Le Temple de l'Amiti� (original) (raw)
Le Temple de l'Amiti�, photographi� par Atget en 19101 (clich� B.E.-R.). | Natalie l'a baptis� Temple et consacr� � l'Amiti�,mais aux abords, a mis un �criteau : Danger. Les fid�les sont avertis que l'amiti� comme l'amour, est une chose grave et p�rilleuse Paul G�raldy |
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Introduction
Il existe dans Paris, au milieu du Bois Visconti un lieu extraordinaire et pourtant peu connu. La plupart des habitants du quartier n'en ont jamais entendu parler, quelques autres savent qu'il y a "quelque chose", et enfin, une petite minorit� l'a vu. Il s'agit d'un petit temple � colonnes doriques vou� � l'Amiti�, class� � l'Inventaire Suppl�mentaire des Monuments Historiques et nich� au milieu des arbres au fond de la parcelle du 20 rue Jacob.
Le Temple de l'Amiti� au milieu du "petit parc sauvage"2 en 1963, d�cor d'une sc�ne de Feu Follet de Louis Malle3.
Cet "endroit fabuleux cach� derri�re la rue Jacob"4 n'a pas une origine bien claire, tout juste sait-on qu'il fut b�ti au d�but du XIXe si�cle. Cette zone d'ombre a aliment� plusieurs l�gendes romantiques. Au XXe si�cle, le Temple acquiert une certaine notori�t�, notamment par la personnalit� de sa locataire durant plus de 60 ans, Natalie Clifford Barney, femme fatale et scandaleuse, qui en fit un des �l�ments de son l�gendaire salon litt�raire.
A la fin des ann�es 60, le Temple de l'Amiti� devient l'objet d'un complexe scandale immobilier, lorsque Michel D., un ancien premier ministre, tente de le transformer studio � louer, d�naturant ainsi l'�difice. Une intense pol�mique suivra sur les conditions de remise en l'�tat d'origine et durera ensuite une dizaine d'ann�e.
Aujourd'hui "refait � l'identique", le temple de l'Amiti� a perdu de son charme mais demeure toujours aussi m�connu. Tentons de jeter sur ce lieu une lumi�re objective et d'�tancher, un peu, notre curiosit�, immense.
Localisation
Le Temple de l'Amiti� se situe au coin nord-ouest de la parcelle du 20, rue Jacob. Il est � 25 m de la rue Visconti et � 50 m de la rue Jacob, dans le VIe arrondissement � Paris.
Position du Temple de l'Amiti� (en rouge) dans la parcelle du 20, rue Jacob, au milieu du bloc sud de la rue Visconti (sch�ma BER).
Le Temple s'adosse aux murs mitoyens des 26 et 22, rue Jacob et 15, rue Visconti et �pouse la forme de la parcelle � cet endroit. Il est strictement invisible depuis la rue, que ce soit c�t� Visconti ou c�t� Jacob. Le curieux ne gagnera rien � rentrer dans la cour du 20, rue Jacob. On ne peut le voir que depuis quelques fen�tres des immeubles qui l'entourent.
La parcelle du 20, rue Jacob est compos�e de plusieurs espaces tr�s diff�rents. Lorsqu'on entre par la porte coch�re, on passe d'abord sous un b�timent sur rue et l'on arrive dans une cour pav�e, toute en longueur. La cour est ferm�e au nord par un petit pavillon de 2 niveaux, adoss� � l'ouest � un b�timent sur cour. Contre le pavillon au nord est une v�randa, elle-m�me rattach�e � un appentis �difi� entre la v�randa et le mur mitoyen du 13-15, rue Visconti. Au fond de la cour � droite, un large portail m�tallique donne sur un vaste jardin arbor�. Ce jardin s'�tend en retour vers l'ouest au nord du pavillon. C'est au fond de ce retour que se loge le Temple de l'Amiti�.
Plan de parcelle du 20, rue Jacob.
En bleu, les b�timents principaux, en gris la cour pav�e, en orange, le pavillon de deux niveaux, en jaune la v�randa (aujourd'hui transform�e), en rose, l'appentis (aujourd'hui disparu), en vert les jardins, et en rouge, le Temple (sch�ma BER.).
Le jardin et le temple appartiennent � la copropri�t�, mais le propri�taire du lot 401 qui comprend le pavillon "a la jouissance exclusive et perp�tuelle du jardin, ainsi que le Temple qui s'y trouve"5 et le propri�taire "pourra toujours, comme cons�quence de son droit de jouissance, apporter toute modification au Temple situ� � l'extr�mit� nord-ouest du jardin et dont il assumera seul l'entretien"6.
Le pavillon, la v�randa, l'appentis, les deux jardins et le temple forment donc un domaine unique, on ne peut plus original, une raret� au cœur de Paris. Le jardin du 20, rue Jacob avait d'ailleurs � lui seul sa r�putation : le New York Times l'�voque ainsi en 1969 : "On d�couvre le pavillon � deux �tages au fond de la cour, et on commence � deviner le jardin sauvage � l'anglaise avec les plus grands arbres dans le bois le plus dense de la rive gauche"7.
Vue du pavillon � deux niveaux du 20, rue Jacob, c�t� cour. Photographie d'Eug�ne Atget en 19101 (clich� B.E.-R.).
Le temple vu de l'ext�rieur
L'emprise au sol du temple de l'Amiti� forme un trap�ze plut�t qu'un rectangle, ouvert c�t� fa�ade. Son c�t� le plus petit fait 3,20 m (fond du b�timent) et son c�t� le plus grand 5,50 m (c�t� sud). Sa superficie est de 35 m� environ dont 9 m� de terrasse. Par rapport au niveau du sol, la hauteur totale du b�timent est de 5,64 m.
La fa�ade du Temple de l'Amiti� est constitu�e d'un portique � fronton t�trastyle (quatre colonnes) dorique. Le tympan est orn� de moulures repr�sentant une guirlande avec une couronne de fleurs et de fruits entourant les initiales � DLV � et deux rubans ondulants de part et d'autre du bas de la couronne. Sur l'entablement, entre deux mascarons, une inscription "A l'Amiti�" d�die ce temple au noble sentiment romantique.
