Arnaud SOMPAIRAC - Academia.edu (original) (raw)
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 1985
Le présent document constitue le rapport final d'une recherche remise au Secrétariat de la Recher... more Le présent document constitue le rapport final d'une recherche remise au Secrétariat de la Recherche Architecturale en éxecution du programme général de recherche mené par le Ministère de l'Urbanisme , du Logement et des Transports avec le Ministère de La Recherche et de La Technologie. Les jugements et opinions émis par les respon sables de la recherche n'engagent que leurs auteurs. Introduction. Un référent majeur: la Grèce antique. 1-Technique et discours de la technique p. 7 2-Une structure intégrée p. 9 3-Statut et place de l'architecture p. 10 I. Le Lien 1-Héraclite p. 16 2-Parménide p. 17 3-Empédocle p. 19 II. Le Vivre ensemble: l'habiter 1-Le lien vivant: la philia p. 2-Construire le lien: la maison p. III. Le Lieu propre 1-Le " propre " p. 2-Ce qu'il en est du lieu p. 3-La limite p. IV. La Ville 1-La Cité plurielle p. 2-Le Critias: la cité du Dieu p. Digression 1: l'espace de la démocratie athénienne p. 3-L'arithmétique des "Lois " p. Digression 2: Les deux égalités p. V. Economie et Politique urbaine 1-Hippodamos et Aristote p. 65 2-Symbolique du domaine public p. 69 3-L'usage, référence majeure p. 74 4-La maison et la cité, l'architecture et la philosophie p. Petit lexique p.86 Notes p.87 5 UN REFERENT MAJEUR : LA GRECE ANTIQUE. LE PROPOS A chercher les éléments d'une théorie de l'architecture, ses principes, l'exposition des fins et des moyens, la description des processus qui mèneraient le concepteur à la réalisation, la perception, en retour, des citoyens de la Cité antique, nous nous trouvons face à un vide théorique. A une sorte de mutisme du discours grec à ce sujet. Constatation fort étrange si nous tenons pour assuré le fait que la prati que, l'exercice de l'architecture grecque, ses réalisations sont encore pour nous modèles, et modèles majeurs. Que la Référence-avec un grand "R"-soit précisément celle là-même qu'au cun discours bien formé n'ait pris en charge, qu'elle ne s'accompagne pas de théorisation, ce fait devrait nous faire rêver au décalage entre une pratique et son fondement dans le logos. Plus avant, cela donne à penser qu'une telle référence-si vivante pour nous-tient son pouvoir millénaire de quelque structure singulièrement consistante qui lui donnerait cohérence. Autrement dit, si le discours proprement architectural manque à sa pla ce, ses thèmes, ses finalités, ses moyens se dissimulent dans un système du monde, pour lequel l'architecture, l'urbanisme, sont de simples appli cations, des exercices qui n'ont pas besoin de justifications autres que la représentation commune que les citoyens se font du système. De là notre pari: le logos de l'architecture grecque se tient ailleurs, dans des textes à teneur philosophique, cosmologique, politique, biologique. Tout autre part, et de tout autre part que là même où nous avons l'habi tude de le chercher dans la pratique actuelle. Ce qui paraît, en effet, de cette constatation première, c'est que l'archi tecture ne consiste pas si elle n'est soutenue par un discours " autre ". Ou de l'autre. Que sa consistance-sa perdurance, sa fermeté ou sa tenue-sont affaire de connivence avec ce qui se passe ou passe ailleurs, dans le champs du social, du politique, de la science. S 'il y a là lien interne-par quoi le style peut se définir-c 'est à répéter un lien qui existe en dehors de l'art de construire, et qui so lidarise les différentes unités sociales. Ainsi, la belle architecture antique est-elle fille d 'harmonie, armonizein : lier ensemble-proportionner-musicalement-et donner à voir ce lien qui court le long d'un système complexe, aux niveaux multiples, et qui se conforte d'une répétition métabolique. Or, cette construction systématique est l 'oeuvre des gens de parole. Et en Grèce, singulièrement, paroles de philosophes. L'architecture grecque comme référent majeur de nos pratiques, toujours vivante, oui. Mais à dire que ce n'est pas l'architecture elle-même qui joue ce rôle de référent, mais ce qui la borde, la porte, la tient et la soutient: le monde (kosmos) dont elle n'est qu'un fragment natura lisé. Si nous en acceptons l'hypothèse, la techné grecque s' origine donc d'un discours global, d'une totalité, qui n'a nul besoin d'être dite (d'être posée devant-prolégomène) pour jouer son rôle de soutien. Fraicheur et effet de nouveauté procèdent de ce silence du dire, en mê me temps que d'une présence forte de tous les éléments environnants, coexistant dans un ensemble lié. Il faut bien en effet qu'une correspondance tacite ait lié la conception d'une cité à des représentations " communes ", partagées par un ensemble d'individus, représentations si fortes et si unanimement acceptées qu'il ne fut pas rendu nécessaire d'expliciter leur présence comme élé ment constitutif d'une théorie architecturale. Notre tâche, ici, est de mettre à jour cette correspondance, d'en décrire les points forts, et de nous rendre clairs à la fois la raison de cette absence et les traits singuliers qui par là même sont conditions de son exercice. Du même mouvement nous pouvons bien admettre que notre pari, celui de cette anthologie, tient de la gageure: une anthologie des textes philoso phiques sur l'architecture ne comportant que peu de références à l'archi tecture... disséminées au travers de textes, et servant plutôt d'illus tration pour des arguments philosophiques... Ces points exigent quelques précisions que nous voulons brèves. 