Élisabeth HENRY - Academia.edu (original) (raw)
Papers by Élisabeth HENRY
L'art fonctionne tel un miroir où se reflètent les harmonies, imposées par l'esprit à la réalité.... more L'art fonctionne tel un miroir où se reflètent les harmonies, imposées par l'esprit à la réalité. Loin de transmettre un message théorique, l'image préhistorique crée d'abord un univers, extérieur et parallèle au nôtre, pur produit d'un imaginaire collectif où se situe le jeu des véritables valeurs d'une communauté humaine. Si cet art muet nous fascine aujourd'hui encore à ce point, c'est qu'il trouve une résonance, purement visuelle et de nature émotionnelle, dans tout regard qui s'y pose. Cet art n'existe que par la valeur affective que nous lui prêtons. Les univers ainsi reconstitués offrent une diversité sans fin, tout comme la richesse de l'esprit humain, en tout temps et en tout lieu. La beauté de ces arts, dépourvus d'académisme, fait partie de leur message essentiel, intraduisible ni en mots, ni en concepts : il s'agit bien du pur jeu des formes, de leurs couleurs, de leurs textures, de leur brillance qui forcent la porte de nos rêves. Comme les arts historiques, le moteur des arts anciens réside d'abord dans son appel vers le mystère de la beauté : nous y pressentons un charme envoûtant, à chaque fois rebelle à toute analyse, mais à chaque fois aussi d'une évidence lumineuse. Là se porte avant tout la puissance des arts traditionnels car ils nous plongent dans un irréel, collectif et universel, à chaque fois nouveau et créateur de sens cachés au fond de notre âme. Trop souvent, notre formation rationnelle cherche à esquiver la fonction brute de l'art et, à la place, nous y cherchons des repères significatifs, répétant sans cesse ce qui semble légitimé par la raison, comme si tel art pouvait être décodé dans son mécanisme, comme on pourrait le faire d'une machine ou d'un automate. Si la discipline scientifique l'impose, elle ne remplit pas pour autant l'essentiel de sa mission qui constitue à relayer l'effet d'ensemble, formé par le jeu complexe des morphèmes et de leur valeur. Là résident pourtant la difficulté principale, autant que l'essentiel d'une oeuvre accomplie, en même temps que la nature du message qu'il porte.
Resumo: a investigação das artes rupestres no Brasil Central mostra as relações entre homens e an... more Resumo: a investigação das artes rupestres no Brasil Central mostra as relações entre homens e animais. Estes abrigos parecem ter sido utilizados para cerimónias de xamanismo. O mundo animal reflete o mundo humano. Tal como nas mitologias, a humanidade e o mundo animal são os mesmos, dependendo das circunstâncias. Palavra-chave: Artes rupestres; Xamanismo; Brasil; Bahia. u cours d'une mission accomplie en 1998, nous avons pu à la fois étudier les arts rupestres, l'ethnographie et les documents conservés dans les musées régionaux de la région de Bahia (IQUARA; ETCHEVARNE; OTTE, 1998; APPELDOORN et al., 2012). Venus d'Europe, cette approche nous a semblé totale : assemblant les expériences et les contacts entremêlés dans un monde homogène et neuf. Cette sensation ne nous pas quitté et il apparait essentiel d'en restituer les effets globaux, issus d'une combinaison entre les traditions, les mythologies et les arts. L'ensemble étroitement intégré à des milieux naturels d'une extrême complexité, autant par la faune que par la végétation si particulière du Brésil. Les contacts eux-mêmes avec les populations désormais immigrées depuis quelques siècles sont apparus comme révélateurs d'un nouveau monde, lui aussi complétement original, comme si les populations brésiliennes actuelles avaient suivi les esprits antérieurs en les prolongeant par la pensée, les rites, la danse et CHAPADA DIAMANTINA (BRÉSIL) , ARTS ET MYTHES*
