Les 2e Musicales de Loire & Sens (original) (raw)
Jean-Marc Warszawski, 17 septembre 2024
Vue d'une partie du domaine hôtelier Loire & Sens. Photographie © musicologie.org.
Si les Musicales n’ont encore que deux années d’âge, leur écrin, le domaine hôtelier Loire & Sens de Juigné-sur-Loire fête quant à lui ses dix ans. C’est un hôtel doté d’un restaurant de haute gastronomie moderne, mais sans excès de mode, un domaine où l’on se marie, où l’on fête, où l’on se met en séminaire, qui tend à devenir un centre d’activités culturelles, avec expositions et concerts. Le lieu est parfaitement équipé, de la centaine de places de son auditorium, aux cinq-cents de sa grande salle à la bonne acoustique, ses diverses autres salles et salons. Quand c’est trop ennuyeux, on peut aller de faire suer au hammam, aller barboter dans la piscine intérieure, soulever un peu de fonte, ou profiter des avantages touristiques d’Angers ville du roi Roger, de la Loire et ses châteaux, des caves vinicoles. Ici se côtoient, noyés de verdure, les anciens bâtiments d’une ferme fortifiée utilisée comme pavillon de chasse au xviie siècle et des bâtis modernes bien insérés.
Pour la seconde année, Michel Lethiec y amène de vieux et fidèles complices, mais aussi de jeunes talents qui seront de vieilles et fidèles complices plus tard : le quatuor Talich, le pianiste Jean-Claude Vanden Heyden, le corniste André Cazalet, et, qui ne s’en laissent pas compter ni intimider par ces requins couronnés et louangés, la bassoniste Marie Boichard et la contrebassiste Laurène Durantel-Helstroffer.
Michel Lethiec présentant les Musicales Loire & Sens. Photographie © musicologie.org.
Le programme, exigeant et de belle musicalité, est calibré entre lourd et léger, festif et grande architecture, tension et détente, parfois les deux à la fois, comme vendredi soir, avec le le Till Euleuspiegel de Richard Strauss, une musique narrative exprimant les facéties de Till et sa pendaison un peu burlesque, et peut-être pour cela, d’une facture assez rude à la technique virtuose dans cette version de Franz Hasenhörl qui réduisit l’orchestre symphonique en version chambriste. Toujours vendredi soir, le divertimento qui porte bien son nom de Mikhaïl Ivanovitch Glinka, des variations sur des thèmes de « La somnambula », un opéra de Vincenzo Bellini. Le vénérable piano Pleyel sonne bien sous les doigts de Jean-Claude Vanden Heyden, dans cette musique aux maniérismes xixe siècle, plus italianisante que russophile, et à laquelle les instruments accompagnants n’ajoutent pas grand-chose. Peut-être sous-estimons-nous aujourd’hui l’importance de ce compositeur dans la musique russe, et l’intérêt en général de sa musique pour piano.
Le quatuor Talich, Musicales Loire & Sens, 13 septembre 2024 : Radin Sedmidulsky, Roman Patocka, Jan Talich, Petr Prause. Photographie © musicologie.org.
En semi-lourd, les Märchenerzählungen (récits de contes (de fées) de Robert Schumann profitant de ses dernières lucidités au monde, déjà visité la nuit par « des voix ». Dans sa présentation, Michel Lethiec parle d’acouphènes là où il faudrait peut-être parler de schizophrénie… Et le lourd avec le célèbre à juste titre 12e quatuor dit « américain » d’Anton Dvořák dans la beauté du son du Quator Talich. Enfin, une belle élégie de Jacques Offenbach pour violoncelle et piano, Les larmes de Jacqueline (seconde des trois pièces opus 76, Les harmonies des bois, pour orchestre et violoncelle). Certainement composées pour lui-même, Jacques, violoncelliste virtuose, ces « larmes » ont été popularisées dans les années 1960 par Jacqueline Dupré, fabuleuse météorite musicale arrêtée en pleine course et jeunesse en 1972 par la sclérose en plaques.
Enfin, un Joyeux anniversaire pastiché dans divers styles, qui a fait rire et frapper des mains, avant que public et musiciens ne gagnent la réception du 10e anniversaire, ses succulentes mignardises, canapés, petit fours, champagne et vins à y revenir, mais tout est parti.
