Le c�notaphe du g�n�ral Juchault de la Morici�re (original) (raw)

Emplacement du c�notaphe dans la Cathédrale

Il convient sans doute de rappeler avant tout ce qu'est un c�notaphe : il s'agit d'un monument fun�raire, ressemblant � un tombeau mais dans lequel la d�pouille du d�funt ne repose pas. Un c�notaphe n'abrite donc pas de corps, mais permet d'honorer la m�moire de quelqu'un.

Armes de La Morici�reEn effet, le corps du g�n�ral Juchault de la Morici�re repose dans une chapelle � Saint-Philbert de Grandlieu, non loin de Nantes, car La Morici�re est un lieu-dit situ� tout pr�s du village de Saint-Philbert, et c'est l� l'origine de la famille dont les armes sont visibles ci-contre. Pour comprendre l'honneur qui lui a �t� conc�d� en pla�ant un pareil monument � sa gloire dans la Cath�drale, il faut revenir sur son histoire et en particulier sur son implication dans les affaires papales.

Biographie

Christophe-Louis-L�on Juchault de la Morici�re est n� � Nantes en 1806, dans une famille de l'aristocratie bretonne. Suivant la tradition familiale, il int�gre apr�s le coll�ge de Nantes l'�cole Polytechnique, puis l'�cole d'Application de Metz pour s'y pr�parer � la carri�re militaire. C'est ensuite dans les bataillons de Zouaves en Afrique du Nord (Maroc et Alg�rie) qu'il s'illustre, puisqu'il y passe 17 ann�es qui voient sa carri�re grimper en fl�che au fur et � mesure des op�rations de conqu�te et de � pacification � de la r�gion. Sa carri�re d�bute avec la prise d'Alger en 1830, pour �tre couronn�e par la reddition d'Abdelkader en 1847.

Le g�n�ral de La Morici�re

Certains hagiographes lui pr�tent une intr�pidit� qui n'avait d'�gales que son humanit� et son action civilisatrice. Toutefois, la r�alit� historique est nettement moins souriante, puisqu'il est clairement �tabli que La Morici�re, dans la lign�e de Bugeaud et d'autres, est aussi responsable pendant cette p�riode de terribles razzias sur les populations locales. Cette approche est d'ailleurs tr�s efficace, et cette ind�niable efficacit� lui vaut la L�gion d'Honneur et de rapides promotions. Quoi qu'il en soit, en ce milieu de XIX� si�cle, La Morici�re, d�sormais g�n�ral de division (d�s 1843) et couvert de gloire, rentre en France m�tropolitaine.

Une carri�re politique s'ouvre � lui, il est d'ailleurs d�put� depuis 1846, mais il ne l�che pas les armes tout de suite puisqu'il participe, l� encore fort efficacement, � la r�pression sanglante des journ�es d'insurrection ouvri�re de juin 1848 o� il fait tomber bien des barricades.

Malgr� des d�buts minist�riels prometteurs (entre autres dans le gouvernement de Thiers), cette seconde carri�re s'interrompt brutalement en d�cembre 1851, � la suite de l'arriv�e au pouvoir de Louis-Napol�on auquel il s'oppose vigoureusement. Il est donc arr�t�, comme Thiers, comme les g�n�raux Cavaignac, Changarnier et autres repr�sentants du � Parti de l'ordre � puis envoy� en exil apr�s une p�riode de captivit� au fort de Ham. Victor Hugo, autre exil� fameux, racontera d'ailleurs son arrestation dans son livre anti-bonapartiste Histoire d'un Crime en 1877.

Ce n'est qu'en 1857 que la Morici�re peut rentrer en France. Peu apr�s, il est pouss� par son cousin Mgr de M�rode, Ministre des Arm�es du Souverain Pontife, � prendre la t�te de l'arm�e papale, Pie IX voyant l'int�grit� de ses �tats Pontificaux fort menac�s � la fois par le roi Victor-Emmanuel et par les troupes de Garibaldi.