Relev�s de la fa�ade du Temple de l'Amiti�8 (clich� BER).
Le rez-de-chauss�e respose sur un soubassement de 82 cm par rapport au niveau du sol. L'acc�s se fait par un escalier de 6 marches avec garde-corps. Une terrasse s�pare le plan des colonnes de celui de la porte d'entr�e. De part et d'autre de la porte, deux niches abritent l'une un buste d'Adrienne Lecouvreur, l'autre du Mar�chal de Saxe9. A droite de l'escalier montant au rez-de-chauss�e, quelques marches permettent de descendre � un sous-sol. Le toit est constitu� de tuiles plates anciennes et d'une couverture en plomb, avec une verri�re en son centre, seule prise de lumi�re du b�timent.
Le Temple de l'Amiti�, vu depuis la cour du 22, rue Jacob, photographi� en 1913 par Pottier10.
Le mur du fond est celui de l'ancien immeuble du 15, rue Visconti (clich� B.E.-R.).
La surprise du salon int�rieur
L'int�rieur du Temple est une surprise. Une fois la porte pouss�e, on d�couvre en effet une salle parfaitement ronde de 1,70 m de rayon, couverte par une coupole en zinc au centre de laquelle est un oculus diffusant un �clairage z�nithal.
Int�rieur du temple en 1909.
Au sol est un "parquet exceptionnel en toile d'araign�e, marquet� en son centre d'une rosace portant le signe � D L V �"9, pos� sur des solives dispos�es en rayon et soutenus en leur centre par un imposant massif en ma�onnerie situ� au sous-sol.
Relev� du dessin du parquet (� gauche) et du d�tail de la rosace centrale en marqueterie (� droite)8. Clich�s BER.
Vu du sous-sol, d�tail de l'agencement des solives supportant le plancher rayonnant et � gauche, le pilier central en ma�onnerie (photographie � Christian Chevalier).
Sur les murs, quatre niches plates (aussi appel�es d�foncements) sont situ�es de part et d'autre de l'axe principal, avec entre chaque, un pilastre orn� d'un chapiteau. Au fond de la salle, une chemin�e est surmont�e d'un miroir. Le sous-sol, enfin, consiste en un simple espace circulaire autour du pilier soutenant le parquet.
Plan de coupe du temple8 (clich� BER).
Histoire du Temple
La l�gende a longtemps d�sign� le temple comme celui d'Adrienne Lecouvreur. Le Mar�chal de Saxe, son amant, l'aurait fait b�tir en son honneur. On a dit qu'il s'agissait du pavillon destin� � abriter la ma�tresse11 ou au contraire son tombeau : "Il y a quelqu'un d'enterr� l�-dessous ; c'est un tombeau d'amour"12. De nombreux articles ou r�f�rences au lieu reprennent cette l�gende, se copiant les uns les autres sans v�rification. On a m�me pu lire qu'un souterrain, introuvable, aboutissait sous le temple.
Le temple sous la neige au d�but du XXe si�cle.
Or l'information est assur�ment fausse, d'une part parce que l'�poque � laquelle a v�cu la c�l�bre actrice (1692-1730) n'est pas compatible avec la datation, m�me approximative du temple. D'autre part, il est plus fort peu probable que le Mar�chal de Saxe ait voulu �difier un monument � Adrienne, car si elle �tait passionn�ment amoureuse, lui �tait volage et plut�t indiff�rent � sa passion… Cependant, c'est bien les bustes d'Adrienne Lecouvreur et celui du Mar�chal de Saxe qui ont tr�n� longtemps dans les niches du Temple9 et c'est aussi le buste de l'actrice que l'on retrouve en haut de la fa�ade du petit pavillon13. Ils ont probablement �t� ajout�s � la fin du XIXe ou au d�but du XXe sur la foi de cette l�gende persistante.
"Malgr� des recherches iconographiques, litt�raires, notariales et cadastrales approfondies"14, selon Guy M�licourt, Architecte des Monuments Historiques et auteur du 23, rue Visconti, la date exacte de la construction du temple n'a pas �t� retrouv�e, pas plus que son auteur. Seule certitude, le temple n'existe pas en 1809 car il n'appara�t pas dans l'inventaire apr�s d�c�s du propri�taire, Nicolas Simon Delamanche (propri�taire de 1790 � 1822)12 et 14. Par contre, il appara�t sur les relev�s effectu�s pour le cadastre lev� par Philibert Vasserot15 en 1820 ou 22 : c'est la premi�re mention connue du temple14. Pierre Champion confirme que le petit temple aux colonnes doriques semble dater du premier empire ou de la restauration12.
Cadastre lev� pour le "plan Vasserot" vers 1820 pour le 20, rue Jacob15 : le Temple (en haut � gauche) appara�t pour la premi�re fois.
La g�om�trie du site n'est pas tout � fait exacte.
Pour tenter de justifier sa construction, il a �t� dit que le temple avait �t� b�ti � l'�poque o� les vertus romantiques �taient c�l�br�es avec une ferveur quasi religieuse, au point de leur �lever des monuments et que, peut-�tre, celui-ci est l'un des derniers qui soit encore debout14. Il est �galement possible que le petit temple ait �t� �difi� pour la loge ma�onnique "A l'Amiti�", � l'instar d'autres temples construits en r�gion parisienne, bien identifi�s comme ma�onniques. Avec tous ses symboles g�om�triques et num�riques, il est r�pertori� comme tel dans tous les documents un peu s�rieux13.
D�tail des inscriptions du temple de l'Amiti�8, clich� BER.
