Joe Dassin - site non officiel (original) (raw)

BEATRICE DASSIN RACONTE...

Par B�atrice Launer-Dassin, propos recueillis par Jean-Claude Robrecht. Publucation de "JOE" (revue trimestrielle du Club) en avril 2004

Ma seule consolation, c�est que Joe soit mort heureux� Nous �tions arriv�s � Tahiti le 17 ao�t 1980 avec Jonathan, 2 ans, et Julien, �g� de 6 mois, pour les vacances. Mon fils �tait � une p�riode de sa vie o� il se remettait en question. Il aurait aim� rechanter en anglais, changer de vie. L�ann�e avait �t� dure pour lui, physiquement et moralement�

Le 17 juillet, � Cannes, il avait �t� victime d�une malaise qui l�avait oblig� � annuler sa rituelle tourn�e d��t�. J�en fus compl�tement stup�faite. Il ne m�avait jamais rien dit.

J�ai dit � son m�decin: �Gardez-le un mois s�il le faut, afin qu�il se r�pose vraiment!� Malheureusement, le sp�cialiste avait d�j� appris � mon fils qu�il pourrait quitter l�h�pital au bout de cinq jours. Joe n�avait donc qu�une h�te: rejoindre Tahiti avec ses 2 enfants et moi�

En ce qui me concerne, c��tait la premi�re fois que j�allais en Polyn�sie. Joe voulait me faire voir le terrain qu�il avait achet�, sur l��le de Tahaa, � deux cent kilom�tres de Papeete. Il poss�dait deux petits far�s, qu�il consid�rait comme son paradis�

Le troisi�me jour, Joe avait invit� � d�jeuner ses copains fran�ais et tahitiens pour me les faire conna�tre et pr�parer avec eux le meilleur itin�raire pour me faire visiter l��le. A la table du restaurant, �Chez Michel et Eliane�, deux tr�s grands amis eux aussi, il y avait �galement Claude Lemesle et son guitariste anglais, Tony Harvey. Nous �tions une douzaine en tout.

Joe �tait fou de joie de partir � Tahaa, et c�est en blaguant qu�il a rempli nos assiettes. J��tais assise en face de lui. Nous allions attaquer les crudit�s lorsque sa t�te, tout � coup, s�est affaiss�e sur sa poitrine. Sans autre signe avant-coureur.

Lorsque nous avons compris que c��tait plus qu�une simple malaise, quelqu�un a cri�: �Y a-t-il un m�decin dans la salle?� Un homme grand, suffisant, s�est approch� et a lach� avec dedain: �C�est fini. Il n�y a plus rien � faire�. J�ai saisi l�homme par le col de sa chemise en explosant: �Mais il y a toujours quelque chose � faire!� Tony, le musicien, a tent� le bouche � bouche. Gilbert, le kin�sitherapeute, un massage cardiaque. En vain!

La seule ambulance de l�h�pital de Papeete, appel�e aussit�t, n��tait pas libre et est arriv�e tardivement. C�est seulement quarante minutes apr�s l�arr�t du coeur que mon fils est arriv� en salle de r�animation. Pendant ce temps, h�las, personne n�avait pens� � emmener Joe dans sa voiture. Moi-m�me, totalement an�antie, comme dans un �tat second, je n�ai pas eu le reflexe de dire: �Mais n�attendons pas les secours et portons-le nous-m�mes � l�h�pital!�

Une amie, Ren�e Casimir, est venue me pr�venir que l��lectrocardiogramme indiquait que le coeur battait encore durant de tr�s courts instants. J�ai remerci� le ciel. Quelques minutes plus tard, pourtant, Ren�e m�a appris que les m�decins ne pouvaient plus rien tenter: Joe �tait mort. Je pense qu�a Paris, on aurait pu le sauver.

J��tais dans un terrible �tat de choc, comme dans un �tat second. Il m��tait impossible de prendre la moindre initiative. D�ailleurs, je n�y pensais m�me pas. Aussi, ce sont les amis de Joe qui ont pris la d�cision d�organiser une c�r�monie r�ligieuse avant que son corps ne soit rapatri� vers les Etats-Unis.

La c�r�monie a eu lieu � la morgue de Papeete. �La cout�me veut que l�on d�pose sur le corps un petit morceau d�un v�tement de la m�re�, a pr�cis� le rabbin. Et celui-ci a d�chir� une partie de la tunique blanche que je portais sur un pantalon et il l�a pos�e sur le corps de mon fils. Bien s�r, je poss�de toujours aujourd�hui le reste de la tunique.

