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"La Montée des Violences" 19 et 20 mars 2017 CESE - Paris
La Montée des Violences 19 et 20 mars 2017 CESE - Paris
Comme on sait, Heidegger,tout au long de son chemin de pensée, aura étéentouré de « penseurs juif... more Comme on sait, Heidegger,tout au long de son chemin de pensée, aura étéentouré de « penseurs juifs », élèves ou collègues, complices ou contradicteurs, adversaires ou admirateurs. Pêle-mêle : Husserl, Arendt, Marcuse, Jonas, Cassirer, Derrida, H. Bloom, Lukacs, Levinas, Löwith, Strauss, Anders, Buber, Klein, Tugendhat, Adorno, Benjamin, Rosenzweig. Cette liste très hétérogène suffit à indiquer que ces penseurs ne sont liés par aucune espèce d’unité doctrinale et moins encore par une quelconque appartenance « juive » de la pensée. Ils ont, à des titres divers et inégaux et de façon plus ou moins oblique, éprouvé ce que Ricoeur nomma un jour « le massif hébraïque » et ils eurent par ailleurs rapport à Heidegger. Ces éléments contingents suffisent à indiquer que notre colloque n’entend pas statuer en premier lieu sur Heidegger et le judaïsme, ou sur Heidegger et l’antisémitisme ou même sur Heidegger et les Juifs. Ces questions sont loin d’être dénuées d’intérêt, et sans doute traverseront-elles notre colloque. Mais il s’agit pour nous, centralement, de considérer ou de reconsidérer la figure d’un des plus importants philosophes du XXème siècle en questionnant un impensé. A cet égard, les guillemets, « les Juifs », que nous empruntons à J.-F. Lyotard, sont décisifs.
Nous voudrions proposer une réflexion sur le rôle et le statut de cet impensé cerné par des guillemets. En quoi et pourquoi le « judaïsme » demeure-t-il pour Heidegger de l’ordre d’un impensé ? Comment ré-envisager le rapport ininterrompu, mais distordu, entre la pensée grecque et Heidegger, en tant que, là, semble se dénier ou s’éviter « le massif hébraïque » ? Comment comprendre et interpréter la relation que Heidegger marque avec le théologique, repris sous l’égide du « Sacré », où le monothéisme judaïque demeure significativement absent ? L’omission quasi-systématique de références à des « philosophes juifs » (Philon, Spinoza, Mendelssohn, Freud, Rosenzweig ou Cohen, par exemple) est-elle anecdotique, effective, symptômale, « oubliée » ? Peut-on parler d’une « dette impensée » (M. Zarader) ?
Heidegger et « les Juifs » laissera évidemment résonnercomme en écho toute une série dequestions politiques ou méta-politiques. Doit-on établir un rapport entre la critique de la modernité élaborée par Heidegger et l’anti-démocratisme des années 1930 en Allemagne, souvent teinté d’antisémitisme ? Comment penser la relation entre la technique, la « dévaluation de la pensée de l’être dans l’ère de la technique » et le Judaïsme toujours assimilé chez Heidegger à une pensée calculatrice abstraite ou à la mise en œuvre d’une réduction économique de la dignité de la « vérité historiale de l’être » ?
La compromission politique de Heidegger avec le national-socialisme, que la publication récente des Cahiers noirs fait apparaître sous un jour encore plus cru, demeure une interrogation et une énigme. Heidegger tente d’y circonscrire le destin d’une « auto-affirmation de soi » comme « relève » de l’« aurore grecque » en ouvrant à une possibilité proprement allemande de « surmonter » le fourvoiement au sein duquel se sera définie l’histoire de l’oubli de l’être. Que veut dire ce « surmontement » quant au Judaïsme et quant au silence quasi-complet de Heidegger devant la Shoah?
Ce sont ces questions, aussi délicates que difficiles, aussi brûlantes qu’incommodes, que rencontreront, traiteront, affronteront les philosophes et les historiens venus du monde entier pour en débattre ensemble, sans craindre la dissension ni nourrir la discorde.
Books by Raphael Zagury-Orly
L'Adversaire privilégié, 2021
http://editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre\_id=3546
Passe Partout / Wahrheit setzt Kunst setzt Gerechtigkeit voraus, 2020
Monolingualism of the Other, 2019
"The Judeo-Franco-Maghreban" Preface written by Raphael Zagury-Orly 1st Chapter of Hebrew Transla... more "The Judeo-Franco-Maghreban" Preface written by Raphael Zagury-Orly
1st Chapter of Hebrew Translation (Monolingualism of the Other - Jacques Derrida
Drawing on the relationship between Derrida and Levinas and on the unresolved tension between the... more Drawing on the relationship between Derrida and Levinas and on the unresolved tension between their philosophical corpuses, this book aims to offer new possible interpretations on the future of democracy. What philosophical and political ideals can emerge from a parallel reading of these two acclaimed thinkers, and from their ‘philosophical alliance’? This volume attempts to re-imagine and to re-engage the realm of politics, by offering new perspectives on the multiple crises that traverse the contemporary age.
Heidegger et "les juifs" La Règle du Jeu, N° 58/59 Paris, Grasset, 2015 Sommaire Martin Hei... more Heidegger et "les juifs"
La Règle du Jeu, N° 58/59
Paris, Grasset, 2015
Sommaire
Martin Heidegger, l’un des plus grands philosophes du XXème siècle, était-il antisémite ? La question est soulevée une nouvelle fois par la publication des notes personnelles du philosophe réunies dans les fameux Cahiers noirs et parues à titre posthume en Allemagne l'année dernière. Comment lire et que faire de l’héritage de Heidegger après les révélations de ces Cahiers noirs? La question fait l’objet d’un débat passionné dans le monde philosophique. Mais ce numéro spécial n’entend pas traiter uniquement des rapports de Heidegger avec le fait juif, ni, davantage, de son antisémitisme. Il s’agit de considérer ou de reconsidérer la figure de l'un des philosophes les plus considérables du XXème siècle et de poser la question : en quoi et pourquoi le judaïsme demeure-t-il pour Heidegger de l’ordre d’une dette impensée ? La fascination de nombreux philosophes français tels Sartre, Levinas ou Derrida pour le penseur allemand a-t-elle fait son temps ? Et faudrait-il, comme le plaident certains, renoncer à lire Heidegger ? Ce numéro spécial reprend l'essentiel des contributions au colloque qui s'est tenu à Paris, à la BNF et au Centre Culturel irlandais, les 22, 23, 24 et 25 janvier 2015.
Table des Matières:
JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY
Heidegger, « les Juifs » et nous
JEAN-CLAUDE MILNER
Heidegger contre la langue allemande
ALAIN FINKIELKRAUT
Comment ne pas être heideggérien ?
PETER TRAWNY
L’universel et l’annihilation. Heidegger, un antisémitisme ancré dans l’histoire de l’être
GÉRARD BENSUSSAN
Heidegger : l’introduction de la philosophie dans le nazisme
PASCAL DAVID
« La pensée comptable ». Heidegger et la pensée juive face à l’incalculable
GÉRARD GUEST
L’épreuve du « danger en l’Être » et le revers de l’impensé
YANN MOIX
Heidegger et la parole juive
FRANÇOIS FÉDIER
Martin Heidegger et le monde juif
NICOLAS DE WARREN
Heidegger, le judaïsme et la deuxième guerre de Trente Ans
DANIEL DAHLSTROM
Les conceptions juives de Heidegger sur l’être, le langage et le temps
ANTHONY J. STEINBOCK
Heidegger, la machination et la question juive : le problème du don
NIALL KEANE
Métaphysique, politique et nihilisme chez Heidegger et Jünger
MAHON O’BRIEN
Heidegger et le Dasein authentique d’un peuple
BABETTE BABICH
Heidegger et ses Juifs
CHRISTOPHE PERRIN
Heidegger et Rosenzweig : entre eux et entre nous
AVISHAG ZAFRANI
L’antisémitisme métaphysique de Heidegger dévoilé par Hans Jonas
CÉDRIC COHEN SKALLI
Anticipation inclusive ou exclusive : Benjamin et Heidegger, 1923-1927
AGATA BIELIK-ROBSON
L’amour fort comme la mort : les Juifs contre Heidegger (sur la question de la finitude)
BLANDINE KRIEGEL
Heidegger et la modernité
HADRIEN LAROCHE
hei/foe. Heidegger, Derrida et la question
STÉPHANE HABIB
Être-avec : psychanalyse et politique
DONATELLA DI CESARE
La domination du monde par les « sans-monde ». Heidegger et le messianisme juif
YVES-CHARLES ZARKA
Heidegger : l’effondrement d’une pensée
PETER SLOTERDIJK
La politique de Heidegger : reporter la fin de l’Histoire
RAPHAEL ZAGURY-ORLY
D’une forclusion dans la phénoménologie de la vie religieuse
JOSEPH COHEN
Le spectre juif de Heidegger
BERNARD-HENRI LÉVY
Comment peut-on être heideggérien ?