En ce qui concerne les trois lettres "DLV", on se perd en conjectures. Si l'on retient l'origine ma�onnique, deux hypoth�ses sont possibles. DLV pourrait signifier 555 en chiffres romains (double r�f�rence symbolique aux chiffres 3 et 5) ou bien "Dieu-Le-Veut", devise que l'on retrouve fr�quemment dans un certain nombre de glossaires ma�onniques, mais toutefois ind�pendamment de toute r�f�rence avec la loge "A l'Amiti�"13.
Le temple dispara�t sous la rue de Rennes prolong�e
Tout comme une bonne partie des immeubles de la rue Visconti et de la rue Jacob, le temple a bien failli dispara�tre au d�but du XXe si�cle avec le projet de prolongement de la rue de Rennes (voir la page On l'a �chapp� belle). De mani�re remarquable, le trac� pr�vu passait exactement sur le Temple.
Trac� de la rue de Rennes prolong�e passant par dessus le temple16, clich� BER. La rue Visconti devait �tre �largie aussi.
En 1919, le 20, rue Jacob est propri�t� des consorts Journault et fait l'objet d'une promesse de vente au profit des soci�t�s Arbelot et Bernheim Fr�res et Fils, concessionnaires du projet de la rue de Rennes prolong�e. Ils sont tr�s int�ress�s par l'acquisition des lots voisins qui leur permettraient de cr�er un immeuble d'angle qu'il pensaient plus facile de valoriser ensuite17. Malheureusement pour eux, le projet ne verra jamais le jour.
Le temple tr�nant au milieu d'un jardin public
Au lieu de le d�truire, Maurice Berry, Architecte des Monuments historiques dans les ann�es 1960 proposera au contraire de le mettre en valeur dans son projet d'am�nagement de Saint-Germain-des-Pr�s, en cr�ant un jardin public r�unissant les jardins priv�s et en d�molissant quelques immeubles18 (voir la page On l'a �chapp� belle). Dans son projet, le Temple de l'Amiti� �tait conserv� et aurait tr�n�, isol�, au milieu du jardin…
Extrait du projet de Maurice Berry de cr�ation d'un jardin publique ouvert sur la rue Visconti, avec au milieu, le Temple de l'Amiti�18 (clich� BER).
Le Temple trouve sa vestale
Au d�but du XXe si�cle, une l�gende naissante rejoint le Temple de l'Amiti�. Natalie Clifford Barney est une riche h�riti�re am�ricaine, originale autant par sa fortune que par son mode de vie, son go�t pour la litt�rature et l'art en g�n�ral et son oisivet� assum�e. Tr�s t�t, elle choisit la France, sans doute pour sa r�putation de tol�rance et le foisonnement de sa vie intellectuelle. Fr�quentant la haute soci�t�, elle noue de nombreux contacts avec les artistes et �crivains de l'�poque (voir le site Internet qui lui est consacr� :
Portrait de Natalie Clifford Barney par Romaine Brooks en 192019 (clich� BER).
C'est une douloureuse passion amoureuse qui la conduira rue Jacob. Le temp�rament m�lancolique et d�sesp�r� de sa compagne, Ren�e Vivien, am�nera en effet Natalie Barney � chercher dans Paris une nouvelle adresse o� emm�nager : � Tout en sentant que son d�sespoir d�passait tout secours humain, je voulus quitter ma maison de Neuilly, afin d'attendre son retour dans un lieu nouveau o� ne l'accueillerait aucun mauvais souvenir. J'avais cherch�, et finalement trouv� une demeure entre cour et jardin dans la rue Jacob o� je devins la vestale d'un petit Temple de l'Amiti� �20, elle a 32 ans. Le 7 novembre 1908, elle devient donc pour 6 000 fr de loyer mensuel52, la locataire du petit pavillon avec sa v�randa et son appentis, les jardins et le Temple de l'Amiti�. Ren�e Vivien mourut quelques semaines plus tard sans avoir jamais connu le 20, rue Jacob.
Le Temple de l'Amiti� peint en 1909.
Se sentant rapidement � l'aise dans � sa maison �20, Natalie Barney y m�nera une vie d'� ultra pa�enne �21 qu'elle voulait �tre un chef-d'oeuvre20 et se rendra c�l�bre par son intelligence, son go�t de la libert� totale et sans contrainte et son inclassable et fascinante personnalit�. La plupart des �crits de Natalie �taient centr�s sur la description de sa philosophie sur la vie, le sexe et la f�minit�. Ses pens�es sur ces th�mes �taient r�volutionnaires, pr�c�dant de pr�s d'un si�cle beaucoup d'id�e aujourd'hui qualifi�es de progressistes22.
Miss Barney rassemblera autour d'elle de nombreux intellectuels parmi lesquels Remy de Gourmont qui, avant de la conna�tre "s'amusait tout seul, et d�sesp�r�ment au jeu des id�es"12 et qui lui voua ensuite un long amour platonique (voir le site qui lui est consacr� : www.remydegourmont.org). C'est lui qui lui donna le surnom de l'Amazone.
Un salon litt�raire de renomm�e internationale
La rue Jacob devint le point de mire des intellectuels lorsqu'elle lan�a d�s octobre 1909 ses � Vendredis �, un salon essentiellement litt�raire22. C'�tait un lieu de rencontre et d'�change � vocation internationale que Hemingway, Proust et Joyce fr�quent�rent. On y lisait des textes (Paul Val�ry y a donn� lecture, en premi�re audition, du � Cimeti�re marin �22) et des po�mes, Natalie lisant parfois ses propres traductions en fran�ais22. Malgr� la teinte litt�raire du salon, les Vendredis n'�taient pas r�serv�s qu'� des lectures. Le compositeur George Antheil y joua pour la premi�re fois son "First String Quartet"22.
Colette fut une amie de l'Amazone et participa � plusieurs reprises au salon litt�raire. Colette qui avait habit� rue Jacob de 1893 � 1901, au troisi�me �tage du num�ro 28, parle ainsi du site :
� La plupart des maisons qui bord�rent la rue Jacob, entre la rue Bonaparte et la rue de Seine, datent du XVIIIe si�cle. Le seul danger que j'aie couru rue Jacob �tait l'attrait de l'ombre, les br�ves �chapp�es d'air libre, quelques rafales de gr�le printani�res se ruant par la fen�tre ouverte, l'odeur vague des lilas invisibles venue du jardin voisin.
