Signer l'ellipse ou le cercle et son double (original) (raw)
Michael Issacharoff, University of Western Ontario
SIGNER L'ELLIPSE OU
LE CERCLE ET SON DOUBLE
II existe une catégorie narrative de récits-ellipses, textes indécidables — on en parle trop peu — dont l'objectif premier consiste non à susciter une interprétation, cohérente, stable, univoque, mais tout au contraire, à déstabiliser la fonction herméneutique en la bloquant délibérément. Opposer des obstacles au décodage : rien n'est plus simple. Il suffit de brouiller les pistes en introduisant des éléments contradictoires ou incompatibles, afin de tromper l'attente du lecteur en quête d'une cohérence virtuelle ou apparente de l'univers représenté. Il suffit, autre solution adoptée à cette fin, de privilégier les aspects ou les motifs de circularité ou de spécularité d'un texte pour empêcher qu'il renvoie à ce qui lui est extérieur, à savoir à un réfèrent extratextuel quelconque, imaginaire ou historique. L'effet circulaire ou spéculaire découlant de réitérations narratives ou thématiques a tendance à bloquer la fonction référentielle du récit. Les reprises ou réitérations textuelles — Robbe-Grillet l'a montré dans La Chambre secrète 1 — compromettent le hors-texte qui se laisse déplacer par les spirales d'une narration narcissique. Ce n'est donc pas par hasard que le texte de Robbe-Grillet privilégie le champ sémantique du circulaire et un lexique à signaux autoréférentiels comprenant des termes tels que demi-globe, rondeur, volutes, mouvement d'hélice, rotation, bracelet de fer, renflement circulaire, anneau, etc. Qui plus est, ce « récit » s'inscrit entre un faux déictique inaugural, non ancré référentiellement (D'abord) et un mot clôturant le texte (toile) qui déstabilise toute narrativité qui précède.
Si la répétition 2 est source de création littéraire, elle possède aussi une fonction déstabilisatrice (dispositif caractéristique du discours dadaïste et absurdiste). En revanche, tout récit dépend de la répétition stable de certains éléments, dont en particulier la nomination. Tout comme dans Genèse, le narrateur, dès les phrases liminaires d'un récit, ayant assumé le rôle divin, créateur, nomme, c'est-à-dire fixe une fois pour toutes l'identité des êtres et des choses. D'où la transgression de cette règle fondamentale par l'auteur de La Cantatrice chauve, par exemple, dans l'anecdote sur Bobby Watson, personnage logiquement inconcevable, impossible, dans la mesure où il est censé être simultanément mort et vivant, homme et femme, beau et laid 3. D'où, parallèlement, la nomination parodique (sémantiquement arbitraire) dans Comme il fait beau de Breton, Desnos et Perret : « Au commencement la
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