Arnaud Frauenfelder | University of Applied Sciences Western Switzerland (original) (raw)
Papers by Arnaud Frauenfelder
On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un d... more On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un dispositif de régulation sociale des populations qui trouve son origine dans les mutations provoquées par l'évolution industrielle à la fi n du XIX e siècle. S'inscrivant dans le cadre des réponses apportées à la question sociale, ce potager agrémenté d'un cabanon est le résultat de l'invention d'un dispositif philanthropique particulier visant à fi xer des populations mobiles et déracinées, ouvriers d'origine agricole, émigrés de leur région ou de leur pays, la terre ne les nourrissant plus. Depuis leur émergence, les fonctions attribuées aux jardins n'ont cessé d'évoluer selon les contextes économiques, politiques, sociaux. Initialement liés à des préoccupations hygiéniques (le grand air contre les miasmes), diététiques (les légumes contre l'alcool), économiques (un passe-temps qui rapporte), politiques et morales (un groupe de familles ouvrières contre un groupe d'hommes ouvriers), les jardins familiaux sont depuis les années 1980 associés dans tout un ensemble de discours offi ciels à des préoccupations urbanistiques et écologiques (composante actuelle des «espaces verts»), qui peuvent aussi conjuguer souci esthétique et actions de réinsertion sociale (Weber 1998: 62).
Seuil de sensibilité, modes d'intervention et normes de parentalité en mutation * Arnaud Frauenfe... more Seuil de sensibilité, modes d'intervention et normes de parentalité en mutation * Arnaud Frauenfelder * Arnaud Frauenfelder est professeur HES à la HETS-Genève, sociologue, membre du réseau « Socialisation des mineurs ». [arnaud.frauenfelder@hesge.ch] 1 Ce texte s'inspire, avec certains aménagements et approfondissements, d'une conférence donnée dans le cadre d'une journée d'étude organisée par l'Association professionnelle pour l'éducation sociale et la pédagogie spécialisée portant sur le thème du placement extrafamilial (Intégras, Berne, 21 janvier 2014). 2 Publiée aux Editions L'Harmattan (Schultheis, F., Frauenfelder, A., Delay, D. (2007)??? et ayant fait l'objet de différentes publications dans différentes revues (Revue suisse de sociologie [auteur, année], Carnets de bord en sciences humaines [auteur, année], Petite enfance [auteur, année]), cette enquête a récemment été réinterrogée dans un article publié en 2013 dans la revue Déviance et société (coécrit avec Christophe Delay).
Alors que les classes populaires confèrent comme on l'a vu ci-dessus beaucoup d'importance à la f... more Alors que les classes populaires confèrent comme on l'a vu ci-dessus beaucoup d'importance à la famille et la chaleur du foyer, elles semblent demeurer aujourd'hui également attachées -comme nos données empiriques l'attestent largement (ce que nous examinerons dans un effort de synthèse plus loin) -à un type d'ethos éducatif relativement autoritaire qui valorise les vertus de la discipline et de l'obéissance dans l'éducation de l'enfant. Cette conception relativement tutélaire et autoritaire de l'éducation des enfants va de pair avec une certaine représentation implicite de l'enfant comme petit animal sauvage à discipliner. Or, avant de rendre compte de façon condensée à partir de nos données empiriques ce type particulier d'ethos éducatif, en nous efforçant de le saisir à partir de sa logique et de sa cohérence spécifique, il convient de rappeler que cette manière de définir les classes populaires comme autoritaires ou plus enclines à l'« autoritarisme » que d'autres classes 1 relève d'une forme d'illusion naturaliste dont le sociologue -en bon « chasseur de mythe » (Elias, 1991, 55-81 2 ) -doit se méfier au plus haut point. Tout comme l'attachement à la vie familiale et à la chaleur du foyer, l'inclination ou l'affection particulière en milieu populaire pour l'éducation « à l'ancienne » comme on dit aujourd'hui, n'est en rien la manifestation d'une propriété essentielle ou endogène de ces classes. La représentation des classes populaires « comme classes autoritaires » est en soi mystificatrices dans la mesure où elle passe sous silence le fait que cette forme particulière d'ethos 3 éducatif est lui-même la conséquence de tout un processus de civilisation des moeurs qui a été impulsé lui aussi par le haut. On sait en effet que les vertus de l'autorité seront tout particulièrement exaltées par les couches « éclairées » du XIX e siècle et qu'elles viendront alimenter les stratégies missionnaristes que celles-ci chercheront à insuffler dans l'ensemble de la société et dans les classes populaires jugées en retard sur le processus de * in Schultheis F., Frauenfelder A., Delay C., Pigot N. et al. (2009), Les classes populaires aujourd'hui. Portraits de familles, cadres sociologiques, Paris : L'Harmattan, 349-383. 