Ce jardin, je n'en pouvais entrevoir, en me penchant tr�s fort sur l'appui de la fen�tre, que la pointe d'un arbre. J'ignorais que ce repaire de feuilles agit�es marquait la demeure pr�f�r�e de Remy de Gourmont et le jardin de son "amazone". Beaucoup plus tard, je franchis la palissade du jardin, je visitai le petit temple qu'�leva "� l'amiti�" Adrienne Lecouvreur. Gar� du soleil, ce jardin ne veut, encore aujourd'hui, nourrir qu'un lierre de tombeau, des arbres �g�s et gr�les et ces plantes aqueuses qui croissent en couronne � l'int�rieur des puits. �23
Quelques ann�es plus tard, on a pu voir Colette, d�guis�e en faune dans le jardin de la rue Jacob pour mimer le po�me _Le Faun_e que Ren�e Vivien lui avait d�di�20, dansant ensuite devant le Temple de l'Amiti�7, accompagn�e par la c�l�bre claveciniste Wanda Landowska22. L'abb� Mugnier rapporte d'ailleurs que Colette a �t� vue "courant presque nue dans le jardin"21, sans que l'on sache si c'est � cette occasion. C'est aussi dans le salon, entre cour et jardin, que Colette offrit la primeur de sa pi�ce, _La Vagabonde_20 � son amie Miss Barney.
Le salon avait une grande r�putation. � Le seul salon dans tout Paris, peut-�tre m�me au monde, dans le sens XIXe si�cle du terme, �tait celui que tenait Natalie Barney rue Jacob… � �crira Samuel Putnam24. Ernest Hemingway l'�voque ainsi : � Miss Barney (...) tenait salon chez elle, � dates fixes. Elle avait aussi un petit temple grec dans son jardin. Bien des am�ricaines et des fran�aises suffisamment fortun�es avaient leurs salons, et j'ai r�alis� tr�s vite que c'�taient des endroits � �viter soigneusement, mais Miss Barney, je crois, �tait la seule qui avait un petit temple grec dans son jardin �25. Miss Barney tenait salon le plus souvent dans le pavillon. Le temple lui servait d'atelier de peinture52ou pour des � t�te-�-t�te �, plus propices aux confessions : � Mon deuxi�me jardin a su garder son temple � l'Amiti�, sans fen�tres, aux portes mi-closes, refuge d'un solitaire invisible ou disparu �26.
Natalie Clifford Barney devant le Temple de l'Amiti�.
Des f�tes de l�gende
Elle organisa des garden-parties et des f�tes qui se d�roulaient dans ses jardins arbor�s. Sensible aux atmosph�res, elle �tait capable de mises en sc�ne ajoutant de la magie au charme des lieux, comme lorsqu'elle fit pleuvoir du haut de la verri�re des p�tales de rose sur les invit�s lors d'un d�ner persan27. Elle s'amuse follement � pr�parer son fameux Bal Par� en juin 1911, afin que tout �tonne :
"C'est dans une soir�e chez moi, en bal costum�, que nous nous retrouv�mes avec Edouard Champion. Nous nous �tions amus�s, Remy et moi, � pr�parer cette f�te, d'abord par une invitation que j'avais versifi�e, puis il avait trouv� que rien ne serait plus joli que la reproduction m�me de mon �criture, avec un petit masque dans le coin. J'avais pr�par� pour mon ami un masque, une ancienne gandoura brod�e de feuilles safran, et enturbann� sa t�te d'un de les bas de soie verte. Je portais moi-m�me un costume de chasseur de lucioles japonais, avec au bras une pile �lectrique cach�e au fond d'un panier � jour, d'o� je maniais � volont� toute une �chapp�e de petites ampoules, imitant tr�s bien la lueur des lucioles, qui scintillaient jusqu'� travers de mes cheveux. Ce qui aidait mes invit�s � me distinguer m�me au fond du jardin faiblement �clair� par des lanternes chinoises suspendues aux arbres."20
La f�te marqua les esprits, et en particulier Remy de Gourmont, qui, bien que co-organisateur, d�crira la soir�e ainsi : "Je sors d'un bal par�, et dans la lucidit� mod�r�e que laisse, m�me quitt�e avant la fin, une pareille f�te, j'en voudrais noter quelques-unes des impressions qu'elle m'a laiss�es. (…) Un bal par� entre personnes distingu�es, n'est aucunement un plaisir m�diocre. En se travestissant, les hommes se manifestent avec plus de v�rit� que sous l'uniforme habit moderne ; les go�ts se font voir ing�nument, s'avouent avec bonheur. C'est peut-�tre dans la vie quotidienne que les hommes portent le loup le plus opaque et le d�guisement le plus absolu. C'est bien ainsi. Remets ton masque de chair, amie, voici les autres"29.
Le Temple de l'Amiti� dessin� par Andr� Rouveyre.
La singularit� de la personnalit� de Natalie Barney, son intelligence, "l'atmosph�re irr�elle qui [l]'entoure"20 et l'extraordinaire de son �crin, fascineront tous ceux qui la fr�quent�rent, intellectuels, artistes, journalistes ou simples visiteurs. Pierre Beno�t, romancier et membre de l'Acad�mie Fran�aise, auteur de "L'Atlantide" fut un jour re�ut dans le salon litt�raire du 20, rue Jacob et �crivit :
Eriphile, je sais des jardins, des rotondes
Eclair�es vaguement par des d�mes blafards…
C'est le domaine obscur des amours de myst�res
De fant�mes p�les, juv�niles, charmants…
Les "rotondes �clair�es vaguement par des d�mes blafards" est une allusion � la salle ronde du temple et son �clairage z�nithal. Il parait qu'il fut si secou� par la magie des lieux qu'il eut "la saine r�action de se remettre d'aplomb �en allant boire un verre de gros rouge sur le zinc d'un bar voisin�"20.
