Immigration clandestine : Bruno Retailleau s’attaque à la politique de Manuel Valls (original) (raw)

Publié le 24/09/2024 à 19:03, Mis à jour le 25/09/2024 à 11:55

Le nouveau ministre de l’Intérieur entend durcir la «circulaire Valls» de 2012, qui facilitait la régularisation des travailleurs sans-papiers, et rétablir le délit de séjour irrégulier.

Cible prioritaire de ses premières interventions médiatiques, l’immigration clandestine est dans le viseur de Bruno Retailleau. Interrogé par Sonia Mabrouk sur les moyens qu’il entend mettre en œuvre à cet effet, le nouveau ministre de l’Intérieur a déclaré sur CNews vouloir «demander [aux préfets] des résultats, en matière de régularisations, de naturalisations et d’expulsions» arguant que grâce à l’intervention de son groupe de sénateurs l’an passé, «la loi, nous l’avons changée, j’y ai participé, on a des leviers dont il faut se saisir».

Le nouvel occupant de la place Beauvau a ensuite évoqué des mesures administratives : «Je ne m’interdis pas de prendre, notamment par la voie réglementaire, des dispositions, sur la circulaire Valls, il peut y en avoir d’autres, par exemple sur l’Aide Médicale d’État». Bruno Retailleau a enfin estimé qu’une loi sera nécessaire pour imposer d’autres mesures, citant notamment le «rétablissement du délit de séjour irrégulier, que François Hollande a annulé il y a un peu plus de dix ans», ou encore un contrôle de l’immigration étudiante par exemple.

À lire aussiImmigration : que peut vraiment faire Bruno Retailleau sans modifier la loi ?

Confirmant comme il l’avait annoncé dès son premier entretien au Figaro lundi après-midi, que son objectif est de «mettre un coup d’arrêt aux entrées illégales», Bruno Retailleau a donc exprimé son intention de revenir sur deux mesures prises par Manuel Valls, son prédécesseur au ministère de l’Intérieur sous François Hollande.

Durcissement de la «circulaire Valls»

La première d’entre elles est la «circulaire Valls», un texte présenté par Manuels Valls le 27 novembre 2012 et adressé le lendemain à tous les préfets du pays, dans lequel l’ancien ministre de l’Intérieur précisait les critères que devait remplir une personne en situation irrégulière pour obtenir un titre de séjour. L’objet de ces consignes transmises à l’administration était d’énoncer des règles précises en matière de régularisation des sans-papiers, en vertu d’une promesse de campagne de François Hollande qui entendait lutter contre l’arbitraire des décisions préfectorales.

En réalité, cette circulaire a permis surtout d’assouplir les conditions de régularisation des clandestins, en permettant notamment d’accorder un titre de séjour aux sans-papiers dont un enfant est scolarisé en France depuis au moins trois ans, ou encore à ceux qui vivent en France depuis au moins cinq ans, qui ont travaillé au moins huit mois dans les deux dernières années et disposent d'un contrat de travail ou une promesse d'embauche. Cette circulaire est encore en vigueur aujourd’hui. Une «source gouvernementale» avait indiqué à L’Express l’an passé, lors des débats sur la loi sur l’immigration, que cette circulaire avait permis de régulariser 335.000 sans-papiers en 10 ans (toutes catégories confondues : étudiants, travailleurs, parents d’enfants scolarisés...).

À lire aussiManuel Valls: «Sur l’immigration, nous devons appuyer sur le bouton “stop”»

C’est donc en premier lieu les conditions de régularisation prévues par la circulaire Valls que Bruno Retailleau entend durcir, afin de demander aux préfets de «régulariser moins» (une consigne que Bruno Retailleau entend comme le pendant d’un diptyque, le premier volet étant «expulser plus», selon ses mots lundi soir au 20h de TF1).

En réalité, Bruno Retailleau s’était déjà attaqué aux critères de la circulaire Valls lors des débats parlementaires sur la loi immigration, alors que le premier texte présenté par le gouvernement à l’automne 2023 entendait faciliter sous certaines conditions la régularisation des travailleurs sans-papiers. Dans un premier temps Bruno Retailleau, alors président du groupe LR au sénat, avait obtenu des sénateurs le retrait pur et simple de cet article de la loi, proposant à la place un durcissement des critères de la circulaire Valls. «Après le vote du Sénat, les préfets auront désormais l'obligation de vérifier, non seulement la réalité et la nature des activités professionnelles de l'étranger [irrégulier qui demande un titre de séjour], mais aussi son insertion sociale et familiale, son respect de l'ordre public, son intégration à la société française, son adhésion au mode de vie et aux valeurs de la communauté nationale, et son absence de condamnation pénale», exposait un communiqué signé par Bruno Retailleau.

Finalement, après de multiples tractations avec la droite sénatoriale, le gouvernement avait obtenu le maintien de l’article sur la régularisation de travailleurs sans-papiers dans certains métiers en tension, et cet article, qui ne prévoyait donc pas franchement de revenir sur la circulaire Valls, a survécu à la censure du Conseil constitutionnel.

Rétablissement du délit de séjour irrégulier

Ce n’est pas le cas en revanche d’une autre mesure négociée par Bruno Retailleau, et inscrite dans le texte final de la loi sur l’immigration : le rétablissement d’un délit de séjour irrégulier, puni par une amende. Cette mesure a tout bonnement été retirée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle constituerait un «cavalier législatif», c’est-à-dire qu’elle serait sans rapport avec l’objet principal de la loi.

À lire aussiCensure du Conseil constitutionnel: «Face à l’immigration, le Parlement peut-il encore légiférer ?»

Il s’agit là encore d’une mesure qui entend abroger une décision de François Hollande et figurant dans la «loi Valls» du 31 décembre 2012. C’est en effet par cette loi portée par l’ancien ministre de l’Intérieur que le fait de séjourner clandestinement en France a cessé d’être un délit pénal, empêchant dès lors les forces de l’ordre de placer en garde à vue toute personne se trouvant en situation irrégulière. Cette même loi Valls affaiblissait également la répression de l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier, en empêchant les juges de punir des membres d’association ayant offert des conseils juridiques ou un hébergement aux clandestins entrés illégalement sur le territoire. À la place de poursuites pénales, la loi prévoyait la possibilité d’une retenue administrative des clandestins, et l’entrée irrégulière sur le sol français demeurait, elle, délictuelle.

Bruno Retailleau considère donc quant à lui qu’il faut rétablir ce délit pénal de séjour irrégulier, a contrario de plusieurs décisions de la Cour de justice de l’Union européenne prises en 2010 et 2011 en application de la «directive retour» adoptée par l’Union européenne en 2008, et confirmé en juin 2012 en France par un arrêt de la Cour de cassation. Dans l’amendement proposé par les sénateurs LR en 2023, le délit de séjour irrégulier aurait été passible d’un an d’emprisonnement et 3750 € d’amende. Depuis 2012, Marine Le Pen et Éric Zemmour, mais encore Éric Ciotti ou même Rachida Dati avaient également proposé le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Gérald Darmanin avait donné fin 2023 son assentiment aux députés du camp présidentiel pour accepter cette requête des Républicains dans l’examen de la loi en commission mixte paritaire.