La gauche opportuniste � la remorque des gilets jaunes (original) (raw)
juin 2019
Lorsque les Gilets jaunes ont �clat� sur la sc�ne, c��tait une aubaine pour la masse de l�� extr�me gauche � fran�aise d�moralis�e. Avec la liquidation de la Ligue Communiste R�volutionnaire et la cr�ation du Nouveau Parti Anticapitaliste en 2009, la majorit� de ses fondateurs ont pouss� un soupir de soulagement de pouvoir larguer les mots � communiste � et � r�volutionnaire �.
Mais c��tait le premier pas vers la d�sint�gration. Bient�t, des morceaux entiers du NPA sont partis vers les p�turages plus verts du Parti de Gauche, qui s�est pass� d�une forme de sociald�mocratie au populisme national bourgeois de La France Insoumise � son tour. La fortune �lectorale de la LFI va et vient selon que son lider maximo Jean-Luc M�lenchon se pr�sente ou non aux pr�sidentielles.
Depuis quelques ann�es, la majorit� des membres du NPA �taient convaincus que le rapport de forces s��tait radicalement modifi� au d�triment de la classe ouvri�re. Pour ces adeptes serviles de la � dynamique �, cela signifiait qu�il y a bien peu qu�on pourrait faire aujourd�hui. Le NPA n�a jou� aucun r�le ind�pendant dans les luttes de 2016 autour de la loi sur la � r�forme � du travail El Khomri, et simplement faisait du suivisme apr�s � Nuit Debout �. Sa seule v�ritable activit� nationale en 2017 �tait la campagne pr�sidentielle de Philippe Poutou.
Ainsi, l�ancien candidat de la LCR � la pr�sidence, Olivier (� Je n�ai jamais �t� trotskyste �) Besancenot �tait absolument ravi par les Gilets jaunes: � Je n�ai jamais connu de telles mobilisations: des milliers de personnes qui veulent se rendre au centre de Paris, sur les Champs-�lys�es, tout comme j�imagine les paysans l�ont fait � leur �poque pour se rebeller contre le seigneur, en se rendant dans son ch�teau pour demander des comptes. � La t�che qui attende le NPA est donc, selon Besancenot, � de soutenir ce mouvement afin qu�il ait l�expression la plus anticapitaliste possible � � ce qui place la barre assez basse.
Les anarchistes veulent au moins faire quelque chose, m�me s�il s�agit principalement de th��tre de rue, d�escarmouches avec les flics ou cassage de quelques vitres, tout cela souvent contre-productif. Les diff�rents courants pseudo-trotskystes, en revanche, se sont entra�n�s dans ce que les bolcheviks de L�nine ont appel� khvostisme, ou le suivisme, l�art de pourchasser tout � mouvement � actuellement en vogue. Les commentaires de Besancenot en sont un excellent exemple. Il a continu�:
� Par cons�quent, les seules perspectives politiques cr�dibles possibles pour le mouvement social et la gauche sont que ce mouvement gagne, soit politis� et d�veloppe une forme de repr�sentation politique pour lui-m�me. [�] Ce mouvement doit cr�er une base politique pour une nouvelle constellation de forces sociales et politiques. � Donc, encore une fois, le � mouvement � pris en bloc se d�veloppera d�une mani�re ou d�une autre pour sauver la � gauche �.
Comme Besancenot ressort des clich�s � propos de 1789 et les r�voltes paysannes du Moyen �ge, nous nous souvenons que la NPA a �galement salu� la r�volte des camionneurs � Bonnets Rouges � de 2013-2014. Tout en attirant des travailleurs �gar�s et se donnant le nom des paysans bretons rebelles du 17e si�cle, cette protestation contre l��cotaxe a �t� manipul�e par diverses entreprises capitalistes locales. Le NPA s�est donc retrouv� en tant que pr�tendu � p�le ouvrier ind�pendant � lors d�un rassemblement � Quimper en novembre 2013 aux c�t�s de la droite bourgeoise, de certains fascistes et d��v�ques catholiques. Les cadres les plus �g�s ont sans doute rappel� le � bon vieux temps � de 1981 lorsqu�ils avaient soutenu les restaurationnistes capitalistes polonais de Solidarność en collaboration avec un spectre politique similaire.
Au d�but de 2019, il �tait d�j� clair que les Gilets jaunes n�avaient pas vraiment r�ussi � capitaliser sur la sympathie g�n�ralis�e dont elles jouissaient initialement pour d�clencher des luttes plus massives. Le NPA n�a pas agit� pour un vrai gr�ve g�n�rale ; au lieu de cela, il a approuv� l�action-alibi de la gr�ve d�un jour convoqu�e par le leader de la CGT, Philippe Martinez, tout en essayant gentiment de le pousser l�g�rement vers la gauche.
