« La vigne a été inventée dans la ville égyptienne de Plinthine ». À propos de la découverte d’un fouloir saïte à Kôm el-Nogous (Maréotide) (original) (raw)
Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Annexe | Notes | Citation | Auteurs
Résumés
En avril-mai 2016, un fouloir à raisin exceptionnellement bien préservé a été mis au jour dans le secteur 6 de Kôm el-Nogous, fouillé depuis 2012 par la Mission française de Taposiris et Plinthine.
Le fouloir est composé d’une plateforme de foulage et d’une cuve-recette, toutes deux construites en blocs de calcaire fin. La construction du fouloir est particulièrement soignée et il prend place dans une pièce voûtée située sur le flanc est du kôm, au plus près, sans doute, des vignes.
À part un exemple beaucoup moins bien préservé trouvé à Tell el-Daba, le fouloir de Kôm el-Nogous est, à ce jour, le plus bel exemple de fouloir pharaonique jamais trouvé en Égypte ; il trouve ses meilleurs parallèles dans les représentations peintes des tombes de la vallée thébaines, en particulier celles du tombeau de Nakht (TT 52). Il date, d’après l’analyse de la céramique, du début de l’époque saïte, une période de grande activité sur et dans les environs du kôm.
La découverte du fouloir de Kôm el-Nogous prouve qu’au début de l’époque saïte, on produisait un cru local sur la rive nord du lac Maréotis. Elle donne encore plus de poids à l’identification du kôm avec la Plinthine des Grecs, où Hellanicos, un auteur du ve s. av. J.-C., place l’invention de la (culture de la) vigne.
In April-May 2016, an exceptionally well preserved grape grinder was unearthed in sector 6 of Kom el Nogous, excavated since 2012 by the French Expedition at Taposiris and Plinthine.
The structure consists of a crushing platform and a collecting vat, both constructed of fine limestone blocks. The construction of the grape grinder is particularly meticulous. It takes place in a vaulted room located on the eastern edge of the kom, probably near the vineyards.
Apart from a much less well-preserved example found at Tell el-Daba, the Kom el-Nogous treading structure is, to date, the best example of a Pharaonic grape grinder ever found in Egypt. The best parallels are to be found in the painted representations of the tombs of the Theban Valley, especially those of the tomb of Nakht (TT 52). According the pottery study, it dates from the beginning of the Saite epoch, a period of great activity on and in the vicinity of the kom.
The discovery of Kom el Nogous proves that at the beginning of the Saite era, a local vintage was pro- duced on the north shore of Lake Mareotis. It gives even greater weight to the identification of the kom with the Plinthine of the Greeks, where Hellanicos, an author of the 5th century BC, locates the invention of the (culture of) the vine.
Entrées d’index
Texte intégral
- 1 Hellanicos, apud Athénée I, 34a : ἐν τῇ Πλινθίνῃ πόλει Αἰγύπτου πρώτῃ εὑρεθῆναι τὴν ἄμπελον.
- 2 Les auteurs remercient S. Dhennin et M.-Fr. Boussac pour leur relecture ; ils sont également très (...)
- 3 Cette mission, dirigée par M.-Fr. Boussac (université Paris Ouest-Nanterre) et soutenue par le min (...)
- 4 Malgré des incertitudes sur l’identification du site antique, en l’absence de document écrit décou (...)
- 5 Pour une première présentation des vestiges du kôm de Plinthine, cf. Dhennin, Redon 2014 ; Boussac(...)
- 6 Barahona, Pesenti, Redon 2016.
- 7 Boussac et al. 2016, p. 206-210.
- 8 Boussac, Dhennin, Redon 2015.
1La mission archéologique française2 de Taposiris et Plinthine3 explore depuis 2012 le kôm et la ville antique de Plinthine/Kôm el-Nogous4, situés à 2,2 km à vol d’oiseau de la ville de Taposiris (fig. 1). Sous les niveaux hellénistiques (très fugaces sur le kôm, en surface dans la ville), une occupation dense d’époque saïto-perse est vite apparue ; elle a été mise en évidence dans tous les sondages ouverts sur les pentes du kôm et dans ses environs immédiats5. Des niveaux plus anciens, datés d’après la céramique du viiie s. av. J.-C.6, ont été atteints dans le sondage 2 et des découvertes réalisées durant la campagne 2016 au centre du kôm7 confirment très vraisemblablement ce que nous supposions depuis la mise au jour d’artefacts en remploi ou en surface en 2014 et 2015 : le site de Kôm el-Nogous est occupé au moins depuis le Nouvel Empire8.
Fig. 1. Plan du kôm de Plinthine après la campagne 2016
MFTM, relevés M. Vanpeene, Th. Fournet, DAO M. Vanpeene
- 9 Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 19-20.
- 10 Baum 1988, p. 136. L’adaptation de la vigne intervient au début de Nagada III (Hendrickx, Bavay 2 (...)
- 11 Voir en dernier lieu l’aperçu archéologique de Pichot 2012 et la conclusion de cet article.
2Parmi ces artefacts, la découverte d’une anse d’amphore à vin au nom de Merytaton suggérait l’existence d’une possible exploitation vinicole dans la région de Plinthine sous la XVIIIe dynastie9. La campagne 2016 a démontré la vitalité de la culture de la vigne à Plinthine au début de l’époque saïte, avec la mise au jour d’un fouloir remarquablement bien préservé. La découverte revêt un grand intérêt lorsque l’on sait que la vigne n’est pas une plante indigène de l’Égypte10 et que l’invention de la vigne (sous-entendu de la culture de la vigne) est précisément située, par l’historien Hellanicos (actif au ve s. av. J.-C.), à Plinthine. Au-delà du mythe, elle révèle le dynamisme de la culture vinicole dans la région avant l’époque gréco-romaine, durant laquelle la production vinicole de la Maréotide connut son apogée11.