"SOMMAIRE T.M. Heidegger aux Temps Modernes Joseph Cohen, Raphael Zagury-Orly Heidegger e... more "SOMMAIRE
T.M.
Heidegger aux Temps Modernes
Joseph Cohen, Raphael Zagury-Orly
Heidegger et la question du lieu
Karl Löwith
Les implications politiques de la philosophie de l'existence chez Heidegger
Alphonse de Waelhens
La philosophie de Heidegger et le nazisme
Karl Löwith
Réponse à M. de Waelhens
Alphonse de Waelhens
Réponse à cette réponse
Martin Heidegger
Remarques sur art-sculpture-espace
Didier Franck
Le séjour du corps
Dominique Pradelle
Comment penser le propre de l'espace ?
Marlène Zarader
Le lieu de l'art
Jean-François Mattéi
Le lieu de l'étant et le milieu de l'être
Françoise Dastur
Heidegger : espace, lieu, habitation
Éliane Escoubas
Parcours de la topologie dans l'œuvre de Heidegger
Rudolf Bernet
L'extimité du corps et la question du naturalisme en phénoménologie
Gérard Bensussan
Le lieu et la contrée. Questions de proximité
Peter Sloterdijk
Insomniaque à Éphèse
Jean Grondin
Heidegger et le défi du nominalisme
Florence Caeymaex
L'existentialisme comme éthique de Heidegger à Sartre
Nicolas Tertulian
L'ontologie chez Heidegger et chez Lukács. Phénoménologie et dialectique
Jeffrey Andrew Barash
Heidegger et la question de la race
Joseph Cohen, Raphael Zagury-Orly
L'avenir du lieu"
SOMMAIRE JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY Avant-propos CLAUDE LANZMANN Salut éternel ... more SOMMAIRE
JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY
Avant-propos
CLAUDE LANZMANN
Salut éternel à Jacques Derrida
JACQUES DERRIDA
La déconstruction et l’autre. Un entretien de Richard Kearney
JACQUES DERRIDA
La mélancolie d’Abraham. Un entretien de Michal Ben-Naftali
HADRIEN LAROCHE
Court traité de la décision en deux pages
ANNABEL HERZOG
Monolinguisme et Optimisme : Derrida, Candide et la culture
FRANCOIS RAFFOUL
Chez lui chez l’autre
JACQUES RANCIERE
La démocratie est-elle à venir ?
MICHAEL NAAS
Au commencement, le souffle… La genèse de la déconstruction
STEPHANE HABIB
Aux commencements
RENE MAJOR
L’enfance (sans origine) de la déconstruction
FELIX HEIDENREICH
Comment dire « nous » ?
GERARD BENSUSSAN
La bête est sans pourquoi
ORIETTA OMBROSI
Non seulement un chien. Les bestiaires de Levinas et Derrida
JOHN D. CAPUTO
Dieu, peut-être. Esquisse d’un Dieu à venir et d’une nouvelle
espèce de théologiens
MARTIN HAGGLUND
L’athéisme radical de Derrida
AVITAL RONELL
L’impossible Monsieur Bébé, cette déconstruction incessante…
ANDREW HAAS
Not a notion what I meant : l’autre métaphysique
TIMOTHEY MOONEY
Des motivations naturalistes et humanistes de la déconstruction
JEAN GRONDIN
Le dialogue toujours différé de Derrida et Gadamer
JACQUES DERRIDA et HANS-GEORG GADAMER Correspondance
JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY
Déconstruire jusqu'à la résistance"
Ouvrons le questionnement à ce qui est en jeu dès notre titre, à ce qui vient suppléer le questio... more Ouvrons le questionnement à ce qui est en jeu dès notre titre, à ce qui vient suppléer le questionner en exigeant qu’il se dise encore. Or le mot encore, loin de simplement signifier un recommencement ou une répétition, nous interpelle en indiquant le surcroît, le surplus, le reste à venir. Questionner encore indique non seulement prendre sur soi ce que l’histoire de la philosophie a thématisé quant à la question, mais encore cela même qui ne saurait entièrement souscrire à cette thématisation. En ce sens, tout laisse penser qu’il faudrait entendre, dans et par le sens et l’essence de la question, autre chose que ce qui s’y promet, voire l’autrement de ce qu’elle promet. En somme, il s’agit d’entendre dans la question une certaine supplémentarité du questionner qui ne cesse d’exprimer selon des modalités encore inconnues et imprévues le « sens » et l’« essence » de la question. Comme si, dans la question, s’entendait plus encore que ce que son nom appelle. Plus encore que sa résolution, c’est sans doute que la question appelle à un tout autre ordre du penser.
Cet autre ordre du penser est toujours à déceler à la fois dans l’histoire de la philosophie, et comme cela même qui la met en mouvement, la sollicite, la requiert depuis un ailleurs qu’en elle, un ailleurs qu’en ses stratégies et ses calculs, qu’en ses concepts et ses mots. Comme si l’autre ordre du penser, pour n’être sur-nommé ici que stratégiquement, était tout à la fois ce qui demeurait inscrit dans le fond même de la philosophie, et y faisait retour sous les mots s’inscrivant dans la chaîne de la « différence », de l’« altérité », etc., n’y souscrivant pourtant jamais une fois pour toutes.
Heidegger et la question du lieu Cette question —qu’appelle-t-on le lieu ?—, qui concentre et d... more Heidegger et la question du lieu
Cette question —qu’appelle-t-on le lieu ?—, qui concentre et déploie la possibilité de notre projet, commande une tâche singulière, celle de situer le lieu du débat ailleurs que dans les rets d’une opposition simple et stérile entre « défenseurs » et « accusateurs » de Heidegger. Ainsi, l’idée aura été lancée : comprendre d’abord ce qui s’élabore et s’ouvre dans cette pensée, c’est dire aussi, approcher ce qui pour cette pensée lui demeure caché et donc, comme par extension, révéler ce que cette pensée aura choisi de taire. Or le fil conducteur de cette compréhension nous a été légué par Heidegger lui-même. Et ce non seulement parce que, pour celui-ci, la question du lieu est plus originaire, plus authentique, c’est-à-dire plus « questionnante » et « méditante » que celle de l’espace (ce qui ne saurait rendre cette dernière inauthentique), mais aussi et surtout parce que tout discours, quel qu’il soit, présuppose toujours une certaine pré-compréhension du lieu à partir duquel il peut se dire, s’affirmer, se proférer. Le discours de Heidegger ne saurait faire exception. Au contraire, et c’est là que se joue l’extraordinaire richesse tout comme l’inattendue ambiguïté de son cheminement, la pensée de Heidegger tente sans cesse d’« approcher » le lieu depuis lequel la pensée vient et peut advenir à l’homme. En somme, cette pensée se voue au questionnement sur le lieu d’où peut éclore la pensée en l’homme et s’avoue par là même tournée vers la possibilité d’un à-venir encore impensé pour l’homme. D’où notre question dans sa formulation première : qu’est-ce qu’un lieu ? Et plus radicalement : qu’appelle-t-on le lieu ? C’est-à-dire : quel est ce lieu qui nous appelle, nous sollicite, nous enjoint et nous commande avant sa propre détermination ? Nous venons de le suggérer, le fil conducteur de cette interrogation en direction du lieu nous a été légué par Heidegger. Où est alors le lieu de cette pensée ? Quelle aura été sa diction ? Qu’aura commandé son envoi ? Et puisque nous y sommes déjà : quelles conséquences (politiques, éthiques, esthétiques) implique cette pensée qui se sera efforcée d’interroger le lieu tout en pensant déjà à partir de lui ?
