Pluie de gr�ce par SIAM (original) (raw)

Pluie de gr�ce par SIAM

(Pr�face par Israel Adam Shamir)

Il arrive quelquefois que l�on re�oive quelque part la gr�ce en abondance.

Il peut s�agir de fleurs. J�ai voyag� de Valence � Cordoue par une vielle route de montagne qui contourne la Sierra Morena dans la Manche aride, et je me suis retrouv� dans un vallon �troit drain� par un maigre ruisseau. Un vaste champ de coquelicots sur les rives rouge sang, la terre dens�ment bariol�e de flamme et de royaut�, et sur la pente oppos�e, une chapelle � Notre-Dame, d�un blanc aveuglant, arr�tait les assauts de la houle �carlate. J�ai franchi ce feu de joie vivant et, les paupi�res ferm�es, j�ai ressenti sa chaleur sur mon visage ardent. Cette explosion de puissance florale �tait la gr�ce.

Il peut s�agir de feu. Sur la terre sauvage du Kamchatka, une �troite presqu��le tendue comme un gu� sur les eaux froides du Pacifique nord, j�ai vu un volcan dans l�explosion de ses fournaises. Le liquide en �paisse avalanche cramoisie engloutit la montagne et d�vala les pentes d�Avacha, ses couleurs passaient constamment du pourpre au mordor�, des braises mugissantes d�un feu de for�t oubli� � un souffle f�roce de lave incandescente, la mati�re des �toiles. C��tait la montagne de feu telle que les mystiques en ont r�v� dans leurs visions de minuit.

Ce peut �tre la f�minit�, autre grand �l�ment de la vie, omis par H�raclite. Une fois, le dernier jour de mai, j�ai atterri dans une toute petite ville d�Ukraine, paisible et �g�e, o� l�ancienne �glise de Notre-Dame de l�Intercession donne, depuis sa haute rive, sur une rivi�re lente, et j�ai perdu pied dans une inondation soudaine de jeunes filles, de fra�ches gamines de seize ans qui f�taient la fin des cours par un bal dans le parc � l�air libre, dans le chaud ciel bleu, avec des bandeaux blancs et des guirlandes de fleurs dans leurs cheveux dor�s, des tabliers blancs d�apparat sur des jupes sombres et impitoyablement courtes, d�couvrant leurs gracieux genoux ouverts sur de hautes chaussettes blanches, et des blouses sombres sans manches lib�rant bras et tendres coudes, et leurs yeux bleus luisaient dans l�ombre des noirs peupliers.

Ou bien encore la pluie. Elle tombe sur la terre parchemin�e du N�guev et remplit ses ravines b�antes, d�borde de chaque trou et de chaque d�pression, court en centaines de menus fleuves sur les racines crisp�es de gigantesques jujubiers anciens, puis ressuscite l�herbe endormie ; elle nourrit les chacals rieurs, les renards du d�sert et les l�opards, elle redonne vie � la vie apr�s un long sommeil d��t�. Elle bourdonne comme un essaim d�abeilles en col�re, et transforme le sud de la Palestine, toujours aride, en une vaste c�l�bration de verdeur. Ce miracle du d�sert devenant terre vivante est pure gr�ce.

La po�sie de SIAM appartient � la m�me cat�gorie d��l�ments printaniers. Elle s�apparente au feu, � l�eau, aux fleurs, et � la f�minit� �close dans leur grande abondance. C�est la Montagne de Feu et la Pluie du D�sert. SIAM est un faiseur de pluie miraculeuse dans la tradition de l�Afrique occidentale, et la pluie qu�il appelle est une pluie de gr�ce. Son apparition dans notre �ge philistin et dans la mondaine Indianapolis, dans l�Indiana, est un miracle que nous n�avons pas m�rit� : mais la gr�ce est g�n�ralement imm�rit�e.

SIAM appartient � la tradition de la po�sie spirituelle, celle qui commence avec les Psaumes et nous guide � travers la mystique profonde de Roumi et l�esprit cosmique de Walt Whitman, le po�te de toute l�Am�rique. Sa po�sie est un ph�nom�ne naturel autant qu�une �uvre d�art, et nous rappelle les racines sacr�es de la vocation divine.

