tre pas dupe il faut �tre m�chant.

��Sagesse humaine, ah, j�ai les yeux sur d�autres choses, Et parmi ce pass� dont ta voix d�crivait L�ennui, pour des conseils encore plus moroses, Je ne me souviens plus que du mal que j�ai fait.

Dans tous les mouvements bizarres de ma vie, De mes ��malheurs��, selon le moment et le lieu, Des autres et de moi, de la route suivie, Je n�ai rien retenu que la gr�ce de Dieu.

Si je me sens puni, c�est que je le dois �tre, Ni l�homme ni la femme ici ne sont pour rien. Mais j�ai le ferme espoir d�un jour pouvoir conna�tre Le pardon et la paix promis � tout Chr�tien.

Bien de n��tre pas dupe en ce monde d�une heure, Mais pour ne l��tre pas durant l��ternit�, Ce qu�il faut � tout prix qui r�gne et qui demeure, Ce n�est pas la m�chancet�, c�est la bont�.

IV

Malheureux�! Tous les dons, la gloire du bapt�me, Ton enfance chr�tienne, une m�re qui t�aime, La force et la sant� comme le pain et l�eau, Cet avenir enfin, d�crit dans le tableau De ce pass� plus clair que le jeu des mar�es, Tu pilles tout, tu perds en viles simagr�es Jusqu�aux derniers pouvoirs de ton esprit, h�las�! La mal�diction de n��tre jamais las Suit tes pas sur le monde o� l�horizon t�attire, L�enfant prodigue avec des gestes de satyre�! Nul avertissement, douloureux ou moqueur, Ne pr�vaut sur l��lan funeste de ton c�ur. Tu fl�nes � travers p�ril et ridicule, Avec l�irresponsable audace d�un Hercule Dont les travaux seraient fous, n�cessairement. L�amiti� ��dame�! ��a tu son reproche cl�ment, Et chaste, et sans aucun espoir que le supr�me, Vient prier, comme au lit d�un mourant qui blasph�me. La patrie oubli�e est dure au fils affreux, Et le monde alentour dresse ses buissons creux O� ton d�sir mauvais s��puise en fl�ches mortes. Maintenant il te faut passer devant les portes, H�tant le pas de peur qu�on ne l�che le chien, Et si tu n�entends pas rire, c�est encor bien. Malheureux, toi Fran�ais, toi Chr�tien, quel dommage�! Mais tu vas, la pens�e obscure de l�image D�un bonheur qu�il te faut imm�diat, �tant Ath�e (avec la foule�!) et jaloux de l�instant, Tout app�tit parmi ces app�tits f�roces, �pris de la fadaise actuelle, mots, noces Et festins, la ��Science��, et ��l�esprit de Paris��, Tu vas magnifiant ce par quoi tu p�ris, Imb�cile�! et niant le soleil qui t�aveugle�! Tout ce que les temps ont de b�te pa�t et beugle Dans ta cervelle, ainsi qu�un troupeau dans un pr�, Et les vices de tout le monde ont �migr� Pour ton sang dont le fer l�chement s��tiole. Tu n�es plus bon � rien de propre, ta parole Est morte de l�argot et du ricanement, Et d�avoir rab�ch� les bourdes du moment. Ta m�moire, de tant d�obsc�nit�s bond�e, Ne saurait accueillir la plus petite id�e, Et patauge parmi l��go�sme ambiant, En qu�te d�on ne peut dire quel vil n�ant�! Seul, entre les d�bris honnis de ton d�sastre, L�Orgueil, qui met la flamme au front du po�tastre Et fait au criminel un prestige odieux, Seul, l�Orgueil est vivant, il danse dans tes yeux, Il regarde la Faute et rit de s�y complaire.

��Dieu des humbles, sauvez cet enfant de col�re�!

V

Beaut� des femmes, leur faiblesse, et ces mains p�les Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal. Et ces yeux, o� plus rien ne reste d�animal Que juste assez pour dire�: ��assez�� aux fureurs m�les�!

Et toujours, maternelle endormeuse des r�les, M�me quand elle ment, cette voix�! Matinal Appel, ou chant bien doux � v�pre, ou frais signal, Ou beau sanglot qui va mourir au pli des ch�les�!...

Hommes durs�! Vie atroce et laide d�ici-bas�! Ah�! que du moins, loin des baisers et des combats, Quelque chose demeure un peu sur la montagne,

Quelque chose du c�ur enfantin et subtil, Bont�, respect�! Car, qu�est-ce qui nous accompagne, Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il�?

VI

� vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies, Toi, c�ur saignant d�hier qui flambes aujourd�hui, C�est vrai pourtant que c�est fini, que tout a fui De nos sens, aussi bien les ombres que les proies.

Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d�oies Sur la route en poussi�re o� tous les pieds ont lui, Bon voyage�! Et le Rire, et, plus vieille que lui, Toi, Tristesse, noy�e au vieux noir que tu broies�!

Et le reste�! ��Un doux vide, un grand renoncement Quelqu�un en nous qui sent la paix immens�ment, Une candeur d�une fra�cheur d�licieuse...

Et voyez�! notre c�ur qui saignait sous l�orgueil, Il flambe dans l�amour, et s�en va faire accueil � la vie, en faveur d�une mort pr�cieuse�!

VII

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre �me, Et les voici vibrer aux cuivres du couchant. Ferme les yeux, pauvre �me, et rentre sur-le-champ�: Une tentation des pires. Fuis l�inf�me.

Ils ont lui tout le jour en longs gr�lons de flamme, Battant toute vendange aux collines, couchant Toute moisson de la vall�e, et ravageant Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te r�clame.

� p�lis, et va-t�en, lente et joignant les mains. Si ces hiers allaient manger nos beaux demains�? Si la vieille folie �tait encore en route�?

Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer�? Un assaut furieux, le supr�me sans doute�! �, va prier contre l�orage, va prier.

VIII

La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une �uvre de choix qui veut beaucoup d�amour. Rester gai quand le jour, triste, succ�de au jour, �tre fort, et s�user en circonstances viles,

N�entendre, n��couter aux bruits des grandes villes Que l�appel, � mon Dieu, des cloches dans la tour, Et faire un de ces bruits soi-m�me, cela pour L�accomplissement vil de t�ches pu�riles,

Dormir chez les p�cheurs �tant un p�nitent, N�aimer que le silence et converser pourtant�; Le temps si grand dans la patience si grande,

Le scrupule na�f aux repentirs t�tus, Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus�! ��Fi, dit l�Ange gardien, de l�orgueil qui marchande�!

IX

Sagesse d�un Louis Racine, je t�envie�! � n�avoir pas suivi les le�ons de Rollin, N��tre pas n� dans le grand si�cle � son d�clin, Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie,

Quand Maintenon jetait sur la France ravie L�ombre douce et la paix de ses coiffes de lin, Et royale abritait la veuve et l�orphelin, Quand l��tude de la pri�re �tait suivie,

Quand po�te et docteur, simplement, bonnement, Communiaient avec des ferveurs de novices, Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices

Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant D�aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses�!

X

Non. Il fut gallican, ce si�cle, et jans�niste�! C�est vers le Moyen Age �norme et d�licat Qu�il faudrait que mon c�ur en panne navigu�t, Loin de nos jours d�esprit charnel et de chair triste.

Roi, politicien, moine, artisan, chimiste, Architecte, soldat, m�decin, avocat, Quel temps�! Oui, que mon c�ur naufrag� rembarqu�t Pour toute cette force ardente, souple, artiste�!

Et l� que j�eusse part ��quelconque, chez les rois Ou bien ailleurs, n�importe, ��� la chose vitale, Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,

Haute th�ologie et solide morale, Guid� par la folie unique de la Croix Sur tes ailes de pierre, � folle Cath�drale�!

