La chronique de Morosini (original) (raw)
La chronique de Morosini Lettre 4 - index |
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u cours de l'année 1429.
Copie d'une lettre envoyée par le noble homme messer Giovanni da Molino, d'Avignon, le 30 juin, et qu'il écrit en la forme que nous allons dire :
« Je vous veux dire d'une gentille damoiselle des parties de France, ou même, pour mieux dire, d'un gentil ange, venu de par Dieu et envoyé pour restaurer le bon pays de France, qui était déjà perdu; cette damoiselle, qui de son nom est dite Jeanne, après avoir été dans un nombre infini de lieux rebellés contre les Anglais, est allée à une terre qui s'appelle Beaugency (1) et a envoyé dire au capitaine Talbot, seigneur anglais, qu'il lui donnât la terre (2) ; il ne voulut ; alors le comte de Suffolk, seigneur anglais, fit tant, au nom de la damoiselle, que Talbot lui donna la terre, et, comme elle voulait y entrer, sa personne et ses biens saufs, il vint s'incliner devant ladite damoiselle et lui jura que jamais il ne s'armerait en personne contre le roi de France (3), et ainsi elle lui donna congé, et il partit (4). Ensuite, il rencontra en chemin quelques gens de pied anglais rassemblés des garnisons de France pour venir trouver ladite damoiselle; alors ledit seigneur Talbot, nonobstant qu'il eût juré de ne pas prendre les armes contre la couronne de France, se joignit, lui et sa compagnie, aux Anglais (5). Et la damoiselle dit en bon honneur : « Allons les trouver, nous les mettrons en déroute. » Et ainsi fut. Elle vint à la bataille (6), qui dura longtemps, et à la fin il y eut de morts qui dit 3.500 et qui dit 3.000 (7), et autant de prisonniers. Des Anglais il n'échappa un seul homme, ce qui est grande merveille, et du parti de la damoiselle il ne mourut pas vingt personnes. Parmi les morts furent tous les capitaines, le seigneur de Scales (8) et beaucoup d'autres, sauf Talbot (9), qui demeura prisonnier (10). Mais faites votre compte que tous les lieux se sont rendus jusque près de Paris, Châteaudun (11), Dreux (12), Chartres (13), ainsi que beaucoup d'autres dont je ne me souviens pas. Mais, je tiens pour certain que dès aujourd'hui le dauphin doit être à Paris (14), et il en a bien raison : tant d'Anglais sont morts et prisonniers que le reste doit être perdu. Le duc de Bedford, qui est à Paris, a envoyé demander du secours au duc de Bourgogne ; nous apprenons que celui-ci ne lui a rien envoyé, et j'entends dire qu'il doit avoir été taillé en pièces s'il n'a pas trouvé moyen de fuir. Toutes ces choses me paraissent grand merveille, qu'en deux mois une fillette ait conquis tant de pays sans gens d'armes; et on peut facilement connaître que cela ne peut venir d'humaine vertu, mais que tel a été le plaisir de Dieu, considérant la longue tribulation subie par le plus gentil pays du monde, et ceux-ci qui sont plus chrétiens que personne au monde croient que Dieu, ayant purgé leurs péchés et leur orgueil, a voulu, sur le point de leur finale destruction, les aider de sa main, ce qui n'était point possible à d'autres. Et je vous promets que, s'il n'en eût pas été ainsi, deux mois ne passaient pas sans que le dauphin dût fuir et tout abandonner, lui qui n'avait pas de quoi manger et n'avait pas même un gros pour vivre avec 500 hommes d'armes. Et voyez de quelle manière Dieu l'a aidé : de même que par une femme, c'est-à-dire Notre-Dame-Sainte-Marie, il sauva la race humaine ; ainsi, par cette jeune fille pure et sans tache, il a sauvé la plus belle partie de la chrétienté, ce qui est bien une grande preuve de notre foi ; et si me semble-t-il que ce fait soit le plus solennel qui ait été depuis 500 ans et sera (crois-je) jamais, tel que tous verront et viendront l'adorer avec tous les miracles. Le prévôt de Paris (15), qui ne devait pas s'en aller, s'en est pourtant allé; si bien que je crois qu'aujourd'hui elle a plus de 40.000 personnes qui la suivent (16). Ainsi voyez comment les Anglais pourront résister ! Autant il en viendra devant elle pour la menacer, autant tomberont morts à terre. Et ce sont là choses qui paraissent incroyables, et moi-même j'ai beaucoup hésité à les croire, mais pourtant elles sont vraies en effet et tout le monde y ajoute foi. La glorieuse damoiselle a promis au dauphin de lui donner, après la couronne de France, un autre don qui vaudra plus que le royaume de France, et ensuite lui a déclaré qu'elle lui donnerait la conquête de la Terre Sainte et qu'elle serait de sa compagnie, comme l'on dit (17). Tant de choses seront qu'un jour ne me suffirait aies écrire ; mais avec le temps on les verra mieux et vous entendrez dire, d'ici à peu, les grandes choses qu'elle aura à faire et qui sont au nombre de trois, outre de remettre le roi de France chez lui, et chacune beaucoup plus grande que celle-là (18). Et que Dieu nous laisse voir tant que nous voyions et que nous puissions tout voir ! »
IV (pages 983-986, fos 503-504). (1)
Copia de una letera mandada per lo nobel homo miser Zan da Molin da Vignon ady xxx zugno, la qual el scrive in questa forma como diremo per avanty.
