Arr�t Relatif � l'Appel de la D�fense concernant l'Exception Pr�judicielle

d'Incomp�tence (original) (raw)

LA CHAMBRE D'APPEL

Compos�e comme suit : M. le Juge Cassese, Pr�sident

M. le Juge Li

M. le Juge Desch�nes

M. le Juge Abi-Saab

M. le Juge Sidhwa

Assist�e de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Arr�t rendu le : 2 octobre 1995

LE PROCUREUR

C/

DUSKO TADIC, ALIAS "DULE"

______________________________________

ARR�T RELATIF A L'APPEL DE LA D�FENSE CONCERNANT L'EXCEPTION PR�JUDICIELLE D'INCOMP�TENCE

______________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Richard Goldstone, Procureur
M. Grant Niemann
M. Alan Tieger
M. Michael Keegan
Mme Brenda Hollis
M. William Fenrick

Le Conseil de la D�fense :

M. Michail Wladimiroff M. Milan Vujin
M. Alphons Orie M. Krstan Smic

I. INTRODUCTION

A. Le jugement en appel

1. La Chambre d'appel du Tribunal international charg� de poursuivre les personnes pr�sum�es responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (Le "Tribunal international") est saisie d'un appel interjet� par la D�fense contre un jugement rendu par la Chambre de premi�re instance II le 10 ao�t 1995. Ce jugement rejetait l'exception pr�judicielle d'incomp�tence du Tribunal international soulev�e par l'Appelant.

2. Devant la Chambre de premi�re instance, l'Appelant avait lanc� une attaque sur trois fronts :

a) cr�ation ill�gale du Tribunal international ;

b) exercice abusif de la primaut� du Tribunal international sur les juridictions nationales ;

c) incomp�tence ratione materiae.

Le jugement dont appel a rejet� la demande de l'Appelant. Pour l'essentiel, son dispositif est libell� comme suit :

"LA CHAMBRE DE PREMI�RE INSTANCE (...) ECARTE PAR LA PR�SENTE l'exception dans la mesure o� elle se rapporte � la primaut� et � la comp�tence d'attribution au titre des articles 2, 3 et 5 et D�CIDE, par ailleurs, de se d�clarer incomp�tente dans la mesure o� ladite exception conteste la cr�ation du Tribunal international ;

REJETTE PAR LA PR�SENTE la demande de la D�fense en son exception sur la comp�tence du Tribunal" (d�cision relative � l'exception d'incomp�tence du Tribunal international soulev�e par la D�fense devant la Chambre de premi�re instance, 10 ao�t 1995, affaire no. IT-94-1-T, p. 33 ; ("D�cision de la Chambre de premi�re instance")).

L'Appelant all�gue maintenant que la Chambre de premi�re instance a commis une erreur de droit.

3. Il ressort clairement du dispositif du jugement que la Chambre de premi�re instance a adopt� une approche diff�rente sur le premier chef de contestation, sur lequel elle a refus� de statuer, de celle qu'elle a suivie concernant les deux derniers chefs, qu'elle a rejet�s. Il convient de noter cette distinction et nous y reviendrons plus loin.

Cependant, il appert maintenant de l'�volution de l'instance que la question de la comp�tence a acquis, devant la pr�sente Chambre, une double dimension :

a) la comp�tence de la Chambre d'appel � �tre saisie du pr�sent appel ;

b) la comp�tence du Tribunal international � �tre saisi de l'affaire au fond.

Avant de se pencher sur le fond, il convient d'examiner la question liminaire, � savoir, la Chambre d'appel est-elle comp�tente pour �tre saisie du pr�sent appel ?

B. Comp�tence de la Chambre d'appel

4. L'article 25 du Statut du Tribunal international (Le Statut du Tribunal international, publi� originellement comme annexe au Rapport du Secr�taire g�n�ral �tabli conform�ment au paragraphe 2 de la r�solution 808 (1993) du Conseil de s�curit�, (Document des Nations Unies S/25704) et adopt� conform�ment � la r�solution 827 (25 mai 1993) du Conseil de s�curit�) (dor�navant le "Statut du Tribunal international") adopt� par le Conseil de s�curit� des Nations Unies, pr�voit une proc�dure d'appel interne au Tribunal international. Cette disposition est conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui insiste sur le droit d'interjeter appel (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 d�cembre 1966, article 14, paragraphe 5, A.G. Res. 2200 (XXI), 21 U.N. GAOR, supp. (no. 16) 52, Document des Nations Unies A/6316 (1966) ("le Pacte").

Comme l'a reconnu le Procureur du Tribunal international � l'audience des 7 et 8 septembre 1995, le Statut est d'un caract�re g�n�ral et le Conseil de s�curit� s'attendait certainement � ce qu'il soit compl�t�, le cas �ch�ant, par le r�glement que les juges ont re�u pour mandat d'adopter, en particulier pour "l'audience et les recours" (art. 15). Les juges ont bien adopt� ce r�glement : chapitre septi�me du R�glement de proc�dure et de preuve (R�glement de proc�dure et de preuve, 107-108, adopt� le 11 f�vrier 1994 conform�ment � l'article 15 du Statut du Tribunal international, modifi� (IT/32/R�v.5) (dor�navant le "R�glement de proc�dure et de preuve")).

5. Cependant, l'article 73 avait d�j� pr�vu des "Exceptions pr�judicielles soulev�es par l'accus�", � cinq titres. La premi�re est "l'exception d'incomp�tence". L'article 72 B) sp�cifie :

"La Chambre se prononce sur les exceptions pr�judicielles in limine litis. Les d�cisions ainsi rendues ne sont pas susceptibles d'appel, sauf dans le cas o� la Chambre a rejet� une exception d'incomp�tence" (R�glement de proc�dure et de preuve, art. 72 B).

C'est un point facile � comprendre et le Procureur l'�nonce clairement dans son argument :

"Je soutiens, premi�rement, que clairement dans les limites du Statut, les juges doivent �tre libres de commenter, de compl�ter, d'adopter des articles compatibles et, dans la mesure que j'ai mentionn�e hier, il habiliterait �galement les juges � examiner le bien-fond� du Statut et � s'assurer qu'ils peuvent rendre justice dans le contexte international dans le cadre du Statut. Ceci est incontestable.

L'article 72 ne fait, � mon avis, qu'offrir un instrument utile pour r�aliser - c'est une disposition juste parce que, sans elle, on pourrait, comme l'a mentionn� hier M. Orie dans un contexte certes diff�rent, se retrouver dans la triste situation d'un proc�s durant des mois ; du Tribunal entendant des t�moins pour finir par d�couvrir, au stade de l'appel que, en fait, il n'aurait pas d� y avoir de proc�s en raison de l'incomp�tence du Tribunal, quel qu'en soit le motif.

C'est donc, d'une certaine fa�on, une r�gle d'�quit� pour les deux parties mais particuli�rement en faveur de l'accus� pour �viter � une personne le d�sagr�ment d'�tre traduit en justice dans le cadre d'un proc�s qui n'aurait jamais d� se tenir. C'est vraiment comme les d�cisions que vous avez prises concernant le R�glement de proc�dure et de preuve. Dans une certaine mesure, il compl�te le Statut mais c'�tait l'intention du Conseil de s�curit� quand il a conf�r� aux juges le pouvoir d'�laborer un R�glement. Ils l'ont fait en sachant que certaines dispositions du Statut devaient �tre compl�t�es par un R�glement de proc�dure et de preuve.

(...)

C'est donc, en fin de compte, un article pratique et, si je peux me permettre, un article judicieux dans l'int�r�t de la justice, dans l'int�r�t des deux parties et dans l'int�r�t du Tribunal dans son ensemble" (Proc�s-verbal d'audience d'appel sur l'exception d'incomp�tence, 8 septembre 1995, p. 4 ("Proc�s-verbal de l'appel")).

La question a, cependant, �t� soulev�e de savoir si les trois moyens avanc�s par l'Appelant portent vraiment sur la comp�tence du Tribunal international, �l�ment n�cessaire pour qu'ils constituent le fondement d'un appel. Plus sp�cifiquement, la l�galit� de la cr�ation du Tribunal international et sa primaut� peuvent-ils servir de fondements � un tel appel ?

En page 2 de son M�moire en appel, le Procureur a conclu dans le sens d'une r�ponse n�gative, fond�e sur la distinction entre la l�galit� de la cr�ation du Tribunal international et sa comp�tence. Seul le deuxi�me point peut faire l'objet d'un appel tandis que la l�galit� et la primaut� du Tribunal international ne pourraient pas �tre contest�es en appel (R�ponse � l'exception pr�judicielle d'incomp�tence du Tribunal soulev�e par la D�fense devant la Chambre de premi�re instance du Tribunal international, 7 juillet 1995, affaire no. IT-94-1-T, p. 4 ("M�moire du Procureur")).

6. Cette interpr�tation �troite du concept de comp�tence, soutenue par le Procureur et un amicus curiae, s'est heurt�e � une vision plus moderne de l'administration de la justice. Une d�cision sur une question aussi fondamentale que la comp�tence du Tribunal international ne devrait pas �tre repouss�e � la fin d'une instance potentiellement longue, marqu�e par l'�motion et on�reuse. Tous les motifs de contestation sur lesquels s'appuie l'Appelant se traduisent, en derni�re analyse, par une �valuation de la capacit� juridique du Tribunal international de juger son affaire. Ne s'agit-il pas, en fin de compte, d'une question de comp�tence ? Et quel autre organe que la Chambre d'appel du Tribunal international pourrait �tre juridiquement habilit� � statuer sur cette question De fait - et ce n'est en aucune fa�on concluant tout en �tant, n�anmoins, int�ressant : si ces questions n'�taient pas tranch�es in limine litis, elles pourraient, de toute �vidence, �tre soulev�es dans un appel au fond. L'int�r�t sup�rieur de la justice serait-il servi par une d�cision en faveur de l'accus�, apr�s que celui-ci ait subi ce qui devrait alors �tre qualifi� de proc�s injustifi�. Apr�s tout, une cour de justice se doit d'honorer le bon sens non seulement quand il s'agit de peser les faits mais �galement au plan de l'examen du droit et du choix de l'article appropri�. En cette affaire, la comp�tence de la pr�sente Chambre � �tre saisie et � statuer sur l'appel de l'Appelant est incontestable.

C. Moyens d'appel

7. La Chambre d'appel a, en cons�quence, entendu les Parties sur tous les points soulev�s dans les conclusions. Elle a �galement lu les m�moires d'_amicus curiae_pr�sent�s par Juristes sans fronti�res et le gouvernement des Etats-Unis d'Am�rique, auxquels elle fait part de sa gratitude.

8. L'Appelant a pr�sent� deux M�moires d'appel successifs. Le second M�moire a �t� pr�sent� en retard mais, en l'absence d'objection du Procureur, la Chambre d'appel a accord� la prolongation du d�lai sollicit�e par l'Appelant au titre de l'article 116.

Le second M�moire tend essentiellement � �tayer les arguments d�velopp�s par l'Appelant dans son M�moire originel. Ils sont pr�sent�s sous les titres suivants :

a) cr�ation ill�gale du Tribunal international ;

b) exercice abusif de la primaut� du Tribunal international sur les juridictions nationales comp�tentes ;

c) incomp�tence ratione materiae.

La Chambre d'appel se propose d'examiner chaque moyen d'appel dans l'ordre de leur pr�sentation par l'Appelant.

II. CR�ATION ILL�GALE DU TRIBUNAL INTERNATIONAL

9. Le premier moyen d'appel attaque la l�galit� de la cr�ation du Tribunal international.

A. D�finition de la comp�tence

10. Dans son examen de l'exception d'incomp�tence du Tribunal international soulev�e par la D�fense sur les motifs de l'ill�galit� de sa cr�ation par le Conseil de s�curit�, la Chambre de premi�re instance a d�clar� :

"Il existe, clairement, des questions de comp�tence relevant du Tribunal international comme les questions de date, de lieu et de caract�re du crime faisant l'objet de poursuites. Ces questions sont qualifi�es, � juste titre, de questions juridictionnelles, tandis que la l�galit� de la cr�ation du Tribunal international n'est pas v�ritablement une question de comp�tence. Elle porte, plut�t, sur la l�galit� de sa cr�ation (...)" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 4).

La petitio principii sur lequel s'appuie cette affirmation n'explique pas les crit�res utilis�s par la Chambre de premi�re instance pour r�cuser l'exception d'ill�galit� de la cr�ation du Tribunal international comme exception d'incomp�tence. Plus important encore, cette proposition implique un concept �troit de la comp�tence ramen� � des exceptions fond�es sur les limites de sa port�e vis-�-vis du temps, de l'espace, des personnes et de la mati�re (ratione temporis, loci, personae et materiae). Mais la "juridiction" (comp�tence en fran�ais) n'est pas simplement un domaine ou une sph�re (mieux d�crite dans ce cas par le terme "comp�tence" - (sens anglais du terme) ; il s'agit fondamentalement - ainsi qu'il ressort de l'origine latine du terme lui-m�me, jurisdictio - d'un pouvoir juridique et donc, n�cessairement, d'un pouvoir l�gitime de "dire le droit" dans ce domaine, de mani�re d�finitive et faisant autorit�.

C'est son sens dans tous les syst�mes juridiques. Ainsi, historiquement, dans la common law, les Termes de la ley fournissent la d�finition suivante :

"La 'comp�tence' est une dignit� conf�r�e � un homme par le pouvoir de rendre justice dans les affaires traduites devant lui" (STROUD'S JUDICIAL DICTIONNARY, 1379 (5e �d., 1986)).

On trouve le m�me concept dans les d�finitions donn�es par les dictionnaires courants :

"(La comp�tence) est le pouvoir d'un tribunal de statuer sur un litige et pr�suppose l'existence d'une cour d�ment constitu�e dot�e du contr�le sur la comp�tence mat�rielle et les Parties" (BLACK'S LAW DICTIONNARY 712 (6e �d., 1990) citant Pinner c/ Pinner, 33 N.C. App. 204, 234 S.E. 2d 633).

11. Un concept �troit de la comp�tence peut, �ventuellement, se justifier dans un cadre national mais pas en droit international. Le droit international, du fait de l'absence d'une structure d�centralis�e, n'offre pas un syst�me judiciaire int�gr� assurant une r�partition ordonn�e du travail entre un certain nombre de tribunaux o� certains aspects ou �l�ments de la comp�tence en tant que pouvoir pourraient �tre centralis�s ou affect�s � l'un d'eux mais pas aux autres. En droit international, chaque tribunal est un syst�me autonome (sauf s'il en est pr�vu autrement). Certes, l'acte constitutif d'un tribunal international peut limiter certains de ses pouvoirs juridictionnels mais seulement dans la mesure o� cette limite ne nuit pas � son "caract�re judiciaire", comme nous le verrons plus loin. On ne saurait, cependant, pr�sumer ces limites et, en tout �tat de cause, elles ne peuvent pas �tre d�duites du concept de comp�tence proprement dit.

12. Pour nous r�sumer, si le tribunal international n'�tait pas cr�� l�galement, il ne serait pas dot� du pouvoir l�gitime de d�cider en ce qui concerne la date, le lieu, les personnes ou le domaine de la comp�tence mat�rielle. L'appel fond� sur l'ill�galit� de la cr�ation du Tribunal international touche le principe m�me de la comp�tence en tant que pouvoir d'exercer la fonction judiciaire dans tout domaine. Il est plus radical, dans le sens o� il exc�de et englobe tous les autres appels relatifs � la port�e de la comp�tence. Il s'agit l� d'une question pr�alable qui d�termine tous les autres aspects de la comp�tence.

B. Recevabilit� de l'appel fond� sur l'ill�galit� de la cr�ation

du Tribunal international

13. Devant la Chambre de premi�re instance, le Procureur a maintenu que :

  1. le Tribunal international n'est pas comp�tent pour r�examiner sa cr�ation par le Conseil de s�curit� (M�moire du Procureur, par. 10-12) ; et, en tout �tat de cause,

  2. la question de savoir si en cr�ant le Tribunal international le Conseil de s�curit� a respect� la Charte des Nations Unies pose des "questions politiques" qui ne sont pas susceptibles d'un "recours judiciaire" (id., par. 12-14).

La Chambre de premi�re instance a approuv� cette approche.

Elle comprend deux arguments : le premier se rapporte au pouvoir du Tribunal international d'�tre saisi de cette exception ; et le second int�resse la qualification du point int�ressant l'exception comme une "question politique" et, comme telle, non susceptible de recours judiciaire, qu'elle rel�ve ou non de la comp�tence du Tribunal.

1. Le Tribunal international est-il comp�tent ?

14. La Chambre de premi�re instance d�clare dans sa d�cision :

"C'est une chose pour le Conseil de s�curit� de prendre soin de s'assurer de la cr�ation d'une structure appropri�e pour la conduite de proc�s �quitables ; c'en est une autre de d�duire, sous quelque angle qu'on se place, de cet �tablissement attentif, que l'intention �tait d'habiliter le Tribunal international � contester la l�galit� de la l�gislation qui l'a cr��. La comp�tence du Tribunal international est pr�cise et �troitement d�finie ; ainsi que le pr�voit l'article premier de son Statut, il est habilit� � juger les personnes pr�sum�es responsables de violations graves du droit international humanitaire, sous r�serve de limites spatiales et temporelles, et cela conform�ment audit Statut. C'est l� toute l'�tendue de la comp�tence du Tribunal international" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 8).

Une r�serve doit �tre apport�e � la premi�re et la derni�re phrases de cette citation. La premi�re phrase suppose une approche subjective, estimant que la comp�tence ne peut �tre d�termin�e exclusivement qu'en se r�f�rant aux intentions du Conseil de s�curit� ou par d�duction de ces intentions, ignorant ainsi totalement tout pouvoir r�siduel qui pourrait provenir des conditions de la "fonction judiciaire" proprement dite. C'est �galement la r�serve qu'il convient d'apporter � la derni�re phrase.

De fait, la comp�tence du Tribunal international, qui est d�finie dans la phrase du milieu et d�crite dans la derni�re phrase comme "toute l'�tendue de la comp�tence du Tribunal international", ne l'est pas en r�alit�. Elle est ce qu'on qualifie en droit international de comp�tence "originelle" ou "principale" et parfois "au fond". Mais elle ne comprend pas la comp�tence "incidente" ou "implicite", qui d�coule automatiquement de l'exercice de la fonction judiciaire.

15. Supposer que la comp�tence du Tribunal international se limite strictement aux "intentions" du Conseil de s�curit� le concernant revient � le consid�rer uniquement comme un "organe subsidiaire" du Conseil de s�curit� (_voir_Charte des Nations Unies, art. 7 2) et 29, une "cr�ation" enti�rement fa�onn�e dans le plus infime d�tail par son "cr�ateur" et demeurant totalement en son pouvoir et � sa merci. Mais le Conseil de s�curit� n'a pas seulement d�cid� de cr�er un organe subsidiaire (le seul moyen juridique � sa disposition pour cr�er un tel organe), il avait aussi clairement l'intention de cr�er un type sp�cial d'"organe subsidiaire" : un tribunal.

16. En traitant une affaire identique dans son avis consultatif Effets de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant des indemnit�s, la Cour internationale de Justice a d�clar� :

"Il a �t� soutenu en troisi�me lieu que le tribunal administratif est un organe subsidiaire, subordonn� ou secondaire, et que, par cons�quent, ses jugements ne sauraient lier l'Assembl�e g�n�rale qui l'a cr��.

(...)

La question ne peut �tre r�solue en prenant pour base l'�tude des rapports entre l'Assembl�e g�n�rale et le tribunal, c'est-�-dire en d�terminant si le tribunal doit �tre consid�r� comme un organe subsidiaire, subordonn� ou secondaire, ou bien en relevant qu'il a �t� cr�� par l'Assembl�e g�n�rale. La solution d�pend de l'intention de l'Assembl�e g�n�rale quand elle a cr�� le tribunal et de la nature des fonctions que lui conf�re son statut. L'examen des termes du statut du tribunal administratif a d�montr� que l'Assembl�e g�n�rale a voulu cr�er un corps judiciaire". (Effets de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant des indemnit�s, C.I.J. Recueil 1954, p. 47, 60-61, avis consultatif du 13 juillet ("Effets de jugements").)

17. La Cour avait, ant�rieurement, d�duit la nature judiciaire du Tribunal administratif des Nations Unies ("TANU") de l'emploi d'une certaine terminologie et d'un certain langage dans le Statut ainsi que de certains de ses attributs. Parmi ces attributs de la fonction judiciaire, le pouvoir conf�r� par l'article 2, paragraphe 3 du Statut du TANU figure de fa�on �minente :

"En cas de contestation sur le point de savoir si le Tribunal est comp�tent, le Tribunal d�cide" (id., p. 51-52, citant le Statut du Tribunal administratif des Nations Unies, art. 2, par. 3).

18. Ce pouvoir, appel� principe de "Kompetenz-Kompetenz" en allemand ou "la comp�tence de la comp�tence" en fran�ais, est un �l�ment et, de fait, un �l�ment majeur de la comp�tence incidente ou implicite de tout tribunal judiciaire ou arbitral et consiste en sa "comp�tence de d�terminer sa propre comp�tence". Ce principe est un �l�ment constitutif n�cessaire dans l'exercice de la fonction judiciaire et il est inutile qu'il soit express�ment pr�vu dans les documents constitutifs de ces tribunaux, bien qu'il le soit souvent (voir, par exemple, Statut de la Cour internationale de Justice, art. 36, par. 6). Mais, pour reprendre les termes de la Cour internationale de Justice :

"Ce principe, que le droit international g�n�ral admet en mati�re d'arbitrage, prend une force particuli�re quand le juge international n'est plus un tribunal arbitral (...) mais une institution pr��tablie par un acte international qui en d�finit la comp�tence et en r�gle le fonctionnement" (affaire Nottebohm (Liechtenstein c/ Guatemala), exception pr�liminaire, C.I.J. Recueil 1953, p. 7, 119, (21 mars)).

Ce n'est pas simplement un pouvoir entre les mains du tribunal. En droit international, o� il n'existe pas de syst�me judiciaire int�gr� et o� chaque organe judiciaire ou arbitral a besoin d'un acte constitutif sp�cifique d�finissant sa comp�tence, "la premi�re obligation de la Cour - comme de tout autre organe judiciaire - est de d�terminer sa propre comp�tence" (Juge Cordova, opinion dissidente, avis consultatif sur les jugements du Tribunal administratif de l'OIT � l'occasion de plaintes d�pos�es contre l'UNESCO, C.I.J. Recueil 1956, p. 77, 163, avis consultatif du 23 octobre).

19. Il est vrai que ce pouvoir peut �tre limit� par une disposition expresse de l'accord d'arbitrage ou des actes constitutifs des tribunaux permanents, bien que cette derni�re possibilit� soit controvers�e, en particulier lorsque les limites risquent de nuire au caract�re judiciaire ou � l'ind�pendance du Tribunal. Mais il est absolument clair qu'une telle limite, dans la mesure o� elle est recevable, ne peut pas �tre d�duite sans une disposition expresse autorisant la d�rogation ou la restriction de ce principe bien �tabli du droit international g�n�ral.

Aucun texte limitatif de ce genre ne figure dans le Statut du Tribunal international et, par cons�quent, celui-ci peut et, en fait, doit exercer sa "comp�tence de la comp�tence" et examiner l'exception d'incomp�tence de la D�fense dans le but de d�terminer sa comp�tence � �tre saisi de l'affaire au fond.

20. Le Procureur a soutenu et la Chambre de premi�re instance a maintenu que :

"Le pr�sent Tribunal international n'est pas une juridiction constitutionnelle �tablie pour examiner les actions des organes des Nations Unies, il est, au contraire, un tribunal p�nal dot� de pouvoirs clairement d�finis, comportant une comp�tence p�nale tr�s sp�cifique et limit�e. S'il entend confiner ses d�cisions � ces limites sp�cifiques, il n'aura aucune comp�tence pour examiner la l�galit� de sa cr�ation par le Conseil de s�curit�" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 5 ; voir �galement par. 7, 8, 9, 17 et 24).

Il n'est pas question, bien s�r, que le Tribunal international fasse fonction de tribunal constitutionnel, r�examinant les actions des autres organes des Nations Unies, en particulier celles du Conseil de s�curit�, son propre "cr�ateur". Il n'a pas �t� cr�� � cette fin, ainsi qu'il ressort clairement de la d�finition du domaine de sa comp�tence "principale" ou "au fond" d�finie dans les articles 1 � 5 de son Statut.

Mais l� n'est pas la question. La question dont est saisie la Chambre d'appel est de savoir si le Tribunal international, en exer�ant cette comp�tence "subsidiaire", peut examiner la l�galit� de sa cr�ation par le Conseil de s�curit� aux seules fins de d�terminer sa propre comp�tence "principale" quant � l'affaire dont il est saisi.

21. La Chambre de premi�re instance a cherch� � �tayer sa position en s'appuyant sur certaines remarques de la Cour internationale de Justice ou de ses juges individuels (_voir_D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 10-13) aux termes desquels :

"Il est �vident que la Cour n'a pas de pouvoirs de contr�le judiciaire ni d'appel en ce qui concerne les d�cisions prises par les organes des Nations Unies dont il s'agit". (Cons�quences juridiques pour les Etats de la pr�sence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la r�solution 276 (1970) du Conseil de s�curit�, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 89, avis consultatif du 21 juin) ("Avis consultatif sur la Namibie").

Cependant, toutes ces remarques visent l'hypoth�se o� la Cour exerce ce contr�le judiciaire comme comp�tence "principale". Elles ne concernent pas du tout l'hypoth�se d'un examen de la l�galit� des d�cisions d'autres organes en tant que comp�tence "subsidiaire", dans le but de d�finir et de pouvoir exercer leur comp�tence "principale" � l'�gard de l'affaire dont ils sont saisis. En fait, dans l'avis consultatif sur la Namibie, imm�diatement apr�s la remarque pr�cit�e et reprise par la Chambre de premi�re instance (concernant sa comp�tence "principale"), la Cour internationale de Justice exerce la m�me comp�tence "subsidiaire" que l'on analyse ici :

"La question de la l�galit� ou de la conformit� avec la Charte de la r�solution 2145 (XXI) de l'Assembl�e g�n�rale ou des r�solutions connexes du Conseil de s�curit� ne sont pas l'objet de la demande d'avis consultatif. Cependant, dans l'exercice de sa fonction judiciaire et du fait que des objections ont �t� soulev�es, la Cour examinera ces objections dans le cadre de l'expos� de ses motifs avant de d�cider des cons�quences juridiques desdites r�solutions" (id., par. 89).

La Cour internationale de Justice a proc�d� au m�me type d'examen, notamment dans son avis consultatif "Effets de jugements" :

"La l�galit� du pouvoir de l'Assembl�e g�n�rale de cr�er un tribunal comp�tent pour rendre des jugements liant les Nations Unies a �t� contest�e. En cons�quence, il convient d'examiner si la Charte a conf�r� ce pouvoir � l'Assembl�e g�n�rale" (Effets de jugements, p. 56).

De toute �vidence, plus le pouvoir discr�tionnaire du Conseil de s�curit� dans le cadre de la Charte des Nations Unies est large et plus le pouvoir du Tribunal international de r�examiner ses actions est �troit, m�me au plan de la comp�tence subsidiaire. Cela ne signifie pas, n�anmoins, que ce pouvoir dispara�t compl�tement, en particulier dans les affaires o� l'on peut observer une contradiction manifeste avec les Principes et les Buts de la Charte.

22. La Chambre d'appel conclut, par cons�quent, que le Tribunal international est comp�tent pour examiner l'exception d'incomp�tence le concernant fond�e sur l'ill�galit� de sa cr�ation par le Conseil de s�curit�.

2. La question en cause est-elle d'un caract�re politique et, par cons�quent,

non susceptible d'une d�cision judiciaire ?

23. La Chambre de premi�re instance a accept� cet argument et cette qualification (_voir_D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 24).

