L'IMEC, un lieu pour l'histoire (original) (raw)

1Un soir du mois de juin dernier, près de Caen, à l’abbaye d’Ardenne, un historien célèbre donne une conférence sur la guerre d’Algérie. Le public est venu nombreux, mû par des motivations diverses : professeurs, étudiants, amateurs d’histoire, anciens appelés, militants associatifs. L’attention est vive et, comme souvent dans cette région marquée par la guerre, l’écoute est particulièrement intense. Au moment du débarquement de juin 1944, l’abbaye fut le lieu d’une terrible bataille. Le site fondé au XIIe siècle par les Prémontrés fut ravagé. L’abbatiale s’effondra quelques années après, à la suite des bombardements. L’édifice qui s’élève aujourd’hui a été entièrement restauré et reconstruit pour y installer la bibliothèque de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). Lieu de mémoire, l’abbaye d’Ardenne devenait ainsi un lieu pour chercher, créer, écrire et – ce qui nous retiendra particulièrement ici – faire de l’histoire.

Itinéraire d’une singularité

2L’Institut mémoires de l’édition contemporaine a été fondé il y a vingt-quatre ans, en septembre 1988 par l’actuel directeur Olivier Corpet, homme de revue et sociologue, en compagnie d’un littéraire, Jean-Pierre Dauphin, et d’un historien, Pascal Fouché. À l’origine, il s’agit d’un alliage entre la Bibliothèque de littérature française contemporaine créée en avril 1977 et de l’association Ent’revues fondée en février 1986. L’objet de l’Institut est d’abord de « reconstituer, développer et mettre en valeur le patrimoine des maisons d’édition et des revues de l’époque contemporaine ». Le premier conseil d’administration a lieu dans les locaux du Centre national du Livre (CNL). Il rassemble des personnalités comme Jean Gattégno, alors directeur du Livre et de la Lecture au ministère de la Culture, Véronique Chatenay-Dolto alors au CNL, les éditeurs Christian Bourgois, Claude Durand, Antoine Gallimard ou l’historien Roger Chartier.

3Au départ, les locaux de l’IMEC se trouvent au 54, boulevard Raspail, dans un bureau de la Maison des sciences de l’homme. L’inauguration officielle a lieu le 20 octobre 1989 dans le cadre de « La fureur de lire ». Très vite, l’Institut se développe et connaît un succès indéniable. Aux archives d’éditeurs et de revues, viennent s’adjoindre les fonds d’auteurs – archives privées. Les écrivains posent leur marque et apportent leur aura. Avec les archives de Jean Genet, Louis-Ferdinand Céline, Michel Deguy, Marguerite Duras, Irène Némirovsky, Alain Robbe-Grillet ou Kateb Yacine, l’IMEC se positionne rapidement comme une importante institution d’archives littéraires. Cependant, les sciences humaines et sociales sont présentes dès le début de l’aventure. L’un des tout premiers fonds confiés est celui d’Henri Berr, ami de Lucien Febvre et de Marc Bloch, fondateur de La Revue de synthèse et de la collection « L’évolution de l’humanité ». L’un des moments forts des premières années de l’IMEC provient d’ailleurs d’un fonds de Sciences humaines, celui de Louis Althusser. C’est en effet Olivier Corpet qui découvre dans les papiers laissés par Louis Althusser après sa mort le manuscrit de L’Avenir dure longtemps, l’autobiographie du professeur de l’ENS. Au cœur de ce que Vincent Duclert appelle le « Moment “archives” des chercheurs [ 1 ] », l’IMEC apporte sa contribution en montrant l’importance de l’archive et de « l’épanouissement posthume [ 2 ] » de l’œuvre d’un auteur. Depuis vingt ans, l’IMEC a pris une part active, parfois déterminante, dans les évolutions de la recherche en sciences humaines et sociales. L’institut a largement participé au déblocage de la recherche sur les fonds privés, contribuant à rendre possible une approche des archives jusqu’alors inédite. De nombreux séminaires, colloques et publications témoignent de cette fécondité scientifique. Car l’IMEC n’a jamais été un simple lieu de stockage et de traitement des vestiges de la vie intellectuelle contemporaine. Cette « Fabrique des archives » est aussi un lieu de fabrique des sciences humaines et sociales. En l’espace de deux décennies, plus de cent fonds d’auteurs de sciences humaines sociales ont été rassemblés. Chaque fonds est là pour apporter des matériaux à la recherche, pour éclairer les débats contemporains et permettre à notre société de mieux se connaître.

