Babel Oueds (original) (raw)
29 September 2015 @ 02:51 pm
L'autre moitié du soleil
Chimamanda Ngozi Adichie
(Gallimard, 2008, ou Gallimard Folio 2010 pour le poche)
Nigeria et l'éphèmère Biafra
Le drapeau de l’éphémère état du Biafra donne son titre à ce roman. Ce demi soleil sur le drapeau emplira d'espoir tout nos protagonistes, Ugwu, qui débute le roman en tant que boy d'un professeur d'université, Odenigbo, son patron, universitaire engagé, ou encore les jumelles, Olanna et Kainene, probablement les deux personnages les plus intéressants. La suite est connue: la guerre, le Nigeria bombardant et affamant les populations civiles de la région séparatiste, la famine, et quelque chose comme un million de morts, un chiffre dont personne ne sera même jamais sûr. On suit les personnages, de l'euphorie de l'indépendance pleine d'espoir, aux tensions entre ethnies, qui finissent par un premier puis un second coup d'état, la proclamation d'indépendance, la guerre...Certains se révèlent de taille à affronter ces épreuves, d'autres s'effondrent, tandis que les premiers bombes tombent
C'est un roman très marquant, et évidemment dur, mais cela n'empêche pas les moments d'humour ou d'espoir. L'histoire vue par des personnages lambda se révèle parfois plus marquante que tracée dans les essais en chiffres et en titres ronflants de généraux: ici, on panique quand Ugwu est enrôlé d'office, on s'inquiète quand Baby affiche les premiers signes du kwashiorkor, cette terrible horreur qui a emporté tant d'enfants, on vibre avec eux pour le Biafra et on se désole à chaque défaite.
La construction du livre, des ellipses éclaircies plus tard, n'apporte finalement pas grand chose car les personnages et le roman se débrouillent très bien tous seuls pour former une magnifique oeuvre.
02 September 2015 @ 08:24 pm
L'histoire, à son origine, est une des plus banales au monde. Un homme, une femme, liés par un très grand amour, tout jeunes mariés encore. L'homme est appelé à la guerre, loin, très loin de chez lui, et quelques mois plus tard, tombe la nouvelle de sa disparition au combat.
Au combat ? Pas exactement. Cet homme était médecin, il n'aurait pas dû combattre, et le communiqué officiel ne mentionne qu'un "incident" assez vague. Aucun corps ne reviendra jamais du Tibet où Kenjun s'est évanoui. Refusant de croire à sa mort, son épouse, médecin elle aussi, s'engage à son tour dans l'armée populaire de libération pour partir à sa recherche.
Assez vite séparée de l'unité chinoise qu'elle accompagne, elle échoue, blessée, égarée, dans une famille de nomades qui la recueille avec un sens de l'hospitalité jamais démenti. Auprès d'eux, elle découvre une manière de vivre hors du temps, une spiritualité profondément étrangère à ce qu'elle a toujours connu et qu'elle apprend peu à peu à respecter, à admirer, jusqu'à la faire sienne. Au Tibet, elle va rester plus de trente ans - trente ans de voyage, d'apprentissage, de recherches, au terme desquels elle découvrira enfin ce qu'il est advenu de son époux.
Issue d'un témoignage recueilli par l'auteur de la bouche même de cette femme, revenue en Chine longtemps, bien trop longtemps après son départ, c'est une histoire superbe qui nous est contée là. Histoire d'amour, quête initiatique, grand voyage à la découverte d'un pays - ses populations, ses coutumes et traditions si étranges à l'étranger, si profondément ancrées pourtant dans la démesure vertigineuse des paysages.
Qu'importe au fond si tout est peut-être un peu trop sublimé, dans ce récit, y compris l'attitude des chinois - qui n'est pas vraiment le sujet de l'affaire. L'aventure et l'univers décrits là, la manière dont le réel finit par y rejoindre la légende, sont assez enthousiasmants.
16 December 2014 @ 08:13 pm
La malédiction du lamantin est le second roman que je lis de cet auteur mais il se situe auparavant dans la série. Je l'ai préféré à L'empreinte du Renard, l'autre roman en question, surtout parce que la fin est mieux construite je trouve, mais cela n'empêche pas quelques défauts...
Plus qu'un roman policier, c'est un roman d’atmosphère et tous les lecteurs qui auront envie d'un roman policier changeant un peu de décor, dans un genre littéralement envahi par les auteurs britanniques et américains, se délecteront de ce portrait de la société malienne. J'avoue que mes connaissances sur ce pays sont proches de zéro, mais cela peut être découvert sans la moindre difficulté pour autant et les complications de relations entre ethnies, entre tenants de la modernité et de la tradition, sont vraiment intéressantes et en même temps accessibles.