24. Les doctrines relatives aux "questions politiques" et "questions non susceptibles de recours judiciaire" sont des reliques des r�serves aff�rentes � la "souverainet�", � l'"honneur national" etc. dans les anciens trait�s d'arbitrage. Elles ont disparu du droit international contemporain, sauf lorsque l'argument de la "question politique" est parfois invoqu� devant la Cour internationale de Justice dans des proc�dures consultatives et, tr�s rarement aussi, dans des proc�dures contentieuses.

La Cour a constamment rejet� cet argument comme obstacle � l'examen d'une affaire. Elle consid�re qu'il n'est pas fond� en droit. Aussi longtemps que l'affaire dont elle est saisie ou que la demande d'un avis consultatif est fond�e sur une question juridique susceptible de recevoir une r�ponse juridique, la Cour se consid�re tenue d'exercer sa comp�tence � son sujet, quels que soient le contexte politique ou les autres aspects politiques de la question. Sur ce point, la Cour internationale de Justice a d�clar� dans son avis consultatif sur Certaines d�penses des Nations Unies :

"On a fait valoir que la question pos�e � la Cour touche � des questions d'ordre politique et que, pour ce motif, la Cour doit se refuser � donner un avis. Certes, la plupart des interpr�tations de la Charte des Nations Unies pr�sentent une importance politique plus ou moins grande. Par la nature des choses il ne saurait en �tre autrement. Mais la Cour ne saurait attribuer un caract�re politique � une requ�te qui l'invite � s'acquitter d'une t�che essentiellement judiciaire, � savoir l'interpr�tation d'une disposition conventionnelle" (Certaines d�penses des Nations Unies, C.I.J. Recueil 1962, p. 151�155, avis consultatif du 20 juillet).

Cette remarque s'applique presque litt�ralement � la pr�sente affaire.

25. La Chambre d'appel ne consid�re pas que le Tribunal international ne peut pas examiner l'exception d'incomp�tence de la D�fense du fait du soi-disant caract�re "politique" ou "non susceptible de recours judiciaire" de la question qu'elle soul�ve.

C. La question de la constitutionnalit�

26. L'Appelant a avanc� de nombreux arguments � l'appui de l'assertion que la cr�ation du Tribunal international est ill�gale aux termes de la Charte des Nations Unies ou qu'il n'a pas �t� d�ment cr�� par la loi. Bon nombre de ces arguments ont �t� pr�sent�s oralement et par d�positions �crites devant la Chambre de premi�re instance. L'Appelant a demand� � cette m�me Chambre d'incorporer dans l'argument pr�sent� devant la Chambre d'appel tous les points avanc�s en premi�re instance (_voir_Proc�s-verbal de l'appel, 7 septembre 1995, par. 7). En dehors des questions abord�es sp�cifiquement ci-apr�s, la Chambre d'appel n'entend pas revenir sur la fa�on dont ces questions ont �t� trait�es par la Chambre de premi�re instance.

27. La Chambre de premi�re instance a r�capitul� les demandes de l'Appelant comme suit :

"Il est avanc� que, pour �tre l�galement constitu�, le Tribunal international aurait d� �tre cr�� soit par trait�, l'acte consensuel des Etats, soit par amendement � la Charte des Nations Unies, et non par une r�solution du Conseil de s�curit�. Plusieurs consid�rations sont avanc�es � l'appui de cet argument g�n�ral : l'�tablissement d'un tribunal p�nal ad hoc n'avait jamais �t� envisag� avant la cr�ation du Tribunal international en 1993 ; l'Assembl�e g�n�rale, dont la participation aurait au moins garanti la repr�sentation de l'ensemble de la communaut� internationale, n'a pas particip� � sa cr�ation ; la Charte n'a jamais envisag� que le Conseil de s�curit� puisse, aux termes du chapitre VII, �tablir un organe judiciaire, moins encore un tribunal p�nal ; le Conseil de s�curit� a manqu� de coh�rence en cr�ant ledit Tribunal apr�s n'avoir pas pris de mesure identique dans le cadre d'autres conflits dans lesquels on a pu observer des violations du droit international humanitaire ; la cr�ation du Tribunal international n'a ni encourag�, ni �t� en mesure de promouvoir la paix internationale, comme le d�montre la situation actuelle dans l'ex-Yougoslavie ; le Conseil de s�curit� n'est pas habilit�, en tout �tat de cause, � cr�er une responsabilit� p�nale pour des individus : or c'est ce qui ressort de la cr�ation du Tribunal international ; il n'existait pas et il n'existe toujours pas d'urgence internationale qui justifie l'action du Conseil de s�curit� ; aucun organe politique comme le Conseil de s�curit� ne peut cr�er un tribunal ind�pendant et impartial ; il existe un d�faut intrins�que dans la cr�ation, apr�s coup, de tribunaux_ad hoc_ pour juger de types sp�cifiques de crimes et, enfin, conf�rer au Tribunal international la primaut� sur les juridictions nationales est, en tout �tat de cause et en soi, fondamentalement erron�" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 2).

Ces arguments soul�vent une s�rie de questions constitutionnelles qui sont toutes ax�es sur les limites du pouvoir du Conseil de s�curit� au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et la d�termination des actions ou mesures qui peuvent �tre prises aux termes de ce chapitre, en particulier la cr�ation d'un tribunal p�nal international. Sous la forme interrogative, ils se pr�sentent comme suit :

1. Existait-il r�ellement une menace contre la paix justifiant le recours au chapitre VII comme fondement juridique de la cr�ation du Tribunal international ?

2. Si l'on postule l'existence d'une telle menace, le Conseil de s�curit� �tait-il habilit�, en vue de r�tablir ou de maintenir la paix, � prendre toutes mesures de son choix ou �tait-il tenu de choisir parmi celles express�ment vis�es aux articles 41 et 42 (et, �ventuellement, � l'article 40) ?

3. Dans ce dernier cas, comment la cr�ation d'un tribunal p�nal international peut-elle se justifier, du fait qu'elle ne figure pas parmi les mesures mentionn�es dans des articles et qu'elle est d'une nature diff�rente ?

1. Le pouvoir du Conseil de s�curit� d'invoquer le chapitre VII

28. L'article 39 ouvre le chapitre VII de la Charte des Nations Unies et d�finit les conditions de son application. Il stipule :

"Le Conseil de s�curit� constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou d�cide quelles mesures seront prises conform�ment aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou r�tablir la paix et la s�curit� internationales" (Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, art. 39).

Il ressort clairement de ce texte que le Conseil de s�curit� joue un r�le pivot et exerce un tr�s large pouvoir discr�tionnaire aux termes de cet article. Mais cela ne signifie pas que ses pouvoirs sont illimit�s. Le Conseil de s�curit� est un organe d'une organisation internationale, �tablie par un trait� qui sert de cadre constitutionnel � ladite organisation. Le Conseil de s�curit� est, par cons�quent, assujetti � certaines limites constitutionnelles, aussi larges que puissent �tre ses pouvoirs tels que d�finis par la constitution. Ces pouvoirs ne peuvent pas, en tout �tat de cause, exc�der les limites de la comp�tence de l'Organisation dans son ensemble, pour ne pas mentionner d'autres limites sp�cifiques ou celles qui peuvent d�couler de la r�partition interne des pouvoirs au sein de l'Organisation. En tout �tat de cause, ni la lettre ni l'esprit de la Charte ne con�oivent le Conseil de s�curit� comme legibus solutus (�chappant � la loi).

En particulier, l'article 24, apr�s avoir d�clar�, au paragraphe 1, que les Membres des Nations Unies "conf�rent au Conseil de s�curit� la responsabilit� principale du maintien de la paix et de la s�curit� internationales", lui impose au paragraphe 3 l'obligation de pr�senter un rapport annuel (ou plus fr�quemment) � l'Assembl�e g�n�rale et pr�voit, point plus important encore, au paragraphe 2 que :

"Dans l'accomplissement de ces devoirs, le Conseil de s�curit� agit conform�ment aux buts et principes des Nations Unies. Les pouvoirs sp�cifiques accord�s au Conseil de s�curit� pour lui permettre d'accomplir lesdits devoirs sont d�finis aux chapitres VI, VII, VIII et XII" (id., art. 24 2)).

Le texte de la Charte vise donc des pouvoirs sp�cifiques et non un pouvoir absolu.

29. Quelles sont l'�tendue et, le cas �ch�ant, les limites des pouvoirs du Conseil de s�curit� aux termes de l'article 39 ?

Le Conseil de s�curit� joue un r�le central dans l'application des deux parties de l'article. C'est le Conseil de s�curit� qui constate s'il existe une des situations justifiant l'utilisation des "pouvoirs exceptionnels" du chapitre VII. Et c'est �galement le Conseil de s�curit� qui choisit la r�ponse � une telle situation : ou il pr�sente des recommandations (c'est-�-dire qu'il choisit de ne pas recourir aux pouvoirs exceptionnels mais de continuer � op�rer dans le cadre du chapitre VI ou il d�cide d'utiliser les pouvoirs exceptionnels en ordonnant des _mesures_devant �tre prises conform�ment aux articles 41 et 42 en vue de maintenir ou de r�tablir la paix et la s�curit� internationales. Les situations justifiant le recours aux pouvoirs pr�vus au chapitre VII sont "une menace contre la paix", une "rupture de la paix" ou un "acte d'agression". S'il est plus facile de donner une d�finition juridique de l'"acte d'agression", la "menace contre la paix" est davantage un concept politique. Mais la d�cision selon laquelle il existe une telle menace n'est pas totalement discr�tionnaire puisqu'elle doit rester, pour le moins, dans les limites des Buts et Principes de la Charte.

30. Il n'est pas n�cessaire, aux fins de la pr�sente d�cision, d'examiner plus avant la question des limites du pouvoir discr�tionnaire du Conseil de s�curit� pour d�cider de l'existence d'une "menace contre la paix", et ce pour deux raisons.

La premi�re est qu'un conflit arm� (ou une s�rie de conflits arm�s) se d�roulait sur le territoire de l'ex-Yougoslavie bien avant que le Conseil de s�curit� d�cide de cr�er le pr�sent Tribunal international. Si ce conflit est consid�r� comme un conflit arm� international, il est ind�niable qu'il tombe dans le champ de l'interpr�tation litt�rale de l'expression "rupture de la paix" (entre les Parties ou, pour le moins, en tant que "menace contre la paix" concernant d'autres parties).

Mais m�me s'il est consid�r� simplement comme un "conflit arm� interne", il constitue n�anmoins une "menace contre la paix" d'apr�s la pratique �tablie du Conseil de s�curit� et l'interpr�tation partag�e par les Membres des Nations Unies en g�n�ral. De fait, l'action du Conseil de s�curit� est riche de situations de guerres civiles ou de conflits internes qu'il a qualifi�es de "menace contre la paix" et r�gl�es dans le cadre du chapitre VII, avec le soutien ou � la demande de l'Assembl�e g�n�rale, comme la crise du Congo au d�but des ann�es soixante et, plus r�cemment, au Lib�ria et en Somalie. On peut donc avancer qu'il existe une interpr�tation commune, manifest�e par la "pratique ult�rieure" des Membres des Nations Unies dans leur ensemble, selon laquelle la "menace contre la paix" de l'article 39 peut inclure les conflits arm�s internes.

La deuxi�me raison, plus sp�cifique � l'affaire qui nous int�resse, est que l'Appelant a modifi� sa position par rapport � celle figurant dans le M�moire pr�sent� � la Chambre de premi�re instance. L'Appelant ne conteste plus le pouvoir du Conseil de s�curit� de d�cider si la situation dans l'ex-Yougoslavie constituait une menace contre la paix ni la d�cision proprement dite. Il reconna�t, de surcro�t, que le Conseil de s�curit� "est habilit� � s'attaquer � (sic) ces menaces (...) par des mesures appropri�es" (M�moire de la D�fense � l'appui de la notification de l'appel, 25 ao�t 1995, affaire no. IT-94-1-AR72, par. 5.1 ("M�moire en appel de la D�fense"). Mais il continue de contester la l�galit� et le caract�re appropri� des mesures choisies � cette fin par le Conseil de s�curit�.

2. Le champ des mesures envisag�es en vertu du chapitre VII

31. Une fois que le Conseil de s�curit� d�cide qu'une situation particuli�re constitue une menace contre la paix ou qu'il existe une rupture de la paix ou un acte d'agression, il est dot� d'un large pouvoir discr�tionnaire pour choisir son type d'action : comme nous l'avons observ� plus haut (voir par. 29) il peut soit continuer, malgr� sa d�cision, � agir sous forme de recommandations, c'est-�-dire comme s'il s'agissait au titre du chapitre VI ("R�glement pacifique des diff�rends"), soit toujours exercer ses pouvoirs exceptionnels au titre du chapitre VII. Pour reprendre les termes de l'article 39, il d�cide alors "quelles mesures seront prises conform�ment aux articles 41 et 42 pour maintenir ou r�tablir la paix et la s�curit� internationales" (art. 39 de la Charte des Nations Unies).

Une question se pose � cet �gard : le choix du Conseil de s�curit� est-il limit� aux mesures pr�vues aux articles 41 et 42 de la Charte (comme le sugg�re le texte de l'article 39 ), ou est-il dot� d'une plus grande discr�tion sous forme de pouvoirs g�n�raux pour maintenir et r�tablir la paix et la s�curit� au titre de l'ensemble du chapitre VII ? Dans ce dernier cas, il n'est pas n�cessaire de trouver chaque mesure prise par le Conseil de s�curit� au titre du chapitre VII dans les limites des articles 41 et 42 ou, peut-�tre, de l'article 40. En tout �tat de cause, selon ces deux interpr�tations, le Conseil de s�curit� est dot� d'un large pouvoir discr�tionnaire pour d�cider des mesures � prendre et �valuer leur caract�re ad�quat. Le texte de l'article 39 est parfaitement clair pour ce qui est de canaliser les pouvoirs tr�s larges et exceptionnels du Conseil de s�curit� au titre du chapitre VII par la voie des articles 41 et 42. Ces deux articles conf�rent un choix si large au Conseil de s�curit� qu'il est inutile de chercher, pour des motifs fonctionnels ou autres, des pouvoirs plus �tendus et plus g�n�raux que ceux pr�vus express�ment par la Charte.

Ces pouvoirs sont d'un caract�re coercitif vis-�-vis de l'Etat ou de l'organe coupable. Mais ils sont �galement contraignants vis-�-vis des autres Etats Membres, qui sont tenus de coop�rer avec l'Organisation (art. 2, par. 5 ; art. 25 et 48) et les uns avec les autres (art. 49) dans l'ex�cution de l'action ou des mesures d�cid�es par le Conseil de s�curit�.

3. La cr�ation du Tribunal international en tant que mesure prise

en vertu du chapitre VII

32. De m�me que pour la d�termination de l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression, le Conseil de s�curit� est dot� d'un tr�s large pouvoir discr�tionnaire pour choisir le type d'action appropri�e et pour �valuer le caract�re pertinent des mesures choisies ainsi que leur contribution potentielle au r�tablissement ou au maintien de la paix. Mais l� encore, ce pouvoir discr�tionnaire n'est pas illimit� ; de surcro�t, il est limit� aux mesures pr�vues aux articles 41 et 42. En fait, dans l'affaire qui nous occupe, ce dernier point sert de fondement � l'argument de l'Appelant pour ce qui est de l'ill�galit� de la cr�ation du Tribunal international.

Dans sa r�solution 827, le Conseil de s�curit� consid�re que "dans les circonstances particuli�res qui pr�valent dans l'ex-Yougoslavie", la cr�ation du Tribunal international "contribuerait � la restauration et au maintien de la paix" et pr�cise que, en le cr�ant, le Conseil de s�curit� agissait en vertu du chapitre VII (C.S. Res. 827, Document des Nations Unies S/RES/827 (1993)). Cependant, il n'a pas pr�cis� d'article particulier comme fondement � son action.

L'Appelant a attaqu� la l�galit� de cette d�cision � diff�rents stades devant la Chambre de premi�re instance ainsi que devant la pr�sente Chambre en s'appuyant au moins sur trois motifs

a) la cr�ation d'un tel tribunal n'a jamais �t� envisag�e par les auteurs de la Charte comme l'une des mesures devant �tre adopt�e en vertu du chapitre VII, ainsi qu'en t�moigne le fait qu'elle ne figure nulle part dans les dispositions dudit chapitre et, plus particuli�rement, aux articles 41 et 42 qui d�taillent ces mesures ;

b) le Conseil de s�curit� est, constitutionnellement ou fondamentalement, incapable de cr�er un organe judiciaire puisqu'il est con�u d'apr�s la Charte comme un organe ex�cutif, qui n'est donc pas dot� de pouvoirs judiciaires pouvant �tre exerc�s par l'interm�diaire d'un organe subsidiaire ;

c) la cr�ation du Tribunal international n'a ni encourag� ni �t� en mesure de promouvoir la paix internationale, comme le d�montre la situation actuelle dans l'ex-Yougoslavie.

a) Quel article du chapitre VII sert de fondement � la cr�ation d'un Tribunal ?

33. La cr�ation d'un tribunal p�nal international n'est pas express�ment mentionn�e parmi les mesures de coercition pr�vues au chapitre VII et plus particuli�rement aux articles 41 et 42.

De toute �vidence, la cr�ation du Tribunal international n'est pas une mesure prise en vertu de l'article 42, puisque ce dernier vise des mesures de caract�re militaire, impliquant l'usage de la force arm�e. Elle ne peut pas non plus �tre consid�r�e comme une "mesure provisoire" au titre de l'article 40. Ces mesures, comme l'indique leur d�nomination, ont pour but d'agir en tant qu'"op�ration d�fensive", de produire un "statu quo" ou un "d�lai de r�flexion", sans qu'elles "pr�jugent en rien les droits, les pr�tentions ou la position des parties int�ress�es" (art. 40 de la Charte des Nations Unies). Elles s'apparentent davantage � une action de police d'urgence qu'� l'activit� d'un organe judiciaire dispensant la justice conform�ment au droit. De plus, n'�tant pas des mesures de coercition, d'apr�s le texte de l'article 40 lui-m�me ("avant de faire les recommandations ou de d�cider des mesures � prendre conform�ment � l'article 39"), ces mesures provisoires sont assujetties aux limites de l'article 2, paragraphe 7 de la Charte et la question de leur caract�re obligatoire ou de recommandation fait l'objet d'une vive controverse ; le Tribunal international ne saurait donc avoir �t� cr�� au titre de ces mesures.

34. De prime abord, le Tribunal international correspond parfaitement � la description � l'article 41 des "mesures n'impliquant pas l'emploi de la force arm�e". L'Appelant a soutenu, cependant, devant la Chambre de premi�re instance et la pr�sente Chambre d'appel que :

"... il est clair que la cr�ation d'un tribunal pour crimes de guerre n'�tait pas vis�e. Les exemples mentionn�s dans ledit article se concentrent sur des mesures �conomiques et politiques et ne sugg�rent aucunement des mesures judiciaires" (M�moire � l'appui de l'exception pr�judicielle d'incomp�tence du Tribunal pr�sent�e par la D�fense devant la Chambre de premi�re instance du Tribunal international, 23 juin 1995, affaire no. IT-94-1-T, par. 3.2.1 ("M�moire de la D�fense en instance")).

Il a �galement �t� avanc� que les mesures envisag�es au titre de l'article 41 sont toutes des mesures devant �tre appliqu�es par les Etats Membres, ce qui n'est pas le cas avec la cr�ation du Tribunal international.

35. Le premier argument ne tient pas. L'article 41 est r�dig� comme suit :

"Le Conseil de s�curit� peut d�cider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force arm�e doivent �tre prises pour donner effet � ses d�cisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies � appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption compl�te ou partielle des relations �conomiques et des communications ferroviaires, maritimes, a�riennes, postales, t�l�graphiques, radio-�lectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques" (art. 41 de la Charte des Nations Unies).

Il est �vident que les mesures vis�es � l'article 41 constituent simplement des exemplesillustratifs qui, manifestement, n'excluent pas d'autres mesures. L'article exige simplement qu'elles ne fassent pas appel � "l'emploi de la force arm�e". C'est une d�finition n�gative.

Le fait que les exemples ne mentionnent pas de mesures judiciaires se rapproche de l'autre argument, � savoir que l'article n'envisage pas l'application de mesures institutionnelles directement par les Nations Unies par l'interm�diaire de l'un de leurs organes mais, comme le sugg�rent les exemples donn�s, uniquement des actions prises par les Etats Membres, comme des sanctions �conomiques (coordonn�es, �ventuellement, par un organe de l'institution). Cependant, comme mentionn� plus haut, rien dans l'article ne sugg�re que les mesures sont limit�es � celles appliqu�es par les Etats. L'article prescrit uniquement les caract�ristiques que ces mesures ne peuvent pas rev�tir. Il ne dit ni ne sugg�re ce qu'elles doivent �tre.

De surcro�t, m�me une simple analyse litt�rale de l'article indique que le premier membre de la premi�re phrase comporte une prescription tr�s g�n�rale qui peut concilier � la fois une action institutionnelle et celle d'Etats Membres. Le deuxi�me membre de cette m�me phrase peut �tre interpr�t� comme se r�f�rant particuli�rement � une esp�ce de cette tr�s large cat�gorie de mesures vis�e dans le premier membre, mais pas n�cessairement la seule, � savoir les mesures appliqu�es directement par les Etats. Il est clair �galement que la deuxi�me phrase commence avec "celles-ci" et non "celles-l�" et se rapporte aux "esp�ces" mentionn�es dans la deuxi�me phrase plut�t qu'au "genre" vis� dans le premier membre de la premi�re phrase.

36. Logiquement, si l'Organisation peut prendre des mesures qui doivent �tre appliqu�es par l'interm�diaire de ses Membres, elle peut, a fortiori, prendre des mesures qu'elle peut appliquer directement par le canal de ses propres organes, s'il se trouve qu'elle en a les ressources. Seul le manque de ressources contraint les Nations Unies � agir par l'interm�diaire de leurs Etats Membres. Mais le fait qu'elles soient appliqu�es collectivement rel�ve de l'essence m�me des "mesures collectives". L'action entreprise par les Etats Membres pour le compte de l'Organisation n'est qu'un pis-aller, faute de mieux. C'est �galement le cas de l'article 42 relatif aux mesures impliquant l'emploi de la force arm�e.

Pour r�capituler, la cr�ation du Tribunal international rel�ve ind�niablement des pouvoirs du Conseil de s�curit� en vertu de l'article 41.

b) Le Conseil de s�curit� peut-il �tablir un organe subsidiaire dot�

**de pouvoirs judiciaires ?

37. L'argument selon lequel le Conseil de s�curit�, n'�tant pas dot� de pouvoirs judiciaires, ne peut pas cr�er un organe subsidiaire qui en serait pourvu est insoutenable ; il r�sulte d'une erreur de compr�hension fondamentale du cadre constitutionnel de la Charte.

De toute �vidence, le Conseil de s�curit� n'est pas un organe judiciaire et il n'est pas dot� de pouvoirs judiciaires (bien qu'il puisse subsidiairement r�aliser certaines activit�s quasi-judiciaires comme rendre des d�cisions ou des conclusions). Sa fonction primordiale est le maintien de la paix et de la s�curit� internationales, dont il s'acquitte en exer�ant des pouvoirs de d�cision et d'ex�cution.

38. La cr�ation du Tribunal international par le Conseil de s�curit� ne signifie pas, cependant, qu'il lui a d�l�gu� certaines de ses propres fonctions ou l'exercice de certains de ses propres pouvoirs. Elle ne signifie pas non plus, a contrario, que le Conseil de s�curit� usurpe une partie d'une fonction judiciaire qui ne lui appartient pas mais qui, d'apr�s la Charte, rel�ve d'autres organes des Nations Unies. Le Conseil de s�curit� a recouru � la cr�ation d'un organe judiciaire sous la forme d'un tribunal p�nal international comme un instrument pour l'exercice de sa propre fonction principale de maintien de la paix et de la s�curit�, c'est-�-dire comme une mesure contribuant au r�tablissement et au maintien de la paix dans l'ex-Yougoslavie.

L'Assembl�e g�n�rale n'a pas eu besoin d'�tre dot�e de fonctions et de pouvoirs militaires et policiers pour pouvoir cr�er la Force d'Urgence des Nations Unies au Moyen Orient ("FUNU") en 1956. Pas plus qu'elle n'a eu besoin d'�tre un organe judiciaire dot� de fonctions et de pouvoirs judiciaires pour �tre en mesure d'�tablir le Tribunal administratif des Nations Unies. Dans son avis consultatif rendu dans l'affaire Effets de jugements, la Cour internationale de Justice, r�pondant pratiquement � la m�me objection, a d�clar� :

"La Charte ne conf�re pas de fonctions judiciaires � l'Assembl�e g�n�rale (...). En cr�ant le Tribunal administratif, l'Assembl�e g�n�rale ne d�l�guait pas l'exercice de ses propres fonctions : elle exer�ait son pouvoir aux termes de la Charte de r�glementer les relations du personnel" (Effets de jugements, p. 61).

c) La cr�ation du Tribunal international fut-elle une mesure appropri�e?

39. Le troisi�me argument vise le pouvoir discr�tionnaire du Conseil de s�curit� au plan de l'�valuation du caract�re appropri� de la mesure choisie et de son efficacit� dans la r�alisation de son objectif, le r�tablissement de la paix.

L'article 39 laisse le choix des moyens et leur �valuation au Conseil de s�curit�, qui b�n�ficie de larges pouvoirs discr�tionnaires � cet �gard ; et il n'aurait pas pu en �tre autrement, ce choix demandant une �valuation politique de situations extr�mement complexes et fluctuantes.

Ce serait une erreur de conception totale sur ce que sont les crit�res de l�galit� et de validit� en droit que de tester la l�galit� de ces mesures _ex post facto_par leur succ�s ou leur �chec � atteindre leurs objectifs (dans le cas pr�sent, le r�tablissement de la paix dans l'ex-Yougoslavie dans le cadre duquel la cr�ation du Tribunal international n'est que l'une de nombreuses mesures adopt�es par le Conseil de s�curit�).

40. Pour les raisons susmentionn�es, la Chambre d'appel consid�re que le Tribunal international a �t� l�galement cr�� comme mesure prise en vertu du chapitre VII de la Charte.

4. La cr�ation du Tribunal international contrevient-elle au principe g�n�ral

selon lequel les tribunaux doivent �tre "�tablis par la loi" ?

41. L'Appelant conteste la cr�ation du Tribunal international en all�guant qu'il n'a pas �t� �tabli par la loi. Le droit d'une personne � ce qu'une accusation p�nale port�e contre elle soit entendue par un tribunal �tabli par la loi est �nonc� � l'article 14, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il stipule :

"...Toute personne a droit � ce que sa cause soit entendue �quitablement et publiquement par un tribunal comp�tent, ind�pendant et impartial, �tabli par la loi, qui d�cidera soit du bien-fond� de toute accusation en mati�re p�nale dirig�e contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caract�re civil".

On rel�ve des dispositions identiques dans l'article 6 1) de la Convention europ�enne des droits de l'homme, qui �nonce :

"Toute personne a droit � ce que sa cause soit entendue �quitablement, publiquement et dans un d�lai raisonnable, par un tribunal ind�pendant et impartial, �tabli par la loi, qui d�cidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caract�re civil, soit du bien-fond� de toute accusation en mati�re p�nale dirig�e contre elle" (Convention europ�enne de sauvegarde des droits de l'homme et des libert�s fondamentales, 4 novembre 1950, art. 6, par. 1, 213 U.N.T.S. 222 ("CEDH")).

ainsi qu'� l'article 8 1) de la Convention am�ricaine des droits de l'homme, qui d�clare :

"Toute personne a droit � ce que sa cause soit entendue, avec les garanties appropri�es et dans un d�lai raisonnable, par un tribunal comp�tent, ind�pendant et impartial, ant�rieurement �tabli par la loi" (Convention am�ricaine des droits de l'homme, 22 novembre 1969, art. 8, par. 1, s�rie des Trait�s de l'OEA, no. 36, O.A.S Off. Rec. OEA/Ser. L/V/II.23 doc R�v. 2 ("ACHR")).

