Concentration des populations musulmanes et structuration de l’associatif musulman à Bruxelles (original) (raw)

Introduction

1La présence des musulmans en Belgique, et a fortiori à Bruxelles, est le résultat d’un processus historique relativement récent, à savoir l’appel massif à une main-d’œuvre étrangère effectué, dans les années 1960, par les autorités belges de l’époque, dans le cadre d’une politique migratoire.1 Au fil des décennies, la population musulmane s’est progressivement et significativement accrue sous l’effet de plusieurs facteurs : le cycle naturel des naissances, le regroupement familial prévu dans les conventions et que les autorités belges vont encourager dans une optique d’intégration, les mariages des musulmans et musulmanes belges avec un(e) ressortissant(e) du pays d’origine, les réfugiés politiques, les conversions, l’immigration illégale, etc.

2Cela dit, les statistiques nationales ne reprenant aucune donnée quant à l’affiliation religieuse de la population, il reste extrêmement difficile de se faire une idée précise du nombre de musulmans vivant en Belgique et, a fortiori, à Bruxelles. Aussi n’est-il possible que d’avancer des ordres de grandeur, des estimations basées sur l’extrapolation du nombre de personnes issues de l’immigration et de leurs descendants. Ce problème a été soulevé par de nombreux chercheurs, que ce soit en Belgique (Dassetto, 1997) ou dans d’autres pays européens, comme la France (Boubeker, 2006), par exemple.

3Dans ce cadre, les estimations les plus récentes avancent un chiffre qui varie entre 350 000 et 370 000 personnes de confession musulmane en Belgique, soit plus ou moins 4 % de la population, dont 6 000 à 30 000 convertis belges ou d’origine européenne (Aksöyek, 2000), une grande majorité (plus de 90 %) de cette population étant issue de l’immigration (Manço, Kanmaz, 2004). La population musulmane bruxelloise est, quant à elle, estimée à approximativement 160 000 personnes, soit 39 % du total des musulmans du pays et près de 17 % de la population bruxelloise totale, ces taux faisant de Bruxelles « une des villes les plus musulmanes du monde occidental » (Manço, Kanmaz, 2004).

4Ces estimations, cependant, présentent au moins deux inconvénients majeurs. Premièrement, ces données chiffrées présument de l’appartenance à la religion musulmane des immigrés issus de pays dont l’islam est la religion dominante, ainsi que de leurs descendants, alors que certains pourraient appartenir à d’autres religions (certains pays musulmans comptant ou ayant compté d’importantes minorités juives ou chrétiennes, par exemple) ou être laïcs. En effet, l’appartenance à l’islam est multiple : fait de civilisation sans signification religieuse pour les uns, fondement d’une éthique pour les autres, ritualisation de la vie pour d’autres encore, voire soubassement d’une idéologie politique (Dassetto, 1996). Il est à noter que, dans cet article, nous utiliserons les termes de « musulman » et d’« islamique » dans le sens d’une référence à l’islam comme fait de croyance2.

5Deuxièmement, ces extrapolations chiffrées ne permettent pas de saisir la diversité des populations musulmanes à Bruxelles. Une première manière d’éviter ces écueils consiste à prendre en compte la diversité des origines et des groupes ethniques des musulmans bruxellois. Ainsi, plus de 70 % des musulmans bruxellois seraient marocains ou d’origine marocaine et 20 % seraient turcs ou d’origine turque, les 10 % restant représenteraient les Albanais, les Pakistanais, les Egyptiens ainsi que les autres nationalités ou origines maghrébines (Tunisie, Algérie, etc.). Mais il nous semble qu’une autre manière de rompre avec « une appréhension globalisante ou abstraite des réalités musulmanes » (Dassetto, 1996) pourrait bien résider dans la réalisation d’une cartographie du tissu associatif musulman. En effet, comparées aux autres formes associatives, culturelles ou politiques, les associations musulmanes présentent probablement, d’un point de vue quantitatif, la plus forte capacité d’organisation et d’orientation (Dassetto, 1997). Dans ce cadre, l’appréhension cartographique du tissu associatif musulman, qu’on a réalisée ici en croisant les résultats de plusieurs bases de données et d’observations de terrain menées entre juin 2004 et juin 2006, nous semble constituer un apport utile quant à la connaissance des populations musulmanes bruxelloises.

