Le maigre féminin et le gras viril chez les Mongols (original) (raw)
Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur
Résumés
Cet article examine l’influence des relations genrées sur les pratiques alimentaires chez les Mongols darhad. Dans les conceptions alimentaires, les techniques culinaires et les usages de consommation des pasteurs nomades, les inégalités genrées constituent un principe structurant. Néanmoins, chez les Mongols, où adaptabilité et flexibilité sont de rigueur, les inégalités apparaissent à l’observateur moins franches dans les pratiques que dans les discours.
This article focuses on the impact of gendered relationships in the eating practices of the Darhad Mongols. In Mongolian conceptions of food, culinary techniques and eating practices, gendered inequalities constitute structuring principles. Nevertheless, among the Mongols, where adaptability and flexibility are essential for daily life, inequalities are less obvious in practices than in current views.
Entrées d’index
Texte intégral
- 1 En Russie, 70% des personnes ayant perdu leur emploi entre 1992 et 1993 sont des femmes (McVicker, (...)
1En Mongolie contemporaine, le statut des femmes est, en théorie, inférieur, subordonné et « complémentaire » à celui des hommes. Entre 1920 et 1990, l’émancipation des femmes a été l’un des piliers de l’administration socialiste en Asie centrale et septentrionale. Après 1990, l’avènement du libéralisme a permis l’indépendance des nouveaux États centrasiatiques et a libéré la Mongolie de la tutelle soviétique. Depuis le passage à une économie libérale, les femmes du monde postsocialiste subissent différentes violences, matérielles et symboliques, dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Elles ont été les principales victimes des restructurations et du chômage1. Néanmoins, il n’existe officiellement pas de discrimination sur la base du sexe en Mongolie contemporaine (Human Rights Report for 2013).
2En réalité, la place actuelle des femmes mongoles ne correspond pas à l’histoire socialiste de leur émancipation économique, politique et sociale. Pour elles, l’égalité prônée par le marxisme‑léninisme n’a pas signifié plus de libertés, de pouvoirs ou de prérogatives, mais davantage de travail et de tâches. Et, aujourd’hui, en Mongolie postsocialiste, plus de 70% des activités domestiques restent imparties aux femmes (Uhanbaj et alii, 2004 : 89), alors que la plupart d’entre elles ont une activité professionnelle hors de l’espace domestique (Dondog et alii., 2008 : 1731). En Mongolie, la redéfinition socialiste du rôle des femmes s’est donc davantage exercée entre les femmes et l’État qu’entre les femmes et les hommes (Jarry-Omarova, 2005 : 206). Comme dans le reste du monde socialiste, la production d’un « discours de l’émancipation » y fut masculine (Billé, 2010 : 204).
3En Mongolie contemporaine, le renouveau nationaliste idéalise le stéréotype de la « complémentarité » des sexes, dont il inscrit l’origine dans la vie pastorale nomade. Force est de constater qu’après 70 ans d’administration socialiste, chez les peuples centrasiatiques de traditions pastorales nomades, par exemple chez les Iakoutes (Ferret, 2004), les femmes semblent avoir une « position relativement dominante » (ibid. : 259).
4Dans cet article, j’examine comment le système inégalitaire de genre organise le système alimentaire (la préparation culinaire et la consommation des produits de l’élevage) des pasteurs nomades mongols. Je m’appuie sur plusieurs années de recherche sur les techniques du corps, en particulier sur l’alimentation chez les Mongols darhad. En Mongolie, les Halh comptent pour 80% des quelques trois millions de citoyens. Certaines « minorités » se singularisent par des savoir-faire spécifiques. C’est le cas des Darhad du Hövsgöl (Centre-Nord du pays) qui jouent sur leurs héritages religieux, chamanique et bouddhique. Aujourd’hui, seuls 35% des Mongols continuent à se déplacer avec leurs troupeaux. Et plus de 65% des femmes mongoles sont citadines (Dondog et alii, op. cit.). Les Mongols de Russie et de Chine sont, quant à eux, complètement sédentarisés.
- 2 Chez les pasteurs nomades, l’hospitalité est une obligation sociale et un principe de survie. Tous (...)
