Le site archéologique médiéval et moderne de Terravecchia (Sicile, Italie) (original) (raw)
Nous remercions Claudine Besnier Delacroix et Jean-Michel Poisson pour leur relecture attentive et leurs précieux conseils.
- 1 Commune actuelle de Giarratana, province de Raguse.
- 2 Ce terme ne se retrouve pas dans les textes antérieurs à 1693. Nous devons donc considérer que l’em (...)
1Au sud-est de la Sicile, à 25 km au nord de Raguse, le site archéologique de Terravecchia1 (fig. 1) correspond à un ancien complexe castral associé à un important bourg, aujourd’hui abandonné, sur un éperon volcanique situé à la confluence du torrent Miele et du fleuve Irminio (fig. 2). L’encaissement de la vallée du Miele et l’existence d’un goulot d’étranglement au sud-est du site (fig. 3) restreignent les possibilités de circulation entre le plateau, au nord, et la large vallée de l’Irminio, au sud. Site protégé par sa topographie, Terravecchia ne se trouve donc pas sur un axe de passage naturel. L’ancienne agglomération, qui se nommait Giarratana, a été détruite par le tremblement de terre de 1693 et entièrement abandonnée. Le site de l’ancienne Giarratana s’est appelé Terravecchia2 lorsque la nouvelle agglomération a été construite dans la vallée et a repris le nom de Giarratana.
Fig. 1 Carte de localisation du site de Terravecchia.
Fig. 2 Carte topographique du territoire de Giarratana.
Fig. 3 Le site de Giarratana di Terravecchia depuis le fond de la vallée de l’Irminio, à l’est.
- 3 Dès 1995, Ferdinando Maurici plaide pour une archéologie médiévale et moderne des sites touchés par (...)
2Ce site présente trois atouts : une fossilisation depuis la fin du xviie siècle3, un potentiel archéologique diversifié (édifices et habitats castraux, religieux et civils) et des sources historiques abondantes. Le programme mis en œuvre depuis 2001 par une équipe de l’université de Picardie, dans le cadre d’un jumelage entre le département de l’Oise et la province de Raguse, s’efforce d’abord de mener une archéologie des périodes modernes fondée sur l’étude de l’organisation spatiale et de la culture matérielle d’une petite ville à vocation agricole dominante (agroville). Comprendre l’organisation spatiale du site, c’est déterminer les pôles structurants, comme le château et les églises, caractériser les espaces de vie et retrouver les axes de circulation. L’organisation spatiale de ce bourg reflète-t-elle une structure médiévale ou bien est-elle le fruit d’un réaménagement de l’époque moderne ? Avec cette question, la dimension historique est prise en compte par l’établissement d’une chronologie générale qui doit dégager de grandes phases : habitat ouvert et certainement semi-dispersé à l’époque précastrale, installation d’un château peut-être au xive siècle, urbanisation liée au pôle castral puis indépendante de son influence…
3En raison de l’étendue du site, d’une vingtaine d’hectares, la réalisation d’un plan d’ensemble de l’agglomération était indispensable (fig. 4). Outre la compréhension de l’organisation du parcellaire urbain, il permettait de cibler les zones de fouille en fonction de la problématique, de l’état de conservation des structures, de l’accessibilité et de la pertinence des secteurs à valoriser. L’étude topographique a consisté en un repérage des structures construites, décrites par type d’ensemble, photographiées, enregistrées puis relevées à l’aide d’un tachéomètre à laser. Les données ont ensuite été traitées par DAO pour être finalisées sous forme d’une représentation planimétrique intégrant les courbes de niveau. Parallèlement, une prospection archéologique extensive (ramassage de surface systématique) a été menée dans le but de cerner la durée d’occupation. Le croisement des informations extraites du plan, de la prospection et des recherches documentaires a permis d’énoncer des hypothèses sur l’étendue et la nature de l’occupation des différents quartiers de la ville. Au final, la fouille archéologique se présente à la fois comme la conséquence logique de ces approches et comme le complément indispensable pour l’étude des évolutions et de la culture matérielle.
Fig. 4 Plan topographique et archéologique de Giarratana.
1. Un territoire stratégique
- 4 Elia s.d., p. 5 et 6.
- 5 Un travail universitaire a été mené en 2009 sur cette question par Riccardo Caravello (Caravello 20 (...)
4Aux marges du territoire de Giarratana, la période grecque est marquée par un site archéologique très important, implanté sur un grand promontoire situé à l’est : la ville de Casmene, fondée en 643 avant J.-C.4 (fig. 2). L’époque romaine est connue à travers deux sites5 : une zone plate appelée Margi, sur la route qui relie Raguse à l’actuelle Giarratana, qui pourrait correspondre à une bourgade occupée tardivement ; une villa, dans la ville actuelle, avec d’imposantes mosaïques (fig. 2). Aucun habitat n’a été repéré pour les périodes byzantine et musulmane, seulement représentées par quelques trouvailles monétaires non cartographiables. Cette rupture chronologique n’est peut-être que le reflet de notre méconnaissance des occupations anciennes sur ce territoire, faute de prospections systématiques à grande échelle.
- 6 Pour le contexte historique général, voir De Stefano 1977. Pour le contexte historique précis, voir (...)
5La Sicile médiévale6 connaît trois types d’habitats ruraux : les grosses agglomérations fortifiées disposant d’une administration particulière ; un habitat intermédiaire (terra), souvent fortifié ; les petites localités ouvertes et sans aucune autonomie (casal). Les deux derniers types restent mal connus.
- 7 Bresc 1994, p. 66 ; Id. 1984, p. 164.
- 8 _S_ella 1944,p. 86 : Presbiter Laurentius pro beneficio Iarretani, tar. IX.
- 9 Maurici 1995.
6La conquête normande, qui s’accompagne de la destruction de sites fortifiés musulmans (hisn), organise le plat pays sur le modèle de l’habitat ouvert, du casal, communauté fiscale et fief de chevalier. Le devoir militaire des chevaliers s’effectue dans le cadre de la terra, habitat élevé et fortifié qui domine un terroir très vaste7. Si Giarratana est mentionnée dès 11098, elle ne fait pas partie des 130 villes ou forteresses, domaines agricoles, villages et autres lieux cités par le géographe Idrîsî. Cette absence pourrait renseigner sur la nature du lieu car la liste d’Idrîsî (milieu du xiie siècle) privilégie les sites fortifiés en oubliant pratiquement toujours les casaux9.
- 10 Dimarzo 1855-1856, p. 502-503 et Dell’Agli 1886, p. 53.
- 11 Sella 1944, p. 95.
- 12 Bibl. com. Palerme, Q.q.H.13, fol. 48.
- 13 Catalioto 1995, p. 119, 280 et 295 ; Filangeri 1957, p. 279.
- 14 Bresc 1986, p. 65-66.
7En 1194, la prise de possession de la Sicile par l’empereur Henri VI marque le début de la période souabe. C’est à cette époque que se multiplient les mentions écrites de Giarratana. Sa position de promontoire pose la question de l’occupation du sol en termes de perchement et de déperchement de l’habitat, qui rejoint celle de la fortification ou non du site. En 1195, l’empereur concède Giarratana à Rinaldo Acquaviva, de la famille des Reali10. L’existence de ce diplôme impérial semble indiquer un domaine important et déjà ancien à la fin du xiie siècle. Désigné comme casal en 124911, le lieu, appartenant alors à Gautier Caltagirone, est nommé castrum et terram en 125312. En 1272, il est de nouveau mentionné comme casal. Il est possible que le site, devenu terra vers 1253, ait été réduit au statut de casal et que son château ait été détruit après la révolte contre Charles d’Anjou en 1268, puisque la tradition sicilienne rapporte que Gautier Caltagirone était l’un des protagonistes de la « grande conspiration ». Charles, pour le punir, aurait transmis le lieu à Guillaume de Sens, confirmant la forte installation franco-provençale après la révolte de 126813. En 1277, le casal compte 258 feux, alors que Modica, futur centre administratif du comté, n’en possède que 15514.
8La « révolution nationale » de 1282 déclenche un long processus de dépression. L’état de guerre permanent, l’érosion démographique et le développement des organisations latifundiaires simplifient l’habitat en un seul modèle de regroupement de la population, l’habitat fortifié protégé par un château (terra cum castro). En un siècle, 231 casaux disparaissent des listes. Ceux qui étaient équipés d’une tour et défendus par une lignée féodale fortement enracinée ont pu réaliser un incastellamento, tardif mais suffisant pour survivre. À Giarratana, l’apparition du nouveau château serait à mettre en relation avec le processus de concentration du foncier. Sa construction a un objectif stratégique important, contrôler le passage de l’Irminio qui relie la zone nord-ouest des monts ibléens à la région côtière et au port de Scicli (fig. 1).
- 15 Militello 2001, p. 53-54 ; Dell’Agli 1886,p. 57-58 ; Dimarzo 1855-1856,p. 502-503.
- 16 Bresc 1988, p. 243.
9Sous le règne de Frédéric III (1296-1337), de nombreuses concessions sont faites dans la zone ibléenne pour obtenir la fidélité de la noblesse : en 1320, Nicolas Lancia, seigneur de Giarratana et de Ferla, prête hommage au roi. Trente ans plus tard, la Sicile se retrouve divisée entre les puissantes familles Alagona, Chiaramonte, Peralta et Ventimiglia. Contrôlant la Sicile orientale, Artale Alagona étend son domaine du Val Demone au Val di Noto ; en 1360, son frère, Giacomo, se dit seigneur de Giarratana15. Les hommages successifs renseignent sur le poids politique de Giarratana. L’ancien casal, pourvu de murailles et muni d’un château, est désormais dénommé terra. Il ne s’agit pas d’une fondation ex nihilo mais de la reconnaissance d’une vocation ancienne. En fait, il semble que ce changement de statut ne fasse que prendre acte de la présence de fortifications déjà construites, avec ou sans autorisation royale16. Toutefois, il n’est pas exclu que l’implantation d’un château ait pu entraîner une modification de l’espace urbain.
- 17 Id. 1986, p. 831-833.
- 18 Nunzio 1998, p. 98-99.