Nous y sommes. Nous touchons encore à la question épineuse et délicate de l’« engagement » politique de Heidegger. Or quelques précisions s’imposent ici. Notre dessein n’est en aucun cas d’éviter cette question. En lisant Heidegger aujourd’hui, on ne peut pas ne pas aussi questionner ce qui a entraîné ce penseur à souscrire à la pire abomination politique du XXe siècle. Nous ne saurions ignorer les faits amplement rapportés par divers chercheurs depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ces faits obligent toute personne de bonne foi à abandonner définitivement la thèse des « dix mois » et à reconnaître que Heidegger, de 1933 à 1945, aura maintenu un profond soutien au régime nazi. Nous le savons, les écrits datés de cette époque sont irréfutables. Sans jamais verser dans une justification philosophique du biologisme – qui était pourtant une des « thèses » centrales de l’idéologie nazie – le Heidegger de ces années n’a cessé de multiplier les signes et les allusions témoignant d’une complicité à l’égard de l’« esprit » du National-socialisme, justifiant son engagement dans des écrits qu’il n’a par la suite jamais catégoriquement reniés et qu’il a même jugé essentiel, dans la plupart des cas, de reprendre dans l’édition de ses Œuvres complètes. En ce sens, il semble nécessaire de rappeler, ce qui est pour nous une évidence, que l’« engagement » politique de Heidegger ne peut pas venir d’ailleurs que de sa pensée, qu’il ne peut se penser que dans et par sa philosophie. Heidegger n’a-t-il pas lui-même démantelé toute possibilité d’établir fermement et certainement le lieu depuis lequel se construit et se fonde la séparation entre le théorique et le pratique, entre le philosophique et le politique ? Ainsi, entre l’« engagement » politique de Heidegger et sa pensée, il y a une indéniable continuité. Mais qu’est-ce qui se joue dans cette continuité ? Et pourquoi ne sommes-nous pas véritablement satisfaits – malgré les faits indéniables – par la plupart des tentatives d’organiser et de tracer clairement et distinctement le rapport entre l’« engagement » politique et la pensée de Heidegger ? Est-ce simplement parce que nous nous faisons une idée si haute de cette philosophie que toute volonté de cerner les contours et d’établir les conclusions quant à son rapport au politique est d’emblée soupçonnée de simplification ? Ou est-ce parce que cette pensée renfermerait assurément une possibilité toute autre – une possibilité qui demeurerait, d’une certaine manière, impensée par Heidegger lui-même ? Le moins que l’on puisse dire en tout cas, c’est qu’une certaine philosophie française (Sartre, Merleau-Ponty, Levinas, Derrida, pour ne nommer qu’eux) aura tenté de reprendre et poursuivre la geste heideggérienne à partir de ces possibilités autres.
Nous ne pouvons présenter ici la liste exhaustive des écrits, des textes et des témoignages qui dessinent entre 1933 et 1945 le lien entre la pensée de Heidegger et son « engagement » politique. Il convient cependant d’en rappeler quelques-uns : lors du semestre d’été de 1935, Heidegger tient le célèbre séminaire intitulé Introduction à la métaphysique dans lequel il souligne la « vérité interne et la grandeur de ce mouvement ». Lors du semestre d’été 1936, Heidegger donne son séminaire sur Schelling et y déclare « Les deux hommes qui ont amorcé le mouvement contre le nihilisme, Mussolini et Hitler, chacun de manière différente, ont tous deux été à l’école de Nietzsche. » Ce dernier passage n’est pas publié dans la version figurant dans les Œuvres complètes. En 1942, lors du semestre d’été, Heidegger professe un de ses nombreux séminaires sur Hölderlin, cette fois-ci sur l’hymne Le Danube, et souligne, à partir du poème, la « singularité historiale du National-socialisme. »
Une analyse, même élémentaire, de ces quelques écrits ne laisse aucune incertitude et interdit d’adopter la thèse selon laquelle le ralliement de Heidegger au National-socialisme n’aurait été que conjoncturel et tactique. Le ton y est résolument décidé et le contenu atteste d’une allégeance inconditionnelle au Führer et d’un engagement fidèle envers la « révolution » que celui-ci aurait incarnée pour le « Dasein allemand ». Or le plus déconcertant dans l’analyse de ces écrits, c’est évidemment la nature de l’argumentation mise au service du nazisme. Heidegger, nous le remarquons, a employé la même langue, les mêmes mots et concepts que ceux préalablement déployés, définis et engagés dans le projet radical du renouvellement de la question de l’être. Les mots de Dasein, de Geschichtlichkeit, de Entscheidung, de Entschlossenheit, etc. sont réappropriés et, pour ainsi dire, retraduits dans les déclarations de foi et d’allégeance envers le nazisme. Plus avant, ces déclarations de fidélité ne contiennent pas uniquement une approbation de l’hitlérisme, mais mettent aussi en scène un renversement, un bouleversement et en appellent incontestablement à l’ouverture d’une nouvelle époque. Nous n’ignorons pas que cette « nouvelle époque », Heidegger entendait la penser en sa vérité historiale propre. C’est d’ailleurs ce que nous apprennent les premières pages, lues par lui en 1935, de l’Introduction à la métaphysique ; Heidegger n’y critique fortement l’idéologie biologisante du nazisme que pour mieux déterminer le « lieu » depuis lequel cette époque peut se comprendre en tant qu’avènement destinal de l’Allémanité spirituelle.
Toujours est-il que, par cette tentative d’appropriation spirituelle du nazisme, Heidegger cherche à redonner au questionnement sa dignité la plus haute en interrogeant précisément l’époque. En somme, Heidegger n’a cessé, au sein même du contexte historico-culturel entièrement bouleversé par le séisme nazi, de s’interroger sur le « lieu » à partir duquel une telle configuration mondiale a été possible. C’est dire que la question de l’« engagement » politique de Heidegger pourrait – en soumettant la geste heideggérienne à un effort radical de pensée et d’interprétation – se retourner et se reformuler en interrogation proprement philosophique quant à ce qui aura été ici appelé lieu. Comme si l’enjeu était maintenant de penser le lieu là où il ne serait pas encore réduit à sa détermination idéologique, identitaire, politique. Ce qui nous engagerait à poser cette question : en quoi et pourquoi le lieu de l’ontologie fondamentale et du questionnement qui s’y rattache a-t-il été déterminé et affermi au point de se penser en tant que lieu de la Nation ? Et plus radicalement, comment la réflexion en elle-même indéterminée sur le lieu s’est-elle déterminée en un moment spirituel et historique précis et revendiquée en tant que telle par un engagement subjectif ne souffrant ni doute, ni incertitude, ni surtout résistance ?
Pour tenter d’approcher ces questions il faudrait certainement concentrer notre analyse sur les séminaires professés par Heidegger de 1933 à 1945 et saisir comment le philosophe interprète les deux penseurs qui l’auront accompagnés durant cette époque, Nietzsche et Hölderlin. Car ce sont bien les séminaires sur Nietzsche et Hölderlin qui expriment la bipolarité au sein de laquelle se profile, selon Heidegger, le destin spirituel de l’Allemagne et par extension celui de l’Occident. Une étude approfondie de ce rapport nous permettrait de comprendre la détermination politique du lieu de pensée d’Etre et Temps et pourquoi il fallait repenser la question du lieu en ce qu’elle engagerait vers une toute autre radicalité. Au cœur de cette ouverture, préalablement déployée à la fois par Nietzsche et Hölderlin, Heidegger sera, en quelque sorte, tenu de soumettre la totalité de son « projet » philosophique à l’exigence de penser le lieu là où celui-ci ne saurait se confondre ou se réduire à l’espace circonscrit par la Nation, le peuple, la communauté, etc. Cette exigence ainsi renouvelée aura précisément marqué, pour Heidegger, la nécessité de préserver et de sauvegarder la possibilité insigne de penser le pas encore quant au lieu. Comme si penser le lieu requérait d’approcher ce qui le sauvegarde de sa détermination, et donc ce qui le préserve dans une radicale indétermination. D’où cette incontournable conséquence : penser le lieu requiert de répéter à la fois et simultanément son indétermination et sa détermination en posant par le même geste de pensée que tout « engagement » est d’emblée pris dans la tension indissoluble entre des exigences ou des commandements radicalement opposés.
Les Temps Modernes, très tôt, avaient perçu et explicité cette tension, en publiant, entre 1946 et 1948, plusieurs articles contradictoires consacrés au rapport de la politique et de la philosophie chez Heidegger. C’est donc dans la continuité de Sartre que nous reprenons ce questionnement. Avec cependant une inflexion importante : notre propos est de revenir aux textes de Heidegger en éveillant dans ce retour une autre question, celle du lieu. Car cette question permet de radicaliser l’étude des textes de Heidegger en révélant ce qui se joue au cœur de cette pensée. Loin de nous l’intention de laver de toute suspicion l’« engagement » politique de Heidegger. Il s’agit bien plutôt de poser à chaque instant la question capable de dévoiler en quoi la détermination du lieu œuvre et, pour ainsi dire, guette toujours tout « engagement » ; celui de Heidegger comme celui d’un autre. Notre question serait donc : depuis quelle loi se réalise la possibilité de déterminer le lieu en tant que « communauté », « destin », « terroir », « enracinement », « peuple », « sol natal », etc. ? En ce sens, et ce pour revenir à la tâche singulière que nous évoquions plus haut, il nous appartiendra de penser ce que nous pourrions ici même nommer une certaine aporie du lieu : depuis quel lieu penser ce qui nécessairement se détermine mais se refuse en même temps à la nomination, à la stabilisation, à l’identification ? Heidegger aura peut-être entrouvert la possibilité de penser et de repenser cette aporie : un lieu non encore fixé dans et par les paramètres de l’espace national, natal, destinal, etc. Un lieu donc dont la détermination ne sera pas la seule modalité d’effectivité. Mieux encore, un lieu depuis lequel la détermination elle-même sera incessamment questionnée, voire, débordée ou même ébranlée.