Lutte Ouvri�re aussi, bien que venant d�une autre direction. LO a r�agi aux protestations initiales des Gilets jaunes en critiquant Martinez pour sa position d�sinvolte, affirmant que cela c�dait l�initiative � la droite. LO rapportait des cas de fraternisation entre syndicalistes et gilets jaunes, et appelait � � imposer des revendications ouvri�res �. Mais elle ne voulait pas dire par l� que la classe ouvri�re devait �tre mobilis�e � lutter pour le pouvoir, entra�nant derri�re elle des couches de la petite bourgeoisie.
Au contraire, comme d�habitude, LO a mis en avant une s�rie de revendications �conomiques minimales : augmenter les salaires, faire payer les capitalistes, etc. Dans un �ditorial, Lutte Ouvri�re (5 f�vrier) a pr�sent� un programme purement r�formiste:
� Quand l��tat veut construire, par exemple, une ligne de chemin de fer, il r�quisitionne les terrains et exproprie les particuliers au nom de l�int�r�t g�n�ral. Mais r�quisitionner les usines que les grands groupes veulent fermer et qui ont �t� arros�es d�argent public est tabou. C�est un tabou que les travailleurs ont int�r�t � faire tomber. Car demander des comptes � la classe capitaliste, contr�ler ce qu�elle fait des milliards qu�elle a accapar�s au travers de l�exploitation, est une n�cessit�. �
Et ainsi de suite. Lorsque l��ditorial dit qu�il faut � remettre en question la classe capitaliste, contester ses d�cisions et son pouvoir �, cela peut sembler tr�s radical aux non-initi�s, mais cela ne signifie pas en r�alit� renverser cette bourgeoisie. Au contraire, il appelle l��tat capitaliste � r�quisitionner les usines. De m�me, derri�re l�appel utopique perp�tuel de LO au gouvernement d�interdire les licenciements se cache une vision d�un capitalisme d�� �tat-providence �.
La Fraction Trotskyste (FT) en tant que courant international � repr�sent�e en France par une fraction au sein du NPA, le Courant Communiste R�volutionnaire (CCR) � pr�tende �tre le juste milieu entre la passivit� de LO et l�opportunisme d�brid� des dirigeants du NPA. M�me aujourd�hui, dans une d�claration formelle (13 mai) intitul�e � Luttes de classe et nouveaux ph�nom�nes politiques dans le monde �, les centristes de droite de la FT ont proclam� que les Gilets jaunes n��taient rien de moins que � le processus de lutte de classe le plus important du monde d�aujourd�hui �. Ils ont m�me d�clar� que la France se trouvait dans une situation � pr�-r�volutionnaire �:
� Cette attitude absolument subversive [des Gilets jaunes] � � l�inverse de la domestication des manifestations caract�ristiques des actions routini�res des conf�d�rations ou de la gauche � s�est retrouv�e dans le choix de maintenir le rendez-vous du 24 novembre sur les Champs-�lys�es, quand bien m�me la manifestation avait �t� interdite. Un palier est � nouveau franchi avec la �journ�e r�volutionnaire� du 1er d�cembre qui a secou� Paris et de nombreuses villes en r�gion, au cours de laquelle l�ex�cutif a �t� totalement d�pass� au niveau du maintien de l�ordre. �
�� Les Gilets jaunes et les �l�ments pr�-r�volutionnaires de la situation � 2 d�cembre 2018
Bien que servi � la sauce Gramsci avec une prise de � crise d�h�g�monie � dessus, il est ridicule de pr�tendre que ces manifestations rassemblant des dizaines de milliers de manifestants principalement petits-bourgeois soient �gales � ou pr�sagent une situation r�volutionnaire. La FT ne peut indiquer rien qui ressemble � la moindre graine de double pouvoir et m�me pas une mobilisation ouvri�re massive. En r�alit�, ces pseudo-trotskystes ont la m�me optique que la presse bourgeoise, qui voie dans des combats de rue entre manifestants et les flics et Le Fouquet�s en flammes l�annonce de la fin des jours. La FT n�a pas un crit�re de classe.
Quelques jours plus tard, apr�s le retrait de la hausse de la taxe sur les carburants par Macron, ils ont appel� � Amplifions la mobilisation pour obtenir encore plus ! � (R�volution Permanente, 14 d�cembre). Dans une situation v�ritablement pr�-r�volutionnaire, exiger simplement � plus � de concessions constituerait une trahison, quand la t�che serait de former des conseils ouvriers pour lutter pour le pouvoir. Pour sa part, l�activit� du CCR sur le terrain a �t� plut�t banale : faire campagne pour que les syndicats soutiennent les Gilets jaunes, promouvoir la fraternisation sur le terrain dans diff�rentes villes, essayer de convaincre des groupes antiracistes � s�unir � des gilets jaunes pour protester contre la r�pression polici�re. Ce n�est pas exactement Dix jours qui ont boulevers� le monde.