L'Appelant soutient que le droit � ce qu'une accusation p�nale soit entendue par un tribunal �tabli par la loi fait partie du droit international au titre des "principes g�n�raux du droit reconnus par les nations civilis�es", l'une des sources du droit international mentionn�es � l'article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice. A l'appui de cette all�gation, l'Appelant souligne le caract�re fondamental des garanties d'un "proc�s impartial" ou "d'une proc�dure r�guli�re" vis�es dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention europ�enne des droits de l'homme et la Convention am�ricaine des droits de l'homme. L'Appelant soutient qu'il s'agit de conditions minima en droit international pour l'administration de la justice p�nale.

42. Pour les raisons expos�es bri�vement ci-apr�s, l'Appelant n'a pas convaincu la pr�sente Chambre que les conditions �nonc�es dans ces trois conventions doivent s'appliquer non seulement dans le contexte des syst�mes juridiques nationaux mais aussi dans le cadre des instances se d�roulant devant un tribunal international. La pr�sente Chambre est, cependant, convaincue que le principe selon lequel un tribunal doit �tre �tabli par la loi, comme expliqu� ci-dessous, est un principe g�n�ral du droit imposant une obligation internationale qui ne s'applique qu'� l'administration de la justice p�nale dans un cadre national. D'apr�s ce principe, tous les Etats sont tenus d'organiser leur justice p�nale de mani�re � garantir � toutes les personnes le droit � ce qu'une accusation p�nale soit entendue par un tribunal �tabli par la loi. Cela ne signifie pas cependant qu'� l'oppos�, un tribunal p�nal international pourrait �tre cr�� par le simple caprice d'un groupe de gouvernements. Un tel tribunal doit trouver racine dans la r�gle de droit et offrir toutes les garanties figurant dans les instruments internationaux pertinents. On peut alors dire que le tribunal est "�tabli par la loi".

43. En fait, il existe trois interpr�tations possibles de l'expression "�tabli par la loi". Premi�rement, comme le soutient l'Appelant, elle pourrait signifier �tabli par un organe l�gislatif. L'Appelant all�gue que le Tribunal international est le produit "d'une simple d�cision d'un organe ex�cutif" et non d'un "processus de d�cision sous contr�le d�mocratique, n�cessaire pour cr�er un organe judiciaire dans une soci�t� d�mocratique". Par cons�quent, l'Appelant maintient que le Tribunal international n'a pas �t� "�tabli par la loi" (M�moire en appel de la D�fense, par. 5.4).

La jurisprudence appliquant l'expression "�tabli par la loi" dans la Convention europ�enne des droits de l'homme a favoris� cette interpr�tation. Cette jurisprudence confirme l'opinion que la disposition pertinente vise � assurer que, dans une soci�t� d�mocratique, les tribunaux ne d�pendent pas du pouvoir discr�tionnaire de l'ex�cutif ; ils doivent plut�t �tre r�glement�s par la loi �manant du Parlement (voir Zand c/ Autriche, app. no. 7360/76, 15 Eur. Comm'n H.R. Dec. & Rep. 70, par. 80 (1979) ; Piersack c/ Belgique, app. no. 8692/79, 47 Eur. Ct. H.R. (ser. B) par. 12 (1981) ; Crociani, Palmiotti, Tanassi et D'Ovidio c/ Italie, app. nos 8603/79, 8722/79 & 8729/79 (conjoint) 22 Eur. Comm'n H.R. De. & Rep. 147, par. 219 (1981)).

Ou bien, pr�sent� d'une autre fa�on, la garantie a pour but d'assurer que l'administration de la justice n'est pas une question laiss�e au pouvoir discr�tionnaire de l'ex�cutif mais qu'elle est r�gie par la l�gislation adopt�e par l'organe l�gislatif.

Il est clair que la s�paration des pouvoirs entre le l�gislatif, l'ex�cutif et le judiciaire, qui est largement retenue dans la plupart des syst�mes nationaux, ne s'applique pas au cadre international ni, plus sp�cifiquement, au cadre d'une organisation internationale comme les Nations Unies. La r�partition des trois fonctions judiciaire, ex�cutive et l�gislative entre les principaux organes des Nations Unies n'est pas clairement tranch�e. S'agissant de la fonction judiciaire, la Cour internationale de Justice est, de toute �vidence, l'"organe judiciaire principal" (voir Charte des Nations Unies, art. 92). Il n'existe pas, cependant, d'organe l�gislatif dans l'acception technique du terme dans le syst�me des Nations Unies et, plus g�n�ralement, pas de Parlement dans la communaut� mondiale. Cela signifie qu'il n'existe pas d'organe officiellement habilit� � promulguer des lois ayant un effet contraignant direct sur des sujets juridiques internationaux.

Il est, de toute �vidence, impossible de classer les organes des Nations Unies en fonction de la r�partition pr�cit�e qui existe dans le droit interne des Etats. En fait, l'Appelant est convenu que la structure constitutionnelle des Nations Unies ne suit pas la s�paration des pouvoirs que l'on observe souvent dans les constitutions nationales. En cons�quence, l'�l�ment "s�paration des pouvoirs" de la condition qu'un tribunal soit "�tabli par la loi" ne s'applique pas en droit international. Le principe susmentionn� ne peut imposer d'obligation qu'aux Etats en ce qui concerne le fonctionnement de leurs propres syst�mes nationaux.

44. Une deuxi�me interpr�tation possible est que l'expression "�tabli par la loi" vise la cr�ation de tribunaux internationaux par un organe qui, bien que n'�tant pas un Parlement, est n�anmoins dot� du pouvoir limit� de prendre des d�cisions contraignantes. A notre avis, le Conseil de s�curit� est l'un de ces organes quand, agissant au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, il prend des d�cisions contraignantes en vertu de l'article 25 de la Charte.

Toutefois, selon l'Appelant, il faut quelque chose de plus pour qu'un tribunal soit "�tabli par la loi". L'Appelant all�gue que les diff�rences entre le syst�me des Nations Unies et la s�paration nationale des pouvoirs examin�es ci-dessus am�nent � conclure que le Syst�me des Nations Unies n'est pas habilit� � cr�er le Tribunal international � moins d'un amendement � la Charte des Nations Unies. Nous rejetons cet argument. Le fait que les Nations Unies ne soient pas dot�es d'un organe l�gislatif ne signifie pas que le Conseil de s�curit� n'est pas habilit� � cr�er le pr�sent Tribunal international s'il agit conform�ment � des pouvoirs conf�r�s par sa propre constitution, la Charte des Nations Unies. Nous venons de le voir (par. 28-40), nous sommes d'avis que le Conseil de s�curit� est dot� du pouvoir de cr�er le pr�sent Tribunal international comme une mesure prise en vertu du chapitre VII suite � sa d�cision selon laquelle il existe une menace contre la paix.

De plus, la cr�ation du Tribunal international a �t� approuv�e et soutenue � maintes reprises par l'organe "repr�sentatif" des Nations Unies, l'Assembl�e g�n�rale ; cet organe a non seulement particip� � sa cr�ation, en �lisant les juges et en adoptant son budget mais a aussi encourag� les activit�s du Tribunal international et exprim� sa satisfaction � leur �gard dans diverses r�solutions (voir A.G. Res. 48/88 (20 d�cembre 1993) et A.G. Res. 48/143 (20 d�cembre 1993), A.G. Res. 49/10 (8 novembre 1994) et A.G. Res. 49/205 (23 d�cembre 1994)).

45. La troisi�me interpr�tation possible de la condition que le Tribunal international soit "�tabli par la loi" est que sa cr�ation doit �tre conforme � la r�gle de droit. Cela semble �tre l'interpr�tation la plus raisonnable et la plus probable de l'expression dans le contexte du droit international. Pour qu'un tribunal comme celui-ci soit cr�� conform�ment � la r�gle de droit, il doit �tre �tabli conform�ment aux normes internationales appropri�es ; il doit offrir toutes les garanties d'�quit�, de justice et d'impartialit�, en toute conformit� avec les instruments internationalement reconnus relatifs aux droits de l'homme.

Cette interpr�tation de la garantie qu'un tribunal est "�tabli par la loi" est confirm�e par une analyse du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ainsi qu'il est not� par la Chambre de premi�re instance, quand l'article 14 du Pacte a �t� r�dig�, on a cherch�, sans succ�s, � le modifier pour exiger que les tribunaux soient "pr�-�tablis" par la loi et pas simplement "�tablis par la loi" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 34). Deux propositions identiques ont �t� pr�sent�es � cet effet (une par le repr�sentant du Liban et l'autre par le repr�sentant du Chili) ; si l'amendement avait �t� adopt�, son effet aurait �t� d'emp�cher la cr�ation de tous les tribunaux ad hoc. En r�ponse, le d�l�gu� des Philippines a not� les inconv�nients d'utiliser l'expression "pr�-�tabli par la loi" :

"Si la proposition chilienne ou libanaise est adopt�e, un pays ne sera jamais en mesure de r�organiser ses tribunaux. De m�me, on pourrait soutenir que le tribunal de Nuremberg n'existait pas � l'�poque � laquelle les criminels de guerre commettaient leurs crimes" (voir E/CN.4/SR 109. Conseil �conomique et social des Nations Unies, Commission des droits de l'homme, 5e session, Sum. Rec. 8 juin 1949, Document des Nations Unies 6).

Comme l'a observ� la Chambre de premi�re instance dans sa d�cision, les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo sont g�n�ralement consid�r�s comme ayant donn� aux accus�s un proc�s globalement �quitable au sens proc�dural du terme sur la plupart des points (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 34). Le point important pour d�terminer si un tribunal a �t� "�tabli par la loi" n'est pas de savoir s'il a �t� pr�-�tabli ou �tabli dans un but ou pour une situation sp�cifiques ; ce qui importe, c'est qu'il soit �tabli par un organe comp�tent dans le respect des proc�dures juridiques pertinentes et qu'il observe les exigences de l'�quit� proc�durale.

Cette pr�occupation � l'�gard des tribunaux ad hoc qui op�rent de fa�on � ne pas assurer aux personnes traduites devant eux les garanties d'un proc�s �quitable sous-tend �galement l'interpr�tation par le Comit� des droits de l'homme des Nations Unies de l'expression "�tabli par la loi" figurant � l'article 14, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ledit Comit� n'a pas d�cid� que les tribunaux "extraordinaires" ou les cours "sp�ciales" sont incompatibles avec la condition selon laquelle les tribunaux doivent �tre �tablis par la loi mais il a �t� d'avis que la disposition vise � assurer que toute juridiction, qu'elle soit "sp�ciale" ou non, offre v�ritablement � l'accus� les garanties int�grales d'un proc�s �quitable pr�vues � l'article 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques (voir Commentaires g�n�raux sur l'article 14, H.R. Comm., 43e session, supp. no. 40, par. 4, Document des Nations Unies A/43/40 (1988), Cariboni c/ Uruguay H.R. Comm. 159/83, 39e session, supp. no. 40, Document des Nations Unies A/39/40). Une approche identique a �t� adopt�e par la Commission inter-am�ricaine (voir, par exemple, Inter-Am C.H.R, Rapport annuel 1972, OAS/Ser. P, AG/doc. 305/73 rev. 1, 14 mars 1973, p. 1 ; Inter-Am C.H.R., Rapport annuel 1973, OAS/Ser. P, AG/doc. 409/174, 5 mars 1974, p. 2-4). La pratique du Comit� des droits de l'homme relative au devoir des Etats de pr�senter des rapports sur leurs obligations indique sa tendance � examiner attentivement les tribunaux p�naux "extraordinaires" ou "sp�ciaux" dans le but de s'assurer qu'ils garantissent le respect des conditions d'un proc�s �quitable pr�vues � l'article 14.

46. Un examen du Statut du Tribunal international et du R�glement de proc�dure et de preuve adopt� conform�ment au Statut invite � conclure qu'il a �t� �tabli conform�ment � la r�gle de droit. Les garanties d'un proc�s �quitable pr�vues � l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont �t� adopt�es presque verbatim � l'article 21 du Statut. D'autres garanties d'un proc�s �quitable figurent dans le Statut et dans le R�glement de proc�dure et de preuve. Par exemple, l'article 13, paragraphe 1 du Statut assure la haute moralit�, l'impartialit�, l'int�grit� et la comp�tence des juges du Tribunal international tandis que diverses autres dispositions du R�glement garantissent l'�galit� des parties et un proc�s �quitable.

47. En conclusion, la Chambre d'appel est d'avis que le Tribunal international a �t� �tabli conform�ment aux proc�dures appropri�es dans le cadre de la Charte des Nations Unies et offre toutes les garanties n�cessaires � un proc�s �quitable. Il a, par cons�quent, �t� "�tabli par la loi".

48. Le premier moyen d'appel, la cr�ation ill�gale du Tribunal international, est donc rejet�.

III. EXERCICE ABUSIF DE LA PRIMAUT� DU TRIBUNAL INTERNATIONAL SUR LES JURIDICTIONS NATIONALES COMP�TENTES

49. Le deuxi�me moyen d'appel conteste la primaut� du Tribunal international sur les juridictions internes.

50. Cette primaut� est �tablie par l'article 9 du Statut du Tribunal international, qui stipule :

"Comp�tences concurrentes

1. Le Tribunal international et les juridictions internes sont concurremment comp�tents pour juger les personnes pr�sum�es responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis le 1er janvier 1991.

2. Le Tribunal international a la primaut� sur les juridictions internes. A tout stade de la proc�dure, il peut demander officiellement aux juridictions internes de se dessaisir en sa faveur, conform�ment au pr�sent Statut et � son R�glement". (Accentuation ajout�e.)

L'all�gation de l'Appelant est pertinente puisqu'il doit �tre traduit en justice devant le pr�sent Tribunal international du fait d'une demande de d�f�rement que le Tribunal a pr�sent� au gouvernement de la R�publique f�d�rale d'Allemagne le 8 novembre 1994 et que ce dernier, comme il y �tait tenu, a accept� d'honorer en transf�rant l'Appelant au Tribunal international (Charte des Nations Unies, art. 25, 48 et 49 ; Statut du Tribunal, art. 29.2 e) ; R�glement de proc�dure et de preuve, article 10).

L'Appelant all�gue notamment dans son exception pr�judicielle : "La primaut� (du Tribunal international) sur les juridictions internes porte atteinte � la souverainet� des Etats directement concern�s" (Exception pr�judicielle d'incomp�tence du Tribunal soulev�e par la D�fense, 25 juin 1995, affaire no. IT-94-1-T, par. 2).

Le M�moire de l'Appelant � l'appui de l'exception pr�judicielle soulev�e devant la Chambre de premi�re instance �tait plus d�taill� et s'articulait autour de trois titres :

a) comp�tence nationale ;

b) souverainet� des Etats ;

c) jus de non evocando.

Le Procureur a contest� chacun des points avanc�s par l'Appelant. Il en a �t� de m�me de deux des amici curiae, l'un devant la Chambre de premi�re instance, l'autre en appel.

La Chambre de premi�re instance a analys� les arguments de l'Appelant et a conclu qu'ils n'�taient pas justifi�s.

51. Devant la pr�sente Chambre, l'Appelant a quelque peu d�plac� l'axe de son approche en faveur de la question de la primaut�. Il semble appropri� de citer ici le M�moire en appel de la D�fense :

"La D�fense soutient que la Chambre de premi�re instance aurait d� se d�clarer incomp�tente � exercer la comp�tence principale alors que l'accus� �tait traduit en justice en R�publique f�d�rale d'Allemagne et que les autorit�s allemandes s'acquittaient comme il convient de leurs obligations au titre du droit international" (M�moire en appel de la D�fense, par. 7.5).

Cependant, la Chambre de premi�re instance a examin� en d�tail les trois points soulev�s devant elle et, bien qu'ils ne soient pas express�ment invoqu�s ici par l'Appelant, ils sont n�anmoins intimement li�s � la question de la primaut�. La Chambre d'appel se propose, par cons�quent, de se pencher sur ces trois points mais pas avant d'avoir dissip� une apparente confusion qui s'est immisc�e dans le M�moire de l'Appelant.

52. Au paragraphe 7.4 de son M�moire, l'Appelant d�clare que "les autorit�s judiciaires allemandes poursuivaient l'accus� avec diligence" (id. au par. 7.4 (accentuation ajout�e)). Au paragraphe 7.5, l'Appelant revient sur la p�riode pendant laquelle "l'accus� �tait traduit en justice" (id. au par. 7.5 (accentuation ajout�e)).

Ces d�clarations ne concordent pas avec les observations de la Chambre de premi�re instance I dans sa d�cision du 8 novembre 1994 sur le dessaisissement :

"Le Procureur affirme, et cela n'est contest� ni par le gouvernement de la R�publique f�d�rale d'Allemagne, ni par le Conseil de Dusko Tadic, que ledit Dusko Tadic fait l'objet d'une enqu�te ouverte par les institutions judiciaires internes de la R�publique f�d�rale d'Allemagne concernant les accusations figurant au paragraphe 2 des pr�sentes" (D�cision de la Chambre de premi�re instance sur la requ�te introduite par le Procureur aux fins de demander officiellement le dessaisissement en faveur du Tribunal international dans l'affaire Dusko Tadic, 8 novembre 1994, affaire no. IT-94-1-D, par. 8 (accentuation ajout�e)).

La diff�rence est nette entre l'enqu�te et le proc�s. L'argument de l'Appelant, fond� erron�ment sur l'existence d'un proc�s effectif en Allemagne, ne peut pas �tre entendu � l'appui de son exception d'incomp�tence alors que la question n'a pas encore d�pass� la phase de l'instruction. Mais il y a plus encore. L'Appelant insiste, � maintes reprises (voir M�moire en appel de la D�fense, par. 7.2 et 7.4) sur une proc�dure impartiale et ind�pendante poursuivie avec diligence et ne visant pas � soustraire l'accus� � sa responsabilit� p�nale internationale. On reconna�t imm�diatement que ce vocabulaire est emprunt� � l'article 10, paragraphe 2 du Statut. Cette disposition n'a rien � voir avec la pr�sente affaire. Il ne s'agit pas d'un accus� qui est de nouveau jug� par le pr�sent Tribunal international dans le cadre des circonstances exceptionnelles d�crites � l'article 10 du Statut. En fait, les poursuites contre l'Appelant ont �t� d�f�r�es au Tribunal international en vertu de l'article 9 du Statut qui pr�voit qu'une demande de dessaisissement peut avoir lieu "� tout stade de la proc�dure" (Statut du Tribunal international, art. 9, par. 2). Le Procureur n'a jamais cherch� � traduire l'Appelant devant le Tribunal international pour un nouveau proc�s pour la simple raison que l'une ou l'autre des conditions �num�r�es � l'article 10 aurait vici� son proc�s en Allemagne. Le d�f�rement des poursuites contre l'Appelant a �t� sollicit� conform�ment � la proc�dure pr�vue � l'article 9 iii) :

"L'objet de la proc�dure porte sur des faits ou des points de droit qui ont une incidence sur des enqu�tes ou des poursuites en cours devant le Tribunal (...)" (R�glement de proc�dure et de preuve, art. 9 iii)).

La demande de dessaisissement a suivi automatiquement la conclusion de la Chambre de premi�re instance que cette condition �tait remplie. Les conditions all�gu�es par l'Appelant dans son M�moire ne sont pas pertinentes.

Une fois cette approche rectifi�e, les arguments de l'Appelant perdent tout m�rite.

53. Comme nous l'avons fait observer plus haut, cependant, le M�moire en appel de la D�fense se r�f�re clairement � trois arguments sp�cifiques avanc�s devant la Chambre de premi�re instance. Il serait peu recommand� d'�carter ce moyen fond� sur la primaut� sans accorder � ces questions toute l'attention qu'elles m�ritent.

La Chambre se propose maintenant d'examiner ces trois points dans l'ordre o� ils ont �t� soulev�s par l'Appelant.

A. Comp�tence nationale

54. L'Appelant a soutenu en premi�re instance que :

"A compter du moment o� la Bosnie-Herz�govine �tait reconnue comme Etat ind�pendant, elle �tait comp�tente pour cr�er des juridictions en vue de juger les crimes commis sur son territoire" (M�moire en appel de la D�fense, par. 5).

L'Appelant a ajout� que :

"De fait, l'Etat de Bosnie-Herz�govine exerce bien sa comp�tence, non seulement dans les questions relevant du droit p�nal commun mais aussi dans celles int�ressant des violations pr�sum�es de crimes contre l'humanit� comme, par exemple, dans les poursuites contre M. Karadzic et al." (id., par. 5.2).

Le premier point n'est pas contest� et le Procureur l'a admis. Mais il ne r�gle pas, en lui-m�me, la question de la primaut� du Tribunal international. L'Appelant semble �galement s'en rendre compte. En cons�quence, il approfondit davantage la question et soul�ve celle de la souverainet� de l'Etat.

B. Souverainet� des Etats

55. L'article 2 de la Charte des Nations Unies pr�voit au paragraphe 1 : "L'Organisation est fond�e sur le principe de l'�galit� souveraine de tous ses Membres".

Selon l'Appelant, aucun Etat ne peut s'attribuer la comp�tence de poursuivre des crimes commis sur le territoire d'un autre Etat, � moins d'un int�r�t universel "justifi� par un trait� ou le droit international coutumier ou une _opinio juris_sur la question" (M�moire de la D�fense en premi�re instance, par. 6.2).

L'Appelant s'appuie sur cette proposition pour soutenir que les m�mes conditions devraient �tayer la cr�ation d'un tribunal international destin� � s'immiscer dans un domaine relevant essentiellement de la comp�tence interne des Etats. Dans le cas pr�sent, le principe de la souverainet� de l'Etat aurait �t� viol�. La Chambre de premi�re instance a rejet� cet argument, soutenant, notamment :

"En tout �tat de cause, l'accus� n'�tant pas un Etat, manque du _locus standi_pour soulever la question de la primaut�, qui fait valoir qu'il est port� atteinte � la souverainet� d'un Etat, un argument que seul un Etat peut invoquer ou auquel il peut seul renoncer et un droit dans le cadre duquel, clairement, l'accus� ne peut pas se substituer � l'Etat" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 41).

La Chambre de premi�re instance s'est appuy�e sur le jugement du Tribunal de district de J�rusalem dans Isra�l c/ Eichmann :

"Le droit de plaider la violation de la souverainet� de l'Etat est le droit exclusif de l'Etat. Seul un Etat souverain peut invoquer l'argument ou y renoncer et l'accus� n'a aucun droit � se substituer � l'Etat" (36 International Law Reports 5, 62 (1961), confirm� par la Cour supr�me d'Isra�l, 36 International Law Reports 277 (1962)).

Un principe semblable a �t� r�guli�rement confirm� dans de nombreuses affaires, plus r�cemment aux Etats-Unis d'Am�rique dans l'affaire Etats-Unis c/ Noriega :

"Un principe g�n�ral de droit international est que les personnes physiques n'ont aucune comp�tence pour contester les violations des trait�s internationaux en l'absence d'une protestation de l'Etat souverain int�ress�" (746 F. Supp. 1506, 1533 (S.D. Fla. 1990)).

Quelle que soit leur autorit�, ces d�clarations n'ont pas, dans le domaine du droit international, le poids qu'elles peuvent exercer sur les juridictions nationales. La souverainet� �tait autrefois un attribut sacro-saint et inattaquable de l'Etat mais ce concept a r�cemment souffert d'une �rosion progressive sous l'influence des forces plus lib�rales actives dans les soci�t�s d�mocratiques, en particulier dans le domaine des droits de l'homme.

Quelle que soit la situation au plan des litiges internes, la doctrine traditionnelle, confirm�e et retenue par la Chambre de premi�re instance, ne peut se concilier, devant le pr�sent Tribunal international, avec l'opinion qu'un accus�, ayant droit � une d�fense totale, ne saurait �tre priv� d'un argument si intimement li� au droit international et fond� sur ce droit, comme moyen de d�fense fond� sur la violation de la souverainet� de l'Etat. Interdire � un accus� de soulever un tel argument revient � d�cider que, � notre �poque, un tribunal international ne peut pas, dans une affaire p�nale mettant en jeu la libert� de l'accus�, examiner un argument soulevant la question de la violation de la souverainet� de l'Etat. Une conclusion aussi �tonnante impliquerait une contradiction dans les termes que la pr�sente Chambre consid�re comme son devoir de r�futer et de r�soudre.

56. Le droit de l'Appelant � invoquer la souverainet� de l'Etat ne signifie pas, bien s�r, que son argument doit �tre accept�. Il doit s'acquitter avec succ�s de son obligation de d�monstration. Son argument se heurte � plusieurs obstacles, chacun d'eux pouvant �tre fatal ainsi que la Chambre de premi�re instance l'a constat�.

L'Appelant peut s'appuyer sur l'article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies : "Aucune disposition de la pr�sente Charte n'autorise les Nations Unies � intervenir dans les affaires qui rel�vent essentiellement de la comp�tence nationale d'un Etat (...)". On ne saurait, cependant, oublier la restriction imp�rative � la fin du m�me paragraphe : "toutefois, ce principe ne porte en rien atteinte � l'application des mesures de coercition pr�vues au chapitre VII" (Charte des Nations Unies, art. 2, par. 7).

Ce sont l�, pr�cis�ment, les dispositions en vertu desquelles le Tribunal international a �t� cr��. M�me sans ces dispositions, des affaires peuvent �tre soustraites � la comp�tence d'un Etat. Dans la pr�sente affaire, non seulement la R�publique de Bosnie-Herz�govine n'a pas contest� la comp�tence du Tribunal international, elle l'a en fait approuv�e et elle a collabor� avec lui, ainsi qu'en t�moignent les �l�ments suivants :

a) une lettre en date du 10 ao�t 1992 du Pr�sident de la R�publique de Bosnie-Herz�govine adress�e au Secr�taire g�n�ral des Nations Unies (Document des Nations Unies E/CN.4/1992/S-1/5 (1992)) ;

b) un d�cret-loi sur le d�f�rement � la demande du Tribunal international (12 Journal officiel de la R�publique de Bosnie-Herz�govine 317 (10 avril 1995) (traduction)) ;

c) une lettre de Vasvija Vidovic, agent de liaison de la R�publique de Bosnie�Herz�govine, au Tribunal international (4 juillet 1995).

S'agissant de la R�publique f�d�rale d'Allemagne, sa coop�ration avec le Tribunal international est publique et a d�j� �t� relev�e.

La Chambre de premi�re instance �tait, par cons�quent, pleinement justifi�e � d�clarer sur cette question particuli�re :

"Il est int�ressant de noter que la contestation de la primaut� du Tribunal international a eu lieu contre l'intention expresse des deux Etats les plus concern�s par l'acte d'accusation pris contre l'accus� - Bosnie-Herz�govine et R�publique f�d�rale d'Allemagne. Le premier, sur le territoire duquel les crimes pr�sum�s auraient �t� commis, et le second o� l'accus� r�sidait � la date de son arrestation, ont accept� inconditionnellement la comp�tence du Tribunal international et l'accus� ne peut pas invoquer des droits auxquels les Etats sp�cifiquement concern�s ont renonc�. Permettre � l'accus� de s'en pr�valoir reviendrait � lui permettre de s�lectionner l'instance de son choix, contrairement aux principes r�gissant les juridictions p�nales contraignantes" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 41).

57. C'est d'autant plus vrai du fait du caract�re des crimes pr�sum�s reproch�s � l'accus�, crimes qui, s'ils sont prouv�s, ne touchent pas les int�r�ts d'un seul Etat mais heurtent la conscience universelle.

D�s 1950, dans l'affaire du G�n�ral Wagener, la cour militaire supr�me d'Italie soutenait :

"Ces normes (relatives aux crimes contre les lois et coutumes de la guerre), du fait de leur contenu hautement �thique et moral, ont un caract�re universel et ne sont pas limit�es g�ographiquement.

(...)

La solidarit� entre les nations, visant � att�nuer dans toute la mesure possible, les horreurs de la guerre, a donn� naissance � la n�cessit� d'�noncer des r�gles qui ignorent les fronti�res, punissant les criminels o� qu'ils se trouvent.

(...)