I. Une présence spatialement concentrée dans certains quartiers

6Une simple analyse des données de l’Institut National de Statistique concernant les populations ayant la nationalité d’un pays où l’islam est la religion dominante et habitant à Bruxelles montre leur extrême concentration dans certaines communes et dans certains quartiers. En effet, près de 75 % de cette population habite dans seulement cinq des dix-neuf communes de la Région de Bruxelles-Capitale (RBC) : Anderlecht, Bruxelles-Ville, Molenbeek, Schaerbeek, Saint-Josse.

Tableau 1. Population ayant la nationalité d’un pays où l’islam est la religion dominante en Région de Bruxelles-Capitale (RBC)

Tableau 1. Population ayant la nationalité d’un pays où l’islam est la religion dominante en Région de Bruxelles-Capitale (RBC)

INS 2003.3

7Ces concentrations de la population musulmane en région bruxelloise tiennent d’abord à l’histoire migratoire elle-même : une migration de travail, avec une installation des migrants dans certains quartiers de l’espace urbain. Les travailleurs immigrés se sont en effet installés à l’origine à proximité de leur lieu de travail (notamment, pour Bruxelles, dans le secteur de la construction) ou ont émigré vers la ville lors de la crise économique des années 1970. L’immigration musulmane s’est concentrée de manière privilégiée dans les milieux urbains selon les fonctions assignées aux populations d’origine musulmane lors de la première arrivée des migrants (Dassetto, 1996). La répartition actuelle des populations musulmanes est donc, à l’échelle régionale, la mémoire du rôle économique de l’immigration maghrébine et turque (Kesteloot et al., 1997).

8La concentration des populations musulmanes à Bruxelles tient ensuite à la structuration socio-spatiale et résidentielle de Bruxelles en tant qu’entité urbaine. En effet, les migrants musulmans ont investi les zones urbaines d’habitat populaire aux coûts abordables. Or, à Bruxelles, ces quartiers se situent au centre de la ville. Et cette structuration spatiale est elle-même la conséquence d’éléments historiques divisant la ville en une partie « haute », plus favorisée, et une partie « basse », plus populaire, déterminant ainsi la localisation des groupes sociaux. La réalisation des grands travaux d’urbanisation et de rénovation de la ville (comme la construction des grands boulevards centraux, par exemple), a repoussé l’industrie ainsi que la population ouvrière vers l’Ouest et le canal, alors que la partie plus aisée de la ville s’est étendue principalement vers l’Est et vers le Sud (Merenne et al., 1997). Sans surprise, la population issue d’un pays où l’islam est la religion dominante s’est concentrée dans les communes les plus pauvres de la région, c’est-à-dire celles où le revenu moyen par déclaration est inférieur à la moyenne de la région4.

Tableau 2 Revenus moyens par déclaration en euros (exercice 2002, revenus 2001)

Tableau 2 Revenus moyens par déclaration en euros (exercice 2002, revenus 2001)

INS, 2001

9La concentration des populations musulmanes en région bruxelloise correspond également aux évolutions économiques qui ont eu lieu dans les années 1960 et 1970. La croissance économique des années 1960 a permis une nette amélioration du niveau de vie de certains groupes sociaux. Cette embellie économique a favorisé leur ascension sociale et leur a permis d’occuper de nouveaux espaces. S’ajoutant à cela le fait que l’Etat belge a mené au cours de la même période une politique d’accession à la propriété, de nombreuses familles ont quitté la ville pour construire dans des quartiers périphériques où le prix des terrains se trouvait désormais à leur portée (Kesteloot et al., 1997). Or, l’écrasante majorité des familles musulmanes faisait partie, à l’époque, des catégories de population dont les conditions socio-économiques plus précaires bloquaient toute possibilité de mobilité spatiale. Elles sont donc demeurées dans les mêmes quartiers, même lorsque l’emploi a progressivement déserté ces zones de première insertion (Alaluf, 1993). Les plus vieux quartiers du centre urbain bruxellois ont ainsi été progressivement abandonnés par les classes supérieures et par une partie de la classe ouvrière qui se trouvait dans des conditions lui permettant d’aspirer à un meilleur cadre de vie, pour être investis par les populations immigrées et les classes sociales populaires incapables de suivre le mouvement de suburbanisation (Kesteloot, 1990). La crise économique des années 1970 et l’augmentation de la précarisation des conditions économiques qui s’en est suivi, ont eu pour effet de limiter davantage encore les possibilités de mobilité sociale et spatiale, consolidant donc la présence des famille musulmanes dans ces quartiers. L’accroissement du nombre de propriétaires parmi les familles musulmanes ayant également renforcé cette tendance (Kesteloot et al., 1997).