Pendant que la FT d�couvrait de pr�tendus � �l�ments pr�r�volutionnaires � dans la r�volte des Gilets jaunes, il a d� reconna�tre le � caract�re h�t�roclite des revendications sociales et �conomiques port�es par le mouvement. Certaines sont clairement progressistes, � l�instar de l�augmentation du SMIC ou de l�annulation de certains imp�ts indirects, d�autres, en revanche, sont beaucoup plus ambigu�s, comme dans le cas des demandes de baisses de �charges� patronales. � En plein milieu de toute cette agitation � r�volutionnaire �, le CCR, singeant LO, a seulement exhort� l��tat bourgeois � interdire les licenciements et pas d�appeler les travailleurs � occuper les usines.
Au lieu de cela, dans un article du 20 d�cembre sur le � r�f�rendum d�initiative citoyenne � qui enthousiasme les gilets jaunes, la FT appelle � une � transformation d�mocratique radicale � inspir�e par la R�volution fran�aise. Ceci est ouvertement pr�sent� � la mode menchevique comme un premier pas vers une r�volution socialiste (ult�rieure). En cela, ils perp�tuent la tradition de leur prog�niteur Nahuel Moreno qui avait rejet� (� actualis� �) le programme de transition r�volutionnaire de Trotsky en faveur de revendications � d�mocratiques radicales �.
La Fraction � Trotskyste� pourrait rechigner � l�appel de Moreno en faveur d�une � r�volution d�mocratique � et de � r�volutions de f�vrier partout �, mais elle partage sa m�thodologie � d�mocratiste �. Et ceci dans une situation o� la priorit� fondamentale est de scinder le � mouvement � populiste sur les lignes de classe. En outre, une lutte pour des vrais droits d�mocratiques � tels que les pleins droits de citoyennet� pour tous les immigr�s et pour les fils et filles d�immigr�s � scissionnerait les Gilets jaunes, avec leur composante substantielle d��lecteurs et activistes racistes/nationalistes et fascistes.
La FT a tent� de camoufler son suivisme envers des petits bourgeois radicalis�s par une r�f�rence � Trotsky, citant son appel de 1934 � une � assembl�e unique �. Voici la version fran�aise de leur cheval de bataille, appelant aux assembl�es constituantes partout, tout en confondant celles-ci avec l�institution des d�put�s r�vocables de la Commune de Paris qui recevaient un salaire de travailleur. Tout cela est d�lib�r�ment confondu, au service d�un programme opportuniste de capitulation aux illusions d�mocratiques des masses.
Ainsi, contrairement aux bolch�viks, qui ont r�clam� une assembl�e constituante pour d�montrer que seul le pouvoir ouvrier pouvait r�soudre les t�ches d�mocratiques, la FT estime qu�un tel organe dans un pays semi-colonial comme le Br�sil peut effectivement mettre en �uvre des mesures anti-imp�rialistes, une r�volution agraire et m�me un programme qui favorise la classe ouvri�re. Et en France, un tel � slogan d�mocratique radical � peut �tre utilis� pour � se battre ensemble � avec les masses qui veulent � changer le syst�me politique mais [qui] ne sont pas en accord avec la r�volution � (� A Assembleia Constituinte dentro do programa transicional dos revolucion�rios � [L�assembl�e constituante dans le programme de transition des r�volutionnaires], Esquerda Di�rio, 16 mars 2016).
Appel de La Vie Ouvri�re pour la manifestation du 12 f�vrier 1934 (en bas) contre la menace fasciste en France. Loin de pr�coniser la r�organisation parlementaire comme recours contre le fascisme, comme pr�tendent les pseudo-trotskystes, Trotsky revendiquait le front uni ouvrier pour mobiliser les travailleurs dans une lutte qui aboutirait � la r�volution socialiste.