Les crimes contre les lois et coutumes de la guerre ne peuvent pas �tre consid�r�s comme des d�lits politiques, puisqu'ils ne nuisent ni aux int�r�ts politiques d'un Etat sp�cifique, ni au droit politique d'un citoyen particulier. Ils sont, au contraire, des crimes de l�se-humanit� et, comme nous l'avons vu, les normes les interdisant sont d'un caract�re universel et ne sont pas limit�es g�ographiquement. Ces crimes, par cons�quent, en raison de leur domaine et de leur caract�re particulier, sont pr�cis�ment d'un type diff�rent et contraire aux d�lits politiques. Ces derniers, g�n�ralement, ne concernent que les Etats contre lesquels ils sont commis ; les premiers int�ressent tous les Etats civilis�s qui doivent s'y opposer et les r�primer, de la m�me fa�on que les crimes de piraterie, de traite de femmes et de mineurs et l'esclavage doivent �tre combattus et r�prim�s o� qu'ils aient �t� commis (articles 537 et 604 du code p�nal)" (13 mars 1950, dans Rivista Penale 753, 757 (Sup. Mil. Trib., Italie 1950 ; traduction officieuse)1 ).

Douze ans plus tard, la Cour supr�me d'Isra�l dans l'affaire Eichmann pouvait peindre un tableau identique :

"Ces crimes constituent des actes qui nuisent aux int�r�ts internationaux vitaux ; ils sapent les fondations et la s�curit� de la communaut� internationale ; ils violent les valeurs morales universelles et les principes humanitaires qui reposent au coeur m�me des syst�mes de droit p�nal adopt�s par les nations civilis�es. En droit international, le principe fondamental concernant ces crimes est que leur auteur qui, ce faisant, peut �tre pr�sum� parfaitement conscient du caract�re odieux de son acte, doit r�pondre de sa conduite. (...)

Ces crimes engagent la responsabilit� p�nale individuelle parce qu'ils contestent les fondations de la soci�t� internationale et heurtent la conscience des nations civilis�es.

(...)

Ils comprennent la perp�tration d'un crime international qu'il est dans l'int�r�t de toutes les nations du monde de pr�venir" (Isra�l c/ Eichmann, 36 International Law Reports 277, 291-293 (Isr. Ct 1962)).

58. L'indignation publique manifest�e � l'encontre de crimes identiques durant les ann�es quatre-vingt-dix a suscit� une r�action de la part de la communaut� des nations. Elle est � l'origine, parmi d'autres rem�des, de la cr�ation d'une instance judiciaire internationale par un organe d'une institution repr�sentant la communaut� des nations : le Conseil de s�curit�. Cet organe est habilit� et mandat�, par d�finition, � traiter de questions internationales ou de questions qui, bien que de caract�re interne, peuvent affecter "la paix et la s�curit� internationales" (Charte des Nations Unies, art. 2 1) , 2 7), 24 et 37). Ce serait une parodie du droit et une trahison du besoin universel de justice si le concept de la souverainet� de l'Etat pouvait �tre soulev� avec succ�s � l'encontre des droits de l'homme. Les fronti�res ne devraient pas �tre consid�r�es comme un bouclier contre l'application de la loi et comme une protection pour ceux qui foulent aux pieds les droits les plus �l�mentaires de l'humanit�. Dans l'affaire Barbie, la Cour de cassation fran�aise a cit� en l'approuvant la d�claration ci-apr�s de la Cour d'appel :

"(...) en raison de leur nature, les crimes contre l'humanit� (...) ne rel�vent pas seulement du droit interne fran�ais, mais encore d'un ordre r�pressif international auquel la notion de fronti�res et les r�gles extraditionnelles qui en d�coulent sont fondamentalement �trang�res" (F�d�ration nationale des d�port�s et intern�s r�sistants et patriotes et autres c/ Barbie, 78 International Law Reports 125, 130 (Cass. Crim. 1983)) (6 octobre 1983, 88 Revue g�n�rale de droit international public, 1984, p. 509)2.

En fait, lorsqu'un tribunal international comme le pr�sent est cr��, il doit �tre dot� de la primaut� sur les juridictions nationales. Autrement, la nature humaine �tant ce qu'elle est, on courrait constamment le danger que les crimes internationaux soient qualifi�s de "crimes de droit commun" (Statut du Tribunal international, art. 10, par. 2 a)) ou que les proc�dures visent "� soustraire l'accus�" ou que les poursuites ne soient pas exerc�es avec diligence (Statut du Tribunal international, art. 10, par. 2 b)).

S'ils ne sont pas efficacement contr�s par le principe de la primaut�, l'un quelconque de ces stratag�mes pourrait �tre utilis� pour faire �chouer le but m�me de la cr�ation d'une juridiction r�pressive internationale, au b�n�fice des personnes m�mes qu'elle visait � poursuivre.

59. Le principe de la primaut� du pr�sent Tribunal international sur les juridictions nationales doit �tre affirm�, d'autant plus qu'il est enferm� dans les limites rigoureuses des articles 9 et 10 du Statut et des articles 9 et 10 du R�glement de proc�dure et de preuve du Tribunal.

La Chambre de premi�re instance �tait pleinement fond�e � �crire :

"Une derni�re remarque concernant cette question de l'atteinte � la souverainet� des Etats : les crimes qu'il est demand� au Tribunal international de juger ne sont pas des crimes d'un caract�re purement interne. Ce sont r�ellement des crimes de caract�re universel, bien reconnus en droit international comme des violations graves du droit international humanitaire et qui transcendent l'int�r�t d'un seul Etat. La Chambre de premi�re instance est d'avis que, dans les circonstances, les droits souverains des Etats ne peuvent pas et ne devraient pas l'emporter sur le droit de la communaut� internationale � agir de fa�on appropri�e dans la mesure o� ces crimes touchent l'ensemble de l'humanit� et suscitent l'indignation de toutes les nations. Il ne peut, par cons�quent, y avoir d'objection � ce qu'un tribunal l�galement constitu� juge ces crimes au nom de la communaut� internationale" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 42).

60. L'argument tir� de la souverainet� de l'Etat doit, par cons�quent, �tre rejet�.

C. Jus de non evocando

61. L'Appelant soutient qu'il a un droit � �tre jug� par ses juridictions internes conform�ment � son droit national.

Personne n'a contest� ce droit de l'Appelant. Le probl�me est ailleurs : s'agit-il d'un droit exclusif ? Emp�che-t-il l'Appelant d'�tre jug� - et d'avoir un proc�s tout aussi �quitable (voir Statut du Tribunal international, art. 21) - devant un tribunal international ?

L'Appelant soutient qu'un tel droit exclusif est universellement accept�, pourtant, il n'est exprim� ni dans la D�claration universelle des droits de l'homme ni dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, � moins que l'on ne soit pr�t � pousser � la limite l'interpr�tation de leurs dispositions.

A l'appui de cet argument, l'Appelant a cit� sept constitutions nationales (art. 17 de la Constitution des Pays-Bas, art. 101 de la Constitution de l'Allemagne (unifi�e), art. 13 de la Constitution de la Belgique, art. 25 de la Constitution d'Italie, art. 24 de la Constitution de l'Espagne, art. 10 de la Constitution du Surinam et art. 30 de la Constitution du Venezuela). Cependant, apr�s examen, ces dispositions ne viennent pas �tayer l'argument de l'Appelant. Par exemple, la Constitution de la Belgique (la plus ancienne), pr�voit :

"Art. 13 : Aucune personne ne peut �tre soustraite au juge qui lui est assign� par la loi, sans son consentement" (Blaustein & Flanz, CONSTITUTIONS OF THE COUNTRIES OF THE WORLD, 1991).

Les autres dispositions constitutionnelles cit�es soit sont semblables au fond, exigeant simplement qu'aucune personne ne soit soustraite � son "juge naturel" �tabli par la loi, soit d�pourvues d'int�r�t pour l'argument de l'Appelant.

62. En fait - comme en droit - le principe soutenu par l'Appelant vise un but tr�s sp�cifique : �viter la cr�ation de juridictions extraordinaires ou sp�ciales con�ues pour juger des crimes politiques en p�riodes de troubles sociaux sans les garanties d'un proc�s �quitable.

Ce principe n'est pas viol� par le transfert de comp�tence � un tribunal international cr�� par le Conseil de s�curit� agissant pour le compte de la communaut� des nations. Aucun droit de l'accus� n'est ainsi enfreint ou menac� ; bien au contraire, ils sont tous sp�cifiquement �nonc�s et prot�g�s dans le Statut du Tribunal international. Aucun accus� ne peut se plaindre. Certes, il sera soustrait � son milieu national "naturel" mais il sera traduit devant un tribunal au moins aussi �quitable, plus distant des faits de la cause et adoptant une approche plus g�n�rale de l'affaire.

De surcro�t, on ne peut que se r�jouir � la pens�e que, la comp�tence universelle �tant aujourd'hui reconnue dans le cas des crimes internationaux, une personne soup�onn�e de ces crimes peut enfin �tre traduite devant un organe judiciaire international pour un examen objectif de son acte d'accusation par des juges impartiaux, ind�pendants et d�sint�ress�s venant, comme c'est le cas ici, de tous les continents.

63. L'objection fond�e sur la th�orie de jus de non evocando a �t� examin�e par la Chambre de premi�re instance qui a statu� sur ce point dans les termes suivants :

"R�f�rence est �galement faite au principe de jus de non evocando qui figure dans un certain nombre de constitutions nationales. Mais ce principe, s'il exige qu'un accus� soit jug� par les tribunaux r�guli�rement �tablis et non par quelque tribunal sp�cial cr�� � cette fin particuli�re, ne s'applique pas quand la question qui se pose concerne l'exercice, par le Conseil de s�curit�, agissant au titre du chapitre VII, des pouvoirs qui lui sont conf�r�s par la Charte des Nations Unies. De toute �vidence, cela implique un certain abandon de souverainet� de la part des Etats Membres des Nations Unies et c'est pr�cis�ment ce qui a �t� r�alis� par l'adoption de la Charte" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 37).

Aucune nouvelle objection n'a �t� soulev�e devant la Chambre d'appel, qui se pla�t � souscrire sur ce point particulier aux opinions exprim�es par la Chambre de premi�re instance.

64. Pour ces raisons, la Chambre d'appel conclut que le deuxi�me moyen d'appel de la D�fense, contestant la primaut� du Tribunal international, n'est pas fond� et doit �tre rejet�.

IV. INCOMP�TENCE RATIONE MATERIAE

65. Le troisi�me moyen d'appel de la D�fense est l'argument selon lequel le Tribunal international est incomp�tent ratione materiae en ce qui concerne les crimes pr�sum�s. Le fondement de cette all�gation est l'argument de l'Appelant selon lequel la comp�tence ratione materiae pr�vue aux articles 2, 3 et 5 du Statut du Tribunal international est limit�e aux crimes commis dans le contexte d'un conflit arm� international. Devant la Chambre de premi�re instance, l'Appelant a soutenu que les crimes pr�sum�s, m�me s'ils sont prouv�s, ont �t� commis dans le contexte d'un conflit arm� interne. Il a avanc� un autre argument en appel, all�guant qu'il n'y avait pas du tout de conflit arm� dans la r�gion o� les crimes auraient �t� commis.

Devant la Chambre de premi�re instance, le Procureur a r�pondu avec d'autres arguments, � savoir que : a) les conflits dans l'ex-Yougoslavie devraient �tre qualifi�s de conflits arm�s internationaux ; et b) m�me s'ils sont qualifi�s de conflits internes, le Tribunal international est comp�tent aux termes des articles 3 et 5 pour juger les crimes pr�sum�s. En appel, le Procureur maintient que, en adoptant le Statut, le Conseil de s�curit� a d�termin� que les conflits dans l'ex-Yougoslavie �taient des conflits internationaux et que, du fait de cette d�cision, le Tribunal international est comp�tent en la pr�sente affaire.

La Chambre de premi�re instance a rejet� l'exception pr�judicielle de la D�fense, concluant que la notion de conflit arm� international n'est pas un crit�re juridictionnel de l'article 2 et que les articles 3 et 5 s'appliquent tous les deux aux conflits arm�s internes et internationaux. La Chambre de premi�re instance a conclu, par cons�quent, qu'elle �tait comp�tente, quelque soit le caract�re du conflit, et qu'elle n'est pas tenue de d�terminer si le conflit est interne ou international.

A. Question liminaire : l'existence d'un conflit arm�

66. L'Appelant avance maintenant le nouvel argument selon lequel il n'existait pas de conflit arm� juridiquement d�finissable - interne ou international - aux date et lieu o� les crimes pr�sum�s ont �t� commis. Son argument s'appuie sur un concept du conflit arm� couvrant seulement la date et le lieu pr�cis d'hostilit�s effectives. Il all�gue que le conflit dans la r�gion de Prijedor (o� les crimes pr�sum�s sont cens�s avoir �t� commis) �tait limit� � une prise de pouvoir politique par les Serbes de Bosnie et n'a pas comport� de combats arm�s (bien qu'il admette des mouvements de blind�s). Cet argument pr�sente une question liminaire que nous allons examiner en premier lieu.

67. Le droit international humanitaire r�git la conduite des conflits arm�s internes et internationaux. L'Appelant fait correctement remarquer que pour qu'il y ait violation de cet ensemble de textes juridiques, il faut qu'on observe un conflit arm�. La d�finition de "conflit arm�" varie selon que les hostilit�s sont internationales ou internes mais, contrairement � l'all�gation de l'Appelant, le champ temporel et g�ographique des conflits arm�s internationaux et internes s'�tend au-del� de la date et du lieu exacts des hostilit�s. S'agissant du cadre temporel de r�f�rence de conflits arm�s internationaux, chacune des quatre Conventions de Gen�ve renferme un langage indiquant que leur application peut se prolonger au-del� de la cessation des combats. Par exemple, les Conventions I et III s'appliquent jusqu'� ce que les personnes prot�g�es qui sont tomb�es aux mains de l'ennemi aient �t� lib�r�es et rapatri�es (Convention de Gen�ve pour l'am�lioration du sort des bless�s et des malades dans les forces arm�es en campagne du 12 ao�t 1949, art. 5, 75 U.N.T.S. 970 ("Convention de Gen�ve I") ; Convention de Gen�ve relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 ao�t 1949, art. 5, 75 U.N.T.S. 972 ("Convention de Gen�ve III") ; voir �galement la Convention de Gen�ve relative � la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 ao�t 1949, art. 6, 75 U.N.T.S. 973 ("Convention de Gen�ve IV")).

68. Les Conventions de Gen�ve restent silencieuses sur le champ g�ographique des "conflits arm�s" internationaux mais les dispositions sugg�rent qu'au moins certaines des clauses desdites Conventions s'appliquent � l'ensemble du territoire des Parties au conflit et pas simplement au voisinage des hostilit�s effectives. Ind�niablement, certaines des dispositions sont clairement li�es aux hostilit�s et le champ g�ographique de ces dispositions devrait y �tre limit�. D'autres, en particulier celles se rapportant � la protection des prisonniers de guerre et des civils, ne sont pas restreintes de la m�me fa�on. S'agissant des prisonniers de guerre, la Convention s'applique aux combattants aux mains de l'ennemi ; il ne fait aucune diff�rence qu'ils soient intern�s � proximit� des hostilit�s. Dans le m�me esprit, la Convention de Gen�ve IV prot�ge les civils sur tout le territoire des Parties. Cette interpr�tation est implicite � l'article 6, paragraphe 2 de la Convention, qui stipule que :

"Sur le territoire des Parties au conflit, l'application de la Convention cessera � la fin g�n�rale des op�rations militaires" (Convention de Gen�ve IV, art. 6, par. 12 (accentuation ajout�e)).

L'article 3 b) du Protocole I aux Conventions de Gen�ve renferme un langage semblable (Protocole additionnel aux Conventions de Gen�ve du 12 ao�t 1949 relatif � la protection des victimes des conflits arm�s internationaux, 12 d�cembre 1977, art. 3 b), 1125 U.N.T.S 3 ("Protocole I")). En plus de ces r�f�rences textuelles, la nature m�me des Conventions - en particulier des Conventions III et IV - dicte leur application sur l'ensemble des territoires des Parties au conflit ; toute autre interpr�tation irait nettement � l'encontre du but vis�.

69. Le cadre g�ographique et temporel de r�f�rence pour les conflits arm�s internes est tout aussi large. Cette interpr�tation se manifeste dans le fait que les b�n�ficiaires de l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve sont ceux qui ne participent pas directement (ou qui ne participent plus directement) aux hostilit�s. Cela indique que les r�gles figurant � l'article 3 s'appliquent aussi � l'ext�rieur du contexte g�ographique �troit du th��tre effectif des combats. De m�me, certaines expressions dans le Protocole II aux Conventions de Gen�ve (un trait� qui, comme nous le verrons aux paragraphes 88 et 114 ci-apr�s, peut �tre consid�r� applicable � certains aspects des conflits dans l'ex-Yougoslavie) sugg�rent �galement un large champ. Tout d'abord, de m�me que l'article 3 commun, il prot�ge explicitement "Toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilit�s" (Protocole additionnel aux Conventions de Gen�ve du 12 ao�t 1949 relatif � la protection des victimes des conflits arm�s non internationaux, 12 d�cembre 1977, art. 4, par. 1, 1125 U.N.T.S 609 ("Protocole II")). L'article 2, paragraphe 1 pr�voit que :

"Le pr�sent Protocole s'applique (...) � toutes les personnes _affect�es_par un conflit arm� au sens de l'article premier" (id., art. 2, par. 1 (accentuation ajout�e)).

La m�me disposition sp�cifie au paragraphe 2 que :

"� la fin du conflit arm�, toutes les personnes qui auront �t� l'objet d'une privation ou d'une restriction de libert� pour des motifs en relation avec ce conflit, ainsi que celles qui seraient l'objet de telles mesures apr�s le conflit pour les m�mes motifs, b�n�ficieront des dispositions des articles 5 et 6 jusqu'au terme de cette privation ou de cette restriction de libert�" (id., art. 2, par. 2).

Aux termes de cette disposition, le champ temporel des r�gles applicables exc�de clairement les hostilit�s proprement dites. De surcro�t, la r�daction relativement impr�cise du membre de la phrase "pour des motifs en relation avec ce conflit" sugg�re �galement un large champ g�ographique. La condition requise est seulement une relation entre le conflit et la privation de libert� et non que ladite privation ait eu lieu au coeur des combats.

70. Sur la base de ce qui pr�c�de, nous estimons qu'un conflit arm� existe chaque fois qu'il y a recours � la force arm�e entre Etats ou un conflit arm� prolong� entre les autorit�s gouvernementales et des groupes arm�s organis�s ou entre de tels groupes au sein d'un Etat. Le droit international humanitaire s'applique d�s l'ouverture de ces conflits arm�s et s'�tend au-del� de la cessation des hostilit�s jusqu'� la conclusion g�n�rale de la paix ; ou, dans le cas de conflits internes, jusqu'� ce qu'un r�glement pacifique soit atteint. Jusqu'alors, le droit international humanitaire continue de s'appliquer sur l'ensemble du territoire des Etats bellig�rants ou, dans le cas de conflits internes, sur l'ensemble du territoire sous le contr�le d'une Partie, que des combats effectifs s'y d�roulent ou non.

En appliquant la d�finition des conflits arm�s qui pr�c�de � la pr�sente affaire, nous soutenons que les crimes pr�sum�s ont �t� commis dans le contexte d'un conflit arm�. Les combats entre les diverses entit�s au sein de l'ex-Yougoslavie ont commenc� en 1991, se sont poursuivis durant l'�t� 1992 quand les crimes pr�sum�s auraient �t� commis et continuent � ce jour. En d�pit de divers accords provisoires de cessez-le-feu, aucune conclusion g�n�rale de la paix n'a mis un terme aux op�rations militaires dans la r�gion. Ces hostilit�s exc�dent les crit�res d'intensit� applicables aux conflits arm�s tant internes qu'internationaux. On a observ� un conflit prolong�, sur une grande �chelle, entre les forces arm�es de diff�rents Etats et entre des forces gouvernementales et des groupes de rebelles organis�s. M�me si des actions militaires substantielles n'ont pas eu lieu dans la r�gion de Prijedor aux date et lieu o� les crimes pr�sum�s ont �t� commis - une question de fait sur laquelle la Chambre d'appel ne se prononce pas - le droit international humanitaire s'applique. Il suffit que les crimes pr�sum�s aient �t� �troitement li�s aux hostilit�s se d�roulant dans d'autres parties des territoires contr�l�s par les Parties au conflit. Il est ind�niable que les all�gations examin�es ici ont le lien requis. L'acte d'accusation indique qu'en 1992, les Serbes de Bosnie se sont empar�s du contr�le de la municipalit� de Prijedor et ont �tabli un camp de prisonniers � Omarska. De plus il est all�gu� que des crimes ont �t� commis contre des civils � l'int�rieur et � l'ext�rieur du camp de prisonniers d'Omarska dans le cadre de la prise de contr�le et de la consolidation du pouvoir des Serbes de Bosnie dans la r�gion de Prijedor, qui faisaient � leur tour partie de la campagne militaire plus g�n�rale des Serbes de Bosnie pour s'emparer du contr�le du territoire bosniaque. L'Appelant n'offre aucune preuve du contraire mais il a admis dans ses conclusions orales qu'il existait dans la r�gion de Prijedor des camps de d�tention administr�s non par les autorit�s centrales de Bosnie-Herz�govine mais par les Serbes de Bosnie (Proc�s-verbal d'audience d'appel, 8 septembre 1995, p. 36-37). Compte tenu de ce qui pr�c�de, nous concluons que, aux fins de l'application du droit international humanitaire, les crimes pr�sum�s ont �t� commis dans le contexte d'un conflit arm�.

B. Le Statut vise-t-il uniquement les conflits arm�s internationaux ?

1. Interpr�tation litt�rale du Statut

71. Apparemment, il n'appara�t pas clairement si certaines dispositions du Statut s'appliquent uniquement � des crimes commis dans des conflits arm�s internationaux ou �galement � ceux perp�tr�s dans des conflits arm�s internes. L'article 2 fait r�f�rence aux "infractions graves" aux Conventions de Gen�ve de 1949, qui sont g�n�ralement interpr�t�es comme commises uniquement dans des conflits arm�s internationaux, de sorte que la r�f�rence � l'article 2 semble sugg�rer que l'article se limite aux conflits arm�s internationaux. L'article 3 ne fait pas non plus de r�f�rence expresse � la nature du conflit implicitement requise. Une interpr�tation litt�rale de cette disposition prise isol�ment peut porter � croire qu'elle s'applique aux deux types de conflits. Par contre, l'article 5 conf�re express�ment comp�tence pour les crimes commis dans les conflits arm�s tant internes qu'internationaux. Un argument a contrario fond� sur l'absence de disposition semblable dans l'article 3 pourrait sugg�rer que ce dernier ne s'applique qu'� une cat�gorie de conflit plut�t qu'aux deux. En vue de mieux cerner le sens et le champ de ces dispositions, la Chambre d'appel examinera l'objet et le but de la promulgation du Statut.

2. Interpr�tation t�l�ologique du Statut

72. En adoptant la r�solution 827, le Conseil de s�curit� a cr�� le Tribunal international dans le but d�clar� de traduire en justice les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire dans l'ex-Yougoslavie, d�courageant ainsi la perp�tration de futures violations et contribuant au r�tablissement de la paix et de la s�curit� dans la r�gion. Le contexte dans lequel le Conseil de s�curit� a agi indique qu'il entendait atteindre ce but sans r�f�rence au fait que les conflits dans l'ex-Yougoslavie sont internes ou internationaux.

Comme le savent parfaitement les Membres du Conseil de s�curit�, quand le Statut a �t� r�dig� en 1993, les conflits dans l'ex-Yougoslavie auraient pu �tre qualifi�s � la fois d'internes et d'internationaux ou d'un conflit interne parall�le � un conflit international, ou d'un conflit interne qui s'est internationalis� du fait d'un soutien ext�rieur, ou d'un conflit international remplac� ult�rieurement par un ou plusieurs conflits internes ou quelque combinaison de ces situations. Le conflit dans l'ex-Yougoslavie a �t� internationalis� par la participation de l'arm�e croate en Bosnie-Herz�govine et par la participation de l'Arm�e nationale yougoslave ("JNA") dans les hostilit�s en Croatie ainsi qu'en Bosnie-Herz�govine, au moins jusqu'� son retrait officiel le 19 mai 1992. Dans la mesure o� les conflits �taient limit�s � des incidents entre les forces du gouvernement bosniaque et les forces rebelles des Serbes de Bosnie en Bosnie-Herz�govine, ainsi qu'entre le gouvernement croate et les forces rebelles des Serbes de Croatie en Krajina (Croatie), ils �taient de caract�re interne (� moins qu'on ne puisse prouver la participation directe de la R�publique f�d�rale de Yougoslavie (Serbie et Mont�n�gro). Il est remarquable que les Parties � la pr�sente affaire conviennent aussi que les conflits dans l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ont �t� � la fois internes et internationaux (_voir_le proc�s-verbal d'audience sur l'exception pr�judicielle d'incomp�tence, 26 juillet 1995, p. 47, 111).

73. Les accords conclus par les diff�rentes parties pour respecter certaines r�gles du droit humanitaire r�v�lent � l'�vidence la nature variable des conflits. Refl�tant les aspects internationaux des conflits, le 27 novembre 1991, les repr�sentants de la R�publique f�d�rale de Yougoslavie, l'Arm�e populaire de Yougoslavie, la R�publique de Croatie et la R�publique de Serbie ont conclu un accord sur l'application des Conventions de Gen�ve de 1949 et le Protocole additionnel I de 1977 � ces Conventions (_voir_M�morandum d'accord, 27 novembre 1991). Point int�ressant, les Parties ont �vit� de mentionner l'article 3 commun des Conventions de Gen�ve relatif aux conflits arm�s non-internationaux.

Par contre, un accord conclu le 22 mai 1992 entre les diverses factions au conflit en R�publique de Bosnie-Herz�govine refl�te les �l�ments internes des conflits. L'accord �tait fond� sur l'article 3 commun des Conventions de Gen�ve qui, en plus de l'�nonc� de r�gles r�gissant les conflits internes, pr�voit au paragraphe 3 que les Parties � ces conflits peuvent convenir d'appliquer les dispositions des Conventions de Gen�ve qui ne sont g�n�ralement applicables qu'aux seuls conflits arm�s internationaux. Dans l'Accord, les repr�sentants de M. Alija Izetbegovic (Pr�sident de la R�publique de Bosnie-Herz�govine et du Parti d'action d�mocratique), M. Radovan Karadzic (Pr�sident du Parti d�mocrate serbe) et M. Miljenko Brkic (Pr�sident de la Communaut� d�mocrate croate) ont engag� les Parties � respecter les r�gles fondamentales des conflits arm�s internes figurant � l'article 3 commun et, en plus, convenu, en s'appuyant sur le paragraphe 3 de l'article 3 commun, d'appliquer certaines dispositions des Conventions de Gen�ve relatives aux conflits internationaux (Accord no. 1, 22 mai 1992, art. 2, par. 1-6) ("Accord no. 1"). De toute �vidence, cet Accord r�v�le que les Parties concern�es consid�raient les conflits arm�s auxquels elles participaient comme des conflits internes mais, en raison de leur degr� d'importance, elles ont convenu de leur appliquer certaines des dispositions des Conventions de Gen�ve qui sont normalement applicables uniquement aux conflits arm�s internationaux. La m�me position a �t� implicitement adopt�e par le Comit� international de la Croix Rouge (CICR) � l'invitation et sous les auspices duquel l'accord a �t� conclu. A cet �gard, il convient de noter que si le CICR n'avait pas pens� que les conflits r�gis par l'accord en question �taient internes, il aurait, de fa�on flagrante, enfreint une disposition commune des quatre Conventions de Gen�ve (art. 6/6/6/7). Cette derni�re interdit formellement tout accord visant � limiter l'application des Conventions de Gen�ve dans le cas de conflits arm�s internationaux. ("Aucun accord sp�cial ne pourra porter pr�judice � la situation (des personnes prot�g�es) telle qu'elle est r�gl�e par la pr�sente Convention, ni restreindre les droits que celle-ci leur accorde" ; Convention de Gen�ve I, art. 6 ; Convention de Gen�ve II, art. 6 ; Convention de Gen�ve III, art. 6 ; Convention de Gen�ve IV, art. 7). Si les conflits �taient en fait consid�r�s comme internationaux, le fait pour le CICR d'accepter qu'ils soient r�gis uniquement par l'article 3 commun, outre les dispositions de l'article 2, par. 1 � 6, de l'Accord no. 1, aurait constitu� un m�pris �vident � l'�gard des dispositions susmentionn�es des Conventions de Gen�ve. Du fait de l'autorit�, de la comp�tence et de l'impartialit� unanimement reconnues du CICR ainsi que de sa mission statutaire de promouvoir et de superviser le respect du droit international humanitaire, il est inconcevable que, m�me s'il planait certains doutes sur le caract�re du conflit, le CICR encourage et appuie un accord contraire aux dispositions fondamentales des Conventions de Gen�ve. Il est par cons�quent justifi� de conclure que le CICR consid�rait comme internes les conflits r�gis par l'accord en question.