Carton d'invitation r�dig� par Natalie Barney � l'adresse du sculpteur Carlo Sarrabezolles30.
On y lit "dans l'espoir de vous accueillir ainsi que votre fils qui voulait voir mon petit temple � l'amiti�".
Ainsi, "en plein vingti�me si�cle, en plein sixi�me arrondissement, Natalie Barney a su cr�er une maison v�cue, vivante, anim�e par le souffle m�me de cette exceptionnelle sourci�re (et pourquoi pas sorci�re ?) qui su faire jaillir autour d'elle tant d'amiti�s"26.
La "ruine" du Temple et la fin de l'Amazone
L'Amazone maintiendra son salon litt�raire jusque dans les ann�es 5031. Mais "les guerres, les morts dispers�rent les amiti�s group�es autour de Miss Barney qui cessa de recevoir et de se rentre dans le Temple, pour se r�fugier dans sa proche maison"14. Et puis le monde "sembla avoir oubli� la rue Jacob"7…
"L'entretien du b�timent s'en trouva naturellement li� � ce rythme : c'est dire qu'il se fit de plus en plus rare, pour devenir inexistant. Chaque ann�e, la v�g�tation accro�t son emprise, envahit le porche et contribue � alt�rer la couverture"14. Le Temple tombe petit � petit dans l'oubli.
Le Temple de l'Amiti� en 196527.
Sans aucun entretien pendant plusieurs ann�es, le temple continuera sa lente d�gradation. Dans les ann�es 1960 un architecte constatera que "la toiture est gravement endommag�e (…), les garnitures contre les joues de la verri�re sont en partie b�antes et laissent passer l'eau. La verri�re aussi est ouverte � la pluie (…). L'inscription "A l'amiti�" est � ce point alt�r�e que ses lettres ne sont plus en saillie mais pour la plupart en creux. Enfin, les enduits sont craquel�s et en maints endroits des parties enti�res sont tomb�es. L'int�rieur n'a pas �chapp� aux cons�quences de l'abandon. La coupole est particuli�rement atteinte (…). Quant au parquet rayonnant, gonfl� par l'entr�e des eaux, il est totalement soulev� ; au point que l'on constate certaines lambourdes et les augets de pl�tre et pl�tras qui eux-m�mes ruin�s, sont tomb�s en plusieurs endroits dans le sous-sol. A la porte d'entr�e, enfin, plusieurs ferrures sont arrach�es ou cass�es"32. Pour marquer l'int�r�t de l'Etat fran�ais, le Temple de l'Amiti� est inscrit le 16 janvier 1947 � l'Inventaire suppl�mentaire des Monuments Historiques mais cela n'entra�nera pas d'op�ration de sauvegarde.
Le 30 novembre 1966, tournant dans l'histoire du Temple de l'Amiti�, Michel D., ancien Premier Ministre et Ministre de la D�fense � l'�poque, rach�te une partie du 20, rue Jacob, le pavillon inclus, aux consorts Journault. Cette acquisition marque le d�but d'une longue s�rie de scandales et de d�m�l�s judiciaires qui dureront plus de dix ans.
Caricature de "l'amer Michel" (Michel D.) parue dans le Canard Encha�n�33.
"Impatient d'en r�cup�rer la jouissance pour en faire sa propre maison de ville"7, Michel D. obtient au tribunal l'expulsion de Miss Barney alors �g�e de 90 ans et souffrante, expulsion ex�cutoire quatre ann�es apr�s avoir �t� signifi�e33. Philosophe, l'Amazone se contenta de critiquer le manque de tact du propri�taire qui lui a fait exp�dier le "papier timbr�" en son absence, en plein �t�7. La tentative d'expulsion sera racont�e par le Canard Encha�n� et le New York Times et choquera bien davantage le milieu intellectuel que l'int�ress�e. A la suite de l'�motion soulev�e aux Etats-Unis et en France, Pompidou dut intervenir personnellement mais n'obtint de D. que la promesse de ne pas ex�cuter l'ordre d'expulsion33.
Il semble qu'ensuite l'Amazone subisse une sorte de harc�lement. Affirmant que le pavillon est sur le point de s'�crouler, un architecte est convoqu� pour examiner les appartements de Miss Barney et recommande opportun�ment des travaux de consolidation33. En cons�quence, des charpentiers de Paris bardent d'�tais dans les b�timents et dans toutes les pi�ces, jusqu'� condamner la cuisine. Cerise sur le g�teau, le chauffage s'arr�te de fonctionner33. Soixante ans de charme sont rompus. Miss Barney est plus que troubl�e dans sa retraite par les ouvriers qui en plus, pr�parent les chantiers � venir, entreposant du mat�riel de construction dans son jardin et tentant de rentrer chez elle7. L'Amazone finit en perdre le sommeil, l'app�tit et sa l�gendaire s�r�nit�. Elle s'insurge en effet dans France-Soir du 12 octobre 1968 : "Mon salon est un monument de la litt�rature contemporaine : personne n'a le droit de le modifier. J'ai fait le serment de rendre l'�me l� o� l'esprit a r�gn�"34.
Natalie Clifford Barney, l'Amazone, la vestale des lieux depuis plus de soixante ans finit par se r�soudre � quitter son pavillon devenu inhabitable avec la ferme intention de revenir "au printemps prochain"35. Le 3 f�vrier 1972, elle d�c�de � l'age de 94 ans � l'h�tel Meurice o� elle avait trouv� refuge, sans avoir pu retourner chez elle…
Annonce de la mort de Natalie Barney dans le New York Times du 3 f�vrier 197236.