Comme nous avons soulign� :
� La situation en France au milieu des ann�es 1930 �tait tr�s diff�rente et Trotsky n�a pas appel� � une assembl�e constituante, contrairement � la mythologie mor�niste. Alors, que pr�conisait son �Programme d�action en France� de juin 1934 ? � l��poque, r�actionnaires et fascistes de droite poussaient le pays vers un r�gime autoritaire d�un ��tat fort�, refl�tant une tendance g�n�rale dans toute l�Europe symbolis�e par la prise du pouvoir par Hitler l�ann�e pr�c�dente et la d�faite du soul�vement des travailleurs � Vienne en f�vrier 1934 par le r�gime cl�rical-fasciste Dolfuss en Autriche. Le slogan central de Trotsky face � cette menace bonapartiste ne visait pas une assembl�e constituante d�mocrate bourgeoise, comme le sugg�rent les mor�nistes, mais plut�t �� bas l�Etat autoritaire bourgeois! Pour le pouvoir des travailleurs et des paysans!� Dans le cadre de la lutte pour une �commune de travailleurs et de paysans�, Trotsky s�est engag� � d�fendre la d�mocratie bourgeoise contre les attaques fascistes et royalistes. Dans ce contexte, il a appel� � la suppression de divers aspects antid�mocratiques de la Troisi�me R�publique fran�aise, dont le S�nat �lu au suffrage limit�, et la pr�sidence, centre de coordination des forces militaristes et r�actionnaires, et a propos� une �assembl�e unique� qui �combinerait les pouvoirs l�gislatif et ex�cutif�. �
� � Trotskyism vs. �Constituent Assembly� Mania � [Le trotskisme contre la manie pour l�assembl�e constituante], The Internationalist no. 27, mai-juin 2008
Pendant que la strat�gie menchevique du FT ait une g�n�alogie mor�noiste, la convergence avec les entristes ind�crottables de la � Tendance marxiste internationale � social-d�mocrate (TMI) d�Alan Woods est remarquable. L�organisation de la TMI en France (anciennement La Riposte, lorsqu�il faisait partie du PCF, puis le Parti de gauche de M�lenchon) a �galement pass� une grande partie de novembre-d�cembre � courir � � bout de souffle � apr�s une � r�volution � imaginaire en France. Cela correspond � la propension de Woods � d�couvrir des situations r�volutionnaires quelque part sur la plan�te, au moins une fois et souvent deux fois par an.
Au sujet des Gilets jaunes, la TMI a �crit: � un mouvement de cette nature est caract�ristique du d�but d�une r�volution � (R�volution, 20 novembre 2018). Quelques semaines plus tard, nous lisons que la France est � au seuil d�une crise r�volutionnaire � (R�volution, 7 d�cembre 2018). Mais dans cette situation r�volutionnaire imaginaire, quelles sont leurs revendications ? La TMI appelle les � Gilets jaunes et les syndicats � � revendiquer � Taxer les riches, pas les pauvres! � et � Augmenter les salaires et les retraites! Pour des �lections l�gislatives anticip�es! � (R�volution, 23 novembre 2018). Pas vraiment un appel � l�action r�volutionnaire, n�est-ce pas?
Comme c�est presque toujours le cas lorsque les opportunistes trotskysants se trouvent � la tra�ne des forces non-prol�tariennes, ils font appel aux remarques de L�nine en 1916 sur l�insurrection de P�ques � Dublin : � Quiconque attend une r�volution sociale �pure� ne vivra_jamais_ assez longtemps pour la voir �. Ces paroles ont �t� cit�s � la fois par la Fraction Trotskyste et par la TMI en r�f�rence aux Gilets jaunes, et presque simultan�ment. Mais voyons ce que L�nine a vraiment dit:
� La r�volution socialiste en Europe ne peut pas �tre autre chose que l�explosion de la lutte de masse des opprim�s et m�contents de toute esp�ce. Des �l�ments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arri�r�s y participeront in�vitablement � sans cette participation, la lutte de masse n�est pas possible, aucune r�volution n�est possible � et, tout aussi in�vitablement, ils apporteront au mouvement leurs pr�jug�s, leurs fantaisies r�actionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, _objectivement,_ils s�attaqueront au capital, et l�avant-garde consciente de la r�volution, le prol�tariat avanc�, qui exprimera cette v�rit� objective d�une lutte de masse disparate, discordante, bigarr�e, � premi�re vue sans unit�, pourra l�unir et l�orienter, conqu�rir le pouvoir, s�emparer des banques, exproprier les trusts ha�s de tous (bien que pour des raisons diff�rentes !) et r�aliser d�autres mesures dictatoriales dont l�ensemble aura pour r�sultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne �s��purera� pas d�embl�e, tant s�en faut, des scories petites-bourgeoises. �
� � Bilan d�une discussion sur le droit des nations � disposer d�elles-m�mes �
L�appel de clairon bolchevique de L�nine � forger une direction prol�tarienne visant au renversement et � l�expropriation de la bourgeoisie est un reproche mordant aux mencheviks �lectoralistes de la pr�tendue � Fraction trotskyste � et de la � Tendance marxiste internationale �. Pendant que ces deux se retrouvent � la remorque aux Gilets jaunes, les l�ninistes cherchent � scissionner ce mouvement amorphe au travers les lignes de classe, alignant les masses laborieuses d�entre eux � un mouvement ouvrier qui lutte pour la conqu�te du pouvoir, et � gagner les meilleurs �l�ments au trotskysme, le marxisme r�volutionnaire de notre �poque. ■