Pris globalement, les accords conclus entre les diverses parties aux conflits dans l'ex-Yougoslavie confirment la proposition aux termes de laquelle quand le Conseil de s�curit� a adopt� le Statut du Tribunal international en 1993, il l'a fait en se r�f�rant � des situations que les Parties elles�m�mes consid�raient � des dates et en des lieux diff�rents comme des conflits arm�s soit internes soit internationaux ou comme une combinaison des deux.

74. Les nombreuses d�clarations du Conseil de s�curit� qui ont conduit � la cr�ation du Tribunal international indiquent qu'il �tait conscient du caract�re mixte des conflits. D'une part, avant de cr�er le Tribunal international, le Conseil de s�curit� a adopt� plusieurs r�solutions condamnant la pr�sence des forces de la JNA en Bosnie-Herz�govine et en Croatie comme une violation de la souverainet� de ces deux derniers Etats (voir, par exemple, C.S. Res. 752 (15 mai 1992) ; C.S. Res. 757 (30 mai 1992) ; C.S. Res. 779 (6 octobre 1992 ; C.S. Res. 787 (16 novembre 1992)). D'autre part, dans aucune de ces nombreuses r�solutions, le Conseil de s�curit� n'a d�clar� que ces conflits �taient internationaux.

Dans chacune de ses r�solutions successives, le Conseil de s�curit� s'est concentr� sur les pratiques qui le pr�occupaient, sans se r�f�rer au caract�re du conflit. Par exemple, dans la r�solution 771 du 13 ao�t 1992, le Conseil de s�curit� s'est d�clar� : "gravement alarm�" (par les)

"informations qui continuent de faire �tat de violations g�n�ralis�es du droit humanitaire international sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, en particulier en Bosnie-Herz�govine, et notamment par les informations selon lesquelles il serait proc�d� � l'expulsion et � la d�portation massives et forc�es de civils, � l'emprisonnement de civils dans des centres de d�tention o� ils seraient soumis � des exactions, � des attaques d�lib�r�es � l'encontre de non-combattants, d'h�pitaux et d'ambulances, qui font obstacle � l'acheminement des produits alimentaires et m�dicaux destin�s � la population civile, et � des actes insens�s de saccage et de destruction de biens" (C.S. Res. 771 (13 ao�t 1992)).

Comme dans le cas de toutes les autres d�clarations du Conseil de s�curit� sur la question, cette derni�re r�solution ne fait aucune r�f�rence au caract�re du conflit arm� en cause. Le Conseil de s�curit� se souciait clairement de traduire en justice les personnes responsables des actes sp�cifiquement condamn�s, sans �gard au contexte. Le Procureur s'appuie beaucoup sur la r�f�rence r�p�t�e du Conseil de s�curit� aux infractions graves aux dispositions des Conventions de Gen�ve, qui sont g�n�ralement consid�r�es comme applicables uniquement aux conflits arm�s internationaux. Cet argument ignore, cependant, que le Conseil de s�curit� s'est r�f�r� g�n�ralement aux "autres violations du droit international humanitaire", une expression qui couvre le droit applicable �galement aux conflits arm�s internes, aussi souvent qu'il a invoqu� les infractions graves aux dispositions des Conventions.

75. L'intention du Conseil de s�curit� d'encourager une solution pacifique au conflit sans se prononcer sur la question du caract�re international ou interne s'est manifest�e dans le Rapport du Secr�taire g�n�ral du 3 mai 1993 et dans les d�clarations des Membres du Conseil de s�curit� relatives � leur interpr�tation du Statut. Le Rapport du Secr�taire g�n�ral d�clare sp�cifiquement que la clause du Statut concernant la comp�tence ratione temporis du Tribunal international :

"visait manifestement � d�noter qu'aucun jugement n'est port� sur le caract�re international ou interne du conflit" (Rapport du Secr�taire g�n�ral, par. 62, Document des Nations Unies S/25704 (3 mai 1993) ("Rapport du Secr�taire g�n�ral")).

Dans le m�me esprit, � la r�union durant laquelle le Conseil de s�curit� a adopt� le Statut, trois Membres ont exprim� leur interpr�tation selon laquelle la comp�tence du Tribunal international aux termes de l'article 3, concernant les lois ou coutumes de la guerre, couvre tout accord sur le droit humanitaire en vigueur dans l'ex-Yougoslavie (_voir_D�clarations des repr�sentants de la France, des Etats-Unis et du Royaume-Uni, proc�s-verbal verbatim provisoire de la 3217e r�union, par. 11, 15 et 19, Document des Nations Unies S/PV.3217 (25 mai 1993)). Comme exemple de ces accords suppl�mentaires, les Etats-Unis ont cit� les r�gles sur les conflits arm�s internes figurant � l'article 3 des Conventions de Gen�ve ainsi que les "Protocoles additionnels de 1977 � ces Conventions de Gen�ve (de 1949)" (id., par. 15). Cette r�f�rence couvre clairement le Protocole additionnel II de 1977 qui se rapporte aux conflits arm�s internes. Aucun autre Etat n'a contredit cette interpr�tation, qui refl�te clairement une qualification du conflit comme � la fois interne et international (il convient de souligner que le repr�sentant des Etats-Unis, avant de pr�senter les vues am�ricaines sur l'interpr�tation du Statut du Tribunal international, a fait remarquer : "Nous savons que d'autres Membres du Conseil de s�curit� partagent notre opinion concernant les clarifications ci-apr�s relatives au Statut" (id.)).

76. Un raisonnement par l'absurde permet de confirmer le fait que le Conseil de s�curit� a volontairement �vit� de classer les conflits arm�s dans l'ex-Yougoslavie comme internationaux ou internes et, en particulier, n'a pas eu l'intention de lier le Tribunal international par une classification des conflits comme "internationaux". Si le Conseil de s�curit� avait qualifi� le conflit d'exclusivement international et, en outre, ce faisant, avait d�cid� de lier le Tribunal international, ce dernier devrait alors consid�rer comme international le conflit opposant les Serbes de Bosnie et les autorit�s centrales de Bosnie-Herz�govine. Puisqu'on ne peut soutenir que les Serbes de Bosnie constituent un Etat, la classification susmentionn�e s'appuierait sur l'hypoth�se implicite qu'ils agissent non comme une entit� rebelle mais comme des organes ou des agents d'un autre Etat, la R�publique f�d�rale de Yougoslavie (Serbie et Mont�n�gro). En cons�quence, les atteintes graves au droit international humanitaire commises par l'arm�e gouvernementale de Bosnie-Herz�govine contre des civils serbes de Bosnie entre leurs mains ne seraient pas consid�r�es comme des "infractions graves" parce que ces civils, ayant la nationalit� de Bosnie-Herz�govine, ne seraient pas consid�r�s comme des "personnes prot�g�es" aux termes de l'article 4, paragraphe 1 de la Convention de Gen�ve IV. En revanche, les atrocit�s commises par les Serbes de Bosnie contre les civils bosniaques entre leurs mains seraient consid�r�es comme des "infractions graves" parce que ces civils seraient des "personnes prot�g�es" aux termes de la Convention, du fait que les Serbes de Bosnie agiraient en tant qu'organes ou agents d'un autre Etat, la R�publique f�d�rale de Yougoslavie (Serbie et Mont�n�gro) dont les Bosniaques ne poss�deraient pas la nationalit�. Ce serait l�, bien s�r, une situation absurde puisqu'elle placerait les Serbes de Bosnie dans une situation juridique tr�s d�savantageuse vis-�-vis des autorit�s centrales de Bosnie-Herz�govine. Cette absurdit� confirme le caract�re fallacieux de l'argument avanc� par le Procureur devant la Chambre d'appel.

77. Sur la base de ce qui pr�c�de, nous concluons que les conflits dans l'ex-Yougoslavie rev�tent les caract�res de conflits � la fois internes et internationaux, que les Membres du Conseil de s�curit� avaient clairement les deux aspects � l'esprit quand ils ont adopt� le Statut du Tribunal international et qu'ils avaient l'intention de l'habiliter � juger des violations du droit humanitaire commises dans les deux contextes. Le Statut doit, par cons�quent, �tre consid�r� comme donnant effet � cet objectif dans toute la mesure du possible aux termes du droit international en vigueur.

78. A l'exception de l'article 5 traitant des crimes contre l'humanit�, aucune des dispositions statutaires ne fait explicitement r�f�rence au type de conflit comme un �l�ment du crime ; et, nous le verrons plus loin, la r�f�rence dans l'article 5 vise � diff�rencier le lien requis par le Statut de celui requis par l'article 6 de l'Accord de Londres du 8 ao�t 1945 �tablissant le Tribunal militaire international de Nuremberg. Le droit international coutumier n'exige plus de lien entre les crimes contre l'humanit� et un conflit arm� (voir ci-dessous, par. 140 et 141) et, par cons�quent, l'article 5 visait � r�introduire ce lien pour les objectifs poursuivis par le pr�sent Tribunal. Nous l'avons d�j� relev�, bien que l'article 2 ne se r�f�re pas explicitement au caract�re des conflits, sa r�f�rence aux dispositions sur les infractions graves laisse � penser qu'il est limit� aux conflits arm�s internationaux. Il serait, cependant, contraire � l'intention du Conseil de s�curit� de voir dans les autres dispositions du Statut traitant de la comp�tence une condition semblable. Contrairement � l'indiff�rence apparente des auteurs quant au caract�re des conflits en cause, cette interpr�tation autoriserait le Tribunal international � poursuivre et � punir certains comportements dans un conflit arm� international tout en ignorant le m�me comportement dans un conflit arm� interne. Pour illustrer ce point, le Conseil de s�curit� a constamment condamn� la d�vastation et la destruction sans motifs de biens, qui n'est punissable, de fa�on explicite, qu'aux termes des articles 2 et 3 du Statut. L'Appelant maintient que ces articles ne s'appliquent qu'aux conflits arm�s internationaux. Cependant, il aurait �t� illogique de la part des auteurs du Statut de conf�rer au Tribunal international la comp�tence de juger la conduite m�me qui les pr�occupait uniquement dans le cadre d'un conflit international, alors qu'ils savaient que les conflits en cause dans l'ex-Yougoslavie pouvaient �tre class�s, � diff�rentes �poques et lieux, comme des conflits internes, internationaux ou les deux � la fois.

Ainsi, l'objet du Conseil de s�curit� en promulguant le Statut - poursuivre et punir les auteurs de certains actes condamn�s commis dans un conflit caract�ris� par des �l�ments � la fois internes et internationaux - sugg�re que le Conseil de s�curit� entendait que, dans la mesure du possible, la comp�tence ratione materiae du Tribunal international s'�tende � ces deux cat�gories de conflits arm�s.

A la lumi�re de cette interpr�tation du but poursuivi par le Conseil de s�curit� en cr�ant le Tribunal international, nous examinons ci-apr�s les arguments sp�cifiques de l'Appelant concernant l'�tendue de la comp�tence du Tribunal international aux termes des articles 2, 3 et 5 du Statut.

3. Interpr�tation logique et syst�matique du Statut

a) Article 2

79. L'article 2 du Statut du Tribunal international est libell� comme suit :

"Le Tribunal international est habilit� � poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l'ordre de commettre des infractions graves aux Conventions de Gen�ve du 12 ao�t 1949, � savoir les actes suivants dirig�s contre des personnes ou des biens prot�g�s aux termes des dispositions de la Convention de Gen�ve pertinente :

a) l'homicide intentionnel ;

b) la torture ou les traitements inhumains, y compris les exp�riences biologiques ;

c) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves � l'int�grit� physique ou � la sant� ;

d) la destruction et l'appropriation de biens non justifi�es par des n�cessit�s militaires et ex�cut�es sur une grande �chelle de fa�on illicite et arbitraire ;

e) le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou un civil � servir dans les forces arm�es de la puissance ennemie ;

f) le fait de priver un prisonnier de guerre ou un civil de son droit d'�tre jug� r�guli�rement et impartialement ;

g) l'expulsion ou le transfert ill�gal d'un civil ou sa d�tention ill�gale ;

h) la prise de civils en otages".

Par son libell� explicite et comme confirm� dans le Rapport du Secr�taire g�n�ral, cet article du Statut est fond� sur les Conventions de Gen�ve de 1949 et, plus sp�cifiquement, sur les dispositions de ces Conventions relatives aux "infractions graves". Chacune des quatre Conventions de Gen�ve de 1949 renferme une disposition sur les "infractions graves", pr�cisant les infractions particuli�res aux Conventions pour lesquelles les Hautes Parties contractantes sont tenues de poursuivre les personnes responsables. En d'autres termes, les Conventions cr�ent, pour ces actes sp�cifiques, une comp�tence r�pressive obligatoire universelle parmi les Etats contractants. Bien que le texte des Conventions puisse sembler ambigu et que la question ne soit pas d�finitivement tranch�e (voir, par exemple, (Amicus Curiae) expos� du gouvernement des Etats-Unis d'Am�rique concernant certains arguments pr�sent�s par le Conseil de la D�fense dans l'affaire Le Procureur c/ Dusan Tadic, 17 juillet 1995, affaire no. IT-94-1-T, par. 35-36 ("M�moire d'_amicus curiae_des Etats-Unis")), on s'accorde g�n�ralement � penser que les dispositions relatives aux infractions graves �tablissent une comp�tence contraignante universelle uniquement en ce qui concerne les infractions aux Conventions commises dans des conflits arm�s internationaux. Selon l'Appelant, puisque le syst�me de r�pression des infractions graves ne s'applique qu'aux conflits arm�s internationaux, la r�f�rence dans l'article 2 du Statut aux dispositions sur les infractions graves des Conventions de Gen�ve limite la comp�tence du Tribunal international aux termes de cet article aux actes commis dans le contexte d'un conflit arm� international.

La Chambre de premi�re instance a soutenu que l'article 2 :

"... a �t� r�dig� de fa�on � �tre autonome plut�t qu'� servir de r�f�rence, sauf sur le point de l'identification des victimes des actes �num�r�s ; cette identification et elle seule, demande que l'on se reporte aux Conventions proprement dites pour la d�finition des "personnes ou des biens prot�g�s".

(...)

... la condition de l'existence d'un conflit international ne figure pas dans le texte de l'article 2. Ind�niablement, rien dans le libell� de l'article n'exige express�ment son existence. Une fois que l'un des actes sp�cifi�s est pr�sum� commis � l'encontre de l'une des personnes prot�g�es, le Tribunal international est comp�tent pour poursuivre si les conditions d'espace et de temps �nonc�es � l'article premier sont remplies.

(...)

Aucun argument ne permet de traiter l'article 2 comme s'il introduisait en fait dans le Statut l'ensemble des termes des Conventions, y compris la r�f�rence aux conflits internationaux figurant � l'article 2 commun aux Conventions de Gen�ve. Comme nous l'avons indiqu�, l'article 2 du Statut est apparemment autonome, sauf en ce qui concerne la d�finition des personnes et des biens prot�g�s" (D�cision de la Chambre de premi�re instance, par. 49-51).

80. Avec tout le respect qui lui est d�, le raisonnement de la Chambre de premi�re instance est fond� sur une conception erron�e des dispositions sur les infractions graves et du degr� de leur incorporation dans le Statut du Tribunal international. Le r�gime des infractions graves aux Conventions de Gen�ve �tablit un double dispositif : on observe, d'une part, une �num�ration des crimes qui sont consid�r�s si graves qu'ils constituent des "infractions graves" ; d'autre part, �troitement li� � cette �num�ration, un m�canisme d'ex�cution obligatoire, fond� sur le concept du devoir et du droit de tous les Etats contractants de rechercher et de juger ou d'extrader les personnes pr�sum�es responsables d'"infractions graves". L'�l�ment de conflit arm� international g�n�ralement attribu� aux dispositions sur les infractions graves des Conventions de Gen�ve est simplement une fonction du r�gime de comp�tence universelle obligatoire que cr�e ces dispositions. La condition de conflit arm� international �tait une limite n�cessaire au r�gime des infractions graves � la lumi�re de l'intrusion dans le domaine de la souverainet� de l'Etat que cette comp�tence universelle obligatoire repr�sente. Les Etats parties aux Conventions de Gen�ve de 1949 ne voulaient pas conf�rer � d'autres Etats comp�tence pour les violations graves du droit international humanitaire commises dans leurs conflits arm�s internes - � tout le moins pas la comp�tence universelle obligatoire du r�gime des infractions graves.

81. La Chambre de premi�re instance a raison lorsqu'elle laisse entendre que le m�canisme d'ex�cution n'a, assur�ment, pas �t� reproduit dans le Statut du Tribunal international, pour la raison �vidente que le Tribunal international lui-m�me constitue un m�canisme pour la poursuite et la r�pression des auteurs d'"infractions graves". Cependant, la Chambre de premi�re instance a interpr�t� erron�ment la r�f�rence aux Conventions de Gen�ve figurant dans la phrase de l'article 2 : "des personnes ou des biens prot�g�s aux termes des dispositions de la Convention de Gen�ve pertinente" (Statut du Tribunal, art. 2). Pour les raisons susmentionn�es, cette r�f�rence vise clairement � indiquer que les crimes �num�r�s � l'article 2 ne peuvent faire l'objet de poursuites que lorsqu'ils sont perp�tr�s contre des personnes ou des biens consid�r�s comme "prot�g�s" par les Conventions de Gen�ve dans le cadre des conditions rigoureuses fix�es par les Conventions proprement dites. Cette r�f�rence dans l'article 2 � la notion de "personnes ou biens prot�g�s" doit forc�ment couvrir les personnes mentionn�es aux articles 13, 24, 25 et 26 (personnes prot�g�es) et 19, 33 � 35 (biens prot�g�s) de la Convention de Gen�ve I ; aux articles 13, 36, 37 (personnes prot�g�es) et 22, 24, 25 et 27 (objets prot�g�s) de la Convention II ; � l'article 4 de la Convention III sur les prisonniers de guerre ; et aux articles 4 et 20 (personnes prot�g�es) et 18, 19, 21, 22, 33, 53, 57 etc. (biens prot�g�s) de la Convention IV sur les civils. Clairement, ces dispositions des Conventions de Gen�ve s'appliquent aux personnes ou aux biens prot�g�s uniquement dans la mesure o� ils se situent dans le contexte d'un conflit arm� international. En revanche, ces dispositions ne couvrent pas les personnes ou les biens relevant du domaine de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Gen�ve.

82. L'interpr�tation qui pr�c�de est confirm�e par ce que l'on pourrait consid�rer comme une partie des travaux pr�paratoires du Statut du Tribunal international, � savoir le Rapport du Secr�taire g�n�ral. R�f�rence y est faite aux "conflits arm�s internationaux" dans l'introduction et dans l'explication du sens et du but de l'article 2 ainsi qu'en ce qui concerne le r�gime des "infractions graves" des Conventions de Gen�ve (Rapport du Secr�taire g�n�ral, par. 37).

83. Nous sommes d'avis que notre interpr�tation de l'article 2 est la seule justifi�e par le texte du Statut et les dispositions pertinentes des Conventions de Gen�ve ainsi que par la construction logique de leur interaction dict�e par l'article 2. Cependant, nous sommes conscients de ce que cette conclusion peut sembler ne pas concorder avec les tendances r�centes de la pratique des Etats et de l'ensemble de la doctrine des droits de l'homme - qui, comme nous l'indiquons ci-dessous (voir par. 97-127), tendent � estomper de nombreux aspects de la dichotomie traditionnelle entre guerres internationales et conflits civils. A cet �gard, la Chambre note avec satisfaction la d�claration contenue dans le M�moire d'amicus curiae pr�sent� par le gouvernement des Etats-Unis, o� il est soutenu que :

"les dispositions relatives aux "infractions graves" de l'article 2 du Statut du Tribunal international s'appliquent aux conflits arm�s de caract�re non-international comme � ceux de caract�re international" (M�moire d'amicus curiae des Etats-Unis, p. 35).

Cette d�claration, que ne vient �tayer aucune jurisprudence, ne semble pas �tre justifi�e en ce qui concerne l'interpr�tation de l'article 2. N�anmoins, vue sous un autre angle, on ne saurait nier sa port�e : elle �nonce l'opinion juridique de l'un des Membres permanents du Conseil de s�curit� sur une question juridique d�licate. A ce titre, elle fournit le premier indice d'un changement possible de l'_opinio juris_des Etats. Si d'autres Etats et organes internationaux en viennent � partager cette opinion, un changement du droit coutumier relatif � la port�e du r�gime des "infractions graves" pourrait se concr�tiser progressivement. On peut trouver d'autres �l�ments pointant dans la m�me direction dans la disposition du Manuel militaire allemand susmentionn� (par. 131) aux termes duquel les infractions graves au droit international humanitaire comprennent certaines violations de l'article 3 commun. De plus, on peut attirer l'attention sur l'Accord du 1er octobre 1992 conclu par les parties bellig�rantes en Bosnie-Herz�govine. Les articles 3 et 4 dudit Accord pr�voient implicitement les poursuites et la r�pression des auteurs d'infractions graves aux Conventions de Gen�ve et au Protocole additionnel I. L'Accord a, clairement, �t� conclu dans le cadre d'un conflit arm� interne (voir ci�dessus, par. 73) et il doit, par cons�quent, �tre consid�r� comme un indice important de la tendance actuelle � �tendre les dispositions relatives aux infractions graves � cette cat�gorie de conflits. On peut �galement mentionner un jugement r�cent d'un tribunal danois. Le 25 novembre 1994, la troisi�me Chambre de la Division orientale de la Cour supr�me danoise a rendu un jugement relatif � une personne accus�e de crimes commis avec un certain nombre de membres de la police militaire croate le 5 ao�t 1993 dans le camp croate de prisonniers de Dretelj, en Bosnie (Le Minist�re public c/ Refik Saric, non publi� (Den. H. Ct. 1994)). La Cour a explicitement agi sur le fondement des dispositions relatives aux "infractions graves" des Conventions de Gen�ve, plus sp�cifiquement sur le fondement des articles 129 et 130 de la Convention III et des articles 146 et 147 de la Convention IV (Le Minist�re public c/ Refik Saric, Compte rendu, p. 1 (25 novembre 1994)) sans, toutefois, soulever la question pr�liminaire de savoir si les crimes pr�sum�s avaient �t� commis dans le cadre d'un conflit arm� international plut�t qu'interne (en tout �tat de cause, la Cour a condamn� l'accus� en vertu de ces dispositions et des dispositions p�nales pertinentes du Code p�nal danois (voir id., p. 7-8)). Ce jugement r�v�le que certaines juridictions nationales adoptent �galement l'opinion que le r�gime des "infractions graves" peut s'appliquer, que le conflit arm� soit international ou interne.

84. En d�pit de ce qui pr�c�de, la Chambre d'appel doit conclure que, dans l'�tat actuel de l'�volution du droit, l'article 2 du Statut ne s'applique qu'aux crimes commis dans le contexte de conflits arm�s internationaux.

85. Le Procureur a soutenu un autre argument devant la Chambre de premi�re instance selon lequel les dispositions sur les infractions graves aux Conventions de Gen�ve pourraient s'appliquer aux conflits internes en vertu de certains accords conclus par les parties bellig�rantes. Pour les raisons indiqu�es plus loin � la Section IV C (par. 144), nous concluons qu'il est inutile de trancher cette question � ce stade.

b) Article 3

86. L'article 3 du Statut habilite le Tribunal international � juger les violations des lois ou coutumes de la guerre. L'article est ainsi libell� :

"Le Tribunal international est comp�tent pour poursuivre les personnes qui commettent des violations des lois ou coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y �tre limit�es :

a) l'emploi d'armes toxiques ou d'autres armes con�ues pour causer des souffrances inutiles ;

b) la destruction sans motif des villes et des villages ou la d�vastation que ne justifient pas les exigences militaires ;

c) l'attaque ou le bombardement, par quelque moyen que ce soit, de villes, villages, habitations ou b�timents non d�fendus ;

d) la saisie, la destruction ou l'endommagement d�lib�r� d'�difices consacr�s � la religion, � la bienfaisance et � l'enseignement, aux arts et aux sciences, � des monuments historiques, � des oeuvres d'art et � des oeuvres de caract�re scientifique ;

e) le pillage de biens publics ou priv�s".

Comme l'a expliqu� le Secr�taire g�n�ral dans son Rapport sur le Statut, cette disposition est fond�e sur la Convention de la Haye de 1907 (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, le R�glement d'application annex� � ladite Convention et l'interpr�tation de ce R�glement par le Tribunal de Nuremberg. L'Appelant soutient que les R�gles de La Haye ont �t� adopt�es pour r�glementer les conflits arm�s entre Etats tandis que le conflit dans l'ex-Yougoslavie est un conflit arm� interne. Par cons�quent, dans la mesure o� la comp�tence du Tribunal international aux termes de l'article 3 est fond�e sur la Convention de La Haye, il n'est pas comp�tent pour juger aux termes de l'article 3 les violations pr�sum�es commises dans l'ex-Yougoslavie. L'argument de l'Appelant ne r�siste pas � l'examen parce qu'il est fond� sur une interpr�tation excessivement �troite du Statut.

i) L'interpr�tation de l'article 3

87. Une interpr�tation litt�rale de l'article 3 r�v�le que : i) il se rapporte � une large cat�gorie de crimes, � savoir toutes "les violations des lois ou coutumes de la guerre" ; et ii) l'�num�ration de certaines de ces violations figurant � l'article 3 est de caract�re illustratif et non exhaustif.

Pour identifier le contenu de la cat�gorie d'infractions relevant de l'article 3, il convient d'attirer l'attention sur un point important. L'expression "violations des lois ou coutumes de la guerre" est une expression technique traditionnelle employ�e dans le pass�, quand les concepts de "guerre" et "lois de la guerre" pr�valaient encore, avant d'�tre en grande partie remplac�s par deux notions plus larges : i) celle de "conflit arm�", introduite essentiellement par les Conventions de Gen�ve de 1949 ; et ii) la notion corr�lative de "droit international des conflits arm�s", ou la notion plus r�cente et plus exhaustive de "droit international humanitaire", qui s'est d�gag�e du fait de l'influence des doctrines des droits de l'homme sur le droit des conflits arm�s. Comme nous l'avons indiqu� plus haut, il ressort clairement du Rapport du Secr�taire g�n�ral que l'expression d�su�te susmentionn�e a �t� utilis�e dans l'article 3 du Statut essentiellement pour faire r�f�rence � la Convention de La Haye de 1907 (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et le R�glement d'application qui y est annex� (Rapport du Secr�taire g�n�ral, par. 41). Cependant, comme l'indique le Rapport, la Convention de La Haye, consid�r�e comme du droit coutumier, constitue un important domaine du droit international humanitaire (id.). En d'autres termes, le Secr�taire g�n�ral lui-m�me conc�de que le droit traditionnel de la guerre est plus correctement qualifi� aujourd'hui de "droit international humanitaire" et que les R�gles de La Haye constituent une partie importante de ce droit. De surcro�t, le Secr�taire g�n�ral a aussi admis correctement que les R�gles de La Haye ont une port�e plus large que les Conventions de Gen�ve parce qu'elles couvrent non seulement la protection des victimes de violence arm�e (civils) ou de ceux qui ne participent plus aux hostilit�s (prisonniers de guerre) mais aussi la conduite des hostilit�s. Aux termes du Rapport : "Les R�gles de La Haye portent sur des aspects du droit international humanitaire auxquels se rapportent aussi les Conventions de Gen�ve de 1949" (id., par. 43). Ces commentaires sugg�rent que l'article 3 a pour but de couvrir � la fois les R�gles de Gen�ve et de La Haye. Par contre, les commentaires ult�rieurs du Secr�taire g�n�ral indiquent que les violations �num�r�es explicitement � l'article 3 se rapportent au droit de La Haye ne figurant pas dans les Conventions de Gen�ve (id., par. 43). Comme nous l'avons mentionn� plus haut, cette liste est simplement illustrative ; de fait, l'article 3, avant d'�num�rer les violations, pr�cise qu'elles "comprennent, sans y �tre limit�es". Quand on consid�re cette liste dans le contexte g�n�ral de l'examen par le Secr�taire g�n�ral des R�gles de La Haye et du droit international humanitaire, nous concluons qu'elle peut �tre interpr�t�e comme incluant d'autres infractions au droit international humanitaire. La seule limite est que ces infractions ne doivent pas d�j� �tre couvertes par l'article 2 (autrement cette disposition deviendrait superflue). L'article 3 doit �tre consid�r� comme couvrant toutes les violations du droit international humanitaire autres que les "infractions graves" aux quatre Conventions de Gen�ve relevant de l'article 2 (ou, de fait, les violations vis�es par les articles 4 et 5 dans la mesure o� les articles 3, 4 et 5 se recouvrent).

