La Cochrane Collaboration à 10 ans : réalisations et défis (original) (raw)

Éditorial

CMAJ September 28, 2004 171 (7) 703; DOI: https://doi.org/10.1503/cmaj.1041478

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La logique de la Cochrane Collaboration demeure inattaquable. Aucune personne ni aucun groupe ne peuvent à eux seuls suivre les milliers d'études randomisées paraissent dans les publications médicales chaque année. L'origine de la Collaboration remonte à la fin des années 1980, lorsque Iain Chalmers, Murray Enkin et Marc Keirse ont compilé systématiquement toutes les ECR en périnatalité1. Grâce à sa vision et à sa détermination, Chalmers a fait de la Collaboration (qui porte le nom d'Archie Cochrane, médecin épidémiologiste britannique) une entreprise internationale visant à créer des compendiums semblables dans tous les domaines des soins cliniques. Les bases de données Cochrane contiennent maintenant plus de 2000 analyses systématiques2.

Les analyses systématiques Cochrane ont pris une croissance exponentielle et portent maintenant sur un éventail sans cesse croissant de sujets. Aujourd'hui, une extraordinaire diversité d'utilisateurs consulte la base de données et la Cochrane Library constitue un élément essentiel de moyens de référence de tout organisme ou groupe intéressé à rédiger des guides de pratique ou à évaluer une technologie de la santé. La question ne consiste donc pas à déterminer si la Cochrane Collaboration est un succès et s'il faut la maintenir. La réponse est un oui retentissant. Il serait plutôt préférable de poser les questions suivantes : Est-il possible de l'améliorer? Suffit-elle? Que faut-il faire de plus?

Dans ce numéro (voir page 747), Jeremy Grimshaw présente un bilan des dix premières années de la Collaboration et décrit des améliorations possibles, par exemple une réponse plus rapide aux besoins en données probantes des stratèges politiques, l'amélioration de la qualité des analyses et de leur convivialité3. Il y a aussi des lacunes. Cochrane lui-même a signalé les difficultés que posent la réalisation d'études dans des domaines où la pratique clinique est bien établie (il a signalé en particulier le dépistage du cancer du col), et l'évaluation des résultats qui se prêtent à une description uniquement subjective (dépression, qualité de vie). Plus récemment, David Naylor écrivait que même si «beaucoup de traitements sont vraiment efficaces, et si certaines maladies se résorbent sans égard au traitement», il existe aussi des «zones grises» de pratique, comme lorsque les patients se présentent en se plaignant de «fatigue, d'épisodes bizarres non diagnostiquables ou de vagues douleurs passagères», cas où une simple «dose de médecin» est bénéfique. Il a signalé aussi l'importance de nouveaux domaines à mesure que la science pénètre rapidement dans la pratique avec la médecine génomique et moléculaire, et de nouvelles technologies de diagnostic et de traitement qui évoluent plus rapidement qu'il est possible de les évaluer4. Par exemple, alors que la valeur de la mammographie de dépistage est de plus en plus incertaine5, le dépistage du cancer du sein par IRM en est déjà aux études cliniques. La Collaboration peut-elle suivre? Peut-elle procéder à des évaluations préliminaires de domaines en évolution rapide où les études d'envergure sont souvent rares, voire inexistantes? Devrait-elle le faire?

La tyrannie des résultats, qui se traduit en manipulation post-hoc d'objectifs primaires a priori afin de produire de meilleurs «résultats», constitue un autre défi pour les méthodologistes de Cochrane. Dans ce numéro, Chan et ses collaborateurs6 (voir page 735) montrent qu'un pourcentage important des ECR subventionnées par les Instituts de recherche en santé du Canada publient des résultats autres que ceux que visaient à produire les études. À l'avenir, il faudrait nous attendre à ce que les auteurs d'analyses systématiques (et les rédacteurs en chef de journaux) analysent les études en regard de leurs protocoles lorsqu'ils produisent des résumés et les révisent, tâche que l'adoption de registres publics d'études cliniques pourrait rendre plus facile.

Et comme dernier défi? Si Archie Cochrane pouvait rédiger ce paragraphe, quel conseil pourrait-il offrir à la Collaboration? Dans une postface publiée dans l'édition de 1989 de son texte fondateur Effectiveness and efficiency (1971)7, Cochrane regrettait d'avoir négligé d'aborder la question de la qualité des soins. Il décrivait ensuite l'expérience qu'il avait vécue comme prisonnier de guerre :

J'ai dû faire face à un problème médical horrible. J'avais un jeune patient prisonnier de guerre soviétique à l'agonie qui souffrait énormément. Il faisait un bruit effrayant dans une grande salle. Je n'avais ni médicaments, ni salle auxiliaire. Personne ne parlait le russe. En désespoir de cause et purement par instinct, je me suis assis sur son lit et je l'ai pris dans mes bras. L'effet a été presque magique; il s'est calmé sur-le-champ et est mort paisiblement quelques heures plus tard. J'étais encore avec lui, à moitié endormi et très engourdi. Je crois que mon intervention personnelle m'a permis d'améliorer la qualité des soins de façon spectaculaire en l'occurrence et je sais que j'ai agi par instinct et non par raison7.

Cela fait partie de la zone grise Naylor, vaste élément important de bons soins médicaux. En s'en tenant à ce qui est facile à mesurer, la Collaboration rate-t-elle d'autres éléments qui importent pour les patients et les stratèges politiques? — JAMC

References

  1. 1.
    Chalmers I, Enkin M, Keirse MJNC. Effective care in pregnancy and childbirth. Vol. 1. New York: Oxford University Press; 1989.
  2. 2.
    The Cochrane Library; Issue 3. Chichester (UK). John Wiley and Sons; 2004.
  3. 3.
    Grimshaw J. So what has the Cochrane Collaboration ever done for us? A report card on the first 10 years. CMAJ 2004;171(7):747-9.
  4. 4.
    Naylor CD. Grey zones of clinical practice: some limits to evidence-based medicine. Lancet 1995;345:840-2.
  5. 5.
    Horton R. Screening mammography: an overview revisited. Lancet 2001;358:1284-5.
  6. 6.
    Chan AW, Krleža-Jerić K, Schmid I, Altman DG. Outcome reporting bias in randomized trials funded by the Canadian Institutes of Health Research. CMAJ 2004;171(7):735-40.
  7. 7.
    Cochrane A. Effectiveness and efficiency: random reflections on health services. London: British Medical Journal and Nuffield Provincial Hospitals Trust, 1989, p. 94-5.