Dans une perspective pluridisciplinaire, les « Carrefours d'idées », créés et animés par Hédi Abo... more Dans une perspective pluridisciplinaire, les « Carrefours d'idées », créés et animés par Hédi Aboueleze et Jean-Pierre Otte, présentent, autour du thème du temps, un ensemble de savoirs et de passions jouant comme à l'intérieur d'un kaléidoscope. Chaque mardi, découvrons un texte nouveau, comme une pièce ajoutée au puzzle, avant de comprendre ce que signifie leur somme, et de nous faire une idée multiple, fertile et diversifiée de la façon dont on appréhende le temps à l'heure où il n'est question, dans les médias, que des grands dérèglements climatiques. MARCEL OTTE EN PRÉHISTOIRE, LE TEMPS FORGERON Au fil de son déroulement, le temps cristallise l'éphémère, son flux impose une structure figée aux événements dont les agencements, désormais, restituent la genèse. Agissant sur l'humanité, cette mécanique enclenche un processus prométhéen : l'esprit est à la forge, il se constitue. Au passage, le temps nous offre l'illusion d'être ses propres objectifs, sa destinée : il nous rassure par son immense durée, comme si nous en étions un point d'aboutissement. Approchée pour ce qu'elle est, la Préhistoire démonte cet artifice : nous ne sommes que passages en perpétuelle mouvance, en totale errance, étirée de la matière à la pensée, sans repère et sans but, jamais achevée, formée de défis inlassablement soulevés par une conscience inquiète d'elle-même. Notre particularité se réduirait donc à un vice dans la conception originelle : l'insatisfaction, la remise en cause, le doute. Les religions ont alors le beau rôle, et la science à leur suite : elles offrent un sens, un destin, une raison d'être. Comme la science, les religions cherchent à distinguer l'humain du reste. L'une et les autres s'y emploient en vain : notre nature est double et le restera. Inversement, il faut bien admettre le partage de la pensée avec le reste du monde vivant d'où nous voulons nous extraire : seule, apparemment, cette illusion reste humaine.
Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement... more Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement technique, souvent méconnus en Europe. Des datations récentes de l'Atérien au Maroc septentrional nécessitent une révision des idées couramment acceptées quant à ses influences sur le continent européen, par exemple dans la gestation du Solutréen moyen.
De la Pologne à l'Angleterre, des ensembles du Paléolithique moyen final possèdent d'élégantes po... more De la Pologne à l'Angleterre, des ensembles du Paléolithique moyen final possèdent d'élégantes pointes bifaciales, en témoignage d'une recherche esthétique sans but utilitaire, mais en réponse à une tradition spécifique, d'affinité méridionale (Mauern). Certains contextes récents possèdent aussi des lames appointées, mais unifaciales, avec le même souci plastique (Ranis 3, Jerzmanowice 4). Le Maisiérien présente toujours cette recherche d'élégance, étendue du Bassin parisien à la Thuringe, mais centré sur le Nord-Ouest (28 000 ans). Il s'y ajoute la pratique d'emmanchement par pédoncules et par crans. Son aspect « gravettien » s'accentue à Goyet et à Huccorgne (26 000 ans), où s'y ajoutent des pièces à dos épais (gravettes, éléments tronqués), toujours liées à des fixations renouvelées. Il s'étend ensuite au Sud-Ouest français sous la forme du « Périgordien VA » (Les Vachons). Il s'agit alors du véritable « Proto-Solutréen », c'est-à-dire d'une variante du Gravettien récent occidental (La Ferrasie). Symétriquement, le « Solutréen moyen » (pointes bifaciales) correspond à une migra tion africaine juste postérieure qui aboutit à Lascaux. Ces diverses composantes ne devraient plus être confondues, mais seule l'étude des plaines du Nord-Ouest permet de comprendre le jeu général entretenu au niveau européen entre ces tra ditions distinctes, ces diverses régions et ces stades successifs.