88. Les d�bats du Conseil de s�curit� qui ont suivi l'adoption de la r�solution portant cr�ation du Tribunal international confirment que l'article 3 ne se limite pas � couvrir les violations des R�gles de La Haye mais qu'il vise �galement � se r�f�rer � toutes les violations du droit international humanitaire (sous r�serve des limites susmentionn�es). Comme nous l'avons d�j� indiqu�, trois Etats Membres du Conseil, � savoir la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont express�ment d�clar� que l'article 3 du Statut couvre aussi les obligations provenant d'accords en vigueur entre les parties bellig�rantes, c'est-�-dire l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve et les deux Protocoles additionnels ainsi que les autres accords conclus par les parties bellig�rantes. Le d�l�gu� de la France a d�clar� que :

"L'expression 'lois ou coutumes de la guerre' employ�e � l'article 3 du Statut couvre sp�cifiquement, de l'avis de la France, toutes les obligations qui d�coulent des accords sur le droit humanitaire en vigueur sur le territoire de l'ex-Yougoslavie � l'�poque de la commission des crimes" (Proc�s-verbal verbatim provisoire de la 3217e r�union, p. 11, Document des Nations Unies S/PV.3217 (25 mai 1993)).

Le d�l�gu� am�ricain a d�clar� pour sa part :

"Nous croyons savoir que d'autres Membres du Conseil partagent notre opinion concernant les clarifications suivantes du Statut :

Premi�rement, il est entendu que les "lois ou coutumes de la guerre" mentionn�es � l'article 3, comprennent toutes les obligations aux termes du droit humanitaire en vigueur sur le territoire de l'ex-Yougoslavie � l'�poque o� les actes ont �t� commis, y compris l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977 � ces Conventions" (id., p. 15).

De son c�t�, le d�l�gu� britannique a indiqu� :

"Notre opinion est que la r�f�rence aux lois ou coutumes de la guerre � l'article 3 est suffisamment large pour inclure les Conventions internationales applicables" (id., p 19).

Il convient d'ajouter que le Repr�sentant de la Hongrie a soulign� :

"l'importance du fait que la comp�tence du Tribunal international couvre tout l'�ventail du droit international humanitaire et toute la dur�e du conflit sur l'ensemble du territoire de l'ex-Yougoslavie" (id., p. 20).

Aucun d�l�gu� n'a contest� ces d�clarations et elles peuvent donc �tre consid�r�es comme une interpr�tation faisant autorit� de l'article 3, � savoir que sa port�e est beaucoup plus large que les violations �num�r�es dans les R�gles de La Haye.

89. A la lumi�re des remarques qui pr�c�dent, on peut soutenir que l'article 3 est une clause g�n�rale couvrant toutes les violations du droit humanitaire ne relevant pas de l'article 2 ou couvertes par les articles 4 ou 5, plus sp�cifiquement : i) les violations des R�gles de La Haye sur les conflits internationaux ; ii) les atteintes aux dispositions des Conventions de Gen�ve autres que celles class�es comme "infractions graves" par lesdites Conventions ; iii) les violations de l'article 3 commun et autres r�gles coutumi�res relatives aux conflits internes ; iv) les violations des accords liant les Parties au conflit, consid�r�s comme relevant du droit conventionnel, c'est-�-dire des accords qui ne sont pas devenus du droit international coutumier (sur ce point, se reporter au paragraphe 143 ci-dessous).

90. La Chambre d'appel souhaite ajouter que, dans l'interpr�tation du sens et du but des expressions "violations des lois ou coutumes de la guerre" ou "violations du droit international humanitaire", il convient de tenir compte du contexte de l'ensemble du Statut. Une interpr�tation syst�matique du Statut met l'accent sur le fait que diverses dispositions, en expliquant le but et les t�ches du Tribunal international ou en d�finissant ses fonctions, se r�f�rent aux "violations graves" du droit international humanitaire" (voir Statut du Tribunal international, pr�ambule, art. 1, 9 1), 10 1)-2), 23 1), 29 1), accentuation ajout�e). Il est, par cons�quent, appropri� d'interpr�ter l'expression "violations des lois ou coutumes de la guerre" comme couvrant des violations graves du droit international humanitaire.

91. Ainsi, l'article 3 conf�re au Tribunal international comp�tence sur toute violation grave du droit international humanitaire qui n'est pas couverte par les articles 2, 4 ou 5. L'article 3 est une disposition fondamentale �tablissant que toute "violation grave du droit international humanitaire" doit faire l'objet de poursuites par le Tribunal international. En d'autres termes, l'article 3 op�re comme une clause suppl�tive visant � garantir qu'aucune violation grave du droit international humanitaire n'�chappe � la comp�tence du Tribunal international. L'article 3 vise � rendre cette comp�tence inattaquable et incontournable.

92. Cette interpr�tation de l'article 3 est aussi corrobor�e par l'objet et le but de la disposition. Quand il a d�cid� de cr�er le Tribunal international, le Conseil de s�curit� visait � mettre un terme � toutes les violations graves du droit international humanitaire perp�tr�es sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et pas simplement � des cat�gories sp�ciales de ces violations, � savoir les "infractions graves" aux Conventions de Gen�ve ou les violations des "R�gles de La Haye". Par cons�quent, si l'interpr�tation est correcte, l'article 3 concr�tise pleinement l'objectif fondamental de la cr�ation du Tribunal international, c'est-�-dire de ne laisser impuni aucun auteur de ces violations graves, quel que soit le contexte de leur perp�tration.

93. L'interpr�tation qui pr�c�de est encore confirm�e si l'article 3 est analys� d'un point de vue plus g�n�ral, c'est-�-dire s'il est interpr�t� dans son contexte historique. Comme l'a indiqu� la Cour internationale de justice dans l'affaire Nicaragua, l'article premier des quatre Conventions de Gen�ve, aux termes desquelles les parties contractantes s'"engagent � respecter et � faire respecter (les Conventions) en toutes circonstances" d�coule "des principes g�n�raux du droit humanitaire dont les Conventions ne sont que l'expression concr�te" (affaire relative aux activit�s militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre lui (Nicaragua. c/ Etats-Unis d'Am�rique), Motifs, C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 220, 27 juin ("Affaire du Nicaragua")). Ce principe g�n�ral �nonce une obligation qui incombe non seulement aux Etats mais aussi � d'autres entit�s internationales, y compris les Nations Unies. C'est avec cette obligation � l'esprit qu'en 1977, les Etats r�digeant les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Gen�ve ont convenu de l'article 89 du Protocole I, aux termes duquel :

"Dans les cas de violations graves des Conventions ou du pr�sent Protocole, les Hautes Parties contractantes s'engagent � agir, tant conjointement que s�par�ment, en coop�ration avec l'Organisation des Nations Unies et conform�ment � la Charte des Nations Unies" (Protocole I, art. 89, (accentuation ajout�e)).

L'article 3 vise � concr�tiser cet engagement en dotant le Tribunal international du pouvoir de poursuivre toutes les "violations graves" du droit international humanitaire.

ii) Les conditions � remplir pour qu'une violation du droit international

humanitaire rel�ve de l'article 3

94. La Chambre d'appel estime n�cessaire de pr�ciser les conditions � remplir pour que l'article 3 s'applique. Les conditions suivantes doivent �tre remplies pour qu'un crime puisse faire l'objet de poursuites devant le Tribunal international aux termes de l'article 3 :

i) la violation doit porter atteinte � une r�gle du droit international humanitaire ;

ii) la r�gle doit �tre de caract�re coutumier ou, si elle rel�ve du droit conventionnel, les conditions requises doivent �tre remplies (voir par. 143 ci-dessous) ;

iii) la violation doit �tre grave, c'est-�-dire qu'elle doit constituer une infraction aux r�gles prot�geant des valeurs importantes et cette infraction doit entra�ner de graves cons�quences pour la victime. Ainsi, par exemple, le fait qu'un combattant s'approprie simplement un pain dans un village occup� ne constituerait pas une "violation grave du droit international humanitaire" bien que cet acte puisse relever du principe fondamental �nonc� � l'article 46 par. 1 des R�gles de La Haye (et de la r�gle correspondante du droit coutumier) selon laquelle "les biens priv�s doivent �tre respect�s" par toute arm�e occupant un territoire ennemi ;

iv) la violation de la r�gle doit entra�ner, aux termes du droit international coutumier ou conventionnel, la responsabilit� p�nale individuelle de son auteur.

Il s'ensuit qu'il importe peu que les "violations graves" aient �t� perp�tr�es ou non dans le contexte d'un conflit arm� international ou interne, aussi longtemps que les conditions pr�cit�es sont remplies.

95. La Chambre d'appel consid�re n�cessaire d'examiner maintenant deux des conditions pr�cit�es, � savoir : i) l'existence de r�gles internationales coutumi�res r�gissant le conflit interne ; et ii) la question de savoir si la violation de ces r�gles peut entra�ner la responsabilit� p�nale individuelle. La Chambre d'appel se concentre sur ces deux conditions parce que la D�fense a all�gu� devant la Chambre de premi�re instance qu'elles n'ont pas �t� remplies dans l'affaire en cause. Cet examen est �galement appropri� du fait de la raret� des d�cisions judiciaires faisant autorit� et de la doctrine juridique sur la question.

iii) R�gles coutumi�res du droit international humanitaire r�gissant les conflits

arm�s internes

a) Contexte g�n�ral

96. Chaque fois que la violence arm�e �clatait dans la communaut� internationale, la r�ponse juridique du droit international traditionnel s'appuyait sur une dichotomie absolue : guerre ou r�volte. La premi�re cat�gorie s'appliquait aux conflits arm�s entre Etats souverains (� moins de reconnaissance de bellig�rance dans une guerre civile) tandis que la seconde int�ressait la violence arm�e �clatant sur le territoire d'un Etat souverain. Le droit international traitait donc tr�s diff�remment ces deux cat�gories de conflit : les guerres entre Etats �taient r�glement�es par un ensemble de r�gles juridiques internationales, r�gissant � la fois la conduite des hostilit�s et la protection des personnes ne participant pas (ou ne participant plus) � la violence arm�e (civils, bless�s, malades, naufrag�s, prisonniers de guerre). En revanche, les r�gles r�gissant les conflits civils �taient rares, les Etats pr�f�rant les consid�rer comme une r�bellion, une mutinerie ou une trahison relevant du droit p�nal interne et, de ce fait, excluant toute intrusion possible d'autres Etats dans leur propre domaine de comp�tence interne. Cette dichotomie �tait clairement ax�e sur la souverainet� de l'Etat et refl�tait la configuration traditionnelle de la communaut� internationale, fond�e sur la coexistence d'Etats souverains plus enclins � d�fendre leurs int�r�ts propres que les pr�occupations de la communaut� ou les exigences humanitaires.

97. Depuis les ann�es 1930, cependant, la distinction susmentionn�e s'est de plus en plus estomp�e et des r�gles juridiques internationales sont de plus en plus apparues ou ont �t� convenues en vue de r�gir les conflits arm�s internes. Cette �volution s'explique par plusieurs raisons. Premi�rement, les guerres civiles sont devenues plus fr�quentes, non seulement parce que le progr�s technologique a permis � des groupes de personnes d'acc�der aux armements mais aussi du fait de tensions croissantes tant id�ologiques qu'ethniques ou �conomiques ; en cons�quence, la communaut� internationale ne pouvait plus ignorer le r�gime juridique de ces conflits. Deuxi�mement, les conflits arm�s internes sont devenus de plus en plus cruels et prolong�s, touchant l'ensemble de la population de l'Etat concern� ; le recours � une violence arm�e totale a pris une telle dimension que la diff�rence avec les guerres internationales s'est de plus en plus effac�e (il suffit de mentionner la guerre civile espagnole en 1936-1939, la guerre civile congolaise en 1960-1968, le conflit biafrais au Nigeria en 1967-1970, la guerre civile au Nicaragua en 1981-1990 ou au Salvador, 1980-1993). Troisi�mement, le conflit civil de grande �chelle, conjugu� � l'interd�pendance croissante des Etats dans la communaut� internationale a rendu de plus en plus difficile pour les Etats tiers de demeurer � l'�cart ; les int�r�ts �conomiques, politiques et id�ologiques des Etats tiers ont provoqu� leur participation directe dans cette cat�gorie de conflits, exigeant par cons�quent que le droit international tienne davantage compte de leur r�gime juridique pour �viter, dans la mesure du possible, des retomb�es nuisibles. Quatri�mement, le d�veloppement et la propagation rapides dans la communaut� internationale des doctrines des droits de l'homme, en particulier apr�s l'adoption de la D�claration universelle des droits de l'homme en 1948, ont apport� des changements significatifs au droit international, en particulier dans l'approche des probl�mes qui assaillent la communaut� mondiale. Une approche ax�e sur la souverainet� de l'Etat a �t� progressivement supplant�e par une approche ax�e sur les droits de l'homme. Progressivement, la maxime du droit romain hominum causa omne jus constitutum est (tout droit est cr�� au b�n�fice des �tres humains) a acquis �galement un solide point d'ancrage dans la communaut� internationale. Il s'ensuit que, dans le domaine des conflits arm�s, la distinction entre conflits entre Etats et guerres civiles perd de sa valeur en se qui concerne les personnes. Pourquoi prot�ger les civils de la violence de la guerre, ou interdire le viol, la torture ou la destruction injustifi�e d'h�pitaux, �difices du culte, mus�es ou biens priv�s ainsi qu'interdire des armes causant des souffrances inutiles quand deux Etats souverains sont en guerre et, dans le m�me temps, s'abstenir de d�cr�ter les m�mes interdictions ou d'offrir les m�mes protections quand la violence arm�e �clate "uniquement" sur le territoire d'un Etat souverain ? Si le droit international, tout en sauvegardant, bien s�r, les int�r�ts l�gitimes des Etats, doit progressivement assurer la protection des �tres humains, l'effacement progressif de la dichotomie susmentionn�e n'est que naturel.

98. Les r�gles internationales r�gissant les conflits internes sont apparues � deux �chelons diff�rents : celui du droit coutumier et celui du droit conventionnel. Deux cat�gories de r�gles, qui ne sont en aucune fa�on contraires ou incoh�rentes mais qui, plut�t, se soutiennent et s'�tayent mutuellement, se sont ainsi cristallis�es. En fait, l'interaction entre ces deux cat�gories est telle que certaines r�gles du droit conventionnel se sont progressivement int�gr�es au droit coutumier. C'est le cas de l'article 3 commun des Conventions de Gen�ve de 1949, comme l'a soutenu la Cour internationale de Justice (affaire du Nicaragua, par. 218) mais cela s'applique �galement � l'article 19 de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit arm� du 14 mai 1954 et, comme nous le verrons plus loin (par. 117) � l'essentiel du Protocole additionnel II de 1977.

99. Avant de relever certains des principes et r�gles du droit coutumier qui sont apparus dans la communaut� internationale pour r�glementer la guerre civile, il convient d'�lever une mise en garde sur le processus d'adoption des lois dans le domaine du droit des conflits arm�s. Quand on s'efforce d'�valuer la pratique des Etats en vue d'�tablir l'existence d'une r�gle coutumi�re ou d'un principe g�n�ral, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de pr�ciser le comportement effectif des troupes sur le terrain dans le but d'�tablir si elles respectent ou ignorent en fait certaines normes de conduite. Cet examen est consid�rablement compliqu� par le fait que non seulement l'acc�s au th��tre des op�rations militaires est normalement refus� aux observateurs ind�pendants (souvent m�me au CICR) mais aussi parce que les renseignements sur la conduite effective des hostilit�s sont dissimul�s par les Parties au conflit ; pis encore, il est souvent recouru � la d�sinformation dans le but de tromper l'ennemi ainsi que l'opinion publique et les gouvernements �trangers. Lorsqu'on �value la formation de r�gles coutumi�res ou de principes g�n�raux, il convient par cons�quent d'�tre conscient que, du fait du caract�re intrins�que de ce domaine, on doit s'appuyer essentiellement sur des �l�ments comme les d�clarations officielles des Etats, les manuels militaires et les d�cisions judiciaires.

b) R�gles principales

100. Les premi�res r�gles apparues dans ce domaine visaient � prot�ger la population civile vis-�-vis des hostilit�s. D�s la guerre civile espagnole (1936-1939), la pratique des Etats r�v�lait une tendance � ignorer la distinction entre les guerres internationales et internes et � appliquer certains principes g�n�raux du droit humanitaire, au moins aux conflits internes qui constituaient des guerres civiles sur une grande �chelle. La guerre civile espagnole se caract�risait par des �l�ments d'un conflit arm� � la fois international et interne. Il est significatif que le gouvernement r�publicain, de m�me que les Etats tiers, ont refus� de reconna�tre la qualit� de bellig�rants aux rebelles. Ils ont n�anmoins insist� pour l'application de certaines r�gles relatives aux conflits arm�s internationaux. On rel�ve parmi les r�gles jug�es applicables, l'interdiction du bombardement intentionnel des populations civiles, la r�gle interdisant les attaques contre des objectifs non-militaires et celle int�ressant les pr�cautions requises lors de l'attaque d'objectifs militaires. Ainsi, par exemple, le 23 mars 1938, le Premier ministre Chamberlain a expliqu� la protestation britannique contre le bombardement de Barcelone de la mani�re suivante :

"Les r�gles du droit international r�gissant ce qui constitue un objectif militaire sont mal d�finies et, en attendant la conclusion de l'examen de cette question ... je ne suis pas en mesure de faire une d�claration sur le sujet. Cependant, s'il est une r�gle ind�niable de droit international c'est que le bombardement direct et d�lib�r� de non-combattants est ill�gal en toutes circonstances. La protestation du gouvernement de Sa Majest� se fonde sur des informations qui l'ont conduit � conclure que le bombardement de Barcelone, r�alis� apparemment sans motif et sans viser sp�cialement des objectifs militaires, �tait en fait de cette nature" (333 D�bats de la Chambre des Communes, col. 1177, (23 mars 1938)).

De fa�on plus g�n�rale, r�pondant aux questions pos�es par un membre du Parlement, Noel Baker, concernant la guerre civile espagnole, le Premier ministre d�clarait le 21 juin 1938

"On peut dire qu'il existe, en tout �tat de cause, trois r�gles ou trois principes de droit international qui sont tout autant applicables � la guerre a�rienne qu'ils le sont � la guerre sur terre ou sur mer. En premier lieu, il est contraire au droit international de bombarder des civils et de lancer des attaques d�lib�r�es contre des populations civiles. Il s'agit l� ind�niablement, de violations du droit international. En second lieu, les cibles vis�es par les op�rations a�riennes doivent �tre des objectifs militaires l�gitimes et doivent pouvoir �tre identifi�es. En troisi�me lieu, on doit �viter dans toute la mesure du possible dans l'attaque de ces objectifs militaires de bombarder des populations civiles qui se trouveraient dans leur voisinage" (337 D�bats de la Chambre des Communes, cols. 937�38 (21 juin 1938)).

101. Ces opinions ont �t� r�affirm�es dans un certain nombre de r�solutions contemporaines par l'Assembl�e de la Soci�t� des Nations ainsi que dans les d�clarations et accords des parties bellig�rantes. Par exemple, le 30 septembre 1938, l'Assembl�e de la Soci�t� des Nations a adopt� � l'unanimit� une r�solution concernant � la fois le conflit espagnol et la guerre sino-japonaise. Apr�s avoir d�clar� qu'"en de nombreuses occasions, l'opinion publique a exprim� par les circuits les plus autoris�s son horreur du bombardement des populations civiles", et que "cette pratique d�pourvue d'imp�ratif militaire et qui, comme le d�montre l'exp�rience, cause uniquement des souffrances inutiles, est condamn�e par les principes reconnus du droit international", l'Assembl�e a exprim� l'espoir qu'un accord pourrait �tre conclu sur la question, ajoutant qu'elle :

"reconna�t les principes suivants comme le fondement n�cessaire � toute r�glementation future

  1. le bombardement intentionnel des populations civiles est ill�gal ;

  2. les cibles vis�es par les op�rations a�riennes doivent �tre des objectifs militaires l�gitimes et doivent �tre identifiables ;

  3. toute attaque contre des objectifs militaires l�gitimes doit �tre ex�cut�e de mani�re � �viter de bombarder par n�gligence les populations civiles se trouvant dans le voisinage" (Soci�t� des Nations, O.J. Supp. Spec. 183, p. 135-136 (1938)).

102. La pratique ult�rieure des Etats d�montre que la guerre civile espagnole n'a pas �t� une exception pour ce qui est d'avoir �tendu certains principes g�n�raux du droit de la guerre aux conflits arm�s internes. Les r�gles dont elle fut � l'origine visaient � prot�ger les civils se trouvant sur le th��tre des hostilit�s ; celles con�ues pour prot�ger ceux qui ne participaient pas (ou ne participaient plus) aux hostilit�s sont apparues apr�s la Deuxi�me guerre mondiale. En 1947, Mao Ts�toung donnait pour instruction � l'"Arm�e populaire de lib�ration" chinoise de ne pas "tuer ou humilier les officiers et les hommes appartenant � l'arm�e de Chiang Kai-shek qui d�posent leurs armes" (Manifeste de l'Arm�e populaire de lib�ration chinoise, dans Mao Ts�toung, 4 OEUVRES CHOISIES (1961) p. 147 � 151). Il a aussi donn� pour instruction aux rebelles, notamment, de ne pas "maltraiter les prisonniers", "endommager les r�coltes" ou "prendre des libert�s avec les femmes" (Sur la r��dition des trois grandes r�gles de discipline et des huit points d'attention - Instruction du Quartier g�n�ral de l'Arm�e populaire de lib�ration chinoise, id., p. 155).

Point important, les Etats ont par la suite �dict� certaines r�gles obligatoires minima applicables aux conflits arm�s internes dans l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve de 1949. La Cour internationale de Justice a confirm� que ces r�gles refl�tent "les consid�rations �l�mentaires d'humanit�" applicables dans le cadre du droit international coutumier � tout conflit arm�, qu'il soit de caract�re interne ou international (affaire du Nicaragua, par. 128). Par cons�quent, au moins en ce qui concerne les r�gles minima de l'article 3 commun, le caract�re du conflit importe peu.

103. L'article 3 commun renferme non seulement les r�gles de fond r�gissant les conflits arm�s internes mais aussi un m�canisme proc�dural invitant les Parties � ces conflits � convenir de respecter le reste des Conventions de Gen�ve. Comme dans les conflits qui se d�roulent actuellement dans l'ex-Yougoslavie, les Parties � un certain nombre de conflits arm�s internes ont recouru � cette proc�dure pour assurer l'application du droit r�gissant les conflits arm�s internationaux � leurs hostilit�s internes. Par exemple, dans le conflit de 1967 au Y�men, les Royalistes comme le Pr�sident de la R�publique ont convenu de respecter les r�gles essentielles des Conventions de Gen�ve. De telles d�cisions refl�tent l'id�e que certaines r�gles fondamentales doivent s'appliquer quelle que soit la nature du conflit.

104. Les accords conclus conform�ment � l'article 3 commun ne sont pas le seul v�hicule permettant au droit international humanitaire d'�tre appliqu� dans les conflits arm�s internes. Dans plusieurs cas refl�tant le respect coutumier de principes fondamentaux dans des conflits internes, les bellig�rants se sont unilat�ralement engag�s � respecter le droit international humanitaire.

105. Nous pouvons citer, comme exemple notoire, la conduite de la R�publique d�mocratique du Congo durant la guerre civile qui s'est d�roul�e dans ce pays. Dans une d�claration publique du 21 octobre 1964, le Premier ministre a pris l'engagement suivant concernant la conduite des hostilit�s :

"Pour des raisons humanitaires et dans le but de rassurer la population civile qui pourrait se croire en danger, le gouvernement congolais d�clare que les forces a�riennes congolaises limiteront leurs actions aux objectifs militaires.

Dans cette affaire, le gouvernement congolais d�sire non seulement prot�ger les vies humaines mais aussi respecter la Convention de Gen�ve (sic). Il escompte �galement � ce que les rebelles - et il leur lance un appel urgent � cet effet - agissent de la m�me mani�re.

Comme mesure pratique, le gouvernement congolais sugg�re que des observateurs de la Croix rouge internationale viennent v�rifier si la Convention de Gen�ve est respect�e (sic), en particulier au plan du traitement des prisonniers et de l'interdiction de la prise d'otages" (D�claration publique du Premier ministre de la R�publique d�mocratique du Congo (21 octobre 1964), r�imprim�e dans American Journal of International Law (1965) p. 614 � 616).

Cette d�claration indique l'acceptation des r�gles relatives � la conduite des hostilit�s et, en particulier, le principe que les civils ne doivent pas �tre attaqu�s. Comme la pratique de l'Etat dans la guerre civile espagnole, la d�claration du Premier ministre congolais confirme que cette r�gle fait partie int�grante du droit coutumier des conflits arm�s internes. En fait, cette d�claration ne doit pas �tre interpr�t�e comme une offre ou un engagement de respecter des obligations qui n'�taient pas ant�rieurement contraignantes ; elle visait, plut�t, � r�affirmer l'existence de ces obligations et �non�ait le fait que le gouvernement congolais les respecterait sans r�serves.

106. On peut en trouver une autre confirmation dans le "Code op�rationnel de conduite des forces arm�es nig�rianes", publi� en juillet 1967 par le Chef du gouvernement militaire f�d�ral, le G�n�ral Y. Gowon, pour r�glementer la conduite des op�rations militaires de l'Arm�e f�d�rale contre les rebelles. Ce "Code op�rationnel de conduite" pr�cisait que dans la r�pression de la r�bellion au Biafra, les troupes f�d�rales �taient tenues de respecter les Conventions de Gen�ve et, en outre, de respecter un ensemble de r�gles prot�geant les populations et biens civils sur le th��tre des op�rations militaires (voir A.H.M. Kirk-Greene, I CRISIS AND CONFLICT IN NIGERIA, A DOCUMENTARY SOURCEBOOK 1966-1969, p. 455-457 (1971)). Ce "Code op�rationnel de conduite" montre que, dans une guerre civile longue et de grande �chelle, les autorit�s centrales, tout en refusant d'accorder une reconnaissance de bellig�rance, jugeaient n�cessaire d'appliquer non seulement les dispositions des Conventions de Gen�ve visant � prot�ger les civils aux mains de l'ennemi et les combattants faits prisonniers, mais �galement les r�gles g�n�rales sur la conduite des hostilit�s qui sont g�n�ralement applicables aux conflits internationaux. Il convient de noter que le Code a �t� effectivement appliqu� par les autorit�s nig�rianes. Ainsi, par exemple, le 27 juin 1968, deux officiers de l'arm�e nig�riane ont �t� publiquement ex�cut�s par un peloton d'ex�cution � B�nin City dans le centre-ouest du Nig�ria, pour le meurtre de quatre civils pr�s d'Asaba (_voir_New Nigerian, 28 juin 1968, p. 1). De plus, le 3 septembre 1968, un lieutenant nig�rian a �t� traduit devant un tribunal militaire, condamn� � mort et ex�cut� par un peloton d'ex�cution � Port-Harcourt pour avoir tu� un soldat biafrais rebelle qui s'�tait rendu aux troupes f�d�rales pr�s d'Aba (voir Daily Times -Nigeria, 3 septembre 1968, p. 1 ; Daily Times - Nigeria, 4 septembre 1968, p. 1).

