Life is a bitch until you die - Kazy (original) (raw)
Elle n’avait jamais pensé qu’une descente aux enfers pouvait se passer en si peu de temps, et encore moins de façon si violente. De toute façon, elle n’avait jamais pensé qu’une descente aux enfers, de son vivant, pouvait être possible. A tout bien réfléchir, elle n’avait jamais vraiment pensé non plus. Les autres le faisaient pour elle.
Pourtant, si elle devait faire le bilan de son existence en ce moment, tous les critères étaient remplis. Vie sentimentale au point mort, vie social en-dessous du seuil de tolérance, vie familiale à un niveau critique… Elle avait presque envie de se dire que ça ne pouvait pas être pire.
C’était d’ailleurs ce qu’elle se répétait chaque matin en se levant. Ce matin-là compris. En éteignant son réveil. En prenant une douche froide. En s’habillant. Et en évitant à tout prix son père, donc en sautant le petit déjeuner.
Et elle se répétait dans sa voiture que rien ne pouvait être pire que la veille. Que les 09ers ne trouveraient pas pire façon de l’humilier. Qu’il n’y avait pas d’insulte plus méprisable que celles qu’ils avaient passé leur journée à lui cracher.
Avant de sortir de la voiture, elle essaya de calmer ses tremblements. Elle se regarda dans le rétroviseur, applatit un peu ses cheveux pour faire bonne mesure, replia ses vêtements. Et espéra que le fait qu’elle soit jolie leur donne un peu de pitié. Qu’ils se disent qu’ils ne pouvaient pas faire de mal à une fille aussi désespérée, qui vivait un drame bien pire que le leur.
Qu’elle avait perdu en un mois son petit ami, sa meilleure amie, ses amis, son statut social, et sa famille. Sa vie, en plus. Ils pouvaient bien comprendre – ils devaient bien comprendre – qu’elle ne méritait pas qu’on salisse sa dignité.
Elle sortit de sa LeBaron, et se dirigea raidement vers l’entrée du lycée, le cœur battant à toute allure. Jusque là tout allait bien. Elle arrivait même à se persuader que son mantra fonctionnait. Qu’elle avait eu raison jusqu’au bout de la ligne. Que Logan ne pouvait pas être si horrible.
Mais lorsqu’elle arriva à son casier, tous ses espoirs furent balayés. Elle n’était plus naïve à ce point-là maintenant. Elle voyait bien dans les yeux de Logan qu’il allait être encore plus odieux que d’habitude. Elle hésita un instant, et envisagea la solution habituelle – aller se cacher dans les toilettes et attendre la sonnerie. Mais elle se remémora ses gestes dans la voiture.
Elle savait qu’elle avait l’air fragile. Elle savait que Logan n’était pas comme ça. Qu’il était simplement triste, et qu’il verrait dans ses yeux qu’elle aussi l’était. Et qu’il la laisserait tranquille pour ne pas la briser d’avantage.
« T’as l’air fatiguée, Mars. » dit-il d’une voix inquiète.
Elle eut un soupir intérieur, et remercia mentalement le ciel pour être aussi clément – finalement. Elle lui fit un petit sourire, mais Logan ne lui répondit pas.
« C’est vraiment astreignant de faire le tapin, hein ? T’as pas dû te coucher tôt… Enfin, tu dois t’y connaître maintenant, ta mère a dû bien t’enseigner les gestes… Si elle n’était pas trop déchirée pour le faire, évidemment… »
Il lui fallut un moment pour accuser le coup. Elle crut un instant – un infime instant – qu’elle avait rêvé la remarque acide et déplacée de son ancien ami, mais lorsqu’elle le vit éclater de rire et taper dans la main de Dick Casablancas en partant, elle comprit qu’elle était revenue dans la réalité.
Elle ouvrit son casier, et ses yeux tombèrent sur la petite photo de Lilly et elle, prise trois jours seulement avant sa mort. Comment une descente aux enfers pouvait-elle se faire en si peu de temps ?
*
Elle n’avait pas dit à son père où elle allait. Il se serait inquiété. Lui aurait dit que c’était stupide, qu’elle ne leur devait rien, qu’elle n’avait rien à leur prouver. Mais Veronica savait qu’elle avait besoin de leur prouver quelque chose. Qu’elle existait, qu’elle était quelqu’un, et qu’ils ne pouvaient pas s’amuser à la briser.
Elle avait bien réfléchi, et elle avait compris que si Logan et les autres 09ers n’arrêtaient pas de l’attaquer, c’était parce qu’elle avait toujours été une assistée. Parce que son père avait toujours été là pour la protéger de la violence, que Lilly avait toujours été là pour répondre à sa place, que Duncan avait toujours été là pour créer une bulle rassurante.
Maintenant, Duncan l’ignorait, Lilly était morte, et son père devait partir pour faire marcher ses toutes nouvelles affaires. Elle n’avait plus personne, et les autres le savaient. Alors ils exploitaient sa brèche. Il fallait qu’elle leur montre qu’elle pouvait se défendre seule, maintenant. Qu’elle avait peut-être l’air fragile avec ses longs cheveux, son visage d’ange et ses tenues roses, elle n’en était pas moins quelqu’un.