4Quelques mois après sa création, l’IMEC manquait déjà de place. Inconvénient du succès : l’institut parisien déménageait régulièrement. En avril 1989, la petite équipe s’installe rue de Lille dans un local pouvant accueillir 1 000 mètres linéaires. Moins de deux ans plus tard, en décembre 1990, les locaux sont saturés. Les besoins en capacité de conservation correspondent à plus de 6 000 mètres linéaires. Comme la plupart des instituts d’archives, le nouveau venu doit louer un lieu de réserve dans la banlieue parisienne, à Melun, pour résoudre son problème de saturation. Solution temporaire. Les bureaux de l’IMEC sont installés rue Bleue, dans le IXe arrondissement. Les archives affluent, la réputation de l’IMEC ne cesse de croître, la question de la place et du stockage devient urgente.

5L’année 1995 marque un tournant. Christian Bourgois devient président de l’IMEC. Il succède à Claude Durand et Antoine Gallimard. Cette année-là voit naître l’idée d’installer les collections de l’IMEC en Normandie, à l’abbaye d’Ardenne, sur la commune de Saint-Germain-la-Blanche-Herbe. Une rencontre est à l’origine de ce rare exemple de décentralisation d’un établissement culturel : celle du directeur de l’IMEC et du président du Conseil régional de Basse-Normandie. Le premier cherchait un lieu où installer ses collections. Pour le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre, Olivier Corpet participe à un colloque organisé à Caen. Dans la salle, se trouve René Garrec, le président de la Région Basse-Normandie. Lui ne manque pas d’espace, au contraire : il a en charge un lieu pour lequel il cherche un projet. En 1992, le conseil régional de Basse-Normandie avait fait l’acquisition de l’abbaye d’Ardenne. Sous la responsabilité de Bruno Decaris, une première phase de travaux avait été lancée pour accueillir une université franco-américaine. Pour le campus, une partie des bâtiments de l’abbaye d’Ardenne avaient été restaurée. Mais le projet échoua rapidement. En 1995, René Garrec propose à Olivier Corpet de venir s’y installer. Quelques mois après, il lui remet officiellement les clefs de l’abbaye : une nouvelle tranche de travaux est programmée. Après une campagne de fouilles archéologiques, le chantier démarre début 2000 et s’achève en 2004. Le 25 octobre, les premiers chercheurs s’installent dans la nouvelle salle de lecture. Celle-ci offre en accès libre les bibliothèques d’études correspondant au fonds d’archives ainsi qu’une riche bibliothèque de revues de tous sujets et de toutes époques. Tout au long de sa jeune histoire, du bureau de la Maison des sciences de l’homme à l’abbaye d’Ardenne, l’IMEC a constitué une collection originale et cohérente permettant d’étudier, de connaître et de redécouvrir l’activité intellectuelle, artistique et littéraire de l’époque contemporaine. Rendant hommage à Christian Bourgois, Jack Lang avait proclamé haut et fort son attachement au travail accompli à l’abbaye d’Ardenne. Présidé depuis 2008 par l’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, l’IMEC poursuit son chemin singulier.

Des sources pour l’histoire culturelle et intellectuelle du contemporain

6Naturellement, il est impossible ici de présenter de façon complète les fonds présents à l’IMEC – y compris en se cantonnant au domaine des sciences humaines et sociales. Les collections de l’IMEC se répartissent en quatre grands ensembles : fonds d’auteurs, d’éditeurs et métiers du livre, d’institutions et d’associations, de revues et de presse enfin [ 3 ]. Nous pointerons simplement les grands axes de recherche ainsi que les fonds d’archives qui ont fourni, fournissent ou fourniront bientôt des sources pour les historiens.