Un fouloir exceptionnellement bien préservé
- 12 Boussac et al. 2015, p. 208.
3Le fouloir a été mis au jour dans le secteur 6, situé au sommet du pan oriental de Kôm el-Nogous. En 2015, le secteur avait montré tout son potentiel archéologique, tant du point de vue des structures, dont l’examen de surface suggérait déjà plusieurs phases d’occupation, que du matériel mis au jour dans la couche de surface, très diversifié (céramique de stockage, gourdes du Nouvel An en fritte ou en faïence, amulettes) et entièrement attribuable à l’époque saïte12.
4En avril-mai 2016, un transect long de 18,50 m et coupant le kôm d’est en ouest a été ouvert dans le secteur pour en vérifier la chronologie et tenter de caractériser son occupation (fig. 2). Les fouilles ont mis en évidence quatre phases de construction/occupation successives, notamment dans la partie est du sondage. C’est à la deuxième phase qu’appartiennent la construction et l’utilisation du fouloir publié ici.
5Composé d’une cuve en calcaire maçonnée reliée à une seconde cuve monolithe par un déversoir, il est aménagé dans la pièce 611, fermée sur trois côtés et bâtie en moellons et briques crues. La pièce n’a pour le moment été que partiellement fouillée (elle s’étendait encore vers le sud) et occupe, dans l’état de nos travaux, un rectangle de 3,15 m est-ouest sur 4,38 m nord-sud (fig. 3-5). Le sol de la pièce se compose de terre battue et se situe à l’altitude absolue de 50,35 m.
Fig. 2. Plan du secteur 6 après la campagne 2016
MFTM, relevés et DAO M. Vanpeene
Fig. 3. Plan et coupes de la pièce 611
MFTM, relevés et DAO M. Vanpeene
Fig. 4. La pièce 611 et son fouloir, vers le nord
Ifao, G. Pollin
Fig. 5. Axonométrie de la pièce 611 et du fouloir
MFTM, M. Vanpeene
- 13 Dans les autres contextes saïtes fouillés par l’équipe, il n’est pas rare que seuls les fondations (...)
6La pièce est orientée nord-sud et limitée par trois murs, MR 617, 618 et 628 (dont le nu extérieur n’a pas été dégagé). Ils font en moyenne 0,80 m d’épaisseur et le mur nord est préservé sur au moins 3,30 m de haut, tandis que les autres murs ont été endommagés par le glissement des terres vers l’est, qui a provoqué, en particulier, l’effondrement partiel du mur ouest (c’est pourquoi nous n’avons pas pu le dégager entièrement, sous peine de le faire s’effondrer définitivement). Si le mode de fondation des murs de la pièce 611 n’a pas encore pu être observé, il est probable qu’il était identique à celui de la quasi-totalité des autres vestiges mis au jour à Plinthine : une tranchée creusée dans le sol devait accueillir une semelle filante de faible épaisseur composée de moellons de pierre locale assemblés à la mouna. Cette mise en œuvre est reprise pour l’élévation des murs périphériques de la salle 611, l’utilisation de la brique crue étant réservée, ici, uniquement à la couverture de la pièce13.
- 14 Si l’on considère que les voûtes nubiennes ont un profil en chaînette, il est difficile, voire imp (...)
7La pièce 611 était entièrement couverte par une voûte nubienne de 3,20 m de portée (VTE 602). Constituée d’un rouleau de briques crues de grand module (42 × 21 × 9 cm), portant sur les murs est et ouest et appuyé sur le mur nord de la pièce, elle prenait naissance à 2,25 m du sol ; on peut lui restituer une flèche d’au moins 1,60 m14. La voûte était, comme les trois murs de la pièce, recouverte d’un enduit de chaux ; ce dernier était appliqué sur un enduit de terre intermédiaire qui recouvrait le parement intérieur des murs, et directement sur les briques crues de la voûte.
- 15 Il est assuré que les murs et la voûte ont été construits dans un deuxième temps, car la voûte VTE (...)
- 16 Même remarque que dans la n. 14.
8Construit dans un second temps15, le fouloir prend place dans une alcôve de 2,30 m de côté, aménagée dans la partie nord de la pièce 611 et couverte par une voûte nubienne (VTE 601). Celle-ci est parallèle à VTE 602, et les piédroits sur lesquels elle prend appui (MR 621 et 626, larges de 48 à 52 cm), sont construits contre les murs périphériques de la pièce. La voûte est constituée de briques crues du même module que celles de la voûte VTE 602 et prend naissance à la même altitude. Elle possède une flèche qu’on restitue à au moins 1,10 m16, et est entièrement recouverte d’un fin enduit de chaux (fig. 6).
Fig. 6. Vue de détail du fouloir et de sa voûte, vers le nord
Ifao, G. Pollin
- 17 La bonne préservation de ces vestiges n’a pas permis de pratiquer de sondage dans la plate-forme e (...)
- 18 La cuve s’est un peu enfoncée dans le sol, de sorte que le sol de la pièce 611 et le fond de la cu (...)
- 19 C’est une contenance assez modeste, comparée, par exemple, à celle des recettes des pressoirs nubi (...)
9Le fouloir est entièrement construit dans un calcaire qui diffère du calcaire oolithique local par sa grande finesse et son éclatante blancheur. Il se compose d’une cuve de foulage et d’une cuve de recueil (ou recette), reliées par un déversoir. La cuve de foulage (CUV 601) forme un carré de 2,12 m de côté (dim. int. : 1,89 × 1,94 m) ; elle est construite en dalles de calcaire jointoyées au mortier de chaux. Son soubassement17 (fig. 5, no 1), d’environ 0,70 m de haut, est constitué de deux assises de blocs du même matériau disposés en carreau. Le sol du bassin est dallé et fait 0,10 m d’épaisseur (fig. 5, no 2). Enfin, les parois sont formées de deux assises de blocs composant une balustrade périphérique de 0,70 m de hauteur et 0,13 m d’épaisseur (fig. 5, no 4). L’ensemble de la cuve est recouvert d’un fin enduit de chaux (fig. 5, no 5), identique à celui qui recouvre les murs périphériques, pour étanchéifier la cuve (fig. 7). Une légère pente (environ 8°) facilite l’écoulement vers une bonde (fig. 5, no 6) ménagée dans le dallage, contre la margelle sud du fouloir. Elle ouvre sur une canalisation taillée dans les dalles, qui permet le transfert du moût vers une cuve monolithe de calcaire (CUV 602, fig. 5, no 7), disposée en contrebas. Cette recette mesure 1,37 m × 1,06 m × 0,60 m18, soit une contenance de 8,7 hl19.