1 Parce que moins ouverte à la discussion et à la négociation que les couches sociales perçues ou se percevant comme plus « éclairées », parce que plus attachées à des principes hiérarchiques d'organisation des relations entre les membres de la famille qu'à des principes démocratiques de personne à personne. 2 Cf. chap. 2. « Le sociologue comme chasseur de mythes ». 3 « Cet ethos, loin de se cantonner au plan des idées, renvoie à un système de disposition qui impriment une orientation à l'action, structurant celle-ci en une « conduite de vie » (Lebensführung) » (Grossein, 1996, 61).
que son enfant ne sorte pas de l'enfance, qu'il reste collé à sa famille, ce qui est également dé... more que son enfant ne sorte pas de l'enfance, qu'il reste collé à sa famille, ce qui est également dénoncé » (63).
Faut donner à manger au crocodile, comme cela tu peux traverser la rivière » : un papa aux prises... more Faut donner à manger au crocodile, comme cela tu peux traverser la rivière » : un papa aux prises avec les institutions * par Arnaud Frauenfelder et Christophe Delay Guillaume Roux est un homme de taille moyenne, la quarantaine, assez costaud, des tatouages sur les bras, de grosses mains, il travaille comme poseur de sol dans le bâtiment après avoir suivi un apprentissage « comme manutentionnaire à Aligro », « là où il y avait le moins d'école », tant il estimait avoir « l'âge d'avoir le droit d'arrêter » vu qu'il avait « envie de tout faire sauf l'école ». Guillaume vit dans un quartier populaire de la rive gauche de Genève, dans un appartement de 3 pièces. Il a une fille, Sylvie, âgée de 9 ans, qu'il élève seule et dont il a la garde depuis son divorce, la maman de Sylvie étant morte entre temps alors que Sylvie était âgée de 3 mois. Cette situation de « monoparentalité masculine » n'est pour le moins pas facile à vivre et source de problèmes permanents. Non pas que pour Guillaume élever une fille soit une chose impossible pour un homme seul (il s'en sort plutôt bien comme on le verra dans la préparation des repas, dans l'organisation des sorties, du suivi des devoirs partiellement délégué à la grand-maman, et de la recherche des petits plaisirs du quotidien), mais cette situation fait l'objet de formes d'encadrement institutionnel diverses provenant des services de protection de la jeunesse et de l'institutions scolaire, encadrements qu'il interprète comme la conséquence plus ou moins directe de sa situation familiale jugée atypique (comme le lui avait dit un assistant social : « En règle générale, ils aiment pas un papa avec un enfant »). Sa situation familiale est donc « connue » des Services de protection de la jeunesse, mais aussi des enseignants, Sylvie étant suivie depuis plusieurs années. Face à ce contexte institutionnel vécu comme intrusif, où les « affaires de famille » deviennent des « affaires d'Etat » (« je pense que papa célibataire [en fait divorcé] avec son enfant, et plus est encore avec un décès, je pense qu'ils ont trop voulu… mettre leur grain de sel »), Guillaume met en oeuvre diverses tactiques d'évitement ou de détournement. Donner le change aux diverses sollicitations dont il peut faire l'objet (enseignants, travailleurs sociaux de l'Office de la jeunesse) pour ne pas avoir trop d'histoires (pour éviter qu'« on me reproche » ou qu'on essaye de me « mettre des bâtons dans les roues ») et pour (se) préserver d'une intrusion supplémentaire du regard des institutions dans sa sphère privée (regard vécu comme menaçant) représente l'ajustement pratique recherché, ajustement redoublé symboliquement par toute une philosophie de vie éprouvée au quotidien, dont on connaît les vertus et qu'il s'évertue à * in Schultheis F., Frauenfelder A., Delay C., Pigot N. (dir.) (2009), Les classes populaires aujourd'hui. Portraits sociologiques -cadres sociologiques, Paris, L'Harmattan (coll. « Questions sociologiques »), 239-279, à paraître.
