Violence agonistique ? Guerre de frontières et anthropopoïèse des élites dans l’imaginaire grec (original) (raw)

1 Cette approche a été adoptée par exemple par S. Gaskins, W. Haight, D.F. Lancy, « The Cultural Construction of Play », in Play and Development : Evolutionary, Sociocultural, and Functional Perspectives, A. Göncü, S. Gaskins (dir.), Mahwah (NJ) – Londres, Erlbaüm (The Jean Piaget Symposium series), 2007, p. 179-202 ; V. Dasen, T. Haziza, « Introduction. De l’exposition au dossier thématique dans Kentron », Kentron, t. XXXIV, 2018, p. 17-22 [en ligne : http://journals.openedition.org/kentron/2442] ; V. Dasen, M. Vespa, « Ancient Play and Games : in the Search of a Definition », in Play and Games in Classical Antiquity : Definition, Transmission, Reception, V. Dasen, M. Vespa (dir.), Liège, Presses universitaires de Liège (Jeu / Play / Spiel ; 2), 2021, p. 5-16.

2 Voir dans ce volume l’article introductif de V. Dasen et T. Haziza.

3 Voir G.D. Shipley, « Lakedaimon », in An Inventory of Archaic and Classical Poleis, M.H. Hansen, T.H. Nielsen (dir.), Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 571.

4 Nous avons affaire à une guerre de frontières dans la mesure où la Cynourie – c’est-à-dire le territoire entre la Laconie contrôlée par Sparte et l’Argolide, qu’Argos cherchait à contrôler sans toujours y réussir – est une terre frontalière convoitée aussi bien par Sparte que par Argos (et qui paraît parfois avoir eu un statut d’autonomie). En analysant la culture matérielle, il est parfois possible de reconstruire les périodes pendant lesquelles la région fut notamment fréquentée par les Argiens et celles pendant lesquelles elle fut en revanche surtout fréquentée par des Spartiates : voir E. Franchi, Argo e Sparta. Le guerre per la Cinuria (en préparation), avec bibliographie antérieure sur la Thyréatis ; G. Daverio Rocchi, « 4 Systems of Borders in Ancient Greece », in Brill’s Companion to Ancient Geography : The Inhabited World in Greek and Roman Tradition, S. Bianchetti, M. Cataudella, H.J. Gehrke (dir.), Leyde, Brill (Brill’s Companions to Classical Studies), 2016, p. 58-77 (sur les concepts de « limite », « frontière », « terre de frontière »).

5 Selon les sources, Argos et Sparte se seraient fait la guerre sous les rois spartiates Échestrate (Pausanias, III, 2, 2), Prytanis (Pausanias, III, 7, 2), Léobotès (Pausanias, III, 2, 2), Charillos (Pausanias, III, 7, 3), Nicandre (Pausanias, III, 7, 4), Alcamène (Pausanias, III, 2, 7), Théopompe (Pausanias, III, 7, 5) ; à Hysiai (Pausanias, II, 24, 7 : 669 av. J.-C., mais la datation pose problème) ; au milieu du VIe siècle av. J.-C. (Hérodote, I, 81-83 : la bataille des champions) ; à la fin du VIe siècle av. J.‑C. ou au début du Ve siècle av. J.‑C. (Hérodote, VI, 75-81 : la bataille de Sépeia) ; en 418, les deux poleis décidèrent de discuter les manières dont il était permis de combattre pour Thyrée (Thucydide, V, 40-41) ; ce fut par la suite Philippe II qui trancha la question (Polybe, IX, 28, 7 ; Pausanias, II, 20, 1), même s’il fut de nouveau nécessaire d’avoir recours à un arbitrage en 163 av. J.-C. (Polybe, XXXI, 1, 6-7). Pour la chronologie des batailles de l’époque archaïque et pour les problèmes que pose celle-ci (ou, plus précisément, au sujet des rois sous lesquels ces batailles auraient eu lieu), voir P. Carlier, La royauté en Grèce avant Alexandre, Strasbourg, AECR (Études et travaux d’histoire romaine ; 6), 1984, p. 316-324 ; commentaire de D. Musti in Pausania Guida della Grecia III, La Laconia, D. Musti, M. Torelli (dir.), Milan, Mondadori (Scrittori greci e latini), 1991, p. 171-172 ; M. Nafissi, La nascita del kosmos : Studi sulla storia e la società di Sparta, Naples, ESI (Studi di storia e di storiografia), 1991, index ; N. Richer, Les éphores. Études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIIIe-IIIe siècle avant Jésus-Christ), Paris, Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiévale ; 50), 1998, chap. 7 ; P. Christesen, Olympic Victor Lists and Ancient Greek History, Cambridge – New York – Melbourne, Cambridge University Press, 2007, appendix 13, p. 55-57. Voir aussi la bibliographie fournie par E. Franchi, _Argo e Sparta_… Pour plus de détails sur la chronologie de la bataille de Hysiai, voir E. Franchi, « Commemorating the War Dead in Ancient Sparta. The Gymnopaidiai and the Battle of Hysiai », in Conflict in the Peloponnese. Social, Military and Intellectual (Proceedings of the 2nd CSPS PG and Early Career Conference, University of Nottingham, 22-24 March 2013), V. Brouma, K. Heydon (dir.), Nottingham, CSPS, 2018, p. 24-39, n. 7 ; pour la chronologie de la bataille de Sépeia, voir U. Bultrighini, Il re è pazzo, il re è solo : Cleomene I di Sparta, Lanciano, Carabba (Koinos Logos ; 13), 2016, p. 109-114 ; E. Franchi, _Argo e Sparta_…, chap. 4.