Fig. 7. Vue de détail sur le fouloir et son enduit, vers l’ouest
Ifao, G. Pollin
Un abandon à l’époque saïte
10Aucun niveau de construction de la pièce 611 n’a pu être fouillé durant la campagne, et le fouloir ainsi que le reste de la pièce 611 n’ont pas livré de sols d’abandon en place, la pièce ayant été sans doute nettoyée avant son abandon puis la démolition progressive de ses parties hautes (cf. infra, l’annexe céramologique). Nous ne possédons donc à l’heure actuelle de renseignements que sur la date de destruction et d’abandon de l’installation.
11Nous avons distingué plusieurs US de comblement de la pièce 611 lors de la fouille, en fonction de leur composition (fig. 8) : on a ainsi isolé l’US 6080, formée d’une partie de la voûte VTE 602 effondrée, dont les briques étaient encore solidaires les unes des autres ; l’US 6056, qui comprenait beaucoup de briques crues fondues ou en position de chute ; l’US 6078, plus riche en terre argilo-sableuse marron ; l’US 6067 identique en composition, mais plus aérienne ; l’US 6068, plus compacte et difficile à fouiller, faite de briques crues et de mouna fondue ; et enfin l’US 6099, une couche composée de petits blocs de grès (3 à 4 cm de côté) à son sommet, mêlés à des briques en démolition et de la terre. Le matériel n’était pas très abondant, formé essentiellement de céramique, de faune, et d’une meule de pierre dure. Le tout était recouvert par l’US 6050 = 6051 = 6065, une épaisse couche assez terreuse, marron, qui représente le niveau d’abandon de la zone à partir duquel les éléments de la phase 3 ont été bâtis. L’US 6044 recouvre enfin tout le sondage, lors de l’abandon définitif de la zone.
Fig. 8. Coupe stratigraphique de la pièce 611, vers le sud
MFTM, relevés B. Redon, M. Vanpeene, DAO M. Vanpeene
12L’analyse du mobilier a permis d’établir que le fouloir avait vraisemblablement été abandonné vers la fin du viie s. av. J.-C. Sa construction n’est pas datée, mais au vu de la faible usure de la structure, il est possible que le fouloir date du début de l’époque saïte.
Le fouloir de Plinthine dans le corpus des fouloirs d’époque pharaonique
- 20 Bietak 1985.
- 21 Brun 2004, p. 66.
13Le fouloir de Plinthine est exceptionnel : jusqu’à présent, un seul fouloir d’époque pharaonique avait été sûrement identifié sur le terrain, à Tell el-Dabʿa20. Il date de la XVIIIe dynastie (règne de Horemheb) et a été découvert au sein du vignoble planté à l’intérieur de l’enceinte du temple de Seth. Il est formé d’une simple dalle de calcaire monolithe de 1,68 × 0,62 m, et son inclinaison permettait au moût de s’écouler vers un déversoir menant à deux rigoles qui sans doute aboutissaient à deux cuves. À cet exemple assez rudimentaire s’ajoute peut-être une autre installation de foulage identifiée par J.-P. Brun à Balat, qui remonte à la fin de l’Ancien Empire, et se compose d’une plate-forme de 4,90 × 2,20 m jouxtée par deux cuves enduites (1,50 × 1,10 m chacune), probablement abritées par un aménagement léger dont ne demeurent que les trous de poteaux21.
- 22 Brun 2004, p. 64-66. Ce n’est qu’à l’époque gréco-romaine que de vraies cuves de fermentation son (...)
- 23 Tallet 1998, p. 415.
14Si les exemples archéologiques qui pourraient servir de comparaison à l’installation de Plinthine sont rares (et assez éloignés du modèle de fouloir conservé à Plinthine), en revanche, de nombreuses scènes de foulage de raisin sont attestées dans l’iconographie égyptienne, notamment sur des parois de tombe, à partir de l’Ancien Empire. Ces scènes illustrent, après la scène des vendanges, les deux opérations distinctes du foulage et du pressurage (dans une presse à torsion), avant que le moût ne soit finalement transvasé dans des jarres où il continuait de fermenter (la fermentation ayant déjà commencé lors du foulage)22. D’après le décompte de P. Tallet, le foulage – quasi systématiquement représenté dans les scènes de vinification, contrairement au pressurage – apparaît à 19 reprises sur des parois datées de l’Ancien Empire, 3 fois au Moyen Empire, 26 fois au Nouvel Empire et à 4 reprises à la Basse Époque23.
- 24 Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 19-20, fig. 2a.
15Les scènes représentent la plupart du temps un fouloir situé dans le vignoble même, au plus près des vignes, et le fouloir de Tell el-Daʿba a en effet été mis au jour dans ce contexte. Celui de Plinthine n’était assurément pas au milieu des vignes, car il prend place dans une pièce qui faisait sans doute partie d’un ensemble plus vaste installé sur le pan oriental du kôm. Toutefois, le fouloir ne devait pas être éloigné des plantations : à l’heure actuelle, les plants de figuiers, qui ont désormais remplacé les vignes, lèchent les abords du kôm sur lequel a été découvert le fouloir. Par ailleurs, une partie des découvertes du Nouvel Empire ont été réalisées dans les champs de figuiers à l’ouest du kôm24.