10Dans la seconde moitié du xive siècle, lors de l’affrontement des familles Alagona et Chiaramonte, Giarratana est une cité stratégique enfoncée dans le comté de Modica. La « Paix des Barons » de 1380 amène une courte période de tranquillité. L’héritière du trône, Marie, épouse en 1392 le petit-fils du roi d’Aragon, Martin le Jeune. Après une conquête difficile (1392-1398), le nouveau roi élimine les grandes familles capables de contracter des alliances internationales dangereuses et distribue à des Catalans les domaines confisqués. En 1392, Bernat Cabrera, petit-fils du comte d’Ossuna qui commandait l’armada royale, reçoit, en remerciement de ses services (le financement de l’entreprise sicilienne), le titre de justicier et un énorme domaine : le comté de Modica avec Raguse (terra), Scicli (terra), Chiaramonte (terra), Spaccaforno (casal), Comiso (casal), Dirillo (casal) et Cammarana (castrum)17. Avec l’acquisition de Giarratana en 1394 et de Monterosso en 1397, Bernat Cabrera protège l’ouverture stratégique du côté nord-est du comté et contrôle le trafic commercial avec la zone montagneuse et la vallée de l’actuelle zone asséchée de Caltagirone18.
- 19 Dell’Agli 1886, p. 59.
11À la mort du roi d’Aragon en 1410, deux partis s’opposent, celui de Bernat Cabrera et celui de la reine. D’immenses règlements de comptes secouent les terrae de l’île et entraînent destructions et ponctions sur le pays. Le Parlement, qui s’était d’abord soulevé contre la reine, se retourne contre Bernat qui est fait prisonnier. Le nouveau roi de Sicile, Ferdinando, ordonne sa libération en échange de l’obligation de passer devant la justice pour répondre des dommages causés. Il doit alors payer à l’amiral Sancho Ruiz de Lihori, de la famille des Heredia, son principal ennemi, 5 000 florins pour les objets volés, 10 000 pour les prisonniers qu’il a fait évader et 10 000 à la reine pour les dégâts causés. Pour payer de telles sommes, il est contraint de vendre Biscari et de donner en gage à l’amiral, Giarratana, Chiaramonte et Monterosso19.
- 20 Dell’Agli 1886, p. 59-60.
- 21 Nunzio 1998, p. 102-115.
12Après 1416, le nouveau roi Alphonse V restitue à Bernat Cabrera le comté de Modica, tandis que son fils Giovanni obtient Giarratana. À la mort de son père en 1423, il devient le nouveau comte de Modica mais la succession ne se fait pas sans difficultés. Giovanni Cabrera est accusé de mauvais traitements envers ses vassaux qui se soulèvent en déclarant préférer se soumettre au roi. Affaibli par ces divergences, le comté traverse une période sombre, aggravée par des difficultés financières. La situation se dégrade à tel point qu’entre 1445 et 1451, Alphonse V tente d’éliminer Giovanni Cabrera et, pour cela, d’invalider le privilège concédé en 1392 à son père20. Finalement, Alphonse accepte de confirmer Giovanni Cabrera dans ses possessions, en échange de la somme énorme de 60 000 écus. Pour la réunir, Giovanni vend quelques territoires appartenant au comté, dont Giarratana, à Simonetto Settimo, un marchand-banquier. Alphonse, pour garantir la réussite des affaires de la Couronne et le prestige du pays, favorise justement le développement d’une nouvelle féodalité, formée de fidèles fonctionnaires, de marchands ou de banquiers21.
- 22 Militello 2001,p. 55.
13La famille Settimo instaure d’intenses relations politiques et économiques avec le comté de Modica et participe au commerce de la Sicile orientale. Il semble qu’à partir du milieu du xve siècle, Giarratana perd totalement sa fonction de site militaire stratégique. Au début du xvie siècle, Giarratana est nommée seulement terra, sans référence à l’oppidum, mais c’est à cette époque qu’est mentionnée pour la première fois la tour, symbole de la puissance nobiliaire. Au milieu du xvie siècle, la fortification est désignée sous le terme de vetustum oppidum22.
- 23 Nunzio 1998, p. 77 ; Dell’Agli 1886,p. 63.
14À la mort de Simonetto Settimo, son fils, Giovanni Antonio, lui succède et reçoit l’investiture de Giarratana en 1504. Il est alors protonotaire du royaume et devient capitaine des bourreaux de Palerme en 1505. Son mariage lui permet de rentrer dans les rangs de la noblesse sicilienne23.
- 24 Cancila 2001, p. 425.
15Dans la décennie soixante du xve siècle, peu après la rupture de l’unité du comté de Modica et alors que le trend démographique sicilien a déjà inversé sa tendance vers une croissance positive, Giarratana perd progressivement sa population (fig. 5) : en 1464, elle atteint son minimum historique, avec seulement 91 feux. Mais, après le transfert de Giarratana à Simonetto Settimo, la population recommence à augmenter : 120 feux en 1478 et 142 en 1497. En 1505, on recense 370 feux et en 1533, 700. Le nombre de feux retombe à 498 en 1548. Il semble que le séisme de 1542, sur lequel nous ne savons pas grand-chose, ait gravement touché Giarratana. La progression reprend néanmoins : en 1570, on compte 553 feux24.
- 25 Dell’Agli 1886, p. 64.
- 26 Morando 1997, p. 57.
- 27 Id. 2000, p. 67.
16En récompense de son dévouement comme capitaine d’armes de Syracuse, Carlo Settimo reçoit de Philippe II le titre de marquis de la baronnie de Giarratana, le 30 juillet 156925. Après l’érection en marquisat, Giarratana joue progressivement un rôle plus important dans le Val di Noto. En 1583, sous Blasco Settimo, Giarratana est soumise à la Comarca de Caltagirone et à la sergenterie de Scicli, à laquelle la ville doit fournir deux cavaliers et trente fantassins26. En 1593, Giarratana compte 29 quartiers et 520 maisons pour une population de 2 346 habitants27.
- 28 Militello 2001,p. 56.
- 29 Nunzio 1998,p. 79-81.
- 30 Militello 2001,p. 56-57.
17Au xviie siècle, Giarratana connaît plusieurs périodes difficiles : sécheresse de 1612 à 1619, invasion de locustes en 1616 qui ravagent toute la végétation, terrible inondation en 1622 et peste en 1626. À la suite de ces fléaux, la population passe de 2 346 habitants en 1595 à 1 993 en 1623 ; de 1616 à 1624, la baisse est d’environ 20 % (fig. 5)28. Aux catastrophes naturelles s’ajoutent des problèmes de succession29. La progression démographique ne reprend qu’à partir du milieu du xviie siècle : entre 1651 et 1681, la population passe de 2 184 à 2 691 habitants. C’est à cette époque que le château connaît des transformations visant à accentuer son caractère résidentiel30.
Fig. 5 Graphique de l’évolution de la population de Giarratana de 1277 à la fin de l’époque moderne.
- 31 Dell’Agli 1886, p. 22 et Nunzio 1996, p. 78-90. Le recensement de 1681 semble indiquer que les habi (...)
18Réparties dans les différents quartiers de l’agglomération, les douze églises, trois grandes et neuf petites, sont réunies en deux paroisses en 1670 : celle de l’église-mère et celle de l’église Saint-Barthélemy, regroupant respectivement 45 % et 55 % de la population, d’après le recensement de 168131.
- 32 Dufour 1980.
- 33 Nunzio 1996, p. 76-77.
19Le tremblement de terre de janvier 1693 est ressenti entre Acireale et Niscemi, sur une distance de 100 km environ. Sur les 58 villes et bourgs touchés, le Val di Noto compte 34 sites et un cinquième des victimes se trouve dans le comté de Modica et la zone ibléenne32. De tous les sites du Val di Noto, celui de Giarratana paraît le plus touché. Dans les rapports du duc de Camastra, elle se trouve dans la catégorie des villes complètement détruites. Le registre des morts dénombre 541 victimes, soit 18 % de la population. La ville est complètement dévastée et l’église-mère ainsi qu’une grande partie du château sont en ruine33.
2. Une implantation urbaine dense au sein d’un relief difficile
- 34 La figure 4 est le plan présentant les données directes de l’inventaire topographique et de l’enreg (...)
20Le site de Terravecchia s’organise en fonction de deux promontoires naturels (fig. 4, 6 et 7)34. Le premier, que nous avons nommé « castral », est relié au plateau nord par l’intermédiaire d’une pente douce contrôlée par la butte du château, sans situation de barrage d’éperon (fig. 8). Si ce promontoire présente un versant oriental escarpé, ses faces sud et ouest, en pente plus douce, sont aménagées en terrasses. L’ensemble naturel est de forme ovalaire, d’une longueur de 200 m sur une largeur maximale de 100 m, soit environ 2 ha. Il culmine à 771 m (base du donjon). Le second promontoire, plus petit et plus bas (740 m), se trouve à 200 m au sud-est et surplombe le torrent. Son versant oriental, abrupt, ne peut pas être occupé. Mais sa face sud et une partie de sa face ouest sont aménagées en terrasses, sur le même modèle que le premier promontoire castral. On a également repéré des constructions complètement arasées sur sa plateforme sommitale.
Fig. 6 Giarratana. Plan de masse interprétatif.
Fig. 7 Coupes topographiques du promontoire castral.
Fig. 8 Le promontoire castral vu du nord avec les vestiges des bâtiments des communs et le glacis de la haute cour, dominée par le donjon.
21La vallée sèche entre les deux promontoires (fig. 9) était occupée par des constructions, dont certaines sont encore en élévation partielle. Un autre secteur d’habitation se situe sur une plateforme en partie naturelle, au sud-est du second promontoire. Dans le prolongement direct des terrasses aménagées sur le versant sud de ce promontoire, les constructions s’y organisent en fonction de l’église Saint-Barthélemy, encore partiellement en élévation. Le dernier secteur est établi sur le versant occidental de la vallée du torrent Miele, depuis le second promontoire jusqu’à l’accès nord du site en longeant le promontoire castral à l’est.
Fig. 9 Le promontoire castral avec ses versants ouest et sud, et la zone en amphithéâtre au sud.
22L’espace concerné par le relevé topographique regroupe donc le promontoire castral et son annexe utilitaire nord (225 x 85 m, soit environ 19 125 m2), le second promontoire (100 x 50 m, soit environ 5 000 m2), le vallon compris entre les deux promontoires (100 x 75 m, soit environ 7 500 m2), la plateforme de l’église Saint-Barthélemy (110 x 50 m, soit environ 5 500 m2) et le secteur oriental (250 x 80 m, soit environ 20 000 m2). Cette surface, de plus de 5,7 ha, correspond aux espaces les plus densément occupés.