6 Voir E. Franchi, « Commemorating… », avec bibliographie antérieure.

7 Le fait de se couper les cheveux ou le changement de coiffure se trouvent par exemple dans la classification des motifs folkloriques proposée par Antti Aarne et réélaborée par la suite, d’abord par Stith Thompson et ensuite par Hans-Jörg Uther (motif n. 310) ; on y trouve également l’association entre le chiffre 3 et ses multiples avec les contextes de guerre (motifs n. 314A et 530) : A. Aarne, S. Thompson, H.J. Uther, The Types of International Folktales : A Classification and Bibliography. Based on the System of Antti Aarne and Stith Thompson, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia (FF communications ; 284-286), 2004-5, 3 vol.

8 La question de savoir si cette bataille est agonistique ou rituelle et s’il existe une distinction claire entre les deux en ce qui concerne nos guerres frontalières sera abordée infra dans le paragraphe « Une culture ludique ».

9 αὐτοὶ ἑκάτεροι ἠξίωσαν νικᾶν (V, 41, 2) se réfère clairement aux propos d’Hérodote (αὐτοὶ ἑκάτεροι ἔφασαν νικᾶν, I, 82, 6) : voir E. Franchi, « Tucidide ed Erodoto : αὐτοὶ ἑκάτεροι ἠξίωσαν νικᾶν in Thuc. V 41 », A&R, t. III, n° 4, 2011, p. 225-237. Les sources au sujet de cette bataille sont nombreuses. Nous nous bornons ici à fournir la liste de celles qui concernent notre sujet : Platon, Phèdre, 89 B-C ; Sosibios, FGrH, 595 F 5 [= Athénée, XV, 678 B-C] ; Anthologie Palatine, VII, 430 ; 432 ; 720 ; 721 ; Plutarque, Apophtegmes laconiques, 233 C ; De la malignité d’Hérodote, 858 C-D ; Pausanias, II, 38, 5.

10 Voir en général M. Golden, Sport and Society in Ancient Greece, Cambridge, Cambridge University Press (Key Themes in Ancient History), 1998, p. 38 et 50 ; Id., Greek Sport and Social Status, Austin, University of Texas Press, 2008, p. 98 et 116 ; D. Kyle, « Pan-Hellenism and Particularism : Herodotus on Sport, Greekness, Piety and War », The International Journal of the History of Sport, t. XXVI, n° 2, 2009, p. 188-89.

11 Voir E. Franchi, « Sport and War in Hellenistic Sparta », in Athletics in the Hellenistic World (contributions issues d’un congrès tenu du 25 au 27 juin 2015 à l’Université de Mannheim), C. Mann, S. Remijsen, S. Scharff (dir.), Stuttgart, Steiner, 2016, p. 113-120. Bien qu’Hérodote ait fréquemment recours à des mots relevant de l’aire sémantique d’« ἀγών » pour parler de conflits divers (I, 76, 4 ; 77, 5 ; V, 103, 1 ; VI, 45, 2 ; IX, 33, 2-4 : voir J.C. Dayton, The Athletes of War. An Evaluation of the Agonistic Elements in Greek Warfare, Toronto, Kent, 2006, p. 35 ; E. Barker, Entering the Agon : Dissent and Authority in Homer, Historiography and Tragedy, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 185 avec les n. 134, 223), l’emploi de πάλη et ἔρις connote le verbe ἀγωνίζω dans un sens clairement agonistique ; voir Sophocle, Ajax, v. 1163 ; Thucydide, III, 82, 7-8 avec P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots [1968], Paris, Klincksieck, 1983, 4 vol., p. 17-18, 372 et 851 ; E. Barker, Entering the Agon…, p. 223-225 et 303.

12 Sur la palê, voir Le sport dans la Grèce antique : du jeu à la compétition (catalogue de l’exposition qui s’est tenue du 23 janvier au 19 avril 1992 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles), D. Vanhove (dir.), Bruxelles, Société des expositions du Palais des Beaux-Arts, 1992, p. 99-102 ; Lockender Lorbeer. Sport und Spiel in der Antike (catalogue de l’exposition présentée à Glyptothèque, Munich), R. Wünsche, F. Knauß (dir.), Munich, Staatliche Antikensammlungen, 2004, p. 149-158 et 337-339, tous les deux avec sources et bibliographie antérieure.