On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un d... more On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un dispositif de régulation sociale des populations qui trouve son origine dans les mutations provoquées par l'évolution industrielle à la fi n du XIX e siècle. S'inscrivant dans le cadre des réponses apportées à la question sociale, ce potager agrémenté d'un cabanon est le résultat de l'invention d'un dispositif philanthropique particulier visant à fi xer des populations mobiles et déracinées, ouvriers d'origine agricole, émigrés de leur région ou de leur pays, la terre ne les nourrissant plus. Depuis leur émergence, les fonctions attribuées aux jardins n'ont cessé d'évoluer selon les contextes économiques, politiques, sociaux. Initialement liés à des préoccupations hygiéniques (le grand air contre les miasmes), diététiques (les légumes contre l'alcool), économiques (un passe-temps qui rapporte), politiques et morales (un groupe de familles ouvrières contre un groupe d'hommes ouvriers), les jardins familiaux sont depuis les années 1980 associés dans tout un ensemble de discours offi ciels à des préoccupations urbanistiques et écologiques (composante actuelle des «espaces verts»), qui peuvent aussi conjuguer souci esthétique et actions de réinsertion sociale (Weber 1998: 62).
Tsantsa, 2006
tailoring welfare measures: hand-made or ready-to-wear? the ideas developed to explain poverty va... more tailoring welfare measures: hand-made or ready-to-wear? the ideas developed to explain poverty vacillate between two poles: the first places the main burden of the problem with the poor themselves, while the second holds society largely responsible for poverty. Logically, discussion of the remedies for poverty replicates this duality. this article argues that in the current political context, these two explicative schemes (individualisation and categorisation) work in conjunction rather than opposition, and contribute to the depoliticisation of public debate on welfare and social services.
En légiférant en matière d’assistance sociale, l’État fixe des règles et de cette manière norme e... more En légiférant en matière d’assistance sociale, l’État fixe des règles et de cette manière norme en même temps qu’il produit des statuts et des comportements. Le pauvre qui demande assistance doit non seulement posséder un statut qui officialise son appartenance au cercle des destinataires potentiels, mais, en plus, il est tenu d’être dans une des situations ciblées par l’assistance publique. Mais quels sont les statuts et les situations reconnus ? Cet article tente de répondre à cette question sur la base des débats autour de la législation d’assistance dans deux cantons de Suisse romande vers 1890.
Cet article prend pour point de départ la nouvelle régulation publique de la maltraitance sur le ... more Cet article prend pour point de départ la nouvelle régulation publique de la maltraitance sur le territoire genevois engagée depuis le début des années 1990. Son objectif vise à considérer cette régulation comme un révélateur des inquiétudes spécifi ques des nouvelles classes moyennes par rapport à la cause de l’enfant. Ce dernier fait l’ob- jet d’un investissement et d’une protection accrue aujourd’hui, au moment où ces classes adoptent des modes familiaux aux contours moins institutionnels et plus fl exibles. L’enfant semble consti- tuer pour celles-ci une valeur refuge. La régulation publique de la maltraitance nous permettra aussi de révéler certaines tensions de classe qui se jouent autour du monopole de la défi nition légitime de la « bonne » parentalité et plus largement du style de vie « qui convient ». En effet, tout semble se passer comme si les fractions des nouvelles classes moyennes engagées professionnellement dans le travail de repérage, d’encadrement et d’assistance du problème maltraitance étaient en train de promouvoir de nouvelles conceptions éducatives (consubstantielles à leur ethos de classe) au sein des classes populaires, et plus particulièrement ses fractions les plus démunies.