2.1. La zone castrale
23L’ensemble castral est un quadrilatère délimité par une enceinte polygonale flanquée de tourelles circulaires ou en fer à cheval, en général en saillie. Il comprend d’abord le château proprement dit, à cour carrée, dont l’angle sud-ouest est occupé par l’imposant donjon ; la partie nord semble résidentielle.
- 35 Marino 2001.
24Par sa position, le donjon (fig. 8) (vers 774 m) constitue un verrou pour l’accès depuis le plateau nord et, par son altitude, contrôle les habitations qui s’étendent sur la plateforme sommitale puis le long des versants sud et ouest. Occupant une surface d’environ 200 m2, il a été remanié à l’époque moderne mais sa structure ne semble pas remonter au-delà de la fin du Moyen Âge. Sa masse conique est constituée d’un plan extérieur carré (14 m) et d’un plan intérieur circulaire (7 m), peut-être en liaison avec un réaménagement. À partir de deux matériaux principaux, les pierres de lave de provenance locale et les calcaires blancs pour les encadrements et les éléments architecturaux, presque tous les murs sont construits a sacco, c’est-à-dire à deux parements avec un remplissage de pierres et de chaux blanche mélangées à du sable volcanique. Cette technique de construction, qui n’est pas très soignée, indiquerait la participation d’artisans peu spécialisés ou de faibles moyens financiers. En fonction de cette technique de construction, G. Marino35 propose une datation qui renvoie à la fin du Moyen Âge (xive-xve siècles). La forme, quadrangulaire à l’extérieur et circulaire à l’intérieur, rappelle trois autres constructions d’époques différentes : le premier niveau de la tour occidentale de Castelluccio, près de Gela, datée du xiiie siècle ; la tour de Nasari, sur la commune de Barcellona Pozzo di Gotto (province de Messine), datée de la première moitié du xve siècle ; la tour sud-ouest de Misilcassim (com. Ribera), près d’Agrigente, construite entre 1569 et 1571.
- 36 L’escalier a peut-être été installé dans un second temps.
25Le donjon est associé, au nord, à un espace résidentiel de type haute cour (vers 765 m), protégé par une puissante enceinte avec des tourelles de flanquement aux angles sud-est et nord-est, qui délimite un quadrilatère imparfait d’environ 33 m de côté (1 100 m2). Le mur d’enceinte, d’une épaisseur d’environ 2 m, est constitué de deux parements appareillés ; l’intérieur est rempli d’un blocage de moellons grossièrement assisés. L’accès principal se trouve à l’est (fig. 10), probablement sous la forme d’une entrée monumentale à degrés, dans un secteur à la fois facile à défendre, par l’utilisation de l’abrupt, et stratégique, car situé à l’endroit du passage entre les deux promontoires, au-dessus de la vallée encaissée. La partie sud-est de la haute cour, comprise entre la possible entrée et le donjon, est occupée par des pièces voûtées, auxquelles on accédait depuis le donjon par un escalier, probablement couvert, situé contre la muraille sud (fig. 11)36.
Fig. 10 Le flanc oriental du château.
Fig. 11 Axonométrie du flanc oriental du donjon.
- 37 Moins développé, le glacis se retrouve sur le flanc occidental au-dessus de la basse cour.
26Dans sa partie nord, la haute cour abrite un grand bâtiment (fig. 12 et 13), de type aula, établi contre l’enceinte qui, à ce niveau, dispose d’un glacis monumental fort bien appareillé37. Les murs distinguent plusieurs pièces : une grande salle à l’ouest, postérieurement cloisonnée (1A et 1B), et une petite salle en saillie vers le nord (pièce 2). Des pierres calcaires marquent la plupart des ouvertures et des encadrements (porte, baie, archère, arcade de l’escalier). Tous les murs (refends et pignons) sont chaînés entre eux mais seulement accolés au mur d’enceinte nord. Ce dernier comporte, vers l’est, un décrochement de 1,60 m au niveau de la jonction entre la pièce 1B et la pièce 2, renforcé par un contrefort, large de 0,90 m et saillant de 0,36 m. L’épaisseur de l’enceinte est de 1,30 m à l’ouest du décrochement et de 1,50 m à l’est. Le glacis de pierre s’arrête au niveau du décrochement, du côté oriental. Le contrefort n’est pas un ajout postérieur à la construction du rempart, auquel il est parfaitement harpé. L’arrêt du glacis monumental n’est donc pas une réfection tardive.
Fig. 12 L’aula de la haute cour vue depuis le sommet du donjon, au sud.
Fig. 13 Le château de Terravecchia. Schéma d’organisation.
27La pièce 2 est décalée vers le nord et forme saillie, à cause du décrochement du mur d’enceinte. Dans ce côté, elle dispose d’une grande ouverture large de 1,30 m, qui pourrait être une baie ou une porte (fig. 14). Dans ce dernier cas, cette pièce s’apparenterait à une poterne, laquelle ouvrirait sur la cour intérieure du château par une double arcade géminée donnant vers le sud (fig. 15). La largeur totale de cette entrée serait de 3,30 m, avec une arcade ouest de 1,10 m et une arcade est de 1,30 m.
Fig. 14 Entrée ou baie dans le mur nord de la pièce 2 de l’aula.
Fig. 15 Entrée à double arcade dans le mur sud de la pièce 2 de l’aula.
28Le sondage archéologique réalisé dans ce grand bâtiment a montré que la pièce la plus occidentale (5,75 x 5 m dans œuvre), voûtée d’un berceau longitudinal, possédait un accès vers le niveau supérieur, par le biais d’un escalier à angle droit (l. 1,60 m) placé dans l’angle nord-ouest (fig. 16). Le comblement superpose les matériaux effondrés de la voûte à ceux du haut des murs, ce qui indique l’absence d’étage ; la rareté des tuiles laisse envisager la présence d’une terrasse. En liaison avec la mise en place d’un sol en plâtre, le mur oriental a été accolé postérieurement au mur nord, qui correspond à l’enceinte (fig. 17 et 18). Cette pièce a donc été réaménagée par une opération de cloisonnement d’une plus grande salle, avec surélévation du sol primitif, probablement dans le courant de l’époque moderne.
Fig. 16 Accès de la pièce occidentale de l’aula de la haute cour, dans son angle nord-ouest.
Fig. 17 Relevés des murs de la pièce occidentale de l’aula dans son angle nord-est.
Fig. 18 Angle nord-est de la pièce occidentale de l’aula de la haute cour.
29Devant l’aula, une grande zone en L, très profonde mais remplie de matériaux provenant de la destruction des bâtiments, correspond très certainement à la cour intérieure du château, dont le niveau de circulation se trouve à environ 3 m sous les éboulis actuels.
30À l’est, l’enceinte dispose au moins d’une archère en hauteur mais il devait y en avoir plusieurs alignées pour contrôler le chemin d’accès à la porte principale, qui longeait le rempart à l’extérieur. Les différentes archères pouvaient être reliées par une passerelle de bois. Au nord-est, la cour intérieure communiquait avec la tourelle circulaire d’angle très saillante, par le biais d’un couloir droit d’une largeur d’environ 1,50 m.
31Enfin, à l’ouest de la cour intérieure, un bâtiment, d’une largeur intérieure d’environ 3,50 m, est accolé à l’enceinte occidentale. Il est marqué par un départ de mur chaîné au mur sud de l’aula, dans sa partie occidentale.
32Les communs (vers 758 m), qui comprennent certainement des écuries, sont placés en avant et en contrebas du promontoire castral, au nord de la haute cour, à l’endroit où s’effectue le contact avec le plateau (fig. 8). C’est l’accès naturel le plus aisé pour les chevaux et les chariots. Cet ensemble ne paraît pas protégé par une enceinte. Les grands bâtiments et les enclos s’étendent sur une surface d’environ 1 700 m2, essentiellement dans la partie orientale de ce branchement naturel.
33Le reste de la plateforme sommitale forme un autre quadrilatère emboîté dans le précédent et composé de deux parties distinctes : au sud du donjon, un espace plan et élevé (vers 768 m) et à l’ouest, un espace apparemment en pente et moins élevé (vers 761 m). L’ensemble est protégé par une enceinte de tracé rectiligne qui, à l’est, se branche sur la première enceinte castrale, celle de la haute cour, par une tourelle circulaire et qui, au nord, se connecte au glacis de l’aula. L’accès principal se situe au sud-ouest, en direction des quartiers d’habitation.
- 38 Il présente une extension sur son flanc nord-est.
34Le premier espace sud (1 500 m2) est occupé par une vaste église (fig. 19), associée à des bâtiments annexes et peut-être à une aire cémétériale. Il s’agit très certainement de l’église-mère Saint-Jean-Baptiste. C’est un bâtiment rectangulaire orienté est-ouest (20,50 x 12 m dans œuvre), dont le chevet plat présente une division tripartite38. Des arcades séparant un collatéral au nord ont pu prolonger cette division dans la nef. À l’angle sud-ouest, la base d’une tourelle d’escalier correspond au clocher quadrangulaire. Le dégagement du mur de façade occidental (fig. 20) s’est traduit par la découverte d’une ouverture qui, d’après sa situation, correspondrait au portail. Cette ouverture est bordée, au nord, par la première pierre d’un pilier quadrangulaire mouluré, formant le piédroit. D’autres éléments architectoniques effondrés en façade font envisager un décor riche et diversifié dont le style serait de la fin de la Renaissance. Ce portail, qui s’ouvre directement sur la forte déclivité du relief, devait donner sur un escalier qu’il est difficile de concevoir d’une seule volée droite en raison de la proximité de la pente : il devait plutôt bifurquer sur un côté. Un parvis semble exclu sinon bien en contrebas, sur l’espace à l’ouest, limité par l’enceinte basse.
Fig. 19 Plan de l’église Saint-Jean-Baptiste. Schéma d’organisation.
Fig. 20 Sondage sud-ouest en limite de l’église Saint-Jean-Baptiste, au niveau du portail d’entrée ouest.
35L’angle nord-est a fait l’objet d’un sondage profond (6 x 1,50 m), établi le long du mur de chevet, du côté interne, lequel a mis en évidence la présence d’une chapelle latérale attestée par la structure toujours en place de son autel. La base de ce dernier se présente sous la forme d’un massif de maçonnerie quadrangulaire, avec des parements externes constitués de blocs de craie taillés et de pierres volcaniques (fig. 21). L’autel est associé, au nord, à un sol de petites dalles de pavement en pierre, qui repose sur une couche de destruction comportant de nombreuses tuiles, entassées les unes sur les autres. Cette couche passe sous les fondations de l’autel. La base de l’autel peu élevée, qui ne comporte aucune trace d’arrachement ou d’arasement au niveau de l’assise supérieure, a donc été construite sur un épais remblai relativement instable (fig. 22). Cette base et les sols liés ont été mis en place après une destruction importante de l’édifice religieux.
