Maria Milstein concerte Sergueï Prokofiev (original) (raw)

4 février 2023 — Jean-Marc Warszawski

Sergueï Prokofiev, Concertos pour violon et orchestre, Maria Milstein (violon), Phion Orchestra, sous la direction d'Otto Tausk, concertos en ré majeur, opus 19 et en sol mineur, opus 63. Channel Classics 2022 (CCS 45223).

Enregistré en mai 2022, Muziekcentrum Enschede.

Maria Milstein est née à Moscou, au sein d’une famille de musiciens. Elle a étudié à Amsterdam, à Londres et a été en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Elle a été distinguée dans divers concours comme soliste et comme chambriste, dont celui de l’ARD (concours très suivi de la première chaîne de télévision allemande) et le non moins prestigieux Dutch Music Prize du ministère de la Culture des Pays-Bas.

Elle se produit comme récitaliste, soliste avec orchestre et en musique de chambre au sein du Trio Van Baerle formé avec Hannes Minnaar (piano) et Gideon den Herder (violoncelle). Elle joue également en duo avec sa sœur Nathalia qui est pianiste. Même si elle apparaît parfois en France, comme en ce moment à la Folle journée de Nantes, à Grenoble, l’an passé, ou effectue des tournées en Angleterre, elle se produit essentiellement et intensivement aux Pays-Bas.

Elle dirige un centre de musique de chambre, logé dans une église en bois construite à la fin du xviie siècle, à Zaandam, au nord d’Amsterdam.

Depuis 2014, elle a enregistré plusieurs cédés remarqués par la presse spécialisée. Ce septième enregistrement est consacré aux deux concertos pour violon et orchestre de Sergueï Prokofiev, en compagnie du Phion Orchestra, très apprécié aux Pays-Bas, sous la direction d’Otto Tausk.

Maria Milstein a déjà gravé des œuvres de Prokofiev : la sonate pour violon et piano en fa mineur opus 80, avec l’éclectique pianiste Hanna Shybayeva (Cobra Recors 2014) et la sonate pour deux violons, opus 56, avec Mathieu Van Bellen (Challenge Records 2020).

Le premier concerto a été composé en 1916-1917 (comme la première symphonie), en pleine effervescence révolutionnaire. Sa Suite scythe, dans l’esprit des futuristes Russes et du vitalisme des origines païennes et barbares (aussi l’influence du Sacre du Printemps d’Igor Stravinski), agressive et provocante, a soulevé un scandale lors de sa création, le 29 janvier 1916 au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, en 1921 à Paris, le public sera réservé.

La création de ce concerto était prévue pour novembre 1917, avec le violoniste Paul Kochanski, partenaire de duo d’Artur Rubinstein et professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, qui avait conseillé Prokofiev lors de la composition. Mais les événements frais défavorables au projet.

Bien qu’il accueille positivement la Révolution, comme tout le milieu artistique qu’il fréquente, Prokofiev obtient l’autorisation de quitter le pays en 1919. Il est depuis peu à Paris quand son concerto est créé à l’Opéra, avec le premier violon de l’orchestre Marcel Darrieux (Kochanski est alors aux États-Unis, et les solistes connus refusent de jouer « cette musique »), sous la direction de Serge Koussevitzky, le 18 octobre 1923. Mais c’est surtout Joseph Szigeti qui popularisera le concerto dans les années suivantes. En Russie, le concerto sera créé à Moscou, dans une version violon piano par Nathan Milstein (aucune filiation avec Maria Milstein), et Vladimir Horowitz.

Ce premier concerto, d’une imagination sans bornes et à la fois concentrée, d’un lyrisme irrésistible, mais sans pathos à la romantique, est un véritable paysage de printemps, avec des harmonies somptueuses, une orchestration sensuelle, et tout de même la présence de motricités « vitales » qui semblent faire avancer, parfois avec agressivité (marque de fabrique du compositeur), le temps arrêté par les contemplations lyriques. Un lyrisme libéré par la forme « da chiesa », « d’église », inversant la succession traditionnelle rapide - lent – rapide des mouvements, par la succession lent – rapide (quel scherzo virtuose !) – lent.

Si le premier concerto borne le départ d’Union soviétique, le second commandité par le violoniste Robert Soetens et ses admirateurs en borne le retour. Prokofiev s’installe de nouveau en Union soviétique avec sa femme et ses enfants peu après la création, le 1er décembre 1935 à Madrid. Tout aussi imaginatif, moins concentré, le second concerto explore une palette plus étendue, on peut par exemple y entendre des épisodes de sarcasme, propres à son collègue Dimitri Chostakovitch, un emploi plus intensif des percussions et même des castagnettes, peut-être des accents plus populaires, mais toujours avec la même transparence, la même impression de beauté extérieure, un effet de paysage, pictural, ou de scènes, plutôt que l’expression d’un pathos existentiel.

On demande donc ici de bonnes poussées d’adrénaline, un grand engagement virtuose, mais aussi de la mesure et de l’équilibre, du chant, sans rien exagérer ni des contrastes ou des transitions. Comme ce cédé nous le raconte.

Sergueï Prokofiev, premier concerto pour violon et orchestre en ré majeur, opus 19, Scherzo (extrait), plage 2.


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