Comment, durant ces deux dernières décennies, la violence des jeunes en milieu scolaire a-t-elle ... more Comment, durant ces deux dernières décennies, la violence des jeunes en milieu scolaire a-t-elle été constituée comme problème public à Genève ? Cet article décrit les grandes phases de cette construction à partir d’une analyse documentaire de sources écrites variées (débats parlementaires, articles de presse, expertises scientifiques). Alors que l’existence de la « violence des jeunes » commençait à faire débat au début des années 1990, nous verrons comment se façonna progressivement un certain consensus moral et politique sur cette question et comment le soupçon de dangerosité des jeunes a été élevé au sein des politiques éducatives à la dignité d’un risque qu’il convient désormais de connaître et de réguler dans le contexte d’une relative dénégation de la question sociale.
On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un d... more On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un dispositif de régulation sociale des populations qui trouve son origine dans les mutations provoquées par l'évolution industrielle à la fi n du XIX e siècle. S'inscrivant dans le cadre des réponses apportées à la question sociale, ce potager agrémenté d'un cabanon est le résultat de l'invention d'un dispositif philanthropique particulier visant à fi xer des populations mobiles et déracinées, ouvriers d'origine agricole, émigrés de leur région ou de leur pays, la terre ne les nourrissant plus. Depuis leur émergence, les fonctions attribuées aux jardins n'ont cessé d'évoluer selon les contextes économiques, politiques, sociaux. Initialement liés à des préoccupations hygiéniques (le grand air contre les miasmes), diététiques (les légumes contre l'alcool), économiques (un passe-temps qui rapporte), politiques et morales (un groupe de familles ouvrières contre un groupe d'hommes ouvriers), les jardins familiaux sont depuis les années 1980 associés dans tout un ensemble de discours offi ciels à des préoccupations urbanistiques et écologiques (composante actuelle des «espaces verts»), qui peuvent aussi conjuguer souci esthétique et actions de réinsertion sociale (Weber 1998: 62).
Seuil de sensibilité, modes d'intervention et normes de parentalité en mutation * Arnaud Frauenfe... more Seuil de sensibilité, modes d'intervention et normes de parentalité en mutation * Arnaud Frauenfelder * Arnaud Frauenfelder est professeur HES à la HETS-Genève, sociologue, membre du réseau « Socialisation des mineurs ». [arnaud.frauenfelder@hesge.ch] 1 Ce texte s'inspire, avec certains aménagements et approfondissements, d'une conférence donnée dans le cadre d'une journée d'étude organisée par l'Association professionnelle pour l'éducation sociale et la pédagogie spécialisée portant sur le thème du placement extrafamilial (Intégras, Berne, 21 janvier 2014). 2 Publiée aux Editions L'Harmattan (Schultheis, F., Frauenfelder, A., Delay, D. (2007)??? et ayant fait l'objet de différentes publications dans différentes revues (Revue suisse de sociologie [auteur, année], Carnets de bord en sciences humaines [auteur, année], Petite enfance [auteur, année]), cette enquête a récemment été réinterrogée dans un article publié en 2013 dans la revue Déviance et société (coécrit avec Christophe Delay).