Et j'avoue de la tendresse pour ce personnage de commissaire vieillissant mais resté profondément humain, honnête et luttant pour ce qu'il estime juste. Comment ne pas être de son côté, attaché à cet homme qui cherche la vérité et qui se trouve à tout bout de champs confronté à des obstacles incompréhensibles pour lui, qui croit à la science et aux coupables, sûrement pas aux esprits?
Pas de grands effets de manches, non, juste des flics besogneux dans un pays compliqué, obligés de démêler les légendes ancestrales et les cadavres très actuels, le tout avec la constante opposition de tous ceux qui veulent stopper l'enquête car pour eux, c'est un blasphème d'enquêter sur la mort de personnes certainement tuées par l'esprit du lamantin!
Un roman à la fin un peu rapide mais qui se lit avec plaisir
29 October 2014 @ 05:01 pm
Lu un peu par hasard, L'empereur du Portugal est un énorme coup de coeur que je recommande à tous !! Cela commence presque comme un conte, la naissance dans une pauvre chaumière d'une enfant qui se révélera aussi belle que le jour, et ça devient assez sombre, prostitution, folie, maltraitance de personnes âgées , mais muni toujours d'une sorte de luminosité, toujours esquissé, jamais montré,avec un ton qui garde sa fraîcheur, presque sa magie . Quelque soit la misère, les malheurs, de ses personnages jamais Selma Lagerlöf ne donne dans le misérabilisme.
Jusqu'où peut aller l'amour parental, l'amour filial ? Jusqu'à la folie? Si l'auteur nous présente plusieurs duo parents/enfants/parfois beaux-enfants, certains tragiquement salauds et d'autres réconfortants, le roman tout entier tourne autour du duo formé par Claire-Belle et son père Jan. Celui-ci tombera fou de sa fille dès le premier regard, dès qu'on lui met le petit paquet dans les bras, et quand elle partira à la ville et cessera de donner des nouvelles, il commencera à se raconter des histoires sur le destin merveilleux qu'elle vit très certainement, jusqu'à la penser devenue Impératrice du Portugal, ce qui ferait de lui l'empereur du même pays, d'où le titre un peu étrange pour un livre se passant en Scandinavie!
C'est bouleversant et délicieux et tout le monde devrait le mettre sur sa liste de lecture!
26 August 2014 @ 03:04 pm
Tout simplement excellent et passionnant, Une odyssée birmane est un ouvrage que je recommanderai à tout le monde. L'ayant d'ailleurs loué, j'avoue que je vais probablement le chercher en librairie, tant il a su me plaire.
Il s'agit d'une autobiographie, qui a en plus des qualités littéraires indéniables, ce qui n'est pas toujours le cas dans cette catégorie. Pascal Khoo Thwe est un Padaung, le membre d'une tribu vivant au sud-est de la Birmanie, et un parcours exceptionnel l'a mené de son village, où son peuple vit encore comme il le faisait à l'époque de l'âge du Bronze, quand ils ont émigré dans la région, vers l'université de Mandalay, puis à la frontière thaïlandaise au sein de la rébellion karen, rappelons que la Birmanie est une dictature féroce avec la manie de faire tirer sur les manifestants, avant finalement d'émigrer vers Cambridge pour des études de littérature anglaise.
La partie la plus intéressante, en tout cas celle qui moi m'a le plus passionné, c'est celle sur sa jeunesse où il parle de la vie chez les Padaungs, de leurs traditions et de leur mode de vie et leur religion, dans le cas de sa famille un catholicisme teinté très fortement d'animisme depuis le passage de religieux italiens (son grand-père avait d'ailleurs au début enfermé le bon père, le prenant pour sorte d'animal étrange, à cause des chaussures...). C'est assez fascinant, et plein de poésie et de tendresse. Autant dire que cela ne le prépare pas vraiment au reste de son existence, le pauvre.
Pour le lecteur occidental franchement pas au point sur la Birmanie, c'est en plus une merveilleuse leçon d'histoire moderne, ancienne, de géographie, le tout dans un texte qui se dévore avec la facilité d'un roman.
A recommander.
Reçu dans le cadre d'une Masse Critique spéciale de Babelio, j'avais déjà apprécié le précédent roman de l'auteur, Meurtre dans un jardin indien.
Sapna Sinha est une jeune femme indienne de Delhi, travaillant dans un magazin d'électro-ménager pour nourrir sa famille, à savoir sa mère totalement déprimée depuis la mort de sa fille et de son mari, et sa sœur, obnubilée par son apparence et son rêve de devenir célèbre. Ses rêves à elle, Sapna y a fait une croix, lucide sur sa situation d'aînée condamnée à pourvoir pour les siens. Mais c'est sans compter sur cet homme d'affaire d'une cinquantaire d'années qui lui offre sa place de PDG d'une grosse firme à condition qu'elle réussisse 7 épreuves. En quoi consiste les épreuves en question ? Il ne lui donne aucun indice. Et Sapna fuit cette proposition qu'elle ressent comme un traquenard. Pourquoi une jeune femme modeste comme elle deviendrait présidente d'une entreprise à milliards ? Cela sonne comme un mauvais conte de fée. Pourtant, face à sa situation et les aléas de la vie, elle va succomber à cette étrange proposition.