13 Les sources les plus importantes sur la guerre lélantine sont : Archiloque, Fr. 3 D ; P.Oxy. 2508 (Archiloque ?) ; Théognis, 891-894 ; Hérodote, V, 99 ; Thucydide, I, 15, 3 ; Aristote, Politique, 1289 b ; Archémaque d’Eubée, FGrH, 424 F 9 ap. Strabon, X, 3, 6 ; Strabon, X, 1, 12 ; Plutarque, Le Banquet des Sept Sages, 153F-154A ; Propos de table, 674F-675A ; Dialogue sur l’amour, 760A-761B. La bibliographe est pléthorique et nous ne pouvons ici qu’en offrir une sélection : B. D’Agostino, « Osservazioni a proposito della guerra lelantina », DdA, t. I, 1967, p. 20-37, 30 n. 1 ; W. Donlan, « Archilochus, Strabo and the Lelantine War », TaPha, t. CI, 1970, p. 131-142 ; K. Tausend, « Der Lelantische Krieg – ein Mythos ? », Klio, t. LXIX, 1987, p. 499-505 ; V. Parker, Untersuchungen zum Lelantischen Krieg und verwandten Problemen der frühgriechischen Geschichte, Stuttgart, Steiner (Historia. Einzelschriften ; 109), 1997, p. 11-24 et 59-93 ; J.P. Crielaard, « Past or Present ? Epic Poetry, Aristocratic Self-representation and the Concept of Time in the Eighth and Seventh Centuries BC », in Omero tremila anni dopo (Atti del congresso di Genova, 6-8 luglio 2000), F. Montanari (dir.), Rome, Edizioni di Storia e Letteratura (Storia e letteratura [Rome] ; 210), 2002, p. 239-295 ; K.G. Walker, Archaic Eretria. A Political and Social History from the Earliest Times to 490 BC, Londres – New York, Routledge, 2004, p. 156-171 ; J. Hall, A History of the Archaic Greek World, ca. 1200-479 BCE, Malden – Oxford – Victoria, Blackwell Pub. (Blackwell History of the Ancient World), 2007, p. 1-8 et 19-22 ; X. Charalambidou, « Developments on Euboea and at Oropos at the End of the “Dark Ages” (ca. 700 to the mid-7th century BC) », in The “Dark Ages” Revisited (Acts of an International Symposium in Memory of W.D.E. Coulson, University of Thessaly, 14-17 June 2007), A. Mazarakis Ainian (dir.), Volos, University of Thessaly Press, 2011, p. 810-831 ; M. Kõiv, « Communities and Rulers in Early Greece : Development of Leadership Patterns in Euboia and Argolis (12th-6th Centuries BC) », Alter Orient und Altes Testament, t. CCCXC, n° 4, 2016, p. 309.

14 X. Charalambidou, « Viewing Euboea in Relation to its Colonies and Relevant Sites in Northern Greece and Italy », in Regional Stories Towards a New Perception of the Early Greek World (Acts of an International Symposium in Honour of Prof. J. Bouzek), A. Mazakaris Ainian, A. Alexandridou, X. Charalambidou (dir.), Volos, University of Thessaly Press, 2017, p. 91.

15 Voir X. Charalambidou, « Developments on Euboea and at Oropos… », en particulier p. 833-835. Voir aussi l’analyse contraignante de J. Hall, _A History_…, mais également K.G. Walker, Archaic Eretria…, p. 167 ; S. Verdan, Le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros à l’époque géométrique, Gollion – Athènes, Infolio – École suisse d’archéologie en Grèce (Eretria ; 22), 2013, p. 193, et M. Kõiv, « Communities and Rulers… », p. 313, qui se montre plus optimiste.

16 D. Frame, « Heracles in Ionian Epic : Genesis of the “Sack of Oikhalia” », in Hollyfest.org : A digital Festschrift 2018 [en ligne : http://www.thehollyfest.org/index.php/douglas-frame/] (voir déjà C. Talamo, « Il mito di Melaneo, Oichalia e la protostoria eretriese », in Contribution à l’étude de la société et de la colonisation eubéennes, Naples, Centre Jean Bérard [Cahiers du Centre Jean Bérard ; 2], 1975, p. 27-36) ; L. Pulci Doria Breglia, « Titani, Cureti, Eracle. Mitopoiesi euboica e guerra lelantina », in Tra mare e continente : l’isola d’Eubea, C. Bearzot, F. Landucci Gattinoni (dir.), Milan, Vita e Pensiero (Contributi di storia antica ; 11), 2013, p. 17-65 ; A. Capra et al., « New Trends in Homeric Scholarship. Homer’s Name, Underworld and Lyric Voice », AOQU. Rivista di Epica, t. I, 2020, p. 9-101 [en ligne : https://doi.org/10.13130/aoqu-01-03], en particulier p. 33-34 et 40-43 (« The Pseudo-Herodotean Life of Homer and the Lelantine War : Eretria and its allies vs. Chalcis and its allies »).

17 Thucydide, I, 1, 3.

18 FGrH, 424 F 9 ap. Strabon, X, 3, 6 (BNJ [Sprawski]) : Ἀρχέμαχος δ’ ὁ Εὐβοεύς φησι τοὺς Κουρῆτας ἐν Χαλκίδι οικῆσαι, συνεχῶς δὲ περὶ τοῦ Ληλάντου πεδίου πολεμοῦντας, ἐπειδὴ οἱ πολέμιοι τῆς κόμης ἐδράττοντο τῆς ἔμπροσθεν καὶ κατέσπων αὐτούς, ὄπισθεν κομῶντας γενέσθαι, τὰ δ’ ἔμπροσθεν κείρεσθαι· διὸ καὶ Κουρῆτας ἀπὸ τῆς κουρᾶς κληθῆναι· μετοικῆσαι δ’ εἰς τὴν Αἰτωλίαν, καὶ κατασχόντας τὰ περὶ Πλευρῶνα χωρία τοὺς πέραν οἰκοῦντας τοῦ Ἀχελώου διὰ τὸ ἀκούρους φυλάττειν τὰς κεφαλὰς Ἀκαρνᾶνας καλέσαι. Voir aussi Pollux, II, 29 et R.G. Austin, « Hector’s Hair-Style », Classical Quarterly, t. XXII, 1972, p. 199.