5En Mongolie, les règles commensales et les classifications alimentaires varient en fonction du contexte, repas familial ou situations d’hospitalité, qui différencient l’accueil minimal réservé à l’hôte de passage, la petite hospitalité s’il reste pour la nuit, et la grande commensalité festive. Je reprendrai cette distinction. Je commencerai par examiner la répartition du travail dans les campagnes mongoles, le statut et les rôles des femmes. J’analyserai, dans un deuxième temps, les rôles classificatoires des dichotomies genrées dans le système alimentaire mongol. J’exposerai, ensuite, la préparation et la distribution du festin de viande de mouton bouillie qui caractérise la grande hospitalité. Comme le soulignait R. Hamayon dans le titre d’un article aujourd’hui célèbre sur l’alimentation des Mongols, « l’os [est] distinctif et la chair indifférente » (1975). Il est absent de l’hospitalité minimale qui concerne le partage de thé et de fromages secs, aujourd’hui remplacés par des gâteaux et des bonbons. Il l’est aussi souvent de la commensalité protocolaire non‑cérémonielle avec un hôte accueilli pour la nuit2. La préparation et la distribution des mets indifférenciés de cette petite hospitalité sont à la charge des femmes et des enfants. Je ne les décrirai pas dans le détail afin de consacrer le quatrième temps de l’analyse à la répartition du repas quotidien des pasteurs nomades, qui consiste en une « soupe noire » (har šöl) de viande seule, pour les familles les plus pauvres, enrichie de vermicelles, afin de constituer la « soupe de farine » (guriltaj šöl), pour les familles aux revenus moyens, à laquelle les éleveurs les plus aisés ajoutent parfois des légumes. Nous examinerons ainsi comment la préséance masculine se retrouve dans le système alimentaire mongol, bien que les pratiques de consommation montrent des inégalités alimentaires moins franches que ne le prônent les discours.
Infantilisation des femmes, liées à la yourte et « sans-ceinture »
- 3 Dans l’économie pastorale, les hommes font des travaux importants, ponctuels, saisonniers et hors d (...)
6Dans l’imaginaire mongol contemporain, caractérisé par un nationalisme patriarcal, l’idéal d’une complémentarité des sexes est présenté comme un héritage du nomadisme pastoral. En principe, chez les nomades, les hommes se spécialisent dans la relation sociale et les activités extérieures à la sphère domestique, à laquelle les femmes sont étroitement associées3. Ainsi, les femmes mongoles mariées sont qualifiées de gèrijn hün, « personne de la yourte », ou de gèrgij, « enyourtée ». Elles sont plus communément appelées büsgüj, « sans ceinture », par opposition aux hommes qui portaient une ceinture d’armes, mais qui ne sont jamais qualifiés de büstèj, « avec ceinture ». Pour désigner les « jeunes femmes » ou les « filles [vierges] », on trouve aussi le terme hüühèn, forme singulière du mot hüühèd, « enfant ». Ce rapport linguistique constitue une infantilisation des femmes davantage qu’une féminisation de l’enfance (Hamayon, 1979). Et, en pratique, les femmes mongoles ont toujours un statut de cadette par rapport aux hommes du même âge ou de la même génération.
7De plus, dans l’art mongol, les femmes sont souvent peintes sous les traits de brus, image les réifiant comme objets d’échange matrimonial entre des groupes patrilinéaires, dans le cadre d’une résidence patri-virilocale. Ce statut implique une série de tabous linguistiques dont l’apprentissage avant la puberté éveille la pensée métaphorique et métonymique, caractéristique des manières féminines d’être, de penser et d’agir (ibid.). Concrètement, jusqu’à l’accès au statut d’anciennes, on attend des femmes qu’elles soient obéissantes, respectueuses et courageuses, mais également intelligentes, rusées et débrouillardes (ibid.). Pour autant, les Mongoles peuvent facilement divorcer et quitter la famille de leur mari, alors que plusieurs situations justifient l’uxorilocalité. De plus, différents principes favorisant la circulation des hommes, des femmes et des enfants assurent la flexibilité et l’adaptabilité des normes dominantes dans la filiation et l’alliance. Par exemple, des modalités de filiation bilinéaire permettent de ne pas perdre d’enfants « naturels », conçus avant ou hors mariage, tandis que l’adoption d’un gendre par la famille de son épouse peut compenser l’absence de fils. En outre, les voyageurs de la période prérévolutionnaire ont souvent mentionné que les Mongoles interagissaient plus librement avec les hommes et qu’elles étaient sexuellement plus libres que les Chinoises, les Japonaises ou les Occidentales (Billé, op. cit. : 201).
- 4 Ces transformations touchent essentiellement la division du travail, de plus en plus à la charge de (...)
8L’organisation de la vie des pasteurs nomades a changé en soixante-dix ans d’administration socialiste4. En République populaire de Mongolie (rpm, 1921-1992), les femmes ont vu augmenter leur charge de travail et leurs responsabilités sociales. Leur statut s’est modifié avec l’accès à la souveraineté des droits, à l’éducation, à un rôle public et politique. Durant la période socialiste, le développement des crèches, écoles, nurseries et l’attribution d’allocations familiales selon le nombre d’enfants ont permis aux femmes de s’engager professionnellement tout en faisant beaucoup d’enfants. Ainsi, Udval (1975 : 43) décrit les femmes mongoles comme des blocs actifs de la construction du socialisme. Ce sont des mères et des travailleuses. Les récompenses des héros allaient aux hommes braves et courageux et, pour les femmes, elles récompensaient la reproduction et la maternité. En rpm, les discriminations genrées traditionnelles ont donc continué à se transmettre aux représentants des deux sexes (unicef, 2007 : 37).
- 5 Quand la gestion des pâturages a atterri dans les mains des nomades et des gouvernements locaux, de (...)
