Olga Kirpicheva, le piano et Sergueï Rachmaninov (original) (raw)
10 février 2024 — Jean-Marc Warszawski
Dialogues, Olga Kirpicheva (piano), Serguei Rachmaninov, Préludes opus 23, Études Tableaux, opus 33 ; Polina Nazaykinskaya, Dialogues. Et’cetara 2023 (KTC 1795).
Enregistré le 13-17 juillet 2023, Chapelle Reine Élisabeth, Haas-Teichen Studio.
J’ai fait sa connaissance de nom, de visu, et de piano, le 18 novembre 2023, à la Schubertiade de Sceaux où il pleuvait à seaux percés. Un parapluie cassé, deux saucées mémorables à chaque bout du RER.
Olga Kirpicheva y a interprété une partie des préludes opus 23 de Sergueï Rachmaninov, ses Études-tableaux, opus 33, en bis les Dialogues (... with myself) de son amie d’enfance et camarade d’études Polina Nazykinskaya, tout cela sur le cédé, mais aussi une magnifique version, parfois bouleversante (particulièrement les deux derniers numéros colossaux, « La cabane sur des pattes de poule » et « La porte de Kiev »), des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski qui n’est pas sur ce disque, mais on peut en trouver une version sur YouTube.
Olga Kirpicheva est née à Togliatti sur les bords de la Volga. Après être passée par l'école pour enfants talentueux, elle est diplômée au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, puis intègre le Conservatoire national supérieur de Paris en 2013. Confronter deux écoles pianistiques si différentes n’est pas une mince affaire. Elle débute une carrière de soliste dès l’enfance qui s’épanouira avec les années dans un vaste répertoire d’œuvres du xixe siècle à nos jours. Elle joue également au sein du trio Medici avec la violoniste Vera Lopatina et le violoncelliste Adrien Bellom et en duo avec le violoniste Nicolas Dupont.
Études, préludes, on ne sait pas trop qui est quoi, puisque les Études-tableaux ont été dans un premier temps baptisées « préludes ». Mais c’est une bonne idée de n’avoir pas choisi entre les deux cycles de préludes et les deux cycles d’Études-tableaux et de nous offrir en fait deux hémicycles, qui forment tout de même un cycle inhabituel.
Cela est d’autant plus crédible, que les études ne sont pas linéaires si on peut dire, elles ne développent pas chacune une difficulté spécifique, même si les difficultés mécaniques abondent pour casser le moral des pianistes, octaves, larges intervalles, avalanches d’arpèges à gauche comme à droite : Rachmaninov était un pianiste virtuose. C’est plutôt la densité polyphonique, la discrimination des voix, leur synchronisation, qui en font la difficulté, mais aussi leur splendeur. On peut en dire autant des Études-tableaux, un titre qui nous engage à visualiser quelque chose dont il n’est rien dit, mais ce n’est pas parce qu’on ne nous y engage pas que les préludes quant à eux n’ont pas de paysages.
Olga Kirpicheva, Schubertiade de Sceaux, 18 novembre 2023. Photographie © musicologie.org.
C’est une magnifique musique, pas très gaie, on est ici plutôt élégiaque et lyrique dans la fureur, avec des volées de cloches, des agrandissements harmoniques, des élans pathétiques, des martèlements rythmiques, parfois de la troïka, des accents populaires, c’est à la fois rêche et sophistiqué. C’est russe sans aucun doute.
Plus dans le pianistisisme d’aujourd’hui, la pièce de Polina Nazykinsaya est construite en épisodes autour d’une magnifique mélodie cyclique sur basse d’Alberti (style musique populaire actuelle), monte au climax en se gonflant de voix et de complexités contrapuntiques, redescend malgré des efforts faiblement velléitaire, pour finir en passacaille brisée en plein vol et trois coups de tocsin. C’est assurément russe. Mais là, au milieu du cédé, on en est encore au verre de vodka qui remonte le moral.
Olga Kirecheva est magistrale de maîtrise, aussi lumineuse que la musique peut être sombre, voire angoissante. Elle n’arrondit ni les angles ni la rudesse, tout en laissant s’échapper la mélopée élégiaque, la mélodie amoureuse ou autres rayons de clarté. Cela peut faire l’effet du quatrième ou cinquième verre de vodka, celui qui commence à embuer le regard déjà un peu vague à l’âme.
Sergueï Rachmaninov, Éudes-tableaux, opus 33, 4. Moderato, extrait, plage 4.
Jean-Marc Warszawski
10 février 2024
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Mardi 20 Février, 2024 19:42