19 Strabon, X, 1, 12-13.

20 X. Charalmabidou, « Developments on Euboea and at Oropos… », p. 89.

21 Tite-Live, XXXV, 38, 3 ; IG XII 9, 278 commenté par K. Reber et al., « Les activités de l’École suisse d’archéologie en Grèce en 2017. Le Gymnase d’Érétrie et l’Artémision d’Amarynthos », Antike Kunst, t. CXI, 2018, p. 135, n. 53. Voir notamment E.L. Wheeler, « Ephorus and the Prohibition of Missiles », TAPA, t. CXVII, 1987, p. 157-182 ; D. Knoepfler, « Sur les traces de l’Artémision d’Amarynthos près d’Érétrie », CRAI, t. CXXXII, 1988, p. 382-421 ; Id., « Le territoire d’Érétrie et l’organisation politique de la cité », in The Polis as an Urban Centre and as a Political Community (symposium August, 29-31 1996), M.H. Hansen (dir.), Copenhague, The Royal Danish Academy of Sciences and Letters (Acts of the Copenhagen Polis Centre ; 4), 1997, p. 352-449 ; K.G. Walker, Archaic Eretria… ; K. Reber et al., « Auf der Suche nach Artemis. Die Entdeckung des Heiligtums der Artemis Amarysia », Antike Welt, t. IV, 2018, p. 57 ; N. Bershadsky, « Impossible Memories of the Lelantine War », Mètis, t. XVI, 2018, p. 191-213 (avec bibliographie antérieure).

22 Fr. 3 D (voir notamment W. Donlan, « Archilochus, Strabo… ») et Éphore de Cymé, FGrHist 70 F 122a : Αἰτωλός ποτε τόνδε λιπὼν αὐτόχθονα δῆμον κτήσατο Κουρῆτιν γῆν, δορὶ πολλὰ καμών· τῆς δ᾽ αὐτῆς γενεᾶς δεκατόσπορος Αἵμονος υἱὸς ᾽Οξύλος ἀρχαίην ἔκτισε τήνδε πόλιν (nous soulignons).

23 A. Brelich, Guerre, agoni e culti nella Grecia arcaica, Bonn, Habelt (Antiquitas. Reihe 1, Abhandlungen zur alten Geschichte ; 7), 1961.

24 Victor Turner (The Ritual Process : Structure and Anti-structure, Londres, Routledge and Kegan Paul [Lewis Henry Morgan Lectures ; 1966], 1969) affirmait que le déplacement de l’agressivité dans le jeu permet le développement d’une communauté entre au moins deux groupes de joueurs opposés ; voir déjà les considérations (moins assertives) de J. Huizinga, Homo ludens : proeve eener bepaling van het spel-element der cultuur [1938], Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010, passim (e.g. 51). Il faut néanmoins admettre qu’il s’agit d’une explication réductrice de type fonctionnaliste (R. Hamayon, Jouer, une autre façon d’agir. Étude anthropologique à partir d’exemples sibériens, Lormont, Le Bord de l’eau [La Bibliothèque du Mauss], 2021 [éd. aug. de l’édition de 2012], p. 111-112) : voir aussi V. Dasen, M. Vespa, « Ancient Play and Games… », p. 5. À notre avis, la bibliographie récente sur le jeu en tant que manière de gérer les conflits (par exemple J.T. Tedeschi, B.R. Schlenker, T.V. Bonoma, Conflict, Power, and Games : The Experimental Study of Interpersonal Relations, Chicago, Aldine Pub. Co. [Aldine Treatises in Social Psychology], 1973) a conduit les chercheurs à surestimer cet aspect.

25 De manière curieuse, pendant les mêmes années, des théoriciens du jeu comme James Samuel Coleman (The Adolescent Society : The Social Life of the Teenager and Its Impact on Education, New York, The Free Press of Glencoe, 1961) insistaient beaucoup sur la nécessité de promouvoir le jeu en tant qu’outil éducatif pour les adolescents. Sur le jeu comme préparation à l’entraînement de guerre ou comme test de masculinité, voir W. Loy, G.L. Hesketh, « Competitive Play on the Plains : An Analysis of Games and Warfare among Native American Warrior Societies, 1800-1850 », in The Future of Play Theory : A Multidisciplinary Inquiry into the Contributions of Brian Sutton-Smith, A.D. Pellegrini (dir.), New York, State University of New York Press (Suny series. Children’s Play in Society), 1995, p. 87-99.

26 À tel point que dans le modèle générationnel, les rites d’initiation qui ne sont pas collectifs et réalisés en privé ne sont plus considérés comme tels : B. Bernardi, I sistemi delle classi di età. Ordinamenti sociali e politici fondati sull’età, Turin, Loescher (Monografie), 1984, p. 137-172. Voir aussi M. Lupi, L’ordine delle generazioni. Classi di età e costumi matrimoniali nell’antica Sparta, Naples, Edipuglia, 2000, p. 19 et n. 21 ; N. Kennell, « Age-Class Societies in Ancient Greece ? », Ancient Society, t. XLIII, 2013, p. 1-73, en particulier p. 5 ; S. Allovio, Riti di iniziazione. Antropologi, stoici e finti immortali, Milan, Cortina (Culture e società ; 35), 2014, p. 33-34, 36, 42.

27 A. Brelich, Guerre, agoni e culti…, p. 84.

28 Cette grille analytique était très à la mode à cette époque-là : voir par exemple J. Heers, Fêtes, jeux et joutes dans les sociétés d’Occident à la fin du Moyen Âge (conférence Albert-le-Grand 1971), Montréal, Institut d’études médiévales, 1971, p. 32 (qui porte sur les batailles rituelles à l’âge médiéval et à l’âge moderne).

29 L’explication initiatique pose quelques problèmes qui n’ont pas encore été résolus. Pour plus de détails, voir infra l’Appendice 1.

30 Hérodote, VII, 208-9 ; Plutarque, Apophtegmes laconiens, 230B2 ; Plutarque, Vie de Lycurgue, XVI, 6 ; Lucien de Samosate, Les Fugitifs, 27. Voir aussi C.M. Stibbe, Das andere Sparta, Mayence, P. von Zabern (Kulturgeschichte der antiken Welt ; 65), 1996, p. 128 avec les tableaux 56-58 et 67 ; p. 233-237 avec les tableaux 127 et 128.