- 25 Tallet 1998, p. 436.
16Les représentations de foulage sont animées et montrent plusieurs personnages, souvent divisés en deux groupes, foulant au pied les grappes tout juste apportées des vignes et déversées dans une cuve (fig. 9). Des légendes accompagnent les scènes, à partir du Nouvel Empire, qui évoquent avec humour l’ivresse des fouleurs (due aux vapeurs du raisin foulé) ou retranscrivent des chants de pressoir25. Pour ne pas glisser sur les rafles, les fouleurs s’agrippent à une barre transversale, à des cordes ou, plus rarement, à leurs voisins. La disparition des parties hautes des murs est et ouest encadrant le fouloir nous a empêché de vérifier sa présence, mais il n’est pas impossible de restituer une barre transversale au-dessus de la cuve, ancrée dans les murs MR 618 et 628, au point de naissance de la voûte.
Fig. 9. Tombeau de Nakht, partie basse de la paroi nord-ouest, salle transversale : scène de foulage (d’après Davies 1917, pl. 26)
- 26 Lerstrup 1992, p. 81.
- 27 Meeks 1993, p. 21-22.
- 28 Tallet 1998, p. 418.
- 29 C’est le seul type décrit par Brun 2004, p. 66-67.
17La typologie des fouloirs pharaoniques réalisée par A. Lerstrup26 et les observations de D. Meeks27 et P. Tallet28 ont mis en évidence un net changement au Nouvel Empire dans la construction des cuves de fouloir : alors qu’elles étaient jusqu’alors peu profondes, posées à même le sol et sans déversoir29, elles sont, à partir de la XVIIIe dynastie, plus profondes, surélevées (parfois munies de marches pour y accéder) et équipées d’un déversoir par l’intermédiaire duquel le moût est transféré soit dans une cuve, soit directement dans des jarres. Les fouloirs deviennent aussi de véritables petits édicules, encadrés de colonnes et surmontés d’une toiture bâtie au-dessus de la cuve.
- 30 Les trois seules scènes de foulage datant de l’époque saïte figurent des cuves assez plates, sans (...)
- 31 Säve-Soderbergh 1957, p. 11-21.
- 32 Davies 1917, pl. XXIIIB, XXVI, partie basse de la paroi nord-ouest, salle transversale.
- 33 Cherpion, Gout, Cortegianni 2007, scène 56b.
- 34 Meeks 1993, p. 22, Rodziewicz 1998.
18Ce type tardif et plus achevé est celui auquel il faut rattacher le fouloir saïte de Plinthine30. Il est très semblable, dans son fonctionnement, au fouloir représenté dans les tombes d’Antef (TT 155)31, de Nakht32 (TT 52) ou de Nebamon (TT 90), munis de deux colonnes latérales, d’un plafond plat (ou d’une poutre) duquel pendent des cordes. Il ressemble aussi beaucoup au fouloir de la tombe de Petosiris33 (fig. 10a et 10b), datée du début de l’époque ptolémaïque, et encore très proche des modèles du Nouvel Empire, à la différence près que le fouloir de Plinthine n’est pas muni du déversoir léontocéphale représenté dans la tombe de Pétosiris, qui deviendra la norme aux époques ptolémaïque et romaine34.
Fig. 10a-b. Tombeau de Pétosiris, scène du foulage, vue d’ensemble et détail du transvasement du moût dans les jarres
Ifao, J.-Fr. Gout
- 35 Les vendangeurs devaient certainement se hisser dans la cuve haute en prenant appui sur la cuve ba (...)
- 36 Il n’est pas étonnant que le fouloir de Plinthine ait été couvert : les pressoirs gréco-romains so (...)
- 37 L’utilisation du calcaire à des fins hydrauliques est aussi attestée à Tell el-Dabʿa pour le press (...)
19Tout en se rattachant donc clairement à un type de fouloir développé au Nouvel Empire, notre exemple s’éloigne quelque peu des modèles représentés sur les parois des tombes. Des différences structurelles sont notables, en particulier l’absence de marches35 et l’utilisation d’une voûte nubienne pour couvrir le fouloir36. Par ailleurs, à Plinthine, la cuve de foulage n’est pas décorée, ni encadrée de colonnes, ce qui ne signifie pas toutefois que sa construction soit bâclée : au contraire, la qualité de la taille des blocs de calcaire et la finesse des matériaux utilisés (dalles de calcaire37 et enduit de chaux) indiquent une construction très soignée.
Fig. 11. Matériel représentatif de la première phase de comblement
MFTM, dessins : J. Marchand, M. Pesenti, A. Simony, DAO M. Pesenti
Fig. 12. Matériel égyptien de la deuxième phase de comblement
MFTM, dessins : J. Marchand, M. Pesenti, A. Simony, DAO M. Pesenti
Fig. 13. Principales importations de la deuxième phase de comblement
MFTM, dessins : J. Marchand, M. Pesenti, A. Simony, DAO M. Pesenti
Conclusion : une tradition vinicole millénaire à Plinthine
- 38 Barta 1963, p. 62.
- 39 Meeks 1993, p. 14-15 ; Tallet 1998, p. 201-205.
- 40 Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 19-20, 24.
- 41 Barahona, Pesenti, Redon 2016. Voir aussi l’annexe céramologique infra. La mise en évidence d’une (...)
- 42 Quaegebeur 1990.
