Henri Sauguet (original) (raw)

Le c�l�bre compositeur du ballet Les Forains �crit en 1945, Henri Sauguet, est d�c�d� � Paris le 22 juin 1989. Une fois de plus la mort de cet �minent musicien, membre de l�Institut, un peu trop m�connu du grand public de nos jours, a �t� peu comment�e dans la presse parl�e et �crite : tout juste l'annonce de son d�c�s sur certaines radios ou cha�nes de t�l�vision, quelques mots dans tel journal, mais rien de bien s�rieux !

Henri Sauguet, de son vrai nom Henri Poupart, est n� � Bordeaux le 18 mai 1901, dans la maison de famille du 6 rue de la Leyteire, pr�s du Cours Victor-Hugo. Cette ancienne capitale de la Guyenne a vu na�tre �galement bien d�autres grands musiciens : Oscar Comettant, Dom Cl�ment Jacob, Henry Expert, Edouard Colonne, Gustave Samazeuilh, Charles Tournemire, Louis Beydts, Joseph Ermend-Bonnal et Charles Lamoureux pour ne citer que les plus connus. D�s l'enfance, � l��ge de 5 ans il est initi� � la musique par sa m�re, Elisabeth Sauguet et Marie Bordier, professeur de piano, avant de devenir �l�ve de piano de Melle Loureau de la Pagesse alors organiste de ch�ur de l��glise Sainte-Eulalie de Bordeaux, sa paroisse. Il �tait �galement � cette �poque choriste au sein de la Ma�trise de cette �glise et c�est d�ailleurs l� qu�il d�couvrit le plain-chant, le faux-bourdon et la polyphonie. Devenu un peu plus tard �l�ve d�orgue de Paul Combes, organiste de Notre-Dame de Bordeaux et d��criture musicale de Marcel Lambert-Mouchague, le futur organiste et ma�tre de chapelle de l'�glise Saint-S�verin � Paris, il occupera durant quelques ann�es (1916-1922) le poste d�organiste de l��glise St-Vincent de Floirac, non loin de Bordeaux. " Le petit orgue de Floirac �tait un instrument bien modeste en v�rit�, un unique clavier, huit jeux, un p�dalier qui ne fonctionnait qu�� l�aide d�une tirasse, une bo�te expressive, mais il n�y avait pas de buffet : l�ensemble des tuyaux �tait enferm� dans deux grandes bo�tes placards situ�es � droite et � gauche de la console. Mais j�avais un instrument � ma disposition, j�avais un emploi, musicien : j�appartenais � la corporation des musiciens d��glise ! "1 La musique d��glise et plus sp�cialement l�orgue ont sans aucun doute profond�ment marqu� dans sa jeunesse Henri Sauguet. M�me si ses compositions religieuses ne tiennent que peu de place dans son catalogue : une petite Messe pastorale pour 2 voix et orgue (1934) et une Messe jubilatoire pour t�nor, basse et quatuor � cordes (1983), il gardera toute sa vie une certaine affectation pour ce genre de musique : " L�orgue ! Le r�ve de ma jeune existence. D�s mon plus jeune �ge, ses amples sonorit�s, venues des vo�tes des sanctuaires qu�elles emplissaient, comme issues du ciel m�me, le myst�re de cette musique qui sortait de ces tuyaux si parfaitement ordonnanc�s, sans que soit visible le musicien qui d�livrait ces harmonies enchanteresses, me plongeaient dans une excitation extatique qui faisait frissonner tout mon corps et m�emplissait l��me. L�orgue et les cloches me jetaient dans une sorte de d�lire... "2 C�est sans doute pour cela que sa musique de chambre contient plusieurs pi�ces pour cet instrument : Oraisons pour orgue et 4 saxophones (1976), Ne moriatur in aeternum " � la m�moire d�Andr� Jolivet " pour trompette et orgue (1979), Sonate d��glise pour orgue et quintette � cordes (1985)... Curieusement c�est �galement � l��glise qu�il d�couvrit Debussy : un jour, passant devant l��glise Saint-Louis-des-Chartrons, les portes �tant ouvertes pour l�entr�e des mari�es, il entendit les brillantes sonorit�s de l�orgue qui jouait une marche nuptiale. Attir� par celles-ci il s�arr�ta quelques instants afin de mieux savourer cette musique divine. Au moment de l��l�vation " descendit de l�orgue une musique qui me fit frissonner et que je trouvai extraordinaire par ses sonorit�s toutes nouvelles pour moi, et qui, pourtant, me semblaient tr�s exactement r�pondre � la musique que je pressentais et dont j�attendais la r�v�lation... "3 C��tait une page de Debussy : La Fille aux cheveux de lin, extraite de ses Douze pr�ludes (1er livre) pour piano, �crits en 1910.4 " La suite de quarte et de quinte qui entourent la m�lodie �trange et suave produisait en moi un ravissement toujours renouvel�. "5