31 R. Roy (« Des kryptes aux kouroi : Henri Jeanmaire, les rites d’initiation et la méthode comparative », Appunti romani di filologia, n° 14, 2012, p. 97-126, notamment p. 101-104) est arrivé à des conclusions similaires dans son analyse des témoignages sur les kouroi et les Courètes.

32 Voir E. Franchi, « Spartani dalle lunghe chiome e Argivi rasati : interpretazioni iniziatiche moderne e costruzioni di senso antiche », Incidenza dell’antico, t. VII, 2009, p. 61-88.

33 Voir infra l’Appendice 2.

34 Strabon, X, 3, 8.

35 Voir notamment H. Jeanmaire, Couroi et Courètes : essai sur l’éducation spartiate et sur les rites d’adolescence dans l’Antiquité hellénique, Lille, Bibliothèque universitaire (Travaux et mémoires de l’Université de Lille, nouvelle série I, Droit-Lettres ; 21), 1939 (sur le passage de Strabon : p. 593-616). Voir plus récemment P. Chantraine, Dictionnaire étymologique…, p. 567-568 (s.v. κόρος ; Κουρῆτες en est un dérivé) ; R. Beekes, Etymological Dictionary of Greek, Leyde – Boston, Brill (Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series ; 10 / 1-2), 2009, 2 vol., p. 752-53 (s.v. κόρη). Nous pensons que les doutes de R. Roy (« Des kryptes aux _kouroi_… », p. 104) sont légitimes.

36 Euripide, Bacchantes, 455, commenté par D. Vanhove dans Le sport dans la Grèce antique…, p. 99.

37 Éphore de Cymé, FGrHist 70 F 122a ap. Strabon, X, 3, 2-4.

38 Iliade, IX, 529-32 ; [Hésiode] fr. 25 MW, 13 ; Minyas F 5 Bernabé ; Éphore de Cymé, FGrHist 70 F 122a [10.3.2-4] ; F 144 [= Pseudo-Scymnos, 470-478] ; Strabon, X, 3, 1-6 ; 8. Le passage de Strabon est fortement dépendant des poèmes homériques (P. Funke, « Strabone, la geografia storica e la struttura etnica della Grecia nordoccidentale », in Geografia storica della Grecia antica : tradizioni e problemi, F. Prontera [dir.], Bari, Laterza [Biblioteca di cultura moderna ; 1011], 1991, p. 180 ; C. Antonetti, « Strabone e il popolamento originario dell’Etolia », in Strabone e la Grecia, A.M. Biraschi [dir.], Pérouse, ESI [Studi di storia e di storiografia], 1994, p. 122-123). Pour les sources sur les Courètes, voir F. Schwenn, « Kureten », RE, t. XI, n° 2, 1922, col. 2206. À ce propos, voir aussi infra l’Appendice 2.

39 Les rites de transition sont en revanche très présents dans les sources qui relient les Courètes à la Crète : parfois il s’agit de l’initiation à des mystères (voir Strabon, X, 3, 7 ; 9-13 ; voir déjà Euripide, Les Bacchantes, 125 ; Les Crétois, fr. 475 Nauck2 commenté par P. Ceccarelli, La pirrica nell’antichità greco romana. Studi sulla danza armata, Pise – Rome, Istituti editoriali e poligrafici internazionali [Filologia e critica ; 83], 1998, p. 210 ; J.N. Bremmer, Initiation into the Mysteries of the Ancient World, Berlin – Boston, W. de Gruyter [Münchner Vorlesugen zu Antiken Welten ; 1], 2014, p. 40, 49, 66 ; N. Belayche, « Strabon historien des religions comparatiste dans sa digression sur les Courètes », Revue de l’histoire des religions, t. CCXXXIV, n° 4, 2017, p. 613-633), parfois il s’agit de rites d’adolescence (mais les Courètes ne sont en fait pas des « kouroi » [voir aussi R. Roy, « Des kryptes aux _kouroi_… », p. 101-104], plutôt des « kourotrophoi » ; en outre, le rituel qui les concerne n’est pas collectif : Callimaque, Hymnes, 1 : En l’honneur de Jupiter, 52 ; Apollodore, I, 1, 6-7 ; Diodore de Sicile, V, 70, 2-4 ; Strabon, X, 3, 8). Au demeurant, le lien de ces histoires avec les histoires qui portent sur les origines ethniques des Courètes (Éphore de Cymé, FGrHist 70 F 122a ap. Strabon X, 3, 2-4) est perçu comme fragile par les auteurs anciens qui en parlent (voir notamment Strabon, X, 3, 8 : ἐπεὶ δὲ δι᾽ ὁμωνυμίαν τῶν Κουρήτων καὶ οἱ ἱστορικοὶ συνήγαγον εἰς ἓν τὰ ἀνόμοια, οὐδ᾽ ἂν αὐτὸς ὀκνήσαιμ᾽ ἂν εἰπεῖν περὶ αὐτῶν ἐπὶ πλέον ἐν παραβάσει, προσθεὶς τὸν οἰκεῖον τῇ ἱστορίᾳ φυσικὸν λόγον ; voir N. Belayche, « Strabon historien des religions… », notamment p. 614, n. 1).