Dans son psaume du monde il �crit :

Il n�y a pas assez de merci dans le monde,

Pas assez d�aimable r�ciprocit�, le miracle r�ciproque d��tre

Un brave �tre humain tout simple,

Pas assez de sourires dans le monde

Pour all�ger les rides du monde,

Gu�re de danse sacr�e ou d�amour en secret

Dans l��me de l��me du monde -

Plus assez de gr�ce pour sauver la face dans le monde

Et il entreprend de sauver le monde par la gr�ce et l�amour :

Tu as �t� l�eau dans un d�sert sec et nu,

Une oasis pour le voyageur �puis� par la qu�te

De la cit� d�or �

Mon gouvernail sur une mer impaternelle

Vaisseau qui m�as appris comment capturer le grand poisson

Qui m�entoure,

Tu es devenue le sel dans mes larmes,

Son nom SIAM nous rappelle les mots du Sinai : � Je suis celui qui Suis �, selon ses propres termes : � SIAM est proche de I am, le verbe �tre �ternel et continuel ; c�est mon moi toujours nouveau, qui est et qui devient � ;

Cet I AM change constamment, c�est l�inondation de Finnegans Wake :

Je ne pense pas que le jour ait assez d�heures pour que j��crive sur moi-m�me, parce qu�assur�ment, je suis une �uvre en chantier.

SIAM assume aussi son nom de Shaikh Ibrahim Al-Jahizz M�Backe, mais ce grand po�te et mystique a vu le jour comme un Michael Smith tout simple � Indianapolis dans l�Indiana. Son p�re �tait natif de Greenville, Mississippi, qui dans ses derni�res ann�es aussi devint un homme de l�Indiana, Milton � Cowboy � Smith, ancien combattant de l�arm�e US ; et dans ses veines m�rissait un cocktail afro-am�ricain unique, explosif, fait de sang anglais, arabe, africain et indien. Comme Diog�ne ou Tolsto�, Milton Smith a quitt� sa maison de classe moyenne, il est parti vivre sous le pont qui relie � la Seizi�me rue et l�Avenue nord ouest � de sa ville d�adoption � parce qu�� soixante et onze ans, il n�avait pas envie que personne lui dise comment il devait mener son existence �, a �crit SIAM ; et il ajoutait : � S�il avait �t� blanc, on l�aurait v�n�r� comme Henry David Thoreau quand il s�est retir� pour vivre seul dans les bois de Walden Pond �. Il a �crit, au sujet de son p�re :

Frappez l�esprit et le corps s��croulera peut-�tre,

Tes larmes sont devenues Mississippi,

Et ton �me a d�bord�,

Ton �me a d�bord� l�.

Tu n�as jamais rencontr� Mark Twain ou Henry David Thoreau,

Richard Wright, Chester Himes, ou James Baldwin,

Frederick Douglass, ou Ralph Waldo Emerson non plus,

Mais ils avaient tous annonc� ta venue,

Toi la pierre tranch�e dans la montagne sans mains,

Le cowboy sculpt� omme un �clat de verre

L��chantillon vivant

Du Peau noire masques blancs de Frantz Fanon,

Tu as �t� l�Homme invisible lui-m�me,

Le Fils natif adopt� par Ralph Ellison

Qui brille si fort en fondation,

Et le cowboy qui dansait gracieusement

Avec ses os bris�s en souffrance.

Bruissement dans une vie de bousculades d�hanch�es

Tu avais deux femmes grosses � la fois,

Sacr� bonhomme,

Tu en avais !

Son fils a h�rit� de lui son ind�pendance d�esprit et sa soif inextinguible de gr�ce divine. La vie du po�te, maintenant dans la cinquantaine, se lit comme un manuel pour la qu�te de l��me d�un Ren� Gu�non am�ricain. Il a gagn� le prix de l�Acad�mie des po�tes am�ricains, il est dipl�m� du Coll�ge Aenon Bible, il a �t� � l�universit� d�Etat de l�Ohio, et a achev� son master en th�ologie de l�Ecole de la Divinit� de Harvard en 1976. Il a v�cu dans le miel et les graines de tournesol.

Il a je�n� quarante jours pour les affam�s de la plan�te, et encore quarante jours pour les sans abri, et il a expliqu� :

Pourquoi je�ner ? Je je�ne parce que J�sus a dit ; � il y a des choses qui ne peuvent �tre chass�es que par le je�ne et la pri�re �. Et certes il faut venir � bout du manque d�un toit.