Du 3 au 5 décembre 2000 au Centre communautaire de Paris, s’est tenu le colloque international Ju... more Du 3 au 5 décembre 2000 au Centre communautaire de Paris, s’est tenu le colloque international Judéités : questions pour Jacques Derrida. Ce livre recueille les conférences qui y furent prononcées.
Loin de vouloir lui attribuer une plus grande richesse, nous avons recours à la judéité afin d’exprimer une équivocité, une diversité indéfinissable et indéterminable qui serait peut-être l’intériorité même du judaïsme. Autrement dit la judéité telle que nous la convoquons ici ne saurait être comprise comme la reformulation plus « authentique » de l’identité juive. Elle est ici appréhendée dans la diversité de ses interprétations et de ses commentaires, de ses langues, de ses nationalités, de ses politiques, de ses philosophies, de ses littératures, de ses courants religieux. Ce vocable de judéité, dont nous avons tenu à préserver la pluralité, aurait ouvert la possibilité même de ce colloque. Double possibilité que celle de questionner à la fois ce que l’on entend sous le terme de judaïsme et le rapport, s’il y en est, entre l’écriture de Jacques Derrida – toujours inscrite dans la tension même de l’indéfinissable – et les judéités.
C’est ainsi que s’est offert à nous un espace de questionnement des plus vastes et des plus libres, accueillant des interrogations portant tant sur le politique que sur le philosophique, le religieux mais aussi l’esthétique, la psychanalyse et la littérature. S’appliquant à ne pas circonscrire cette rencontre en une identité simple et assurée, ni à dessiner des contours définitifs à la discussion, mais à la préserver dans son aporie et dans son indécision, de nombreux universitaires, philosophes et écrivains se sont mis à l’écoute d’un questionnement infini et d’un rapport pour le moins oblique entre la déconstruction et ce que nous avons désigné par l’« être-juif ». Car, faut-il le rappeler, l’une des conditions de cette rencontre consistait précisément, et en toute fidélité avec la démarche du philosophe, à ne pas tenter de remonter à un rapport originaire, nommé, établi, plein et identifiable entre l’écriture de Jacques Derrida et la judéité. Une fois cette précaution respectée, ce rapport s’est révélé particulièrement fécond comme en témoignent la richesse et l’hétérogénéité des textes que nous rassemblons ici, dont les auteurs sont : Jacques Derrida, Gérard Bensussan, Hélène Cixous, Michal Ben Naftali, Betty Rojtman, Moshé Idel, Gianni Vattimo, Garbis Kortian, Jünger Habermas, Blandine Kriegel, Catherine Malabou, Gil Anidjar, Stéphane Habib, Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly, Hent de Vries, Jean-Luc Nancy.
Papers by Raphael Zagury-Orly
transcript Verlag eBooks, Dec 31, 2024
"La Montée des Violences" 19 et 20 mars 2017 CESE - Paris
La Montée des Violences 19 et 20 mars 2017 CESE - Paris
Comme on sait, Heidegger,tout au long de son chemin de pensée, aura étéentouré de « penseurs juif... more Comme on sait, Heidegger,tout au long de son chemin de pensée, aura étéentouré de « penseurs juifs », élèves ou collègues, complices ou contradicteurs, adversaires ou admirateurs. Pêle-mêle : Husserl, Arendt, Marcuse, Jonas, Cassirer, Derrida, H. Bloom, Lukacs, Levinas, Löwith, Strauss, Anders, Buber, Klein, Tugendhat, Adorno, Benjamin, Rosenzweig. Cette liste très hétérogène suffit à indiquer que ces penseurs ne sont liés par aucune espèce d’unité doctrinale et moins encore par une quelconque appartenance « juive » de la pensée. Ils ont, à des titres divers et inégaux et de façon plus ou moins oblique, éprouvé ce que Ricoeur nomma un jour « le massif hébraïque » et ils eurent par ailleurs rapport à Heidegger. Ces éléments contingents suffisent à indiquer que notre colloque n’entend pas statuer en premier lieu sur Heidegger et le judaïsme, ou sur Heidegger et l’antisémitisme ou même sur Heidegger et les Juifs. Ces questions sont loin d’être dénuées d’intérêt, et sans doute traverseront-elles notre colloque. Mais il s’agit pour nous, centralement, de considérer ou de reconsidérer la figure d’un des plus importants philosophes du XXème siècle en questionnant un impensé. A cet égard, les guillemets, « les Juifs », que nous empruntons à J.-F. Lyotard, sont décisifs.
Nous voudrions proposer une réflexion sur le rôle et le statut de cet impensé cerné par des guillemets. En quoi et pourquoi le « judaïsme » demeure-t-il pour Heidegger de l’ordre d’un impensé ? Comment ré-envisager le rapport ininterrompu, mais distordu, entre la pensée grecque et Heidegger, en tant que, là, semble se dénier ou s’éviter « le massif hébraïque » ? Comment comprendre et interpréter la relation que Heidegger marque avec le théologique, repris sous l’égide du « Sacré », où le monothéisme judaïque demeure significativement absent ? L’omission quasi-systématique de références à des « philosophes juifs » (Philon, Spinoza, Mendelssohn, Freud, Rosenzweig ou Cohen, par exemple) est-elle anecdotique, effective, symptômale, « oubliée » ? Peut-on parler d’une « dette impensée » (M. Zarader) ?
Heidegger et « les Juifs » laissera évidemment résonnercomme en écho toute une série dequestions politiques ou méta-politiques. Doit-on établir un rapport entre la critique de la modernité élaborée par Heidegger et l’anti-démocratisme des années 1930 en Allemagne, souvent teinté d’antisémitisme ? Comment penser la relation entre la technique, la « dévaluation de la pensée de l’être dans l’ère de la technique » et le Judaïsme toujours assimilé chez Heidegger à une pensée calculatrice abstraite ou à la mise en œuvre d’une réduction économique de la dignité de la « vérité historiale de l’être » ?
La compromission politique de Heidegger avec le national-socialisme, que la publication récente des Cahiers noirs fait apparaître sous un jour encore plus cru, demeure une interrogation et une énigme. Heidegger tente d’y circonscrire le destin d’une « auto-affirmation de soi » comme « relève » de l’« aurore grecque » en ouvrant à une possibilité proprement allemande de « surmonter » le fourvoiement au sein duquel se sera définie l’histoire de l’oubli de l’être. Que veut dire ce « surmontement » quant au Judaïsme et quant au silence quasi-complet de Heidegger devant la Shoah?
Ce sont ces questions, aussi délicates que difficiles, aussi brûlantes qu’incommodes, que rencontreront, traiteront, affronteront les philosophes et les historiens venus du monde entier pour en débattre ensemble, sans craindre la dissension ni nourrir la discorde.
L'Adversaire privilégié, 2021
http://editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre\_id=3546
Passe Partout / Wahrheit setzt Kunst setzt Gerechtigkeit voraus, 2020
Monolingualism of the Other, 2019
"The Judeo-Franco-Maghreban" Preface written by Raphael Zagury-Orly 1st Chapter of Hebrew Transla... more "The Judeo-Franco-Maghreban" Preface written by Raphael Zagury-Orly
1st Chapter of Hebrew Translation (Monolingualism of the Other - Jacques Derrida
Drawing on the relationship between Derrida and Levinas and on the unresolved tension between the... more Drawing on the relationship between Derrida and Levinas and on the unresolved tension between their philosophical corpuses, this book aims to offer new possible interpretations on the future of democracy. What philosophical and political ideals can emerge from a parallel reading of these two acclaimed thinkers, and from their ‘philosophical alliance’? This volume attempts to re-imagine and to re-engage the realm of politics, by offering new perspectives on the multiple crises that traverse the contemporary age.