Io ve voio dir d'una zentil damixela dele parte de Franza, anzi a dirve meio d'uno zentil anzolo che da Dio eser vegnudo e mandado a rechonzar el bon paixe de Franza, che zia perdudo iera, che abiando abudo la damixela, per nome dita Zanes, siando stada in infinity luogi revelady a ingelexi, la dita ande a una tera se clama Bonacin, e manda a dir al capetanio Tabot, segnor ingelexe, che ly dese la tera; non volse, de che el conte Sofort, signor ingelexe, per nome dela damixela, tanto fexe, che iu i dè la tera, e voiando intrar dentro, resalvado la persona con el so aver, vene da può a inclinar ala dita damixela, e zuray che may la so persona non s'armerave may contra el Re de Franza, e chusi a quelo li de licencia, e partise. Da può el trovase per camin uno fantin ngelexe, che fono asunady de lingua raxion de Franza, per vegnir a trovar la dita damixela, de che no ostante lo dito signor dito Tabot, che aveva zurado de non prender arma contra la corona de Franza, se mese luy e la so conpagnia a insenbre con ingelexi, e la damixela chon bon cuor dise : andemo a trovarli, che i ronperemo; e cusy fo, e vene ala bataia, e dura asay, e ala fin el de fo morti chi dixe iijMVC, e chi diga iijM, e de prexi altry tanti; di qual non de schanpase homo, ch'è grande meraveia, e che dala parte dela donzela non de mori xx persone; e fonde morti tuti i capetani, el signor de Schale, e di altry asay, salvo Talabort romaxe prixionier, ma feve vostro conto, che tuti i luogi son rendudy fina apreso Paris, zia Orlens, Rens, Ziatres, chon molti altry luogi, io non me recordo, ma io tegno de certo, che infina questo dy el dolfin sia a Paris, che abiè, siandonde morti tanty ingelexi, e prexi lo resto, quali die eser smaridy, el ducha de Benfort, ch'è in Paris, aver mandado a domandar secorso dal ducha de Borgogna, avemo non i a mandado ninte; io intendo ch'el sia taiado a peze, s'el no s'averà reparado via da fuzir. Parme de queste cose sia de gran meraveia, che in do mexi che una fantineta abia aquistado tanto paixe senza giente d'arme, che ben se puo cognoser, che per vertude umana non può eser questo, ma da Dio eser piaxesto, considerando la longa tribulacion abuda el plu gentil paixe del mondo, e queli che son pluy cristiani, cha giente del mondo, parandoy che Dio abia purgady i suò pechadi e la so soperbia a voiudo che sul ponto dela so final destrucion Dio con la soa man aiudarli, che non iera posibel ad altry de farlo, che ven i prometo s'el non fose sta Dio zio, el non pasava do mexi ch'el dolfin chovegniva fuzir e lasar tuto, el qual non aveva da manzar, ne non aver pur uno groso da sostegnirse con homeny vc d'arme. E vedè con che muodo l'à aidado Dio, chomo per una femena, zioè Nostra Dona Sancta Maria, che salva l'umana generacion, chusy per questa donzela pura e neta l'à salvado la plu bela parte de cristantade2, ch'e ben uno grande esenplo dela fede nostra, e si me par che questo fato sia el plu solene che fose zià vc any, ne non sera credo may, che ogni omo vedera e vivera; con tuti i signali adorarla per lo proposto de Paris, che non de podeva andar e c'andado, si che io crezo che infina a questo dy quela abia plu de XLM. persone la siegue, si che vede como ingelexi porà resister, che quanti de vignerà davanti che la manaza, chazera morti in tera; e queste son cose che par incredibile, e io insteso son stado asè a crederle, ma pur in efeto son vere, e hogni omo li dà fede. La glorioxa damixela promeso a dar al dolfin de donarli la corona de Franza, uno dono che valera plu del reame de Franza, e apreso declararli de darly la conquista dele tere sancte, e serà de soa conpagnia. Como se dixe, sera tante cose, che'l no me basteria uno dy a scriverle, ma ala ziornada se vedera meio, e aldirè dir in puocho tenpo le grande cose che 1'averà a far, che sono tre altre, oltra del meter del re in Franza in caxa, ziaschaduna plu granda asè de questa, e Dio de lasa veder tanto che nuy vezemo, e posando veder tuto.