XI

Petits amis qui s�tes nous prouver Par A plus B que deux et deux font quatre, Mais qui depuis voulez parachever Une victoire o� l�on se laissait battre,

Et couronner vos conqu�tes d�un coup Par ce soufflet � la m�moire humaine�: ��Dieu ne vous a r�v�l� rien du tout, Car nous disons qu�il n�est que l�ombre vaine,

Que le profil et que l�allongement, Sur tous les murs que la peur �difie, De votre pur et simple mouvement, Et nous dictons cette philosophie�!��

��Fr�res trop chers, laissez-nous rire un peu, Nous les fervents d�une logique rance, Qui justement n�avons de foi qu�en Dieu Et mettons notre espoir dans l�Esp�rance,

Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi, Pleurer sur vous, rire du vieux blasph�me, Rire du vieux Satan stupide ainsi, Pleurer sur cet Adam dupe quand m�me�!

Fr�res de nous qui payons vos orgueils, Tous fils du m�me Amour, ah�! la science, Allons donc, allez donc, c�est nos cercueils Na�fs ou non, c�est notre m�fiance

Ou notre confiance aux seuls R�cits, C�est notre oreille ouverte toute grande Ou tristement ferm�e au Mot pr�cis�! Fr�res, l�chez la science gourmande

Qui veut voler sur les ceps d�fendus Le fruit sanglant qu�il ne faut pas conna�tre. L�chez son bras qui vous tient attendus Pour des enfers que Dieu n�a pas fait na�tre,

Mais qui sont l��uvre affreuse du p�ch�, Car nous, les fils attentifs de l�Histoire, Nous tenons pour l�honneur jamais tach� De la Tradition, supplice et gloire�!

Nous sommes s�rs des A�eux nous disant Qu�ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme Et pr�disant aux crimes d�� pr�sent La peine immense ou le pardon �norme.

Puisqu�ils avaient vu Dieu pr�sent toujours, Puisqu�ils ne mentaient pas, puisque nos crimes Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts, Et puisqu�il est des repentirs sublimes,

Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien�: Que deux et deux fassent quatre, � merveille�! Riens innocents, mais des riens moins que rien, La derni�re heure �tant l� qui surveille

Tout autre soin dans l�homme en v�rit�! Gardez que trop chercher ne vous s�duise Loin d�une sage et forte humilit�... Le seul savant, c�est encore Mo�se.

XII

Or, vous voici promus, petits amis, Depuis les temps de ma lettre premi�re, Promus, disais-je, aux fiers emplois promis � votre th�se, en ces jours de lumi�re.

Vous voici rois de France�! � votre tour�! (Rois � plusieurs d�une France postiche, Mais rois de fait et non sans quelque amour D�un tr�ne lourd avec un budget riche.)

� l��uvre, amis petits�! Nous avons droit De vous y voir, payant de notre poche, Et d��tre un peu r�jouis � l�endroit De votre �tat sans peur et sans reproche.

Sans peur�? Du ma�tre�? � le ma�tre, mais c�est L�Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre, Total, le peuple, ��un �ne�� fort qui ��s�est Cabr頻 pour vous, espoir clair, puis fait sombre,

Cabr� comme une ch�vre, c�est le mot. Et votre bras, saignant jusqu�� l�aisselle, S�efforce en vain�: fort comme B�h�mot, Le monstre tire... et votre peur est telle

Que l��ne brait, que le voil� parti Qui par les dents vous boute cent ruades En forme de reproche bien senti... Courez apr�s, frottant vos reins malades�!

� Peuple, nous t�aimons immens�ment�: N�es-tu donc pas la pauvre �me ignorante En proie � tout ce qui sait et qui ment�? N�es-tu donc pas l�immensit� souffrante�?

La charit� nous fait chercher tes maux, La foi nous guide � travers tes t�n�bres. On t�a rendu semblable aux animaux, Moins leur candeur, et plein d�instincts fun�bres.

L�orgueil t�a pris en ce quatre-vingt-neuf, Nabuchodonosor, et te fait pa�tre, �ne obstin�, mouton but�, dur b�uf, Broutant pouvoir, famille, soldat, pr�tre�!

� paysan cass� sur tes sillons, P�le ouvrier qu�esquinte la machine, Membres sacr�s de J�sus-Christ, allons, Relevez-vous, honorez votre �chine,

Portez l�amour qu�il faut � vos bras forts, Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde, Respectez-les, fuyez ces chemins tors, Fermez l�oreille � ce conseil immonde,

Redevenez les Fran�ais d�autrefois, Fils de l��glise, et dignes de vos p�res�! � s�ils savaient ceux-ci sur vos pavois, Leurs os sueraient de honte aux cimeti�res.

��Vous, nos tyrans minuscules d�un jour (L��normit� des actes rend les princes Surtout de souche impure, et malgr� cour Et splendeur et le faste, encor plus minces),

Laissez le r�gne et rentrez dans le rang. Aussi bien l�heure est proche o� la tourmente Vous va donner des loisirs, et tout blanc L�avenir flotte avec sa fleur charmante

Sur la Bastille absurde o� vous teniez La France aux fers d�un blasph�me et d�un schisme, Et la chronique en de cl�ments T�niers D�j� vous peint allant au cat�chisme.

XIII

Prince mort en soldat � cause de la France, �me certes �lue, Fier jeune homme si pur tomb� plein d�esp�rance, Je t�aime et te salue�!

Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie Va sous tant de t�n�bres, Vaisseau d�sempar� dont l��quipage crie Avec des voix fun�bres,

Ce si�cle est un tel ciel tragique o� les naufrages Semblent �crits d�avance... Ma jeunesse, �lev�e aux doctrines sauvages, D�testa ton enfance,

Et plus tard, c�ur pirate �pris des seules c�tes O� la r�volte naisse, Mon �ge d�homme, noir d�orages et de fautes, Abhorrait ta jeunesse.

Maintenant j�aime Dieu dont l�amour et la foudre M�ont fait une �me neuve, Et maintenant que mon orgueil r�duit en poudre, Humble, accepte l��preuve,

J�admire ton destin, j�adore, tout en larmes Pour les pleurs de ta m�re, Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes, Comme un h�ros d�Hom�re.

Et je dis, r�servant d�ailleurs mon v�u supr�me Au lys de Louis Seize�: Napol�on qui fus digne du diad�me, Gloire � ta mort fran�aise�!

Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne, Aujourd�hui vraiment ��Sire��, Dieu qui vous couronna, sur la terre pa�enne, Bon chr�tien, du martyre�!

XIV

Vous reviendrez bient�t les bras pleins de pardons Selon votre coutume, � P�res excellents qu�aujourd�hui nous perdons Pour comble d�amertume.

Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l�honneur, Avec la Fleur ch�rie, Et que de pleurs joyeux, et quels cris de bonheur Dans toute la patrie�!

Vous reviendrez, apr�s ces glorieux exils, Apr�s des moissons d��mes, Apr�s avoir pri� pour ceux-ci, fussent-ils Encore plus inf�mes,

Apr�s avoir couvert les �les et la mer De votre ombre si douce Et r�joui le ciel et constern� l�enfer, B�ni qui vous repousse,

B�ni qui vous d�pouille au cri de libert�, B�ni l�impie en armes, Et l�enfant qu�il vous prend des bras, ��et rachet� Nos crimes par vos larmes�!

Proscrits des jours, vainqueurs des temps, non point adieu, Vous �tes l�esp�rance. � tant�t, P�res saints, qui nous vaudrez de Dieu Le salut pour la France�!