Heidegger et "les juifs" La Règle du Jeu, N° 58/59 Paris, Grasset, 2015 Sommaire Martin Hei... more Heidegger et "les juifs"
La Règle du Jeu, N° 58/59
Paris, Grasset, 2015
Sommaire
Martin Heidegger, l’un des plus grands philosophes du XXème siècle, était-il antisémite ? La question est soulevée une nouvelle fois par la publication des notes personnelles du philosophe réunies dans les fameux Cahiers noirs et parues à titre posthume en Allemagne l'année dernière. Comment lire et que faire de l’héritage de Heidegger après les révélations de ces Cahiers noirs? La question fait l’objet d’un débat passionné dans le monde philosophique. Mais ce numéro spécial n’entend pas traiter uniquement des rapports de Heidegger avec le fait juif, ni, davantage, de son antisémitisme. Il s’agit de considérer ou de reconsidérer la figure de l'un des philosophes les plus considérables du XXème siècle et de poser la question : en quoi et pourquoi le judaïsme demeure-t-il pour Heidegger de l’ordre d’une dette impensée ? La fascination de nombreux philosophes français tels Sartre, Levinas ou Derrida pour le penseur allemand a-t-elle fait son temps ? Et faudrait-il, comme le plaident certains, renoncer à lire Heidegger ? Ce numéro spécial reprend l'essentiel des contributions au colloque qui s'est tenu à Paris, à la BNF et au Centre Culturel irlandais, les 22, 23, 24 et 25 janvier 2015.
Table des Matières:
JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY
Heidegger, « les Juifs » et nous
JEAN-CLAUDE MILNER
Heidegger contre la langue allemande
ALAIN FINKIELKRAUT
Comment ne pas être heideggérien ?
PETER TRAWNY
L’universel et l’annihilation. Heidegger, un antisémitisme ancré dans l’histoire de l’être
GÉRARD BENSUSSAN
Heidegger : l’introduction de la philosophie dans le nazisme
PASCAL DAVID
« La pensée comptable ». Heidegger et la pensée juive face à l’incalculable
GÉRARD GUEST
L’épreuve du « danger en l’Être » et le revers de l’impensé
YANN MOIX
Heidegger et la parole juive
FRANÇOIS FÉDIER
Martin Heidegger et le monde juif
NICOLAS DE WARREN
Heidegger, le judaïsme et la deuxième guerre de Trente Ans
DANIEL DAHLSTROM
Les conceptions juives de Heidegger sur l’être, le langage et le temps
ANTHONY J. STEINBOCK
Heidegger, la machination et la question juive : le problème du don
NIALL KEANE
Métaphysique, politique et nihilisme chez Heidegger et Jünger
MAHON O’BRIEN
Heidegger et le Dasein authentique d’un peuple
BABETTE BABICH
Heidegger et ses Juifs
CHRISTOPHE PERRIN
Heidegger et Rosenzweig : entre eux et entre nous
AVISHAG ZAFRANI
L’antisémitisme métaphysique de Heidegger dévoilé par Hans Jonas
CÉDRIC COHEN SKALLI
Anticipation inclusive ou exclusive : Benjamin et Heidegger, 1923-1927
AGATA BIELIK-ROBSON
L’amour fort comme la mort : les Juifs contre Heidegger (sur la question de la finitude)
BLANDINE KRIEGEL
Heidegger et la modernité
HADRIEN LAROCHE
hei/foe. Heidegger, Derrida et la question
STÉPHANE HABIB
Être-avec : psychanalyse et politique
DONATELLA DI CESARE
La domination du monde par les « sans-monde ». Heidegger et le messianisme juif
YVES-CHARLES ZARKA
Heidegger : l’effondrement d’une pensée
PETER SLOTERDIJK
La politique de Heidegger : reporter la fin de l’Histoire
RAPHAEL ZAGURY-ORLY
D’une forclusion dans la phénoménologie de la vie religieuse
JOSEPH COHEN
Le spectre juif de Heidegger
BERNARD-HENRI LÉVY
Comment peut-on être heideggérien ?
"SOMMAIRE T.M. Heidegger aux Temps Modernes Joseph Cohen, Raphael Zagury-Orly Heidegger e... more "SOMMAIRE
T.M.
Heidegger aux Temps Modernes
Joseph Cohen, Raphael Zagury-Orly
Heidegger et la question du lieu
Karl Löwith
Les implications politiques de la philosophie de l'existence chez Heidegger
Alphonse de Waelhens
La philosophie de Heidegger et le nazisme
Karl Löwith
Réponse à M. de Waelhens
Alphonse de Waelhens
Réponse à cette réponse
Martin Heidegger
Remarques sur art-sculpture-espace
Didier Franck
Le séjour du corps
Dominique Pradelle
Comment penser le propre de l'espace ?
Marlène Zarader
Le lieu de l'art
Jean-François Mattéi
Le lieu de l'étant et le milieu de l'être
Françoise Dastur
Heidegger : espace, lieu, habitation
Éliane Escoubas
Parcours de la topologie dans l'œuvre de Heidegger
Rudolf Bernet
L'extimité du corps et la question du naturalisme en phénoménologie
Gérard Bensussan
Le lieu et la contrée. Questions de proximité
Peter Sloterdijk
Insomniaque à Éphèse
Jean Grondin
Heidegger et le défi du nominalisme
Florence Caeymaex
L'existentialisme comme éthique de Heidegger à Sartre
Nicolas Tertulian
L'ontologie chez Heidegger et chez Lukács. Phénoménologie et dialectique
Jeffrey Andrew Barash
Heidegger et la question de la race
Joseph Cohen, Raphael Zagury-Orly
L'avenir du lieu"
SOMMAIRE JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY Avant-propos CLAUDE LANZMANN Salut éternel ... more SOMMAIRE
JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY
Avant-propos
CLAUDE LANZMANN
Salut éternel à Jacques Derrida
JACQUES DERRIDA
La déconstruction et l’autre. Un entretien de Richard Kearney
JACQUES DERRIDA
La mélancolie d’Abraham. Un entretien de Michal Ben-Naftali
HADRIEN LAROCHE
Court traité de la décision en deux pages
ANNABEL HERZOG
Monolinguisme et Optimisme : Derrida, Candide et la culture
FRANCOIS RAFFOUL
Chez lui chez l’autre
JACQUES RANCIERE
La démocratie est-elle à venir ?
MICHAEL NAAS
Au commencement, le souffle… La genèse de la déconstruction
STEPHANE HABIB
Aux commencements
RENE MAJOR
L’enfance (sans origine) de la déconstruction
FELIX HEIDENREICH
Comment dire « nous » ?
GERARD BENSUSSAN
La bête est sans pourquoi
ORIETTA OMBROSI
Non seulement un chien. Les bestiaires de Levinas et Derrida
JOHN D. CAPUTO
Dieu, peut-être. Esquisse d’un Dieu à venir et d’une nouvelle
espèce de théologiens
MARTIN HAGGLUND
L’athéisme radical de Derrida
AVITAL RONELL
L’impossible Monsieur Bébé, cette déconstruction incessante…
ANDREW HAAS
Not a notion what I meant : l’autre métaphysique
TIMOTHEY MOONEY
Des motivations naturalistes et humanistes de la déconstruction
JEAN GRONDIN
Le dialogue toujours différé de Derrida et Gadamer
JACQUES DERRIDA et HANS-GEORG GADAMER Correspondance
JOSEPH COHEN et RAPHAEL ZAGURY-ORLY
Déconstruire jusqu'à la résistance"
Ouvrons le questionnement à ce qui est en jeu dès notre titre, à ce qui vient suppléer le questio... more Ouvrons le questionnement à ce qui est en jeu dès notre titre, à ce qui vient suppléer le questionner en exigeant qu’il se dise encore. Or le mot encore, loin de simplement signifier un recommencement ou une répétition, nous interpelle en indiquant le surcroît, le surplus, le reste à venir. Questionner encore indique non seulement prendre sur soi ce que l’histoire de la philosophie a thématisé quant à la question, mais encore cela même qui ne saurait entièrement souscrire à cette thématisation. En ce sens, tout laisse penser qu’il faudrait entendre, dans et par le sens et l’essence de la question, autre chose que ce qui s’y promet, voire l’autrement de ce qu’elle promet. En somme, il s’agit d’entendre dans la question une certaine supplémentarité du questionner qui ne cesse d’exprimer selon des modalités encore inconnues et imprévues le « sens » et l’« essence » de la question. Comme si, dans la question, s’entendait plus encore que ce que son nom appelle. Plus encore que sa résolution, c’est sans doute que la question appelle à un tout autre ordre du penser.
Cet autre ordre du penser est toujours à déceler à la fois dans l’histoire de la philosophie, et comme cela même qui la met en mouvement, la sollicite, la requiert depuis un ailleurs qu’en elle, un ailleurs qu’en ses stratégies et ses calculs, qu’en ses concepts et ses mots. Comme si l’autre ordre du penser, pour n’être sur-nommé ici que stratégiquement, était tout à la fois ce qui demeurait inscrit dans le fond même de la philosophie, et y faisait retour sous les mots s’inscrivant dans la chaîne de la « différence », de l’« altérité », etc., n’y souscrivant pourtant jamais une fois pour toutes.