Un rapport de l'Architecte en chef des monuments historiques estimera ensuite que la "tr�s forte batterie d'�tais parait inadapt�e, sinon inutile"33. Les copropri�taires du 20 rue Jacob consid�reront �galement que les travaux n'�taient pas justifi�s et refuseront de payer la facture des travaux de consolidation que leur pr�sente le nouveau propri�taire.Le scandale de la transformation du temple
La famille D. n'en poursuit pas moins ses travaux d'am�nagement et de valorisation. Quelques studios dans les principaux corps de b�timents sur rue et sur cour ont en effet �t� achet�s en m�me temps que le reste afin d'�tre retap�s et revendus. Mais un autre scandale appara�t lorsqu'on d�couvre que � des travaux de gros œuvre effectu�s (…) sans permis de construire, sans architecte et sans autorisation de la copropri�t�, apportant des modifications consid�rables aux b�timents (…) [et qui] ont compromis gravement la solidit� de l'immeuble, ainsi que son �quilibre esth�tique �37. L'immeuble est d�stabilis� au point que la Pr�fecture de Police d�clare l'immeuble en p�ril par un arr�t� en date du 21 janvier 1971.
Les demandes de permis de construire se sont av�r�es en plus �tre partiellement falsifi�es. La combine avait consist� � rajouter sur le plan initial un �tage suppl�mentaire � l'immeuble, pour faire croire � l'administration que cet �tage avait toujours exist� et en profiter pour demander la permission de construire un autre �tage au dessus33 ! Le scandale se d�veloppera encore lorsqu'on d�couvrira tout une s�rie de faux plans, fausses d�lib�rations, etc. Sur ce point, Michel D., alors Ministre de la D�fense, se serait fait � entortill� par une soci�t� immobili�re � peu scrupuleuse, selon ses propres termes33.
Michel D. et les scandales relay�s par le Canard Encha�n�33, 38. Montage BER.
Simultan�ment, na�t un scandale de plus concernant cette fois-ci directement le Temple de l'Amiti�. Apparemment, la famille D. entreprend d�s 1967 des travaux de mise hors d'eau sur le Temple de l'Amiti�14, mais les copropri�taires d�couvrent fin 1970 que le temple a �t� � pill� � et que plusieurs tranch�es ont �t� creus�es � partir du temple pour y accueillir des canalisations38.
Il semblerait en effet que � Madame Michel D. [qui] reconna�t �tre le ma�tre d'ouvrage des f�cheux travaux modificatifs ex�cut�s en 1967 sur le Temple �39 n'ait pas seulement voulu restaurer le temple mais ait fait ex�cuter des travaux � en vue de le transformer en studio � louer �2, 33… Une photo rare, prise en 1972 dans le cadre de la reconstruction du 13 et du 15, rue Visconti40 (et d�couverte par www.RueVisconti.com !), nous montre le Temple � cette �poque, en pleins travaux, sans porte, les niches en cours d'agrandissement, les garde-corps enlev�s, des sacs de ciment entrepos�s sur la terrasse.
Le temple en pleins travaux d'am�nagement en 197240. La photo est prise depuis l'appentis,
aujourd'hui disparu et on aper�oit les niches en train d'�tre agrandies (clich� BER).
Le fait qu'un monument historique ait �t� consid�r� comme une d�pendance � am�nager et � valoriser frappe de stupeur tous ceux qui sont attach�s � l’histoire et au patrimoine. La brutalit� avec laquelle le petit temple a �t� trait� laisse sans voix. Certains y voient m�me une d�marche intentionnelle, d�non�ant � les efforts d�lib�r�s pour la destruction de ce ravissant �difice �9.
Dans le d�tail, l’ouverture z�nithale par laquelle le Temple est �clair� a �t� bouch�e et une grande fen�tre a �t� perc�e dans le mur mitoyen du 22, rue Jacob. Les niches qui abritaient les bustes ont �t� agrandies pour �tre transform�es en ouvertures, comme on peut le voir sur le clich� ci-dessus. Le ravalement de la fa�ade a fait dispara�tre les inscriptions, la d�coration et les moulures.
Chemin�e et parquet arrach�s selon une illustration du Canard Encha�n� en 197233.
A l’int�rieur, le fameux parquet a �t� compl�tement arrach� et a disparu, le solivage sur lequel reposait le parquet a m�me �t� en partie d�truit. Certains copropri�taires du 34, rue de Seine ont vu les ouvriers utiliser les lattes du parquet d’�poque comme cales pour les �chafaudages qui entouraient le temple. Enfin, les glaces et boiseries, chemin�es et deux consoles bleu turquoise ont �t� enlev�es et l'ensemble de la d�coration et notamment les sculptures des pilastres et de la coupole ont �t� d�truites. Pour couronner le tout, les portes sculpt�es ont �t� d�pos�es et l'int�rieur de l'�difice est rest� ouvert � toutes les intemp�ries pendant pr�s de deux ans9. En un mot, le temple est gravement d�natur�, voire d�figur�.
La lev�e de boucliers
Le scandale est �norme et plusieurs plaintes sont d�pos�es par les copropri�taires et les autorit�s en charge de la protection des monuments historiques.
Le Conservatoire R�gional des B�timents de France est inform� d�s 1969 que le Temple de l'Amiti� a fait l'objet de � travaux ex�cut�s sans autorisation et dans des conditions tr�s f�cheuses �39. Un Proc�s Verbal de contravention est m�me dress� le 8 juillet 1970 � l'encontre des copropri�taires du 20 rue Jacob.
Les m�dia, dont le Monde et le Canard Encha�n�, et diverses associations se mobilisent contre ce � v�ritable acte de vandalisme �41. Une plainte est m�me d�pos�e contre la � mutilation du Temple de l'Amiti� �42. Peu de temps apr�s, une p�tition est lanc�e et recueille 300 signatures de personnalit�s du monde des lettres et des arts43. On d�nonce les � modifications regrettables apport�es par sa propri�taire (en l'occurrence Mme Michel D.) au Temple de l'Amiti� �44 et la Commission du Vieux Paris r�clame solennellement la remise en �tat du Temple de l'Amiti�, � maltrait� � par Michel D.33.