Source : Les textes originaux (en vert) sont ceux publiés par J.B.J Ayroles dans " La vraie Jeanne d'Arc" - tome III "La libératrice", p.567 et suivantes.
Les notes d'érudition sont celles de Germain Lefèvre-Pontalis, parues dans "Chronique d'Antonio Morosini", t.III (1898), p.66 et suivantes, accompagnées de la traduction de Léon Dorez.Extraits des notes de G.Lefèvre-Pontalis :
1Nouvelles, confusément présentées et interverties, des sièges et prises de Jargeau, Meung et Beaugency, événements accomplis entre le 11 et le 18 juin, mais ramenés ici à un seul, la prise de Beaugency.
2
Jeanne d'Arc, ayant quitté Selles le 6 pour gagner Orléans, en est partie le 11, à la tête de forces importantes, se dirigeant sur Jargeau, où commande le comte de Suffolk. Jargeau a été pris le dimanche 12, de plein assaut, et Suffolk fait prisonnier au fort du combat. Rentrée le 13 à Orléans, elle en est repartie le 15 dans la direction de Meung et de Beaugency. Le pont fortifié de Meung est enlevé ce jour même, 15 juin; la ville, sur la rive de Beauce, reste encore aux mains de sa garnison anglaise, sous Thomas Scales. Le lendemain 16, le siège est devant Beaugency, où commandait Talbot, mais d'où, avec une partie de ses forces, il s'est retiré, cette nuit même du 15 au 16, pour joindre en Beauce l'armée anglaise de secours, commandée par John Falstaff, qui, depuis le 8 juin environ, se dirige lentement de Paris vers la Loire, et stationne en ce moment à Janville, à mi-route d'Etampes à Orléans : la garnison laissée à Beaugency par Talbot capitule dans la soirée du 17. Vers ce moment même, à la fin de la journée du 17, l'armée anglaise de secours, avec Talbot, partie de Janville, est entrée dans la ville de Meung, espérant en vain sauver encore Beaugency. Le 18 au matin, au su de la perte de Beaugency, l'évacuation de la ville de Meung est décidée, et toutes les forces anglaises, armée de secours, troupes sorties de Beaugency sous Talbot, garnison de la ville de Meung sous Scales, se sont mises en retraite sur Paris par la direction de Janville. (Sur l'exposé de ces faits, compliqués en apparence, mais strictement dépendant l'un de l'autre, voir Wallon, Hist. de Jeanne d'Arc, t. I, p. 188-201.)
3 Le roi, encore certainement à Saint-Aignan le 6 juin, peut-être à Selles jusqu'au 9 (lettres de Guy et André de Laval, Procès, t. V, p. 107-110), se trouve à la date du 19 au château de Sully-sur-Loire, entre Jargeau et Gien, possession du grand chambellan Georges de la Tremoïlle, tout-puissant sur l'esprit du prince, et qui tient ainsi Charles VII, soi-disant sur le chemin de Reims, en réalité sous sa main, et surtout à l'écart du milieu d'enthousiasme soulevé autour de Jeanne d'Arc. C'est de Sully, le 19, que le roi date une lettre au conseil du Dauphiné annonçant la victoire de Patay, remportée la veille. (Fauché-Prunelle, Lettres tirées des archives de tévêché de Grenoble, dans Bull. acad. Delph., t. II, 1847, p. 458-459.)