XV

On n�offense que Dieu qui seul pardonne. Mais On contriste son fr�re, on l�afflige, on le blesse, On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse, Et c�est un crime affreux qui va troubler la paix Des simples, et donner au monde sa p�ture, Scandale, c�urs perdus, gros mots et rire �pais.

Le plus souvent par un effet de la nature Des choses, ce p�ch� trouve son ch�timent M�me ici-bas, f�roce et long, commun�ment. Mais l�Amour tout-puissant donne � la cr�ature Le sens de son malheur qui m�ne au repentir Par une route lente et haute, mais tr�s s�re.

Alors un grand d�sir, un seul, vient investir Le p�nitent, apr�s les premi�res alarmes, Et c�est d�humilier son front devant les larmes De nagu�re, sans rien qui pourrait amortir Le coup droit pour l�orgueil, et de rendre les armes Comme un soldat vaincu, ��triste, de bonne foi.

� ma s�ur, qui m�avez puni, pardonnez-moi�!

XVI

�coutez la chanson bien douce Qui ne pleure que pour vous plaire. Elle est discr�te, elle est l�g�re�: Un frisson d�eau sur de la mousse�!

La voix vous fut connue (et ch�re�?), Mais � pr�sent elle est voil�e Comme une veuve d�sol�e, Pourtant comme elle encore fi�re,

Et dans les longs plis de son voile Qui palpite aux brises d�automne, Cache et montre au c�ur qui s��tonne La v�rit� comme une �toile.

Elle dit, la voix reconnue, Que la bont� c�est notre vie, Que de la haine et de l�envie Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire D��tre simple sans plus attendre, Et de noces d�or et du tendre Bonheur d�une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste Dans son na�f �pithalame. Allez, rien n�est meilleur � l��me Que de faire une �me moins triste�!

Elle est en peine et de passage, L��me qui souffre sans col�re, Et comme sa morale est claire�!... �coutez la chanson bien sage.

XVII

Les ch�res mains qui furent miennes, Toutes petites, toutes belles, Apr�s ces m�prises mortelles Et toutes ces choses pa�ennes,

Apr�s les rades et les gr�ves, Et les pays et les provinces, Royales mieux qu�au temps des princes, Les ch�res mains m�ouvrent les r�ves.

Mains en songe, mains sur mon �me, Sais-je, moi, ce que vous daign�tes, Parmi ces rumeurs sc�l�rates, Dire � cette �me qui se p�me�?

Ment-elle, ma vision chaste D�affinit� spirituelle, De complicit� maternelle, D�affection �troite et vaste�?

Remords si cher, peine tr�s bonne, R�ves b�nits, mains consacr�es, � ces mains, ces mains v�n�r�es, Faites le geste qui pardonne�!

XVIII

Et j�ai revu l�enfant unique�: il m�a sembl� Que s�ouvrait dans mon c�ur la derni�re blessure, Celle dont la douleur plus exquise m�assure D�une mort d�sirable en un jour consol�.

La bonne fl�che aigu� et sa fra�cheur qui dure�! En ces instants choisis elles ont �veill� Les r�ves un peu lourds du scrupule ennuy�, Et tout mon sang chr�tien chanta la Chanson pure.

J�entends encor, je vois encor�! Loi du devoir Si douce�! Enfin, je sais ce qu�est entendre et voir, J�entends, je vois toujours�! Voix des bonnes pens�es�!

Innocence, avenir�! Sage et silencieux, Que je vais vous aimer, vous un instant press�es, Belles petites mains qui fermerez nos yeux�!

XIX

Voix de l�Orgueil�: un cri puissant comme d�un cor, Des �toiles de sang sur des cuirasses d�or. On tr�buche � travers des chaleurs d�incendie... Mais en somme la voix s�en va, comme d�un cor.

Voix de la Haine�: cloche en mer, fausse, assourdie De neige lente. Il fait si froid�! Lourde, affadie, La vie a peur et court follement sur le quai Loin de la cloche qui devient plus assourdie.

Voix de la Chair�: un gros tapage fatigu�. Des gens ont bu. L�endroit fait semblant d��tre gai. Des yeux, des noms, et l�air plein de parfums atroces O� vient mourir le gros tapage fatigu�.

Voix d�Autrui�: des lointains dans des brouillards. Des noces Vont et viennent. Des tas d�embarras. Des n�goces, Et tout le cirque des civilisations Au son trotte-menu du violon des noces.

Col�res, soupirs noirs, regrets, tentations Qu�il a fallu pourtant que nous entendissions Pour l�assourdissement des silences honn�tes, Col�res, soupirs noirs, regrets, tentations,

Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous �tes, Sentences, mots en vain, m�taphores mal faites, Toute la rh�torique en fuite des p�ch�s, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous �tes�!

Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherch�s. Mourez � nous, mourez aux humbles v�ux cach�s Que nourrit la douceur de la Parole forte, Car notre c�ur n�est plus de ceux que vous cherchez�!

Mourez parmi la voix que la pri�re emporte Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour, Mourez parmi la voix que la pri�re apporte,

Mourez parmi la voix terrible de l�Amour�!

XX

L�ennemi se d�guise en l�Ennui Et me dit�: ��� quoi bon, pauvre dupe�?�� Moi je passe et me moque de lui. L�ennemi se d�guise en la Chair Et me dit�: ��Bah, retrousse une jupe�!�� Moi j��carte le conseil amer.

L�ennemi se transforme en un Ange De lumi�re et dit�: ��Qu�est ton effort � c�t� des tributs de louange Et de Foi dus au P�re c�leste�? Ton amour va-t-il jusqu�� la mort�?�� Je r�ponds�: ��L�Esp�rance me reste.��

Comme c�est le vieux logicien, Il a fait bient�t de me r�duire � ne plus vouloir r�pliquer rien. Mais sachant qui c�est, �pouvant� De ne plus sentir les mondes luire, Je prierai pour de l�humilit�.

XXI

Va ton chemin sans plus t�inqui�ter�! La route est droite et tu n�as qu�� monter, Portant d�ailleurs le seul tr�sor qui vaille, Et l�arme unique au cas d�une bataille, La pauvret� d�esprit et Dieu pour toi.

Surtout il faut garder toute esp�rance. Qu�importe un peu de nuit et de souffrance�? La route est bonne et la mort est au bout. Oui, garde toute esp�rance surtout�: La mort l�-bas te dresse un lit de joie.

Et fais-toi doux de toute la douceur. La vie est laide, encore c�est ta s�ur. Simple, gravis la c�te et m�me chante, Pour �carter la prudence m�chante Dont la voix basse est pour tenter ta foi.

Simple comme un enfant, gravis la c�te, Humble comme un p�cheur qui hait la faute, Chante, et m�me sois gai, pour d�fier L�ennui que l�ennemi peut t�envoyer Afin que tu t�endormes sur la voie.

Ris du vieux pi�ge et du vieux s�ducteur, Puisque la Paix est l�, sur la hauteur, Qui luit parmi des fanfares de gloire. Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire. D�j� l�Ange Gardien �tend sur toi

Joyeusement des ailes de victoire.

XXII

Pourquoi triste, � mon �me, Triste jusqu�� la mort, Quand l�effort te r�clame, Quand le supr�me effort Est l� qui te r�clame�?

Ah�! tes mains que tu tords Au lieu d��tre � la t�che, Tes l�vres que tu mords Et leur silence l�che, Et tes yeux qui sont morts�!

N�as-tu pas l�esp�rance De la fid�lit�, Et, pour plus d�assurance Dans la s�curit�, N�as-tu pas la souffrance�?

Mais chasse le sommeil Et ce r�ve qui pleure. Grand jour et plein soleil�! Vois, il est plus que l�heure�: Le ciel bruit vermeil,

Et la lumi�re crue D�coupant d�un trait noir Toute chose apparue Te montre le Devoir Et sa forme bourrue.