Alors que les classes populaires confèrent comme on l'a vu ci-dessus beaucoup d'importance à la f... more Alors que les classes populaires confèrent comme on l'a vu ci-dessus beaucoup d'importance à la famille et la chaleur du foyer, elles semblent demeurer aujourd'hui également attachées -comme nos données empiriques l'attestent largement (ce que nous examinerons dans un effort de synthèse plus loin) -à un type d'ethos éducatif relativement autoritaire qui valorise les vertus de la discipline et de l'obéissance dans l'éducation de l'enfant. Cette conception relativement tutélaire et autoritaire de l'éducation des enfants va de pair avec une certaine représentation implicite de l'enfant comme petit animal sauvage à discipliner. Or, avant de rendre compte de façon condensée à partir de nos données empiriques ce type particulier d'ethos éducatif, en nous efforçant de le saisir à partir de sa logique et de sa cohérence spécifique, il convient de rappeler que cette manière de définir les classes populaires comme autoritaires ou plus enclines à l'« autoritarisme » que d'autres classes 1 relève d'une forme d'illusion naturaliste dont le sociologue -en bon « chasseur de mythe » (Elias, 1991, 55-81 2 ) -doit se méfier au plus haut point. Tout comme l'attachement à la vie familiale et à la chaleur du foyer, l'inclination ou l'affection particulière en milieu populaire pour l'éducation « à l'ancienne » comme on dit aujourd'hui, n'est en rien la manifestation d'une propriété essentielle ou endogène de ces classes. La représentation des classes populaires « comme classes autoritaires » est en soi mystificatrices dans la mesure où elle passe sous silence le fait que cette forme particulière d'ethos 3 éducatif est lui-même la conséquence de tout un processus de civilisation des moeurs qui a été impulsé lui aussi par le haut. On sait en effet que les vertus de l'autorité seront tout particulièrement exaltées par les couches « éclairées » du XIX e siècle et qu'elles viendront alimenter les stratégies missionnaristes que celles-ci chercheront à insuffler dans l'ensemble de la société et dans les classes populaires jugées en retard sur le processus de * in Schultheis F., Frauenfelder A., Delay C., Pigot N. et al. (2009), Les classes populaires aujourd'hui. Portraits de familles, cadres sociologiques, Paris : L'Harmattan, 349-383. 1 Parce que moins ouverte à la discussion et à la négociation que les couches sociales perçues ou se percevant comme plus « éclairées », parce que plus attachées à des principes hiérarchiques d'organisation des relations entre les membres de la famille qu'à des principes démocratiques de personne à personne. 2 Cf. chap. 2. « Le sociologue comme chasseur de mythes ». 3 « Cet ethos, loin de se cantonner au plan des idées, renvoie à un système de disposition qui impriment une orientation à l'action, structurant celle-ci en une « conduite de vie » (Lebensführung) » (Grossein, 1996, 61).
que son enfant ne sorte pas de l'enfance, qu'il reste collé à sa famille, ce qui est également dé... more que son enfant ne sorte pas de l'enfance, qu'il reste collé à sa famille, ce qui est également dénoncé » (63).
Faut donner à manger au crocodile, comme cela tu peux traverser la rivière » : un papa aux prises... more Faut donner à manger au crocodile, comme cela tu peux traverser la rivière » : un papa aux prises avec les institutions * par Arnaud Frauenfelder et Christophe Delay Guillaume Roux est un homme de taille moyenne, la quarantaine, assez costaud, des tatouages sur les bras, de grosses mains, il travaille comme poseur de sol dans le bâtiment après avoir suivi un apprentissage « comme manutentionnaire à Aligro », « là où il y avait le moins d'école », tant il estimait avoir « l'âge d'avoir le droit d'arrêter » vu qu'il avait « envie de tout faire sauf l'école ». Guillaume vit dans un quartier populaire de la rive gauche de Genève, dans un appartement de 3 pièces. Il a une fille, Sylvie, âgée de 9 ans, qu'il élève seule et dont il a la garde depuis son divorce, la maman de Sylvie étant morte entre temps alors que Sylvie était âgée de 3 mois. Cette situation de « monoparentalité masculine » n'est pour le moins pas facile à vivre et source de problèmes permanents. Non pas que pour Guillaume élever une fille soit une chose impossible pour un homme seul (il s'en sort plutôt bien comme on le verra dans la préparation des repas, dans l'organisation des sorties, du suivi des devoirs partiellement délégué à la grand-maman, et de la recherche des petits