Jeanne d'Arc - H.Wallon - Appendice : L'enqu�te posthume (original) (raw)

Jeanne d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879 Appendice II-19 : L'enquête posthume

L'omission de cet acte dans le corps du procès-verbal authentique serait, s'il était sincère, sans explication et sans excuse. Il se produit avec le caractère d'une démarche juridique : les deux juges, l'évêque et le vice-inquisiteur, viennent accompagnés de plusieurs assesseurs et d'un greffier, comme cela s'était fait dans les interrogatoires de la prison ; et l'on peut croire qu'ils viennent en exécution de l'avis donné dans la séance de la veille : tous avaient opiné que Jeanne fût déclarée relapse, mais le plus grand nombre avaient demandé en outre qu'on lui donnât de nouveau lecture de la formule d'abjuration.
La visite du juge à l'accusée est donc bien officielle ; comme celle du 18 avril (t. I, p. 374), comme celle du 28 mai (p. 453) ; et elle n'est pas en dehors des temps que le procès-verbal renferme, puisqu'il donne la scène du Vieux-Marché jusqu'au prononcé de la sentence. Si donc elle ne figure qu'en dehors du procès-verbal et sous cette forme insolite, c'est qu'on n'aurait pu l'y reproduire régulièrement sans y donner des choses qu'on voulait taire, ou en omettre d'autres qu'on voulait établir.
Parmi les dernières, signalons la scène de la communion. Elle est racontée, non par Ladvenu qui l'administra à Jeanne, mais par Lecamus qui n'était pas présent : car il n'assista point à la confession de Jeanne, sans doute; et il n'est point revenu après : le document (qui donne aussi la déposition de Ladvenu) aurait pu, sur ce point-là, mieux choisir son témoin. Relevons encore cette promesse d'abjuration publique faite par Jeanne à Loyseleur, et cette crainte de ne s'en point souvenir sur le lieu du supplice : combinaison ingénieuse, imaginée pour tenir lieu d'une abjuration qu'elle ne fit pas.
M. Jules Quicherat, dans ses Aperçus nouveaux, a fort bien constaté les irrégularités de cette pièce, comme il a aussi relevé les faits qu'on peut en recueillir tout en la déclarant suspecte elle-même. Il a montré qu'un des plus anciens apologistes de Jeanne, Th. de Leliis, s'en était appuyé pour expliquer le signe du roi : « Reperiemus mystice et in figura sic locutam fuisse : quod in fine declaravit aperte » (t. II, p. 38). » Or, cette déclaration de Jeanne n'est que là. Mais, en adoptant l'opinion du savant éditeur en ce point, nous ne le pouvons suivre lorsqu'ayant à se prononcer sur l'ensemble du document, il dit: « Sans conclure à rien, il me semble impossible de condamner l'évêque de Beauvais sur un point où l'ont absous implicitement les juges de sa mémoire. » (Aperçus nouveaux, p. 144.) L'interrogatoire étant un fait certain, sa suppression dans le procès-verbal authentique est un faux ; sa reproduction à la fin, sous cette forme ambiguë, le constate sans en diminuer la gravité.
M. Michelet, sans tenir compte de l'information posthume qu'il juge fausse, reporte les doutes de Jeanne au moment du supplice : « Nous n'en pouvons trop croire là-dessus, dit-il, le témoignage intéressé des Anglais. Toutefois, il faudrait peu connaître lu nature humaine pour douter qu'ainsi trompée dans son espoir elle ait vacillé dans sa foi. A-t-elle dit le mot, c'est chose incertaine ; j'affirme qu'elle l'a pensé. » (Hist. de France, t. V, p. 172.) Cf. M. J. Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 140 : « Malgré la tournure visiblement malveillante donnée aux paroles de Jeanne, il s'en faut qu'elles aient une portée fâcheuse contre son caractère. Elles prouvent au contraire qu'en face de la mort la pauvre fille soutint plus fermement que jamais le fait de ses apparitions. Mais, humiliée devant ses juges par l'espoir d'obtenir d'eux la communion, obsédée de leurs raisonnements, ne sachant elle-même comment accorder un espoir de délivrance où l'avaient entretenue ses voix avec la nécessité de mourir, dressée inévitablement devant elle, elle admit un moment que son sublime instinct avait pu la tromper. » — Les deux auteurs montrent par les faits qui suivent que ce doute se dissipa bientôt en face même de la mort.


Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.

Notes :
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