Histoire de l’édition, du livre et des revues

7Fondé en premier lieu pour sauvegarder la mémoire du patrimoine des maisons d’édition, l’IMEC rassemble plus de quatre-vingt fonds d’éditeurs et constitue donc une mine pour faire l’histoire des maisons d’édition, des éditeurs et des métiers du livre. De nombreuses recherches ont ainsi pu être menées à bien, nourrissant le grand mouvement de défrichage, de constitution de corpus, d’analyse et d’interprétation. L’histoire de l’édition s’affirme au cours des années 1990 et poursuit depuis son cheminement, comme en témoigne la récente parution du livre de Jean-Yves Mollier et de Bruno Dubot sur la Librairie Larousse [ 4 ]. Dès sa fondation, l’IMEC agit comme un catalyseur et un accélérateur des recherches sur le domaine. En 1991, paraissait le premier numéro d’un Bulletin international d'information sur l'histoire du livre et de l'édition, publié à l’initiative du Réseau international sur l'histoire du livre et de l'édition dont l’IMEC était partie prenante [ 5 ]. Parallèlement, un séminaire sur l’« histoire de l’édition contemporaine » est co-organisé avec l’École des hautes études en sciences sociales. Preuve de la fécondité de ce nouveau champ d’étude, en vingt ans paraît une série d’études monographiques consacrées à des maisons d’édition. Elles sont souvent issues de thèses et, parfois, publiées par l’IMEC lui-même. C’est par exemple le cas pour Flammarion, Minuit, Le Sagittaire, Le Seuil [ 6 ]… Récemment, l’IMEC a recueilli huit entretiens avec de grandes figures de l’édition française témoignant sur leur parcours et la vision de leur métier [ 7 ]. Dès le début, se manifeste le souci de vulgarisation de la recherche scientifique. Il s’agit de sensibiliser le grand public cultivé à l’intérêt du patrimoine éditorial. Évidente aujourd’hui, la valeur de la chose imprimée contemporaine l’était beaucoup moins il y a trente ans. Les expositions constituent alors le moyen le plus efficace de ce travail de diffusion et de sensibilisation. Ces manifestations accompagnées d’un catalogue permettent souvent de faire le point de la recherche et marquent un moment important. Dans différentes villes et à différentes échelles, occasion fut donnée de montrer au public, en les remettant dans leur contexte, les archives des éditions Au Sans pareil, Bourgois, Mame, Privat, Le Seuil ou les Trois collines. Des expositions plus thématiques rassemblent aussi des éléments intéressant des catégories professionnelles variées, à l’image de la récente exposition « Éditeurs, Les lois du métier » qui explore les relations entre le monde de l’édition, les normes sociales et la sphère juridique [ 8 ]. Les archives des maisons d’édition constituent ainsi des sources pour la recherche savante et pour la vie intellectuelle contemporaine.

8Au-delà des maisons d’édition, l’IMEC interroge plus largement les métiers du livre en s’intéressant aussi aux typographes, à la librairie, à l’histoire et aux pratiques de la lecture. La collection conserve par exemple les archives des typographes Pierre Faucheux ou Maximilien Vox, ou encore celles du Cercle de la librairie et du Club des libraires français [ 9 ]. Une série de colloques et de publications trouvent leurs sources dans les collections conservées à l’abbaye d’Ardenne. Les fonds de maisons d’édition croisent alors ceux d’institution et d’auteurs. Un bon exemple est fourni par l’ouvrage publié à l’occasion des vingt-cinq ans de la loi sur le prix unique du livre. En ayant principalement recours aux archives de Jack Lang, le volume offre une sélection de documents, d’interventions de témoins, d’analyses d’historiens sur cet événement croisant perspectives politiques, économiques, culturelles et générationnelles [ 10 ].