Fig. 21 Massif de maçonnerie accolé au mur de chevet de l’église Saint-Jean-Baptiste du côté sud (base d’autel).
Fig. 22 Base d’autel et mur gouttereau sud de l’église vus du sud.
36La position de cette église, au pied du donjon, laisse supposer son origine castrale, mais le large accès vers les quartiers d’habitation fait envisager une évolution en église paroissiale. Aucun vestige médiéval n’a été décelé, à ce jour, dans ce bâtiment, mais deux campagnes de travaux à l’époque moderne ne sont pas à exclure, peut-être en relation avec le tremblement de terre de 1542. Les éléments prébaroques du décor architectonique couvrant toute la façade et les éléments des supports internes témoignent de l’importance des travaux. Après le grand séisme de 1693, une opération de restauration ou de consolidation des vestiges encore debouts a pu être tentée, quelque temps avant l’effondrement définitif de l’édifice.
37Le second espace ouest (1 300 m2) correspond peut-être à la basse cour castrale (fig. 6). La lecture de cette zone reste difficile en raison de l’absence d’étagement et de la présence abondante d’épineux qui, avec les éboulis provenant des zones hautes, masquent la plupart des constructions. Un ensemble de bâtiments (235 m2) établis contre la partie occidentale de l’enceinte a cependant pu être déterminé au nord de l’accès principal. Le reste de l’espace semble densément occupé et les constructions sont structurées par des ruelles larges d’environ 1,50 m.
2.2. L’habitat du promontoire principal : un bourg ?
38Les deux versants sud et ouest du promontoire castral (fig. 9), les mieux exposés et topographiquement aménageables, sont densément occupés sur une surface totale d’environ 7 500 m2. La pente plus douce et allongée du sud permet un étagement sur huit terrasses, réduit à trois pour le versant ouest. Les terrasses sont organisées de la même manière. Chacune comporte une série de bâtiments mitoyens ou séparés par une ruelle, d’une largeur le plus souvent située autour de 7,50 m. Ces bâtiments, qui forment des alignements de maisons, sont implantés en fonction des courbes de niveau. Une ruelle permet de les desservir dans le sens longitudinal (fig. 23). La circulation se fait transversalement par des passages en pente, avec ou sans escalier, reliant les différentes terrasses entre elles. Certains sont alignés et constituent des artères avec la possibilité de traversées sous arcade. Ces axes de circulation ont une largeur moyenne de 2,50 m.
Fig. 23 Une ruelle longitudinale entre les terrasses III et IV sud du promontoire castral.
39Chaque terrasse est soutenue par un mur sur lequel viennent s’appuyer les habitations. Les seuils repérés ainsi que l’emplacement des ruelles longitudinales indiquent que le mur de terrasse correspond à la façade des maisons : la dénivellation est donc placée entre la ruelle et l’arrière des édifices. Seule la terrasse V est organisée à l’envers de ce schéma, mais elle constitue peut-être une limite. À ce niveau, la partie ouest présente deux accès repérés : au nord, sous la forme d’un décrochement semi-circulaire et, dans l’angle méridional, par le biais d’une rampe sinueuse.
40La terrasse I (vers 760 m), qui ne se développe que sur le versant sud, s’allonge sur au moins 40 m et comprend au minimum deux bâtiments bien délimités, dont une grande résidence dans la partie occidentale.
41La terrasse II (vers 758 m), qui n’est également aménagée que sur le versant sud, comporte une série de bâtiments parallèles à ceux du niveau précédent sur une trentaine de mètres, dont une construction carrée à deux nefs dans la partie occidentale. Cette dernière est séparée par une ruelle d’un grand édifice rectangulaire construit transversalement à l’axe de la terrasse. Cette disposition est certainement à mettre en relation avec la proximité d’une place.
42La terrasse III (vers 755 m) s’étend sur les deux versants. Au sud, elle comporte une série de petits bâtiments alignés sur au moins 38 m et on ne note qu’une ruelle transversale. À l’ouest, les bâtiments, de taille moyenne, s’étendent sur environ 85 m de long. Les édifices sont mitoyens jusqu’à une interruption située dans l’axe de l’accès à la plateforme sommitale ; au nord, une grande construction allongée près de l’enceinte se trouve à un niveau plus élevé que le reste de la terrasse (vers 758 m).
43La terrasse IV (vers 750 m) se développe également sur les deux versants. Au sud, deux séries de bâtiments, séparées par la ruelle transversale, s’alignent sur une longueur d’environ 45 m. Des édifices moyens avoisinent des habitats de plus faible taille, à moins qu’il ne s’agisse de grandes constructions à plusieurs pièces. À l’ouest, l’alignement de maisons s’étend sur environ 93 m de longueur avec, au moins, deux ruelles transversales. Les édifices sont de tailles diverses avec une habitation importante au nord, qui s’appuie sur l’enceinte. On note un décrochement de l’alignement arrière des maisons, à peu près au centre de ce groupe, qui est lié à un rétrécissement de la ruelle longitudinale de la terrasse précédente et à une élévation du niveau vers le nord (autour de 752 m).
44La terrasse V (vers 745 m) s’appuie sur une hypothétique enceinte intermédiaire, au sud et à l’ouest. La partie sud s’étend sur plus de 65 m. Les trois constructions mitoyennes les plus proches de l’accès sud au bourg castral peuvent s’apparenter à un édifice religieux. Trois autres bâtiments sont également mitoyens ; le premier est nettement divisé en deux pièces et le troisième présente un léger décrochement. D’autres constructions mitoyennes s’étendent à l’est de la ruelle transversale. La partie ouest s’étend sur près de 80 m et comporte un espace vide d’environ 11 m de long, près d’un accès secondaire supposé. Vers le nord, une série de sept petits bâtiments assez bien délimités forme une insula cohérente dans laquelle il y a peut-être une petite chapelle, dont l’abside semi-circulaire est en décrochement sur l’enceinte. Ce groupe est à un niveau plus élevé que le reste de la terrasse V (vers 750 m) : c’est ce que nous avions également remarqué pour la partie nord de la terrasse précédente.
45Les trois terrasses inférieures (VI à VIII) du flanc méridional rendent bien compte de l’extension urbaine du promontoire castral le long de cette pente régulière et modérée. Le niveau VI est très large, à moins qu’il n’y ait eu deux terrasses aplanies par l’érosion ; le niveau VIII surplombe un chemin qui constitue une sorte de limite avec d’autres terrasses au sud, moins nettes mais qui ont révélé des traces d’habitat sur trois à quatre niveaux (fig. 9). La casa Barone, petite bergerie construite avec des réemplois après le tremblement de terre, à l’emplacement d’un édifice plus ancien, forme la jonction entre le niveau VI, sur lequel elle vient s’appuyer, et le niveau VII sur lequel elle s’ouvre : les deux niveaux se rejoignent à cet endroit. Cette observation vient très fortement réévaluer l’image d’un ensemble urbain fortifié. Tout au plus peut-on dire qu’un mur délimite assez nettement le quartier supérieur ouest : marque-t-il une phase dans l’extension urbaine de ce secteur ? À cet endroit, le chemin, récemment recreusé, provoque une rupture, peut-être artificielle car la prospection de la zone ouest en contrebas a révélé l’existence de terrasses très empâtées par l’érosion, mais qui pourraient comporter des habitations, peu nombreuses et mal organisées.
46L’ensemble de ces deux quartiers « urbains » est bien structuré par de longues ruelles perpendiculaires aux pentes des deux versants habités, rythmant chacune des terrasses et reliées entre elles par des venelles plus étroites. Des espaces libres (places ?) existent entre certains groupes de maisons des trois premières terrasses et devant l’église Saint-Jean-Baptiste.
- 39 La ressemblance avec le paysage construit du Castellacio de Brucato est frappante (voir l’essai de (...)
47Ces éléments peuvent refléter un effort de programmation, même si quelques indices, comme les décrochements, semblent signaler une évolution qui reste à préciser. Quelle est la fonction première de cet ensemble : un lieu de résidence privilégié pour les proches du seigneur, un quartier artisanal au service des maîtres du château ou tout simplement un bourg castral39 ?
2.3. Les circulations autour du promontoire principal
48Un chemin nord-sud contourne le promontoire castral par l’est et aboutit à un embranchement, un peu au sud de la casa Barone : un diverticule suit la dernière terrasse du promontoire castral en direction de l’ouest et un autre se poursuit tout droit vers le sud pour rejoindre la plateforme de l’église Saint-Barthélemy.
49Un second grand chemin monte le long du flanc occidental du promontoire castral à partir du sud (fig. 24). Entièrement pavé, il est équipé, dans la pente, de larges marches construites en zigzag pour restreindre l’intensité de l’écoulement des eaux pluviales en cas d’orage. Dans l’angle sud du promontoire, il se divise en deux branches, l’une permettant d’entrer dans le quartier urbain et l’autre, de réfection contemporaine, contournant le promontoire au pied de son flanc ouest, en remontant vers le nord.
Fig. 24 Le chemin d’accès vers le flanc occidental du promontoire castral (partie sud).
50La détermination des artères est essentielle pour comprendre l’organisation générale du site et ses relations avec l’environnement. Il convient pour cela non seulement de repérer tous les chemins actuellement visibles mais aussi de déterminer des critères d’ancienneté pour chacun d’entre eux. Par exemple, l’aménagement de marches en diagonale pour le chemin sud pourrait être un indice d’ancienneté car l’utilité d’un système aussi élaboré est douteuse pour de simples circulations saisonnières de troupeaux.
2.4. Le second promontoire
51Le second promontoire (fig. 3) comporte peu de vestiges visibles sur la petite plateforme sommitale. Toutefois, un édifice allongé transversalement et comportant au moins deux pièces occupe la partie nord. Il est peut-être associé à un autre édifice situé à une dizaine de mètres au sud. La présence de constructions sur plusieurs éminences, rappelant certains sites comme Brucato, permettait d’émettre l’hypothèse d’une implantation primitive sur ce second promontoire, moins grand, moins haut, mais plus facilement défendable et dominant directement la vallée orientale ainsi que le goulot d’étranglement (fig. 3). La fonction de cet espace sommital ne pouvant être déduite par la seule prospection, un sondage archéologique a été réalisé.