9En Mongolie contemporaine, la mise en place des groupements d’éleveurs a fait émerger différents constats concernant la répartition des rôles dans l’économie pastorale nomade5. L’évanescence du travail féminin dans la sphère domestique et la valorisation du travail masculin à l’extérieur de la yourte ont masqué certains rôles joués par les femmes dans la gestion des ressources naturelles et les décisions de nomadisation (Uhanbaj et alii, op. cit. : 89). Les femmes jouent un rôle essentiel dans le nettoyage de l’environnement, dans la transmission des connaissances sur l’homme et la nature, et dans l’utilisation de l’espace et des ressources (ibid. : 84). Dans les communautés de pasteurs nomades, la mise en place d’un conseil de femmes a révélé le besoin d’installer le campement près des centres urbains et des commodités qu’ils offrent pour la vie publique et administrative (ibid. : 85). Ce rapprochement a permis de diversifier les ressources des pasteurs qui vivaient, depuis 1990, uniquement de leur viande, leur lait, leur laine, leur cachemire, leurs peaux et les pensions de leurs personnes âgées. Aujourd’hui, des activités de maraîchage et de broderie ainsi que du petit négoce et de l’emploi saisonnier s’ajoutent aux ressources de l’élevage. Les ateliers de couture et de broderie permettent aux femmes de fournir des vêtements à la famille et de faire quelques économies personnelles. Le maraîchage et la cueillette de baies servent à la consommation ou à la vente (ibid. : 86). Cette diversification est apparue indispensable au maintien du mode de vie nomade après les zud de 1999-2001. Elle n’a pas diminué le travail domestique des Mongoles qui continuent à en assurer plus de 70% (ibid. : 89).
Les dichotomies genrées de l'os et de la chair
- 6 D’après la FAO, en 2009, les quantités de viande mangées sont de 120 kg/hab./an aux États-Unis, de (...)
10L’alimentation des pasteurs nomades mongols est à base de viande et de laitages. Même sédentarisés, les Mongols valorisent la consommation de viande, qu’ils mangent pourtant en moindre quantité que les Occidentaux6. Ils préparent plus de cinquante plats de viande, dont près de trente-six sont confectionnés à partir d’abats (Accolas & Aubin, 1975). Ils cuisinent, également, une quarantaine de bouillons de viande, en morceaux ou hachée. Pour autant, ces plats semblent peu diversifiés par rapport à la quantité de laitages préparés durant l’été uniquement (ibid.).
11L’os est la valeur de référence pour la viande (Hamayon, 1975). Pour manger une part de viande, nommée selon l’os auquel elle est attachée, il faut en respecter l’orientation, placer les « pieds » (höl) vers le bas et la « tête » (tolgoj) vers le haut du corps du consommateur. Prendre une part de viande « à l’envers » est un manque de savoir-vivre et de respect pour ses hôtes. Après la puberté, le « pur » Mongol se caractérise par son « savoir manger » sa part et par son « savoir distribuer » l’os attribué à chacun en fonction de son statut, évalué selon l’âge, le sexe et la position sociale (en termes de parenté et de classe).
- 7 Ce qui signifie, dans ces sociétés, rompre le lien lignager ou attirer l’opprobre sur sa famille.
- 8 Au plan symbolique, l’intégrité des os garantit la possibilité de vie d'un nouveau corps et assure (...)
12Les catégories discriminantes de l’os et de la chair concernent autant le corps de l’animal que celui de l’humain (ibid.). En effet, pour les peuples turco-mongols, « les os viennent du père et la chair de la mère ». La lignée de la « chair et du sang » (mah, cus) est matrilinéaire, et celle de « l’os » (âs) patrilinéaire. L’âme et le nom sont transmis par les « os ». Il existe aussi un lien entre les os des animaux élevés et la lignée des éleveurs qu’ils nourrissent. Selon un proverbe mongol répandu, « casser les os [du bétail] c’est comme casser le nom7 [de son propriétaire] ». Dans la préparation de la viande, la nécessité de bien dissocier les os entre eux avant de cuire la viande, en les séparant au niveau des articulations, s’accompagne de l’interdit de casser les os en leur milieu8. Séparer les os au niveau des articulations est un privilège masculin justifié par le fait que le nom de famille est transmis en ligne patrilinéaire.
- 9 Comme beaucoup de peuples au mode de vie presque autarcique, les Mongols connaissent une période de (...)
13Dans le paysage culinaire mongol, la dichotomie frais/séché associe le masculin au gras, et le féminin au maigre. Le gras correspond à une commensalité élargie organisée par les hommes, et le maigre à celle du groupe domestique, plutôt féminine (Hamayon, 1975 : 118). La viande fraîche trône sur toutes les tables de fête, tandis que la viande séchée est réservée aux périodes froides et sert au moment de la soudure alimentaire9. Hormis cette opposition liée à la conservation, les Mongols considèrent la viande bouillie comme « grasse » alors que la viande grillée est « maigre » (ibid. : 116).