9Les collections de l’IMEC constituent enfin une source importante, pour ne pas dire majeure, pour l’histoire des revues. On a vu l’importance, à l’origine, de l’association Ent’revues et de La Revue des revues dont l’objectif est de suivre l’actualité de la recherche et de la création de cet écosystème spécifique de la vie éditoriale et intellectuelle. Concrètement, pour le chercheur et le lecteur, cela se marque de deux façons. Les archives que les revues ont confié à l’IMEC d’une part. On en dénombre environ vingt-cinq, parmi lesquelles Confluences, Critique, Esprit, Fontaine, La Revue des deux mondes, La Revue de synthèse, Socialisme ou barbarie, Tel Quel, Vingtième Siècle [ 11 ]. C’est dans les fonds Esprit, Emmanuel Mounier, et des éditions du Seuil que Goulven Boudic a puisé les matériaux nécessaires à sa thèse consacrée au destin de la revue personnaliste de 1944 à 1982 [ 12 ]. D’autre part, l’abbaye d’Ardenne conserve une immense bibliothèque de revues dont une partie est directement en accès libre dans la salle de lecture – du fanzine poétique à la revue sur papier glacé, des grandes revues centenaires aux modestes et brèves aventures [ 13 ]. Récemment, l’IMEC a reçu la collection Vasseur-Ardouvin, ensemble exceptionnel de près de sept cent cinquante revues des XIXe et XXe siècles. L’histoire des revues a de beaux jours devant elle.

Moments, lieux et figures

10Dans le processus de « poldérisation » qu’opère, pour reprendre les termes de Jean-François Sirinelli, l’histoire contemporaine, l’identification de moments joue un rôle capital. Les années noires de l’Occupation qui ont longtemps été le point obscur de la mémoire française, un « passé qui ne passe pas », suscitent recherches, débats, polémiques. L’IMEC n’a cessé de creuser la question, d’interroger ce moment, d’accumuler un nombre croissant de documents. Ainsi, en 2004, une première exposition présentait un ensemble important d’archives sur les écrivains pendant la guerre. Sept ans après, sous la direction d’Olivier Corpet, Claire Paulhan et Robert Paxton, une exposition encore plus vaste et fouillée présentait un panorama approfondi et complet des écrivains, éditeurs et intellectuels durant cette période. L’épais catalogue reproduisant les documents connaît un vrai succès de librairie et diffuse dans le public les résultats de la recherche [ 14 ]. Il contribue ainsi à expliquer la complexité du désastre. Auparavant, l’IMEC avait accueilli le colloque « Culture, presse et entreprises sous l’Occupation » organisé par le Groupement de recherche du CNRS sur « Les entreprises françaises sous l’Occupation » [ 15 ]. Cette volonté d’éclairer des moments de l’histoire se manifeste avec plus de force encore dans l’actuelle exposition consacrée aux engagements des intellectuels dans la guerre d’Algérie. Pour la première fois, à partir des fonds de l’IMEC et de collections privées, l’ensemble des positions est représentée, des partisans de l’indépendance aux ultras de l’Algérie française, en passant par les principales nuances des différentes sensibilités [ 16 ]. Le moment Mai 68 fut aussi l’occasion d’une réflexion sur le rôle des revues et des écrivains. C’est là l’une des grandes richesses de l’IMEC : avoir constitué un ensemble d’archives permettant des liens et des croisements, des coupes transversales et des vues d’ensemble d’une époque. À travers les fonds se retrouvent amis et adversaires, revues et éditeurs aux couleurs politiques opposées. Au fur et à mesure qu’avance la recherche, d’autres moments s’annoncent : celui des années 1960 ou encore le moment antitotalitaire des années 1970 que certains fonds récemment déposés (Cornelius Castoriadis, Jean-Marie Benoist) éclaireraient d’une manière bien différente que celle actuellement projetée sur un événement encore en grande partie interprété en fonction des critères de Guerre froide.

11Parmi les types de sources permettant à l’historien une étude transversale et problématisée du passé, les archives d’associations et d’institutions sont particulièrement riches en information. À l’IMEC se trouvent un certain nombre de fonds d’associations et d’institutions, comme le PEN club, le Parlement des écrivains, le Collège de France ou le Collège international de philosophie. Le fonds du Centre culturel de Cerisy-la-Salle conserve les traces des célèbres décades depuis 1947 et constitue une source fréquemment consultée [ 17 ]. D’autres associations comme le Groupe d’information sur les prisons (GIP) ou l’association Sida-mémoires, correspondent à des interrogations politiques et sociales. Le travail de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel sur le GIP apportent de précieux matériaux à la compréhension des engagements des années 1970, ceux des intellectuels comme Michel Foucault ou Pierre Vidal-Naquet ou encore ceux de détenus, de juristes et de militants [ 18 ]. Albert Dichy avait d’ailleurs dirigé un séminaire sur le sujet en 1999 à l’IMEC. Une autre association, bien différente, et dont l’ensemble est en traitement, offrira bientôt de nouvelles sources pour l’histoire des intellectuels catholiques. Fréquenté par François Mauriac, Jacques Maritain ou René Rémond, le Centre catholique des intellectuels français est un lieu de sociabilités intellectuelles encore méconnu malgré le travail de Claire Toupin-Guyot [ 19 ].