- 40 Elles ont été retrouvées dans un comblement de terre scellant un niveau de circulation situé entre (...)
52Le plan d’un petit bâtiment d’une dizaine de mètres carrés peut être restitué (fig. 25 et 26). Avec son mur de refend à peu près médian, il aurait deux pièces. Aucun emplacement d’ouverture n’est visible sur l’ensemble des murs observés, notamment sur le côté sud qui serait le plus favorable. Deux médailles jubilaires de Rome (saint Thomas et saint François) du xviie siècle pourraient indiquer une fonction religieuse40. Dans ce cas, l’édifice serait orienté est-ouest, avec chœur à l’est, de plan quadrangulaire ou absidial, et accès sur le côté ouest. Le mur de refend aurait un passage médian et le mur ouest comporterait une baie s’ouvrant directement sur la pente du promontoire, avec quelques marches.
Fig. 25 Plan de masse du secteur de fouille du second promontoire.
Fig. 26 Probable chapelle dans la partie nord de la plateforme du second promontoire.
53Un chemin d’accès, large de 2,30 m, a été aménagé entre le rebord et le mur ouest du bâtiment (fig. 27). Si le rocher mis à nu n’a pas conservé la trace d’éventuelles marches taillées ou d’un aménagement de sentier, le passage reste tout à fait possible en raison de son orientation, contournant légèrement le mur, et de la faible inclinaison de la pente.
Fig. 27 Sol volcanique recouvrant le rocher calcaire à l’ouest du mur occidental de la probable chapelle et possible accès à la plateforme du second promontoire.
54Bien que moins structurée, l’organisation des habitations qui s’accrochent au second promontoire se rapproche de celle du promontoire castral avec l’aménagement de terrasses sur les flancs sud et ouest, qui comportent des bâtiments établis en fonction de ruelles longitudinales, dont l’emplacement varie selon l’orientation des terrasses. De la même manière, le nombre de terrasses est moins élevé à l’ouest qu’au sud, pour des raisons d’inclinaison des pentes de versant. Le flanc ouest est organisé en deux terrasses sur lesquelles sont établies des habitations jointives de même module que celles de l’autre promontoire. Ces dernières, placées en début de terrasse, ont été mieux identifiées sur le niveau II. Un accès direct depuis le chemin reliant la casa Barone à la plateforme de l’église Saint-Barthélemy est possible. Le flanc sud (fig. 9 et 28) présente un aménagement régulier d’au moins cinq terrasses sur lesquelles sont édifiées des constructions plutôt modestes selon un maillage assez serré, sauf vers l’extrémité orientale où les bâtiments paraissent de plus grandes dimensions. La lecture spatiale des vestiges construits du flanc sud est rendue délicate par les mouvements d’affaissement, bien visibles pour les murs de terrasse. Ces mouvements semblent antérieurs au grand tremblement de terre car on note l’ébauche d’un système de glacis destiné à renforcer ces murs (fig. 29).
Fig. 28 Les terrasses sud du second promontoire et la plateforme de l’église Saint-Barthélemy.
Fig. 29 Système de glacis en liaison avec la terrasse III sud du second promontoire.
55L’accès principal au second promontoire se faisait par une ruelle à escalier implantée à peu près dans l’angle sud-ouest, entre les terrasses du flanc occidental et celles du flanc sud. Il relie ce quartier à l’église Saint-Barthélemy par un espace triangulaire densément construit et bordé par le chemin principal.
56Au nord de ce promontoire, une avancée en terrasse au-dessus de la vallée encaissée du torrent comporte des structures construites correspondant à une demi-douzaine d’habitations, plutôt modestes. L’ampleur des éboulis laisse penser à de grandes différences dans les niveaux d’habitat et permet d’espérer la conservation de murs sur des élévations importantes. Cet ensemble, qui fonctionne avec le secteur oriental, est associé à un vaste édifice, probablement religieux.
2.5. Un secteur d’habitations à l’est
57Un habitat sur terrasses a été repéré le long du versant occidental de la vallée du torrent, au nord-est du site (fig. 30). Il semble moins dense et moins structuré que sur les flancs ouest et sud du promontoire castral, et l’aménagement des terrasses moins régulier que dans les secteurs de forte densité d’occupation, sauf vers le sud ; les habitations ont plutôt été construites en fonction du relief.
Fig. 30 Les terrasses du versant occidental de la vallée du Miele.
58La terrasse I présente un étagement intermédiaire vers le nord en se subdivisant en trois niveaux. Le niveau central (I bis) est occupé par un ensemble de constructions assez régulièrement disposées en fonction de la courbure de la vallée, en particulier les bâtiments 422 et 423 (fig. 6 et 31), dont certaines viennent se nicher à la base du promontoire castral, juste sous le château. Une ruelle devait relier directement ce groupe d’habitations à la porterie du château. Ce niveau central était sans doute recoupé par le chemin longeant le versant oriental de ce promontoire dont le tracé ancien ne correspond pas exactement à la voie actuelle. Le niveau supérieur (I) n’est occupé que par quelques vestiges de structures construites dans la partie nord. Il doit être distingué d’un ensemble de constructions structuré par une ruelle nord-sud et établi à l’entrée du site. Le niveau inférieur (I ter) est marqué par quelques belles constructions dans la partie sud. Une ruelle transversale à escalier met en contact les niveaux I ter et I bis du côté nord.
Fig. 31 Les bâtiments 422 et 423, allongés d’est en ouest, sur la terrasse I bis du secteur oriental.
59La terrasse II présente un étagement intermédiaire du côté sud (II, II bis et II ter) : les constructions, peu nombreuses, se raréfient à la fois vers le nord, jusqu’à une fontaine qui était probablement accostée d’un ou de plusieurs bâtiments, et vers l’est en direction du torrent. Le niveau central (II bis) devait se connecter avec l’ensemble d’habitations placées sur l’avancée en terrasse au nord du second promontoire.
2.6. La plateforme de l’église Saint-Barthélemy
- 41 Longueur totale : 40 m ; largeur de la nef : 12,50 m ; largeur du chevet : 22,50 m.
60Située près d’une zone densément occupée au pied du second promontoire, l’église Saint-Barthélemy est encore conservée partiellement en élévation (fig. 28) ; c’est un édifice imposant41 en forme de croix latine et à chevet plat. Séparée de ce chevet par une ruelle nord-sud, une série de trois bâtiments mitoyens constitue certainement une annexe résidentielle de l’édifice religieux (presbytère ?).
61Au nord de l’église Saint-Barthélemy, un groupe compact de plusieurs bâtiments mitoyens forme certainement un quartier (« corso ») (fig. 28). La hauteur des éboulis (3 à 4 m) pourrait indiquer une faible récupération des matériaux après le tremblement de terre ou résulter de l’érosion depuis les terrasses du second promontoire.
62Ailleurs, la plateforme paraît vide de constructions, du moins sur le côté sud qui correspond probablement à l’emplacement du cimetière ou d’une place. Cette plateforme semble avoir été volontairement aménagée, à partir d’un ressaut de pente naturel.
63Les campagnes de relevé topographique ont prouvé qu’avec un nettoyage de surface, il était possible d’obtenir un plan très précis des structures d’habitation et des infrastructures. Des zones de forte densité sont liées à des pôles de cristallisation, comme le château et l’église Saint-Barthélemy, qui limitent en quelque sorte l’urbanisation au nord et au sud. La fréquence des constructions sur les flancs ouest et sud du second promontoire et leur organisation similaire à celle des versants urbanisés du promontoire castral posent la question d’un troisième pôle de cristallisation sur la plateforme de cette éminence. En revanche, l’urbanisation plus lâche mais réelle du secteur oriental semble être le reflet d’une occupation plus tardive, à l’image d’autres secteurs non encore explorés.
64En dehors des sources et des fontaines situées en périphérie des zones habitées (fig. 6), aucun point d’approvisionnement en eau n’a été retrouvé dans les secteurs urbanisés proprement dits et à leurs abords immédiats. Il faut donc envisager l’existence de citernes de plein-ciel ou de sous-sol, aujourd’hui enterrées sous les décombres, notamment dans le secteur castral. Par ailleurs, la découverte d’une canalisation construite en pierre, dans le fond du torrent Miele et en amont de la ville, traduit des aménagements hydrauliques importants pour alimenter en eau le quartier oriental.
- 42 Certaines pierres volcaniques de grandes dimensions ont toutefois été retrouvées, pour des corniche (...)
- 43 L’assemblage pierres laviques pour les murs et pierres calcaires pour les éléments architectoniques (...)
65Le ramassage de surface systématique a livré plus de 4 000 tessons de céramique (45 kg), dont la datation large est comprise entre le xiiie et le xviie siècle, avec une nette prédominance des trois derniers siècles. L’absence de variation typologique tout au long des axes de ramassage indique qu’il n’y a pas eu de rupture entre le xiiie et le xviie siècle, en admettant que l’uniformité typologique reflète une uniformité chronologique. L’importance du mobilier céramique atteste une occupation dense, mais il n’a pas été possible de distinguer de différences nettes entre les zones prospectées. L’étude des matériaux de construction a montré l’existence de deux grands types de pierre. Les calcaires blancs, présents dans le sous-sol, sont destinés à des ensembles architectoniques privilégiés, avec parfois des décors42. Les pierres de surface, constituées surtout de bombes volcaniques qui ne se prêtent pas à la taille, sont utilisées comme moellons43. Cette distinction basique constitue un élément pour différencier les habitations privilégiées ou publiques (construction en pierres calcaires avec mortier) des habitations particulières ou moins importantes (construction en moellons volcaniques avec argile sèche sur semelle de fondation).
66Avec les renseignements fournis par l’approche topographique et les prospections, nous avons mis en place une problématique de fouille avec un axe spatial (structuration de la ville moderne) et un axe chronologique (origine de la ville).