14L’abattage des animaux et leur dépeçage sont effectués par des hommes. Tuer ou assister à un meurtre est interdit aux femmes, sous peine de stérilité. En revanche, les femmes s’occupent de la cuisson de la chair. Les Mongols pratiquent un abattage sans effusion de sang, en sectionnant l’aorte. L’animal meurt d’hémorragie interne, le sang recueilli dans l’abdomen permettant de cuisiner différents mets très appréciés. Les viscères sont prélevés au début du dépeçage par les femmes qui les lavent et les cuisinent le jour même. Leur consommation est réservée aux personnes présentes lors de l’abattage. On partage ainsi les abats les plus « nutritifs » entre les commensaux présents lors de la mise à mort.
- 10 Faisant partie des abats honorifiques, la caillette cuite pleine de sang est associée à la prospe (...)
15Lorsque les abats sont cuits, la cuisinière les sort du chaudron, les place sur un plat et distribue le bouillon, dont le gras est très apprécié. Ensuite, le chef de famille ou l’homme le plus âgé de l’assemblée commence le festin en ouvrant le pylore, la « bouche de la caillette » (hodoodny am), une poche de sang10. Il le mange seul. Ensuite, il distribue à tous les commensaux un morceau de boudin, de cœur, de foie et de chaque abat « estimé ». La préséance dans la distribution et la taille du morceau distribué varie en fonction du statut commensal (invité ou accueillant), de l’âge et du sexe. Les brus et les plus jeunes enfants de la famille accueillante reçoivent en dernier leur part des abats. Les hommes invités peuvent ensuite couper des morceaux d’abats qu’ils distribuent également aux autres commensaux. Le haut des intestins constitue une part de boudin (š avaj) honorable, offerte aux esprits et aux personnes respectées, aux invités et personnes âgées, hommes puis femmes, tandis que le bas des intestins compose les boudins du « fond du chaudron ». Si elles veulent se couper un morceau en propre, les femmes de la famille comme les invitées ont accès aux boudins du bas, ceux cuisinés avec le rectum appelé « rossignol » (ho š nogo), proche de l’anus. En pratique, ces boudins sont rarement consommés le jour de l’abattage, car les convives préfèrent se rassasier de parts plus honorifiques, que les hommes découpent et distribuent jusqu’à ce que tous soient repus. Ils sont consommés les jours suivants, en famille, avec les autres abats restants. Ils constituent un repas frugal, mais nourrissant, car riche en sang.
- 11 La nudité en général constitue un manquement aux règles de bienséance et personne ne souhaiter (...)
16La consommation des rognons revient aux vieillards séniles, sans dents, et aux enfants non sevrés, les nâlh hüühèd, catégories de personne considérées entre deux mondes, visible et invisible. Elle est censée favoriser la continence, la pousse des dents et la fermeture de la fontanelle. La préparation des rognons est comparable à celle du foie : ils sont cuits enrobés de crépine. Il ne faut jamais manger les rognons nus, sans crépine, car « cela revient à déshabiller sa bru11 ». Chez les Mongols, les organes et les os doubles supportent souvent des représentations évoquant la circulation des femmes et des enfants. Par exemple, les orphelins adoptés, les enfants donnés et les femmes divorcées sont dits « avoir deux reins ».
17Les abats les moins estimés, poumons et rate, sont généralement donnés aux chiens. Seules les familles pauvres les consomment. Moins honorifique que celle de la viande, la distribution des abats s’effectue selon l’ordre protocolaire des commensaux, des plus prestigieux, les hommes invités, aux plus jeunes membres de la famille. Le premier commensal nourri est toujours un homme âgé, et le dernier le plus jeune enfant.
La viande grasse associée au masculin
- 12 Il est préparé pour les fêtes du cycle de vie individuel (anniversaire, mariage, naissance, etc.), (...)
- 13 Ces mets sont cuits à l’étouffée, dans un récipient enfoui dans la terre et posé sur un brasier. Il (...)
18Le festin cérémoniel12 se compose d’un šüüs, un mouton entier, dépecé par les hommes et cuisiné par les femmes. Le bouilli est la préparation privilégiée de la viande d’élevage, en particulier celle des animaux au « museau chaud » (cheval, mouton), tandis que le grillé, réservé au plein air, caractérise la viande de gibier. Selon la veuve d’un chasseur darhad renommé, la chair du gibier est de « qualité fraîche » (sèrüün čanartaj), que l’on peut traduire aussi par « tiède » ou « tempérée ». Elle ne « constitue pas un vrai repas ». Elle n’a ni les « qualités nutritives » (šim) ni la « chaleur » (haluun) de la viande de bétail, mais ce n’est pas non plus une viande « froide » (hüjtèn), réservée au repas familial. Griller la viande sur le feu entraîne la perte du gras, très valorisé. Quelques éleveurs continuent néanmoins à griller le foie et les rognons de mouton enrobés de crépine sur un petit feu de bois à l’extérieur de la yourte durant l’été (Lacaze, 2012 : 169). Cette cuisson est réservée au plein air et uniquement pratiquée par les hommes. Il en est de même pour la préparation du horhog ou du boodog13, plats festifs, préparés l’été à partir de la viande de chèvre, qui est « froide », ou de marmotte, qui est « fraîche » (Lacaze, 2003).