10Enfin, ces zones de concentration des immigrés musulmans et de leurs familles sont également les témoins des discriminations vécues par ces populations sur le marché du logement, ainsi que des réseaux de solidarité maintenus ou créés dans ces espaces. Il existait en effet, dans certaines communes, des mesures de refus d’inscription. Le refus de louer à des étrangers, la sélectivité dans l’octroi des logements sociaux, etc., sont également des éléments qui sont intervenus de façon non négligeable dans ce phénomène de concentration. C’est actuellement dans ces anciens quartiers ouvriers de la première et en partie de la deuxième couronne, encerclant le centre d’affaires par l’ouest et formant ce que l’on appelle couramment le « croissant » ou la « banane », que l’on trouve les plus fortes concentrations de familles musulmanes.

II. La création d’un tissu associatif dynamique et diversifié

11En quelques années, les populations musulmanes bruxelloises vont créer un tissu associatif dense et diversifié. L’appartenance à l’islam est ainsi explicitée dans l’espace public dans des « formes visibles et organisées » (Dassetto, 1997).

12Le développement des associations immigrées et musulmanes va connaître plusieurs phases. La première décennie, s’étalant des années 1960 aux années 1970, va d’abord voir le mouvement associatif immigré développer une myriade d’activités à caractère social et culturel (enseignement, éducation, sport, expression artistique, etc.) visant, d’une part, à combler le manque d’infrastructures mises en place par les pouvoirs publics pour assurer l’accueil et l’encadrement de ces populations et, d’autre part, à reconstruire une vie sociale commune en célébrant notamment les fêtes nationales et religieuses (Ouali, 2004). Ces activités bénéficieront du soutien du mouvement syndical belge dans une période où celui-ci se trouve en relative position de force.

13Mais le contexte économique, social et politique se modifiant, plusieurs facteurs amèneront le mouvement associatif immigré à situer ses revendications dans le domaine socioculturel, puis, progressivement, presque exclusivement cultuel. En effet, les années 1980 sont marquées par un contexte économique difficile et par un véritable « racisme institutionnel » au niveau politique (Rea, 1999). Si c’est bien la spécificité de la situation migratoire qui va susciter les premiers besoins de structuration religieuse, ce sont, par la suite, les réformes du code de la nationalité, les multiples affaires du foulard, les aléas du processus d’institutionnalisation de la religion musulmane ainsi que l’apparition de l’islamisme politique sur la scène internationale qui vont faire évoluer les revendications socioéconomiques émises par des travailleurs immigrés en revendications cultuelles énoncées par des citoyens musulmans.

14C’est pendant ces années qu’on assistera à l’intensification du développement des mosquées, qui avait débuté avec la reconnaissance officielle de la religion musulmane en 1974 (Ouali, 2004). La dimension proprement religieuse de cette population était restée très peu présente tout au long de la première décennie de la phase d’installation en Belgique. Elle se résumait tout au plus à l’ouverture de quelques salles de prière, la pratique religieuse étant essentiellement confinée à l’espace privé et liée à certains moments du cycle de vie (Dassetto, 1990). Elle passait quasiment inaperçue pour l’opinion publique (Manço, 2000).

