13 mai 1981, 17h17 : “On a tiré sur Jean Paul II” (original) (raw)

Il y a 40 ans, le 13 mai 1981, le pape Jean Paul II était victime d'un attentat place Saint-Pierre. Récit.

Sur la place Saint-Pierre désertée par les touristes en raison de la crise sanitaire, une simple plaque apparaît discrètement au pied de la porte de Bronze d'où s'élance le bras nord de l'impressionnante colonnade du Bernin. Sur le marbre, dont la blancheur tranche avec les pavés noirâtres, est flanqué le blason du pape Jean Paul II. On peut y lire aussi une date en chiffres romains. 13 mai 1981. C'est à cet endroit précis qu'il y a quarante ans jour pour jour le pape Jean Paul II fut la cible d'un attentat.

En cet après-midi de printemps 1981, le soleil est radieux et la foule est arrivée en masse pour écouter le successeur de Pierre prononcer sa catéchèse du mercredi. Un peu plus tôt, le pontife a déjeuné avec le professeur Jérôme Lejeune et son épouse. Comme il en a l'habitude depuis son élection en 1978, il sort peu avant 17H de son Palais apostolique pour rejoindre sa papamobile, une Fiat blanche découverte. Avec lui montent son secrétaire particulier, le père Stanislaw Dziwisz et son majordome Angelo Gugel. Quelques agents de sécurité accompagnent le véhicule. La routine.

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En apercevant la décapotable papale, la place Saint-Pierre s'enflamme. Quelque 20.000 fidèles sont encore venus voir et entendre le premier pontife polonais de l'histoire. L'ambiance est à la fête. Le jeune pape de 60 ans prend le temps de communier avec la foule qu'il ne se lasse pas de bénir. Après avoir une première fois sillonné méthodiquement la place, le chauffeur de la voiture patiente un instant, le temps que Jean Paul II embrasse un enfant qu'une mère lui tend. Personne ne se doute qu'à quelques mètres de lui se trouvent deux hommes armés qui ont prévu de commettre l'impensable.

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Veste grise, Mehmet Ali Ağca, un jeune turc muni d'un Browning calibre 9 mm, s'est parfaitement fondu dans la foule jusqu'à s'approcher à quelques mètres de la papamobile. Un peu plus loin, Oral Celik, blouson de cuir, cache son revolver et une grenade offensive. Le terroriste a prévu de s'en servir pour créer un mouvement de panique après l'attentat et s'échapper de la place avec son complice.

Soudain, à 17h17, deux coups de feu retentissent. Des centaines de pigeons affolés s'envolent. L'homme en blanc s'affaisse. "J'ai vu que le Saint-Père était touché", racontera alors le père Dziwisz, secrétaire du pape à bord de la voiture. "Il chancelait, mais on ne distinguait aucune trace de sang ou de blessure. Alors je lui ai demandé : "Où ?" et il a répondu : "dans l'estomac." Je lui ai encore demandé : "ça fait mal ?" Il a dit : "Oui." Debout, derrière le Saint-Père, je l'ai soutenu pour l'empêcher de tomber. Il se tenait à moitié assis, à moitié appuyé contre moi dans la voiture". Le Pape est blessé à l'abdomen, au coude droit et à l'index de la main gauche. Déjà il perd beaucoup de sang.

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Dans la foule, c'est l'effroi et la stupeur. "Ils l'ont touché !", entend le vaticaniste français Joseph Vandrisse venu machinalement couvrir l'audience générale du Pape. Un garde suisse lui confirme le drame : on a tiré sur le Pape. Comme une poignée de journalistes, il se précipite à la salle de presse du Saint-Siège située au fond de la place Saint-Pierre pour avertir son rédacteur en chef au Figaro. La nouvelle va faire l'effet d'une bombe dans toutes les rédactions du monde.

Sur la place, la confusion est la plus totale. Une religieuse se jette sur Mehmet Ali Ağca pour le maitriser avec l'aide d'un chef de sécurité. Oral Celik, pris de panique après avoir tiré un coup, ne fait pas usage de sa grenade. En trombe, la Fiat papale démarre guidée tant bien que mal par un service de sécurité déboussolé. On transfère en urgence Jean Paul II dans une ambulance puis dans une autre, mieux équipée. L'hôpital Gemelli est à six kilomètres et la circulation romaine en cette fin d'après-midi se densifie. Pied au plancher, main au klaxon, l'ambulancier réalise l'exploit de rejoindre la polyclinique en huit minutes.

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"Le Saint-Père ne nous regardait pas. Il répétait sans arrêt : "Marie, ma mère ! Marie, ma mère !" Ses yeux étaient fermés et il souffrait beaucoup", se rappelle le père Dziwisz, dans une conversation avec les journalistes Carl Bernstein et Marco Politi.

À Gemelli, le blessé est conduit dans une chambre du onzième étage réservée aux urgences papales puis en salle d'opération. Alors qu'il est désormais inconscient, on lui administre l'extrême onction. Le voilà entre les mains des chirurgiens. L'opération dure cinq heures et vingt minutes. Une éternité pour les milliers de fidèles restés place Saint-Pierre à prier dans une atmosphère de désolation. Devant la polyclinique, les personnalités accourent. Le président italien arrivé en hâte tient à rester jusqu'à avoir acquis la certitude que le pontife polonais s'en tirerait – il quittera l'hôpital rassuré sur les coups de deux heures du matin.

Une main a tiré, une autre a guidé la balle.

Dans la salle d'opération, l'abattement laisse peu à peu place à l'espoir lorsque les chirurgiens réalisent qu'aucun organe vital n'a été touché. Certes, on retire vingt deux centimètres d'intestin au pape mais il semble tiré d'affaire. "C'était vraiment miraculeux", confiera le père Dziwisz, après coup. "Une main a tiré, racontera plus tard le pape rescapé, et une autre main a guidé la balle".

Car le pontife polonais en est persuadé : la Vierge Marie l'a protégé en ce jour anniversaire de la première apparition à Fatima de la Vierge à de jeunes enfants bergers. Quatre jours après l'attentat, le Pape s'exprime depuis son lit d'hôpital pour remercier et bénir toutes les personnes qui l'ont porté par la prière. "À Toi, Marie je répète: _Totus tuus ego sum_’, je suis tout à toi", glisse-t-il, reconnaissant. Sorti le 3 juin de l’hôpital, il y retourne en urgence une semaine plus tard, son organisme ayant contracté un cytomégalovirus lors de la transfusion de sang. Il ne pourra rentrer dans ses appartements que le 14 août.

Le Pape n'était pas encore tiré d'affaire que déjà les théories les plus folles circulaient sur les raisons qui poussèrent Mehmet Ali Ağca à commettre son crime. Attentat commandité par les soviétiques ? Complot orchestré par la mafia ? Acte d'un déséquilibré ? Les différentes enquêtes soulèveront plusieurs pistes sans pour autant mettre l’accent sur l’une d’elles en particulier. Les révélations d’Ali Agçà – qui passera 29 ans derrière les barreaux – se révéleront toujours pleines de contradictions.

Si les images de l'attentat restent gravées dans la mémoire de millions de personnes, celles de la rencontre entre Jean Paul II et son agresseur au lendemain de Noël 1983 marquent tout autant les esprits et les cœurs. Celui qui avait dès sa première prise de parole en public "pardonné" Ali Agçà stupéfie à nouveau le monde. "Je lui ai parlé comme à un frère à qui j’ai pardonné et en qui j’ai pleine confiance", confie Jean Paul II en sortant de la prison.

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