3. Des sondages archéologiques ciblés
67Le point central du site de Terravecchia est le château et il semble logique qu’un habitat se soit groupé sous son égide. Cette zone, la plus prestigieuse par la puissance de ses aménagements, sa dimension, sa qualité, sa diversité ou son originalité, l’est justement trop, surtout en l’absence de grands moyens d’investigation, tant financiers qu’humains. Il est donc apparu préférable d’engager la recherche dans un secteur plus modeste de l’habitat, afin d’asseoir la qualité du travail de l’équipe et d’étayer la valeur scientifique du site. Il est évident qu’une simple construction ou un simple espace de circulation pris en un point quelconque de l’habitat n’aurait pas été significatif. Il fallait donc choisir un endroit stratégique à la jonction de plusieurs questions. Celui-ci nous a semblé être la pointe sud du promontoire castral. Dans cet angle, c’est la quatrième terrasse qui est d’évidence la plus centrale et la plus spécifique pour une bonne vision d’ensemble. À partir de ce point de jonction, il sera possible par la suite d’étendre plus librement les recherches, soit de haut en bas, soit de long en large. Ce point correspond au bâtiment 35 (fig. 6), en limitant la campagne au dégagement des structures hautes afin de mieux observer les liens connexes et de mieux orienter les investigations. Ainsi, les niveaux n’ont été qu’effleurés sous la forme d’une « recherche stratigraphique horizontale ». Simultanément, une recherche en « stratigraphie verticale » a été menée quelques mètres au sud du bâtiment 35, dans le bâtiment 179.
3.1. Essai d’archéologie « horizontale » dans l’angle sud-ouest du promontoire castral
68La terrasse V ouest est occupée par une suite d’espaces clos, de formes et de dimensions variables (fig. 32). Les façades ne suivent pas un alignement strict mais subissent une succession de retraits les unes par rapport aux autres, à cause d’une adaptation nécessaire à une très forte pente du terrain. Ces décrochements semblent avoir donné, dans deux cas, un espace suffisant pour réserver un perron offrant une ouverture plus large à l’accès qu’au seuil.
Fig. 32 Plan de masse de la zone sud-ouest du promontoire castral. État 2003-2005.
69Sur le versant sud se présentent deux terrasses (IV et V) et l’amorce d’une troisième très largement détruite par l’érosion (VI), celle concernée par la fouille du bâtiment 179. Les deux supérieures sont séparées entre elles et des suivantes par une voie de circulation. Entre la terrasse V et la terrasse IV, des passages montant à la perpendiculaire laissent supposer des ruelles de communication entre les niveaux. En général, l’axe de circulation mesure 2,50 m de large. Il est possible que certaines ruelles comportent un escalier et d’autres seulement une pente aménagée. Il a pu aussi y avoir des passages combinant les deux, c’est-à-dire une pente aménagée bordée par endroits d’un escalier étroit.
70Construits en fonction des courbes de niveau, les bâtiments sont perpendiculaires à l’axe des pentes. Chaque terrasse est maintenue par un mur sur lequel viennent s’adosser les habitations. Les entrées des maisons de la terrasse IV sont du côté de la dénivellation, ce qui implique que le mur de terrasse correspond à la façade des édifices ; pour la terrasse V, les seuils se situeraient au nord des pièces. Les cellules d’habitation sont de forme carrée ou rectangulaire, parfois trapézoïdale. Les pièces sont généralement d’une dimension moyenne n’excédant pas 7 m de long. Les plus grandes constructions possèdent aussi des pièces de plus faibles dimensions correspondant à des annexes, des cours ou des jardins.
71Sur la pointe de la terrasse III ont été relevés les deux murs d’angle d’une construction (bât. 56) qui borde le croisement de deux voies, l’une au sud dont la largeur est estimée à 1,80 m et l’autre à l’ouest, large d’environ 2,10 m. Directement au-dessous, de l’autre côté de la voie, ont été relevés les trois murs de la partie ouest d’une autre construction (bât. 36). L’espace interne, entièrement circonscrit, a une surface de 6,50 x 5,50 m, soit environ 36 m2.
72Dans l’alignement et séparé par la voie ouest, un autre bâtiment semble particulier (bât. 35) car il est situé à un angle de terrasses qui sont en quelque sorte en connexion (IV sud et IV ouest). Dans l’état, il ne montre qu’une seule grande pièce, précédée par une structure externe assez importante s’étendant devant l’emplacement supposé de l’entrée. Ce perron ou ce parvis peut être un lieu public d’attente, de perception, de réception ou de réunion. L’espace interne forme une sorte de trapèze qui mesurerait en moyenne 6 x 4 m, soit 24 m2. Enfin, cet édifice est complètement cerné par des voies.
3.2. Fouille archéologique du bâtiment 179 : un habitat au bas du promontoire castral
73Le choix d’étudier le bâtiment 179 de la terrasse VI s’est effectué en fonction de deux impératifs : c’est une structure suffisamment lisible pour rendre compte de l’intérêt scientifique, patrimonial, touristique et pédagogique d’une fouille visant à reconstituer l’état final de l’agglomération (fin xviie siècle) ; c’est une zone assez riche pour permettre une fouille en profondeur, afin d’apporter des éléments chronologiques sur l’évolution du site. Par ailleurs, l’érosion des sols en avait détruit la façade et le condamnait à disparaître en partie à moyen terme.
- 44 Les trois critères d’individualisation d’une unité d’habitation définis par l’équipe de Brucato son (...)
74Le bâtiment (fig. 33) est un rectangle d’un peu plus de 40 m2 (7 x 5,80 m), séparé en deux pièces de superficie équivalente par un mur central, de direction est-ouest, large de 0,62 m et percé en son centre d’une ouverture de 0,80 m (fig. 34). Bien que le mur sud ait été détruit par l’effet de l’érosion, nous avons pu réaliser la fouille complète de cette unité d’habitation44.
Fig. 33 Plan de masse du bâtiment 179.
Fig. 34 Vue générale du bâtiment 179 depuis l’est.
3.2.1. Analyse archéologique
75Dans la pièce sud (4,25 x 3,30 m, soit environ 14 m2), un amoncellement de pierres concentrées au centre de l’espace s’est formé après le tremblement de terre, en liaison avec l’abandon du site. La couche de démolition sous-jacente présente deux strates : le niveau supérieur de terre et de blocs de pierre, identifié comme la couche de destruction des murs, recouvre une couche plus mince qui correspond à la destruction de la couverture, constituée principalement de tuiles plus ou moins fragmentées et parfois presque complètes (7 474 fragments). La stratigraphie indique que l’effondrement de la toiture a précédé celle des murs et la concentration des blocs de pierre dans la partie ouest de la pièce semble montrer le sens de l’effondrement, d’ouest en est.
76La couche de dernière occupation, qui ne correspond pas à un sol de terre battue et qui repose directement sur le rocher aménagé, comporte un mobilier relativement important. La pièce est coupée en deux parties inégales par un mur perturbé, orienté nord-sud. L’essentiel des céramiques, en particulier une jarre cassée sur place, se situe entre le mur oriental de la pièce et cet alignement, ce qui pourrait refléter la disposition de la pièce au moment du tremblement de terre, avec un dépôt de céramiques pour la conservation le long du mur oriental.
77La pièce nord (4,25 x 2,30 m, soit environ 10 m2) est comblée par un ensemble assez homogène, composé de gros moellons, surtout volcaniques, recouverts de terre végétale qui s’est infiltrée par endroits. Parmi le peu de mobilier issu de ce remblai (12 tessons de céramique), la présence de fragments appartenant à une grosse jarre dont l’essentiel a été retrouvé en place sur le sol du bâtiment indique un bouleversement anthropique, suite à l’intervention, soit d’habitants pour récupérer du mobilier après le tremblement de terre, soit de curieux à la recherche d’antiquités, soit de bergers pour la construction du muret de la terrasse V.
- 45 Grierson 1998, n° 844 ou 883. Les monnaies ont été identifiées sur photographies par Marc Bompaire, (...)
78La couche sous-jacente se définit comme étant le stade de stabilisation de la couche de démolition après l’effondrement de la couverture et des murs. La preuve en est donnée par la hauteur des vestiges des murs ouest et est : leur arasement correspond à l’épaisseur du comblement des matériaux provenant de la destruction du bâtiment. La partie basse des murs a été préservée par cette couche de destruction, en cuvette et composée de deux strates. Dans le niveau supérieur, des pierres de toutes dimensions sont parsemées dans une terre pulvérulente parfois sombre (pouvant correspondre à la décomposition du bois de charpente). Dans le niveau inférieur, la présence massive des tuiles (plus de 6 000 fragments) indique bien que la toiture s’est effondrée avant les murs. Dans cette couche de remblai, un denier de Sicile d’Alphonse le Magnanime (1442-1458) ou de Jean II (1458-1478) a été retrouvé (736,73 m)45.
79Sous-jacente, une couche pulvérulente, constituant le niveau d’occupation proprement dit, est cendreuse dans le tiers oriental de la pièce, avec de gros morceaux de charbon de bois, des céramiques calcinées, des traces de feu sur le mur nord et des zones brûlées sur le rocher. Cette couche contient un mobilier relativement abondant, varié et concentré surtout le long du mur nord (fig. 35). On y recense 10 récipients cassés sur place par la chute des matériaux de construction, dont deux marmites, deux pichets, deux godets et une bouteille. Le mobilier métallique est représenté par une faucille, une lampe à huile en fer et quelques clous. Enfin, il faut signaler la présence de quelques restes osseux animaux et de 6 morceaux de verre (plat et creux).
Fig. 35 Répartition du mobilier dans le bâtiment 179.
80Dans l’angle sud-ouest de la pièce nord, un foyer rectangulaire a été construit par surcreusement du rocher (parois ouest et nord) et avec deux pierres posées directement sur le rocher, formant la paroi sud (fig. 36). À l’angle opposé (nord-est), on trouve une concentration de marmites.
Fig. 36 Le foyer construit, dans l’angle sud-ouest de la pièce nord du bâtiment 179.
81Les murs porteurs de cette habitation (fig. 37) sont composés de pierres volcaniques dures à modules variés, jointoyées à l’argile sèche, sans mortier ; on note quelques rares pierres calcaires taillées, qui sont peut-être des réemplois. Ils sont liaisonnés, contrairement au mur de séparation interne.
Fig. 37 Relevés pierre à pierre des murs internes du bâtiment 179 et coupe interprétative.
- 46 Le « solaio » était une sorte de comble qui occupait le tiers postérieur de la petite maison sicili (...)
82Le mur nord présente un ressaut de 5 cm, placé trop bas (à 0,80 m du sol) pour être un appui de poutres à plancher, pour un « solaio »46. Pour construire ce mur, on a creusé verticalement le rocher puis remblayé la partie comprise entre la paroi du rocher taillé et le mur ; c’est dans ce remblai qu’un denier de Sicile datant de la première moitié du xve siècle a été retrouvé. À peu près au centre du mur, on trouve une zone brûlée au niveau du rocher, à l’emplacement de la lampe à huile. La présence d’un morceau de bois brûlé pourrait indiquer un début d’incendie au moment du séisme.