Et voilà le pitch de cette fable moderne, prétexte pour l'auteur à une critique, bonne comme mauvaise, de son pays. C'est là tout l'intérêt de cette lecture qui nous offre une image lucide de l'Inde, sans nous plonger pour autant dans une misère à la "Cité de la Joie" (pour ceux qui ont vu le film). Pas de déprime, pas de larme vraiment, mais beaucoup de rebondissements et de situations à la résolution parfois facile. Mais si l'on lit ce roman comme un conte, on passe un moment très agréable, impatients de savoir si Sapna va réussir ou non les épreuves, et quelle est la prochaine épreuve ! C'est un peu moralisateur, mais c'est toujours le cas d'une fable ou d'un conte.
Pour ma part, j'aime beaucoup cet auteur qui me fait voyager en Inde pour pas trop cher, et surtout dans une Inde à l'écart du tourisme-tour !
24 February 2014 @ 05:05 pm
Récif de Juan Villoro
Éditeur : Buchet-Chastel (2012/ 2014)
Le Mexique, ses plages enchanteresses, ses hotels accueillants, ses séjours de rêve et de farniente...ou pas. Autant vous dire que ce roman ne donne pas l'envie de visiter le pays !
Récif a pour narrateur Tony Gongora, ancien bassiste de hard-rock, ancien junkie, que son ami d'enfance Mario a remis sur pied pour travailler avec lui dans le complexe hôtelier la Pyramide, un endroit proposant des vacances des plus originales: si vous voulez vous sentir vivants à grand coups de sports extrêmes & faux guérilleros, c'est l'endroit idéal! Vous pouvez vous faire enlever, bousculer un brin, le tout par des acteurs professionnels et rentrer chez vous plein de souvenirs originaux à raconter à Belle-Maman.
Tony passe ses journées à créer des bandes sons à partir des mouvements des poissons de l'aquarium, à tenter de se réapproprier avec l'aide de Mario les souvenirs manquants/délirants/possiblement imaginaires de sa période camé et à se demander pourquoi le dit Mario le tire encore et encore des soucis...et c'est à peu près à ce moment là qu'un cadavre avec un harpon planté dans le dos est retrouvé à l'aquarium et que les narco-trafiquants du coin commencent à se sentir vexés par cette histoire de faux enlèvements.
C'est un étrange roman, mi-mélancolique, mi-ironique, qui , entre deux psychédéliques reconstructions des années rock de Tony et Mario , dresse un portrait peu flatteur de l'industrie hôtelière sur la côte mexicaine, entre les aléas climatiques, le blanchissement de monnaie des pays occidentaux, la cupidité des uns et la corruption d'un grand nombre des autres. Malgré cela, cela n'a rien d'un ouvrage déprimant et je reconnais m'être attachée à ce personnage revenu de ses illusions de jeunesse et s'efforçant de son mieux de crapahuter dans les désillusions de la maturité. Un roman que je recommanderais sans hésitation, donc.
05 February 2014 @ 09:28 pm
Lorrain de naissance, réunionnais d'adoption, Daniel Vaxelaire nous entraîne aux Mascareignes, à un moment où le vent de l'histoire s'apprête à tourner sur les îles. Les Mascareignes, et surtout Maurice, alors encore l'île de France, plus pour bien longtemps, point clef de la route des Indes que les Anglais convoitent et que Napoléon, trop occupé par son grand échiquier européen, délaisse.
Hervé de Glénarec, fils cadet d'un planteur sans grande fortune, hésite au seuil de sa vie d'adulte, à l'âge où la né
cessité des choix se précise. Devenir planteur à son tour - compter, cultiver, diriger les esclaves et
négocier - cela ne lui plaît guère, mais que faire d'autre sur son île ? Les filles du voisin sont jolies toutes trois - Antoinette la rêveuse, Hélène l'aguichante, Diane l'intrépide - et il ne sait trop laquelle choisir. Mais choisir une demoiselle bien née, hélas, c'est aussi se ranger. La guerre arrive, au fond, à point nommé. Pour précipiter certains choix. Pour apprendre à Hervé une vie plus rude, plus aventureuse, concrétiser son désir d'ailleurs, affiner son rapport à sa terre natale. Pour faire de lui un homme, capable de mesurer un peu mieux le poids de ses actes et, surtout, d'aimer pour de bon, de se laisser conquérir sans plus trop se poser de questions.