Elle n’attendait pas grand chose des 09ers. Peut-être qu’ils se calment un peu, qu’ils se mettent à l’ignorer, comme Duncan. Elle préférait être ignorée plutôt qu’humiliée ainsi. Elle ne pourrait plus supporter ce genre de comportements de toute façon. Et elle savait qu’aller à cette soirée chez Shelly lui permettrait de montrer aux autres qu’elle avait un minimum de cran. Et que leurs murmures, et leurs humiliations n’avaient plus vraiment d’importance.
Elle s’était habillée comme avant la mort de Lilly. Peut-être voulait-elle leur montrer qu’elle n’avait pas changé, qu’elle était toujours la gentille Veronica, celle qui était toujours prête à aider les autres. Celle qui était de leur côté. Mais que si elle venait, c’était pour leur montrer qu’elle n’était pas que faible.
Elle monta dans sa LeBaron avec angoisse.
Elle arriva plus vite que prévu à la fête. Il était tard bien sûr. Il avait fallu qu’elle attende que son père parte de l’appartement, qu’elle se torture les méninges pour savoir s’il fallait qu’elle y aille, qu’elle se prépare, et qu’elle se décide à sortir.
Elle sentit immédiatement qu’elle aurait mieux fait de rester chez elle, au chaud dans son lit à manger de la glace au chocolat devant top gun. Mais il était trop tard, et ça aussi elle le sentait. Tout le monde s’était aperçu de son arrivée. Duncan, dans les bras de Holly Grant, pour commencer. Elle n’avait pas penser que le voir la dévasterait à ce point.
C’était peut-être pour cela qu’elle avait accepté le verre qu’on lui avait tendu. Parce qu’elle sentait qu’elle avait besoin de force. Qu’elle s’était largement surestimée, et qu’elle ne pouvait pas se débattre toute seule contre une centaine de riches persuadés que tout leur était dû. Sa mère noyait souvent sa peine dans l’alcool. Ce n’était plus un secret maintenant.
Il lui fallait juste un petit remontant pour réussir à faire face au regard méprisant de Logan.
Grave erreur.
Au début, ça allait. Elle se sentait bien. Sa tête lui tournait légèrement, et ses problèmes lui semblaient loin. Elle pensait que c’était normal, qu’on lui avait servi un verre un peu trop chargé, et qu’elle ne tenait pas à l’alcool. Mais lorsque tout devint flou elle comprit que quelque chose ne tournait pas rond. Il lui fallait trouver un appui. Quelque part où s’asseoir, ou s’allonger.
Elle voulut retourner à la voiture, et rentrer chez elle, mais elle sentait loin dans sa conscience qu’elle n’en serait pas capable. Elle envisagea de simplement aller dormir dans sa voiture mais là encore elle comprit que ce serait impossible.
Elle distinguait faiblement quelques néons, apercevait quelques couples dans le jacuzzi, et vit un transat libre dans le backyard. Elle décida d’aller s’y allonger, simplement pour fermer les yeux quelques minutes, se reprendre, afin de pouvoir rentrer chez elle le plus rapidement possible. Tant pis pour la preuve qu’elle était quelqu’un. Elle avait jugé être restée suffisamment longtemps pour leur montrer qu’elle avait assez de cran, pour leur montrer qu’elle méritait un minimum de respect.
Alors elle s’allongea dans le transat, et ferma les yeux.
Juste pour quelques minutes.
*
C’était le froid qui l’avait réveillée. La porte était encore ouverte, et le vent glacial de l’hiver s’engouffrait par grosses rafales dans la chambre.
Bizarrement, elle avait immédiatement compris ce qui s’était passé la veille. Elle l’avait senti au plus profond d’elle. Mais elle avait attendu plusieurs minutes avant d’ouvrir les yeux. Le temps de se construire un visage s’il y avait quelqu’un d’autre en face d’elle. Heureusement – ou malheureusement – il n’y avait personne pour voir son visage. La chambre était vide. Le lit était défait à côté d’elle.
Elle avait attendu encore longtemps pour se redresser. Elle essaya de remonter la bretelle de sa robe, mais elle était déchirée. Et elle vit son sous-vêtement par terre. La preuve de la plus grosse humiliation qu’on puisse lui faire. Elle avait lutté contre les larmes, elle avait tout fait pour ne pas pleurer. Mais elle n’avait pas réussi à retenir une larme. Une seule.
Elle se leva lentement, attrapa ses chaussures par terre, et sans prendre la peine de les remettre, sortit le plus vite possible de la villa de son ancienne amie.
« Abel, ça aurait dû être elle ! » lut-elle sur sa voiture. Les pneus étaient crevés. Les phares explosés. Comme si prendre sa virginité ne leur avait pas suffis. Comme s’il avait fallu qu’ils détruisent plus. Qu’ils souillent plus. Qu’ils la détruisent jusqu’à la racine. Jusqu’au bout.