40 Voir par exemple Agathon, Thyeste, 2 N ap. Athénée, XII, 528C. Voir aussi Sémonide, fr. 7 W, l. 57ff ; Asios T 3 GP (ap. Athénée, XII, 525F) ; Xénophane, fr. 3 DK ; Thucydide, I, 6, 3-5 ; Phylarque, FGrH / BNJ 81 F66. Pour d’autres sources et un commentaire, voir E. Franchi, « Women in Gold : Luxurious Objects, Excellence and Prestige in the Peloponnese », in Luxury and Wealth in Sparta and the Peloponnese, S. Hodkinson, C. Gallou (dir.), Swansea, The Classical Press of Wales, 2021, p. 161-176. Au Moyen Âge, on connaît un phénomène semblable, qui concerne les chevaliers et les nobles : J. Heers, Fêtes, jeux et joutes…, p. 35.

41 Voir par exemple P. Gardner, « A Numismatic Note on the Lelantian War », CR, t. XXXIV, 1920, p. 90-99 ; H. Schaefer, Staatsform und Politik. Untersuchungen zur griechischen Geschichte des 6. und 5. Jahrhunderts, Leipzig, Dieterich, 1932, p. 64-67 ; J.P. Crielaard, « Past or present ?… » ; N. Bershadsky, A. Debiasi, D. Frame, G. Nagy, « Stitching Together the Lelantine War », Classical Inquiries, 6 juin 2018 [en ligne : https://classical-inquiries.chs.harvard.edu/stitching-together-the-lelantine-war] ; A. Capra et al., « New Trends… ».

42 Voir notamment Théognis, 893. Sur l’importance du prestige pour les élites archaïques, voir A. Duplouy, Le prestige des élites. Recherches sur les modes de reconnaissance sociale en Grèce entre les Xe et Ve siècles avant J.-C., Paris, Les Belles Lettres (Histoire ; 77), 2006.

43 X. Charalambidou, « Viewing Euboea… », p. 92 ; M. Kõiv, « Communities and Rulers… », p. 312-319 (avec sources et bibliographie antérieure), qui commente les témoignages par ailleurs bien connus d’Hérodote, VI, 100, 1 (hippobotai à Chalcis) ; Aristote, Politique, 1289 b 36-41 (aristocratie de cavaliers à Érétrie et Chalcis) ; 1306a 31-36 ; Constitution d’Athènes, XV, 2 (hippeis d’Érétrie) ; fr. 603 Rose (hippobotai de Chalcis).

44 M. Kõiv, « Communities and Rulers… », notamment p. 329-337 (avec sources et bibliographie antérieure).

45 Strabon, VI, 2, 6 ; X, 1, 15. Voir I. Malkin, « Eretrian, Euboean, and Greek Networks : Colonisation and Collective Identity », in Regional Stories Towards a New Perception of the Early Greek World (Acts of an International Symposium in Honour of Prof. J. Bouzek), A. Mazakaris Ainian, A. Alexandridou, X. Charalambidou (dir.), Volos, University of Thessaly Press, 2017, p. 149.

46 Bacchylide fr. 4 ll. 17-19 ; Telesilla fr. 719 PMG ap. Pausanias, II, 35, 2 ; Thucydide, V, 53-56.

47 IG V 1, 659, notamment ll. 5-6 (mais l’épithète n’est pas entièrement lisible) ; Pausanias, III, 11, 9 ; peut-être aussi Diodore de Sicile, XII, 78.

48 À Kosmas : SEG XXXV [1985] 294 = SEG XI [1954] 890 ; à Tyros : IG V 1, 928. Il n’est pas clair si l’écriture est laconienne ou argienne (E. Franchi, « Beyond [Border] Wars : Ritual Interconnectdness across the Southeastern Peloponnese ? », in Laconia and the Argolid. New Approaches to an Interconnected Landscape in Ancient Greece, M. Helm, S. Nomicos (dir.), Münster, Teiresias Supplements Online, en préparation), mais les recherches archéologiques dans la Cynourie ont montré que la plupart des trouvailles qui datent d’avant cette période proviennent d’Argos, c’est pourquoi il est fort probable que ces derniers pratiquaient eux aussi un culte dans la région.

49 J. Huizinga, Homo ludens…, p. 63.

50 L’expression originale de Véronique Dasen est « le jeu est bon à penser l’identité » (« Histoire et archéologie de la culture ludique dans le monde gréco-romain. Questions méthodologiques », Kentron, t. XXXIV, 2018, p. 27). De manière semblable, le jeu était une « façon culturelle de penser l’éducation, les relations intergénérationnelles, entre enfants et adultes » (V. Dasen, T. Haziza, « Introduction… », p. 17). Voir aussi V. Dasen, U. Schädler, « Le jeu, révélateur des sociétés », Histoire. Textes et documents pour la classe, t. MCXIX, 2018, p. 28-33 (le jeu est une « façon culturelle de penser les rapports de genres, enfants et adultes […] », p. 28).

51 R. Caillois, Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, 1958, p. 52.

52 Ibid., p. 50-55. Sur le jeu et sur les simulations de batailles dans l’Antiquité, voir déjà le livre pionnier de Louis Becq de Fouquières (1831-1887) sur les jeux à l’âge antique : Les jeux des Anciens : leur description, leur origine, leurs rapports avec la religion, l’histoire, les arts et les mœurs, Paris, C. Reinwald, 1869, p. 99-100 ; il cite Xénophon, Cyropédie, II, 3, 17-19.

53 R. Caillois, Les jeux et les hommes…, p. 133. Voir aussi H. Funke (« La société agonale », in Le sport dans la Grèce antique : du jeu à la compétition [catalogue de l’exposition qui s’est tenue du 23 janvier au 19 avril 1992 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles], D. Vanhove [dir.], Bruxelles, Société des expositions du Palais des Beaux-Arts, 1992, p. 36), qui se réfère à la relation _agôn_-jeu dans la Grèce ancienne : le but principal de ces activités est bien celui de montrer sa propre excellence.