Le c�notaphe de La Morici�re

La Morici�re arrive � Rome en 1860 et s'efforce de r�organiser et d'�toffer les maigres troupes pontificales. Malgr� ses efforts et son exp�rience, cette ultime exp�dition militaire se solde par un �chec (� la bataille de Castelfidardo en particulier), qui pousse La Morici�re � se retirer d�finitivement de la vie publique pour se consacrer � des �uvres pieuses jusqu'� sa mort en 1865, en son ch�teau de Preuzel pr�s d'Amiens.

On comprend d�s lors que c'est pour cette derni�re �tape de sa carri�re, pour son implication aupr�s du Pape en danger que Rome entend honorer sa m�moire. Aussi fait-on �lever un c�notaphe dans le transept nord, gr�ce � une souscription lanc�e en 1866 par le g�n�ral Changarnier, et surtout avec des marbres offerts par Pie IX. � l'inauguration du monument, en 1879, c'est Mgr Dupanloup qui prononce l'�loge fun�bre du g�n�ral, et les fameux zouaves pontificaux envoient une d�l�gation honorer la m�moire de leur ancien chef.

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Le Monument

Le c�notaphe est de marbre blanc, un blanc d'autant plus �clatant qu'il est r�hauss� par les quatre statues de bronze d'un noir brillant qui l'encadrent. La Morici�re est repr�sent� en gisant sur un autel recouvert d'un dais imposant, soutenu par des colonnes et des pilastres alternant le noir et le blanc, et qui donne � l'ensemble un aspect architectural complexe et imposant. C'est l'architecte Boitte qui en con�ut le plan, l'ex�cution en fut confi�e � Moisseron d'Angers.

Le gisant de La Morici�re

Le corps du g�n�ral est couvert d'un linceul aux plis lourds, majestueux et tr�s travaill�s, qui laisse toutefois une assez belle impression de simplicit�, de d�pouillement dans la mort. Le visage est plus convenu, on y voit un jeune homme vigoureux et aux traits d�licats, ce qui peut surprendre un peu, en tous cas il est difficile d'y voir la grandeur de caract�re qu'on voudrait honorer ici. Le crucifix qu'il tient de la main droite, l'�p�e � son c�t� gauche sont les deux attributs qui, sans surprise, repr�sentent le mieux la vie qu'il v�cut. On observe qu'il tient fermement la croix, tandis que sa main touche son arme sans plus la tenir v�ritablement : la religion est pr�sent�e comme un recours devant l'�ternit�, au contraire de la force des armes. On peut aussi y voir une m�taphore de la vie du g�n�ral.

Plusieurs inscriptions latines ornent les faces du c�notaphe, visant � rappeler qui fut le d�funt, ainsi que les vertus qui lui sont pr�t�es : ainsi des cartouches affichent-ils : � Fides �, � Fortitudo � et � Consilium � d'un c�t�, et � Caritas �, � Justitia �, � Virtus � de l'autre. Sur chaque extr�mit� du baldaquin, on peut lire � Optimo viro et clarissimo duci Juchault De La Morici�re amici sodales commilitones que hoc monumentum posuere �, et au pied de la dalle appara�t un texte plus long qui pr�sente les hauts faits de la vie de La Morici�re, d'abord en Afrique bien s�r, mais aussi en 1848, puis lors de sa d�fense du Saint Si�ge, et enfin dans ses douleurs personnelles (la mort de deux de ses enfants) pour conclure sur sa mort en 1865 (voir note 1).

Au sommet du dais, l� encore � chaque extr�mit�, des acrot�res (voir note 2) arborent les armes des Juchault de la Morici�re (au pied) et de Pie IX (au chevet).

Les filles du g�n�ral de La Morici�reParmi bien d'autres d�corations et ornements, l'un peut retenir l'attention plus particuli�rement : il s'agit d'un m�daillon de bronze, plaqu� sur la table de marbre � la t�te du gisant, et qui repr�sente en bas-relief tr�s fin les visages des deux filles du g�n�ral (voir image ci-contre). Ce d�tail a quelque chose de touchant par sa simplicit�, et par sa discr�tion aussi, car il semble qu'on pourrait passer devant le monument de nombreuses fois sans remarquer que ce m�daillon, loin des grandes vertus morales et militaires abondamment illustr�es par ailleurs, renvoie � un sentiment familial simple et fort.