Marche � lui vivement, Tu verras dispara�tre Tout aspect incl�ment De sa mani�re d��tre, Avec l��loignement.

C�est le d�positaire Qui te garde un tr�sor D�amour et de myst�re, Plus pr�cieux que l�or, Plus s�r que rien sur terre,

Les biens qu�on ne voit pas, Toute joie inou�e, Votre paix, saints combats, L�extase �panouie Et l�oubli d�ici-bas,

Et l�oubli d�ici-bas�!

XXIII

N� l�enfant des grandes villes Et des r�voltes serviles, J�ai l� tout cherch�, trouv�, De tout app�tit r�v�... Mais, puisque rien n�en demeure,

J�ai dit un adieu l�ger � tout ce qui peut changer, Au plaisir, au bonheur m�me, Et m�me � tout ce que j�aime Hors de vous, mon doux Seigneur�!

La Croix m�a pris sur ses ailes Qui m�emporte aux meilleurs z�les, Silence, expiation, Et l��pre vocation Pour la vertu qui s�ignore.

Douce, ch�re Humilit�, Arrose ma charit�, Trempe-la de tes eaux vives. � mon c�ur, que tu ne vives Qu�aux fins d�une bonne mort�!

XXIV

L��me antique �tait rude et vaine Et ne voyait dans la douleur Que l�acuit� de la peine Ou l��tonnement du malheur.

L�art, sa figure la plus claire, Traduit ce double sentiment Par deux grands types de la M�re En proie au supr�me tourment.

C�est la vieille reine de Troie�: Tous ses fils sont morts par le fer. Alors ce deuil brutal aboie Et glapit au bord de la mer.

Elle court le long du rivage, Bavant vers le flot �cumant, Hirsute, criarde, sauvage, La chienne litt�ralement�!...

Et c�est Niob� qui s�effare Et garde fixement des yeux Sur les dalles de pierre rare Ses enfants tu�s par les dieux.

Le souffle expire sur sa bouche, Elle meurt dans un geste fou. Ce n�est plus qu�un marbre farouche L� transport� nul ne sait d�o��!...

La douleur chr�tienne est immense, Elle, comme le c�ur humain. Elle souffre, puis elle pense, Et calme poursuit son chemin.

Elle est debout sur le Calvaire Pleine de larmes et sans cris. C�est �galement une m�re, Mais quelle m�re de quel fils�!

Elle participe au Supplice Qui sauve toute nation, Attendrissant le sacrifice Par sa vaste compassion.

Et comme tous sont les fils d�Elle, Sur le monde et sur sa langueur Toute la Charit� ruisselle Des sept Blessures de son c�ur�!

Au jour qu�il faudra, pour la gloire Des cieux enfin tout grands ouverts, Ceux qui surent et purent croire, Bons et doux, sauf au seul Pervers,

Ceux-l�, vers la joie infinie Sur la colline de Sion, Monteront d�une aile b�nie Aux plis de son assomption.

II

I

� mon Dieu, vous m�avez bless� d�amour Et la blessure est encore vibrante, � mon Dieu, vous m�avez bless� d�amour.

� mon Dieu, votre crainte m�a frapp� Et la br�lure est encor l� qui tonne, � mon Dieu, votre crainte m�a frapp�.

� mon Dieu, j�ai connu que tout est vil Et votre gloire en moi s�est install�e, � mon Dieu, j�ai connu que tout est vil.

Noyez mon �me aux flots de votre Vin, Fondez ma vie au Pain de votre table, Noyez mon �me aux flots de votre Vin.

Voici mon sang que je n�ai pas vers�, Voici ma chair indigne de souffrance, Voici mon sang que je n�ai pas vers�.

Voici mon front qui n�a pu que rougir, Pour l�escabeau de vos pieds adorables, Voici mon front qui n�a pu que rougir.

Voici mes mains qui n�ont pas travaill�, Pour les charbons ardents et l�encens rare, Voici mes mains qui n�ont pas travaill�.

Voici mon c�ur qui n�a battu qu�en vain, Pour palpiter aux ronces du Calvaire, Voici mon c�ur qui n�a battu qu�en vain.

Voici mes pieds, frivoles voyageurs, Pour accourir au cri de votre gr�ce, Voici mes pieds, frivoles voyageurs.

Voici ma voix, bruit maussade et menteur, Pour les reproches de la P�nitence, Voici ma voix, bruit maussade et menteur.

Voici mes yeux, luminaires d�erreur, Pour �tre �teints aux pleurs de la pri�re, Voici mes yeux, luminaires d�erreur.

H�las�! Vous, Dieu d�offrande et de pardon, Quel est le puits de mon ingratitude, H�las�! Vous, Dieu d�offrande et de pardon,

Dieu de terreur et Dieu de saintet�, H�las�! ce noir ab�me de mon crime, Dieu de terreur et Dieu de saintet�,

Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur, Toutes mes peurs, toutes mes ignorances, Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,

Vous connaissez tout cela, tout cela, Et que je suis plus pauvre que personne, Vous connaissez tout cela, tout cela,

Mais ce que j�ai, mon Dieu, je vous le donne.

II

Je ne veux plus aimer que ma m�re Marie. Tous les autres amours sont de commandement. N�cessaires qu�ils sont, ma m�re seulement Pourra les allumer aux c�urs qui l�ont ch�rie.

C�est pour Elle qu�il faut ch�rir mes ennemis, C�est par Elle que j�ai vou� ce sacrifice, Et la douceur de c�ur et le z�le au service, Comme je la priais, Elle les a permis.

Et comme j��tais faible et bien m�chant encore, Aux mains l�ches, les yeux �blouis des chemins, Elle baissa mes yeux et me joignit les mains, Et m�enseigna les mots par lesquels on adore.

C�est par Elle que j�ai voulu de ces chagrins, C�est pour Elle que j�ai mon c�ur dans les Cinq Plaies, Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies, Comme je l�invoquais, Elle en ceignit mes reins.

Je ne veux plus penser qu�� ma m�re Marie, Si�ge de la Sagesse et source des pardons, M�re de France aussi, de qui nous attendons In�branlablement l�honneur de la patrie.

Marie Immacul�e, amour essentiel, Logique de la foi cordiale et vivace, En vous aimant qu�est-il de bon que je ne fasse, En vous aimant du seul amour, Porte du ciel�?

III

Vous �tes calme, vous voulez un v�u discret, Des secrets � mi-voix dans l�ombre et le silence, Le c�ur qui se r�pand plut�t qu�il ne s��lance, Et ces timides, moins transis qu�il ne para�t.

Vous accueillez d�un geste exquis telles pens�es Qui ne marchent qu�en ordre et font le moins de bruit. Votre main, toujours pr�te � la chute du fruit, Patiente avec l�arbre et s�abstient de pouss�es.

Et si l�immense amour de vos commandements Embrasse et presse tous en sa sollicitude, Vos conseils vont dicter aux meilleurs et l��tude Et le travail des plus humbles recueillements.

Le p�cheur, s�il pr�tend vous conna�tre et vous plaire, � vous qui nous aimant si fort parliez si peu, Doit et peut, � tout temps du jour comme en tout lieu, Bien faire obscur�ment son devoir et se taire,

Se taire pour le monde, un pur s�nat de fous, Se taire sur autrui, des �mes pr�cieuses, Car nous taire vous pla�t, m�me aux heures pieuses, M�me � la mort, sinon devant le pr�tre et vous.

Donnez-leur le silence et l�amour du myst�re, � Dieu glorifieur du bien fait en secret, � ces timides moins transis qu�il ne para�t, Et l�horreur, et le pli des choses de la terre.