- 47 La ressemblance avec le parement est du mur 51 du bâtiment XV de Brucato est frappante (Pesez 1984, (...)
83Les murs nord et est de la pièce nord (fig. 38) ont un appareillage assez régulier, avec une reprise possible de la partie occidentale du mur nord47. Le mur ouest des deux pièces, le mur est de la pièce sud et le mur de refend central comportent beaucoup de fragments de tuile destinés à combler les vides entre les moellons grossièrement équarris ; on remarque également la présence de blocs calcaires pouvant provenir d’une récupération sur d’autres bâtiments (fig. 37). Par ailleurs, on note, d’une part, une différence d’alignement entre les murs ouest des pièces nord et sud alors que les murs orientaux sont parfaitement alignés et, d’autre part, la présence d’un ressaut du côté extérieur des murs ouest qui pourrait indiquer l’existence d’un état antérieur. Ces éléments permettent d’émettre l’hypothèse d’une grosse réparation de cette unité d’habitation, peut-être après le tremblement de terre de 1542, avec un nettoyage complet des sols, même un recreusement, ce qui expliquerait l’absence de mobilier antérieur aux xvie-xviie siècles.
Fig. 38 Le bâtiment 179 vu du nord, en fin de fouille.
84Le rocher a été aménagé par surcreusement : les parois occidentale, orientale et septentrionale ont été construites en fonction de ce découpage, qui a éliminé d’éventuels vestiges antérieurs. Dans la pièce sud, le rocher est taillé d’une manière bien plane ; le mur de refend repose directement sur ce rocher qui n’a pas été ciselé aussi profondément, comme pour créer une sorte d’assise de fondation. Dans la pièce nord, les murs reposent directement sur le rocher non taillé. Le sol de cette pièce correspond aussi au rocher mais mal taillé, avec des cuvettes ; sans doute ce sol était-il équipé d’un plancher ?
85Le dégagement des abords de cette unité d’habitation a permis de retrouver, au nord, un niveau de circulation crayeux, avec petits galets, établi sur un aménagement du rocher, qui correspond certainement à la ruelle longitudinale de la terrasse V (fig. 38). Dans le remblai situé au-dessus comme dans le comblement de la tranchée du mur nord, on trouve un mobilier plus ancien.
- 48 Poisson 1984, p. 683-691.
- 49 Aurions-nous pour autant une casa soprana, telle qu’elle a été définie par J.-M. Poisson (ibid.), a (...)
86Le bâtiment 179 est une habitation assez rustique et plutôt exiguë (environ 24 m2 habitables), composée de deux pièces de rez-de-chaussée (fig. 38). Il s’agit d’une maison mitoyenne à l’est et à l’ouest, comprise entre deux ruelles longitudinales parallèles, celle du nord ayant une largeur de 2,80 m. Deux hypothèses sont envisageables. Dans la première, cette habitation pourrait ne pas avoir d’étage et ressemblerait à la maison d’un salarié agricole, souvent nommée casa terrana48. On peut envisager une ouverture dans la paroi occidentale, pour l’aération, l’évacuation de la fumée et l’éclairage de la pièce nord. Selon Jean-Michel Poisson, les ouvertures sont rares et, quand elles existent, elles sont réduites. Il est possible que la toiture, faite de tuiles canales, soit en appentis à un seul versant, légèrement en pente vers le sud. L’espace culinaire serait dans la pièce nord, bien que cette position soit étonnante. La partie orientale de la pièce sud serait destinée au stockage des aliments. Un mur à arcade a pu délimiter cet espace. Dans la seconde hypothèse, l’unité d’habitation posséderait deux niveaux : le niveau supérieur accessible directement par la terrasse V, au nord, et le niveau inférieur par la terrasse VI, au sud. Ce dernier comporterait deux pièces : celle du sud pouvait être réservée au stockage et celle du nord à la préparation culinaire. Dans ce cas de figure, les deux niveaux communiquaient certainement par une échelle en bois, placée sur le flanc oriental de l’habitation49.
87Serrée entre les maisons voisines, cette habitation « urbaine », comme à Brucato, n’a d’espace extérieur que la rue. Son niveau de confort semble minimal : pas de système d’évacuation des eaux usées, pas d’adduction d’eau, pas de pièce particulière pour les latrines.
88Les divers éléments qui viennent d’être énoncés permettent de proposer un phasage pour cette unité d’habitation :
- 1. deuxième moitié xive-début xve siècle : construction de la maison,
- 2. 1542 : destruction partielle,
- 3. après 1542 : reconstruction partielle avec nettoyage des sols jusqu’au rocher,
- 4. 1693 : destruction complète,
- 5. après 1693 : récupération de matériaux et de mobilier.
3.2.2. Étude du mobilier
- 50 Le reste du mobilier, trouvé essentiellement dans la pièce nord, est constitué de quelques verres c (...)
89Le mobilier exhumé dans le bâtiment 179 est principalement composé de céramiques50. Le lot constitue un ensemble homogène des xvie et xviie siècles. On recense 2 090 fragments répartis dans 13 unités stratigraphiques et correspondant à 67 récipients, dont 15 vases archéologiquement complets, brisés et abandonnés sur place (fig. 39 à 44).
90On dénombre une grande proportion de céramiques à pâte rosée, parfois à cœur gris. L’épaisseur des parois est très variable, de texture assez sableuse et tendre, de couleur beige à l’intérieur et à l’extérieur. Les fragments sont souvent pourvus d’un décor peigné aux motifs linéaires, rectilignes ou ondulés, dont la largeur varie selon le nombre de lignes. Certains tessons sont ornés d’incisions profondes et, plus rarement, de pastillages. Ces décors sont fréquemment situés sur la partie supérieure de la panse, sur l’épaulement et au-dessus de l’attache inférieure de l’anse. Ces types de pâte et de motifs se retrouvent sur des céramiques byzantines dès les vie-viiie siècles et sur des récipients orientaux depuis le viie jusqu’à la fin du xiie siècle. En Occident, ces productions sont connues en Toscane dès le xive siècle. Si cette production est majoritaire (51 %) en nombre de fragments, elle représente seulement 7 individus, parmi lesquels la grande jarre (fig. 39) et le pot de conservation à décor en pastilles (fig. 40B), tous deux trouvés dans la partie orientale de la pièce sud. Dans le même groupe, une bouteille décorée d’incisions (fig. 42B) et deux fioles (fig. 42A) ont été collectées dans la couche d’occupation de la pièce nord. Il semblerait que cette production soit réservée à des récipients à liquide ou de conservation. La composition de la pâte, poreuse et peu cuite, évite l’évaporation du liquide et permet de le maintenir toujours au frais.
Fig. 39 Jarre trouvée dans la pièce sud du bâtiment 179.
Fig. 40 Pichet et pot trouvés dans la pièce sud du bâtiment 179.
- 51 Céramiques au motif de couleur bleue sur fond blanc.
91La majolique correspond à plus du tiers du mobilier céramique, avec 57 individus. Elle se caractérise par une pâte compacte blanche rosée, recouverte d’un émail interne et externe de couleur blanche opaque sans décor (16,5 %) ou d’un émail stannifère peint d’un motif floral polychrome (10,5 %). Cette céramique est connue dès 1550. Les majoliques de style severo51 sont également bien représentées. Dans cette catégorie, les formes ouvertes et basses sont majoritaires ; le reste correspond principalement au service à liquide. Deux pichets et deux assiettes ont été recensés dans le niveau d’occupation de la pièce sud. Dans la pièce nord, on dénombre quatre assiettes (fig. 41) et deux brocs (fig. 44), près du foyer.
Fig. 41 Assiettes trouvées dans la pièce nord du bâtiment 179.
Fig. 42 Fiole et bouteille trouvées dans la pièce nord du bâtiment 179.
92Le reste des fragments (22 %) correspond à une production probablement locale. Il s’agit de récipients à pâte rouge, de texture dure, rugueuse au toucher et parfois glaçurée. Huit récipients de ce type ont pu être répertoriés, surtout des céramiques culinaires de type marmite (fig. 43).
Fig. 43 Marmites trouvées dans la pièce nord du bâtiment 179.
Fig. 44 Broc trouvé dans la pièce nord du bâtiment 179.
- 52 Rappelons que cette pièce comporte une structure à feu.
93Dans la mesure où une partie de la vaisselle semble être restée en place, relativement épargnée par la destruction et la récupération, on peut tenter un essai de restitution de l’espace interne du bâtiment (fig. 35). Une majorité de récipients liés à la préparation culinaire se situe dans la pièce nord52 et une majorité d’ustensiles liés au stockage dans la pièce sud. Outre des cols d’amphore, des pots de conservation et des oules, on recense, dans cette dernière, des pichets servant à contenir un liquide pour un temps réduit puisque la présence d’un bec pincé empêche toute possibilité de fermeture de ce récipient (fig. 40A). On retiendra surtout la présence d’une jarre de grande capacité trouvée en place mais cassée. Vide, elle pèse plus de 8 kg et elle est encombrante. Destinée à rester sur place une fois pleine, elle est dépourvue d’éléments de préhension (fig. 39). On retrouve des ustensiles liés à la consommation surtout dans la pièce nord qui a la plus forte densité de mobilier fragmenté et contient d’autres objets de la vie quotidienne, comme la lampe à huile en fer, la faucille ou un anneau en cuivre.
94Dans la pièce nord, l’analyse des recollages montre que les remblais de destruction ont été remués, probablement par les habitants, pour récupérer des objets. En effet, les quelques tessons trouvés dans les niveaux d’arasement des murs ou dans les couches de destruction sont en connexion avec des céramiques retrouvées en place sur le sol d’occupation.
95Avec un peu moins de 200 restes (80 dans la pièce nord et 114 dans la pièce sud), cette unité d’habitation a livré peu d’ossements animaux, sans doute parce que les espaces étaient régulièrement nettoyés comme pièces à vivre. D’après l’archéozoologue Benoît Clavel, l’ensemble se caractérise par une domination des grands mammifères domestiques, en particulier les caprinés et le bœuf. Cette situation est probablement due aux problèmes de conservation différentielle, notamment l’acidité du terrain.
- 53 Nous remercions J.-M. Poisson de nous avoir sensibilisés à cet aspect.
- 54 J.-M. Poisson propose une hypothèse de chronologie relative avec une terra nouvelle au xive siècle, (...)