J�ai embrass� Joe. J�ai voulu rester pr�s de lui. Mais, doucement, ses amis m�ont emmen�e�

Je ressens sa pr�sence. Il est l�, mais lui �tait un scientifique et ne croyait pas aux pr�monitions� Une fois, j��tais � New York chez ma soeur, au moment de l�anniversaire de sa mort. Je n�arrivais pas � dormir et n�arr�tais pas de me r�p�ter: �Tu me manques�� Pour tromper mon angoisse, � 3 heures du matin, je branche la t�l�vision. L�image qui appara�t, ce fut Joe avec une barbe et un chapeau melon. C��tait le film �Lady L� de Peter Ustinov dans lequel Joe jouait le r�le d�un policier.

Jamais, Joe n�aurait voulu que nous pleurions son d�part. Joe �tait quelqu�un de gai, un gar�on toujours plein d�esprit et d�humour. Deja, tout petit, lorsqu�il �tait sujet � des crises d�asthme �pouvantables, quand il en sortait, il se rattrapait en rigolant.

Lorsque Joe nous a quitt�s, j�ai abandonn� le violon pendant quelques ann�es. Cela n�avait plus de sens dans ma vie. Et puis, j�ai pris conscience que jouer du violon �tait le meilleur moyen de joindre mon fils. La musique permet de toucher les �mes car elle s�en va dans l�athmosph�re� Joe est partout. Il �tait fier lorsque j�en jouais. Il avait assist� � plusieurs concerts, notamment � Prades dans le sud de la France. Il aurait aim� que j�enregistre sur disque les sonates de Jean-Sebastien Bach, son compositeur pr�f�r�. La musique, chez nous, a toujours �t� reine�

Mon p�re, un juif autrichien qui avait d� s�exiler aux Etats-Unis, � l��ge de 11 ans, �tait un m�lomane. Lorsque j�ai connu Jules Dassin, j�avais treize ans et lui dix-sept. Il habitait le quartier pauvre de Harlem, a New York, et moi celui du Bronx, � quelques rues de l�. Au conservatoire, j�ai choisi le violon qui est devenu mon m�tier. Nous nous sommes mari�s en 1933. Quand les enfants sont n�s, Joe d�abord, en 1938, puis, deux ans presque jour pour jour, sa soeur Richelle, que nous surnommions Rickie, puis Julie 4 ans et demi apr�s, je travaillais dans les studios d�enregistrement � Hollywood, tout proche de notre maison. Comme mon mari �tait m�lomane lui aussi, il n��tait pas rare que, le dimanche, nous nous trouvions r�unis pour un trio ou un quatuor et que nous jouions de la musique de chambre. Les enfants assistaient d�j� � 20 heures � notre concert, puis j�allais les coucher.

Nous habitions une petite maison � deux etages. La chambre des enfants �tait au premier. Tres t�t, j�ai senti chez Joe des dispositions pour la musique. Je me souviens en particulier du No�l qui a suivi la naissance de Rickie. Joe avait donc deux ans. Quand sa soeur est n�e, nous l�avions mis � l��cole maternelle, o� il avait appris �Silent Night� (�Douce Nuit, Sainte Nuit�), une chanson qu�il nous a chant�e ce soir-l�. De sa petite voix tr�s haute de soprano, il nous a chant�s toute la chanson parfaitement. Il n�y a qu�un mot qu�il n�avait pas assimil�. Le reste �tait parfait. La m�me chose avec les instruments de musique, n�importe quel instrument. Il �coutait, regardait et reproduisait sur le champ ce qu�il avait entendu. En 1949, mon mari qui venait de terminer un film � Londres, avait rapport� pour P�ques � Joe, qui avait 10 ans, un accord�on. Mon fils s�en est saisi, aussit�t, il en a compris le fonctionnement.

Tous ensemble, nous avons connu nos ann�es les plus dures: celles de la crise �conomique, celles du maccarthysme o� Jules a �t� mis sur la liste noire, lui interdisant tout travail. Et c�est la raison pour laquelle nous sommes venus vivre en Europe.

En 1949, nous avons sejourn� � Londres pendant quelques mois; mon mari y tournait un film intitul� �Les Forbans de la Nuit� (�Night and the City�). Lorsque Jules est parti en Italie, Joe fut mis en pension au Coll�ge de Rosey en Suisse. C�est la seule p�riode ou j��tais �loign�e de mes enfants. Les filles �taient dans un autre coll�ge.