Donnez-leur, � mon Dieu, la r�signation, Toute forte douceur, l�ordre et l�intelligence, Afin qu�au jour supr�me ils gagnent l�indulgence De l�Agneau formidable en la neuve Sion,

Afin qu�ils puissent dire�: ��Au moins nous s�mes croire�� Et que l�Agneau terrible, ayant tout supput�, Leur r�ponde�: ��Venez, vous avez m�rit�, Pacifiques, ma paix, et douloureux, ma gloire.��

IV
                                      I

Mon Dieu m�a dit�: Mon fils, il faut m�aimer. Tu vois Mon flanc perc�, mon c�ur qui rayonne et qui saigne, Et mes pieds offens�s que Madeleine baigne De larmes, et mes bras douloureux sous le poids

De tes p�ch�s, et mes mains�! Et tu vois la croix, Tu vois les clous, le fiel, l��ponge, et tout t�enseigne � n�aimer, en ce monde amer o� la chair r�gne, Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.

Ne t�ai-je pas aim� jusqu�� la mort moi-m�me, � mon fr�re en mon P�re, � mon fils en l�Esprit, Et n�ai-je pas souffert, comme c��tait �crit�?

N�ai-je pas sanglot� ton angoisse supr�me Et n�ai-je pas su� la sueur de tes nuits, Lamentable ami qui me cherches o� je suis�?

                                      II

J�ai r�pondu�: Seigneur, vous avez dit mon �me. C�est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas. Mais vous aimer�! Voyez comme je suis en bas, Vous dont l�amour toujours monte comme la flamme.

Vous, la source de paix que toute soif r�clame, H�las�! voyez un peu tous mes tristes combats�! Oserai-je adorer la trace de vos pas, Sur ces genoux saignants d�un rampement inf�me�?

Et pourtant je vous cherche en longs t�tonnements, Je voudrais que votre ombre au moins v�t�t ma honte, Mais vous n�avez pas d�ombre, � vous dont l�amour monte,

� vous, fontaine calme, am�re aux seuls amants De leur damnation, � vous, toute lumi�re, Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupi�re�!

                                      III

��Il faut m�aimer�! Je suis l�universel Baiser, Je suis cette paupi�re et je suis cette l�vre Dont tu parles, � cher malade, et cette fi�vre Qui t�agite, c�est moi toujours�! Il faut oser

M�aimer�! Oui, mon amour monte sans biaiser Jusqu�o� ne grimpe pas ton pauvre amour de ch�vre, Et t�emportera, comme un aigle vole un li�vre, Vers des serpolets qu�un ciel cher vient arroser�!

� ma nuit claire�! � tes yeux dans mon clair de lune�! � ce lit de lumi�re et d�eau parmi la brune�! Toute cette innocence et tout ce reposoir�!

Aime-moi�! Ces deux mots sont mes verbes supr�mes, Car �tant ton Dieu tout-puissant, je peux vouloir, Mais je ne veux d�abord que pouvoir que tu m�aimes.

                                      IV

��Seigneur, c�est trop�! Vraiment je n�ose. Aimer qui�? Vous�? Oh�! non�! Je tremble et n�ose. Oh�! vous aimer je n�ose, Je ne veux pas�! Je suis indigne. Vous, la Rose Immense des purs vents de l�Amour, � Vous, tous

Les c�urs des saints, � Vous qui f�tes le Jaloux D�Isra�l, Vous, la chaste abeille qui se pose Sur la seule fleur d�une innocence mi-close, Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. �tes-vous fous(*),

P�re, Fils, Esprit�? Moi, ce p�cheur-ci, ce l�che, Ce superbe, qui fait le mal comme sa t�che Et n�a dans tous ses sens, odorat, toucher, go�t,

Vue, ou�e, et dans tout son �tre ��h�las�! dans tout Son espoir et dans tout son remords, que l�extase D�une caresse o� le seul vieil Adam s�embrase�?


(*) Saint Augustin.

                                      V

��Il faut m�aimer. Je suis ces Fous que tu nommais, Je suis l�Adam nouveau qui mange le vieil homme, Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome, Comme un pauvre ru� parmi d�horribles mets.

Mon amour est le feu qui d�vore � jamais Toute chair insens�e, et l��vapore comme Un parfum, ��et c�est le d�luge qui consomme En son flot tout mauvais germe que je semais,

Afin qu�un jour la Croix o� je meurs f�t dress�e Et que par un miracle effrayant de bont� Je t�eusse un jour � moi, fr�missant et dompt�.

Aime. Sors de ta nuit. Aime. C�est ma pens�e De toute �ternit�, pauvre �me d�laiss�e, Que tu dusses m�aimer, moi seul qui suis rest�!

                                      VI

��Seigneur, j�ai peur. Mon �me en moi tressaille toute. Je vois, je sens qu�il faut vous aimer. Mais comment Moi, ceci, me ferais-je, � Vous, Dieu, votre amant, � Justice que la vertu des bons redoute�?

Oui, comment�? Car voici que s��branle la vo�te O� mon c�ur creusait son ensevelissement Et que je sens fluer � moi le firmament, Et je vous dis�: de vous � moi quelle est la route�?

Tendez-moi votre main, que je puisse lever Cette chair accroupie et cet esprit malade. Mais recevoir jamais la c�leste accolade,

Est-ce possible�? Un jour, pouvoir la retrouver Dans votre sein, sur votre c�ur qui fut le n�tre, La place o� reposa la t�te de l�ap�tre�?

                                      VII

��Certes, si tu le veux m�riter, mon fils, oui, Et voici. Laisse aller l�ignorance ind�cise De ton c�ur vers les bras ouverts de mon �glise Comme la gu�pe vole au lis �panoui.

Approche-toi de mon oreille. �panches-y L�humiliation d�une brave franchise. Dis-moi tout sans un mot d�orgueil ou de reprise Et m�offre le bouquet d�un repentir choisi.

Puis franchement et simplement viens � ma Table Et je t�y b�nirai d�un repas d�lectable Auquel l�ange n�aura lui-m�me qu�assist�,

Et tu boiras le Vin de la vigne immuable Dont la force, dont la douceur, dont la bont� Feront germer ton sang � l�immortalit�.

                                        *
                                      *   *

Puis, va�! Garde une foi modeste en ce myst�re D�amour par quoi je suis ta chair et ta raison, Et surtout reviens tr�s souvent dans ma maison, Pour y participer au Vin qui d�salt�re,

Au Pain sans qui la vie est une trahison, Pour y prier mon P�re et supplier ma M�re Qu�il te soit accord�, dans l�exil de la terre, D��tre l�agneau sans cris qui donne sa toison,

D��tre l�enfant v�tu de lin et d�innocence, D�oublier ton pauvre amour-propre et ton essence, Enfin, de devenir un peu semblable � moi

Qui fus, durant les jours d�H�rode et de Pilate Et de Judas et de Pierre, pareil � toi Pour souffrir et mourir d�une mort sc�l�rate�!

                                        *
                                      *   *

Et pour r�compenser ton z�le en ces devoirs Si doux qu�ils sont encor d�ineffables d�lices, Je te ferai go�ter sur terre mes pr�mices, La paix du c�ur, l�amour d��tre pauvre, et mes soirs

Mystiques, quand l�esprit s�ouvre aux calmes espoirs Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice �ternel, et qu�au ciel pieux la lune glisse, Et que sonnent les ang�lus roses et noirs,

En attendant l�assomption dans ma lumi�re, L��veil sans fin dans ma charit� coutumi�re, La musique de mes louanges � jamais,

Et l�extase perp�tuelle et la science, Et d��tre en moi parmi l�aimable irradiance De tes souffrances, enfin miennes, que j�aimais�!