Extraits des courriers �chang�s au sujet des travaux d'am�nagement du temple8 (clich�s BER, montage Christian Chevalier).
La politique s’en m�le
Le 18 octobre 1971, faisant suite aux critiques, la campagne de presse et les p�titions, Mme D. prend contact avec le minist�re des Affaires Culturelles pour conna�tre les possibilit�s de remise en �tat du Temple. Elle propose d'�tudier avec son propre architecte, Guy M�licourt, la restauration � dans le respect des prescriptions qui seront formul�es par le service des Monuments Historiques �39.
Les Architectes des Monuments Historiques r�fl�chissent alors aux modalit�s de remise en �tat. Vu l’ampleur des d�g�ts, il n’est pas vraiment question de restaurer le temple mais bien de le reconstituer le plus fid�lement � l’�tat d’origine. Comme les plans du XIXe si�cle ne sont pas connus ou trop peu document�s, c’est d’apr�s les photos (!) de 1909 que le temple sera refait � l’identique. Un permis de construire est d�livr� le 2 mai 1972 pour ex�cuter ces travaux de remise en �tat. Malgr� les critiques qui continuent � pleuvoir, les travaux de remise en l'�tat d�marrent.
Le Temple de l'Amiti� en pleins travaux d'am�nagement en 197240. La photo est prise depuis le jardin du 22, rue Jacob,
on voit que sur le toit, les baies vitr�es ont disparu, remplac�es par un toit de zinc (clich� BER).
Evidemment, � pour ce qui est de l'int�rieur, il est moins ais� de reconstituer les facteurs de l'ambiance recherch�e par les auteurs du petit monument �45. Le parquet est refait � l’identique ainsi que les pilastres � chapiteau � l'int�rieur et les inscriptions, gr�ce � l’ � examen attentif des photographies �45 et � l’aide d’� un sculpteur connaissant bien ces styles (…), un ornementiste sp�cialis� �45. On tergiverse, par contre, pour d’autres d�tails. En effet, vu la personnalit� du propri�taire, nombreux sont ceux qui veulent lui �pargner trop de mis�res, et sont pr�ts � accepter, voire � proposer, certains compromis.
L’Architecte en Chef des Monuments Historiques au minist�re des Affaires Culturelle, Mr Jean-Pierre Paquet, plut�t que d’exiger le bouchage de la grande fen�tre, propose la pose de stores sur la baie ouverte sur la cour du 22, rue Jacob, afin, une fois les stores ferm�s, que � soit pleinement retrouv� la lumi�re primitive �45. Il va m�me jusqu’� justifier la cr�ation de la baie vitr� par le fait qu’elle aurait exist� au XIXe si�cle, d’apr�s le plan relev� par Vasserot. Est-ce de la mauvaise foi ? Le plan (erron�, du reste) indique en effet une ouverture, mais de l’autre c�t� du b�timent !
En ce qui concerne la toiture, Mr Paquet trouve superflu d’� obliger le propri�taire au suppl�ment de d�pense d’une couverture en plomb � et ent�rine donc la transformation de la couverture en plaques de zinc. Le r�tablissement de l’�clairage z�nithal est par contre exig�, mais � il est inutile de le r�aliser d’une fa�on plus compliqu�e que le pr�voit M. M�licourt �45. Mr Paquet s'excuse enfin d'�tre presque trop exigeant, �tant donn� que � l’�difice n’est l’objet que d’une protection mineure �45 ! On croit r�ver.
Le 7 d�cembre 1973, les travaux du � petit immeuble rond pr�c�d� d'un p�ristyle � sont inspect�s et le rapport conclue que l' � int�rieur a �t� r�tabli dans son �tat d'origine avec dans l'axe la chemin�e en marbre noir surmont� de sa glace. Deux autres glaces surmontent des tablettes du m�me marbre occupent les d�foncements existants � droite et � gauche de l'axe transversal. Le plancher avec ses initiales au centre a �t� restaur�. Au mur les pilastres en faux marbre portent un chapiteau trait� en bistre comme les petites rosaces sous la corniche �46. La grande baie lat�rale a finalement �t� bouch�e. Le certificat de conformit� est accord� le 25 janvier 1974.
Le Temple � restaur� � l'identique � en 1974 d'apr�s les photos de 190932.
On refait l’histoire !
En fait, Mr Paquet soutient explicitement une nouvelle th�se selon laquelle les D. ont � sauv� le temple de la ruine �45. Il est en cela relay� par Guy M�licourt, l’architecte pr�cit� (et auteur du 23, rue Visconti). A aucun moment Michel D. ne s’est exprim� directement dans cette affaire : il a visiblement laiss� aux autres le soin de l’attaquer ou de le d�fendre.
La nouvelle version des faits tente de pr�senter les travaux de remise en l’�tat d’origine (post�rieurs au saccage) comme des travaux de restauration, o� le temple aurait �t� sauv� de la ruine, � restauration voulue et support�e par le propri�taire actuel �32 va-t-on m�me jusqu’� pr�ciser ! On dramatise aussi l’�tat d’abandon du temple sous Miss Barney, le z�l� Guy M�licourt se chargeant de faire opportun�ment l’�tat des lieux avant d’entreprendre la � restauration �. Il d�crit le temple comme �tant pratiquement sur le point de s’effondrer, l� o� le Canard Encha�n�, au contraire, le d�crit comme �tant en � bon �tat �38 jusqu’en 1971. Au sujet des travaux de � restauration �, tout juste est-on pr�t � admettre que l’� on peut d�plorer que certaines modifications aient quelque peu alt�r� l’expression d’une ambiance que l’on voudrait conserver dans toute sa d�licatesse �45. Comble du cynisme, on ira m�me jusqu'� envisager un temps d'accorder aux D. une � subvention permettant de compenser dans une certaine mesure la rigueur des prescriptions �47 �mises par les architectes des B�timents de France !