4 Ce rôle ici attribué au comte de Suffolk, soi-disant à Beaugency, doit évidemment provenir d'une déformation de son attitude à la prise de Jargeau, telle qu'un curieux témoignage la présente. Le rempart de la place pris d'assaut, le comte de Suffolk, ainsi qu'il est établi, est fait prisonnier sur le pont de Loire, en essayant de se frayer un passage, de la rive de Sologne, où est située la ville, vers la rive de Beauce, encore libre d'ennemis. C'est alors, au témoignage du Greffier de la Rochelle, que Suffolk, près d'être atteint, aurait crié à haute voix : « Je me rens à la Pucelle, qui est la plus vaillante femme du monde et qui nous doit tous subjuguer et mettre à confusion. » (Greffier de la Rochelle, p. 340.) C'est, évidemment, de la même rumeur que provient un autre récit, contenu dans une lettre écrite des frontières de Poitou et de Bretagne à la suite de ces événements : « Le comte de Suffort s'est rendu à la Pucelle, agenoillys. » (Buchon, à la suite de Monstrelet, t. IX, app. V, ap. Coll. du chron. nat. franc., et Procès, t. V, p. 122.) Une autre version, qui n'est pas inconciliable avec celle qui vient d'être exposée, présente le comte de Suffolk comme se rendant à un gentilhomme d'Auvergne, Guillaume Regnault, — tige des seigneurs de Cordebœuf en Bourbonnais, — avec une mise en scène différente sans doute, mais, néanmoins, comparable, par son caractère théâtral, à l'allure générale du premier récit, Suffolk, de simple écuyer, faisant solennellement son adversaire chevalier, au fort du combat, pour pouvoir plus dignement lui remettre son épée et sa foi. (Journal du siège, 12 juin; cf. Chron. de la Pucelle, ch. l, p. 302; Chartier, ch. xliii, t. I, p. 82; Berry, ad ann. 1429, p. 378.) — On retrouve Suffolk, en pleine liberté, au moins à la date du 15 mars 1430. (Siméon Luce, Chron. du Mont-Saint-Michel, Pièces just., n° 112, t. I, p. 292-295.)
5 Cette déloyauté, soit de Talbot, soit de la garnison anglaise de Beaugency, ne se vérifie dans aucun autre texte. Elle ne pourrait, en aucun cas, être attribuable à Talbot. Celui-ci, comme il vient d'être exposé, s'était, de sa personne, retiré de Beaugency dans la nuit du 15 au 16 juin pour aller joindre en Beauce l'armée de secours anglaise : il ne reparaît pas à Beaugency jusqu'à la capitulation de la place, signée à une heure tardive de la soirée du 17. Quant à la garnison laissée par Talbot à Beaugency, sous le commandement soit de Pierre Beauchamp (Reg. de Michel de Berry, éd. V. de Viriville, à la suite de Chartier, t. III, p. 209-210), soit du bailli anglais d'Évreux Richard Guethyn (Chron. de la Pucelle, ch. lii, p. 305, Berry, ad ann. 1429, p. 378), assisté de l'énergique Mathew Gough. (Cagny, 16 juin 1425, Procès, t. V, p. 14, Wavrin, part. V, 1. IV, t. I, ch. xi, p. 279, Lettre de Jacques de Bourbon, comte de la Marche, à Guillaume de Champeaux, évêque de Laon, commissaire général des finances en Languedoc, dans Bouge-not, Notices et extraits de mss. de la Bibl. imp. de Vienne, p. 60, ap. Bull, du Com. des trav. hist. et scient., Hist. et phil., 1892.) Elle paraît avoir capitulé purement et simplement, tard dans la soirée du 17, et avoir évacué en fait la place le 18 au matin, au lever du soleil (à quatre heures en cette saison), convoyée à distance raisonnable par une escorte française, sous Ambroise de Loré, et s'être retirée en Normandie ou vers le Mans avec promesse de ne pas reprendre les armes durant un délai de dix jours ou de deux mois. (Voir notamment : Chron. de la Pucelle; Berry, loc. cit.; Chartier, ch. xliii, t. I, p. 83-84; Lettre de Jacques de Bourbon, loc. cit.) Aucun texte ne mentionne qu'elle ait violé cette clause de la capitulation. Elle comptait de 4 à 800 hommes (textes cités), et il est difficile de croire qu'un fait aussi considérable eût échappé aux contemporains. — Mais, en revanche, ne faudrait-il pas voir dans la mention de cette trahison, attribuée à tort, à ce qu'il semble, à la garnison de Beaugency, l'écho déformé d'un fait imputable, réellement cette fois, à la garnison anglo-bourguignonne d'une place voisine, à savoir Marchenoir, entre Beaugency et Vendôme ? Cette troupe, ayant capitulé après le 18 juin, sitôt après la victoire française de Patay, et ayant obtenu un délai de sûreté de dix jours pour évacuer la forteresse, en livrant des otages en garantie, captura traîtreusement, dans l'intervalle, plusieurs prisonniers français, afin d'échanger contre eux ses otages, et, ces otages recouvrés sains et saufs, de pouvoir conserver comme auparavant la possession de la place, le gros de l'armée française une fois éloigné de la région. (Journal du siège, entre 18 et 26 juin; Chron. de la Pucelle, ch. liv, p. 309-310.) — Il est bien possible qu'il y ait là quelque bruit déformé, né et courant à la suite des allées et venues de Talbot entre le val de Loire et le gros de l'armée anglaise de Beauce.