                                        *
                                      *   *

��Ah�! Seigneur, qu�ai-je�? H�las�! me voici tout en larmes D�une joie extraordinaire�: votre voix Me fait comme du bien et du mal � la fois, Et le mal et le bien, tout a les m�mes charmes.

Je ris, je pleure, et c�est comme un appel aux armes D�un clairon pour des champs de bataille o� je vois Des anges bleus et blancs port�s sur des pavois, Et ce clairon m�enl�ve en de fi�res alarmes.

J�ai l�extase et j�ai la terreur d��tre choisi. Je suis indigne, mais je sais votre cl�mence. Ah�! quel effort, mais quelle ardeur�! Et me voici

Plein d�une humble pri�re, encor qu�un trouble immense Brouille l�espoir que votre voix me r�v�la, Et j�aspire en tremblant...

                                      IX

                                   ��Pauvre �me, c�est cela�!

III

I

D�sormais le Sage, puni Pour avoir trop aim� les choses, Rendu prudent � l�infini, Mais franc de scrupules moroses,

Et d�ailleurs retournant au Dieu Qui fit les yeux et la lumi�re, L�honneur, la gloire, et tout le peu Qu�a son �me de candeur fi�re,

Le Sage peut, dor�navant, Assister aux sc�nes du monde, Et suivre la chanson du vent, Et contempler la mer profonde.

Il ira, calme, et passera Dans la f�rocit� des villes, Comme un mondain � l�Op�ra Qui sort blas� des danses viles.

M�me, ��et pour tenir abaiss� L�orgueil, qui fit son �me veuve, Il remontera le pass�, Ce pass�, comme un mauvais fleuve�!

Il reverra l�herbe des bords, Il entendra le flot qui pleure Sur le bonheur mort et les torts De cette date et de cette heure�!...

Il aimera les cieux, les champs, La bont�, l�ordre et l�harmonie, Et sera doux, m�me aux m�chants, Afin que leur mort soit b�nie.

D�licat et non exclusif, Il sera du jour o� nous sommes�: Son c�ur, plut�t contemplatif, Pourtant saura l��uvre des hommes�:

Mais revenu des passions, Un peu m�fiant des ��usages��, � vos civilisations Pr�f�rera les paysages.

II

Du fond du grabat As-tu vu l��toile Que l�hiver d�voile�? Comme ton c�ur bat, Comme cette id�e, Regret ou d�sir, Ravage � plaisir Ta t�te obs�d�e, Pauvre t�te en feu, Pauvre c�ur sans dieu�!

L�ortie et l�herbette Au bas du rempart D�o� l�appel frais part D�une aigre trompette, Le vent du coteau, La Meuse, la goutte Qu�on boit sur la route � chaque �criteau, Les s�ves qu�on hume, Les pipes qu�on fume�!

Un r�ve de froid�: ��Que c�est beau la neige Et tout son cort�ge Dans leur cadre �troit�! Oh�! tes blancs arcanes, Nouvelle Archangel, Mirage �ternel De mes caravanes�! Oh�! ton chaste ciel, Nouvelle Archangel�!��

Cette ville sombre�! Tout est crainte ici... Le ciel est transi D��clairer tant d�ombre. Les pas que tu fais Parmi ces bruy�res L�vent des poussi�res Au souffle mauvais... Voyageur si triste, Tu suis quelle piste�?

C�est l�ivresse � mort, C�est la noire orgie, C�est l�amer effort De ton �nergie Vers l�oubli dolent De la voix intime, C�est le seuil du crime, C�est l�essor sanglant. ��Oh�! fuis la chim�re�: Ta m�re, ta m�re�!

Quelle est cette voix Qui ment et qui flatte�? ��� ta t�te plate, Vip�re des bois�!�� Pardon et myst�re. Laisse �a dormir. Qui peut, sans fr�mir, Juger sur la terre�? ��Ah, pourtant, pourtant, Ce monstre impudent�!��

La mer�! Puisse-t-elle Laver ta ranc�ur, La mer au grand c�ur, Ton a�eule, celle Qui chante en ber�ant Ton angoisse atroce, La mer, doux colosse Au sein innocent, Grondeuse infinie De ton ironie�!

Tu vis sans savoir�! Tu verses ton �me, Ton lait et ta flamme Dans quel d�sespoir�? Ton sang qui s�amasse En une fleur d�or N�est pas pr�t encor � la d�dicace. Attends quelque peu, Ceci n�est que jeu.

Cette fr�n�sie T�initie au but. D�ailleurs, le salut Viendra d�un Messie Dont tu ne sens plus Depuis bien des lieues Les effluves bleues Sous tes bras perclus, Naufrag� d�un r�ve Qui n�a pas de gr�ve�!

Vis en attendant L�heure toute proche. Ne sois pas prudent. Tr�ve � tout reproche. Fais ce que tu veux. Une main te guide � travers le vide Affreux de tes v�ux. Un peu de courage, C�est le bon orage.

Voici le Malheur Dans sa pl�nitude. Mais � sa main rude Quelle belle fleur�! ��La br�lante �pine�!�� Un lis est moins blanc. ��Elle m�entre au flanc.�� Et l�odeur divine�! ��Elle m�entre au c�ur.�� Le parfum vainqueur�!

��Pourtant je regrette, Pourtant je me meurs, Pourtant ces deux c�urs...�� L�ve un peu la t�te�: ��Eh bien, c�est la Croix.�� L�ve un peu ton �me De ce monde inf�me. ��Est-ce que je crois�?�� Qu�en sais-tu�? La B�te Ignore sa t�te,

La Chair et le Sang M�connaissent l�Acte. ��Mais j�ai fait un pacte Qui va m�enla�ant � la faute noire, Je me dois � mon Tenace d�mon�: Je ne veux point croire. Je n�ai pas besoin De r�ver si loin�!

��Aussi bien j��coute Des sons d�autrefois. Vip�re des bois, Encor sur ma route�? Cette fois tu mords.�� Laisse cette b�te. Que fait au po�te�? Que sont des c�urs morts�? Ah�! plut�t oublie Ta propre folie.

Ah�! plut�t, surtout, Douceur, patience, Mi-voix et nuance, Et paix jusqu�au bout�! Aussi bon que sage, Simple autant que bon, Soumets ta raison Au plus pauvre adage, Na�f et discret, Heureux en secret�!

Ah�! surtout, terrasse Ton orgueil cruel, Implore la gr�ce D��tre un pur Abel, Finis l�odyss�e Dans le repentir D�un humble martyr, D�une humble pens�e. Regarde au-dessus... ��Est-ce vous, J�sus�?��

III

L�espoir luit comme un brin de paille dans l��table. Que crains-tu de la gu�pe ivre de son vol fou�? Vois, le soleil toujours poudroie � quelque trou. Que ne t�endormais-tu, le coude sur la table�?

Pauvre �me p�le, au moins cette eau du puits glac�, Bois-la. Puis dors apr�s. Allons, tu vois, je reste, Et je dorloterai les r�ves de ta sieste, Et tu chantonneras comme un enfant berc�.

Midi sonne. De gr�ce, �loignez-vous, madame. Il dort. C�est �tonnant comme les pas de femme R�sonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J�ai fait arroser dans la chambre. Va, dors�! L�espoir luit comme un caillou dans un creux. Ah�! quand refleuriront les roses de septembre�!

IV
                                   _Gaspard Hauser chante�:_

Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes�: Ils ne m�ont pas trouv� malin.

� vingt ans un trouble nouveau Sous le nom d�amoureuses flammes M�a fait trouver belles les femmes�: Elles ne m�ont pas trouv� beau.

Bien que sans patrie et sans roi Et tr�s brave ne l��tant gu�re, J�ai voulu mourir � la guerre�: La mort n�a pas voulu de moi.