Mais lorsque la d�claration de guerre arriva en 1914, la mobilisation de son p�re l�obligea � gagner sa vie. C�est ainsi qu�il devint, notamment, employ� de pr�fecture � Montauban en 1919 et 1920. L�, il connut Joseph Canteloube, un ancien �l�ve de d�Indy et de Charles Bordes, alors r�fugi� dans cette ville, qui lui enseigna la composition. Revenu � Bordeaux, il fondait le Groupe des Trois avec Louis Emi� et Jean-Marcel Lizotte. Henri Sauguet voulait en effet faire entendre la musique la plus r�cente libre de toute influence et de toute attache. Leur premier concert eut lieu le 12 d�cembre 1920 et on put alors entendre des pages du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Germaine Tailleferre, Darius Milhaud, Francis Poulenc) d�Erik Satie et bien entendu de nos trois musiciens, avec, entre autres �uvres, sa Danse n�gre et sa Pastorale pour piano_._

Sur les instances de ses amis Darius Milhaud et Francis Poulenc, Henri Sauguet s�installait � Paris d�s octobre 1922. Il se perfectionnait alors dans l��criture et les formes aupr�s de Charles Koechlin. " Tr�s vite, je compris qu�en lui, j�avais trouv� le guide que je cherchais et qui m�apporterait, non point seulement les n�cessaires connaissances de mon m�tier d��crivain en musique, mais bien davantage encore : la connaissance d�un art dans ses profondeurs, dans ses prolongements, dans son historicit�, dans ses pouvoirs, et qu�il me mettait enfin en face de moi-m�me. "6

Peu de temps apr�s, une rencontre avec Satie, organis�e par Darius Milhaud chez lui, rue Gaillard, fixa d�finitivement l�avenir musical de Sauguet. C�est ce jour l� que l�auteur des Gymnop�dies acceptait en effet de parrainer le groupe, appel� fac�tieusement l'Ecole d'Arcueil 7, form� par Henri Sauguet, Roger D�sormi�re, Maxime Jacob et Henri Cliquet-Pleyel. Bien que reconnaissant Satie comme ma�tre et chef de file, Henri Sauguet ne se laissera gu�re influencer par ses amis musiciens, n'acceptant comme pr�cepte pr�n� par ce mouvement que le retour � la clart� fran�aise. Le genre particulier et personnel d'Henri Sauguet, qui le distinguera toute sa vie durant, va vite �merger de ses �uvres originales qui obtiendront un certain succ�s. Une atmosph�re romantique, pour ne pas dire une certaine nostalgie, est un des traits caract�ristiques que l�on retrouve souvent dans sa musique et plus particuli�rement dans des partitions telles que Les Caprices de Marianne, 1954 ou La Dame aux cam�lias 1959... C'est le ballet Les Forains qui le rendit c�l�bre aupr�s du grand public. N� d�une collaboration avec Boris Kochno, Christian B�rard et Roland Petit, il est d�di� � la m�moire d'Erik Satie. Ecrit avec un go�t le plus s�r et une grande sensibilit�, il obtient un succ�s populaire imm�diat ! D�j� en 1924, puis en 1927, avec l�op�ra bouffe Le Plumet du colonel et le ballet La Chatte, sa musique qui ne manque pas de fra�cheur, avait �t� remarqu�e, mais c'est surtout apr�s la Seconde Guerre mondiale que son art fut reconnu de tous: quelles �uvres notables que son Quatuor � cordes (1948), sa symphonie all�gorique Les Saisons (1949), puis plus tard l'op�ra Les Caprices de Marianne (1954), la ballade pour basse et orchestre Le Cornette (1951), sur des po�mes de Rilke, les op�ras La Dame aux Cam�lias (d�apr�s Alexandre Dumas), la cantate pour baryton et orchestre � cordes L'oiseau a vu tout cela (sur un po�me de Jean Cayrol), 1960, le ballet Les Mirages (1943) ou encore cette M�lodie concertante pour violoncelle et orchestre (1963) et ce Reflets sur feuilles pour harpe, piano, percussion et orchestre (1979).