12La différence de rythme entre la rapidité du développement de l’IMEC et la temporalité propre aux archives peut paraître vertigineuse. Le temps que nécessite le traitement, le conditionnement et la description des archives s’oppose parfois au féroce appétit d’archives de la recherche actuelle. L’époque de l’historien fondant une thèse sur une dizaine de cartons et une vingtaine de livres semble révolue. Aujourd’hui, sous réserve d’obtenir l’accord des ayants droit, on veut tout voir, tout avoir sous les yeux. Manuscrit et quittance de loyer, lettres d’amour et cartes postales, journal intime et coupure de presse, photographies et agendas. Extension du domaine de l’archive, ère de la complexité. Le pari biographique en est bouleversé, transformé, renforcé. La présence de grandes figures a été déterminante dans la construction de l’IMEC, à tel point que Serge Wolikow a pu écrire que la conception de l’archive y était dominée par la figure de l’auteur [ 20 ]. Affirmation à moitié vraie : comme on l’a vu, les éditeurs et les revues, moments et institutions constituent une part importante de la collection. Les fonds d’auteur demeurent la face la plus visible des ressources disponibles à l’abbaye d’Ardenne. La présence des fonds de grands écrivains joue un rôle certain dans cette identification de l’IMEC. Avec Althusser, Castoriadis, Derrida, Foucault, Guattari, Lacoue Labarthe, Levinas ou Mounier, les grands noms de la philosophie sont représentés. Mais l’histoire intellectuelle, et en particulier celle des philosophes ne néglige pas les auteurs moins prestigieux ou moins connus du grand public. Rares sont ceux qui se souviennent encore de Jean-Marie Benoist, Yvon Bourdet, Georges Devereux ou Albert Meister. Le travail sur leurs archives ouvrira de nouveaux territoires en éclairant, par exemple, le phénomène des nouveaux philosophes, la pensée autogestionnaire, la réflexion sociologique sur les pays en voie de développement, l’ethnopsychiatrie. Et puis, malgré le constant succès du genre, la recherche manque encore de biographies. Un intellectuel aussi important que l’économiste François Perroux n’a pas encore suscité de biographie. Benoît Peeters a donné l’an dernier une biographie magistrale de Jacques Derrida, largement fondée sur les archives conservées à l’IMEC. La publication de ce livre a été accompagnée de celle de son journal de recherche [ 21 ]. À n’en pas douter, ce travail est novateur et, comme le dit Nathalie Léger, fondateur : il est l’exemple même de ce que permet la conception que l’IMEC s’est forgé de l’archive.

13Dans les années prochaines, avec les fonds de Cornelius Castoriadis, André Gorz, Edgar Morin ou d’Alain Touraine, émergeront de nouvelles sources pour l’histoire politique des intellectuels, et pour l’histoire des sociologues. Il faudrait aussi évoquer l’histoire de la pensée économique, celle du journalisme avec les fonds Giroud, Joffroy et Pozner, celle des graphistes et des illustrateurs, celle des galeristes et des institutions culturelles. Depuis plusieurs années, le Centre de recherches en histoire quantitative de l’université de Caen tient régulièrement à l’abbaye d’Ardenne un séminaire sur les sources en histoire culturelle. Il se propose de « faire découvrir aux étudiants en thèse ou en master la richesse de fonds ou de types d’archives parfois peu exploités par les historiens [ 22 ] ». Les pistes pour l’avenir sont donc innombrables. Si l’on peut voir les tendances qui se dessinent, la décision et l’initiative proviendront toujours des chercheurs car ce sont eux qui, avec les déposants, imaginent et inventent le mouvement et le dynamisme de ce jeune institut. Lieu d’archive, centre culturel de rencontre, lieu de conservation et de création, l’IMEC est donc un pari résolu sur « l’avenir de l’histoire ».