Suis-je n� trop t�t ou trop tard�? Qu�est-ce que je fais en ce monde�? � vous tous, ma peine est profonde�: Priez pour le pauvre Gaspard�!

V

Un grand sommeil noir Tombe sur ma vie�: Dormez, tout espoir, Dormez, toute envie�!

Je ne vois plus rien, Je perds la m�moire Du mal et du bien... � la triste histoire�!

Je suis un berceau Qu�une main balance Au creux d�un caveau�: Silence, silence�!

VI

Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme�! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu�on voit, Doucement tinte. Un oiseau sur l�arbre qu�on voit Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est l�, Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-l� Vient de la ville.

��Qu�as-tu fait, � toi que voil� Pleurant sans cesse, Dis, qu�as-tu fait, toi que voil�, De ta jeunesse�?

VII
          Je ne sais pourquoi
          Mon esprit amer

D�une aile inqui�te et folle vole sur la mer, Tout ce qui m�est cher, D�une aile d�effroi Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi�?

   Mouette � l�essor m�lancolique.
   Elle suit la vague, ma pens�e,
   � tous les vents du ciel balanc�e
   Et biaisant quand la mar�e oblique,
   Mouette � l�essor m�lancolique.

          Ivre de soleil
          Et de libert�,

Un instinct la guide � travers cette immensit�. La brise d��t� Sur le flot vermeil Doucement la porte en un ti�de demi-sommeil.

   Parfois si tristement elle crie
   Qu�elle alarme au lointain le pilote,
   Puis au gr� du vent se livre et flotte
   Et plonge, et l�aile toute meurtrie
   Revole, et puis si tristement crie�!

          Je ne sais pourquoi
          Mon esprit amer

D�une aile inqui�te et folle vole sur la mer. Tout ce qui m�est cher, D�une aile d�effroi Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi�?

VIII

Parfums, couleurs, syst�mes, lois�! Les mots ont peur comme des poules. La Chair sanglote sur la croix.

Pied, c�est du r�ve que tu foules, Et partout ricane la voix, La voix tentatrice des foules.

Cieux bruns o� nagent nos desseins, Fleurs qui n��tes pas le calice, Vin et ton geste qui se glisse, Femme et l��illade de tes seins,

Nuit c�line aux frais traversins, Qu�est-ce que c�est que ce d�lice, Qu�est-ce que c�est que ce supplice, Nous les damn�s et vous les Saints�?

IX

Le son du cor s�afflige vers les bois D�une douleur on veut croire orpheline Qui vient mourir au bas de la colline Parmi la bise errant en courts abois.

L��me du loup pleure dans cette voix Qui monte avec le soleil qui d�cline D�une agonie on veut croire c�line Et qui ravit et qui navre � la fois.

Pour faire mieux cette plainte assoupie La neige tombe � longs traits de charpie � travers le couchant sanguinolent,

Et l�air a l�air d��tre un soupir d�automne, Tant il fait doux par ce soir monotone O� se dorlote un paysage lent.

X

La tristesse, la langueur du corps humain M�attendrissent, me fl�chissent, m�apitoient. Ah�! surtout quand des sommeils noirs le foudroient, Quand les draps z�brent la peau, foulent la main�!

Et que mi�vre dans la fi�vre du demain, Ti�de encor du bain de sueur qui d�cro�t, Comme un oiseau qui grelotte sur un toit�! Et les pieds, toujours douloureux du chemin,

Et le sein, marqu� d�un double coup de poing, Et la bouche, une blessure rouge encor, Et la chair fr�missante, fr�le d�cor,

Et les yeux, les pauvres yeux si beaux o� point La douleur de voir encore du fini�!... Triste corps�! Combien faible et combien puni�!

XI

La bise se rue � travers Les buissons tout noirs et tout verts, Gla�ant la neige �parpill�e Dans la campagne ensoleill�e. L�odeur est aigre pr�s des bois, L�horizon chante avec des voix, Les coqs des clochers des villages Luisent cr�ment sur les nuages. C�est d�licieux de marcher � travers ce brouillard l�ger Qu�un vent taquin parfois retrousse. Ah�! fi de mon vieux feu qui tousse�! J�ai des fourmis plein les talons. Debout, mon �me, vite, allons�! C�est le printemps s�v�re encore, Mais qui par instant s��dulcore D�un souffle ti�de juste assez Pour mieux sentir les froids pass�s Et penser au Dieu de cl�mence... Va, mon �me, � l�espoir immense�!

XII

Vous voil�, vous voil�, pauvres bonnes pens�es�! L�espoir qu�il faut, regret des gr�ces d�pens�es, Douceur de c�ur avec s�v�rit� d�esprit, Et cette vigilance, et le calme prescrit, Et toutes�! ��Mais encor lentes, bien �veill�es, Bien d�aplomb, mais encor timides, d�brouill�es � peine du lourd r�ve et de la ti�de nuit. C�est � qui de vous va plus gauche, l�une suit L�autre, et toutes ont peur du vaste clair de lune. ��Telles, quand des brebis sortent d�un clos. C�est une, Puis deux, puis trois. Le reste est l�, les yeux baiss�s, La t�te � terre, et l�air des plus embarrass�s, Faisant ce que fait leur chef de file�: il s�arr�te, Elles s�arr�tent tour � tour, posant leur t�te Sur son dos, simplement et sans savoir pourquoi (*).�� Votre pasteur, � mes brebis, ce n�est pas moi, C�est un meilleur, un bien meilleur, qui sait les causes, Lui qui vous tint longtemps et si longtemps l� closes, Mais qui vous d�livra de sa main au temps vrai. Suivez-le. Sa houlette est bonne. Et je serai, Sous sa voix toujours douce � votre ennui qui b�le, Je serai, moi, par vos chemins, son chien fid�le.


(*) Dante, le Purgatoire.

XIII

L��chelonnement des haies Moutonne � l�infini, mer Claire dans le brouillard clair Qui sent bon les jeunes baies.

Des arbres et des moulins Sont l�gers sur le vert tendre O� vient s��battre et s��tendre L�agilit� des poulains.

Dans ce vague d�un Dimanche Voici se jouer aussi De grandes brebis aussi Douces que leur laine blanche.

Tout � l�heure d�ferlait L�onde, roul�e en volutes, De cloches comme des fl�tes Dans le ciel comme du lait.

                        Stickney, 75.
XIV

L�immensit� de l�humanit�, Le Temps pass� vivace et bon p�re, Une entreprise � jamais prosp�re�: Quelle puissante et calme cit�!

Il semble ici qu�on vit dans l�histoire. Tout est plus fort que l�homme d�un jour. De lourds rideaux d�atmosph�re noire Font richement la nuit alentour.

� civilis�s que civilise L�Ordre ob�i, le Respect sacr�! �, dans ce champ si bien pr�par�, Cette moisson de la seule �glise�!

                        Londres, 75, 77.
XV

La mer est plus belle Que les cath�drales, Nourrice fid�le, Berceuse de r�les, La mer sur qui prie La Vierge Marie�!

Elle a tous les dons Terribles et doux. J�entends ses pardons Gronder ses courroux. Cette immensit� N�a rien d�ent�t�.

Oh�! si patiente, M�me quand m�chante�! Un souffle ami hante La vague, et nous chante�: ��Vous sans esp�rance, Mourez sans souffrance�!��

Et puis sous les cieux Qui s�y rient plus clairs, Elle a des airs bleus, Roses, gris et verts... Plus belle que tous, Meilleure que nous�!

                        Bournemouth, 77.
XVI

La ��grande ville��. Un tas criard de pierres blanches O� rage le soleil comme en pays conquis. Tous les vices ont leur tani�re, les exquis Et les hideux, dans ce d�sert de pierres blanches.