En 1950, je venais d��tre choisie avec douze autres solistes qui repr�sentaient les Etats-Unis pour participer au Festival de Prades en France dans l�orchestre de Pablo Casals, le c�l�bre violoncelliste. Apres le festival, j�ai obtenu de Pablo Casals la faveur d��tudier avec lui. Chaque week-end, je faisais le voyage en train de Perpignan � G�n�ve afin de voir mes enfants. Comme je voyageais toujours avec mon violon, mon fils m�a demand�, un week end, de donner un r�cital au coll�ge. Il �tait fier de tourner les pages de mes partitions.

En classe, Joe a toujours �t� le premier. C�est en Suisse qu�il a commenc� � apprendre le fran�ais. Lorsque nous sommes arriv�s � Savigny-sur-Orges en France, il avait 13 ans. Au bout de six mois, il �tait d�j� le premier de son lyc�e.

Avec Jules, nous sommes devenus presque comme fr�re et soeur. Il allait bient�t rencontrer Melina, en 1955. La vie �tait devenue difficile pour moi. Il fallait bien que je travaille. Lorsque son p�re nous a quitt�s, Joe est devenu tr�s protecteur envers moi. Mais, en r�alit�, c��tait dans sa nature. Je me souviens que lorsqu�il avait dix ans, je m��tais fait une entorse, tandis que mon mari tournait son film � Londres. C�est Joe qui m�a apport� des compresses chaudes qui lui br�laient les mains. Le soir, il avait pris l�initiative de pr�parer des hamburgers pour ses petites soeurs. La nuit, il a train� son matelas jusqu�au pied de mon lit pour me veiller.

Plus tard, je me souviens aussi du jour o� Joe a obtenu son doctorat en ethnologie aux Etats-Unis. Il avait une chapeau et une longue robe noire. Il �tait superbe.

Lorsque Joe s�est int�ress� � la chanson, nous pensions qu�il ne pourrait jamais chanter en public, lui qui �tait si pudique, si modeste et si r�serv�. Et puis, il a commenc� � accumuler les disques d�or. Je le suivais parfois en tourn�e. Je me souviens d�un ete merveilleux au sud de la France avec Joe et Maryse, une fille adorable qu�il avait �pous� en 1966.

Nous ne nous mettions jamais au lit avant 5 heures du matin, car Joe �tait tellement angoiss� quand il montait sur sc�ne qu�il lui fallait d�compresser ensuite. Alors nous palabrions ensemble de tout, de rien. Nous jouions aux cartes. L�angoisse ne l�a jamais quitt� tout au long de sa carri�re. Cela n�avait rien � voir avec le trac. Joe �tait un gar�on terriblement pudique. Le succ�s lui faisait plaisir mais le g�nait. C�est pour cela qu�il r�vait de vivre aux Etats-Unis ou personne ne le connaissait. Il songeait s�rieusement � venir s�installer � Palm Springs. Il r�vait d�un ranch en pleine nature ou il aurait v�cu entour� de ses deux fils, sa plus grande fiert�, et d�animaux.

Joe �tait g�n�reux, chaleureux, modeste et tr�s cultiv�. Il avait gard� de ses �tudes l�habitude de la lecture. Il aimait les �ditions rares. Un jour, il s�acheta les vingt volumes en anglais de l�Encyclopaedia Britannica et il ne put s�empecher de me t�l�phonner pour me faire partager sa joie: �Maman, pose-moi une question, sur n�importe quel sujet�. D�s qu�il a eu trouv� la bonne page, il se mit � reciter tout le paragraphe qui repondait � la question que je lui avais pos�e. Il �tait comme un enfant qui s��mervellait de tout.

Mon fils adorait faire les cadeaux. Le dernier qu�il m�a fait a �t� une bague ancienne en diamant, juste avant que je ne parte pour les Etats-Unis. Et lui qui avait une profession qui ne lui laissait pourtant pas beaucoup de loisirs, avait pris la peine de d�couper et creuser dans le sens vertical six livres d�Agatha Christie, un auteur que j�adore. Il les avait empil�s les uns au-dessus des autres et avait cach� la bague et son ecrin dans le fond. Au debut, je crus bien s�r que c��taient des livres qu�il m�offrait. De me voir d�couvrir lentement son cadeau le rejouit vraiment.