54 R. Caillois, Les jeux et les hommes…, p. 12, 31-33. Voir aussi R. Hamayon, Jouer…, p. 38. Sur l’importance des règles de jeu, voir aussi les articles introductifs de ce volume.

55 C. Duflo, Le jeu de Pascal à Schiller, Paris, PUF (Philosophies ; 94), 1997, p. 218-219. Voir aussi V. Turner (The Ritual Process…) : le jeu est en fait liminal ou liminoïde, à la frontière entre la réalité et l’irréalité.

56 La philosophie occidentale a beaucoup développé ce thème à partir de l’interprétation d’un fragment célèbre d’Héraclite (52 DK). Mais nous ne pouvons ici qu’évoquer ce sujet : voir notamment E. Fink, Spiel als Weltsymbol, Stuttgart, W. Kohlhammer, 1960, en particulier p. 84 sq. Sur les multiples interprétations de ce fragment d’Héraclite, voir aussi dernièrement Héraclite : le temps est un enfant qui joue, D. Bouvier, V. Dasen (dir.), Liège, Presses universitaires de Liège (Jeu / Play / Spiel ; 1), 2020.

57 Ce qui ne signifie aucunement que la réalité de ces guerres n’était pas du tout agonistique ; peut-être ces guerres de frontières avaient-elles vraiment des aspects agonistiques, et c’est à cause de cela qu’il fut possible de les décrire comme des agônes, voire comme des jeux. C’est du reste un élément typique de la rhétorique du jeu (« there is a matching interplay between the nature of rhetorical assertions and the character of the forms of play to which they are applied », B. Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, Cambridge [Mass.] – Londres, Harvard University Press, 1997, p. 15). Quoi qu’il en soit, il vaut mieux toujours garder à l’esprit que, selon les experts du jeu, la relation entre le jeu et le non-jeu est considérée comme allant de soi, voir E.H. Erikson, Toys and Reasons : Stages in the Ritualization of Experience, New York, W.W. Norton & Co., 1977.

58 R. Hamayon, Jouer…, p. 266 ; voir aussi B. Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, p. 98.

59 B. Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, p. 75 : « on considère que ceux qui remportent le jeu ou le concours gagnent de la gloire pour leur groupe tout entier, tout en cimentant les membres de ce dernier par leur identité agonale commune » (trad. F. Mari).

60 Ibid., p. 97, 102 (« une identité ludique visant au pouvoir », trad. F. Mari). Les spécialistes des théories du jeu ont montré que ceux qui gouvernent une société introduisent et manipulent les formes sociales majeures de jeu selon leur propre intérêt : voir J. MacAloon, This Great Symbol : Pierre de Coubertin and the Origins of the Modern Olympic Games, Chicago, University of Chicago Press, 1981 ; W. Azoy, Buzkashi : Game and Power in Afghanistan, Philadelphie, University of Pennsylvania Press (Symbol and Culture), 1982 ; K. Aercke, Gods of Play : Baroque Festive Performances as Rhetorical Discourse, Albany, State University of New York Press (SUNY Series. The Margins of Literature), 1994.

61 Sur ces dynamiques, voir C. Geertz, The Interpretation of Cultures : Selected Essays, New York, Basic Books, 1973.

62 Ce n’est pas un hasard si « the group who maintains the rhetoric [_of play_] benefits by the exercise of hegemony over the players, over their competitors, or over those who are excluded from the play » (B. Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, p. 16).

63 Il est intéressant de noter qu’à la fois pour les guerres de frontières et pour le jeu nous avons recours à une définition négative : nous disons en effet que ces guerres ne sont pas : elles ne sont pas de véritables guerres, etc. (G. Bateson, Vers une écologie de l’esprit, vol. 1, Paris, Seuil [La couleur des idées], 1977 [trad. fr. de Steps to an Ecology of Mind, 1972] ; R. Hamayon, Jouer…, p. 84). On pourrait rétorquer que si le fait de narrer ces guerres était vraiment une manière de créer et d’afficher son prestige, ces narrations elles-mêmes ne porteraient pas tant sur les aspects sanglants que sur les aspects compétitifs. Néanmoins, la juxtaposition dans ces récits des aspects agonistiques et de la mention des pertes subies est un paradoxe typique du jeu, que l’on appelle normalement la « morsure ludique » et qui revient à dire : « ceci est un jeu : la morsure n’est pas une morsure si nous sommes en train de jouer ». Mutatis mutandis, si nous sommes en train de jouer, le sang et les cadavres ne sont pas du sang et des cadavres, pour autant qu’il soit horrible d’y penser. Voir B. Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, p. 5 ; voir aussi W. Empson, Seven Types of Ambiguity, New York, Noonday Press, 1955, où le septième type est l’« ambiguity of meaning » (est-ce bien un jeu ou un combat ludique ?). On ne peut qu’évoquer la théorie de Mihai Spariosu sur la double nature du jeu en tant qu’activité soumise à des règles et facteur de désordre (Dionysus Reborn : Play and the Aesthetic Dimension in Modern Philosophical and Scientific Discourse, Ithaca [NY] – Londres, Cornell University Press, 1989, p. IX). Sur la « morsure ludique », voir dans ce volume les contributions de Thierry Wendling et de Véronique Dasen.