Il a lu ses po�mes dans la chambre royale de la grande pyramide de Gizeh en Egypte:

Que puis-je sous la pyramide de mon esprit

Que puis-je sous la pyramide de mon esprit

Que puis-je sous la pyramide de mon esprit

Eh bien, je vais monter sur l�aile d�un sphinx d�argent.

Il a v�cu deux ans avec les moines b�n�dictins de Saint-Maur. L� SIAM s�est mis sous la dict�e de saint Jean de la Croix, le grand mystique jud�o-espagnol, l�ami de sainte Th�r�se d�Avila, et il a b�ni�

O nuit qui guide !

O nuit plus aimable que l�aube !

O nuit qui as uni

L�amant � l�aim�e

Et fait de l�aim�e l�amant.

Il a cherch� les racines africaines de sa spiritualit� en Afrique de l�ouest, il a travers� le Nigeria jusqu�au S�n�gal et il a �crit :

J�ai entendu le fleuve appeler ton nom Illu Gan Gan, tandis que tu dansais, marchais et bondissais dans le c�ur du monde, l��me du noyau du monde � toi celui qui romps, celui qui fait, le nig�rian en transe, le danseur de pluie d��b�ne de la terre yoruba, toi, le fils d�Olodumare, fils de la vie et de la lumi�re, toi, le gardien, le gu�risseur, le protecteur de tous ses fils et des filles de ses fils

Toi qui respires, qui soul�ves, qui sues et qui chantes

car la terre �tait jadis paralys�e de lourd silence

Devant l�Oint redoutable.

De fait, SIAM a trouv� sa demeure spirituelle dans les enseignements de saint Touba le S�n�galais, fondateur de l�ordre mystique mouride de Al Islam, de la ville sainte de Touba. Fils et h�ritier de saint Touba, Serigne Saliou a initi� SIAM aux secrets sublimes de cet enseignement �sot�rique. L�islam �sot�rique est d�abord et surtout soufi, et la po�sie de SIAM a l��lision fulgurante, la robuste d�licatesse qui est la qualit� s�re du grand po�te m�di�val soufi Roumi.

De quelle couleur est ce go�t sur ta langue le vois tu ?

Quelle est cette senteur divine que tu entends l�, parl�e dans ton oreille ?

Maintenant comme jadis, SIAM passe du temps � Touba et revient � Indianapolis aupr�s de sa famille, avec ses deux enfants Ali et Rabia, et ses disciples bienaim�s. La premi�re, la plus d�vou�e s�appelle MomJara, comme la m�re de saint Touba, qui est v�n�r�e au S�n�gal pour son pouvoir spirituel.

SIAM a �crit : � MomJara est un nom synonyme de pri�re intense et de pratiques de d�votion sacr�es ; elle est le creuset symbolique qui rend possible la transfiguration divine. MomJara est la reine, produit de la gr�ce divine, l��pouse sainte de la science spirituelle [Tasawwuf} derri�re la vision du po�te et la force vitale du po�te �. Mais MonJara est aussi grande pour ses ailes de poulet au barbecue que Shaikh adore.

L�un de ses derniers po�mes parmi les plus forts, s�appelle � A J�rusalem �. C�est le lien renou� et explicite entre la J�rusalem des Proph�tes et celle d�Edward Said, entre l�appel du peuple d�Isra�l ancestral et le combat des Palestiniens pour la dignit� :

Ici dans la J�rusalem, la cit� de la paix, je meurs ; je meurs quand le soleil est � nouveau en Sagittaire, et que la lune s��clipse dans le signe des Poissons, et trouve repos et d�livrance des reflets affect�s dans les yeux des �mes de mes fr�res, qui cherchent mon regard, et le r�confort, et la consolation, tandis que par milliers d�autres attendent � leur tour un soulagement, par del� les mers, pour me donner, en retour, leurs Salams et d�autres v�ux de paix encore.

Dans ce po�me, Siam appelle chacun � plus de mis�ricorde, � promouvoir la paix, � coexister sur cette plan�te cr��e par Dieu pour tous les fils d�Adam.

M�me ce po�me est un appel � l�humanit� pour nous �lever plus haut tous ensemble dans les degr�s spirituels. La po�sie de SIAM est un signe de vie adress� par l��me de l�Am�rique au monde, et elle nous dit :

L�Am�rique est encore vivante.

SIAM est l�auteur d�un livre de vers contemporains, Un mot pour l��motion noire.