Fabienne Durand-Bogaert | EHESS-Ecole des hautes études en sciences sociales (original) (raw)
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Papers by Fabienne Durand-Bogaert
Poète et traductrice, maître de conférences en littérature et langue chinoises à l'Université d'A... more Poète et traductrice, maître de conférences en littérature et langue chinoises à l'Université d'Artois, membre de l'équipe « Multilinguisme – transferts – création » de l'ITEM (CNRS-ENS), Sandrine Marchand est l'une des principales ambassadrices en France de la littérature taïwanaise, à laquelle elle a consacré de nombreux articles et un livre, paru en 2009, Sur le fil de la mémoire : la littérature taïwanaise des années 1960-1990 (éd. Tigre de papier). De Wang Wen-hsing, dont elle nous entretient dans les pages qui suivent, elle a traduit le roman Processus familial (Actes Sud, 1999) et les nouvelles rassemblées sous le titre La Fête de la déesse Maatsu (Zulma, 2004). Elle prépare actuellement la traduction d'un roman auquel l'écrivain taïwanais a travaillé pendant plus de vingt-cinq années, et qui paraîtra sous le titre Un homme dos à la mer. Chez Sandrine Marchand, pratique de la traduction et travail de l'écriture entretiennent des liens étroits, que l'on peut presque dire de fécondation mutuelle. C'est d'ailleurs du même nom de plume – Camille Loivier – qu'elle signe les textes qu'elle traduit et ceux qu'elle écrit. Attentive aux possibilités de « croiser d'autres langues dans le métissage des syllabes, d'entendre d'autres voix dans la rythmique fragmentée des échanges, d'autres chants », Sandrine Marchand nous a ouvert deux fois la porte de son atelier : une première fois, pour nous décrire l'univers linguistiquement foisonnant de Wang Wen-hsing et nous parler du mode de traduction qu'il induit. Une deuxième fois, pour nous montrer la trace matérielle du travail de traduction qu'elle mène, parallèlement, sur un poète chinois classique, Yuan Mei : nous le présentons dans la section « Inédit » qui suit le présent entretien.
11 P armi les projets que le Collège international de philosophie avait inscrits à son programme,... more 11 P armi les projets que le Collège international de philosophie avait inscrits à son programme, lors de sa fondation, il y a trente ans, figurait la réflexion sur le traduire, insérée entre ces deux pans de l'activité de l'esprit que sont le « lire » et l'« interpréter » (fig. 1). C'est dans ce cadre qu'Antoine Berman dispensa, entre 1984 et 1989, plusieurs séminaires dont l'impact fut décisif pour l'édification d'une pensée de la traduction novatrice et féconde. Loin des approximations qui ont longtemps défiguré l'acte de traduction, le réduisant à la négociation d'un compromis entre les logiques – linguistiques, textuelles, culturelles – de deux langues que leur autonomie respective rendait difficilement conciliables, Antoine Berman s'est attaché à dégager la spécificité du traduire en fonction de trois grandes visées méthodologiques : l'analyse des caractéristiques stylistiques propres d'une traduction, la reconstitution du contexte ou de l'« horizon » sur fond duquel cette traduction a surgi, la mise en évidence de la position du traducteur à l'égard de son travail. Ce faisant, Berman a posé les bases d'une critique des traductions qui, bien qu'elle ne se soit jamais réclamée de l'approche génétique 1 , n'en a pas moins rodé certains outils qui se révèlent aujourd'hui précieux pour quiconque cherche à cerner les processus par lesquels « une oeuvre passe d'une langue à une autre ou ne cesse de re-passer, au fil des re-traductions, sur les rives de notre langue maternelle en se métamorphosant et en métamorphosant les langues de départ et d'arrivée 2 ». 1. La démarche relèverait plutôt d'une archéologie des traductions au sens foucaldien du terme, comme il est précisé dans l'édition posthume de l'ouvrage d'Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français : essai sur les origines de la traduction en France (Paris, Belin, coll. « L'extrême contemporain », 2012) : « Pour comprendre notre tradition de traduction, il faut […] se défaire d'un certain nombre de préjugés. Il faut, ensuite, s'interroger sur la persis-tante occultation du rôle fondateur de la traduction en France. Il faut enfin, et surtout, remonter à l'origine de cette tradition, par un mouvement proprement archéologique » (p. 19). 2. Antoine Berman, « Critique, commentaire et traduction », Po&sie, n° 37, Paris, Belin, 1986, p. 102. C'est préci-sément ce moment du passage, et ses modalités, qui figurent, selon Berman, l'impensé de la critique, qui « n'en parle guère ou, lorsqu'elle en parle, [le fait] soit avec parcimonie, soit avec dédain, soit avec distance » (ibid.).
Nouvelle revue d’esthétique, 2009
Un fascicule. Du fond très noir de la couverture un visage peint, blafard, comme en voie d'efface... more Un fascicule. Du fond très noir de la couverture un visage peint, blafard, comme en voie d'effacement tourne vers moi un oeil morne. L'oeil est unique, que découvre une paupière aux bords rougis, car déjà une moitié du visage a fondu, emportant l'arête du nez, l'ourlet des lèvres. La moitié restante surmonte un mot inscrit en lettres rouges en guise de titre : Enfers.
Bien avant de devenir un grand marché, une communauté politique incertaine, une puissance diploma... more Bien avant de devenir un grand marché, une communauté politique incertaine, une puissance diplomatique et militaire balbutiante, l'Europe a été une réalité culturelle et une idée régulatrice. Mais une réalité et une idée si riches, si contradictoires, que les Européens d'aujourd'hui ont quelque peine à s'orienter dans une littérature qui les submerge: d'où le projet de rassembler, sous la forme d'une anthologie commentée, les textes majeurs qui ont défini les traits ou infléchi l'histoire de notre "continent spirituel".