20La production de vin de Maréotide est attestée depuis au moins la Ve dynastie38. Au Nouvel Empire, les sources se multiplient39, et nous avions, à l’occasion de la découverte d’une anse timbrée au nom de Merytaton, émis l’hypothèse de l’existence d’une culture de la vigne aux alentours de Kôm el-Nogous dès la XVIIIe dynastie40. La mise au jour du fouloir saïte dans le secteur 6 de Plinthine est la manifestation éclatante que cette production s’est poursuivie au travers des âges. Ainsi aux côtés des crus étrangers importés, dont les traces sont nombreuses dans les contextes saïtes fouillés à Plinthine depuis quatre ans41, et qui ont obtenu la faveur des pharaons saïtes, grands amateurs de vin42, la production locale de Plinthine a dû être suffisamment appréciée pour perdurer au fil des siècles.
- 43 Callot à paraître ; il fait partie d’une petite ferme établie au milieu des vignes datée, sans pl (...)
- 44 Strabon XVII, 1, 14 ; Virgile, Géorgiques II, 91 ; Horace, Odes I, 37, Athénée I, 33d-e. Les sourc (...)
- 45 Rodziewicz 1998 ; Dzierzbicka 2005, p. 11-24, 44-47 sur les fouloirs, Pichot 2012.
- 46 Décobert 2002.
21La continuité de cette production locale est encore attestée quelques siècles plus tard, par la construction du seul pressoir à vin ptolémaïque mis à jour en Égypte jusqu’à présent, au nord de la nécropole hellénistique43. La ville est abandonnée au début de l’époque impériale, mais les vignobles de la région continuèrent de produire un vin renommé et chanté par les poètes44. Les multiples exploitations vinicoles d’époque romaine et byzantine en Maréotide ont laissé des vestiges sur le pourtour du lac45, mais aussi des marques dans le paysage toponymique de la région46.
- 47 Plinthine est située, tout comme Taposiris, sur la ténia, bande rocheuse qui sépare la mer du lac (...)
22Plinthine était donc véritablement une ville de vin, ce qui se manifeste par la tradition mentionnée dans le titre de cet article, remontant à l’historien du ve s. av. J.-C., Hellanicos, qui fait de la ville le lieu d’invention de la culture de la vigne. Parmi les vins cités par Athénée figure d’ailleurs le vin téniotique, qu’il place au premier rang des vins de Maréotide, et dont le vin de Plinthine devait faire partie en son temps47. Si la légende est sans doute trop belle pour être vraie, du moins les vestiges mis au jour sur le site de Kôm el-Nogous et de ses environs invitent-ils à retenir de cette légende que la zone de Plinthine fût, au moins à partir du Nouvel Empire, une zone idéale pour la culture de la vigne ; nul doute que l’arrivée au pouvoir des Lagides puis des Romains favorisa l’explosion de la culture dans la région, telle qu’elle transparaît au travers des innombrables vestiges de villas, fours à amphores et pressoirs qui parsèment la Maréotide. Mais la viniculture dans la région ne s’est assurément pas développée in situ après la conquête d’Alexandre.
23La dernière question soulevée par la découverte du fouloir de Plinthine est relative à la nature de l’exploitation ou au type de production pratiqué à Plinthine à l’époque saïte : sa petite taille et le soin de sa construction sont peut-être un indice d’une production réduite, de grande qualité, au sein d’une riche exploitation ; cela dit, en l’absence de parallèles, ces hypothèses ne pourront être vérifiées que par la poursuite des fouilles.
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Annexe
Annexe céramologique (Mikaël Pesenti)a
La céramique mise au jour dans le comblement de la pièce 611 et dans les niveaux qui la recouvrent est assez riche. Nous présentons ici une étude préliminaire, destinée à donner un aperçu des principaux types rencontrés et une première datation de l’abandon du fouloir.
Deux phases de dépôt semblent se distinguer, entre le comblement qui a suivi l’abandon immédiat de la pièce 611 (US 6068 et 6099), qui contient des témoignages légèrement plus anciens, et le comblement qui a entièrement recouvert la pièce 611, pendant et après que ses parties hautes se soient effondrées (US 6067, 6056, 6050 = 6051 = 6065). Par ailleurs, des recollages entre les US 6056, 6050 = 6051 = 6065 (qui recouvrent la partie effondrée de la voûte) et l’US de surface 6044 suggèrent que le comblement final de la pièce et l’abandon du secteur 6 sont circonscrits dans un laps de temps relativement court.
La phase la plus ancienne (fig. 11) a livré des assiettes (fig. 11, 6068.04, 05, 06) dont le profil rappelle des productions de la fin de la Troisième Période intermédiaire et du début de l’époque saïteb. Les importations sont un peu plus tardives, sans pour autant être de datation très basse : ainsi, la cruche levantine black-on-red est à placer au viie s. av. J.-C. (fig. 11, 6068.12) ; le fond d’amphore de Samos (fig. 11, 6068.01) et la partie supérieure de la jarre phénicienne (fig. 11, 6068.03), plus difficile à dater, pourraient se situer vers la fin du viie s. av. J.-C. Face à la persistance des types céramiques, des assiettes notamment, allié à quelques témoignages plus récents, il semble raisonnable d’envisager une datation de cette première phase vers la fin du viie s. av. J.-C.
Dans les couches de la seconde phase de comblement, le répertoire céramique, pourtant relativement abondantc, ne permet pas, en l’état actuel de nos connaissances, de proposer une datation très précise. Nous nous contenterons, pour le moment, de proposer un intervalle relativement long, allant de la fin du viie s. au début de la première domination perse de l’Égypte.
La céramique égyptienne (fig. 12) semble légèrement postérieure à la majorité des importations et définit la limite basse de notre fourchette chronologique. Les jarres sphériques à cols courts (fig. 12, 6065.25d, 6065.28, 6065.29, 6065.02, 6065.03, 6065.27) se déclinent sous de nombreuses variantes et leur datation reste délicate en raison de la longévité de ce typee. Des exemples de céramiques en pâte alluviale grossière telle que des pithoi (fig. 12, 6056.2a), des bassins (fig. 12, 6065.17), des dokkas (fig. 12, 6056.17) ou encore des jarres de stockages (fig. 12, 6065.30f) sont également présents dans cette deuxième phase de comblement, ainsi que des bols hémisphériques ou jattes (fig. 12, 6065.26g et 6050.11h) et des coupelles (fig. 12, 6051.08i, 6065.04 et 6065.17bis).