Heidegger et la question du lieu Cette question —qu’appelle-t-on le lieu ?—, qui concentre et d... more Heidegger et la question du lieu
Cette question —qu’appelle-t-on le lieu ?—, qui concentre et déploie la possibilité de notre projet, commande une tâche singulière, celle de situer le lieu du débat ailleurs que dans les rets d’une opposition simple et stérile entre « défenseurs » et « accusateurs » de Heidegger. Ainsi, l’idée aura été lancée : comprendre d’abord ce qui s’élabore et s’ouvre dans cette pensée, c’est dire aussi, approcher ce qui pour cette pensée lui demeure caché et donc, comme par extension, révéler ce que cette pensée aura choisi de taire. Or le fil conducteur de cette compréhension nous a été légué par Heidegger lui-même. Et ce non seulement parce que, pour celui-ci, la question du lieu est plus originaire, plus authentique, c’est-à-dire plus « questionnante » et « méditante » que celle de l’espace (ce qui ne saurait rendre cette dernière inauthentique), mais aussi et surtout parce que tout discours, quel qu’il soit, présuppose toujours une certaine pré-compréhension du lieu à partir duquel il peut se dire, s’affirmer, se proférer. Le discours de Heidegger ne saurait faire exception. Au contraire, et c’est là que se joue l’extraordinaire richesse tout comme l’inattendue ambiguïté de son cheminement, la pensée de Heidegger tente sans cesse d’« approcher » le lieu depuis lequel la pensée vient et peut advenir à l’homme. En somme, cette pensée se voue au questionnement sur le lieu d’où peut éclore la pensée en l’homme et s’avoue par là même tournée vers la possibilité d’un à-venir encore impensé pour l’homme. D’où notre question dans sa formulation première : qu’est-ce qu’un lieu ? Et plus radicalement : qu’appelle-t-on le lieu ? C’est-à-dire : quel est ce lieu qui nous appelle, nous sollicite, nous enjoint et nous commande avant sa propre détermination ? Nous venons de le suggérer, le fil conducteur de cette interrogation en direction du lieu nous a été légué par Heidegger. Où est alors le lieu de cette pensée ? Quelle aura été sa diction ? Qu’aura commandé son envoi ? Et puisque nous y sommes déjà : quelles conséquences (politiques, éthiques, esthétiques) implique cette pensée qui se sera efforcée d’interroger le lieu tout en pensant déjà à partir de lui ?
Nous y sommes. Nous touchons encore à la question épineuse et délicate de l’« engagement » politique de Heidegger. Or quelques précisions s’imposent ici. Notre dessein n’est en aucun cas d’éviter cette question. En lisant Heidegger aujourd’hui, on ne peut pas ne pas aussi questionner ce qui a entraîné ce penseur à souscrire à la pire abomination politique du XXe siècle. Nous ne saurions ignorer les faits amplement rapportés par divers chercheurs depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ces faits obligent toute personne de bonne foi à abandonner définitivement la thèse des « dix mois » et à reconnaître que Heidegger, de 1933 à 1945, aura maintenu un profond soutien au régime nazi. Nous le savons, les écrits datés de cette époque sont irréfutables. Sans jamais verser dans une justification philosophique du biologisme – qui était pourtant une des « thèses » centrales de l’idéologie nazie – le Heidegger de ces années n’a cessé de multiplier les signes et les allusions témoignant d’une complicité à l’égard de l’« esprit » du National-socialisme, justifiant son engagement dans des écrits qu’il n’a par la suite jamais catégoriquement reniés et qu’il a même jugé essentiel, dans la plupart des cas, de reprendre dans l’édition de ses Œuvres complètes. En ce sens, il semble nécessaire de rappeler, ce qui est pour nous une évidence, que l’« engagement » politique de Heidegger ne peut pas venir d’ailleurs que de sa pensée, qu’il ne peut se penser que dans et par sa philosophie. Heidegger n’a-t-il pas lui-même démantelé toute possibilité d’établir fermement et certainement le lieu depuis lequel se construit et se fonde la séparation entre le théorique et le pratique, entre le philosophique et le politique ? Ainsi, entre l’« engagement » politique de Heidegger et sa pensée, il y a une indéniable continuité. Mais qu’est-ce qui se joue dans cette continuité ? Et pourquoi ne sommes-nous pas véritablement satisfaits – malgré les faits indéniables – par la plupart des tentatives d’organiser et de tracer clairement et distinctement le rapport entre l’« engagement » politique et la pensée de Heidegger ? Est-ce simplement parce que nous nous faisons une idée si haute de cette philosophie que toute volonté de cerner les contours et d’établir les conclusions quant à son rapport au politique est d’emblée soupçonnée de simplification ? Ou est-ce parce que cette pensée renfermerait assurément une possibilité toute autre – une possibilité qui demeurerait, d’une certaine manière, impensée par Heidegger lui-même ? Le moins que l’on puisse dire en tout cas, c’est qu’une certaine philosophie française (Sartre, Merleau-Ponty, Levinas, Derrida, pour ne nommer qu’eux) aura tenté de reprendre et poursuivre la geste heideggérienne à partir de ces possibilités autres.
Nous ne pouvons présenter ici la liste exhaustive des écrits, des textes et des témoignages qui dessinent entre 1933 et 1945 le lien entre la pensée de Heidegger et son « engagement » politique. Il convient cependant d’en rappeler quelques-uns : lors du semestre d’été de 1935, Heidegger tient le célèbre séminaire intitulé Introduction à la métaphysique dans lequel il souligne la « vérité interne et la grandeur de ce mouvement ». Lors du semestre d’été 1936, Heidegger donne son séminaire sur Schelling et y déclare « Les deux hommes qui ont amorcé le mouvement contre le nihilisme, Mussolini et Hitler, chacun de manière différente, ont tous deux été à l’école de Nietzsche. » Ce dernier passage n’est pas publié dans la version figurant dans les Œuvres complètes. En 1942, lors du semestre d’été, Heidegger professe un de ses nombreux séminaires sur Hölderlin, cette fois-ci sur l’hymne Le Danube, et souligne, à partir du poème, la « singularité historiale du National-socialisme. »
Une analyse, même élémentaire, de ces quelques écrits ne laisse aucune incertitude et interdit d’adopter la thèse selon laquelle le ralliement de Heidegger au National-socialisme n’aurait été que conjoncturel et tactique. Le ton y est résolument décidé et le contenu atteste d’une allégeance inconditionnelle au Führer et d’un engagement fidèle envers la « révolution » que celui-ci aurait incarnée pour le « Dasein allemand ». Or le plus déconcertant dans l’analyse de ces écrits, c’est évidemment la nature de l’argumentation mise au service du nazisme. Heidegger, nous le remarquons, a employé la même langue, les mêmes mots et concepts que ceux préalablement déployés, définis et engagés dans le projet radical du renouvellement de la question de l’être. Les mots de Dasein, de Geschichtlichkeit, de Entscheidung, de Entschlossenheit, etc. sont réappropriés et, pour ainsi dire, retraduits dans les déclarations de foi et d’allégeance envers le nazisme. Plus avant, ces déclarations de fidélité ne contiennent pas uniquement une approbation de l’hitlérisme, mais mettent aussi en scène un renversement, un bouleversement et en appellent incontestablement à l’ouverture d’une nouvelle époque. Nous n’ignorons pas que cette « nouvelle époque », Heidegger entendait la penser en sa vérité historiale propre. C’est d’ailleurs ce que nous apprennent les premières pages, lues par lui en 1935, de l’Introduction à la métaphysique ; Heidegger n’y critique fortement l’idéologie biologisante du nazisme que pour mieux déterminer le « lieu » depuis lequel cette époque peut se comprendre en tant qu’avènement destinal de l’Allémanité spirituelle.
Toujours est-il que, par cette tentative d’appropriation spirituelle du nazisme, Heidegger cherche à redonner au questionnement sa dignité la plus haute en interrogeant précisément l’époque. En somme, Heidegger n’a cessé, au sein même du contexte historico-culturel entièrement bouleversé par le séisme nazi, de s’interroger sur le « lieu » à partir duquel une telle configuration mondiale a été possible. C’est dire que la question de l’« engagement » politique de Heidegger pourrait – en soumettant la geste heideggérienne à un effort radical de pensée et d’interprétation – se retourner et se reformuler en interrogation proprement philosophique quant à ce qui aura été ici appelé lieu. Comme si l’enjeu était maintenant de penser le lieu là où il ne serait pas encore réduit à sa détermination idéologique, identitaire, politique. Ce qui nous engagerait à poser cette question : en quoi et pourquoi le lieu de l’ontologie fondamentale et du questionnement qui s’y rattache a-t-il été déterminé et affermi au point de se penser en tant que lieu de la Nation ? Et plus radicalement, comment la réflexion en elle-même indéterminée sur le lieu s’est-elle déterminée en un moment spirituel et historique précis et revendiquée en tant que telle par un engagement subjectif ne souffrant ni doute, ni incertitude, ni surtout résistance ?