Poète et traductrice, maître de conférences en littérature et langue chinoises à l'Université d'A... more Poète et traductrice, maître de conférences en littérature et langue chinoises à l'Université d'Artois, membre de l'équipe « Multilinguisme – transferts – création » de l'ITEM (CNRS-ENS), Sandrine Marchand est l'une des principales ambassadrices en France de la littérature taïwanaise, à laquelle elle a consacré de nombreux articles et un livre, paru en 2009, Sur le fil de la mémoire : la littérature taïwanaise des années 1960-1990 (éd. Tigre de papier). De Wang Wen-hsing, dont elle nous entretient dans les pages qui suivent, elle a traduit le roman Processus familial (Actes Sud, 1999) et les nouvelles rassemblées sous le titre La Fête de la déesse Maatsu (Zulma, 2004). Elle prépare actuellement la traduction d'un roman auquel l'écrivain taïwanais a travaillé pendant plus de vingt-cinq années, et qui paraîtra sous le titre Un homme dos à la mer. Chez Sandrine Marchand, pratique de la traduction et travail de l'écriture entretiennent des liens étroits, que l'on peut presque dire de fécondation mutuelle. C'est d'ailleurs du même nom de plume – Camille Loivier – qu'elle signe les textes qu'elle traduit et ceux qu'elle écrit. Attentive aux possibilités de « croiser d'autres langues dans le métissage des syllabes, d'entendre d'autres voix dans la rythmique fragmentée des échanges, d'autres chants », Sandrine Marchand nous a ouvert deux fois la porte de son atelier : une première fois, pour nous décrire l'univers linguistiquement foisonnant de Wang Wen-hsing et nous parler du mode de traduction qu'il induit. Une deuxième fois, pour nous montrer la trace matérielle du travail de traduction qu'elle mène, parallèlement, sur un poète chinois classique, Yuan Mei : nous le présentons dans la section « Inédit » qui suit le présent entretien.
11 P armi les projets que le Collège international de philosophie avait inscrits à son programme,... more 11 P armi les projets que le Collège international de philosophie avait inscrits à son programme, lors de sa fondation, il y a trente ans, figurait la réflexion sur le traduire, insérée entre ces deux pans de l'activité de l'esprit que sont le « lire » et l'« interpréter » (fig. 1). C'est dans ce cadre qu'Antoine Berman dispensa, entre 1984 et 1989, plusieurs séminaires dont l'impact fut décisif pour l'édification d'une pensée de la traduction novatrice et féconde. Loin des approximations qui ont longtemps défiguré l'acte de traduction, le réduisant à la négociation d'un compromis entre les logiques – linguistiques, textuelles, culturelles – de deux langues que leur autonomie respective rendait difficilement conciliables, Antoine Berman s'est attaché à dégager la spécificité du traduire en fonction de trois grandes visées méthodologiques : l'analyse des caractéristiques stylistiques propres d'une traduction, la reconstitution du contexte ou de l'« horizon » sur fond duquel cette traduction a surgi, la mise en évidence de la position du traducteur à l'égard de son travail. Ce faisant, Berman a posé les bases d'une critique des traductions qui, bien qu'elle ne se soit jamais réclamée de l'approche génétique 1 , n'en a pas moins rodé certains outils qui se révèlent aujourd'hui précieux pour quiconque cherche à cerner les processus par lesquels « une oeuvre passe d'une langue à une autre ou ne cesse de re-passer, au fil des re-traductions, sur les rives de notre langue maternelle en se métamorphosant et en métamorphosant les langues de départ et d'arrivée 2 ». 1. La démarche relèverait plutôt d'une archéologie des traductions au sens foucaldien du terme, comme il est précisé dans l'édition posthume de l'ouvrage d'Antoine Berman, Jacques Amyot, traducteur français : essai sur les origines de la traduction en France (Paris, Belin, coll. « L'extrême contemporain », 2012) : « Pour comprendre notre tradition de traduction, il faut […] se défaire d'un certain nombre de préjugés. Il faut, ensuite, s'interroger sur la persis-tante occultation du rôle fondateur de la traduction en France. Il faut enfin, et surtout, remonter à l'origine de cette tradition, par un mouvement proprement archéologique » (p. 19). 2. Antoine Berman, « Critique, commentaire et traduction », Po&sie, n° 37, Paris, Belin, 1986, p. 102. C'est préci-sément ce moment du passage, et ses modalités, qui figurent, selon Berman, l'impensé de la critique, qui « n'en parle guère ou, lorsqu'elle en parle, [le fait] soit avec parcimonie, soit avec dédain, soit avec distance » (ibid.).
Nouvelle revue d’esthétique, 2009
Un fascicule. Du fond très noir de la couverture un visage peint, blafard, comme en voie d'efface... more Un fascicule. Du fond très noir de la couverture un visage peint, blafard, comme en voie d'effacement tourne vers moi un oeil morne. L'oeil est unique, que découvre une paupière aux bords rougis, car déjà une moitié du visage a fondu, emportant l'arête du nez, l'ourlet des lèvres. La moitié restante surmonte un mot inscrit en lettres rouges en guise de titre : Enfers.
Bien avant de devenir un grand marché, une communauté politique incertaine, une puissance diploma... more Bien avant de devenir un grand marché, une communauté politique incertaine, une puissance diplomatique et militaire balbutiante, l'Europe a été une réalité culturelle et une idée régulatrice. Mais une réalité et une idée si riches, si contradictoires, que les Européens d'aujourd'hui ont quelque peine à s'orienter dans une littérature qui les submerge: d'où le projet de rassembler, sous la forme d'une anthologie commentée, les textes majeurs qui ont défini les traits ou infléchi l'histoire de notre "continent spirituel".