Les mythes et la beauté transmettent ensemble les histoires originelles. La musique transmet l'ém... more Les mythes et la beauté transmettent ensemble les histoires originelles. La musique transmet l'émotion, elle existe partout sur la terre, et depuis toujours. Les danses et les rythmes assemblent le groupe et accompagnent les cérémonies. L'art inclut aussi l'anatomie, afin que le corps soit harmonisé et intégré aux codes sociaux. Les images utilisent toute la gamme des morphèmes (éléments de la forme), et l'image résulte de la combinaison du son support et de l'illusion graphique. L'icône (représentation) se transforme en schéma tandis qu'elle préserve sa signification originale. Les variations secondaires dans les formes des images indiquent la manière dont le monde est considéré et vu par chaque communauté. Les symboles n'ont qu'une valeur contingente ; cependant, ils possèdent aussi leur régularité et leur permanence, ils démontrent les forces universelles propres à l'esprit humain. Les signes et les images maintiennent des composantes universelles et structurantes de la pensée, tels des composantes d'un conte. Dans toutes leurs variations, l'art participe et réalise les rituels qui ponctuent les religions actives. La structure logique des scènes figurées évoquent l'illustration de récits mythiques.
Comme s'il suivait un ordre logique et cohérent, le processus néolithique se place dans la trajec... more Comme s'il suivait un ordre logique et cohérent, le processus néolithique se place dans la trajectoire universelle qui affecte tôt ou tard toute société humaine. Considéré dans son action collective, l'esprit cherche à contrôler la nature dès la fin du Paléolithique en lui imposant un ordre théorique renouvelé : les mythes basculent vers les religions dans lesquelles les divinités interviennent. Dans cette nouvelle conception faite à la place de l'homme, l'alimentation procède par une récolte sélective et intense de certaines ressources sauvages. La domestication des plantes et des animaux est d'abord un fait de comportement lié à la volonté de maîtriser le déroulement du temps et l'emprise spatiale dans des cultures en voie de sédentarisation. Les lois naturelles sont alors compromises car l'équilibre est rompu entre les ressources offertes par la nature et les règles de contrôle démographique dans les populations en constante expansion. L'homme impose ses règles sociales à son milieu : même resté à l'état sauvage, il est surexploité durant des millénaires au Mésolithique. Mais ce processus échappe bientôt à l'intention consciente car les ressources, une fois isolées et reproduites intensément, modifient leurs caractères biologiques elles deviennent involontairement des « espèces domestiques ». Les sociétés humaines s'y adaptent en fournissant des explications métaphysiques toujours plus conquérantes à ces processus qui semblent leur échapper. Les images artistiques tendent vers des schémas désincarnés et vers des silhouettes humaines bien avant l'agriculture proprement dite. Voilà le signe d'une domestication intellectuelle bien antérieure à la domestication et à ses conséquences économiques (fig.1).
Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l... more Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l'échange de leur vie avec les populations humaines qui les côtoyaient en permanence. Certains codes plastiques attestent de ces expériences d'équilibre entre une nature restée sauvage aujourd'hui et dont témoignent encore certains peuples sibériens et les Saamis (Lapons) en Europe. De telles permanences se présentent en héritages directs et montrent un milieu propice à une gamme de rapports à l'animal différents de la notion de « domestication » reconstituée habituellement pour le Néolithique européen.
Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l... more Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l'échange de leur vie avec les populations humaines qui les côtoyaient en permanence. Certains codes plastiques attestent de ces expériences d'équilibre entre une nature restée sauvage aujourd'hui et dont témoignent encore certains peuples sibériens et les Saamis (Lapons) en Europe. De telles permanences se présentent en héritages directs et montrent un milieu propice à une gamme de rapports à l'animal différents de la notion de « domestication » reconstituée habituellement pour le Néolithique européen.