15Si la dimension religieuse devient alors plus visible pour l’extérieur, c’est à la suite de plusieurs facteurs. D’abord, à cause de la crise économique qui frappe les secteurs dans lesquels ils sont engagés comme travailleurs, de plus en plus d’immigrés vont prendre conscience de l’impossibilité financière du retour au pays. De plus, l’arrêt officiel de l’immigration par importation de main-d’oeuvre provoque la prise de conscience que, si retour il y a, il sera très difficile voire impossible de revenir en Europe. Enfin, le regroupement familial, prévu dans les conventions signées par les autorités belges, conforte les immigrés musulmans dans l’idée d’une installation définitive. Se pose dès lors la question de la transmission religieuse aux enfants. Ainsi donc, si les besoins des hommes adultes qui gardaient l’espoir de repartir n’étaient pas très développés, c’est la présence des femmes et surtout celle des enfants, dans un environnement où l’islam n’est pas la religion officielle, qui va faire émerger le besoin de structuration religieuse. Il faut noter aussi l’influence de l’accroissement de la référence religieuse qui se produit dans le monde musulman en général à la fin des années 1970 et au début des années 1980, suite aux différents échecs des entreprises de modernisation.

16Les populations musulmanes vont également créer des associations culturelles, en vue de promouvoir la culture du pays d’origine. Et, depuis quelques années, des associations islamiques sont créées, soit en vue d’aider spécifiquement les musulmans (c’est notamment le cas des services sociaux musulmans, d’associations d’entraide internationale, etc.), soit en vue de proposer des activités proprement « islamiques » (c’est le cas, par exemple, des associations de scouts musulmans).

17A côté de ces activités proprement « associatives », il ne faut pas négliger l’important tissu commercial et les petites entreprises qui, à l’échelle locale, surfent sur la vague du commerce ethnique (agences de voyage, petite restauration, import-export, épiceries, etc.) ou plus largement sur celle du commerce « ethno-islamique » (boutiques de hijab, boucheries halal, librairies, etc.).

18Il est important d’observer que ce réseau d’associations est traversé par un certain nombre de fractures. On peut répertorier trois clivages essentiels. Premièrement, la division ethno-nationale. Les premières associations de migrants musulmans se sont constituées sur une base ethno-nationale, et ces différences subsistent aujourd’hui. Il y a des mosquées turques, des mosquées marocaines, pakistanaises, etc. Il n’existe aucune mosquée dont le public soit réellement mixte. Deuxièmement, avec l’arrivée de migrants musulmans pakistanais, égyptiens, tunisiens, etc., cette frontière ethnonationale tend de plus en plus à se transformer en un clivage linguistique.

19On assiste alors à la distinction entre mosquées arabophones et mosquées turcophones. Ce clivage est renforcé par le fait qu’un grand nombre d’imams proviennent soit des pays d’origine, soit de pays tiers. Très souvent, ils ne maîtrisent que très peu l’une des deux langues régionales (le français et le néerlandais). En conséquence, l’écrasante majorité des khutba (sermons) sont donnés soit en arabe, soit en turc. Seules les grandes mosquées, dont le public est plus large et composé de jeunes et de convertis ne maîtrisant pas nécessairement l’arabe, prévoient éventuellement des prêches dans deux langues (français et arabe, par exemple) ou une traduction. Il faut noter également que des lignes de fragmentation peuvent exister au niveau d’un même groupe ethnique ou linguistique. C’est le cas de l’islam turc partagé entre différentes tendances doctrinales et idéologiques (Diyanet, Milli Görüs, Süleymanci, groupes confrériques, etc.)5. Enfin, il existe également un clivage religieux qui correspond à la distinction entre les sunnites et les chiites. Ce dernier clivage peut être considéré comme secondaire dans la mesure où, les chiites étant peu nombreux à Bruxelles, c’est le rite sunnite qui est majoritairement pratiqué. Mais ce clivage religieux n’en est pas pour autant négligeable, tant les deux versants s’ignorent et tant, surtout, une partie des musulmans chiites se sent en position minoritaire, comme l’illustre l’extrait d’un entretien que nous avons réalisé avec l’un de nos interlocuteurs :