Les gens me temoignent infiniment de sympathie, ils me disent toujours que Joe �tait leur chanteur pr�f�r� et qu�il vit dans leur m�moire. C�est pour moi un grand reconfort. Ainsi, sa chanson intitul�e �Que sont devenus mes amours?� se termine par �se souviennent-ils de mon passage?� Je v�rifie tous les jours que la reponse est �oui!�

Joe a donc r�ussi ce qu�il voulait. Ma plus grande consolation, c�est de savoir qu�il est heureux l� o� il est, qu�il ne peut plus souffrir�

Les images que j�ai gard�es de mon fils, ne sont pas celles de lui mort, mais vivant. J�ai par exemple quotidiennement sous les yeux, dans ma maison des Yvelines, deux photos de mon fils que m�a fait parvenir Jean-Claude. Chaque fois que je passe devant ces photos, je caresse la joue de mon fils comme s�il �tait pr�s de moi. Les premi�res ann�es de sa disparition, j�avais pris l�habitude de mettre chaque jour une rose fra�che pr�s de ses photos.

D�sormais, j�ai un autre rite: ou que j�aille, je ramasse un joli petit caillou et lorsque je reviens chez moi, en France ou en Californie, je le d�pose autour d�une des photos de Joe ou sur sa tombe. Les fleurs se fanent, les cailloux, eux, sont �ternels�

Je vais vous raconter une anecdote. Depuis la disparition de mon fils, chaque fois que j�allais me recueillir sur sa tombe � Hollywood, j�avais la surprise d�y trouver des fleurs fraiches. Intrigu�e, j�ai cherch� quelle main �tait � l�origine de ce geste �mouvant. En vain! Et puis, en 1989, la pierre tombale de Joe ne fut plus fleurie, ce qui m�a permis de d�couvrir la v�rit�. Au mois de septembre de cette ann�e-la, en effet, a eu lieu l�explosion d�un avion de la compagnie UTA qui venait du Tchad; l�une des h�tesses de l�air, une Tahitienne, est morte dans la catastrophe. C��tait une grande amie de Joe. Elle �tait affect�e � la ligne de Los Angeles. Elle y atterrissait deux ou trois fois par semaine. Ses escales lui permettaient de venir fleurir souvent la tombe de mon fils.

Je suis toujours rest�e en contact avec le papa de Joe. Nous nous t�l�phonnons souvent. J�ai entretenu avec lui et Melina Mercouri des rapports amicaux. Chaque fois que Melina jouait au theatre, j��tais au bord de la sc�ne, pour la premi�re. J�ai vu ainsi �Les enfants du Pir�e� � Broadway. Et mes enfants ont toujours consid�r� Melina comme un membre de la famille. Jules a v�cu avec elle � peu pr�s autant d�ann�es qu�avec moi. Et lorsqu�ils sont venus chez moi, pr�s de Paris, le 29 juin 1993, j�ai partag� leur d�tresse. Car je suivais pas � pas, et depuis le d�but, l��volution de la maladie de Melina. En 1955, Jules avait tout de suite vu en Melina Mercouri son interprete id�ale. Elle avait une si forte personnalit� qu�il aimait la restituer � l��cran.

Mon fils est toujours pr�sent dans ma vie. Je lui parle. Quand je ne parviens pas � m�endormir, je regarde les cassettes vid�o de ses �missions de t�l�vision. J�aime tout particuli�rement quand il chante en duo avec Jeane Manson �Le petit pain au chocolat�. Ou encore quand il est habill� en Mexicain, avec un grand chapeau, et qu�avec Henri Salvador, d�guis� en mosquito, il chante �Le moustique�. J�aime aussi beaucoup un Num�ro Un de Maritie et Gilbert Carpentier, lorsque, avec Carlos, Jeane et Dave, il interpr�te �Petit papa Noel�. Comme vous le voyez, ce sont les sequences gaies que je pr�f�re. Elles lui ressemblent tellement�

Ses chansons, je les �coute aussi (souvent en voiture). Mais j��vite celles qui sont tr�s attach�es aux mauvais souvenirs. Je veux vivre avec mes souvenirs heureux, lorsque sur sc�ne, j�admirais Joe comme s�il n��tait pas mon fils! Voir le public qui le reclamait et qui l�adorait me faisait �norm�ment plaisir.

J�aime aussi relire les pages que Maryse, sa premiere �pouse, et Jacques Plait lui ont consacr� dans �Cher Joe Dassin�. Dans cet ouvrage, il est parfaitement d�crit. J�adore tout particuli�rement les extraits qui ont trait � sa d�couverte de la Polyn�sie.

La revue trimestrielle du Club de Joe fait aussi parfaitement revivre la personnalit� de mon fils. Un travail comme celui de Jean-Claude m�a aid�e � trouver la s�renit�. Joe a quand m�me eu la chance de vivre en peu de temps ce que d�autres ne connaissent pas en toute une vie.

En haut Vers la liste