L'ensemble Clarinis. Église de Juigné-sur-Loire, 14 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
L'ensemble Clarinis avec Michel Lethiec. Église de Juigné-sur-Loire, 14 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Nous n’y pouvons rien, samedi suit toujours vendredi et nous nous déportons à l’église de Juigné-sur-Loire. Je n’ai pas bien compris ou il y a eu un changement de dernière minute, mais j’ai raté la rencontre avec les jeunes élèves clarinettistes des écoles de musique du coin. À 18 heures, c’est l’ensemble Clarinis, professeurs, anciens professeurs, grands élèves et anciens grands élèves des environs qui nous ont mis en oreilles une demi-heure durant, plutôt jazz et tango et Piazzolla, avec la participation de Michel Lethiec. Ils ont mis le public en liesse qui a exigé un bis.
Le Quatuor Talich : Jan Talich, Roman Patocka, Radin Sedmidulsky, Petr Prause. Église de Juigné-sur-Loire, 14 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Ensuite ce fut le concert des grandes structures, avec le huitième quatuor de Dimitri Chostakovitch et le septuor pour cordes et vents de Ludwig Van Beethoven. Sommets musicaux et sommet d’interprétation. Il n’y a pas plus élégiaque, déplorant et sarcastique en musique que Chostakovitch, mais il me semble que cela nous touche plus par la pure beauté que par la tristesse. Ce chef-d’œuvre est dédié officiellement à la mémoire des victimes du fascisme et de la guerre et officieusement à lui-même, son thème d’entrée en fugato est d’ailleurs basé sur ses initiales DSCH (re, mi bémol, do, si)… le son des Talich est compact, d’une homogénéité rare, qui ne vient pas à nous en fanfare, mais qui nous aspire, d’autant plus qu’ils n’hésitent pas à murmurer les pianissimos, donnant ainsi de l’espace sonore à la délicatesse des nuances, tout en suscitant l’attention des auditeurs, conscients je suppose du privilège qu’ils ont de pouvoir entendre une telle merveille.
Jan Talich, Radin Sedmidulsky, Petr Prause, Michel Lethiec, Laurène Durantel-Helstroffer, Marie Boichard, André Cazalet. Église de Juigné-sur-Loire, 14 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Le septuor en mi bémol n’est pas une œuvre de première jeunesse. Beethoven est déjà trentenaire et définitivement Viennois depuis huit ans quand il compose ce septetto dont l’immense succès assura définitivement la célébrité du compositeur. Il était pas mal fier de la longueur en six mouvements, pour, dit la rumeur incontrôlable, faire la nique à Haydn. Plus tard il aurait confié à ses amis que cette pièce comportait beaucoup de sentiment naturel, mais peu d’art. En tout cas, l’ensemble cordes et vents avec ajout de contrebasse donne au genre chambriste des allures de symphoniste, transcendées par l’imagination débordante d’écriture, cordes contre vents, clarinette contre violon, duos, solos (tout le monde y passe), et même une mélodie qu’on a cru un temps être un air populaire traditionnel. Comme pour Chostakovitch, mais cette fois dans la bonne humeur du divertimento, le temps est passé trop vite.
Jean-Claude Vanden Heyden et Petr Prause (Romances sans paroles de Mendelssohn). Musicales Loire & Sens, 15 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Enfin dimanche, dernier jour des Musicales de Loire & Sens. Après une « conférence » hilarante de Michel Lethiec sur la dure vie du musicien, le dernier concert était consacré aux œuvres utilisées dans les films : Bach, Schubert, Mozart, Beethoven, Chopin, Mendelssohn, Ravel, l’adagio de Remo Giazotto dit d’Albinoni, une magnifique et virtuose musique Klezmer de Boris Pigovat parfaite et non sans émotion pour Rabi Jacob, etc. Ce n’était pas un ciné-concert, mais un vrai concert, avec la projection de quelques photos et affiches des films concernés. Une manière de rendre cohérent un programme d’une bonne dizaine d’œuvres, un divertimento, dans lequel les musiciens, Quatuor Talich, Jean-Claude Vanden Heyden, Michel Lethiec ont déployé le même engagement musical qu’ils ont offert la veille dans le 8e quatuor de Chostakovitch et le septuor de Beethoven.
Jan Talich, Roman Patocka, Jean-Claude Vanden Heyden, Radin sedmidulsky. Musicales Loire & Sens, 15 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Jean-Claude Vanden Heyden et Michel Lethiec. Musicales Loire & Sens, 15 septembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Jean-Marc Warszawski
17 septembre 2024
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Mercredi 18 Septembre, 2024 21:35