« Le problème des élections de l’Exécutif, si on veut tenir compte de l’islam et de tous les islams qui sont à Bruxelles et en Belgique, il ne faut pas faire ça par quotas ethniques. Je veux dire que ce qu’ils ont fait, ils ont mis autant de Turcs, autant de Marocains sans s’apercevoir que ces gens-là, c’est tous des sunnites quoi, c’est tous la même veine (…) Les chiites, jamais ils ne vont s’exposer ni à une interview ni à rien du tout. Ils sont en minorité ici. Pendant quatorze siècles ils ont été opprimés par la majorité, donc c’est un peu un islam clandestin, il n’y a pas d’interlocuteurs. Non, ils ne prendront pas le risque car les sunnites ont trop d’influence ici. » [Extrait d’un entretien entre l’auteur et un membre d’une association, d’origine marocaine et chiite. Bruxelles, le 24 juin 2004.]6

20Ces clivages empêchent traditionnellement les collaborations entre les différentes tendances présentes au sein de l’islam bruxellois. Et si certaines occasions permettent des rencontres (comme les réunions de l’Exécutif des musulmans ou de certaines plateformes de consultation des mosquées), elles restent très partielles.

III. Cartographie des associations musulmanes et culturelles

21Alors qu’on aurait pu penser qu’un certain nombre d’éléments (comme le prix des bâtiments, des difficultés d’ordre administratif, etc.) auraient favorisé l’émergence du tissu associatif musulman à l’extérieur de la ville, la réalisation d’un travail cartographique nous permet de montrer que les associations musulmanes et culturelles que nous avons répertoriées sont, dans leur grande majorité, concentrées dans les mêmes communes que la population musulmane. Près des deux tiers des associations répertoriées sont concentrées dans seulement trois communes : Schaerbeek, Molenbeek et Bruxelles-Ville. Si on y ajoute les communes de Saint-Josse et d’Anderlecht, on obtient près de 80 % de ces associations qui sont concentrées dans ces cinq communes de la Région de Bruxelles-Capitale, à savoir exactement les mêmes que celles dans lesquelles se trouve concentrée la population issue d’un pays dont l’islam est la religion dominante. Les salles de prières et les autres associations sont donc situées à proximité immédiate des quartiers de résidence des populations musulmanes (Boubeker, 2005).

Tableau 3. Nombre d’associations musulmanes et culturelles par commune

Tableau 3. Nombre d’associations musulmanes et culturelles par commune

III.1. Méthodologie

22Comment avons-nous procédé pour dénombrer et situer les associations musulmanes à Bruxelles ? Nous avons effectué une recherche par mots-clés dans la base de données des Associations sans but lucratif (ASBL) du Moniteur belge afin d’obtenir les adresses des associations ainsi que leurs changements éventuels d’adresse ou de dénomination. Les mots-clés (en français, anglais et néerlandais ainsi que certains termes en arabe) qui ont donné des résultats peuvent être placés dans trois catégories. D’abord, une catégorie que l’on peut qualifier de générale, ayant un rapport direct avec l’islam (mots-clés « islam », « islamique », « musulman », etc.). Ensuite, nous avons utilisé une catégorie de termes plus particuliers, liés aux différentes nationalités, pays et régions dont on peut considérer qu’une très large majorité des ressortissants sont musulmans (mots-clés « marocain », « turc », « Algérie », etc.). Enfin, nous avons eu recours à une troisième catégorie de mots-clés, en rapport avec les minorités nationales et/ou religieuses musulmanes, telles que les chiites, les alevis, les kurdes, etc.

23Plusieurs termes liés à la théologie islamique ont également été utilisés, mais sans résultat (Coran, Sunna, ijtihad, etc.7). La recherche en elle-même a été menée sur l’ensemble de Bruxelles et a donné des résultats sur 18 communes (17 communes de la RBC, plus Neder-over-Hembeek).