1-Technique et discours de la technique. Si l'absence de discours fondateur d'une pratique telle que la prati que architecturale nous étonne si fort, c'est que nous sommes habitués à un régime de raison encadrant chaque spécification des activités qui sont les nôtres. Cette habitude, si bien ancrée, est un fait"moderne'', et va de pair avec une déhiscence des liaisons sociales. Dans une société éclatée où chaque strate ou niveau de la composition des forces agissantes s'est singularisé dans des institutions, s'est for mé en corps quasi indépendants, sans qu'un consensus global n'intervienne sur les buts ultimes et sur le dessein général, projet de société commun à tous, ces activités ont un besoin urgent de se définir les unes par rapport aux autres, d'expliciter leur lien hiérarchique ou non, de se positionner sur l'échelle événementielle. Le discours de la technique ou technologie, apparait quand la technique n'est plus une simple manifesta tion " naturelle" d'une activité ordonnée mais tente de se faire une place consistante dans le désordre du socius. Un tel discours tend à do miner l'ensemble des autres discours car, appuyé sur des acquis, les artefacts, il se saisit des objets visibles pour arguer de l'objectivi té de son dire. Telle est la situation de notre monde contemporain qui n'a d'autre point d'accord-l'unité du monde faisant défaut-pour ten ter l'unification, l'homogénéisation des unités dispersées. C'est ainsi que nous sommes habitués à juger d'un parti au moins autant par le discours qui en soutient l'argument que par le dessin qui le don ne à voir. Ce discours, pour nous, est de la plus extrême importance, car il s'adresse aux raisons, les met en ordre et produit au jour la partie de l'iceberg qui, lors de la réalisation nous aveugle de sa visibilité. Nous réclamons les fondements qui tiennent lieu de cause, et satisfont à nos exigences. La parole architecturale nous donne à voir l'existence de l'architecture comme le produit de ses propositions bien enchaînées. S'il y manque une virgule, il manquera certainement au projet une articulation avec la question à laquelle il est censé répondre. Tout ce travail question/ réponse, établi selon des critères hiérarchisés, est sous-jacent à la réali sation. La conception, référentiée, précède l'acte de bâtir qui n'en est que la conclusion. Telle certes n'était pas la situation du monde grec. Une unité consentie faisait du monde un Kosmos, un tout lié. Chaque élément de ce tout disait l'ensemble. En elle-même la techné répétait ce lien, harmonisant le savoir et la pratique dans un seul geste. Sa place était fixée non par un discours qui lui aurait été propre mais par l'ensemble du logos distributeur, qui établis sait le cercle de possibilités correspondant à son essence, laissait à chaque activité spécifique le soin de se munir de recettes. Les recettes sont singu lières, occasionnelles, temporelles, et ne relèvent pas directement du logos unificateur. C'est bien ainsi que procède la techné: elle s'intéresse au singulier, aménage le divers, à partir d'une unité, mais celle-ci n'est pas prononcée dans le champ spécifique de la technique. Elle se prononce ailleurs, dans la spécula tion. Mouvement bien fait pour nous déconcerter, nous qui allons à l'inverse, des productions vers le discours qui est censé s'en déduire, puis, revenant à la production la justifie par cela même qui en est issu. Mais il n'est pas de notre propos de faire le procès du discours contemporain de l'architecture. Contentons nous de noter la différence entre deux sortes de dispositifs qui concernent théorie et pratique, ou, si on veut, entre deux emplois du dire et du bâtir, au regard d'un ensemble de productions distantes de quelques 25 siècles. Remarquons aussi, pour nous repérer dans ces textes étrangers à notre "culture" quoi qu'on dise-que la constante référence à l'architecture grecque n'ex clut pas la méconnaissance du système dans lequel elle se trouvait en exercice. Méconnaissance qui va à l'émiettement des unités que nous reconnaissons comme architecturales (l'agora, le temple, les modalités du style...) et que nous appelons grecques-tandis que nous ignorons que ces unités étaient liées entre elles non par des motifs ou des partis mais par une indivisible repré sentation du tout de la cité: tous niveaux confondus. Nous ne nous servons que des référents, et non de la référence. (1) Alors qu'à l'évidence c'est la référence dans sa présence totale qui peut nous introduire dans la vision du statut, des particularités et des savoirfaire qui caractérisent l'architecture ancienne. Aussi bien,...