Cette attitude des autorit�s nig�rianes confirme ainsi la tendance amorc�e par la guerre civile espagnole � laquelle il est fait r�f�rence plus haut (par. 101-102). Cette attitude des autorit�s nig�rianes confirme ainsi la tendance amorc�e par la guerre civile espagnole � laquelle il est fait r�f�rence plus haut (par. 101-102), aux termes de laquelle le gouvernement central d'un Etat, dans lequel un conflit interne a �clat�, juge pr�f�rable de ne pas reconna�tre l'�tat de bellig�rance, tout en appliquant au conflit l'essentiel des normes juridiques relatives aux conflits entre Etats.

107. On peut relever un cas plus r�cent de cette tendance dans la d�cision prise en 1988 par les rebelles (FMLN) au Salvador, quand il est devenu �vident que le gouvernement n'�tait pas pr�t � appliquer le Protocole additionnel II qu'il avait ant�rieurement ratifi�. Le FMLN s'est engag� � respecter � la fois l'article 3 commun et le Protocole II :

"Le FMLN assure que ses m�thodes de combat respectent les dispositions de l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve et du Protocole additionnel II, prennent en consid�ration les besoins de la majorit� de la population et d�fendent leurs libert�s fondamentales" (FMLN, La Legitimidad de nuestros m�todos de lucha, Secretar�a de promoci�n y protecci�n de los Derechos Humanos del FMLN, El Salvador, 10 octobre 1988, p. 89 ; traduction officieuse)2 .

108. En plus du comportement des Etats bellig�rants, des gouvernements et des rebelles, d'autres facteurs ont contribu� � la formation des r�gles coutumi�res en cause. Nous mentionnerons, en particulier, l'action du CICR, deux r�solutions adopt�es par l'Assembl�e g�n�rale des Nations Unies, certaines d�clarations d'Etats membres de la Communaut� europ�enne (devenue depuis l'Union europ�enne) ainsi que le Protocole additionnel II de 1977 et certains manuels militaires.

109. On le sait, le CICR a �t� extr�mement actif en encourageant l'�laboration, l'application et la diffusion du droit international humanitaire. Sous l'angle qui nous int�resse, � savoir l'apparition de r�gles coutumi�res concernant les conflits arm�s internes, le CICR a apport� une contribution remarquable en demandant � toutes les parties aux conflits arm�s de respecter le droit international humanitaire. Il est notable que, quand il s'est trouv� confront� � des conflits arm�s non-internationaux, le CICR a encourag� l'application des principes fondamentaux du droit humanitaire par les bellig�rants. De plus, dans toute la mesure du possible, il s'est efforc� de persuader les Parties au conflit de respecter les Conventions de Gen�ve de 1949 ou, au moins, leurs principales dispositions. Quand les Parties, ou l'une d'elles, ont refus� de respecter l'essentiel du droit international humanitaire, le CICR a indiqu� qu'elles devraient, au minimum, respecter l'article 3 commun. Cela montre que le CICR a encourag� et facilit� l'application des principes g�n�raux du droit humanitaire aux conflits arm�s internes. Les r�sultats pratiques ainsi obtenus par le CICR en incitant au respect du droit international humanitaire doivent, par cons�quent, �tre consid�r�s comme un �l�ment de la pratique internationale effective ; c'est un �l�ment qui a nettement contribu� � l'apparition ou � la cristallisation de r�gles coutumi�res.

110. L'application de certaines r�gles de guerre dans les conflits arm�s tant internes qu'internationaux est corrobor�e par deux r�solutions de l'Assembl�e g�n�rale sur le "Respect des droits de l'homme dans le cadre des conflits arm�s". La premi�re, r�solution 2444, a �t� adopt�e � l'unanimit�3en 1968 par l'Assembl�e g�n�rale : ("reconnaissant la n�cessit� d'appliquer les principes humanitaires fondamentaux dans tous les conflits arm�s") l'Assembl�e g�n�rale "affirme" que :

"les principes suivants que doivent observer toutes les autorit�s, gouvernementales et autres, responsables de la conduite d'op�rations en p�riode de conflit arm�, � savoir : a) que le droit des parties � un conflit arm� d'adopter des moyens de nuire � l'ennemi n'est pas illimit� ; b) qu'il est interdit de lancer des attaques contre les populations civiles en tant que telles ; c) qu'il faut en tout temps faire la distinction entre les personnes qui prennent part aux hostilit�s et les membres de la population civile, afin que ces derniers soient �pargn�s dans toute la mesure du possible" (A.G. Res. 2444, U.N. GAOR, 23e session, supp. no. 18, Document des Nations Unies A/7218 (1968)).

Il convient de noter qu'avant l'adoption de la r�solution, le repr�sentant des Etats-Unis avait d�clar� � la Troisi�me Commission que les principes proclam�s dans la r�solution "constituent une r�affirmation du droit international existant" (U.N. GAOR, 3e Commission, 23e session, 1634e s�ance, p. 2, Document des Nations Unies A/C.3/SR.1634 (1968)). Cette opinion a �t� r�it�r�e en 1972 quand le D�partement de la d�fense des Etats-Unis a relev� que la r�solution �tait "d�clarative du droit international coutumier existant" ou, en d'autres termes, "une r�affirmation correcte" des "principes du droit international coutumier" (voir 67 American Journal of International Law (1973), p. 122, 124).

111. Poussant plus avant les principes �nonc�s dans la r�solution 2444, l'Assembl�e g�n�rale a adopt� � l'unanimit�4 en 1970 la r�solution 2675 sur les "Principes fondamentaux touchant la protection des populations civiles en p�riode de conflit arm�". En pr�sentant cette r�solution qu'elle co-parrainait � la Troisi�me Commission, la Norv�ge a expliqu� que, dans ladite r�solution, "l'expression 'conflit arm�' s'entend des conflits de toutes sortes - point important, puisque les dispositions des Conventions de Gen�ve et des R�gles de La Haye ne s'�tendent pas � tous les conflits" (U.N. GAOR, 3e Commission, 25e session, 1785e s�ance, p. 281, Document des Nations Unies A/C.3/SR.1785 (1970) ; voir _�galement_U.N. GAOR 25e session, 1922e s�ance, p. 3, Document des Nations Unies A/PV.1922 (1970) (D�claration du repr�sentant de Cuba durant l'examen en session pl�ni�re de la r�solution 2675)). La r�solution d�clarait notamment :

"Consciente de la n�cessit� de mesures propres � assurer une meilleure protection des droits de l'homme lors des conflits arm�s de toutes sortes, (... l'Assembl�e g�n�rale) _affirm_e les principes fondamentaux ci-apr�s touchant la protection des populations civiles en p�riode de conflit arm�, sans pr�judice � l'approfondissement dont ils pourront faire l'objet � l'avenir dans le cadre du d�veloppement progressif du droit international applicable aux conflits arm�s :

1. Les droits fondamentaux de l'homme, tels qu'ils sont accept�s en droit international et �nonc�s dans des instruments internationaux, demeurent pleinement applicables en cas de conflit arm�.

2. Dans la conduite des op�rations militaires en p�riode de conflit arm�, une distinction doit toujours �tre faite entre les personnes qui prennent part activement aux hostilit�s et les populations civiles.

3. Dans la conduite des op�rations militaires, tout effort sera fait pour �pargner aux populations civiles les ravages de la guerre, et toutes pr�cautions n�cessaires seront prises pour �viter d'infliger des blessures, pertes ou dommages aux populations civiles.

4. Les populations civiles en tant que telles ne seront pas l'objet d'op�rations militaires.

5. Les habitations et autres installations qui ne sont utilis�es que par les populations civiles ne seront pas l'objet d'op�rations militaires.

6. Les lieux ou r�gions d�sign�s pour la seule protection des populations civiles, tels que zones sanitaires ou refuges similaires, ne seront pas l'objet d'op�rations militaires.

7. Les populations civiles, ou les individus qui les composent, ne seront pas l'objet de repr�sailles, de d�placements par la force ou de toute autre atteinte � leur int�grit�.

8. La fourniture d'une aide internationale aux populations civiles est conforme aux principes humanitaires de la Charte des Nations Unies, de la D�claration universelle des droits de l'homme et d'autres instruments internationaux dans le domaine des droits de l'homme. La D�claration de principe relative aux actions de secours en faveur des populations civiles en cas de d�sastre, contenue dans la r�solution XXVI adopt�e par la XXIe Conf�rence internationale de la Croix-Rouge, sera applicable en cas de conflit arm�, et toutes les parties au conflit s'efforceront de faciliter l'application desdits principes" (A.G. Res. 2675, U.N. GAOR, 25e session, supp. no. 28, Document des Nations Unies A/8028 (1970)).

112. Conjointement, ces r�solutions ont jou� un double r�le : elles ont affirm� les principes du droit international coutumier concernant la protection des populations et des biens civils dans le cadre d'un conflit arm� quel qu'il soit et, dans le m�me temps, elles ont vis� � encourager l'adoption de trait�s sur la question, con�us pour pr�ciser et �tayer ces principes.

113. Des groupes d'Etats ont �galement, en plusieurs occasions, indiqu� que le droit international humanitaire comprend des principes ou r�gles g�n�rales visant � prot�ger les civils � des hostilit�s durant des conflits arm�s internes. Par exemple, s'agissant du Lib�ria, les douze (� l'�poque) Etats membres de la Communaut� europ�enne, dans une d�claration du 2 ao�t 1990, proclamaient :

"En particulier, la Communaut� et ses Etats membres demandent aux parties au conflit, conform�ment au droit international et aux principes humanitaires fondamentaux, de maintenir � l'�cart de la violence les ambassades et refuges comme les �difices du culte, h�pitaux etc. o� des civils sans d�fense ont cherch� refuge" (6 European Political Cooperation Documentation Bulletin, p. 295 (1990)).

114. Un appel semblable, bien que plus g�n�ral, a �t� lanc� par le Conseil de s�curit� dans sa r�solution 788 (au paragraphe 5 du dispositif, elle demandait � "toutes les parties au conflit et � toutes les autres parties int�ress�es de respecter strictement les dispositions du droit international humanitaire") (C.S. Res. 788 (19 novembre 1992)), un appel r�it�r� dans sa r�solution 972 (C.S. Res. 972 (13 janvier 1995)) et dans sa r�solution 1001 (C.S. Res. 1001 (30 juin 1995)).

Le Conseil de s�curit� a �galement lanc� des appels aux parties � une guerre civile demandant qu'elles respectent les principes du droit international humanitaire dans le cas de la Somalie et de la G�orgie. S'agissant de la Somalie, on peut mentionner la r�solution 794 dans laquelle le Conseil de s�curit� a condamn�, en particulier, comme violation du droit international humanitaire, "le blocage d�lib�r� de la livraison de produits alimentaires et m�dicaux essentiels � la survie de la population civile" (C.S. Res. 794 (3 d�cembre 1992)) et r�solution 814 (C.S. Res. 814 (26 mars 1993)). S'agissant de la G�orgie, se reporter � la r�solution 993 (dans laquelle le Conseil de s�curit� a r�affirm� "la n�cessit� pour les Parties de respecter le droit international humanitaire") (C.S. Res. 993 (12 mai 1993)).

115. De m�me, les 15 Etats membres de l'Union europ�enne ont r�cemment insist� sur le respect du droit international humanitaire dans la guerre civile en Tch�tch�nie. Le 17 janvier 1995, le Pr�sident de l'Union europ�enne a publi� un communiqu� d�clarant :

"L'Union europ�enne suit avec la plus grande pr�occupation les combats qui continuent en Tch�tch�nie. Les cessez-le-feu promis n'ont aucun effet sur le terrain. Des violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire continuent. L'Union europ�enne d�plore vigoureusement les tr�s nombreuses victimes et les souffrances inflig�es � la population civile" (Conseil de l'Union europ�enne - Secr�tariat g�n�ral, Communiqu� de presse 4215/95 (Presse II-G) p. 1, 17 janvier 1995).

L'appel a �t� r�it�r� le 23 janvier 1995, quand l'Union europ�enne a publi� la d�claration suivante :

"(L'Union) d�plore les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire qui continuent d'�tre observ�es (en Tch�tch�nie). Elle demande la cessation imm�diate des combats et la r�ouverture des n�gociations en vue de chercher une solution politique au conflit. Elle demande que la libert� d'acc�s � la Tch�tch�nie et l'acheminement appropri� de l'aide humanitaire aux populations soient garantis" (Conseil de l'Union europ�enne - Secr�tariat g�n�ral, Communiqu� de presse 4385/95 (Presse 24), p. 1 (23 janvier 1995)).

116. Il convient de souligner que, dans les communiqu�s et r�solutions susmentionn�s, l'Union europ�enne et le Conseil de s�curit� des Nations Unies n'ont pas mentionn� l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve mais ont parl� de "droit international humanitaire", articulant clairement l'opinion qu'il existe un ensemble de principes et de normes g�n�rales relatifs aux conflits arm�s internes qui couvrent l'article 3 commun mais qui ont �galement une port�e plus large.

117. On attirera �galement l'attention sur le Protocole additionnel II aux Conventions de Gen�ve. De nombreuses dispositions dudit Protocole peuvent maintenant �tre consid�r�es comme d�claratives de r�gles existantes ou comme ayant cristallis� des r�gles naissantes du droit coutumier ou comme ayant vigoureusement contribu� � leur �volution en tant que principes g�n�raux.

Cet argument est confirm� par les opinions exprim�es par un certain nombre d'Etats. Ainsi, par exemple, on peut mentionner la position adopt�e en 1987 par le Salvador (un Etat partie au Protocole II). Apr�s avoir �t� invit� � maintes reprises par l'Assembl�e g�n�rale � respecter le droit humanitaire dans la guerre civile faisant rage sur son territoire (voir, par exemple, A.G. Res. 41/157 (1986)), le gouvernement salvadorien a d�clar� qu'� strictement parler, le Protocole II ne s'appliquait pas � ladite guerre civile (bien qu'une �valuation objective ait incit� certains gouvernements � conclure que toutes les conditions n�cessaires pour cette application �taient remplies (voir, par exemple, Annuaire suisse de droit international, (1987) p. 185-187)). N�anmoins, le gouvernement salvadorien s'est engag� � respecter les dispositions du Protocole, parce qu'il consid�rait qu'elles "�tayent et compl�tent" l'article 3 commun "qui, pour sa part, constitue la protection minimum due � chaque �tre humain � tout moment et en tout lieu"5(voir Informe de la Fuerza Armada de El Salvador sobre el respecto y la vigencia de las normas del Derecho Internacional Humanitario durante el per�odo de Septiembre de 1986 a Agosto de 1987, p. 3 (31 ao�t 1987) (transmis par le Minist�re de la d�fense et de la s�curit� du Salvador au Repr�sentant sp�cial de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies (2 octobre 1987) ; (traduction officieuse)). De m�me, en 1987, M. M. J. Matheson, s'exprimant en sa qualit� de conseiller juridique adjoint au D�partement d'Etat des Etats-Unis, d�clarait :

"Les �l�ments fondamentaux du Protocole II se refl�tent, bien s�r, dans l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve de 1949 et, par cons�quent, ils sont, comme il se doit, partie du droit coutumier g�n�ralement accept�. Cela comprend sp�cifiquement ses interdictions de violences � l'encontre de personnes ne participant pas directement aux hostilit�s, de la prise d'otages, des traitements d�gradants et de la r�pression sans garantie judiciaire" (Humanitarian Law Conference, Remarks of Michael J. Matheson, 2 American University Journal of International Law and Policy(1987) 419, p. 430-431).

118. L'existence actuelle de principes g�n�raux r�gissant la conduite des hostilit�s (Les "R�gles de La Haye") applicables aux conflits arm�s internationaux et internes est �galement confirm�e par les manuels militaires nationaux. Ainsi, par exemple, le Manuel militaire allemand de 1992 pr�voit que :

"Les membres de l'arm�e allemande, comme les Alli�s, respectent les r�gles du droit international humanitaire dans la conduite des op�rations militaires dans tous les conflits arm�s, quelle que soit la nature de ces conflits" (HUMANITARES V�LKERRECHT IN BEWAFFNETEN KONFLIKTEN - HANDBUCH, ao�t 1992, DSK AV207320065, par. 211 in fine; traduction officieuse)6 .

119. Nous avons observ� jusqu'� pr�sent la formation des r�gles ou principes g�n�raux visant � prot�ger les civils ou biens civils des hostilit�s ou, plus g�n�ralement, � prot�ger ceux qui ne participent pas ou ne participent plus directement aux hostilit�s. Nous examinons maintenant bri�vement comment les r�gles et principes r�gissant les conflits internationaux se sont progressivement �tendus aux conflits arm�s internes au plan des moyens et m�thodes de guerre. Comme la Chambre d'appel l'a relev� plus haut (voir par. 110), un principe g�n�ral est apparu limitant le droit des parties aux conflits "d'adopter des moyens susceptibles de produire des effets traumatisants sur l'ennemi". Cela est �galement vrai d'un principe plus g�n�ral, pos� dans la D�claration dite de Turku sur les normes humanitaires minima adopt�e en 1990 et r�vis�e en 1994, � savoir l'article 5, paragraphe 3 selon lequel "les armes ou autres mat�riels ou m�thodes interdites dans les conflits arm�s internationaux ne doivent �tre employ�s en aucune circonstance" (Declaration of Minimum Humanitarian Standards, r�imprim�e dans Rapport de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorit�s � sa quarante-sixi�me session, Commission des droits de l'homme, 51e session, point 19 de l'ordre du jour provisoire, p. 4, Document des Nations Unies E.CN.4/1995/116, 1995). Il convient de noter que cette D�claration, �manant d'un groupe d'experts r�put�s dans les domaines des droits de l'homme et du droit humanitaire, a �t� indirectement avalis�e par la Conf�rence sur la s�curit� et la coop�ration en Europe dans son Document de Budapest de 1994 (Conf�rence sur la s�curit� et la coop�ration en Europe, Document de Budapest 1994 : Vers un v�ritable partenariat dans une �re nouvelle, par. 34, 1994) et en 1995 par la Sous-Commissionde la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorit�s � sa quarante�sixi�me session, Commission des droits de l'homme, 51e session, point 19 de l'ordre du jour, p. 1, Document des Nations Unies E/CN.4/1995/L.33, 1995).

De fait, des consid�rations �l�mentaires d'humanit� et de bon sens rendent absurde le fait que les Etats puissent employer des armes prohib�es dans des conflits arm�s internationaux quand ils essayent de r�primer une r�bellion de leurs propres citoyens sur leur propre territoire. Ce qui est inhumain et, par cons�quent, interdit dans les conflits internationaux, ne peut pas �tre consid�r� comme humain et admissible dans les conflits civils.

120. Ce concept fondamental est � l'origine de la formation progressive de r�gles g�n�rales relatives � des armes sp�cifiques, r�gles qui �tendent aux conflits civils les prohibitions g�n�rales se rapportant aux conflits arm�s internationaux. A titre d'exemple, nous mentionnerons les armes chimiques. R�cemment, un certain nombre d'Etats ont d�clar� que l'utilisation des armes chimiques par les autorit�s centrales d'un Etat contre sa propre population est contraire au droit international. Le 7 septembre 1988, les douze (� l'�poque) Etats membres de la Communaut� europ�enne d�claraient :

"Les Douze sont extr�mement pr�occup�s par les rapports faisant �tat de l'utilisation pr�sum�e d'armes chimiques contre les Kurdes (par les autorit�s irakiennes). Ils confirment leurs positions ant�rieures, condamnant toute utilisation de ces armes. Ils demandent le respect du droit international humanitaire, y compris le Protocole de Gen�ve de 1925, ainsi que des r�solutions 612 et 620 du Conseil de s�curit� des Nations Unies (concernant l'utilisation d'armes chimiques dans la guerre entre l'Iran et l'Irak)". (4 European Political Cooperation Documentation Bulletin, 1988, p. 92).

Cette d�claration a �t� r�it�r�e par le repr�sentant grec, au nom des Douze, en de nombreuses occasions (voir U.N. GAOR, Premi�re Commission, 43e session, 4e s�ance, p. 47, Document des Nations Unies A/C.1/43/PV.4, 1988 ; d�claration du 18 octobre 1988 devant la Premi�re Commission de l'Assembl�e g�n�rale ; U.N. GAOR, Premi�re Commission, 43e session, 31e s�ance, p. 23, Document des Nations Unies A/C.1/43/PV.31 ; d�claration du 9 novembre 1988 devant la Premi�re Commission de l'Assembl�e g�n�rale, disant notamment que "Les Douze (...) demandent le respect du Protocole de Gen�ve de 1925 et autres r�gles pertinentes du droit international coutumier" ; U.N. GAOR, Premi�re Commission, 43e session, 49e s�ance, p. 16, Document des Nations Unies A/C.3/43/SR.49 ; r�sum� de la d�claration du 22 novembre 1988 devant la Troisi�me Commission de l'Assembl�e g�n�rale ; voir �galement Rapport sur l'Union europ�enne (EPC Aspects), 4 European Political Cooperation Documentation Bulletin (1988), 325, p. 330 ; Question no. 362/88 de M. Arbeloa Muru (S-E) relative � l'empoisonnement de membres de l'opposition en Irak, 4 European Political Cooperation Documentation Bulletin (1988), 187 ; d�claration de la Pr�sidence en r�ponse � une question d'un membre du Parlement europ�en).

121. Les autorit�s britanniques ont adopt� une position ferme allant dans le m�me sens : en 1988, le Foreign Office a d�clar� que l'utilisation par l'Irak d'armes chimiques contre la population civile de la ville de Halabja repr�sentait "une violation s�rieuse et grave du Protocole de Gen�ve de 1925 et du droit international humanitaire. Le Royaume-Uni condamne sans r�serves ladite utilisation d'armes chimiques et de toute autre utilisation d'armes de ce genre" (59 British Yearbook of International Law (1988) p. 579 ; voir �galement p. 579-580). Les autorit�s allemandes ont adopt� une position semblable. Le 27 octobre 1988, le Parlement allemand a adopt� une r�solution par laquelle "il rejette r�solument l'opinion que l'utilisation de gaz toxiques est autoris�e sur le propre territoire d'un Etat et dans des conflits apparent�s � une guerre civile parce que cette utilisation n'est pas express�ment interdite par le Protocole de Gen�ve de 1925"7 (50 Zeitschrift F�r Ausl�ndisches �ffentliches Recht Und V�lkerrecht (1990), p. 382-383 ; traduction officieuse). Par la suite, le Repr�sentant de l'Allemagne � l'Assembl�e g�n�rale a exprim� l'inqui�tude de son pays "� propos des rapports faisant �tat de l'utilisation d'armes chimiques contre la population kurde" et a fait r�f�rence aux "violations du Protocole de Gen�ve de 1925 et autres normes du droit international" (U.N. GAOR, Premi�re Commission, 43e session, 31e s�ance, p. 16, Document des Nations Unies A/C.1/43/PV.31 (1988)).

122. Le gouvernement des Etats-Unis a �galement adopt� une position claire sur la question. Dans un bulletin d'information g�n�rale destin� � �clairer la presse et publi� par le D�partement d'Etat le 9 septembre 1988, il �tait d�clar� que :

"Des questions ont �t� pos�es sur le point de savoir si l'interdiction de l'utilisation en temps de guerre (d'armes chimiques) figurant au Protocole de Gen�ve s'applique � leur utilisation dans les conflits internes. Cependant, il est clair que cette utilisation contre la population civile serait contraire au droit international coutumier applicable aux conflits arm�s internes, ainsi qu'� d'autres accords internationaux" (Etats-Unis, D�partement d'Etat, Bulletin de presse, 9 septembre 1988).

Le 13 septembre 1988, le Secr�taire d'Etat George Shultz, � l'occasion d'une audience devant la Commission judiciaire du S�nat des Etats-Unis, a fermement condamn� comme "totalement inacceptable" l'utilisation des armes chimiques par l'Irak (Audience sur la consultation relative aux r�fugi�s avec une d�position du Secr�taire d'Etat George Shultz, 100e congr�s, 2e session, (13 septembre 1988)) (D�claration du Secr�taire d'Etat Shultz). Le 13 octobre de la m�me ann�e, l'Ambassadeur R.W. Murphy, Secr�taire d'Etat adjoint pour le Proche-Orient et l'Asie du Sud, devant la Sous-Commission sur l'Europe et le Moyen-Orient de la Commission des affaires �trang�res de la Chambre des repr�sentants, a qualifi� cette utilisation d'"ill�gale" (voir Bulletin du D�partement d'Etat, d�cembre 1988, 41, p. 43-44).

123. Il est int�ressant de noter que le gouvernement irakien aurait "rejet� sans ambigu�t� les accusations d'utilisation de gaz toxiques" (New York Times, 16 septembre 1988, p. A 11). De surcro�t, il a accept� de respecter les normes internationales pertinentes sur les armes chimiques. Dans la d�claration susmentionn�e, l'Ambassadeur Murphy indiquait que :

"Le 17 septembre, l'Irak a r�affirm� son respect du droit international, y compris le Protocole de Gen�ve de 1925 sur les armes chimiques ainsi que les autres r�gles du droit international humanitaire. Nous nous f�licitons de cette d�claration que nous consid�rons comme une initiative positive et demandons que l'Irak confirme qu'il entend ainsi renoncer � l'utilisation des armes chimiques sur son territoire aussi bien que contre ses ennemis ext�rieurs. Le 3 octobre, le ministre irakien des affaires �trang�res l'a directement confirm� au Secr�taire d'Etat Shultz" (id., p. 44).

Cette information avait d�j� �t� communiqu�e le 20 septembre 1988 dans une conf�rence de presse par le porte-parole du D�partement d'Etat M. Redman (_voir_Conf�rence de presse quotidienne du D�partement d'Etat, 20 septembre 1988, compte rendu ID : 390807, p. 8). Il convient aussi de souligner qu'un certain nombre de pays (Turquie, Arabie Saoudite, Egypte, Jordanie, Bahrein, Kowe�t) ainsi que la Ligue arabe, dans une r�union des ministres des affaires �trang�res � Tunis le 12 septembre 1988, ont vigoureusement exprim� leur d�saccord avec les affirmations des Etats-Unis selon lesquelles l'Irak avait utilis� des armes chimiques contre ses citoyens kurdes. Cependant, ce d�saccord ne se fondait pas sur la l�galit� de l'utilisation des armes chimiques ; ces pays ont plut�t accus� les Etats-Unis de "mener une campagne m�diatique de d�nigrement contre l'Irak" (voir New York Times, 15 septembre 1988, p. A 13 ; Washington Post, 20 septembre 1988, p. A 21).

124. Que l'Irak ait ou non utilis� r�ellement des armes chimiques contre ses propres citoyens kurdes - une question sur laquelle, � l'�vidence la pr�sente Chambre ne peut pas exprimer et n'exprime pas d'opinion - il est clair qu'un consensus g�n�ral s'est progressivement d�gag� dans la communaut� internationale sur le principe que l'utilisation de ces armes est �galement interdite dans les conflits arm�s internes.