Pour tenter d’approcher ces questions il faudrait certainement concentrer notre analyse sur les séminaires professés par Heidegger de 1933 à 1945 et saisir comment le philosophe interprète les deux penseurs qui l’auront accompagnés durant cette époque, Nietzsche et Hölderlin. Car ce sont bien les séminaires sur Nietzsche et Hölderlin qui expriment la bipolarité au sein de laquelle se profile, selon Heidegger, le destin spirituel de l’Allemagne et par extension celui de l’Occident. Une étude approfondie de ce rapport nous permettrait de comprendre la détermination politique du lieu de pensée d’Etre et Temps et pourquoi il fallait repenser la question du lieu en ce qu’elle engagerait vers une toute autre radicalité. Au cœur de cette ouverture, préalablement déployée à la fois par Nietzsche et Hölderlin, Heidegger sera, en quelque sorte, tenu de soumettre la totalité de son « projet » philosophique à l’exigence de penser le lieu là où celui-ci ne saurait se confondre ou se réduire à l’espace circonscrit par la Nation, le peuple, la communauté, etc. Cette exigence ainsi renouvelée aura précisément marqué, pour Heidegger, la nécessité de préserver et de sauvegarder la possibilité insigne de penser le pas encore quant au lieu. Comme si penser le lieu requérait d’approcher ce qui le sauvegarde de sa détermination, et donc ce qui le préserve dans une radicale indétermination. D’où cette incontournable conséquence : penser le lieu requiert de répéter à la fois et simultanément son indétermination et sa détermination en posant par le même geste de pensée que tout « engagement » est d’emblée pris dans la tension indissoluble entre des exigences ou des commandements radicalement opposés.
Les Temps Modernes, très tôt, avaient perçu et explicité cette tension, en publiant, entre 1946 et 1948, plusieurs articles contradictoires consacrés au rapport de la politique et de la philosophie chez Heidegger. C’est donc dans la continuité de Sartre que nous reprenons ce questionnement. Avec cependant une inflexion importante : notre propos est de revenir aux textes de Heidegger en éveillant dans ce retour une autre question, celle du lieu. Car cette question permet de radicaliser l’étude des textes de Heidegger en révélant ce qui se joue au cœur de cette pensée. Loin de nous l’intention de laver de toute suspicion l’« engagement » politique de Heidegger. Il s’agit bien plutôt de poser à chaque instant la question capable de dévoiler en quoi la détermination du lieu œuvre et, pour ainsi dire, guette toujours tout « engagement » ; celui de Heidegger comme celui d’un autre. Notre question serait donc : depuis quelle loi se réalise la possibilité de déterminer le lieu en tant que « communauté », « destin », « terroir », « enracinement », « peuple », « sol natal », etc. ? En ce sens, et ce pour revenir à la tâche singulière que nous évoquions plus haut, il nous appartiendra de penser ce que nous pourrions ici même nommer une certaine aporie du lieu : depuis quel lieu penser ce qui nécessairement se détermine mais se refuse en même temps à la nomination, à la stabilisation, à l’identification ? Heidegger aura peut-être entrouvert la possibilité de penser et de repenser cette aporie : un lieu non encore fixé dans et par les paramètres de l’espace national, natal, destinal, etc. Un lieu donc dont la détermination ne sera pas la seule modalité d’effectivité. Mieux encore, un lieu depuis lequel la détermination elle-même sera incessamment questionnée, voire, débordée ou même ébranlée.
Du 3 au 5 décembre 2000 au Centre communautaire de Paris, s’est tenu le colloque international Ju... more Du 3 au 5 décembre 2000 au Centre communautaire de Paris, s’est tenu le colloque international Judéités : questions pour Jacques Derrida. Ce livre recueille les conférences qui y furent prononcées.
Loin de vouloir lui attribuer une plus grande richesse, nous avons recours à la judéité afin d’exprimer une équivocité, une diversité indéfinissable et indéterminable qui serait peut-être l’intériorité même du judaïsme. Autrement dit la judéité telle que nous la convoquons ici ne saurait être comprise comme la reformulation plus « authentique » de l’identité juive. Elle est ici appréhendée dans la diversité de ses interprétations et de ses commentaires, de ses langues, de ses nationalités, de ses politiques, de ses philosophies, de ses littératures, de ses courants religieux. Ce vocable de judéité, dont nous avons tenu à préserver la pluralité, aurait ouvert la possibilité même de ce colloque. Double possibilité que celle de questionner à la fois ce que l’on entend sous le terme de judaïsme et le rapport, s’il y en est, entre l’écriture de Jacques Derrida – toujours inscrite dans la tension même de l’indéfinissable – et les judéités.
C’est ainsi que s’est offert à nous un espace de questionnement des plus vastes et des plus libres, accueillant des interrogations portant tant sur le politique que sur le philosophique, le religieux mais aussi l’esthétique, la psychanalyse et la littérature. S’appliquant à ne pas circonscrire cette rencontre en une identité simple et assurée, ni à dessiner des contours définitifs à la discussion, mais à la préserver dans son aporie et dans son indécision, de nombreux universitaires, philosophes et écrivains se sont mis à l’écoute d’un questionnement infini et d’un rapport pour le moins oblique entre la déconstruction et ce que nous avons désigné par l’« être-juif ». Car, faut-il le rappeler, l’une des conditions de cette rencontre consistait précisément, et en toute fidélité avec la démarche du philosophe, à ne pas tenter de remonter à un rapport originaire, nommé, établi, plein et identifiable entre l’écriture de Jacques Derrida et la judéité. Une fois cette précaution respectée, ce rapport s’est révélé particulièrement fécond comme en témoignent la richesse et l’hétérogénéité des textes que nous rassemblons ici, dont les auteurs sont : Jacques Derrida, Gérard Bensussan, Hélène Cixous, Michal Ben Naftali, Betty Rojtman, Moshé Idel, Gianni Vattimo, Garbis Kortian, Jünger Habermas, Blandine Kriegel, Catherine Malabou, Gil Anidjar, Stéphane Habib, Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly, Hent de Vries, Jean-Luc Nancy.
transcript Verlag eBooks, Dec 31, 2024
Edinburgh University Press eBooks, Aug 8, 2019
Le present travail cherche a mettre en lumiere le rapport entre la subjectivite transcendantale e... more Le present travail cherche a mettre en lumiere le rapport entre la subjectivite transcendantale et le pouvoir de questionner. En effet, une certaine subjectivite autorise un certain questionnement et il nous faudra toujours et partout nous demander quelles sont les possibilites et les consequences de cette relation. Pour ce faire, il s'agira non pas d'interpreter Kant a partir de l'idealisme hegelien ou de la phenomenologie heideggerienne, mais bien plutot de le relire apres Hegel et Heidegger. Certes, ce projet pourrait sembler aller de soi si l'on faisait abstraction du fait qu'aujourd'hui encore le kantisme est le plus souvent lu en tant que simple annonciateur de l'idealisme absolu, ou bien, en tant que commencement rate de l'horizon phenomenologique. C'est la Critique de la faculte de juger en tant qu'elle provoque une inflexion sans precedent au sein meme du systeme critique qui constituera le point central de notre relecture de Kant. Selon nous, la troisieme Critique mene a terme quelque chose qui reste encore hesitant dans les deux autres, tout en les "justifiant", en les explicitant et en leur donnant une plus grande actualite face a la critique post-kantienne. En effet, ce que nous appelons la question critique comporte chez Kant un statut tout particulier qui l'oppose a son statut et a son usage chez Hegel ou Heidegger. Il est permis de penser que le kantisme pratiquerait un autre type de questionnement dont nous ne cesserons de rappeler la specificite. Ainsi, il nous faudra toujours et partout aiguiser la resistance virtuelle du criticisme kantien, face a Hegel comme a Heidegger, en reactivant le "fond" interrogatif de sa reflexion philosophique et en mettant a jour ce qui se presente a nous comme une "caricature" du criticisme dans ces philosophies. Ce travail contribuera a mettre en evidence l'issue de cette confrontation avec Hegel et Heidegger, celle d'un kantisme renforce par ces oppositions.