6 Bataille de Patay, samedi 18 juin 1429. — L'armée anglaise, dont on vient de voir les divers éléments de composition, est partie le 18 au matin, de Meung évacué, en route sur Paris. L'armée française, avec Jeanne d'Arc, est partie ce matin même du 18 de Beaugency, reconquis, pour marcher d'abord sur Meung, y croyant encore l'ennemi installé ; puis, apprenant, au sortir de Beaugency, la nouvelle de l'évacuation de Meung et de la retraite des forces anglaises, s'avance par la Beauce pour leur couper de biais la route de Paris. — Assez tard dans l'après-midi, vraisemblablement, les deux armées en marche se rencontrent vers Patay, à mi-chemin de Janville, au point de jonction de leurs deux routes convergentes. La défaite des forces anglaises, aussi complète qu'impressionnante, y achève cette prodigieuse campagne de sept jours. (Récit de la bataille de Patay, dans Wavrin, présent au combat dans les rangs de l'armée anglaise, part. V, 1. IV, t. I, ch. xiii, p. 288-295 ; relation générale dans Wallon, Hist. de Jeanne d'Arc, t.1, p. 201-206.)
7 D'après cette appréciation, les pertes de l'armée anglaise, soi-disant détruite en totalité, se seraient élevées à 3.000 ou 3.500 hommes et à autant de prisonniers (cf. ci-après, lettres en date du 28 juin et du 9 juillet 1429), tandis que les pertes de l'armée française auraient été insignifiantes. L'assertion de la destruction totale de l'armée anglaise est inexacte, le chiffre indiqué de ses pertes paraît exagéré. Au témoignage de Wavrin, présent à cette campagne, et qui peut permettre de négliger les autres assertions moins fondées, les forces anglaises comptaient : d'abord l'armée de secours, commandée par Falstaff, et montant à 5,000 hommes (Wavrin, part. V, 1. IV, t. I, ch. x, p. 281), puis les troupes sorties de Beaugency avec Talbot, 40 lances et 200 archers, soit 250 hommes environ (Ibid., ch. xii, p. 284), enfin la garnison tout entière de la ville de Meung, qui avait évacué Meung avec le gros de l'armée et pouvait, comme la garnison de Beaugency (voir la note précédente), représenter environ 500 hommes. Le total de l'armée anglaise pouvait donc s'élever approximativement à 5,500 hommes, sans atteindre 6,000. Quant aux pertes qu'elle put éprouver, les assertions officielles, de provenance tant française qu'anglaise, concordent à peu près à en fixer le chiffre entre 2,000 et 2,500. (Wavrin, ibid., p. 293; Lettre de Charles VII à la cité de Tours, Procès, t. V, p. 262-263; Lettre de Charles VII au conseil du Dauphiné, Fauché-Prunelle, loc. cit.) — Les forces françaises (cf. ci-après, lettre en date du 9 juillet 1429), toujours au témoignage de Wavrin, comptaient 12 à 13,000 combattants. (Wavrin, ibid., t.I, ch.xiii, p. 289.) Des pertes qu'elles subirent, on ne rencontre, à ce qu'il semble, le chiffre évalué nulle part, même approximativement. Aussi ce nombre de vingt morts seulement, ici mentionné comme courant déjà la France, est-il intéressant à relever, comme significatif de l'effet moral du choc de Patay. Vingt-cinq ans plus tard, au procès de réhabilitation, un témoignage des plus sérieusement émis déclarait qu'il ne s'était trouvé qu'un seul mort du côté français. (Dépos. de Thibaud de Termes, bailli de Chartres, Procès, t. III, p. 120.) Déjà, après la prise des Tourelles, le 7 mai, se propageait et s'enregistrait le bruit que les soldats de la Pucelle avaient seulement compté cinq morts. (Eberhart Windecke, Procès, t. IV, p. 495; éd. W. Altmann, ch. 260, § 298, p. 251 ; Chron. de Tournai, p. 412.) Et dès la prise de la bastille de Saint-Loup, le 4 mai, outre la version, peut-être applicable à cet événement, qu'on rencontrera plus loin (lettre en date du 9 juillet 1429), et selon laquelle on n'aurait compté du côté français que dix morts, une mention officielle ne relevait que deux morts seulement. (Lettre de Charles VII à la cité de Narbonne, Procès, t. V, p. 101 ; Cf.. Chron. de Tournai, p. 410.)