24Cette méthode de recherche ne permet, bien évidemment, que de recenser les associations formelles et ne peut prendre en considération que les associations déclarées au Moniteur en tant qu’ASBL. Or, un certain nombre d’associations actives sur le terrain ne sont pas constituées sous la forme d’une ASBL et fonctionnent sur une base informelle. Il se peut également que certaines associations n’existent plus de fait ou qu’elles se trouvent être des associations servant de « façade » à d’autres activités, notamment commerciales (comme c’est le cas, par exemple, des cafés constitués sous la forme d’ASBL, pour des raisons fiscales notamment). Afin de remédier en partie à ces inconvénients, nous avons complété la démarche en réalisant sur le terrain un certain nombre d’observations ainsi que des entretiens semi-directifs auprès de représentants d’associations musulmanes. Enfin, nous avons également croisé ces résultats avec des listings fournis par certains sites Internet musulmans.

III.2. Une typologie des associations

25Outre la mise en évidence de la concentration des associations musulmanes au sein de la région bruxelloise, notre travail sur le tissu associatif musulman permet également de définir plus précisément les différents types d’associations existant à Bruxelles. En effet, devant la diversité des associations que nous avons recensées, il nous a paru opportun d’y distinguer trois catégories : les mosquées, les associations islamiques et les associations culturelles.

26Ainsi, ce que l’on peut entendre par « mosquée » est une association religieuse constituée dans le but de mettre à disposition et de gérer un lieu de culte et dont les activités sont centrées autour de la promotion d’activités religieuses, de la pratique et de l’encadrement du culte musulman. Nous avons recensé un peu plus de 80 mosquées au sein de la région bruxelloise et la majorité de celles-ci sont répertoriées dans le Moniteur en tant qu’ASBL ou sont reconnues dans le cadre des partenariats et des structures consultatives mis en place entre les communes et les mosquées. À Bruxelles, la visibilité extérieure de ces mosquées se marque plus ou moins, selon différents moyens (panneaux en arabe et/ou traduction phonético-francisée, indications en français, mosaïques, minaret, etc.), ou pas du tout. Dans le cadre d’une citoyenneté affirmée et revendiquée, un nombre croissant de fidèles musulmans se révèle sensible à l’expression architecturale des mosquées. C’est ce qu’on voit bien dans l’importance symbolique particulière que possède pour un nombre non négligeable de musulmans pratiquants le Centre islamique et culturel de Belgique, appelé aussi Mosquée du Cinquantenaire ou Grande Mosquée de Bruxelles, parce qu’elle est la seule à ressembler à une « vraie » mosquée. Dans ce cadre, l’ajout d’un minaret sur la façade d’une mosquée turque à Schaerbeek, considéré d’un point de vue urbanistique par les autorités communales comme une enseigne publicitaire lumineuse ayant pour unique fonction (l’appel à la prière étant formellement interdit) d’augmenter la visibilité de la mosquée dans le quartier, a été considéré par les musulmans du lieu comme une marque de reconnaissance symbolique. Certes, cette évolution a été critiquée par certains leaders musulmans comme une forme d’acculturation à l’idée d’espace sacré, idée que ces leaders ne considèrent pas comme foncièrement musulmane (Metcalf, 1996). Mais pour bon nombre de musulmans, l’importance des mosquées devient symbolique, comme marqueur de leur présence au sein de l’espace public, et elle est mise en avant comme la contribution musulmane au patrimoine culturel d’une ville cosmopolite comme Bruxelles.

27Ensuite, nous pouvons définir les « associations islamiques » comme des associations qui dans leurs statuts ou dans leurs activités font référence à l’islam ou oeuvrent à promouvoir et enseigner l’islam, le culte musulman ou la culture arabo-musulmane, ou encore qui organisent des activités socioculturelles et sportives dans le cadre de la religion musulmane. Il s’agit d’une catégorie assez large, qui regroupe par exemple les associations proposant des services spécifiques aux musulmans (comme des services sociaux, de secours, etc.), ou encore des activités spécifiques comme des activités d’enseignement, de formation ou de scoutisme, mais aussi les fédérations de mosquées, par exemple, dont l’objectif premier n’est pas de mettre à disposition un lieu de culte mais de regrouper plusieurs associations dans le but de défendre un intérêt commun ou de regrouper les ressources.