96L’approche topographique montre l’existence d’un plan régulier, non seulement pour le château mais aussi pour le castrum et pour le bourg, sous la forme de trois quadrilatères qui s’articulent à partir de l’angle sud-ouest (fig. 6). Cette modélisation impliquait que l’on s’affranchisse au maximum des contraintes du terrain, pour créer des lignes de maisons rectilignes et perpendiculaires53. Dans ces secteurs, les traces antérieures ont donc pu être complètement scalpées par les aménagements programmés et systématiques qui ont impliqué des nivellements du rocher ainsi que des reconstructions de bâtiments. Cette régularité du plan contraste avec ce que l’on devine du reste de l’habitat. À l’est et au sud, les bâtiments paraissent disposés sans autre ordre que celui des courbes de niveau, servant de base pour l’aménagement des terrasses54.
- 55 Rappelons qu’un denier de la première moitié du xve siècle a été trouvé dans la tranchée de fondati (...)
97En effet, sur les trois secteurs de fouille comme pour toutes les opérations de prospection, aucun objet antérieur au xve siècle n’a été retrouvé, en dehors de quelques tessons résiduels pouvant appartenir aux xiiie-xive siècles. Le xve siècle semble une époque de profonds changements dans la fonction première du site, avec l’aspect « urbain » qui prend définitivement le pas sur l’aspect « militaire » et peut-être aussi « féodal ». La modélisation du nouvel habitat a pu être rapidement suivie d’une forte urbanisation, non ou mal contrôlée. Le bâtiment 179, au bas du promontoire castral, pourrait être issu de ce mouvement d’expansion urbaine, hors des murs du quartier urbain du promontoire castral55.
« L’après 1693 »
- 56 C’est toujours ainsi que le lieu est nommé.
- 57 Nunzio 1996, p. 91-92 ; Poisson 1984, p. 89.
98Après le tremblement de terre, le marquis Don Geronimo Settimo convoqua rapidement le conseil municipal pour prendre la décision de reconstruire sur place ou non. Le 2 février 1693, c’est-à-dire à peine trois semaines après la catastrophe, les jurés, après avoir pris en considération l’aspect économique et les questions de sécurité, décident que la ville serait reconstruite sur la colline nommée « cozzo delli disi »56. Ce déplacement dans la vallée est dû au désir de se rapprocher des forces vives du comté, de s’installer dans une zone de carrefour et de renforcer les relations avec Raguse, Chiaramonte, Monterosso et Modica, pour pouvoir vendre plus facilement les produits agricoles. Le nouveau site dispose de riches et fertiles terres exposées au soleil et d’un climat moins dur que l’ancien site. Par ailleurs, de nombreux habitants de la vieille Giarratana étaient déjà propriétaires dans la vallée. Avec leur consentement, il est convenu qu’ils céderont aux familles une partie de leurs terrains et qu’en échange, ils récupéreront ceux situés sur l’ancienne Giarratana. La reconstruction de la ville suit deux voies parallèles, l’une officielle et l’autre officieuse. En effet, pendant que les classes dirigeantes tentent d’obtenir les autorisations prévues en cas de transfert de site, les habitants construisent des maisons et quelques églises. Ce n’est que le 21 mars 1695 que le vice-roi donne son accord définitif et ordonne de tenir un conseil public pour régler les derniers problèmes57.
- 58 Dufour 1981, p. 523-563.
99Ce changement de site rend compte à la fois d’une réalité topographique car l’ancienne Giarratana n’était pas installée sur un axe de passage naturel et d’une évolution économique favorable aux échanges et, donc, aux emplacements de carrefour, comme la nouvelle Giarratana. Le tremblement de terre a aussi offert l’occasion de mettre en œuvre un processus de modernisation de la ville, par une transformation de l’espace urbain à la fois rapide et radicale. Le nouveau plan témoigne de l’organisation sociale, notamment par la distribution du parcellaire. Les familles dominantes, les clercs et les religieux trouvent l’occasion d’affirmer leur puissance. Les palais et les bâtiments religieux se répartissent à partir d’un point idéal, souvent représenté par l’église-mère, marquant ainsi une préférence pour la place centrale ou l’axe principal, selon une hiérarchisation qui va du centre vers la périphérie. Cependant, il ne s’agit pas d’une reconstruction à l’identique, surtout dans les villes rebâties ex nihilo, mais d’une redistribution de l’espace urbain selon les nouveaux rapports de force survenus entre les grandes familles de la ville et certaines communautés religieuses58.
- 59 Giarratana est l’un des exemples emblématiques des nouvelles cités de plan régulier construites en (...)
100L’étude topographique de la ville de Giarratana59, menée par Magalie Dartus, a mis en évidence deux secteurs définis par les connaissances historiques ainsi que par l’observation de l’architecture des bâtiments et de leur situation par rapport aux axes de circulation. De direction nord-ouest/sud-est et sud-ouest/nord-est, ces derniers s’organisent selon un plan orthonormé et les îlots résultant de ce schéma sont, la plupart du temps, réguliers dans leurs dimensions (fig. 45).
Fig. 45 Essai d’interprétation de la topographie de la ville actuelle de Giarratana.
101Le premier secteur se situe dans la partie la plus haute, au nord-ouest de la ville, entre l’église Saint-Antoine et le château, qui sont les deux pôles importants de la ville. Le marquis de Giarratana a certainement fait reconstruire son château sur le nouveau site dès le début du projet ; il est séparé du reste des habitations par une vallée servant de système défensif. Les habitants ont établi leur église Saint-Antoine sur le nouveau site et y ont transporté la statue du saint. Le nouvel édifice est placé sur le bord occidental d’un éperon rocheux assez étroit, ceinturé par la via Giovanni Bovio. Le corso Umbert I débute au centre de l’éperon, longe l’église Saint-Antoine à l’est et se poursuit en direction du sud-est. Par son origine topographique, le corso Umberto I peut être considéré comme un axe principal primitif. La ville va d’abord s’organiser à l’ouest de cet axe. Le premier secteur a également été déterminé par la localisation de cinq palais, qui se situent tous au nord de la via Giuseppe Garibaldi. De ce fait, cette voie peut également être considérée comme un axe primitif. Parmi les cinq palais, quatre se trouvent entre l’église Saint-Antoine et le château, le cinquième étant celui construit sur l’éperon.
102Le deuxième secteur se définit d’abord par la présence de façades bourgeoises, notamment au carrefour du corso XX settembre et de la via Vincenzo Bellini. Ensuite, des demeures plus modestes mais anciennes ont été localisées entre la via Giovanni Bovio et la via Dei Martiri. Ces deux ensembles délimitent un secteur qui paraît plus récent que le premier et illustre assez bien l’extension de la ville vers le sud.
103À la jonction entre les deux secteurs, le quartier de la Chiesa Madre (Notre-Dame) est constitué de petits îlots qui entourent l’église, de l’actuel Hôtel de Ville (et de son esplanade) et d’un pâté de maisons directement au sud de l’église Saint-Antoine, avec des façades bourgeoises. Cet ensemble ne s’intègre pas dans le plan orthonormé de la ville. Un grand bâtiment aux façades bourgeoises dépasse d’un tiers la longueur des autres îlots et, de ce fait, coupe la via Archimède. L’Hôtel de Ville et son esplanade viennent se loger au sud, dans l’espace restant entre ce bâtiment et le corso Giuseppe Garibaldi. Alors que tous les blocs sont orientés dans leur longueur nord-ouest/sud-est, la Chiesa Madre a été construite perpendiculairement, occupant dans sa longueur plus de deux largeurs d’îlot. Ce choix a probablement été motivé par le désir de respecter l’orientation classique des églises en Occident (chevet à l’est). Il est à noter que les églises Saint-Antoine et Saint-Barthélemy sont orientées selon le schéma de la ville, c’est-à-dire que le chœur est approximativement orienté vers le nord. Ces anomalies dans le schéma initial de la ville suggèrent peut-être une interface entre les deux secteurs d’urbanisation.
- 60 Toutefois, la comparaison des répartitions spatiales (château, églises principales) entre l’ancienn (...)
104La planification urbanistique ne semble donc pas immédiate. Dans un premier temps, la construction a été effectuée sur le point haut de la colline, à partir du château du marquis et en fonction de la présence de sources à cet endroit. L’organisation en terrasses est encore largement conditionnée par le relief. Elle est peut-être le résultat d’une volonté, ou d’un désir inconscient, de reproduire l’espace de l’ancienne cité détruite60. Les trois églises sont édifiées dans des positions différentes par rapport à ce premier espace urbain : dominante et en association avec le château pour Saint-Antoine, secondaire au milieu de la pente et en face du Conseil de Ville pour Notre-Dame, périphérique pour Saint-Barthélemy.
105Dans un second temps, la planification se développe vers le fond de la vallée, où les contraintes topographiques sont moindres. Les lotissements de pâtés de maisons s’organisent en fonction d’un axe nord-ouest/sud-est, la via Umberto I, probable tangente à une voie déterminée par les deux premières églises, et en fonction d’un axe sud-ouest/nord-est, la via XX settembre, peut-être établie à partir de la limite sud de la première urbanisation et de la troisième église.
106Cascade de murs abandonnés en pleine montagne sur les flancs d’un éperon de la vallée du Miele, l’habitat originel est resté à jamais inoccupé, à l’inverse de pratiquement toutes les villes sinistrées au même moment, réédifiées à proximité puis sur les ruines. Le site protégé de Terravecchia présente d’emblée la vision de la fossilisation d’un potentiel archéologique fort : là se fait jour une organisation spatiale médiévale et moderne à grande échelle, là se laisse pressentir matière à études spécifiques d’une culture matérielle à la fois agricole et urbaine, sous le regard d’un complexe castral et dans l’entourage d’édifices religieux. Des archives existent, le citent dès 1109, lui donnent une réelle identification et montrent les impacts des séismes, l’un grave en 1542, et un autre ultime en 1693.
107Au regard de l’importance spatio-temporelle du site, nous avons obtenu avant tout des résultats méthodologiques. C’est le croisement des informations extraites du plan topographique des structures, des prospections et des recherches documentaires, travail d’une équipe pluridisciplinaire selon un processus opératoire léger et non destructeur, qui a permis de poser clairement des hypothèses sur l’étendue, l’organisation et le développement des principaux quartiers de la ville. Des sondages archéologiques ciblés ont complété les informations nécessaires pour construire une problématique avec une dimension spatiale et chronologique.
108Après dix campagnes de courte durée, notre démarche descriptive s’est avérée fructueuse, elle a fourni les éléments matériels susceptibles de fonder un projet ambitieux nécessitant un financement digne de l’enjeu scientifique et de l’intérêt patrimonial du site.