B@belonline, 2011
What does Nancy's interpretation of Heidegger's "ethics" correspond to? To the ... more What does Nancy's interpretation of Heidegger's "ethics" correspond to? To the ethics actually present in Heidegger's thought or to what he could have written but did not do? In both cases it would be a continuation of the heideggerian gesture going beyond the same author. The starting point of Heidegger's Original Ethics is that he would be back in the face of the dignity of ethics as such, relegating ethics to particular discipline and not recognizing its ontological value. Nancy's gesture is then to read heideggerian ontology as an ethics, configuring the "ontological difference" as a difference between ethics and morality.
Le Nouveau Magazine Litteraire, 2020
Temps Modernes, 2002
Información del artículo Israël, l'impensé du gauchisme.
Angelaki, Jan 2, 2022
Abstract From what standpoint have the canonical philosophies of history looked at death? And, mo... more Abstract From what standpoint have the canonical philosophies of history looked at death? And, more particularly, at life and death, since these two “events” are intimately linked? According to what idea, norm and value, definition of human existence, have the philosophies of history comprehended historical events in their singularity? By relying on what signifiers has philosophical thinking sought to engage with singular catastrophes in human history? According to what signification have the philosophies of history grasped the singularity of the deaths occurring in historical catastrophes? According to what law have they provided a rationale for the mutilated lives in history, and in what manner have they sought to account for these in a general historical narrative? What meaning has determined the comprehension of death and informed the reconciliatory horizon of history (Hegel) beyond the “event” of death? What unified origin of the truth of history has death revealed thereby leading human existence to resolutely “free itself” (Heidegger)? While these questions already seek to demonstrate a contextualization of the manner in which philosophies of history have engaged with death – most notably, through readings of Hegel and Heidegger – they also attempt to furnish the background from which contemporary philosophy has undertaken a re-thinking of death in relation to history and to the singularity of historical events. Indeed, twentieth-century thinkers (we are here thinking principally of Levinas and Derrida, but could also add, despite the considerable differences of their philosophical thought: Rosenzweig, Benjamin, Adorno, Anders, Blanchot, Lyotard, Lacoue-Labarthe and Nancy) have brought about a profound transformation in the tradition of our philosophical appropriation of death, particularly through the formulation of a renewed form of responsibility towards alterity, through enquiries into the limits of democracy and a reflection on the dangers and perils emanating from what has been named the planetary deployment of technology. We shall concentrate on the development of technology and how it has considerably modified our manner of posing the question of death in philosophy, as well as, and consequently, altered the status of living and dying without relying on the kind of justification and eschatological rationalization commonly found in traditional philosophies of history.
Routledge eBooks, Mar 30, 2021
Contributions to phenomenology, 2016
The “…limits of truth” – this passage, retrieved from Diderot’s Essay on the Life of Seneca, open... more The “…limits of truth” – this passage, retrieved from Diderot’s Essay on the Life of Seneca, opens Jacques Derrida’s Aporias. With this expression, Derrida is not simply placing his reflection under the tutelage of a philosophical heritage, in this case that of Diderot’s and Seneca’s; but also pointing towards the unsettling, ambiguous and equivocal, nature of this tradition. The unsettling nature of this tradition means, as always for Derrida, the aporetic movement which incessantly punctuates any tradition. We shall see that, for Derrida, our own “Western” philosophical tradition– its concepts, motives, intentions and meanings – is always and already engaged in an aporetic movement, never simply resolving or accomplishing itself, never capable of limiting itself to what it manifests or presents itself as. It is thus persistently and incessantly supplementing its ownmost determinations. We must hence assert from the outset of this essay: Derrida does not, as does Hegel or even, to a certain extent, Heidegger, philosophize from a signified endpoint of metaphysical thought or history.
Routledge eBooks, Jan 31, 2023
Derrida's Politics of Friendship
The essay “Heidegger’s Ear. Philopolemology (Geschlecht IV)”, although omitted in the English lan... more The essay “Heidegger’s Ear. Philopolemology (Geschlecht IV)”, although omitted in the English language edition of the Politics of Friendship, figures as the last chapter in its original French edition (Paris, Galilée, 1994). In this text, Jacques Derrida analyses Heidegger’s interpretation of Heraclitus, most particularly the meaning of the Heraclitean polemos, through which the former proposes an entirely novel reading of the “als Hören der Stimme des Freundes, den jedes Dasein bei sich trägt” in Sein und Zeit (§ 34, p. 163). In our contribution, we will develop a succinct explication of Derrida’s text and mark how it deploys, in relation to the general hypothesis of the Politics of Friendship, a resounding deconstructive critique of Heidegger’s ontological-philosophical project as a whole as well as offer a renewed approach of the intricate relation between the political and friendship. We will also develop how and why this relation intervenes and affects the hyperbolical and “in...
Emmanuel Lévinas-Maurice Blanchot, penser la différence
Abbiamo scelto di consacrare queste giornate di studio alla questione delicata e troppo poco elab... more Abbiamo scelto di consacrare queste giornate di studio alla questione delicata e troppo poco elaborata del “politico”, così come è stata formulata da Jacques Derrida e da Emmanuel Levinas, e al dialogo incessante tra le loro importanti opere filosofiche. Ma perché proprio il “politico” quando tante altre tematiche sembrano avvicinare i due pensatori? Poiché la questione del “politico” segna a un tempo una profonda alleanza tra Derrida e Levinas e, dall’altro, marca un indubitabile disaccordo. È infatti facile riconoscere nei due autori un certo sospetto nei confronti delle giustificazioni filosofiche dell’identità nazionale, della sovranità, dell’appartenenza, così come una profonda diffidenza verso le ideologie che si barricano nell’affermazione degli idiomi nazionali; allo stesso modo, si può constatare fino a che punto entrambi filosofi sottolineino una passione consolidata per la democrazia nella sua eredità europea e nel suo avvenire iper-democratico, accanto all’esigenza incon...
Angelaki, 2022
From what standpoint have the canonical philosophies of history looked at death? And, more partic... more From what standpoint have the canonical philosophies of history looked at death? And, more particularly, at life and death, since these two “events” are intimately linked? According to what idea, norm and value, definition of human existence, have the philosophies of history comprehended historical events in their singularity? By relying on what signifiers has philosophical thinking sought to engage with singular catastrophes in human history? According to what signification have the philosophies of history grasped the singularity of the deaths occurring in historical catastrophes? According to what law have they provided a rationale for the mutilated lives in history, and in what manner have they sought to account for these in a general historical narrative? What meaning has determined the comprehension of death and informed the reconciliatory horizon of history (Hegel) beyond the “event” of death? What unified origin of the truth of history has death revealed thereby leading human...
For the opening weekend of the “Globale” Exhibition at the ZKM, in Karlsruhe, Peter Weibel planne... more For the opening weekend of the “Globale” Exhibition at the ZKM, in Karlsruhe, Peter Weibel planned a two day event entitled “das Tribunal”. Numerous thinkers, philosophers, historians, jurists, economists, artists and activists, were brought together in the staging of a ‘Tribunal’ to “judge” the crimes against humanity and the genocides of the 20th century. At the entrance hall of the ZKM, a type of trial was performed. Dr. Joseph Cohen and Dr. Raphael Zagury-Orly, two contemporary philosophers lecturing in Ireland, Israel, France and Germany, participated in its elaboration and moderated the event. A few days after, they very kindly agreed to this interview on “das Tribunal”. Both thinkers describe the event as a rich and meaningful experience, one that definitely remains open to different readings and interpretations. With both, a conversation took place allowing for an attentive look at the lesser thought aspects of “das Tribunal”.
SCHOOL OF PHILOSOPHY – UNIVERSITY COLLEGE DUBLIN PHILOSOPHIZING MONOTHEISM A Workshop in Philosop... more SCHOOL OF PHILOSOPHY – UNIVERSITY COLLEGE DUBLIN
PHILOSOPHIZING MONOTHEISM
A Workshop in Philosophy and Theology
Wednesday, 10th May 2017
10h – 18h
Venue:
National University of Ireland
Merrion Square
Dublin
SPEAKERS
Itzhak Benyamini
Ward Blanton
Joseph Cohen
Aubrey Glazer
Maureen Junker-Kenny
Elad Lapidot
Mahdi Tourage
Raphael Zagury-Orly
Conférence: Bibliothèque Nationale de France Centre Culturel Irlandais - Paris 22 - 25 janvie... more Conférence:
Bibliothèque Nationale de France
Centre Culturel Irlandais - Paris
22 - 25 janvier 2015
www.heidegger-et-les-juifs.com
Given at Heidegger et "les juifs" Conference. Paris, 25 January 2015.
Institut d'études lévinassiennes, 2008, 412 p.