Pour couronner le tout, une plaquette est m�me �dit�e en 1975 sous le titre � La Restauration du Temple de l’Amiti� � refaisant l’histoire et glorifiant le r�le des D. et la qualit� du travail effectu�. Cette plaquette est accompagn�e la m�me ann�e par un article de M�licourt dans Vieilles Maisons Fran�aises qui reprend presque mot pour mot le texte de la plaquette14…
Extraits du document de huit pages sur la � restauration � du Temple de l’Amiti�32 avec ses photos dramatis�es du temple � en ruine �.
L'atmosph�re demeure d�testable entre les copropri�taires au moins jusqu’en 1977, date � laquelle les plaignants sont d�bout�s de leurs derni�res requ�tes aupr�s du Tribunal administratif et du Conseil d'Etat pour faire annuler le permis de construire de 1972 et 73. Michel D. et sa famille s’enferment alors dans leur pavillon, imposant m�me par voie judiciaire, parait-il, � certains voisins de boucher leurs fen�tres donnant sur leur jardin48. Le Temple retrouve un calme… de plomb.
Le Temple aujourd'hui
Le pesant silence qui a ensuite r�gn� pendant des ann�es n’a �t� troubl� que par les aboiements de Dindon, le berger allemand des D.. Le temple n’a, quant � lui, fait l’objet que de quelques rares visites, guid�es de mauvaise gr�ce par les enfants de la famille49.
Le lot qui inclut le temple de l’amiti� n’est plus propri�t� des D.. A quoi ressemble aujourd’hui ce lieu autrefois magique ? Natalie Barney disait � ma maison n'est qu'atmosph�re �, rajoutant, sereine � on ne cambriole pas une atmosph�re �26. Une atmosph�re est pourtant fragile et un rien peut la faire dispara�tre.
Le temple de l'Amiti� aujourd'hui. Clich� � Christian Chevalier.
Cela reste une appr�ciation subjective, mais la remise en �tat du temple a certainement gomm� la patine et lui a donn� un aspect un peu trop lisse : le temple de l'Amiti� est-il encore � une des hautes curiosit�s du sixi�me arrondissement et un des rares t�moins survivants de l’architecture de la fin du dix-huiti�me si�cle �50 ? Pour qui ne conna�trait pas son histoire, ne pourrait-on pas d�sormais le prendre pour une folie architecturale en b�ton datant des ann�es 1960 ? (Ah, le kitsch des moulures dor�es !).
Outre la rude restitution en l’�tat d’origine, la d�molition dans les ann�es 1970 du 15, rue Visconti a priv� le monument du haut mur qui le prot�geait sur son c�t� nord. Alors que les architectes des 13 et 15, rue Visconti avaient bien not� que � l'ensemble de ces jardins doit conserver [son] aspect plein de myst�re �40, lorsque le nouveau b�timent -la cr�che- a �t� construit, un muret de 3 m environ a �t� �difi� entre le temple et nouveau jardinet. En �tant moins reclus, le Temple de l'Amiti� a beaucoup perdu en intimit� et en myst�re.
Dans le registre architectural, la jolie v�randa, dans laquelle se tenait le salon litt�raire de Natalie Barney, a �t� transform�e en horrible annexe dont seule l’emprise au sol est d’origine. Ses murs de b�ton, ses �troites fen�tres ferm�es par des volets m�talliques confondants de banalit�, font triste mine dans le jardin.
Le pavillon et la v�randa dans les ann�es 1960 (� gauche27) et aujourd’hui (� droite, clich� � Christian Chevalier).
L’appentis, enfin, construction l�g�re qui joignait la v�randa au mur arri�re du 13-15, rue Visconti a disparu. Il marquait autrefois la s�paration des � deux jardins � de la propri�t�, le grands, ouvert et dens�ment arbor�, et le petit qui contenait le temple.
Jeanne Moreau et Maurice Ronet passant sous l'appentis, aujourd’hui disparu, dans une sc�ne de Feu Follet de Louis Malle.
La v�randa est � gauche, et l'on voit les colonnes du temple de l'amiti� dans la perspective, au fond de l'image3.
Que reste-il �galement de l’ � �trange paix v�g�tale �51 tant salu�e � l’�poque de Natalie Barney ?… Dans le jardin, � il y avait ses arbres, son petit parc sauvage, tellement inattendu �2, mais ils ont aussi disparu, r�cemment abattus en masse : le jardin semble aujourd'hui vid�.
Les b�timents du 20, rue Jacob � gauche de l’image, au milieu, le Temple, et � droite,
les fa�ades arri�res de la rue Visconti, notamment du 13-15 (clich� � Christian Chevalier).
Le lieu, bien s�r, demeure malgr� tout unique en son genre, et c’est un vraie curiosit�, anachronique, catalysant autour de lui l�gendes et scandales. Ce petit monument � deux pas de la rue Visconti et de la rue Jacob tellement invisible de ses voisins, m�me imm�diats, est, je l’esp�re un peu moins m�connu d�sormais !
Le temple de l'amiti� aujourd'hui (clich� � Christian Chevalier).
Le temple de l'Amiti� vu de dos (depuis l'ouest du Bois Visconti), ainsi qu'un peu du jardin du 20, rue Jacob (clich� B.E.-R.).
Temple de l'Amiti� en 1946 par Victor H Grandpierre53 (clich� B.E.-R.).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� vu depuis le 22, rue Jacob (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� vu depuis le 22, rue Jacob (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� vu depuis le 22, rue Jacob (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Le pavillon et son annexe (clich� � Christian Chevalier).
Le 20, rue Jacob sous la neige (clich� � Christian Chevalier).
Le 20, rue Jacob sous la neige avec le temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� � Christian Chevalier).
Temple de l'Amiti� (clich� BER).
Temple de l'Amiti� (clich� BER).
20, rue Jacob et temple de l'Amiti� (clich� BER).
Temple de l'Amiti� (clich� � Suzanne Rodriguez).
Baie perc�e dans le flan du temple, plan d�pos� au tribunal et caricature de Michel D. parue dans le Canard Encha�n� (clich�s BER, montage Christian Chevalier).