Les produits importés (fig. 13) sont principalement représentés par des amphores et de la céramique fine de Grèce. Les arrivages en provenance de Chypre et du Levant sont également présents. Nous en donnons ici une identification sommaire :
- amphores grecques (fig. 13, 6056.1a, 6065.10 et 22, 6065.01, 6050.02 et 6065.16) provenant de Samos (trois premiers quarts du vie s. J.-C.), Milet (seconde moitié du vie s.), Chios (fin du viie-premier quart du vie s.), Lesbos (seconde moitié du vie s.) et d’Attique (seconde moitié du vie s.-premier quart du ve s.) ;
- céramique fine grecque (fig. 13, 6065.24, 6056.19, 6050.01, 6044.03 et 6044.02) : coupe ou cruche du type Hera Mug ?j, Ionie du Sud (première moitié du vie s.), kylix, type à méandre, Grèce de l’Est (fin du viie-première moitié du vie s.), kylix, Ionie du Sud (première moitié du vie s.), coupe ionienne type Vallet-Villard forme A2, Milet (dernier quart du viie-premier quart du vie s.k), kylix, Grèce de l’Est (première moitié du vie s.) ;
- céramique levantine et chypriote : jarre phénicienne, Sagona Type 6/7l (vie-ve s.), pichet, Defernez Type 73m (première moitié du ve s.n), mortier chypriote dont la surface, de couleur beige-jaune à beige-vert, présente sur le bord deux cercles incisés avant cuisson (viie-ve s.)o.
Au vu de ces éléments, il semble que le fouloir de la pièce 611 est abandonné vers la fin du viie s. av. J.-C. et l’ensemble du secteur 6 est délaissé au milieu du ve s. av. J.-C. (comme c’est le cas du reste dans l’ensemble des sondages ouverts à ce jour sur le kôm de Plinthine).
Le comblement de la pièce, à la suite de cet abandon, n’a pas livré de céramique pouvant être rattachée au fonctionnement du fouloir. En outre, aucune forme céramique ne se retrouve surreprésentée dans le corpus. Il faut donc sans doute en conclure que la céramique utilisée lorsque le fouloir était en activité a été récupérée avant son abandon. Notons malgré tout la présence de vaisselle de pierre (fig. 12, 6051.pierre1, pierre2) qui, bien que présente en d’autres endroits du site, pourrait éventuellement avoir joué un rôle dans cette installation.
Notes
1 Hellanicos, apud Athénée I, 34a : ἐν τῇ Πλινθίνῃ πόλει Αἰγύπτου πρώτῃ εὑρεθῆναι τὴν ἄμπελον.
2 Les auteurs remercient S. Dhennin et M.-Fr. Boussac pour leur relecture ; ils sont également très reconnaissants envers P. Tallet, qui leur a fait l’amitié de relire ce texte et leur a permis de consulter sa thèse inédite. Ils remercient enfin C. Larcher d’avoir effectué des recherches dans le fonds d’archives de l’Ifao et de leur avoir permis de faire figurer ici la représentation du tombeau de Pétosiris.
3 Cette mission, dirigée par M.-Fr. Boussac (université Paris Ouest-Nanterre) et soutenue par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international et l’Ifao, mène ses travaux dans le cadre d’un accord avec le ministère des Antiquités égyptien. Sur les travaux récents, voir les rapports annuels (Boussac et al. 2012 ; Boussac et al. 2013 ; Boussac et al. 2014 ; Boussac et al. 2015 ; Boussac et al. 2016), ainsi que le carnet de recherche <www.taposiris.hypotheses.org>.
4 Malgré des incertitudes sur l’identification du site antique, en l’absence de document écrit découvert in situ, il est très vraisemblable que le Kôm el-Nogous et ses environs abritent l’ancienne Plinthine des sources grecques : Boussac 2013. Quant au nom égyptien de la ville, il nous échappe pour le moment : Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 22-24.
5 Pour une première présentation des vestiges du kôm de Plinthine, cf. Dhennin, Redon 2014 ; Boussac 2015, p. 190-196.
6 Barahona, Pesenti, Redon 2016.
7 Boussac et al. 2016, p. 206-210.
8 Boussac, Dhennin, Redon 2015.
9 Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 19-20.
10 Baum 1988, p. 136. L’adaptation de la vigne intervient au début de Nagada III (Hendrickx, Bavay 2002, p. 70).
11 Voir en dernier lieu l’aperçu archéologique de Pichot 2012 et la conclusion de cet article.
12 Boussac et al. 2015, p. 208.
13 Dans les autres contextes saïtes fouillés par l’équipe, il n’est pas rare que seuls les fondations et le soubassement des murs soient faits de blocs et de terre mêlés, tandis que le reste de l’élévation est en briques crues.
14 Si l’on considère que les voûtes nubiennes ont un profil en chaînette, il est difficile, voire impossible, de restituer la hauteur précise de l’intrados, tant la construction de ces profils est aléatoire. On peut cependant affirmer sans risque d’erreur qu’elle est approximativement égale à la moitié de la portée à couvrir, ici 3,20 m.
15 Il est assuré que les murs et la voûte ont été construits dans un deuxième temps, car la voûte VTE 602 et ses piédroits s’appuient contre l’enduit de chaux des murs MR 617 et MR 618.
16 Même remarque que dans la n. 14.
17 La bonne préservation de ces vestiges n’a pas permis de pratiquer de sondage dans la plate-forme elle-même, il est donc impossible de se prononcer de façon définitive quant au remplissage de ce soubassement. Cependant, on observe un fort tassement des dalles centrales du dallage, alors que les dalles latérales, reposant sur les carreaux de calcaire périphériques, sont restées en place. Il est donc probable que l’intérieur du soubassement était constitué de remblais peu denses (fig. 6, no 3) qui se sont tassés avec le temps.