64 Sur le concept d’anthropopoïèse, voir C. Calame, « Modes rituels de la fabrication de l’homme : l’initiation tribale », in Figures de l’humain. Les représentations de l’anthropologie, F. Affergan et al. (dir.), Paris, Éditions de l’EHESS (Recherches d’histoire et de sciences sociales ; 98), 2003, p. 129-173. Voir également, du même auteur, « Avant-propos de la seconde édition française (2019) », in Les chœurs des jeunes filles en Grèce ancienne. Morphologie, fonction religieuse et sociale (Les parthénées d’Alcman), Paris, Les Belles Lettres, 2019, p. 7-18, notamment p. 10, sur la nécessité de ne pas essentialiser et naturaliser le concept instrumental de rite d’initiation tribale.

65 Pareille porosité est représentée également dans la classification de Caillois (voir la première catégorie – l’agôn – qui comprend à la fois les combats et le sport). Voir aussi R. Hamayon, Jouer…, p. 16-17 ; V. Dasen, « Hoops and Coming of Age in Greek and Roman Antiquity », in 8th International Toy Research Association World Conference, juillet 2018, Paris, France (https://hal.uca.fr/ITRA2018/hal-02170802v1) ; V. Dasen, M. Vespa, « Ancient Play and Games… », p. 3 ; il convient pourtant de suivre Roberte Hamayon (p. 296-297), ainsi que Véronique Dasen et Marco Vespa (p. 3) qui remarquent l’existence de quelques différences entre les deux concepts : le résultat d’un jeu, d’un côté, n’est pas prévisible (Hamayon) ; de l’autre côté, « sport, athla, took place at the Panhellenic games, involving elite participants, with prizes, in a public context, whereas ball games, hoops and board games were absent from regulated public competitions » (V. Dasen, M. Vespa ; « le sport, athla, se déroulait lors des jeux panhelléniques, impliquant des participants d’élite, avec des prix, dans un contexte public, alors que les jeux de balle, les cerceaux et les jeux de société étaient absents des compétitions publiques réglementées », trad. E. Franchi).

66 A. Brelich, Guerre, agoni e culti…

67 La préface d’Anthony Snodgrass à la nouvelle édition de The Dark Age of Greece : An Archaeological Survey of the Eleventh to the Eighth Centuries BC, New York, Routledge, 2000 (Édimbourg, Edinburgh University Press, 1971) est très parlante à ce sujet : voir notamment les considérations p. xxiv.

68 Voir S.C. Murray, « The Role of Religion in Greek Sport », in A Companion to Sport and Spectacle in Greek and Roman Antiquity, P. Christesen, D. Kyle (dir.), Malden, Wiley Blackwell (Blackwell Companions to the Ancient World), 2014, p. 312.

69 Voir M. Kerschner, I.S. Lemos, « Production, Export and Imitation of Euboean Pottery : A Summary of the Results of the Workshop on the Provenance of Euboean and Euboean Related Pottery and Perspectives for Future Research », in Archaeometric Analyses of Euboean and Euboean Related Pottery : New Results and Their Interpretations (Proceedings of the Round Table Conference held at the Austrian Archaeological Institute in Athens, 15-16 April 2011), M. Kerschner, I.S. Lemos (dir.), Vienne, Österreichisches Archäologisches Institut (Ergänzungshefte zu den Jahresheften des Österreichischen archäologischen Institutes in Wien ; 15), 2014, p. 191‑193.

70 À ce sujet, voir C. Calame, « Modes rituels… », p. 129-173, notamment p. 145.

71 N. Bershadsky, « The Border of War and Peace. Myth and Ritual in Argive-Spartan Dispute over Thyreatis », in Maintaining Peace and Interstate Stability in Archaic and Classical Greece (Actes du symposium tenu à « Humanities center », Harvard, 9 mai 2009), J. Wilker (dir.), Mayence, Verlag-Antike (Studien zur alten Geschichte ; 16), 2012, p. 51-77.

72 Voir E. Franchi, « Commemorating… ».

73 Plutarque, Vie de Thésée, V.

74 Plutarque, Vie de Thésée, V, 1 : τοὺς μεταβαίνοντας ἐκ παίδων. Voir aussi R.G. Austin, « Hector’s Hair-Style », Classical Quarterly, t. XXII, 1972, p. 199 ; D. Leitao, « Adolescent Hair-Growing and Hair-cutting Rituals in Ancient Greece. A Sociological Approach », in Initiation in Ancient Greek Rituals and Narratives. New Critical Perspectives, D.B. Dodd, C.A. Faraone (dir.), Londres, Routledge, 2003, p. 109-129.

75 Voir supra p. 93 et n. 26.

76 Voir B. Blandin, Les pratiques funéraires d’époque géométrique à Érétrie : espace des vivants, demeures des morts, Gollion, Infolio – École suisse d’archéologie en Grèce (Eretria. Fouilles et recherches ; 17), 2007, 2 vol.

77 Voir S. Verdan, Le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros…, p. 215‑216 et 236-237.

78 Ibid., n. 366, que S. Verdan interprète en tant que rite d’admission au banquet (p. 221-222). Voir aussi J.P. Crielaard, « The Early Iron Age Sanctuary of Karystos-Plakari and Its Wider Context », in Regional Stories Towards a New Perception of the Early Greek World (Acts of an International Symposium in Honour of Prof. J. Bouzek), A. Mazakaris Ainian, A. Alexandridou, X. Charalambidou (dir.), Volos, University of Thessaly Press, 2017, p. 136, mais l’interprétation est débattue : M.A. Flower, « Samuel Verdan, Eretria XXII. Le sanctuaire d’Apollon Daphnéphoros à l’époque géométrique », Kernos, t. XXVII, 2014, p. 8 [en ligne : http://journals.openedition.org/kernos/2247].

79 Anthologie Palatine, VI, 156.