Le continent européen a été peuplé initialement par deux mouvements migratoires totalement différ... more Le continent européen a été peuplé initialement par deux mouvements migratoires totalement différents. Le plus ancien est d'origine asiatique, par la voie des grandes plaines orientales, largement ouvertes et continues. Les méthodes techniques, les systèmes de valeurs et les populations ont constitué le fondement de la géographie humaine de l'Europe, sous le mode dit « Taubachien » et « Heidelbergensis ». Le second mouvement est occidental, originaire d'Afrique, et plus tardif. Il apporte d'autres gammes de valeurs, les modalités de sculptures sur pierre et les pratiques d'inhumations. Les deux se combinent vers trois cents mille ans pour donner les Néandertaliens et les méthodes Levallois. À ce stade l'Europe s'unifie, et des traditions « moustériennes » si spécifiques s'y constituent. Elles produisent des civilisations prestigieuses et variées selon les régions, dotées de raffinement et de sensibilité, comme en témoignent l'élaboration des pratiques rituelles, l'élégance des outils bifaciaux, la musique et l'emploi de colorants, par exemple. Le Nord-Ouest est l'aire de cette rencontre, puis de cette convergence. Au tout début du dix-neuvième siècle, Jean-Baptiste Lamarck, venu d'Amiens, y avait conçu la notion même de « biologie » afin de désigner l'étude de l'ensemble des organismes vivants, puis la notion de leur perfectionnement au fil du temps, enfin celle de leur évolution, aux sources de toute préhistoire. Cette entreprise cardinale a été souvent méconnue voire rejetée, en France y compris. À l'aide de cette notion, il devint pourtant possible de concevoir la puissance d'un mécanisme où se sont combiné le biologique (anatomie) et le culturel (comportement), en une vision pionnière dont certains non pas encore assimilé la pertinence. Corps et esprit ne font en effet qu'un, spécialement à l'extérieur des aires nucléaires tropicales, où cette flexibilité s'imposait. Les succès d'installations, en Asie et en Afrique, prouvent l'efficacité de ces aptitudes à long terme : culture et anatomie s'y sont conformées conjointement, comme André Leroi-Gourhan l'avait déjà prouvé. À l'occasion de cette rencontre à Amiens, il est temps de s'en souvenir car l'humanité néandertalienne exige la création d'un concept, nouveau et fort, par lequel se trouverait justifiée l'adaptation physique et comportementale, étendue à tout le continent européen et maintenue en harmonie fonctionnelle durant des centaines de millénaires. Aucun modèle théorique n'a jamais été élaboré afin de maîtriser un phénomène humain pourtant d'une telle évidence !
Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement... more Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement technique, souvent méconnus en Europe. Des datations récentes de l'Atérien au Maroc septentrional nécessitent une révision des idées couramment acceptées quant à ses influences sur le continent européen, par exemple dans la gestation du Solutréen moyen.
L'art fonctionne tel un miroir où se reflètent les harmonies, imposées par l'esprit à la réalité.... more L'art fonctionne tel un miroir où se reflètent les harmonies, imposées par l'esprit à la réalité. Loin de transmettre un message théorique, l'image préhistorique crée d'abord un univers, extérieur et parallèle au nôtre, pur produit d'un imaginaire collectif où se situe le jeu des véritables valeurs d'une communauté humaine. Si cet art muet nous fascine aujourd'hui encore à ce point, c'est qu'il trouve une résonance, purement visuelle et de nature émotionnelle, dans tout regard qui s'y pose. Cet art n'existe que par la valeur affective que nous lui prêtons. Les univers ainsi reconstitués offrent une diversité sans fin, tout comme la richesse de l'esprit humain, en tout temps et en tout lieu. La beauté de ces arts, dépourvus d'académisme, fait partie de leur message essentiel, intraduisible ni en mots, ni en concepts : il s'agit bien du pur jeu des formes, de leurs couleurs, de leurs textures, de leur brillance qui forcent la porte de nos rêves. Comme les arts historiques, le moteur des arts anciens réside d'abord dans son appel vers le mystère de la beauté : nous y pressentons un charme envoûtant, à chaque fois rebelle à toute analyse, mais à chaque fois aussi d'une évidence lumineuse. Là se porte avant tout la puissance des arts traditionnels car ils nous plongent dans un irréel, collectif et universel, à chaque fois nouveau et créateur de sens cachés au fond de notre âme. Trop souvent, notre formation rationnelle cherche à esquiver la fonction brute de l'art et, à la place, nous y cherchons des repères significatifs, répétant sans cesse ce qui semble légitimé par la raison, comme si tel art pouvait être décodé dans son mécanisme, comme on pourrait le faire d'une machine ou d'un automate. Si la discipline scientifique l'impose, elle ne remplit pas pour autant l'essentiel de sa mission qui constitue à relayer l'effet d'ensemble, formé par le jeu complexe des morphèmes et de leur valeur. Là résident pourtant la difficulté principale, autant que l'essentiel d'une oeuvre accomplie, en même temps que la nature du message qu'il porte.