- 14 Sur la partie antérieure du plat, on met les deux épaules (haa) et les « quatre [paires de] hautes (...)
19Le šüüs est apprécié pour ses « qualités nutritives » (šim) et le gras du bouillon de sa cuisson. Sa préparation est effectuée par les femmes mais sa distribution revient aux hommes. On divise le šüüs en sept parties14. Les parts « à étiquette » (ântaj mah) font l’objet de règles de distribution précises. Elles correspondent aux os contenant de la moelle, assimilée au gras, et aux prestigieux morceaux de viande, toujours accompagnée de gras, dont la quantité reflète la prospérité du foyer. Ces parts reviennent aux hommes, en ordre décroissant d’aînesse, qui en coupent des morceaux distribués aux autres commensaux. Les hommes les plus âgés commencent à découper la viande de chaque os du haut du šüüs et en distribuent des morceaux aux hommes plus jeunes, aux femmes et aux enfants, en ponctionnant régulièrement des bouts qu’ils mangent personnellement. Ils commencent par découper des morceaux de la tête, du sacrum et des os longs. Les hommes jouissent d’un privilège sur ces parts, que les femmes ne doivent pas couper en leur présence, sous peine, dit-on, de « voir le malheur s’abattre sur les troupeaux ». En l’absence d’homme, les femmes peuvent assurer ces prérogatives masculines, mais rares sont les festins autour desquels ne se regroupent que des commensaux féminins.
20Durant un festin, la part de viande attribuée à chacun varie en fonction des catégories de personnes, mais aussi de leurs interrelations. De ce fait, lorsqu’on pénètre dans une assemblée de commensaux d’un šüüs, on peut d’emblée comprendre le statut social de chacun, et les relations qui unissent certains d’entre eux. L’omoplate connaît une obligation de partage afin de ne pas « être seul dans les tourments ». L’oncle maternel ou le grand-père matrilinéaire et, en leur absence, l’homme le plus âgé ou respecté de l’assemblée, distribue la viande de la palette aux autres commensaux, des plus honorés aux plus jeunes. Les « enfants d’une sœur » (zèè) ne doivent pas manger de « l’omoplate » en présence de leur « oncle maternel » (nagac ah). Les membres du groupe donneur de femmes sont ainsi honorés par les preneurs. La cristallisation de cette relation d’alliance dans l’omoplate reflète la « puissance » de cet os, symboliquement « lié » au propriétaire du troupeau et utilisé dans la scapulomancie.
21De leur côté, les femmes mangent la viande de l’os pelvien et du sternum, os liés à la fécondité et au souffle, ainsi que les six « basses côtes ». On attribue aux femmes enceintes la rotule, caractérisée par ses tendons et ses ligaments. Savoir bien manger la rotule garantit un accouchement facile, car en maîtrisant la consommation de cet os, les futures parturientes prouvent qu’elles contrôleront leur laxité ligamentaire, la « dislocation du squelette ». Elles reçoivent aussi des morceaux de viande accompagnée de gras de la part de leur père ou de leur mari.
- 15 En mongol, l’« enfant non-fixé » (togtoogüj hüühèd) est une expression lexicalisée qualifiant les e (...)
22Le tibia est « la part des enfants » qu’il est censé protéger. L’accès à cette part s’effectue vers l’âge de 3 ans. Il marque l’humanisation achevée du sujet, dont l’âme est considérée s'être « fixée15 » au corps. Cette étape d’âge correspond au début de la maîtrise du langage et au sevrage de l’enfant. Ensuite, celui-ci entre dans l’enfance proprement dite. Avant, les mères « donnent la becquée » (_gudra_-) à leur bébé dès que poussent ses premières dents de lait. Elles mâchent les morceaux de viande qu’elles introduisent par petits bouts dans sa bouche. Jusqu’à son sevrage, le père et la mère d’un enfant lui distribuent des morceaux coupés à son attention à partir de la part qui leur a été attribuée.
23Les enfants non-pubères comme les personnes âgées sont classés selon le critère de l’aînesse davantage qu’en fonction de leur sexe. Ils se trouvent par là presque asexués. L’attribution d’une part de viande spécifique, attachée à un os, commence après le sevrage. Elle s’arrête avec la perte des dents et l’entrée dans la catégorie de vieillard(e) sénile. À la fin de la vie, les personnes qui ne peuvent plus manger de viande sont vues comme les bébés qui ne le peuvent pas encore. Ils ne sont pas considérés comme des humains à part entière et ne sont a fortiori pas pensés comme sexués. Ainsi, la capacité à manger de la viande définit la personne et les limites de la vie sociale (Hamayon, 1990 : 563).