8 Scales, de l'accord général des textes, figurait non parmi les morts, mais au nombre des prisonniers. La lettre de Jacques de Bourbon le fait tomber aux mains de Géraud de la Pallière, l'ancien commandant d'Ivry en 1424. Un autre témoignage le montre prisonnier de deux écuyers français, dont l'un vend au sire de Gaucourt sa part de rançon. (B. de Molandon et À. de Beaucorps, L'armée anglaise, part. VII, ch. vu, et Pièces just., n° 114.) Il semble qu'on le retrouve, entièrement libéré, le 12 septembre suivant. (De Beaurepaire, De l'adm. de la Norm., p. 62.)
9 Talbot, de l'accord général des textes, figurait, en effet, parmi les prisonniers. Il était tombé aux mains de La Hire et de Poton de Saintrailles (Lettre de Jacques de Bourbon, loc. cit.), de Poton de Saintrailles seul, disent Gruel (ch. l, p. 74), la Chronique des Cordeliers (fol. 484 r°). Il ne devait être relâché qu'en 1433, contre Saintrailles en personne, Saintrailles destiné à être pris à son tour à la bataille dite du Berger, livrée dans les environs de Beauvais le 12 août 1431, et dont la capture, par un hasard singulier, devait assurer la liberté de son propre prisonnier de Patay. (National Biography, art. Talbot [John], t. LV, p. 320.)
10 Nombre de chefs anglais de marque étaient prisonniers avec Talbot. Le document qui en donne la liste la plus complète, — diverses chroniques citent encore, cependant, d'autres noms, — est la lettre de Jacques de Bourbon, déjà citée, qui présente en outre le nom des Français entre les mains de qui ils étaient personnellement tombés. — Cette lettre ne mentionne aucunement, parmi les chefs anglais, le nom de John Falstaff, le commandant de l'armée anglaise de secours, le vainqueur de la journée des Harengs, dont les sages avis et les plans de temporisation, qu'il avait naguères vivement défendus contre Talbot, au conseil de guerre tenu à Janville, le soir du 16, avant de donner l'ordre de marcher à nouveau sur la ville de Meung, recevaient ainsi des événements une si forte et si rude consécration. Falstaff, avec l'avant-garde anglaise encore intacte, put opérer sa retraite en bon ordre jusqu'à Etampes, qu'il atteignitvers une heure du matin avec ses troupes épuisées. Plusieurs textes, à tort, le présentent comme prisonnier. — Cette retraite, irréprochablement conduite, fut, comme on sait, le prétexte que Talbot, vaincu, prisonnier et aigri, devait choisir pour organiser contre Falstaff l'inique et rancunière persécution, où la légende a puisé l'étrange déformation de caractère qui continue à diffamer cette vaillante mémoire de soldat.
11 La version qui tendrait à la lecture « zià Orlens », et où il s'agirait de l'entrée des Français dans Orléans, considérée comme nouvelle récente à annoncer, ne peut même se discuter. On peut vraisemblablement penser que c'est « Châteaudun » qu'il faut entendre. Châteaudun n'ayant jamais cessé de demeurer fidèle à la cause nationale, — a Chasteaudun, qui tousjours a esté François » (Raoulet, ad ann. 1428, à la suite de Chartier, t. III, p. 199), — cette mention, ici présentée, de la reprise de cette place par les Français serait, en tout cas, une erreur évidente. Cependant, le voisinage des deux noms qui suivent, et dans lesquels il faut reconnaître deux villes voisines, Dreux et Chartres, rend la lecture « Châteaudun » assez plausible.