28C’est à ces deux catégories d’associations (mosquées et associations islamiques) que nous faisons référence lorsque nous utilisons l’expression globale de « associations musulmanes ».

29Enfin, nous définissons les « associations culturelles » comme les associations qui font référence à la culture d’un pays où la majorité de la population est musulmane, à sa promotion et à l’organisation d’activités culturelles, sans faire référence au culte musulman en tant que tel. Les différentes amicales créées en vue de soutenir les travailleurs ou les commerçants sont le prototype de cette catégorie d’associations. Pourquoi retenir un critère culturel dans cette cartographie ? Principalement pour deux raisons. Premièrement, certaines de ces amicales ont été dans les toutes premières associations créées par la première génération de migrants musulmans dans les années 1970 et 1980. Certaines disposaient d’une petite salle de prière et ont servi par la suite de tremplin à la création de « véritables » mosquées, notamment dans le cas turc. Certaines mosquées bruxelloises en témoignent, car elles associent au nom de la mosquée celui de l’association culturelle qui l’a précédée. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’organismes généralistes qui peuvent localement être associés à des lieux de culte (Aksöyek, 2000). Deuxièmement, la frontière entre le religieux et le culturel peut être assez floue dans le cas de ces associations. En effet, ces associations vont intégrer l’islam dans le cadre de leurs discours et de leurs activités, notamment aux occasions festives, car les rituels, une fois inscrits dans la mémoire collective, deviennent à la fois religieux et nationaux et débouchent sur une forme de religion folklorisée (Hervieu-Léger, 1993). Des célébrations propres à des pratiques religieuses peuvent donc être incluses dans la gamme de leurs activités, entre autres des célébrations durant le mois de Ramadan, des ruptures du jeûne, lors de la fête du sacrifice, etc.

30Ainsi, que les militants d’associations donnent la priorité aux problèmes spécifiquement sociaux ou exclusivement religieux, ou encore que les associations soient prioritairement nationales ou régionales, le terme « culturel » apparaît dans le nom, ou au moins, dans les statuts (Kastoryano, 1996).

31Il est vrai qu’il existe au moins deux écueils à notre approche. Premièrement, que certaines de ces associations peuvent s’adresser aussi bien aux musulmans qu’aux minorités chrétiennes ou juives qui sont également originaires de pays musulmans et, deuxièmement, que ces associations n’avaient peut-être pas comme objectif de prendre uniquement les musulmans comme public cible de leur objet social. Cependant, nous considérons que, même si ces associations ne se réfèrent pas directement à l’islam, il ne faut pas sous-estimer leur rôle.

32Les trois catégories ainsi détaillées constituent donc ce que nous appelons les « associations musulmanes et culturelles » présentes sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

Cartographie des associations musulmanes et culturelles en région bruxelloise

Cartographie des associations musulmanes et culturelles en région bruxelloise

IV. Conclusion

33Loin de toute idée d’exhaustivité en la matière, l’objectif de cet article était de donner une vue d’ensemble de l’implantation des populations et des associations musulmanes au sein de l’espace public de la Région de Bruxelles-Capitale. Une sorte de cliché effectué à un moment donné.

34Ce travail cartographique aura également permis de caractériser la diversité de l’associatif musulman, tant au niveau de ses lignes de fragmentation qu’au niveau des activités qui y sont organisées. Et c’est justement par la mise en évidence de critères spécifiques centrés sur la production des activités de cet associatif que la cartographie contribue à mettre à distance l’équation « associatif musulman = mosquées ».

35Enfin, la production de cette cartographie, en mettant en exergue l’extrême concentration de ces associations sur une partie du territoire de la région, a mis en relief le découpage particulier d’un territoire et invite à poursuivre avec une nouvelle acuité les recherches ayant comme objet la structuration de l’espace urbain.

L’auteur tient à chaleureusement remercier Moritz Lennert et Benjamin Wayens de l’Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire (IGEAT-Université Libre de Bruxelles) pour leur aide et leur patience dans la réalisation du travail cartographique.