Le plus grand bol reçoit la meilleure part
24En bref, les hommes ont à charge la grande hospitalité et leurs activités sont plutôt effectuées hors du campement, tandis que les femmes, associées à la yourte, s’occupent intégralement de l’alimentation quotidienne et de l’hospitalité minimale assurée pour chaque hôte de passage. Les règles de la consommation familiale sont plus souples que celles de l’hospitalité minimale, de la petite commensalité effectuée en visite et de la grande hospitalité festive. Le repas quotidien consiste au moins en quelques morceaux de viande bouillie consommés dans le jus de cuisson, la « soupe noire ». Dans sa variante agrémentée de vermicelles, seuls ces derniers sont mentionnés, car la présence de viande est sous‑entendue dans la « soupe de vermicelles ». En effet, pour les Mongols, un repas sans viande n’est pas un repas.
25Le repas quotidien est préparé dans le chaudron et servi à toutes les personnes présentes, dans des bols individuels, par la gèrgij, « enyourtée », ou une autre fille de la famille. Auparavant, le dessus du chaudron, le deež, est donné à l’esprit protecteur de la yourte. Une part de nourriture, variable selon l’aisance alimentaire des familles, est donc jetée dans le feu du poêle à l’intention du « maître du feu » (galijn èzèn) ou, chez les Mongols bouddhistes, déposée sur l’autel qui trône dans le fond de la yourte, pour les bouddhas. La part suivante revient au « maître de la yourte » (gèrijn èzèn). Son bol est toujours plus grand et plus profond que celui des autres membres de la famille, même si c’est une veuve. Ceux des autres adultes, sans distinction de sexe, sont plus grands que ceux des enfants non pubères, sur lesquels ne pèsent pas encore vraiment les catégories de genre. La gèrguj sert ensuite les autres convives en finissant par elle et les enfants. Elle prend soin de répartir la nourriture afin de remplir les bols. Chacun doit dire qu’il « est repu » (caasan) pour que se termine le repas.
26Dans le repas quotidien, l’indifférenciation des morceaux et la dissolution du gras pourraient impliquer une égalité des parts. Mais les règles de répartition réintroduisent une hiérarchie lors du partage du chaudron. Les hommes, père et fils aînés, mangent le deež, le « dessus, meilleur », alors que les femmes, les jeunes filles et les enfants partagent le « fond du chaudron » (togoony ërool). Cette hiérarchisation verticale des aliments qu’on ne peut pas différencier se retrouve dans la consommation de mets issus d’un métissage alimentaire comme les buuz, des ravioles de viande cuits à la vapeur, plutôt mangés en hiver et préparés par centaines pour le Nouvel An, ou comme les huušuur, des « beignets de viande » mangés l’été, surtout durant les Èrijn Gurvan Naadam, les « Trois jeux virils ». Dans la distribution de ces mets priment les catégories d’aînesse. Les invités les plus âgés et respectés (hommes comme femmes) consomment les ravioles ou les beignets du haut du plat, considérés comme la « meilleure » part, alors que les cadets, les jeunes filles et les enfants des hôtes en partagent le « fond ».
27Quand la nourriture manque, les parts se restreignent pour tous les membres de la famille. Elles varient en fonction des activités de chacun et du temps passé à l’extérieur, car les Mongols ont conscience de leur vulnérabilité face au froid. Les vieillards séniles et les personnes handicapées sont les premières victimes des restrictions alimentaires, suivies des enfants non pubères, des femmes et des hommes adultes. Les adolescents qui passent plusieurs heures à garder le petit bétail sont toujours choyés, même si ce sont des filles, ce qui arrive fréquemment. Partis pour la journée avec le troupeau de chèvres et de moutons, les adolescents ont moins l’occasion que leurs aînés de s'arrêter dans une yourte pour se réchauffer et se rassasier. Les hommes adultes gardant le grand bétail (chevaux et chameaux) peuvent faire de longues pauses et de multiples visites. Ils sont alors reçus par des femmes qui travaillent sous la yourte ou sur le campement. Celles-ci leur servent les mets de l’hospitalité minimale, du thé agrémenté de petits « gâteaux » (boov), des beignets non fourrés. Étant actives à l’intérieur du campement, les femmes ont plus l’occasion de manger durant la journée que les hommes adultes occupés loin du campement. En effet, ceux qui travaillent près du campement peuvent y revenir dans la journée, pour manger les restes de la veille ou boire du thé avec des boov, tandis que les hommes adultes travaillant loin du campement doivent souvent sauter le déjeuner, mais peuvent s'arrêter dans les familles croisées, boire du thé avec des boov.
- 16 Cette mission a été effectuée dans le cadre de l’appel à l'aide internationale du gouvernement mong (...)