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Les Vertus

La statue de la Foi

Aux quatre coins du monument, les quatre statues de bronze renvoient elles aussi � des vertus essentielles, que l'on souhaite voir attach�es � la m�moire du d�funt. Ce sont de belles �uvres, dues cette fois non � Masseron mais au talent de Paul Dubois. Elles sont ins�r�es habilement dans l'ensemble, au moyen de ressauts pratiqu�s � chaque angle.

La statue de la Charit�� la t�te du c�notaphe, une femme allaitant ses enfants figure la Charit�, et un vieil homme plong� dans la m�ditation de l'�tude figure la Sagesse. � l'autre extr�mit�, la Foi est incarn�e par une jeune fille aux mains jointes, �-demi dress�e dans un mouvement de ferveur extatique; � sa gauche, un guerrier en armes repr�sente le Courage Militaire. On pense en les voyant � la statuaire italienne, aux ma�tres florentins, � Michel-Ange parfois. Dubois a d'ailleurs �t� consid�r� en son temps comme l'un des membres du groupe des sculpteurs � N�o-Florentins � du XIX� si�cle.

Comparaisons

Tombeau de Louis XII et Anne de BretagneOn ne peut s'emp�cher non plus la comparaison avec le tombeau de Fran�ois II de l'autre c�t� du transept ; toutefois, en-dehors de toute consid�ration esth�tique, la structure d'ensemble doit bien davantage � l'�cole de la Renaissance italienne. On le verra par exemple en pensant au tombeau d'Anne de Bretagne et Louis XII (voir photo ci-contre) qui se trouve dans la basilique Saint-Denis, la n�cropole des rois de France : l'organisation en mausol�e, les statues assises aux angles, tous ces �l�ments-cl�s sont communs aux deux monuments. Le tombeau en question est d'ailleurs d� aux mains italiennes des fr�res Juste.

Il est plus que probable que le c�notaphe de La Morici�re ne b�n�ficie pas de ce rapprochement avec le chef-d'�uvre qu'est le tombeau de Fran�ois II ; comment le regarder objectivement, quand des si�cles le s�parent, quand les intentions sont si diff�rentes et les mod�les si peu sur le m�me pied ? Il est �vident, � nos yeux, que les deux monuments n'entrent pas dans la m�me cat�gorie. Toutefois, cela ne doit pas faire oublier la grande qualit� du travail de Paul Dubois, car ses statues parviennent parfois individuellement, dans une posture, dans une attitude, � exprimer une intensit� et une douceur tr�s touchantes.

Pour en savoir plus...

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Notes

Note 1 : Voici la transcription de ce texte :
IN AFRICA, PATRIAE FINES MANV AC CONSILIO AMPLIFICAVIT FIRMAVIT QVE. GALLIA M�RENTE, NEFARIOS IN LEGEM REBELLES STRENVE DIMICAVIT. SANCTA SEDI DERELICTAE VLTIMVM ATTVLIT PRAESIDIVM. FORTVNAE HAVD IMPAR FORTIOR IN ADVERSIS. INGENIO INCLYTVS CORDE EXCELSIOR CRVCIS IN AMPLEXV OBIIT. ANNO. DOM. MDCCCLXV

Et en voici une proposition de traduction, avec l'aide de mon excellent coll�gue latiniste Ottenhof, merci � lui !
En Afrique, son habilet� lui permit d'�largir et de renforcer de son bras les fronti�res de la patrie. Alors que la France souffrait, au nom du droit il combattit �nergiquement les rebelles criminels. Il prot�gea jusqu'au bout le Saint-Si�ge, quand tous l'avaient abandonn�. Quand le malheur le frappa, il ne fut pas moins courageux. Illustre par son talent, d'une grande noblesse de c�ur, il mourut dans l'amour de la croix en l'an de gr�ce 1865.

Les armes du pape Pie IX Note 2 : Une acrot�re (terme d'architecture grecque) d�signe un ornement plac� au sommet ou aux extr�mit�s d'un fronton. Ci-contre, l'acrot�re arbore les armes du pape Pie IX.