plaisirs du quotidien), mais cette situation fait l'objet de formes d'encadrement institutionnel diverses provenant des services de protection de la jeunesse et de l'institutions scolaire, encadrements qu'il interprète comme la conséquence plus ou moins directe de sa situation familiale jugée atypique (comme le lui avait dit un assistant social : « En règle générale, ils aiment pas un papa avec un enfant »). Sa situation familiale est donc « connue » des Services de protection de la jeunesse, mais aussi des enseignants, Sylvie étant suivie depuis plusieurs années. Face à ce contexte institutionnel vécu comme intrusif, où les « affaires de famille » deviennent des « affaires d'Etat » (« je pense que papa célibataire [en fait divorcé] avec son enfant, et plus est encore avec un décès, je pense qu'ils ont trop voulu… mettre leur grain de sel »), Guillaume met en oeuvre diverses tactiques d'évitement ou de détournement. Donner le change aux diverses sollicitations dont il peut faire l'objet (enseignants, travailleurs sociaux de l'Office de la jeunesse) pour ne pas avoir trop d'histoires (pour éviter qu'« on me reproche » ou qu'on essaye de me « mettre des bâtons dans les roues ») et pour (se) préserver d'une intrusion supplémentaire du regard des institutions dans sa sphère privée (regard vécu comme menaçant) représente l'ajustement pratique recherché, ajustement redoublé symboliquement par toute une philosophie de vie éprouvée au quotidien, dont on connaît les vertus et qu'il s'évertue à * in Schultheis F., Frauenfelder A., Delay C., Pigot N. (dir.) (2009), Les classes populaires aujourd'hui. Portraits sociologiques -cadres sociologiques, Paris, L'Harmattan (coll. « Questions sociologiques »), 239-279, à paraître.
On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un d... more On sait que les jardins familiaux, qu'on appelait autrefois jardins «ouvriers», représentent un dispositif de régulation sociale des populations qui trouve son origine dans les mutations provoquées par l'évolution industrielle à la fi n du XIX e siècle. S'inscrivant dans le cadre des réponses apportées à la question sociale, ce potager agrémenté d'un cabanon est le résultat de l'invention d'un dispositif philanthropique particulier visant à fi xer des populations mobiles et déracinées, ouvriers d'origine agricole, émigrés de leur région ou de leur pays, la terre ne les nourrissant plus. Depuis leur émergence, les fonctions attribuées aux jardins n'ont cessé d'évoluer selon les contextes économiques, politiques, sociaux. Initialement liés à des préoccupations hygiéniques (le grand air contre les miasmes), diététiques (les légumes contre l'alcool), économiques (un passe-temps qui rapporte), politiques et morales (un groupe de familles ouvrières contre un groupe d'hommes ouvriers), les jardins familiaux sont depuis les années 1980 associés dans tout un ensemble de discours offi ciels à des préoccupations urbanistiques et écologiques (composante actuelle des «espaces verts»), qui peuvent aussi conjuguer souci esthétique et actions de réinsertion sociale (Weber 1998: 62).
Tsantsa, 2006
tailoring welfare measures: hand-made or ready-to-wear? the ideas developed to explain poverty va... more tailoring welfare measures: hand-made or ready-to-wear? the ideas developed to explain poverty vacillate between two poles: the first places the main burden of the problem with the poor themselves, while the second holds society largely responsible for poverty. Logically, discussion of the remedies for poverty replicates this duality. this article argues that in the current political context, these two explicative schemes (individualisation and categorisation) work in conjunction rather than opposition, and contribute to the depoliticisation of public debate on welfare and social services.
En légiférant en matière d’assistance sociale, l’État fixe des règles et de cette manière norme e... more En légiférant en matière d’assistance sociale, l’État fixe des règles et de cette manière norme en même temps qu’il produit des statuts et des comportements. Le pauvre qui demande assistance doit non seulement posséder un statut qui officialise son appartenance au cercle des destinataires potentiels, mais, en plus, il est tenu d’être dans une des situations ciblées par l’assistance publique. Mais quels sont les statuts et les situations reconnus ? Cet article tente de répondre à cette question sur la base des débats autour de la législation d’assistance dans deux cantons de Suisse romande vers 1890.