125. La pratique des Etats d�montre que les principes g�n�raux du droit international coutumier ont �galement �volu� en ce qui concerne les conflits arm�s internes dans des domaines se rapportant aux m�thodes de guerre. En plus des �l�ments susmentionn�s concernant l'interdiction des attaques contre des civils sur le th��tre des hostilit�s, on peut relever l'interdiction de la perfidie. Ainsi, par exemple, dans une affaire port�e devant les tribunaux nig�rians, la Cour supr�me du Nig�ria a soutenu que les rebelles ne peuvent pas donner pour r�el leur statut de civils tout en participant � des op�rations militaires (voir Pius Nwaoga c/ l'Etat, 52 International Law Reports, 494, p. 496-497 (Nig.S.Ct. 1972)).

126. L'apparition des r�gles g�n�rales susmentionn�es sur les conflits arm�s internes n'implique pas que tous les aspects de ces derniers soient r�glement�s par le droit international g�n�ral. Deux limites particuli�res m�ritent d'�tre not�es : i) seul un certain nombre de r�gles et de principes r�gissant les conflits arm�s internationaux ont progressivement �t� �tendus aux conflits internes ; et ii) cette �volution n'a pas rev�tu la forme d'une greffe compl�te et m�canique de ces r�gles aux conflits internes ; plut�t, l'essence g�n�rale de ces r�gles et non la r�glementation d�taill�e qu'elles peuvent renfermer, est devenue applicable aux conflits internes (sur ces limites et d'autres du droit international humanitaire r�gissant les conflits internes, voir le message important du Conseil f�d�ral suisse aux Chambres suisses sur la ratification des deux Protocoles additionnels de 1977) (38 Annuaire Suisse de Droit International, 1982, p. 137, 145�149).

127. Nonobstant ces limites, il est ind�niable que des r�gles coutumi�res sont apparues pour r�gir les conflits internes. Ces r�gles, sp�cifiquement identifi�es dans l'examen qui pr�c�de, couvrent des domaines comme la protection des civils contre des hostilit�s, en particulier � l'encontre d'attaques commises sans motifs, la protection des biens civils, en particulier les biens culturels, la protection de tous ceux qui ne participent pas (ou ne participent plus) directement aux hostilit�s ainsi que l'interdiction d'armements prohib�s dans les conflits arm�s internationaux et de certaines m�thodes de conduite des hostilit�s.

iv) Responsabilit� p�nale individuelle dans les conflits arm�s internes

128. M�me si le droit international coutumier comprend certains principes fondamentaux applicables aux conflits arm�s tant internes qu'internationaux, l'Appelant soutient que ces interdictions n'entra�nent pas la responsabilit� p�nale individuelle quand les violations sont commises dans des conflits arm�s internes ; ces dispositions ne peuvent pas, par cons�quent, relever de la comp�tence du Tribunal international. Il est vrai que, par exemple, l'article 3 commun aux Conventions de Gen�ve ne renferme aucune r�f�rence explicite � la responsabilit� p�nale pour violation de ses dispositions. Confront� � des arguments semblables concernant les divers accords et conventions qui constituaient le fondement de sa comp�tence, le Tribunal militaire international de Nuremberg a conclu que l'absence de dispositions sur la r�pression des violations dans le trait� en cause ne s'oppose pas � la constatation d'une responsabilit� p�nale individuelle (voir THE TRIAL OF MAJOR WAR CRIMINALS : PROCEEDINGS OF THE INTERNATIONAL MILITARY TRIBUNAL SITTING AT NUREMBERG GERMANY, Partie 22, p. 445, 467 (1950)). Le Tribunal de Nuremberg a examin� un certain nombre d'arguments pertinents pour conclure que les auteurs de violations particuli�res encourent une responsabilit� individuelle : la reconnaissance claire et sans �quivoque des r�gles de la guerre dans le droit international et la pratique des Etats indiquant une intention de criminaliser la violation, y compris les d�clarations de responsables gouvernementaux et d'organisations internationales ainsi que la r�pression de violations par les juridictions nationales et les tribunaux militaires (id., p. 445-47, 467). Quand ces conditions sont remplies, les individus doivent �tre tenus p�nalement responsables parce que, comme concluait le Tribunal de Nuremberg :

"les crimes contre le droit international sont commis par des hommes et non par des entit�s abstraites et c'est seulement en punissant les hommes qui commettent ces crimes que les dispositions du droit international peuvent �tre respect�es" (id., p. 447).

129. Si l'on applique les crit�res pr�c�dents aux violations en cause dans la pr�sente affaire, nous ne doutons pas qu'ils emportent la responsabilit� p�nale individuelle, qu'ils aient �t� commis dans des conflits arm�s internes ou internationaux. Les principes et r�gles du droit humanitaire refl�tent "les consid�rations �l�mentaires d'humanit�" largement reconnues comme le minimum obligatoire pour la conduite des conflits arm�s de toute sorte. Personne ne peut contester la gravit� des actes en cause ni douter de l'int�r�t de la communaut� internationale � les interdire.

130. De plus, de nombreux �l�ments de la pratique internationale montrent que les Etats entendent criminaliser des violations graves des r�gles et principes coutumiers relatifs aux conflits internes. Comme il a �t� mentionn� plus haut, durant la guerre civile nig�riane, des membres de l'Arm�e f�d�rale de m�me que des rebelles ont �t� traduits devant les tribunaux nig�rians et jug�s pour violations des principes du droit international humanitaire (voir par. 106 et 125).

131. Les violations de l'article 3 commun sont, clairement et indubitablement, consid�r�es comme punissables par le Manuel militaire allemand (HUMANIT�RES V�LKERRECHT IN BEWAFFNETEN KONFLIKTEN - Handbuch, ao�t 1992, DSK AV2073200065, par. 1209) (traduction officieuse) qui compte parmi les "violations graves du droit international humanitaire", les "crimes" contre les personnes prot�g�es par l'article 3 commun, comme les "homicides, mutilations, tortures ou traitements inhumains y compris les exp�riences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances, de porter des atteintes graves � l'int�grit� physique ou � la sant�, la prise d'otages", ainsi que "le fait de priver une personne de son droit d'�tre jug�e r�guli�rement et impartialement"8 . (il est int�ressant de remarquer que, dans une �dition ant�rieure, le Manuel militaire allemand ne comprenait pas ces dispositions ; voir KRIEGSV�LKERRECHT-ALLGEMEINE BESTIMMUNGEN DES KRIEGF�HRUNGSRECHTS UND LANDKRIEGSRECHT, SDv 15-10, mars 1961, par. 12 ; KRIEGSV�LKERRECHT - ALLGEMEINE BESTIMMUNGEN DES HUMANIT�TSRECHT, ZDv 15/5, ao�t 1959, par. 15-16, 30-32). De surcro�t, la "Loi transitoire du Manuel relatif aux conflits arm�s" de Nouvelle-Z�lande de 1992, pr�voit que "si la non-application (c'est-�-dire les violations de l'article 3 commun) semblent rendre les responsables passibles de poursuites pour 'crimes de guerre', les proc�s devraient �tre tenus dans le cadre du droit p�nal national puisqu'aucune 'guerre' n'existerait" (New Zealand Defence Force Directorate of Legal Services, DM (1992), page 112, INTERIM LAW OF ARMED CONFLICT MANUAL, par. 1807, 8). Les dispositions pertinentes du manuel des Etats -Unis (Department of the Army, THE LAW OF LAND WARFARE, DEPARTMENT OF THE ARMY FIELD MANUAL, FM 27-10 (1956), par. 11 et 499) peuvent �galement se pr�ter � l'interpr�tation selon laquelle les "crimes de guerre", c'est-�-dire "toute violation du droit de la guerre", comprennent les violations de l'article 3 commun. On peut interpr�ter de la m�me fa�on le Manuel britannique de 1958 (War Office, THE LAW OF WAR ON LAND, BEING PART III OF THE MANUAL OF MILITARY LAW (1958), par. 626).

132. On doit �galement attirer l'attention sur les l�gislations nationales d'application des Conventions de Gen�ve dont certaines vont jusqu'� permettre aux juridictions nationales de juger les personnes responsables de violations des r�gles concernant les conflits arm�s internes. C'est le cas du Code p�nal de la R�publique socialiste f�d�rative de Yougoslavie de 1990, modifi� en vue de rendre les Conventions de Gen�ve de 1949 applicables � l'�chelon p�nal national. L'article 142 (sur les crimes de guerre commis contre la population civile) et l'article 143 (sur les crimes de guerre perp�tr�s contre les bless�s et les malades) s'appliquent express�ment "en temps de guerre, de conflit arm� ou d'occupation" ; cela semble impliquer qu'ils s'appliquent �galement aux conflits arm�s internes (R�publique socialiste f�d�rative de Yougoslavie, Code p�nal f�d�ral, art. 142-143 (1990)) (il convient de noter que par d�cret-loi en date du 11 avril 1992, la R�publique de Bosnie-Herz�govine a adopt� ce Code p�nal, sous r�serve de certains amendements) (2 Journal officiel de la R�publique de Bosnie-Herz�govine 98, 11 avril 1992 ; traduction officieuse). De plus, le 26 d�cembre 1978, le Parlement yougoslave a adopt� une loi en vue d'appliquer les deux Protocoles additionnels de 1977 (R�publique socialiste f�d�rative de Yougoslavie, Loi de ratification des Protocoles de Gen�ve, Medunarodni Ugovori, p. 1308, 26 d�cembre 1978). En cons�quence, en vertu de l'article 210 de la Constitution yougoslave, ces deux Protocoles sont "directement applicables" par les tribunaux de Yougoslavie (Constitution de la R�publique socialiste f�d�rative de Yougoslavie, art. 210). Sans aucune ambigu�t�, une loi belge promulgu�e le 16 juin 1993 pour l'application des Conventions de Gen�ve de 1949 et les deux Protocoles additionnels pr�voit que les tribunaux belges sont habilit�s � statuer sur les violations du Protocole additionnel II aux Conventions de Gen�ve relatif aux victimes de conflits arm�s non-internationaux. L'article premier de cette loi pr�voit qu'une s�rie d'"infractions graves" aux quatre Conventions de Gen�ve et aux deux Protocoles additionnels, figurant au m�me article premier, "constituent des crimes de droit international" relevant de la comp�tence des tribunaux p�naux belges (art. 7) (Loi du 16 juin 1993 relative � la r�pression des infractions graves aux Conventions internationales de Gen�ve du 12 ao�t 1949 et aux Protocoles I et II du 8 juin 1977, additionnels � ces Conventions, Moniteur Belge, 5 ao�t 1993).

133. Certaines r�solutions adopt�es � l'unanimit� par le Conseil de s�curit� pr�sentent un int�r�t particulier pour la formation de l'opinio juris relative au fait que les violations du droit international humanitaire g�n�ral r�gissant les conflits arm�s emportent la responsabilit� p�nale de leurs auteurs ou de ceux qui ordonnent ces violations. Ainsi, par exemple, dans deux r�solutions sur la Somalie o� se d�roulait une guerre civile, le Conseil de s�curit� a condamn� � l'unanimit� des violations du droit humanitaire et d�clar� que leurs auteurs ou les personnes qui les avaient ordonn�es seraient tenus "individuellement responsables" de leur commission (voir C.S. Res. 794, 3 d�cembre 1992 ; C.S. Res. 814, 26 mars 1993).

134. Tous ces facteurs confirment que le droit international coutumier impose une responsabilit� p�nale pour les violations graves de l'article 3 commun, compl�t� par d'autres principes et r�gles g�n�rales sur la protection des victimes des conflits arm�s internes, et pour les atteintes � certains principes et r�gles fondamentales relatives aux moyens et m�thodes de combat dans les conflits civils.

135. Il convient d'ajouter que, dans la mesure o� elle s'applique aux crimes commis dans l'ex-Yougoslavie, l'id�e que les violations graves du droit international humanitaire r�gissant les conflits arm�s internes emportent la responsabilit� p�nale individuelle est aussi pleinement justifi�e du point de vue de la justice au fond et de l'�quit�. Comme nous l'avons d�j� relev� (par. 132) ces violations �taient punissables aux termes du Code p�nal de la R�publique socialiste f�d�rative de Yougoslavie et de la loi portant ex�cution des deux Protocoles additionnels de 1977. Les m�mes violations ont �t� rendues punissables dans la R�publique de Bosnie-Herz�govine en vertu du d�cret-loi du 11 avril 1992. Les citoyens de l'ex-Yougoslavie ainsi qu'� pr�sent, ceux de Bosnie-Herz�govine �taient par cons�quent conscients qu'ils �taient passibles de poursuites devant leurs juridictions p�nales nationales en cas de violation du droit international humanitaire, ou auraient d� l'�tre.

136. Il convient aussi de relever que les Parties � certains des accords relatifs au conflit qui se d�roule en Bosnie-Herz�govine, conclus sous les auspices du CICR, se sont clairement engag�es � punir les responsables de violations du droit international humanitaire. Ainsi, l'article 5 par. 2 de l'Accord susmentionn� du 22 mai 1992 pr�voit que :

"Chaque partie s'engage, quand elle est inform�e, en particulier par le CICR, de toute all�gation de violations du droit international humanitaire, � ouvrir rapidement une enqu�te et � la poursuivre diligemment ainsi qu'� prendre les mesures n�cessaires pour mettre fin aux violations pr�sum�es ou � �viter leur r�apparition et � punir leurs auteurs conform�ment � la l�gislation en vigueur" (Accord no. 1, art. 5, par. 2 (accentuation ajout�e)).

De surcro�t, l'Accord du 1er octobre 1992 pr�voit � l'article 3, paragraphe 1, que :

"Tous les prisonniers qui ne sont pas accus�s de violations graves du droit international humanitaire ou condamn�s pour de telles violations telles que d�finies aux articles 50, 51, 130 et 147 des Conventions de Gen�ve I, II, III et IV respectivement, ainsi qu'� l'article 85 du Protocole additionnel I, seront unilat�ralement et inconditionnellement lib�r�s" (Accord no. 2, 1er octobre 1992, art. 3, par. 1).

Cette disposition, qui est compl�t�e par l'article 4, paragraphes 1 et 2 de l'Accord, implique que les auteurs de violations des dispositions de Gen�ve vis�es dans ledit article doivent �tre traduits en justice. Les deux Accords mentionn�s aux paragraphes pr�c�dents visent clairement � s'appliquer dans le contexte d'un conflit arm� interne et, de ce fait, il est justifi� de conclure que les parties bellig�rantes en Bosnie-Herz�govine avaient clairement convenu � l'�chelon du droit conventionnel de rendre punissables les violations du droit international humanitaire perp�tr�es dans le cadre de ce conflit.

v) Conclusion

137. Etant donn� l'intention du Conseil de s�curit� et l'interpr�tation logique et syst�matique de l'article 3 ainsi que du droit international coutumier, la Chambre d'appel conclut qu'aux termes de l'article 3, le Tribunal international est comp�tent pour conna�tre des infractions pr�sum�es figurant dans l'acte d'accusation, qu'elles aient �t� commises dans un conflit arm� interne ou international. En cons�quence, dans la mesure o� la contestation par l'Appelant de la comp�tence en vertu de l'article 3 est fond�e sur le caract�re du conflit concern�, l'exception doit �tre rejet�e.

c) Article 5

138. L'article 5 du Statut habilite le Tribunal international � statuer sur les crimes contre l'humanit�. Plus sp�cifiquement, ledit article pr�voit que :

"Le Tribunal international est habilit� � juger les personnes pr�sum�es responsables des crimes suivants lorsqu'ils ont �t� commis au cours d'un conflit arm�, de caract�re international ou interne, et dirig�s contre une population civile quelle qu'elle soit :

a) assassinat ;

b) extermination ;

c) r�duction en esclavage ;

d) expulsion ;

e) emprisonnement ;

f) torture ;

g) viol ;

h) pers�cutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses ;

i) autres actes inhumains".

Comme l'a not� le Secr�taire g�n�ral dans son Rapport sur le Statut, les crimes contre l'humanit� ont �t� les premiers reconnus dans les proc�s des criminels de guerre apr�s la Seconde guerre mondiale (Rapport du Secr�taire g�n�ral, par. 47). Ces crimes �taient d�finis � l'article 6, par. 2 c) de la Charte de Nuremberg et r�affirm�s ult�rieurement dans la r�solution de l'Assembl�e g�n�rale en 1948 �non�ant les principes de Nuremberg.

139. Devant la Chambre de premi�re instance, le Conseil de la D�fense a soulign� que ces deux formulations du crime le limitait aux actes commis "en ex�cution ou en liaison avec tout crime contre la paix ou tout crime de guerre". Il a soutenu que cette limite persiste en droit international contemporain et signifie que les crimes contre l'humanit� doivent �tre commis dans le cadre d'un conflit arm� international (qui, avan�ait-il, faisait d�faut dans la pr�sente affaire). Selon le Conseil de la D�fense, la comp�tence aux termes de l'article 5 concernant les crimes contre l'humanit� "commis au cours d'un conflit arm�, de caract�re international ou interne" constitue un texte juridique ex post facto violant le principe nullum crimen sine lege. Bien que l'Appelant ait abandonn� cet argument devant la Cour d'appel (voir proc�s-verbal d'audience d'appel, 8 septembre 1995, p. 45), l'importance de la question incite la pr�sente Chambre � commenter bri�vement sur la port�e de l'article 5.

140. Comme le Procureur l'a observ� devant la Chambre de premi�re instance, le lien entre les crimes contre l'humanit� et les crimes contre la paix ou les crimes de guerre, requis par la Charte de Nuremberg, int�ressait sp�cifiquement la comp�tence du Tribunal de Nuremberg. Bien que la condition d'un lien figurant dans ladite Charte ait �t� transpos�e dans la r�solution de l'Assembl�e g�n�rale en 1948 affirmant les principes de Nuremberg, cette condition n'a aucun fondement logique ou juridique et elle a �t� abandonn�e dans la pratique ult�rieure des Etats concernant les crimes contre l'humanit�. Plus particuli�rement, la condition d'un lien a �t� �limin�e de la d�finition des crimes contre l'humanit� figurant � l'article II 1) c) de la loi no. 10 du Conseil de Contr�le du 20 d�cembre 1945 (Conseil de Contr�le pour l'Allemagne, Gazette Officielle, 31 janvier 1946, p. 50). Le caract�re obsol�te de l'exigence d'un lien ressort � l'�vidence des Conventions internationales relatives au g�nocide et � l'apartheid, qui interdisent toutes les deux des types particuliers de crimes contre l'humanit� abstraction faite de la relation avec un conflit arm� (Convention pour la pr�vention et la r�pression du crime de g�nocide, 9 d�cembre 1948, art. premier, 78 U.N.T.S. 277 (pr�voyant que le g�nocide "qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens") ; Convention internationale sur l'�limination et la r�pression du crime d'apartheid, 30 novembre 1973, 1015 U.N.T.S. 243, art. 1-2).

141. L'absence de lien entre les crimes contre l'humanit� et un conflit arm� international est maintenant une r�gle �tablie du droit international coutumier. En fait, comme le rel�ve le Procureur, il se peut que le droit international coutumier n'exige pas du tout de lien entre les crimes contre l'humanit� et un conflit quel qu'il soit. Ainsi, en exigeant que les crimes contre l'humanit� soient commis dans un conflit arm� interne ou international, le Conseil de s�curit� a peut-�tre d�fini le crime � l'article 5 de fa�on plus �troite que n�cessaire aux termes du droit international coutumier. Il est ind�niable, cependant, que la d�finition des crimes contre l'humanit� adopt�e par le Conseil de s�curit� � l'article 5 s'accorde avec le principe nullum crimen sine lege.

142. Nous concluons, par cons�quent, que l'article 5 peut �tre invoqu� comme fondement de la comp�tence en mati�re de crimes commis dans des conflits arm�s internes ou internationaux. En outre, pour les raisons susmentionn�es en section IV A (par. 66-70), nous concluons qu'il existait un conflit arm� dans la pr�sente affaire. Par cons�quent, l'exception pr�judicielle d'incomp�tence du Tribunal international soulev�e par l'Appelant doit �tre rejet�e.

C. Le Tribunal international peut-il aussi appliquer des accords internationaux

liant les Parties au conflit

143. Devant la Chambre de premi�re instance et la Chambre d'appel, la D�fense et l'Accusation ont discut� de l'application de certains accords conclus par les parties bellig�rantes. Il est, par cons�quent, naturel que la pr�sente Chambre se prononce sur ce point. Il convient de souligner � nouveau que la seule raison de l'intention d�clar�e des auteurs que le Tribunal international applique le droit international coutumier �tait d'�viter d'enfreindre le principe nullum crimen sine lege au cas o� une partie au conflit n'adh�rait pas � un trait� sp�cifique (Rapport du Secr�taire g�n�ral, par. 34). Il s'ensuit que le Tribunal international est autoris� � appliquer, outre le droit international coutumier, tout trait� qui : i) lie incontestablement les Parties � la date de la commission du crime ; et ii) ne s'oppose pas ou ne d�roge pas aux normes imp�ratives du droit international, comme dans le cas de la plupart des r�gles coutumi�res du droit international humanitaire. La pr�sente analyse de la comp�tence du Tribunal international est confirm�e par les d�clarations faites au Conseil de s�curit� lors de l'adoption du Statut. Comme il a �t� mentionn� plus haut (par. 75 et 88), les repr�sentants des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France ont tous convenu que l'article 3 du Statut n'exclut pas l'application d'accords internationaux liant les Parties (Compte rendu verbatim provisoire de la 3217e r�union, p. 11, 15, 19, Document des Nations Unies S/PVB.3217, 25 mai 1993).

144. Nous concluons qu'en g�n�ral, ces accords rel�vent de notre comp�tence aux termes de l'article 3 du Statut. Comme le d�fendeur dans la pr�sente affaire n'a pas �t� accus� de violations d'un accord sp�cifique, il est inutile de d�terminer si un accord particulier habilite le Tribunal international � juger les crimes pr�sum�s.

145. Pour les raisons susmentionn�es, il convient de rejeter le troisi�me moyen d'appel fond� sur l'incomp�tence ratione materiae.

V. DISPOSITIF

146. PAR CES MOTIFS,

VU l'article 25 du Statut et les articles 72, 116 bis et 117 du R�glement de proc�dure et de preuve,

la Chambre d'appel

  1. Par quatre voix contre une,

D�cide que le Tribunal international est habilit� � statuer sur l'exception contestant la l�galit� de
sa cr�ation ;

POUR : M. le Pr�sident Cassese, MM. les Juges Desch�nes, Abi-Saab et Sidhwa

CONTRE : M. le Juge Li.

  1. A l'unanimit�,

Rejette l'exception susmentionn�e.

  1. A l'unanimit�,

Rejette la contestation de la primaut� du Tribunal international sur les
juridictions nationales ;

  1. Par quatre voix contre une,

D�clare que le Tribunal international est comp�tent ratione materiae en la
pr�sente affaire ;

POUR : M. le Pr�sident Cassese, MM. les Juges Li, Desch�nes et Abi-Saab

CONTRE : M. le Juge Sidhwa ;

EN CONS�QUENCE,

R�FORME LA D�CISION DE LA CHAMBRE DE PREMI�RE INSTANCE DU 10 AO�T 1995 ;

CONFIRME LA COMP�TENCE DU TRIBUNAL INTERNATIONAL ;

REJETTE L'APPEL.

Fait en fran�ais, le pr�sent texte faisant foi.

(Sign�) Antonio Cassese

Pr�sident

Les Juges Li, Abi-Saab et Sidhwa joignent des opinions s�par�es � l'arr�t de la Chambre d'appel.

Le Juge Desch�nes joint une d�claration.

(Initiales) A. C.

Fait le deux octobre 1995,

� La Haye, Pays-Bas

[Sceau du Tribunal]


1 "Trattasi di norme (concernenti i reati contro le leggi e gli usi della guerra) che, per il loro contenuto altamente etico e umanitario, hanno carattere non territoriale, ma universale...

Dalla solidariet� delle varie nazioni, intesa a lenire nel miglior modo possibile gli orrori della guerra, scaturisce la necessit� di dettare disposizioni che non conoscano barriere, colpendo chi delinque, dovunque esso si trovi...

... (I) reati contro le leggi e gli usi della guerra non possono essere considerati delitti politici, poich� non offendono un interesse politico di uno Stato determinato ovvero un diritto politico di un suo cittadino. Essi invece sono reati di lesa umanit�, e, come si � precedentemente dimostrato, le norme relative hanno carattere universale, e non semplicemente territoriale. Tali reati sono, di conseguenza, per il loro oggetto giuridico e per la loro particolare natura, proprio di specie opposta e diversa da quella dei delitti politici. Questi, di norma, interessano solo lo Stato a danno del quale sono stati commessi, quelli invece interessano tutti gli Stati civili, e vanno combattuti e repressi, come sono combattuti e repressi il reato di pirateria, la tratta delle donne e dei minori, la riduzione in schiavit�, dovunque siano stati commessi" (art. 537 e 604 c.p.).

2 "El FMLN procura que sus m�todos de lucha cumplan con lo estipulado por el art�culo 3 com�n a los Convenios de Ginebra y su Protocolo II Adicional, tomen en consideraci�n las necesidades de la mayor�a de la poblaci�n y est�n orientados a defender sus libertades fundamentales".

3 Le vote recens� sur la r�solution �tait de 111 voix pour et de z�ro contre. Apr�s l'enregistrement du vote, le Gabon a cependant indiqu� qu'il avait l'intention de voter contre la r�solution (U.N. GAOR, 23e session, 1748e s�ance, p. 7-12, Document des Nations Unies A/PV.1748 (1968)).

4 Le vote recens� sur la r�solution �tait de 109 voix pour et de z�ro contre avec 8 abstentions (U.N. GAOR, 1922e s�ance, p. 12, Document des Nations Unies A/PV.1922 (1970)).

5 "Dentro de esta l�nea de conducta, su mayor preocupaci�n (de la Fuerza Armada) ha sido el mantenerse apegada estr�ctamente al cumplimiento de las disposiciones contenidas en los Convenios de Ginebra y el Protocolo II de dichos Convenios, ya que a�n no siendo el mismo aplicable a la situaci�n que confronta actualmente el pa�s, el Gobierno de El Salvador acata y cumple las disposiciones contenidas en dicho instrumento, por considerar que ellas constituyen el desarrollo y la complementaci�n del Art�culo 3, com�n a los Convenios de Ginebra del 12 de agosto de 1949, que a su vez representa la protecci�n m�nima que se debe al ser humano en cualquier tiempo y lugar".

6 "Ebenso wie ihre Verb�ndeten beachten Soldaten der Bundeswehr die Regeln des humanit�ren V�lkerrechts bei milit�rischen Operationen in allen bewaffneten Konflikten, gleichg�ltig welcher Art."

7 "... Der Deutsche Bundestag bef�rchtet, dass Berichte zutreffend sein k�nnten, dass die irakischen Streitkr�fte auf dem Territorium des Iraks nunmehr im Kampf mit Kurdischen Aufst�ndischen Gitfgas eingesetzt haben. Er weist mit Entschiedenheit die Auffassung zur�ck, dass der Einsatz von Giftgas im Innern und bei b�rgerkriegs�hnlichen Auseinandersetzungen zul�ssig sei, weil er durch das Genfer Protokoll von 1925 nicht ausdr�cklich verboten werde..."

8 "... 1209. Schwere Verletzungen des humanit�ren V�lkerrechts sind insbesondere ;

- Straftaten gegen gesch�tzte Personen (Verwundete, Kranke, Sanit�tspersonal, Milit�rgeistliche, Kriegsgefangene, Bewohner besetzter Gebiete, andere Zivilpersonen), wie vors�tzliche T�tung, Verst�mmelung, Folterung oder unmenschliche Behandlung einschliesslich biologischer Versuche, vors�tzliche Verursachung grosser Leiden, schwere Beeintr�chtigung der k�rperlichen Integrit�t oder Gesundheit, Geiselnahme (1 3, 49-51 ; 2 3, 50, 51 ; 3 3, 129, 130 ; 4 3, 146, 147 ; 5 11 Abs. 2, 85 Abs. 3 Buchst. a)

(...)

- Verhinderung eines unparteiischen ordentlichen Gerichtsverfahrens (1 3 Abs. 3 Buchst. d ; 3 3 Abs. ld ; 5 85 Abs. 4 Buschst. e)."