12 Il ne peut, raisonnablement, s'agir ici de Reims, puisqu'il est expressément parlé de lieux entre la Loire et Paris. Il faut, selon toute vraisemblance, entendre Dreux. Le bruit est, d'ailleurs, absolument faux. — Dreux ne devait rentrer sous la domination française qu'en 1437.
13 Chartres, sans aucune difficulté d'identification. Cette forme « Ziatres » est, en effet, la forme adoptée par Morosini pour désigner Chartres. (T. II, p. 272.) Ce bruit pourrait être, au premier abord, taxé d'invraisemblance complète. Il est, toutefois, singulièrement corroboré par la lettre de Jacques de Bourbon, texte déjà souvent cité au cours de ce commentaire. Daté de quelques jours après la journée de Patay, ce document porte que Louis de Bourbon, comte de Vendôme, poussa jusqu'à Chartres, sommant la place de se rendre au roi, fait qui, jusqu'ici, semble être demeuré complètement inconnu de l'histoire. (Loc. cit., p. 62.) Il est curieux de voir une des correspondances enregistrées par Morosini recueillir ainsi cet épisode, comme naguères, en 1424, celui de la surprise éphémère de Chartres par un parti français, fait demeuré également inconnu jusqu'à une date toute récente encore. (T. II, p. 272.) Chartres, d'ailleurs, ne devait rentrer sous la domination française que le 12 avril 1432.
14 L'annonce de cette reprise de Paris par Charles VII, ici très sérieusement présentée comme chose accomplie à l'heure qu'il est, — nouvelle, après tout, beaucoup plus plausible qu'on ne saurait le croire, — corrobore étrangement les bruits signalés dans la précédente lettre : elle montre que ces bruits provenaient bien de rumeurs très rapidement répandues, où l'événement de Patay se combinait avec la prédiction prêtée à la Pucelle, à savoir qu'avant le 24 juin, jour de la Saint-Jean, les Anglais seraient chassés de toute la France. (Voir lettre précédente et lettre suivante.) Le 22 juin, du reste, une surprise de l'armée française était attendue pour la nuit, et, depuis, jusqu'aux premiers jours de juillet, Paris se met fiévreusement en défense. (Bourgeois de Paris, entre 22 juin et 10 juillet, p. 239-240.) — En tout cas, à Lyon, le 27 juin, courait le bruit officiel de la reprise de Paris par Charles VII. A cette date, le commandant de Lyon écrivait à Grenoble, au conseil Delphinal, qu'il venait d'en recevoir la nouvelle de deux sources différentes, et par lettres, et par le courrier qui lui avait apporté la nouvelle de la victoire de Patay. (Fauché-Prunelle, Lettres tirées des archives de l'évêché de Grenoble, dans Bull. acad. delph., t. II, 1847-1849, p. 459-460.)
15 Toujours les bruits relatifs à Paris, que le sentiment populaire, avec une justesse d'appréciation immédiate, persiste à considérer comme l'objectif de la marche de l'armée nationale. Ce bruit du soi-disant ralliement du prévôt anglo-bourguignon de Paris à la cause française est ici particulièrement invraisemblable. Le prévôt de Paris, depuis le 1er décembre 1422, était le Français Simon Morhier, d'une maison du pays chartrain, un des plus véhéments soutiens de la domination anglaise, qui devait continuer à gouverner Paris jusqu'au jour du recouvrement de la capitale, le 13 avril 1436. (Sur ce personnage, Val-let de Viriville, Notice sur Simon Morhier, Mém. de la Soc. des Ant. de France, t. XXV, p. 271-296.)