18 La cuve s’est un peu enfoncée dans le sol, de sorte que le sol de la pièce 611 et le fond de la cuve sont sensiblement au même niveau.
19 C’est une contenance assez modeste, comparée, par exemple, à celle des recettes des pressoirs nubiens d’époque romaine (de 18 à 56 hl : Adams 1966, p. 264-265). Les cuves des pressoirs romano-byzantins de Maréotide pouvaient recevoir de 20 à 50 hl (Rodziewicz 1998), la plus grande contenant jusqu’à 350 hl (Grossmann, Arnold, Kościuk 1997, p. 87, n. 9).
20 Bietak 1985.
21 Brun 2004, p. 66.
22 Brun 2004, p. 64-66. Ce n’est qu’à l’époque gréco-romaine que de vraies cuves de fermentation sont construites à côté des fouloirs (qui sont équipés d’un petit pressoir dans l’un de leurs angles).
23 Tallet 1998, p. 415.
24 Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 19-20, fig. 2a.
25 Tallet 1998, p. 436.
26 Lerstrup 1992, p. 81.
27 Meeks 1993, p. 21-22.
28 Tallet 1998, p. 418.
29 C’est le seul type décrit par Brun 2004, p. 66-67.
30 Les trois seules scènes de foulage datant de l’époque saïte figurent des cuves assez plates, sans déversoir, identiques aux cuves antérieures à la XVIIIe dynastie. Sans doute faut-il y voir ici la volonté d’imiter les réalisations du passé, sans souci de représenter le réel qui a inspiré les artistes du renouveau saïte : Tallet 1998, p. 419.
31 Säve-Soderbergh 1957, p. 11-21.
32 Davies 1917, pl. XXIIIB, XXVI, partie basse de la paroi nord-ouest, salle transversale.
33 Cherpion, Gout, Cortegianni 2007, scène 56b.
34 Meeks 1993, p. 22, Rodziewicz 1998.
35 Les vendangeurs devaient certainement se hisser dans la cuve haute en prenant appui sur la cuve basse, à moins qu’ils n’aient disposé d’une échelle de bois.
36 Il n’est pas étonnant que le fouloir de Plinthine ait été couvert : les pressoirs gréco-romains sont systématiquement couverts et il en est sans doute de même des pressoirs pharaoniques. Il s’agissait d’éviter d’accélérer la fermentation. Ces couvertures pouvaient éventuellement être provisoires et amovibles (draps, nattes).
37 L’utilisation du calcaire à des fins hydrauliques est aussi attestée à Tell el-Dabʿa pour le pressoir (Bietak 1985), mais aussi dans des salles de bains identifiées au cœur de quelques riches demeures, palais et temples d’époque pharaonique, ainsi dans le palais dit d’Apriès (Petrie 1909, p. 2, pl. XIII).
38 Barta 1963, p. 62.
39 Meeks 1993, p. 14-15 ; Tallet 1998, p. 201-205.
40 Boussac, Dhennin, Redon 2015, p. 19-20, 24.
41 Barahona, Pesenti, Redon 2016. Voir aussi l’annexe céramologique infra. La mise en évidence d’une production locale de vin à Plinthine prouve, s’il en était besoin, que les arrivages de vins méditerranéens, par ailleurs nombreux sur le site, ne répondent pas à une absence de production égyptienne.
42 Quaegebeur 1990.
43 Callot à paraître ; il fait partie d’une petite ferme établie au milieu des vignes datée, sans plus de précision, de l’époque hellénistique. Il est évident que l’activité viticole de l’Égypte ne s’est pas ralentie à l’époque ptolémaïque, ainsi que le prouvent les très nombreuses références dans les papyrus de cette période. J.-P. Brun (Brun 2004, p. 153-156) signale cette absence de documentation archéologique et mentionne simplement un déversoir de fouloir à vin trouvé à Karnak et datable des iie-ier s. av. J.-C.
44 Strabon XVII, 1, 14 ; Virgile, Géorgiques II, 91 ; Horace, Odes I, 37, Athénée I, 33d-e. Les sources littéraires sont rassemblées et commentées par B. Laudenbach, éd. et trad., Strabon, Géographie, livre XVII, Paris, 2015, n. 23-17, I, 14.
45 Rodziewicz 1998 ; Dzierzbicka 2005, p. 11-24, 44-47 sur les fouloirs, Pichot 2012.
46 Décobert 2002.
47 Plinthine est située, tout comme Taposiris, sur la ténia, bande rocheuse qui sépare la mer du lac Maréotis, qui a donné son nom, dit Athénée, au vin téniotique (Athénée I, 33d).
a Nous tenons à remercier A. Simony et J. Marchand qui nous ont aidé à documenter la céramique présentée ici lors de la campagne de terrain. L’ensemble des dossiers céramiques de la Mission française de Taposiris Magna est coordonné par Z. Barahona-Mendieta, que nous remercions pour sa relecture.
b Barahona, Pesenti, Redon 2016, Groupe 2.
c Sur l’ensemble des US 6044, 6050, 6051, 6056, 6067 correspondant au recouvrement définitif de la pièce 611, nous dénombrons plus de deux cents individus céramiques.
d Proche de l’exemplaire de Tell el-Iswid dans un contexte saïte (Marchand 2014, p. 175, fig. 47).
e Pour une étude chrono-typologique, voir Defernez 2001, (phase 6) p. 130-142, pl. XX, XXI ; (phase VB) p. 237-242, pl. XLIX, L ; (phase V) p. 320-328, pl. LXXI. Ces jarres ou pots de cuisson perdurent dans des formes proches jusqu’au IIIe s. av. J.-C. (Marchand 2013, fig. 12).
