Le veuvage d'Aline��( Edition int���grale ) (original) (raw)

Extrait: La baronne de Vesvre venait de reconduire jusqu�Ǐ�� la porte de son petit salon chinois la derni���re des belles mondaines assidues ��� ses cinq heures. Pendant la saison o��� l��on ne va pas au bois, tout ce que Paris poss���de d��hommes et de femmes ��� la mode se fait un point d��honneur de venir savourer une tasse du fameux th��� jaune dans ce salon chinois o��� l��on a toujours de l��esprit, o��� l��on est toujours jolie, o��� l��on rencontre immanquablement les personnes que l��on d���sire voir, la ma���tresse du lieu ���tant f���e, .. f���e par la gr���ce vraiment enchanteresse, la volont��� soutenue de captiver ses h���tes. Les rideaux, tout chatoyants de broderies fantastiques, sont bien clos ; les lampes en capuchonn���es avec art renvoient au plafond cette lumi���re discr���te et habilement distribu���e, qui ne nuit pas ��� la beaut��� et qui dissimule l�Ǐ��ge et la laideur ; les si���ges sont ���parpill���s d��avance selon le go���t de chacun pour que les groupes sympathiques puissent se former comme par hasard, et le bal de demain, la premi���re repr���sentation d��hier, d���fraient la conversation g���n���rale, qui ne languit jamais, sans pr���judice des causeries ��� voix basse plus int���ressantes.

Un l���ger parfum de tabac d��Orient r���v���le que les cigarettes sont tol���r���es dans ce boudoir encombre de fleurs ��� la fa���on d��une serre ; un samovar monumental fume sur une table charg���e d��engins exotiques en orf���vrerie niell���e qui rappelle la nationalit��� de madame de Vesvre. n���e princesse Orsky. Seule peut-���tre une Russe du grand monde est capable de tenir avec cette autorit��� souriante le sceptre de la mode et d�Ǐ��tre plus Parisienne encore que les simples Parisiennes de Paris. Quand vous aurez d���couvert qu��elle est ch���tive et maigre avec des traits irreguliers : petit nez retrouss���, pommettes saillantes, vous serez forc��� d��ajouter : ? Mais elle est d���licieuse ! ? Telle est en effet l��opinion g���n���rale. Les beaut���s vraies sont r���duites ��� lui envier ses cheveux d��un blond de lin surnaturel, sa taille serpentine qui peut aborder toutes les extravagances de l��ajustement moderne et les rendre excusables, ce regard un peu myope pourtant, o��� p���tille derri���re le petit lorgnon d��or une malicieuse coquetterie.

Oui, les plus envi���es, les plus adul���es doivent baisser pavillon devant la baronne Olga, comme on l��appelle ; toutes souhaiteraient d�Ǐ��tre ��� sa place, trait���e, quoi qu��elle fasse, chez elle et au dehors, en enfant g���t���, libre de marquer ses actes et ses allures au coin de l��originalit���, bien qu��elle appartienne par son mariage au faubourg Saint-Germain. Ce qui est interdit ��� d��autres est permis ��� la baronne Olga, c��est une cr���ature privil���gi���e ; elle-m���me en convient tout haut. Quant ��� ce qu��elle en pense tout bas, il est facile de le deviner, pourvu qu��on l��observe avec quelque attention, lorsqu��elle se trouve seule enfin, apr���s ce babil et ce frou-frou pu���rils qu��il lui pla���t de susciter momentan���ment autour d��elle. Un soupir s�Ǐ��chappe de ses l���vres, ? soupir de regret ou de d���livrance ? ? elle se jette sur le sofa, s�Ǐ��tire d��un mouvement qui lui est commun avec les chattes, puis reste une minute le front enfoui dans ses deux mains scintillantes de bagues. Quand elle rel���ve la t���te, le masque est tomb���, elle a quitt��� sa physionomie de convention, d��apparat pour ainsi dire ; le sourire qui retroussait le coin de ses l���vres, l�Ǐ��clair qui jaillissait de sa prunelle p���le, les nuances d���licates, mobiles, vari���es ��� l��infini de l��expression qui emp���chaient de constater les d���fauts flagrants de la ligne, tout cela s��est effac���, elle est franchement laide�� elle se repose.