Des odeurs�! Des bruits vains�! O� que vague le c�ur, Toujours ce poudroiement vertigineux de sable, Toujours ce remuement de la chose coupable Dans cette solitude o� s��c�ure le c�ur�!

De pr�s, de loin, le Sage aura sa th�ba�de Parmi le fade ennui qui monte de ceci, D�autant plus �pre et plus sanctifiante aussi Que deux parts de son �me y pleurent, dans ce vide�!

                                                    Paris, 77.    
XVII

Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours, Tournez, tournez au son des hautbois.

L�enfant tout rouge et la m�re blanche, Le gars en noir et la fille en rose, L�une � la chose et l�autre � la pose, Chacun se paie un sou de dimanche.

Tournez, tournez, chevaux de leur c�ur, Tandis qu�autour de tous vos tournois Clignote l��il du filou sournois, Tournez au son du piston vainqueur�!

C�est �tonnant comme �a vous so�le D�aller ainsi dans ce cirque b�te�: Bien dans le ventre et mal dans la t�te, Du mal en masse et du bien en foule.

Tournez au son de l�accord�on, Du violon, du trombone fous, Chevaux plus doux que des moutons, doux Comme un peuple en r�volution.

Le vent, fouettant la tente, les verres, Les zincs et le drapeau tricolore, Et les jupons, et que sais-je encore�? Fait un fracas de cinq cents tonnerres.

Tournez, dadas, sans qu�il soit besoin D�user jamais de nuls �perons Pour commander � vos galops ronds�: Tournez, tournez, sans espoir de foin.

Et d�p�chez, chevaux de leur �me�: D�j� voici que sonne � la soupe La nuit qui tombe et chasse la troupe De gais buveurs que leur soif affame.

Tournez, tournez�! Le ciel en velours D�astres en or se v�t lentement. L��glise tinte un glas tristement. Tournez au son joyeux des tambours�!

XVIII

Toutes les amours de la terre Laissent au c�ur du d�l�t�re Et de l�affreusement amer, Fraternelles et conjugales, Paternelles et filiales, Civiques et nationales, Les charnelles, les id�ales, Toutes ont la gu�pe et le ver.

La mort prend ton p�re et ta m�re, Ton fr�re trahira son fr�re, Ta femme flaire un autre �poux, Ton enfant, on te l�ali�ne, Ton peuple, il se pille ou s�encha�ne Et l��tranger y pond sa haine, Ta chair s�irrite et tourne obsc�ne, Ton �me flue en r�ves fous.

Mais, dit J�sus, aime, n�importe�! Puis de toute illusion morte Fais un cort�ge, forme un ch�ur, Va devant, tel aux champs le p�tre, Tel le coryph�e au th��tre, Tel le vrai pr�tre ou l�idol�tre, Tels les grands-parents pr�s de l��tre, Oui, que devant aille ton c�ur�!

Et que toutes ces voix dolentes S��l�vent rapides ou lentes, Aigres ou douces, composant � la gloire de Ma souffrance Instrument de ta d�livrance, Condiment de ton esp�rance Et mets de ta propre navrance, L�hymne qui te sied � pr�sent�!

XIX

Sainte Th�r�se veut que la Pauvret� soit La reine d�ici-bas, et litt�ralement�! Elle dit peu de mots de ce gouvernement, Et ne s�arr�te point aux d�tails de surcro�t�;

Mais le Point, � son sens, celui qu�il faut qu�on voie Et croie, est ceci dont elle la complimente�: Le libre arbitre p�se, argu� et parlemente, Puis le pauvre-de-c�ur d�cide et suit sa voie.

Qui l�en emp�chera�? De v�ux il n�en a plus Que celui d��tre un jour au nombre des �lus, Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,

Prodigue et d�daigneux, sur tous, des choses eues, Mais accumulateur des seules choses sues�: De quel si fier sujet, et libre, quelle reine�!

XX

Parisien, mon fr�re � jamais �tonn�, Montons sur la colline o� le soleil est n� Si glorieux qu�il fait comprendre l�idol�tre, Sous cette perspective inconnue au th��tre, D�arbres au vent et de poussi�re d�ombre et d�or. Montons. Il fait si frais encor, montons encor. L�! nous voil� plac�s comme dans une ��loge De face���; et le d�cor vraiment tire un �loge�: La cath�drale �norme et le beffroi sans fin, Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain Appareil des remparts pompeux et grands quand m�me, Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l�or bl�me Des nuages � l�ouest r�verb�rant l�or dur De derri�re chez nous, tous ces lourds joyaux sur Ces ouates, n�est-ce pas, l��crin vaut le voyage, Et c�est ce qu�on peut dire un brin de paysage�? ��Mais descendons, si ce n�est pas trop abuser De vos pieds las, � fin seule de reposer Vos yeux qui n�ont jamais rien vu que de Montmartre, ����Campagne�� vert de plaie et ville blanc de dartre. (Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin�!) Donc, par ce lent sentier de ros�e et de thym, Cheminons vers la ville au long de la rivi�re, Sous les frais peupliers, dans la fine lumi�re. L�une des portes ouvre une rue, entrons-y. Aussi bien, c�est le point qu�il faut, l�endroit choisi�: Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites, Point hautes, �� et l� des branches sur leurs fa�tes, Si doux et sinueux le cours de ces maisons, Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons, Profilant la lumi�re et l�ombre en broderies Au lieu du long ennui de vos haussmanneries, Et si gentil l�accent qui confine au patois De ces passants na�fs avec leurs yeux matois�!... Des places ivres d�air et de cris d�hirondelles, O� l�Histoire proteste en formules fid�les � la cr�te des toits comme au fer des balcons�: Des portes ne tournant qu�� regret sur leurs gonds, Jalouses de garder l�honneur et la famille... Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille, Le ��Th��tre�� fait four, et ce dieu des brouillons, Le ��Journal�� n�en est plus � compter ses bouillons. L�amour m�me pr�tend conserver ses noblesses Et le vice se gobe en de rares dr�lesses. Enfin rien de Paris, mon fr�re, ��dans nos murs��, Que les modes... d�hier, et que les fruits bien m�rs De ce fameux Progr�s que vous mangez en herbe. Du reste on vit � l�aise. Une ch�re superbe, La raison raisonnable et l�esprit des a�eux, Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux, Et ce besoin d�avoir peur de la grande route�!... Avouez, la province est bonne, somme toute, Et vous regrettez moins que tant�t la ��splendeur�� Du vieux monstre, et son pouls f�brile, et cette odeur�!

                                                    Arras, 77.
XXI

C�est la f�te du bl�, c�est la f�te du pain Aux chers lieux d�autrefois revus apr�s ces choses�! Tout bruit, la nature et l�homme, dans un bain De lumi�re si blanc que les ombres sont roses.

L�or des pailles s�effondre au vol siffleur des faux Dont l��clair plonge, et va luire, et se r�verb�re. La plaine, tout au loin couverte de travaux, Change de face � chaque instant, gaie et s�v�re.

Tout hal�te, tout n�est qu�effort et mouvement Sous le soleil, tranquille auteur des moissons m�res, Et qui travaille encore imperturbablement � gonfler, � sucrer ��l�-bas�! ��les grappes s�res.

Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin, Nourris l�homme du lait de la terre, et lui donne L�honn�te verre o� rit un peu d�oubli divin. Moissonneurs, ��vendangeurs l�-bas�! ��votre heure est bonne�!

Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins, Fruit de la force humaine en tous lieux r�partie, Dieu moissonne, et vendange, et dispose � ses fins La Chair et le Sang pour le calice et l�hostie�!

                                                    Fampoux, 77.