Cet homme cultiv�, aimable mais parfois mordant, avec beaucoup d'esprit, sachant �tre spirituel � souhait a su �galement se faire appr�cier comme critique de th��tre et de musique. Il se livrait � son art en parfaite simplicit�, ce qui peut-�tre explique son succ�s. Henri Sauguet disait lui-m�me " Etre simple en usant d'un langage complexe n'est pas facile. Il faut �couter le conseil de Rameau qui prescrivait de cacher l'art par l'art m�me et croire avec Stendhal que seules les �mes vaniteuses et froides confondent le compliqu�, le difficile avec le beau. "8 Amoureux des po�tes, il a aussi �crit des recueils de m�lodies sur des po�mes de Max Jacob, Visions infernales, o� se manifeste son go�t pour le plus pur style fran�ais.

Elu � l'Acad�mie des Beaux-Arts en 1976, au fauteuil de son ami Darius Milhaud, re�u officier de la L�gion d'Honneur (1956), officier de l'ordre Nationale du M�rite, et commandeur des Arts et des Lettres, il a �t� �galement durant de nombreuses ann�es pr�sident de la Soci�t� des auteurs et compositeurs dramatiques et de l'Association Una Voce.

Son �uvre vari�e, qui comporte aussi bien de la musique de sc�ne ou pour orchestre, ainsi que de chambre ou vocale, r�v�le �galement de la musique de film dans laquelle il composait agr�ablement. Citons L'Epervier (Marcel L'Herbier, 1933), L'Honorable Catherine (id., 1942), Premier de cord�e (Daquin, 1943), Les amoureux sont seuls au monde (Decoin, 1947), Clochemerle (Chenal, 1947), Don Juan (J. Berry, 1955).... Henri Sauguet s'est int�ress� � toutes formes d'art, m�mes nouvelles et " sa nature le porte plus volontiers vers un lyrisme, un romantisme m�me, empreint de r�serve, de gr�ce, d'une �trange po�sie, o� le c�ur partage avec l'esprit la premi�re place. "9

Henri Sauguet a laiss� un livre de souvenirs merveilleux, dont le titre est d�j� un programme � lui tout seul : La musique, ma vie. On y d�couvre l�, au fil des pages �crites dans un style agr�able et vivant, son enfance bordelaise, sa mont�e � Paris, ses professeurs qui devinrent de r�els amis et plus de quarante ann�es de vie artistique et mondaine parisienne.

Signature d'Henri Sauguet
Signature d'Henri Sauguet, 1954.

C'�tait un artiste, c'�tait un musicien de talent, mais avant tout c'�tait un homme de c�ur appr�ci� de tous, et auquel nous rendons ici un fervent hommage. Pour terminer, il me revient � l'esprit ce mot qu'Emmanuel Chabrier dit un beau jour de 1887 au jeune Gustave Samazeuilh, alors �g� d'une dizaine d'ann�es : Tu as l'air, mon petit, d'aimer la musique! Si tu dois en faire plus tard, n'oublie jamais qu'elle s'�crit avec des notes, mais qu'elle se pense avec le c�ur. Nul doute qu�Henri Sauguet le prit ensuite pour lui et en fit sa devise !

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE

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  1. Henri Sauguet, La musique, ma vie, Librairie S�guier, 1990, p. 51. [ Retour ]

  2. Id., p. 48. [ Retour ]

  3. Id., p. 63. [ Retour ]

  4. 1re audition par la Soci�t� Nationale le 14 f�vrier 1911. [ Retour ]

  5. Henri Sauguet, op. cit., p. 64. [ Retour ]

  6. Ibid. p. 170. [ Retour ]

  7. Erik Satie s'�tait en effet install� � Arcueil en 1898. [ Retour ]

  8. Bernard Gavoty et Daniel Lesur, Pour ou contre la musique moderne ?, Paris, Flammarion, 1957, p. 294. [ Retour ]

  9. Ibid., p. 292. [ Retour ]