f Ce type de jarre de stockage pourrait dater, par parallélisme avec un exemplaire de Bouto (French 2007, fig. 20, no 2), de la période saïte.
g Pour un parallèle proche à Saqqara, voir Aston, Aston 2010, pl. 10, no 71 (avec inscription) dans un contexte daté de 550-400 av. J.-C.
h Cet individu correspond au type 22a de C. Defernez et est attesté entre la seconde moitié du vie et le milieu du ve s. av. J.-C. (Defernez 2001, p. 62-76, pl. VII).
i Cette coupe en pâte fine trouve de bons parallèles à Tell Dafana (Leclère, Spencer 2014, p. 100, pl. 31, no 23692 et 23693).
j Proche de Schlotzhauer, Villing 2006, p. 59, fig. 14-16.
k Schlotzhauer, Villing 2006, p. 61, fig. 27.
l Sagona 1982, p. 80-85.
m Defernez 2001, p. 156-157, pl. XXVII, no 73.
n Notons que cette pâte ici supposée chypriote présente des affinités avec quelques productions de Maréotide.
o Ces deux cercles n’ont pour l’heure, pas d’équivalent. On connait les nombreux exemples d’inscriptions sur mortier chypriote (Villing 2006, p. 31-46), mais il s’agit plus probablement ici d’un test de séchage avant cuisson. Un parallèle partageant la même morphologie provient d’Ascalon dans des contextes de la fin du viie s. av. J.-C. (Stager,Master, Schloen 2011, p. 112-113, fig. 7.51). Ce type de mortier-cuvette ou bol perse est attesté également dans des contextes du ve-ive s. av. J.-C. (Defernez 2001, p. 402-411).
Table des illustrations
Titre | Fig. 1. Plan du kôm de Plinthine après la campagne 2016 |
Crédits | MFTM, relevés M. Vanpeene, Th. Fournet, DAO M. Vanpeene |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-1.JPG |
Fichier | image/jpeg, 101k |
Titre | Fig. 2. Plan du secteur 6 après la campagne 2016 |
Crédits | MFTM, relevés et DAO M. Vanpeene |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-2.JPG |
Fichier | image/jpeg, 80k |
Titre | Fig. 3. Plan et coupes de la pièce 611 |
Crédits | MFTM, relevés et DAO M. Vanpeene |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-3.JPG |
Fichier | image/jpeg, 88k |
Titre | Fig. 4. La pièce 611 et son fouloir, vers le nord |
Crédits | Ifao, G. Pollin |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-4.JPG |
Fichier | image/jpeg, 99k |
Titre | Fig. 5. Axonométrie de la pièce 611 et du fouloir |
Crédits | MFTM, M. Vanpeene |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-5.JPG |
Fichier | image/jpeg, 71k |
Titre | Fig. 6. Vue de détail du fouloir et de sa voûte, vers le nord |
Crédits | Ifao, G. Pollin |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-6.JPG |
Fichier | image/jpeg, 142k |
Titre | Fig. 7. Vue de détail sur le fouloir et son enduit, vers l’ouest |
Crédits | Ifao, G. Pollin |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-7.JPG |
Fichier | image/jpeg, 179k |
Titre | Fig. 8. Coupe stratigraphique de la pièce 611, vers le sud |
Crédits | MFTM, relevés B. Redon, M. Vanpeene, DAO M. Vanpeene |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-8.JPG |
Fichier | image/jpeg, 76k |
Titre | Fig. 9. Tombeau de Nakht, partie basse de la paroi nord-ouest, salle transversale : scène de foulage (d’après Davies 1917, pl. 26) |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-9.JPG |
Fichier | image/jpeg, 189k |
Titre | Fig. 10a-b. Tombeau de Pétosiris, scène du foulage, vue d’ensemble et détail du transvasement du moût dans les jarres |
Crédits | Ifao, J.-Fr. Gout |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-10.png |
Fichier | image/png, 3,2M |
Titre | Fig. 11. Matériel représentatif de la première phase de comblement |
Crédits | MFTM, dessins : J. Marchand, M. Pesenti, A. Simony, DAO M. Pesenti |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-11.JPG |
Fichier | image/jpeg, 35k |
Titre | Fig. 12. Matériel égyptien de la deuxième phase de comblement |
Crédits | MFTM, dessins : J. Marchand, M. Pesenti, A. Simony, DAO M. Pesenti |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-12.JPG |
Fichier | image/jpeg, 50k |
Titre | Fig. 13. Principales importations de la deuxième phase de comblement |
Crédits | MFTM, dessins : J. Marchand, M. Pesenti, A. Simony, DAO M. Pesenti |
URL | http://journals.openedition.org/bifao/docannexe/image/440/img-13.JPG |
Fichier | image/jpeg, 42k |
Pour citer cet article
Référence papier
Bérangère Redon, Matthieu Vanpeene et Mikaël Pesenti, « « La vigne a été inventée dans la ville égyptienne de Plinthine ». À propos de la découverte d’un fouloir saïte à Kôm el-Nogous (Maréotide) », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO), 116 | 2017, 303-323.
Référence électronique
Bérangère Redon, Matthieu Vanpeene et Mikaël Pesenti, « « La vigne a été inventée dans la ville égyptienne de Plinthine ». À propos de la découverte d’un fouloir saïte à Kôm el-Nogous (Maréotide) », Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO) [En ligne], 116 | 2017, mis en ligne le 04 décembre 2018, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/bifao/440 ; DOI : https://doi.org/10.4000/bifao.440
Auteurs
Bérangère Redon
Articles du même auteur
- Paru dans Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO), 124 | 2024
- Paru dans Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO), 123 | 2023
Matthieu Vanpeene
Articles du même auteur
- Les thermes byzantins de Taposiris Magna
Paru dans Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO), 119 | 2019
Mikaël Pesenti
Articles du même auteur
- Paru dans Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale (BIFAO), 123 | 2023
Droits d’auteur
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