Resumo: a investigação das artes rupestres no Brasil Central mostra as relações entre homens e an... more Resumo: a investigação das artes rupestres no Brasil Central mostra as relações entre homens e animais. Estes abrigos parecem ter sido utilizados para cerimónias de xamanismo. O mundo animal reflete o mundo humano. Tal como nas mitologias, a humanidade e o mundo animal são os mesmos, dependendo das circunstâncias. Palavra-chave: Artes rupestres; Xamanismo; Brasil; Bahia. u cours d'une mission accomplie en 1998, nous avons pu à la fois étudier les arts rupestres, l'ethnographie et les documents conservés dans les musées régionaux de la région de Bahia (IQUARA; ETCHEVARNE; OTTE, 1998; APPELDOORN et al., 2012). Venus d'Europe, cette approche nous a semblé totale : assemblant les expériences et les contacts entremêlés dans un monde homogène et neuf. Cette sensation ne nous pas quitté et il apparait essentiel d'en restituer les effets globaux, issus d'une combinaison entre les traditions, les mythologies et les arts. L'ensemble étroitement intégré à des milieux naturels d'une extrême complexité, autant par la faune que par la végétation si particulière du Brésil. Les contacts eux-mêmes avec les populations désormais immigrées depuis quelques siècles sont apparus comme révélateurs d'un nouveau monde, lui aussi complétement original, comme si les populations brésiliennes actuelles avaient suivi les esprits antérieurs en les prolongeant par la pensée, les rites, la danse et CHAPADA DIAMANTINA (BRÉSIL) , ARTS ET MYTHES*
Dans une perspective pluridisciplinaire, les « Carrefours d'idées », créés et animés par Hédi Abo... more Dans une perspective pluridisciplinaire, les « Carrefours d'idées », créés et animés par Hédi Aboueleze et Jean-Pierre Otte, présentent, autour du thème du temps, un ensemble de savoirs et de passions jouant comme à l'intérieur d'un kaléidoscope. Chaque mardi, découvrons un texte nouveau, comme une pièce ajoutée au puzzle, avant de comprendre ce que signifie leur somme, et de nous faire une idée multiple, fertile et diversifiée de la façon dont on appréhende le temps à l'heure où il n'est question, dans les médias, que des grands dérèglements climatiques. MARCEL OTTE EN PRÉHISTOIRE, LE TEMPS FORGERON Au fil de son déroulement, le temps cristallise l'éphémère, son flux impose une structure figée aux événements dont les agencements, désormais, restituent la genèse. Agissant sur l'humanité, cette mécanique enclenche un processus prométhéen : l'esprit est à la forge, il se constitue. Au passage, le temps nous offre l'illusion d'être ses propres objectifs, sa destinée : il nous rassure par son immense durée, comme si nous en étions un point d'aboutissement. Approchée pour ce qu'elle est, la Préhistoire démonte cet artifice : nous ne sommes que passages en perpétuelle mouvance, en totale errance, étirée de la matière à la pensée, sans repère et sans but, jamais achevée, formée de défis inlassablement soulevés par une conscience inquiète d'elle-même. Notre particularité se réduirait donc à un vice dans la conception originelle : l'insatisfaction, la remise en cause, le doute. Les religions ont alors le beau rôle, et la science à leur suite : elles offrent un sens, un destin, une raison d'être. Comme la science, les religions cherchent à distinguer l'humain du reste. L'une et les autres s'y emploient en vain : notre nature est double et le restera. Inversement, il faut bien admettre le partage de la pensée avec le reste du monde vivant d'où nous voulons nous extraire : seule, apparemment, cette illusion reste humaine.
Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement... more Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement technique, souvent méconnus en Europe. Des datations récentes de l'Atérien au Maroc septentrional nécessitent une révision des idées couramment acceptées quant à ses influences sur le continent européen, par exemple dans la gestation du Solutréen moyen.
