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Papers by Denis Poissonnier
Universalité, différence et répétition La première scène d'Une page d'amour relève de ce que l'on... more Universalité, différence et répétition La première scène d'Une page d'amour relève de ce que l'on nomme en théorie littéraire un incipit in medias res, qui place le lecteur au coeur de l'action et des événements dont les précédents ne sont donnés que dans une étape ultérieure du récit. Un commencement de ce type évite une présentation des événements passés qui rendrait immédiatement manifeste ou la présence de l'énonciateur par son discours ou par sa connaissance des faits qui ne relèvent pas du présent du récit, elle relève de l'impératif discursif naturaliste tel que l'a définie Zola, où l'auteur, partout sensible, n'est présent nulle part ». Il possède en outre un intérêt philosophique et rhétorique : il se donne comme une réalité, mais comme une réalité sans antécédent ni conséquence ; les choses apparaissent sans avoir d'être-pour-un-autre qui font d'elles des produits d'une cause. On peut interpréter ce caractère phénoménal comme une possibilité d'oscillation du récit entre deux catégories réales : on peut soit prêter à la scène le caractère irréel d'un songe, soit la faire basculer du côté du réel. Un des critères qui acheminera la lecture du côté de l'inconsistance du rêve ou de côté persistance du réel, c'est la valeur de primultième, ou, inversement, d'itération, des événements, la première quantité amenant le récit du côté de l'imaginaire, tandis que l'autre lui confère la perexistence du réel. Un tel rapport de fréquence à la réalité des choses est présent dans la philosophie de D. Hume, qui associera rapport de causalité et fréquence («), il laisse pour compte le mouvement, qui se produit souvent une seule fois, et appartient pourtant au caractère des choses existantes, cependant M. Merleau-Ponty parle bien, dans sa méthode, de la proximité du « phénomène de réalité 1 » avec celui des « constantes perceptives 2 ». 1 Inconsistances et persistances Le récit, donné, comme nous l'avons vu in media res, est aussi la relation du temps exceptionnel de la crise, celle de la maladie de Jeanne (dont Hélène craindra un moment qu'elle puisse être mortelle, c'est-à-dire la dernière, et voir « le dernier souffle de Jeanne 3 ») et qui en fait un moment insigne dans un espace-temps donné pour une première fois. Cet événement fait basculer la diégèse un instant vers le temps incertain du rêve. De la même manière, la manière dont se montre le docteur Deberle, alors qu'Hélène cherche désespérément un médecin pendant la nuit, et qui sera conduite dans chez ce docteur au premier coup de sonnette, et verra dans ce hasard providentiel la preuve que « le ciel ne l'abandonnait pas 4 », coup de chance qui aurait pu, sans trop de coût pour le récit, venir après plusieurs essais (Zola aurait pu dire « Elle sonna à plusieurs portes, sans succès, puis , alors qu'elle sonnait à une maison proche de la sienne, elle vit la porte s'ouvrir et apparaître la silhouette d'un domestique ») et qui a pour fonction d'inscrire la rencontre dans l'imaginaire, l'archétype du sauveur pouvant décrire celui qui possède la compétence nécessaire pour venir au secours, comme celui d'arriver de façon quasi-providentielle au moment opportun. Une autre scène relève de l'onirisme et du produit de l'imagination : c'est l'érotisme latent des deux adultes qui sont trop empressés de sauver Jeanne pour se rendre compte de leur propre nudité (« Le médecin avait caché son cou nu. Hélène était restée enveloppée dans la châle qu'elle avait je jeté sur ses épaules. Mais Jeanne, en se débattant, tira un coin du châle, déboutonna le haut du veston. Ils ne s'en aperçurent point. Ni l'un ni l'autre ne se voyaient. 5 »). Le charge sexuelle de la scène est mis de côté à la fois par la vitesse de la narration qui ne reviendra pas sur le dénuement des deux protagonistes avant la fin de la nuit, par l'utilisation du lexique de la nudité sans utiliser aucun terme érotique explicite, comme par le regard et l'attention des deux actants qui sont focalisés sur le sauvetage de la malade. Le récit est le chassé croisé de deux