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28Cependant, il n’y a pas de sous-nutrition dans les campagnes mongoles. Au contraire, durant la crise des années 1990, au début des restructurations postsocialistes, les éleveurs ont moins souffert des pénuries alimentaires que les citadins, qui ont dû renouveler leurs liens familiaux avec les nomades, car seuls les produits de la campagne permettaient alors de s’alimenter. Lors de l’enquête nutritionnelle que j’ai conduite avec Médecins du Monde en juin 2000 auprès des familles les plus pauvres du désert de Gobi16, nous n’avons pas identifié de périmètres brachiaux révélateur de sous‑nutrition, pas plus chez les enfants que chez les femmes17. Chez les éleveurs nomades, le déséquilibre alimentaire crée néanmoins de la malnutrition chronique18. Ainsi, la réduction de l’accès aux soins et l’augmentation de la malnutrition et de la pauvreté ont été à l’origine du doublement de la mortalité materno‑infantile19 entre 1990 et 1994, en plein cœur de la transition postsocialiste20 (Solongo, 1998 : 3 ; unicef, op. cit. : 14 & 46). En temps de crise, la malnutrition plus aiguë accentue la vulnérabilité des femmes et des enfants.
Conclusion
29Dans l’alimentation, comme dans le système de parenté, les hommes sont du côté de l’os, du gras et de la viande fraîche, et les femmes du côté de la chair, du maigre et de la viande séchée. Un idéal de complémentarité est censé articuler leurs relations dans l’univers pastoral nomade reconstruit dans l’imaginaire contemporain caractérisé par un sentiment nationaliste. En réalité, la répartition des tâches est loin d’être égalitaire dans l’économie pastorale nomade « traditionnelle » comme dans ses actualisations contemporaines. Il en est de même concernant le partage de la nourriture. Dans la distribution du šüüs, plus on avance dans le cycle de vie, plus les parts attribuées sont estimées et se situent dans la partie haute de l’animal. Les parts des femmes se situent toujours « en bas » et « en-dessous » de celles des hommes, qui, quant à eux, découpent et distribuent les parts situées en « haut » du plat cérémoniel. L’attribution d’une part n’est pas synonyme d’une exclusivité de consommation, car une obligation de partage pèse sur la plupart des morceaux, a fortiori sur les plus gras. Ainsi, les inégalités alimentaires genrées qui apparaissent importantes dans les discours sont moins marquées dans les pratiques. Les hommes sont « passeurs » lors des festins, alors que ce rôle revient aux femmes lors du repas familial. Au quotidien, l’inégalité des parts attribuées à chacun se reflète dans la taille du bol personnel, celui du maître du foyer, idéalement un homme, étant toujours plus grand que ceux des autres adultes, dont les bols sont plus grands que ceux des enfants. Dans la distribution des parts, le statut des commensaux (invité ou accueillant) et les catégories d’aînesse prévalent sur celles de genre, qui interviennent en second lieu. Le « maître de la yourte » accueillante et les invités (hommes puis femmes) partagent le « haut/meilleur » du repas, alors que les femmes et les enfants de la famille hôte en mangent le « fond ». Il est néanmoins intéressant de constater que si la malnutrition est chronique en Mongolie, il y a peu de sous‑nutrition. En outre, les inégalités alimentaires genrées sont moins visibles à la campagne qu’en ville. En effet, les ressources alimentaires sont plus accessibles pour les éleveurs qui en contrôlent la production, tandis que la disparition du cheptel est toujours synonyme de sédentarisation.
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Notes
1 En Russie, 70% des personnes ayant perdu leur emploi entre 1992 et 1993 sont des femmes (McVicker, 2000). En Mongolie, la situation est moins déséquilibrée. Les femmes comptaient pour 54% des chômeurs en 1994 et pour 62% en 1996 (Jarry-Omarova, 2005 : 206-207). Elles sont aujourd’hui majoritaires dans les secteurs informels de l’économie, les franges et les marges du travail. Elles investissent le négoce et la restauration, entreprises accessibles sans crédit (Solongo, 2005 : 7).
2 Chez les pasteurs nomades, l’hospitalité est une obligation sociale et un principe de survie. Tous les Mongols savent qu’ils peuvent à tout moment s’arrêter dans une yourte de personnes connues ou pas, y boire du thé, y manger un peu et, si besoin, y passer la nuit. Les aliments réservés aux hôtes de passage sont des mets secs posés sur une assiette dédiée à cette hospitalité minimale. S’ils restent pour la nuit, la petite hospitalité implique d’améliorer le repas quotidien.
3 Dans l’économie pastorale, les hommes font des travaux importants, ponctuels, saisonniers et hors de la maison (sélection de pâturages, surveillance des troupeaux, préparation des enclos, réunions, etc.), alors que les femmes travaillent en continu, de manière répétitive et dans la sphère domestique (repas, eau, bois, traite, etc.).
4 Ces transformations touchent essentiellement la division du travail, de plus en plus à la charge des femmes, la structure familiale et la répartition du pouvoir.
5 Quand la gestion des pâturages a atterri dans les mains des nomades et des gouvernements locaux, des groupes d’éleveurs ont été organisés afin de gérer collectivement les pâturages et les points d’eau (Uhanbaj et alii, op. cit. : 81-82). Entre 1992 et 2000, le nombre de foyers ruraux a été multiplié par 2,5 tandis que le cheptel augmentait de plus de 17% (ibid.). Aujourd’hui, une dizaine de groupes d’éleveurs rassemble, chacun, entre treize et trente-deux familles. Ce regroupement leur a permis de réduire leur charge de travail, d’augmenter leurs ressources et de mieux adapter leurs dépenses (ibid.).