Cet article prend pour point de départ la nouvelle régulation publique de la maltraitance sur le ... more Cet article prend pour point de départ la nouvelle régulation publique de la maltraitance sur le territoire genevois engagée depuis le début des années 1990. Son objectif vise à considérer cette régulation comme un révélateur des inquiétudes spécifi ques des nouvelles classes moyennes par rapport à la cause de l’enfant. Ce dernier fait l’ob- jet d’un investissement et d’une protection accrue aujourd’hui, au moment où ces classes adoptent des modes familiaux aux contours moins institutionnels et plus fl exibles. L’enfant semble consti- tuer pour celles-ci une valeur refuge. La régulation publique de la maltraitance nous permettra aussi de révéler certaines tensions de classe qui se jouent autour du monopole de la défi nition légitime de la « bonne » parentalité et plus largement du style de vie « qui convient ». En effet, tout semble se passer comme si les fractions des nouvelles classes moyennes engagées professionnellement dans le travail de repérage, d’encadrement et d’assistance du problème maltraitance étaient en train de promouvoir de nouvelles conceptions éducatives (consubstantielles à leur ethos de classe) au sein des classes populaires, et plus particulièrement ses fractions les plus démunies.
Comment, durant ces deux dernières décennies, la violence des jeunes en milieu scolaire a-t-elle ... more Comment, durant ces deux dernières décennies, la violence des jeunes en milieu scolaire a-t-elle été constituée comme problème public à Genève ? Cet article décrit les grandes phases de cette construction à partir d’une analyse documentaire de sources écrites variées (débats parlementaires, articles de presse, expertises scientifiques). Alors que l’existence de la « violence des jeunes » commençait à faire débat au début des années 1990, nous verrons comment se façonna progressivement un certain consensus moral et politique sur cette question et comment le soupçon de dangerosité des jeunes a été élevé au sein des politiques éducatives à la dignité d’un risque qu’il convient désormais de connaître et de réguler dans le contexte d’une relative dénégation de la question sociale.
D'invention philanthropique et faisant partie du paysage urbain depuis la fin du XIX e siècle, le... more D'invention philanthropique et faisant partie du paysage urbain depuis la fin du XIX e siècle, les jardins familiaux, appelés autrefois jardins « ouvriers », demeurent une réalité relativement peu documentée, alors même que les villes tendent à redécouvrir leur rapport à la nature.
Toute civilisation se fonde sur un ensemble de normes et de valeurs essentielles dont la transgre... more Toute civilisation se fonde sur un ensemble de normes et de valeurs essentielles dont la transgression est jugée intolérable.
Parmi les intolérables les plus intolérables de nos civilisations occidentales contemporaines figure sans aucun doute un ensemble de faits appelés " maltraitance envers les enfants ". Cette étude, fruit d’une enquête de terrain dans les arcanes d’institutions de protection de l’enfance genevoises, met en lumière des réalités ignorées ou tues et entend contribuer à une démystification du rapport social à la question de la maltraitance ; elle nous conduit à considérer la maltraitance comme un révélateur de nouvelles définitions sociales du bon parent et du nouveau statut associé à l’enfant.
Mais également un révélateur de la question sociale contemporaine. En effet, la question de la " maltraitance " dominée par des représentations morales et pénales renvoie également à une dimension sociale cachée : des inégalités bien connues en matière de ressources matérielles et culturelles semblent se manifester maintenant sous forme de nouveaux clivages entre ceux qui disposent des savoirs et des savoir-faire légitimes en matière de " caring " et ceux qui ne semblent pas être à la hauteur de cette tâche.
Le dispositif émergent de " bientraitance " risque par-là de retraduire une distance sociale en distinction morale.
carnets de bord n°2 . 2001 . 92-97 notes de lecture Gérard Noiriel, Etat, nation et immigration. ... more carnets de bord n°2 . 2001 . 92-97 notes de lecture Gérard Noiriel, Etat, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, éd. Belin, mars 2001, 400 p.