Le pianiste Vittorio Forte et le pianiste Earl Wild (original) (raw)
11 mars 2021 —— Jean-Marc Warszawski.
Vittorio Forte, Earl Wild ; [re]visions, piano transcriptions. Odradek 2021 (ODRCD 399)
Depuis un concert à Caen en 2015, le pianiste Vittorio Forte se rappelle régulièrement à notre bon souvenir : un cédé et un récital au Goethe Institut de Paris dans un programme de transcriptions de mélodies (2016), les valses de Chopin (2018), des œuvres de Carl Philip Emmanuel Bach (2019), et après ces deux digressions, de valeur, retour cette année aux fondamentaux, idées fixes et attirances irrépressibles : transcriptions, Earl Wild (et par ce dernier Rachmaninov), Gershwin… Et un clin des yeux à Carl Emmanuel Bach dans un nouveau costume stylé par le pianiste en personne.
C’est du piano orchestre, tel inauguré par Franz Liszt, où l’instrument est exploité dans les grandes largeurs et profondeurs, excessif dans les épaisseurs, envahit de nappes harmoniques et par l’ego surdimensionné des voix secondaires, mais aussi dans les langueurs mélodiques ou les scènes (amoureuses ?) épurées. On est romantique ou on ne l’est pas.
Dans cette musique projetée qui doit porter loin, toucher droit et fortement la sentimentalité, pourquoi pas provoquer admiration et quelques frisson par des épisodes acrobatiques, il faut le tact poétique d’un Vittorio Forte pour éviter d’une part la mièvrerie, d’autre part l’exercice de musculation, aussi pour donner à l’afflux d’événements, à toutes ces voix et événements se disputant le devant de l’oreille, aux vagues d’arpèges, à la densité harmonique et des figures intérieures, un dessein net et articulé, des lignes cohérentes, de l’élégance.
01. George Frideric Händel, (transcriptions of Earl Wild) Air And Variations On The Harmonious Blacksmith. 2. Alessandro Marcello, Adagio (transcriptions of Earl Wild). 3-9. Sergei Rachmaninov (transcriptions of Earl Wild) : Dreams, opus 38, no 5 ; Where Beauty Dwells, opus 21, no. 7 ; The Muse, opus 34, no 1 ; 6. Floods of Spring, opus 14, no 11 ; 7. Do Not Grieve, opus 14, no 8 ; Sorrow In Springtime, opus 21, no 12 : On the Death of a Linnet, opus 21, no 8. 10-11 Pyotr Ilyich Tchaikovsky (transcriptions of Earl Wild), Dance of the Four Swans (from Swan Lake) ; At the Ball, opus 38, no 3. 12-18. George Gershwin - Earl Wild, Seven Virtuoso Etudes On Popular Songs : Liza, Somebody Loves Me, The Man I Love, Embraceable You, Oh, Lady Be Good!, I Got Rhythm, Fascinating Rhythm. 19. Gershwin/Wild-Improvisation in the form of Theme and 3 Variations on Someone To Watch Over Me. 21. C.P.E. Bach-Vittorio Forte, « Solfeggietto » In the form of an improvisation.
Au-delà de la qualité du programme et de l’esthétique de son interprétation, de la belle technique qui reste au service du spectacle sans le devenir elle-même, l’intérêt que les pianistes semblent porter, depuis quelque temps, aux transcriptions virtuoses de concert, il y a par ailleurs aussi les transcriptions de salon et de travail par manque d’orchestre ou pour s’en passer, pourrait taquiner les neurones.
Depuis l’après-guerre la tendance serait plutôt au déshabillage qu’à l’habillage, nous voulons dire à la recherche essentialiste, celle des unités les plus simples desquelles découleraient la complexité et la prolifération, l’essentielle de la musique sous les décorations d’apparat. La musique sérielle, particulièrement les œuvres de Webern, entre dans cet ordre, comme les interprétations de Glenn Gould ou la musique minimaliste, l’idée que Bach architecturait ses monuments à partir de seulement un sujet de quelques notes, le culte porté au génie beethovénien du développement à partir de trois fois rien. La vaguelette qu’on décèle chez les pianistes, pour cette pratique qui en rajoute parfois des couches, souffle comme un petit goût de liberté, bien qu’ils se montrent fidèles aux partitions des infidèles, qui le plus souvent ont réécrit des œuvres appréciées à leur propre usage de pianistes.
La question de l’authenticité est liée à la précédente. Au xixe siècle, la division du travail a séparé le métier de compositeur-interprète de ses propres œuvres en deux métiers distincts. Le compositeur et le concertiste virtuose au service du génie du compositeur, de l’authenticité du créateur, proche d’un schéma religieux. Respecter scrupuleusement la partition, ou son essence quand elle manque de précision, ou les intentions du compositeur, est en fait une véritable industrie de l’esprit, entre un jeu qui minimalise ou supprime les ornements, adopte un tempo métronomique sans varier d’une nanoseconde de rubato, égalise la frappe de chaque doigt, et le jeu qui en rajoute pour mettre en valeur, commenter, varier les entrées d’écoute. En fait la dichotomie entre la vérité de l’église pure des pauvres et la mise en valeur de la grandeur du Christ par des clochers touchant le ciel et des églises rutilantes de tapisseries, d’objet d’arts, d’or et de pierreries.
Soyons sages, il y a un temps pour chaque type de beauté. Vivons assez longtemps pour goûter à toutes et à celles qu’on ignore encore.
Jean-Marc Warszawski 11 mars 2021
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Vendredi 12 Mars, 2021 4:01