Universalité, différence et répétition La première scène d'Une page d'amour relève de ce que l'on... more Universalité, différence et répétition La première scène d'Une page d'amour relève de ce que l'on nomme en théorie littéraire un incipit in medias res, qui place le lecteur au coeur de l'action et des événements dont les précédents ne sont donnés que dans une étape ultérieure du récit. Un commencement de ce type évite une présentation des événements passés qui rendrait immédiatement manifeste ou la présence de l'énonciateur par son discours ou par sa connaissance des faits qui ne relèvent pas du présent du récit, elle relève de l'impératif discursif naturaliste tel que l'a définie Zola, où l'auteur, partout sensible, n'est présent nulle part ». Il possède en outre un intérêt philosophique et rhétorique : il se donne comme une réalité, mais comme une réalité sans antécédent ni conséquence ; les choses apparaissent sans avoir d'être-pour-un-autre qui font d'elles des produits d'une cause. On peut interpréter ce caractère phénoménal comme une possibilité d'oscillation du récit entre deux catégories réales : on peut soit prêter à la scène le caractère irréel d'un songe, soit la faire basculer du côté du réel. Un des critères qui acheminera la lecture du côté de l'inconsistance du rêve ou de côté persistance du réel, c'est la valeur de primultième, ou, inversement, d'itération, des événements, la première quantité amenant le récit du côté de l'imaginaire, tandis que l'autre lui confère la perexistence du réel. Un tel rapport de fréquence à la réalité des choses est présent dans la philosophie de D. Hume, qui associera rapport de causalité et fréquence («), il laisse pour compte le mouvement, qui se produit souvent une seule fois, et appartient pourtant au caractère des choses existantes, cependant M. Merleau-Ponty parle bien, dans sa méthode, de la proximité du « phénomène de réalité 1 » avec celui des « constantes perceptives 2 ». 1 Inconsistances et persistances Le récit, donné, comme nous l'avons vu in media res, est aussi la relation du temps exceptionnel de la crise, celle de la maladie de Jeanne (dont Hélène craindra un moment qu'elle puisse être mortelle, c'est-à-dire la dernière, et voir « le dernier souffle de Jeanne 3 ») et qui en fait un moment insigne dans un espace-temps donné pour une première fois. Cet événement fait basculer la diégèse un instant vers le temps incertain du rêve. De la même manière, la manière dont se montre le docteur Deberle, alors qu'Hélène cherche désespérément un médecin pendant la nuit, et qui sera conduite dans chez ce docteur au premier coup de sonnette, et verra dans ce hasard providentiel la preuve que « le ciel ne l'abandonnait pas 4 », coup de chance qui aurait pu, sans trop de coût pour le récit, venir après plusieurs essais (Zola aurait pu dire « Elle sonna à plusieurs portes, sans succès, puis , alors qu'elle sonnait à une maison proche de la sienne, elle vit la porte s'ouvrir et apparaître la silhouette d'un domestique ») et qui a pour fonction d'inscrire la rencontre dans l'imaginaire, l'archétype du sauveur pouvant décrire celui qui possède la compétence nécessaire pour venir au secours, comme celui d'arriver de façon quasi-providentielle au moment opportun. Une autre scène relève de l'onirisme et du produit de l'imagination : c'est l'érotisme latent des deux adultes qui sont trop empressés de sauver Jeanne pour se rendre compte de leur propre nudité (« Le médecin avait caché son cou nu. Hélène était restée enveloppée dans la châle qu'elle avait je jeté sur ses épaules. Mais Jeanne, en se débattant, tira un coin du châle, déboutonna le haut du veston. Ils ne s'en aperçurent point. Ni l'un ni l'autre ne se voyaient. 5 »). Le charge sexuelle de la scène est mis de côté à la fois par la vitesse de la narration qui ne reviendra pas sur le dénuement des deux protagonistes avant la fin de la nuit, par l'utilisation du lexique de la nudité sans utiliser aucun terme érotique explicite, comme par le regard et l'attention des deux actants qui sont focalisés sur le sauvetage de la malade. Le récit est le chassé croisé de deux