Roman historique, d'aventure, de guerre, d'amour, d'apprentissage, Grand-Port mêle les genres sans emphase ni mièvrerie, avec autant d'esprit que de charme. L'auteur confirme une bien belle plume, qui en scènes assez courtes sait aller droit à l'essentiel. L'essentiel des êtres et des faits, lequel souvent réside dans les détails, l'anodin apparent mais significatif.
Derrière l'histoire d'Hervé et des demoiselles Du Breuil, c'est tout un monde qui prend vie : l'île et ses planteurs, ses grands propriétaires opulents, ses petites gens, son gouverneur, ses militaires, ses putains et ses esclaves. Une population bigarrée, mélangée, métissée, où les inégalités sont cruelles mais n'empêchent pas la fraternité au-delà des origines. La question de l'esclavage est traitée par l'auteur de manière agréablement subtile, dans toute l'ambiguïté qu'elle pouvait présenter pour les gens de l'époque, du pays. Une chose banale pour certains, une chose fondamentalement injuste pour d'autres, imprégnés des idéaux de la Révolution, mais pouvant eux-même difficilement se détacher d'un système régissant depuis si longtemps leur société.
On pourrait éventuellement reprocher à l'auteur d'édulcorer un peu, d'épargner un peu trop ses personnages, mais c'est là moins naïveté que volonté délibérée d'optimisme. Et puis, tant de livres se mettent en devoir de rappeler combien la vie est moche, un peu de légèreté ne peut que faire grand bien, surtout lorsqu'elle s'affirme avec autant d'élégance !
19 December 2013 @ 04:41 pm
(1915 -1929 , 2003) Flammarion
Le Golem est la reprise par Meyrink de l'ultra célèbre légende du golem de Prague. Comme toutes les légendes aussi courues, elle a mille formes et mille versions pour ce protecteur du peuple juif, créé par un savant rabbin dans les heures noires. Celle-ci est des plus mystiques et dans les pas du narrateur, du nom d'Athanasius Pernath, ou pas d'ailleurs, quelle confiance accorder là dessus à un homme sans souvenir de son passé, le lecteur découvre Prague, hantée par Le golem.
Le golem lui-même est moins ici une créature de glaise qu'une représentation du ghetto , Josefov, le ghetto praguois, avant que celui-ci soit lourdement transformé, à partir des années 1890. A travers ce quartier et à travers Prague elle-même, le voyage bascule dans la quête initiatique et entre les ellipses et les visions, il est difficile de savoir où se situe le réel.
C'est un livre très étrange, plein de mystère et de questions et de charme, une fois qu'on accepte de se laisser emmener, il est facile de comprendre l'engouement qu'il a toujours suscité. Reste évidemment la question éternelle: la description de l'antiquaire, Aaron Wassertrum, et de sa fille/pupille fait-elle de ce livre un ouvrage antisémite? Sincèrement, je ne pense pas: pour ces deux figures très négatives jouant sur les clichés, on trouve aussi Hillel, savant talmudiste et sage, protecteur du personnage principal et sa fille Miriam, tout aussi douée de qualités positives.
On sort du livre sans être trop sur de ce qui vient de se passer...mais enchanté et amoureux de Prague!
28 October 2013 @ 11:42 am
En quatorze tableaux, Léo Perutz dresse ici un portrait de Prague à la charnière des XVIe et XVIIe siècles.
Une Prague disparue, qui n'a jamais vraiment été mais forme comme la quintessence d'une ville bien réelle. Une Prague de bouffons, de courtisans, d'étudiants, d'alchimistes et de kabbalistes, gouvernée par un empereur solitaire, qu'on dit à demi-fou mais qui n'est peut-être que trop clairvoyant. Prague et son grand palais désolé, encombré de profiteurs en tout genre et de trésors du monde entier. Prague et sa cité juive, dont les ruelles tortueuses recèlent bien des mystères. Prague et ses auberges tapageuses, ses cimetières sous la lune, ses grandes forêts obscures. Ses vivants et ses morts.
Et son pont de pierre sous lequel un secret s'épanouit, qui décidera du sort de bien des hommes.
Quatorze tableaux, ou plutôt quatorze nouvelles qui se répondent les unes aux autres et forment à elles toutes un grand tableau, une grande histoire dont on ne découvre le fin mot que dans les dernières pages. Quatorze nouvelles qui se lisent comme un roman, mais toutes possèdent une chute à part entière, assez percutante ou du moins bien tournée.
La construction est admirable et l'ambiance captivante, avec cette dose d'ironie noire et de fantastique en demi-teinte qui fait la marque de l'auteur.
Une bien jolie manière de visiter la capitale de Bohême.