Veronica essuya ses larmes d’un revers de main.
Elle ne se laisserait pas plus détruire. Elle avait la loi de son côté.
*
« Y a-t-il quelqu’un en particulier que tu voudrais que j’arrête ou dois-je simplement aller voir les fils des familles les plus importantes de la ville ? Je n’ai pas la moindre preuve pour travailler mais ça n’importe que peu à ta famille, hein ? … Oh… Regardez-moi ça. Elle pleure. Tu sais quoi Veronica Mars, pourquoi tu ne vas pas voir le magicien ? Lui demander un peu de nerfs. »
*
Elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle pleurait. Elle n’avait pas réussi pas à croire ce que lui avait dit Lamb. Elle refusait de croire ce qu’avait dit Lamb. Ce n’était pas possible. L’enfer ne pouvait pas être si réel. Il devait y avoir un quota maximum d’horreurs et d’humiliations à vivre en moins de vingt-quatre heures.
Elle était rentrée chez elle à pieds, s’était dirigée dans sa chambre, et s’était assise sur son lit.
Elle avait été violée, nom de dieu. Violée. N’importe quel médecin aurait pu le lui certifier ! Pourquoi ne faisait-il rien ? La haine pouvait-elle assez aussi loin ? Pouvait-on vraiment haïr quelqu’un à un tel point ?
Ses yeux tombèrent sur ses couvertures. Elle eut un haut le cœur lorsqu’elle revit mentalement la tâche rouge sur les draps blancs de la chambre d’hôte. L’autre preuve de son humiliation. Prise d’une nausée, elle attrapa une boîte proche et vomit sa honte, sa colère, sa frustration. En redressant la tête, elle vit son reflet dans le miroir.
Son reflet de petite poupée détruite. Ses cheveux enmêlés. Son maquillage coulé. Ses joues noires. Elle baissa les yeux vers son corps. Ses vêtements froissés, déchirés parfois.
Et du rouge.
Du rouge sur sa robe blanche.
Elle hurla. De rage. Ses mains saisirent les pans de sa jolie robe de princesse et les arrachèrent. Elle se laissa tomber sur le sol, et lorsque ses ongles ne parvinrent plus à aller aussi vite qu’elle le voulait, elle se rua vers son bureau, renversant tout ce qui était dessus, et se saisit des ciseaux les plus proches.
Et elle coupa. Coupa, coupa, coupa, coupa. Tout couper. En petit. Tout faire disparaître.
Puis il n’y eut plus rien à couper.
Son visage noyé de larmes se releva vers le miroir. Vers son reflet. Vers son visage de poupée brisée. Avec ses longs cheveux de princesse. Ses beaux cheveux. Ses immondes cheveux qui la rendaient si faible. Là encore il fallait arracher. Retirer.
Il fallait la tuer.
Il fallait tuer cette Veronica faible, immonde, cette Veronica rêveuse, et naïve. Cette gamine insupportable qui croyait que le monde était gentil. Il fallait la tuer, cette Veronica à qui ils avaient tout pris. Son amour, son amie, sa famille. Sa virginité. Sa dignité.
Ils lui avaient pris jusqu’à sa dignité, à cette Veronica là.
Les cheveux tombaient, et tombaient, et tombaient en gros paquets sur la moquette. Mais ça ne suffisait pas. Car cette Veronica-là n’était pas morte. Elle était partout. Partout dans cette chambre.
Sur les murs. Dans les placards. Sur les étagères.
Partout.
Alors elle détruisit tout. Ses mains balayaient les étagères, déchiraient les vêtements, arrachaient les peintures, découpaient les draps, brisaient les miroirs. Le sang coulait sur ses mains blessées, mais c’était rassurant. C’était la preuve qu’elle partait. Qu’elle mourait.
Et bientôt sa chambre fut à son image. Un champ de ruines.
Veronica était morte.
*
« Waw Ronnie ! Tu as opté pour un changement de look ? T’es sûr que ce nouveau style va plaire à tes clients ?! » demanda joyeusement Logan.
« T’inquiète pas pour moi. D’ailleurs, tu diras à ta mère qu’elle a oublié ça hier… » répondit Veronica du tac au tac en lui tendant un vieux préservatif.
Logan ne répondit rien. Il avait la bouche entrouverte, choqué. A ses côtés, Dick et Casey ricanaient bêtement. Veronica n’eut pas une seule réaction. Elle traça sa route. Elle avait compris la leçon. Son père avait raison : elle n’avait rien à leur prouver. Car ils n’attendaient rien d’elle. Et elle avait maintenant la preuve que son destin était bien scellé. Sa vie ne redeviendrait pas comme avant. Sa mère ne rentrerait pas. Lilly ne reviendrait pas d’entre les morts. Duncan ne la récupèrerait pas. Les 09ers l’avaient rayée de leur liste depuis longtemps.
Et ils avaient fait de sa vie un enfer.
« La vie est une chienne jusqu’à la mort », se souvint-elle.
La vie devrait la laisser tranquille maintenant.
Elle était enfin morte.