6 D’après la FAO, en 2009, les quantités de viande mangées sont de 120 kg/hab./an aux États-Unis, de 87 en France, de 82 en Mongolie, de 63 au Kazakhstan et en Russie, et de 37 au Kirghizistan.
7 Ce qui signifie, dans ces sociétés, rompre le lien lignager ou attirer l’opprobre sur sa famille.
8 Au plan symbolique, l’intégrité des os garantit la possibilité de vie d'un nouveau corps et assure le retour de l’âme de l’animal (Hamayon 1990 : 397).
9 Comme beaucoup de peuples au mode de vie presque autarcique, les Mongols connaissent une période de soudure, i.e. de restriction alimentaire entre la fin des provisions conservées l’hiver (laitages secs et viande séchée depuis l’abattage automnal) et le début des aliments produits en saison chaude, laitages et viande fraîches.
10 Faisant partie des abats honorifiques, la caillette cuite pleine de sang est associée à la prospérité du troupeau.
11 La nudité en général constitue un manquement aux règles de bienséance et personne ne souhaiterait accueillir une bru sans vêtement.
12 Il est préparé pour les fêtes du cycle de vie individuel (anniversaire, mariage, naissance, etc.), et du cycle collectif, Nouvel An Cagaan Sar, le « Mois blanc » (février), fête des femmes (8 mars), Èrijn Gurvan Naadam, les « Trois jeux virils » (11 et 12 juillet), etc.
13 Ces mets sont cuits à l’étouffée, dans un récipient enfoui dans la terre et posé sur un brasier. Ils sont adaptés aux bivouacs. Dans le boodog, la viande est cuite dans la peau de l’animal alors que, pour le horhog, on cuit la viande dans un bidon en métal. Le horhog a remplacé le boodog afin de conserver les peaux.
14 Sur la partie antérieure du plat, on met les deux épaules (haa) et les « quatre [paires de] hautes » côtes (dörvön öndör), c’est-à-dire les côtes longues. Au-dessus de ces pièces, trône la partie postérieure du dos, i.e. le « sacrum et [la] culotte » (uuc). Les « cervicales » (hüzüü) et les « dorsales »(sèèr) sont posées sous le sacrum, entre l’omoplate et les humérus. Au‑dessus du sacrum, on pose la « tête » (tolgoj). Sur la partie postérieure du plat, on dispose les deux gigots « fémurs » ou « moelle principale » (dund čömög), les « côtes basses », les tibias et les cubitus. Les extrémités des pattes, « sabot » (šijr), ne font pas partie du šüüs.
15 En mongol, l’« enfant non-fixé » (togtoogüj hüühèd) est une expression lexicalisée qualifiant les enfants morts en bas âge. En Mongolie, la mortalité infantile était importante jusqu’au milieu du XXe siècle.
16 Cette mission a été effectuée dans le cadre de l’appel à l'aide internationale du gouvernement mongol, à la suite des catastrophes naturelles de 1999-2001, ayant tué 1/3 du cheptel mongol.
17 Selon l’ONU, entre 2010 et 2015, la mortalité maternelle mongole (63/100 000) est proche de celle du Kazakhstan (51) et du Kirghizstan (71), deux fois plus élevée que celle de la Chine (37) et trois fois plus que celle de la Russie (20).
18 Les symptômes de malnutrition courant en Mongolie sont les anémies, les déficits en vitamine A et D (rachitisme), et les goitres, signes d’iodisme (UNICEF, op. cit. : 24).
19 Depuis 1995, on repère une diminution de l’anémie et de la malnutrition materno-infantile qui restent cependant importantes à la campagne (ibid. : 23 & 26).
20 Le taux de mortalité maternelle était de 200/100 000 femmes en 1992, il n’était plus que de 143 en 1997 (Solongo, 1998 : 12). Quant à la mortalité infantile, elle était de 2,04/1000 en 1992, alors qu’avant 1990, elle n’était que de 1,04/1000 (ibid.).
Pour citer cet article
Référence papier
Gaëlle Lacaze, « Le maigre féminin et le gras viril chez les Mongols », Journal des anthropologues, 140-141 | 2015, 173-191.
Référence électronique
Gaëlle Lacaze, « Le maigre féminin et le gras viril chez les Mongols », Journal des anthropologues [En ligne], 140-141 | 2015, mis en ligne le 15 juin 2017, consulté le 31 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/jda/6094 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jda.6094
Auteur
Gaëlle Lacaze
Université de Strasbourg, UMR 7367-DynamE, Institut d’ethnologie, Faculté de sciences sociales – BP 80010 – 67081 Strasbourg Cedex
Courriel : gaelle.lacaze@misha.fr
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