De la Pologne à l'Angleterre, des ensembles du Paléolithique moyen final possèdent d'élégantes po... more De la Pologne à l'Angleterre, des ensembles du Paléolithique moyen final possèdent d'élégantes pointes bifaciales, en témoignage d'une recherche esthétique sans but utilitaire, mais en réponse à une tradition spécifique, d'affinité méridionale (Mauern). Certains contextes récents possèdent aussi des lames appointées, mais unifaciales, avec le même souci plastique (Ranis 3, Jerzmanowice 4). Le Maisiérien présente toujours cette recherche d'élégance, étendue du Bassin parisien à la Thuringe, mais centré sur le Nord-Ouest (28 000 ans). Il s'y ajoute la pratique d'emmanchement par pédoncules et par crans. Son aspect « gravettien » s'accentue à Goyet et à Huccorgne (26 000 ans), où s'y ajoutent des pièces à dos épais (gravettes, éléments tronqués), toujours liées à des fixations renouvelées. Il s'étend ensuite au Sud-Ouest français sous la forme du « Périgordien VA » (Les Vachons). Il s'agit alors du véritable « Proto-Solutréen », c'est-à-dire d'une variante du Gravettien récent occidental (La Ferrasie). Symétriquement, le « Solutréen moyen » (pointes bifaciales) correspond à une migra tion africaine juste postérieure qui aboutit à Lascaux. Ces diverses composantes ne devraient plus être confondues, mais seule l'étude des plaines du Nord-Ouest permet de comprendre le jeu général entretenu au niveau européen entre ces tra ditions distinctes, ces diverses régions et ces stades successifs.
Les mythes et la beauté transmettent ensemble les histoires originelles. La musique transmet l'ém... more Les mythes et la beauté transmettent ensemble les histoires originelles. La musique transmet l'émotion, elle existe partout sur la terre, et depuis toujours. Les danses et les rythmes assemblent le groupe et accompagnent les cérémonies. L'art inclut aussi l'anatomie, afin que le corps soit harmonisé et intégré aux codes sociaux. Les images utilisent toute la gamme des morphèmes (éléments de la forme), et l'image résulte de la combinaison du son support et de l'illusion graphique. L'icône (représentation) se transforme en schéma tandis qu'elle préserve sa signification originale. Les variations secondaires dans les formes des images indiquent la manière dont le monde est considéré et vu par chaque communauté. Les symboles n'ont qu'une valeur contingente ; cependant, ils possèdent aussi leur régularité et leur permanence, ils démontrent les forces universelles propres à l'esprit humain. Les signes et les images maintiennent des composantes universelles et structurantes de la pensée, tels des composantes d'un conte. Dans toutes leurs variations, l'art participe et réalise les rituels qui ponctuent les religions actives. La structure logique des scènes figurées évoquent l'illustration de récits mythiques.
Comme s'il suivait un ordre logique et cohérent, le processus néolithique se place dans la trajec... more Comme s'il suivait un ordre logique et cohérent, le processus néolithique se place dans la trajectoire universelle qui affecte tôt ou tard toute société humaine. Considéré dans son action collective, l'esprit cherche à contrôler la nature dès la fin du Paléolithique en lui imposant un ordre théorique renouvelé : les mythes basculent vers les religions dans lesquelles les divinités interviennent. Dans cette nouvelle conception faite à la place de l'homme, l'alimentation procède par une récolte sélective et intense de certaines ressources sauvages. La domestication des plantes et des animaux est d'abord un fait de comportement lié à la volonté de maîtriser le déroulement du temps et l'emprise spatiale dans des cultures en voie de sédentarisation. Les lois naturelles sont alors compromises car l'équilibre est rompu entre les ressources offertes par la nature et les règles de contrôle démographique dans les populations en constante expansion. L'homme impose ses règles sociales à son milieu : même resté à l'état sauvage, il est surexploité durant des millénaires au Mésolithique. Mais ce processus échappe bientôt à l'intention consciente car les ressources, une fois isolées et reproduites intensément, modifient leurs caractères biologiques elles deviennent involontairement des « espèces domestiques ». Les sociétés humaines s'y adaptent en fournissant des explications métaphysiques toujours plus conquérantes à ces processus qui semblent leur échapper. Les images artistiques tendent vers des schémas désincarnés et vers des silhouettes humaines bien avant l'agriculture proprement dite. Voilà le signe d'une domestication intellectuelle bien antérieure à la domestication et à ses conséquences économiques (fig.1).
Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l... more Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l'échange de leur vie avec les populations humaines qui les côtoyaient en permanence. Certains codes plastiques attestent de ces expériences d'équilibre entre une nature restée sauvage aujourd'hui et dont témoignent encore certains peuples sibériens et les Saamis (Lapons) en Europe. De telles permanences se présentent en héritages directs et montrent un milieu propice à une gamme de rapports à l'animal différents de la notion de « domestication » reconstituée habituellement pour le Néolithique européen.
Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l... more Peuplée de mammouths, l'Eurasie des steppes fit naître des fonctionnements religieux fondés sur l'échange de leur vie avec les populations humaines qui les côtoyaient en permanence. Certains codes plastiques attestent de ces expériences d'équilibre entre une nature restée sauvage aujourd'hui et dont témoignent encore certains peuples sibériens et les Saamis (Lapons) en Europe. De telles permanences se présentent en héritages directs et montrent un milieu propice à une gamme de rapports à l'animal différents de la notion de « domestication » reconstituée habituellement pour le Néolithique européen.
Le continent européen a été peuplé initialement par deux mouvements migratoires totalement différ... more Le continent européen a été peuplé initialement par deux mouvements migratoires totalement différents. Le plus ancien est d'origine asiatique, par la voie des grandes plaines orientales, largement ouvertes et continues. Les méthodes techniques, les systèmes de valeurs et les populations ont constitué le fondement de la géographie humaine de l'Europe, sous le mode dit « Taubachien » et « Heidelbergensis ». Le second mouvement est occidental, originaire d'Afrique, et plus tardif. Il apporte d'autres gammes de valeurs, les modalités de sculptures sur pierre et les pratiques d'inhumations. Les deux se combinent vers trois cents mille ans pour donner les Néandertaliens et les méthodes Levallois. À ce stade l'Europe s'unifie, et des traditions « moustériennes » si spécifiques s'y constituent. Elles produisent des civilisations prestigieuses et variées selon les régions, dotées de raffinement et de sensibilité, comme en témoignent l'élaboration des pratiques rituelles, l'élégance des outils bifaciaux, la musique et l'emploi de colorants, par exemple. Le Nord-Ouest est l'aire de cette rencontre, puis de cette convergence. Au tout début du dix-neuvième siècle, Jean-Baptiste Lamarck, venu d'Amiens, y avait conçu la notion même de « biologie » afin de désigner l'étude de l'ensemble des organismes vivants, puis la notion de leur perfectionnement au fil du temps, enfin celle de leur évolution, aux sources de toute préhistoire. Cette entreprise cardinale a été souvent méconnue voire rejetée, en France y compris. À l'aide de cette notion, il devint pourtant possible de concevoir la puissance d'un mécanisme où se sont combiné le biologique (anatomie) et le culturel (comportement), en une vision pionnière dont certains non pas encore assimilé la pertinence. Corps et esprit ne font en effet qu'un, spécialement à l'extérieur des aires nucléaires tropicales, où cette flexibilité s'imposait. Les succès d'installations, en Asie et en Afrique, prouvent l'efficacité de ces aptitudes à long terme : culture et anatomie s'y sont conformées conjointement, comme André Leroi-Gourhan l'avait déjà prouvé. À l'occasion de cette rencontre à Amiens, il est temps de s'en souvenir car l'humanité néandertalienne exige la création d'un concept, nouveau et fort, par lequel se trouverait justifiée l'adaptation physique et comportementale, étendue à tout le continent européen et maintenue en harmonie fonctionnelle durant des centaines de millénaires. Aucun modèle théorique n'a jamais été élaboré afin de maîtriser un phénomène humain pourtant d'une telle évidence !
Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement... more Le réexamen des séries d'El Aliya illustre leur homogénéité typologique et leur grand raffinement technique, souvent méconnus en Europe. Des datations récentes de l'Atérien au Maroc septentrional nécessitent une révision des idées couramment acceptées quant à ses influences sur le continent européen, par exemple dans la gestation du Solutréen moyen.