16 Exagération manifeste. A Patay, l'armée française, on l'a déjà vu, ne comptait pas plus de 12 à 13.000 combattants. Même dans la campagne du Sacre, les forces de Charles VII ne semblent pas avoir dépassé 12,000 -hommes. (Evaluation des diverses indications : Wallon, Hist. de Jeanne d'Arc, t. I, p. 214.) Dans une lettre ultérieure, en date de Bruges, le 9 juillet, Pancrazio Giustiniani parlera de 25.000 hommes. (Ci-après, lettre en date du 9 juillet 1429.) Quant à ce chiffre de 40.000 hommes, ici présenté, il est intéressant de le voir également indiqué, mais comme chiffre des seuls fantassins, dans une lettre du greffier de Metz, en date de Metz, le 16 juillet : cette lettre leur ajoute encore, il est vrai, 33.000 cavaliers. (Procès, t. V, p. 353.) La lettre de Jacques de Bourbon, écrite sitôt après Patay, annonce que l'armée, avant la mi-juillet, comptera 30,000 hommes. Une pièce annexe à cette lettre, en date du 24 juillet, exagère encore davantage en attribuant à l'armée, comme effectivement présents, 30,000 chevaux et 20,000 fantassins.
17 Ici, outre la levée du siège d'Orléans, — fait accompli,— ce passage énumère donc trois autres objets de l'œuvre de la Pucelle, soit : en premier lieu, le sacre de Reims joint à la libération totale du royaume, plus deux autres objets, l'un, valant plus que le premier et devant demeurer mystérieux, l'autre, consistant dans la conquête de la Terre Sainte. — Cette conquête de la Terre Sainte est nettement indiquée comme faisant partie de la mission de la Pucelle, par Christine de Pisan, dans son poème déjà cité. (Verset 43, Procès, t. V, p. 416.)
« Des Sarrasins fera essart
En conquérant la Sainte Terre ;
La menra Charles, que Dieu gard ! »
Quant à l'objet qui demeure mystérieux, ce don qui doit valoir plus que le royaume de France, ne serait-ce pas la réforme générale de la chrétienté, dont il a été déjà parlé comme réservée à la Pucelle par l'impression générale et notamment aussi par Christine de Pisan ?18 Ici, outre la levée du siège d'Orléans, outre le sacre de Reims joint à la libération totale du royaume, ce passage fait donc allusion à trois autres objets, encore subsistants, de la mission de la Pucelle, soit un de plus que dans rémunération précédente. Aucune indication directe n'étant donnée à cet égard, sauf le caractère mystique et grandiose prêté solidairement à ces trois objets, on ne peut que se livrer à des conjectures sans fondement précis. Le caractère ultra-terrestre du but proposé semble exclure de cette énumération la délivrance du duc d'Orléans, objet qui, avec le recouvrement d'Orléans, le sacre de Reims, la libération totale du sol de la France, compose, d'après plusieurs témoignages indiscutables, un point complémentaire de la mission assignée à la Pucelle. (Interr. du 12 mars, cf. 22 février, art. d'ace. 33, cf. 35, Procès, t. I, p. 55, 133, 254, 257-258; Dépos. du duc d'Alençon, de Pierre Seguin, Ibid., t. III, p. 99, 105; Cagny, 8 mai, Ibid., t. IV, p. 10; Lettre dePerceval de Boulainvilliers, Ibid., t. V, p. 121.)
Remarques d'Ayroles sur cette lettre :
[Il suffit de lire une des chroniques du second ou du quatrième livre du présent volume pour voir les inexactitudes que noble de Molins mêle à la nouvelle de la prise de Baugency et de la victoire de Patay : inutile de les relever.
L'effet de tant de succès fut immense ; mais puisque, à la date du 30 juin, il ne donne la reddition de Paris que comme une conjecture, à plus forte raison n'a-t-il pas dû la présenter comme un fait à la date du 23.
L'on remarquera combien l'on était convaincu que tout était perdu, sans l'intervention divine que la Pucelle manifesta. Le rapprochement de la Libératrice française avec la Libératrice du genre humain s'est fait dès la première heure, tant il est naturel.
Dès la première heure aussi, on a pensé que le relèvement de la France n'était pas le but dernier de la mission de la Pucelle. Cela se trouve bien clairement exprimé dans les stances de Christine de Pisan. Dieu ne faisait un tel miracle en faveur de la nation française, qu'afin de préparer l'instrument dont il voulait se servir dans l'intérêt de la chrétienté et du monde. Qui mesurera ce qui se serait passé, si fidèle à la direction et aux demandes de Jeanne, l'on eut opéré les réformes qu'elle sollicitait ?]Notes :
1Le premier chiffre indique la pagination de la copie de Venise, le second les folios de l'original de Vienne.