Fontenay-aux-Roses III (original) (raw)

Page publiée le premier septembre 2021

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Troisième partie : La Guerre

Juin 1940, l’exode

10 juin 1940

Ce soir, mon voisin me dit que Paul Reynaud vient d’annoncer, à la Radio, la déclaration de guerre de l’Italie à la France, tantôt, à 4 heures.
[…]
La perception de Fontenay part pour Bordeaux : appris ce soir par la jeune fille voisine, qui y est employée. Ma voisine d’en face, un ménage voisin, travaillant dans des établissements de défense nationale à Montrouge, suivent ces établissements du côté de Tarbes.

13 juin

La tenancière de la bibliothèque Hachette à la gare de Fontenay, qui habite Bourg-la-Reine, me parlait ce matin de l’avenue de Bourg-la-Reine, pleine hier d’une troupe de soldats harassés, souillés, en débandade, presque tous avec des pansements de blessures. Les malheureux hommes ! Que peuvent-ils bien penser de l’aventure ?

14 juin

Arrivé à Bourg-la-Reine, je me trouve dans le métro avec le maire de Fontenay, Foy, ingénieur de la Ville de Paris, qui revient de son service à l’Hôtel de Ville. Il n’a pas vu un Allemand, mais il me confirme qu’ils ont pris contact avec les services de l’Hôtel de Ville. Également avec un habitant de Fontenay, homme fort distingué. […]
Je dis au maire de Fontenay qu’il ne paraît pas facile déjà d’avoir du pain à Paris. Je lui parle des boulangers fermés à Fontenay, de l’avis qu’il a reçu l’autre matin de la Préfecture, de veiller à ce qu’elles restent ouvertes, alors que plusieurs étaient déjà fermées et le boulanger parti, que : gouverner, c’est prévoir, et que cet avis arrivant ainsi en carabinier d’Offenbach90, cela est encore bien français. Il est de mon avis. Je me suis retenu de lui dire qu’il aurait pu prendre de lui-même cette initiative. Il m’aurait probablement répondu : « On ne pense pas à tout. » Ce qui va nous coûter cher dans un certain domaine.
[…]
À la Cavée, je vois passer une camionnette de soldats allemands. Je m’arrête à la regarder filer. Je lie conversation avec un vieux Fontenaysien qui badaude là. J’apprends de lui qu’il y a un millier de soldats allemands au fort, qu’ils ouvrent les portes des pavillons abandonnés pour loger les officiers.
[…]
Je retourne bavarder avec mes voisins Gafenco. L’électricité ne fonctionne plus à Fontenay. Personne pour la remettre en marche. Les Allemands, sous la conduite de l’adjoint Prat, ont fait le nécessaire. L’électricité fonctionne. Ils font aussi rouvrir les boutiques d’alimentation fermées. Par exemple, Lagasse91 et Pauléon, deux grandes épiceries de Fontenay. J’ai dit aux Gafenco : « Nous allons peut-être avoir une administration. Il est vrai que c’est peut-être pour leur propre usage qu’ils font rouvrir. »

18 juin

Je vais ensuite […] faire les commissions. Dans le pays, des affiches de la Kommandantur, installée à Sceaux, Affiches passe-partout, rédigées en trois langues, sur trois colonnes : belge92, hollandais, français, et datées 14 mai. À côté, une affiche à la machine à écrire, en tête de laquelle, écrit à la main : Fontenay-aux-Roses, et signée d’un général allemand.
[…]
À Fontenay, on voit très peu de la guerre, les Allemands ne faisant qu’y passer en motocyclette, peu nombreux, et chez moi, un peu à l’écart de la ville comme je le suis, isolé dans mon grand jardin, rien de changé à ma vie. C’est comme si elle n’était pas.

19 juin

Ils sont à Rennes. Laval est pris depuis hier. […]

À la gare de Fontenay, je dis un mot de tout cela au chef de gare. Il s’écrie : « Pourquoi voulez-vous qu’ils s’arrêtent ? Puisqu’il n’y a rien pour les arrêter. » Et comme je dis : « Mais c’est lamentable, alors ! — C’est encore bien plus lamentable que vous ne le supposez. »

06 juillet

Visite ce matin de la directrice d’une école de Fontenay pour un conseil pour son chien. Elle m’apprend que Fontenay va recevoir 900 soldats et officiers allemands. Elle en aura 300 pour sa part. On s’occupe de prendre les maisons dont les locataires sont partis pour les loger. Les maisons d’un certain genre, toutefois : il faut chauffage central et salle de bains. Mes deux voisines, la générale Hyger et l’ex-belle-sœur de Hirsch93, sont parties. Leur pavillon est sans chauffage central. J’espère bien échapper au voisinage. Je ne serais pas du tout ravi d’avoir leurs chants et leur musique toute la journée.
[…]
Été […] à l’Institut de Géographie, rue Saint-Jacques, pour prévenir le professeur Lanquine94, le mari de ma voisine, l’ex-belle-sœur de Hirsch, de la réquisition à Fontenay des pavillons sans leur locataire. Nous avions entendu cela ensemble. Il devait, dans ce cas, y venir habiter. Le professeur Lanquine est parti le 13 juin, dans l’Allier (où se trouve ma voisine). Encore un qui n’a pas su rester tranquillement chez lui. Ces gens font les importants quand tout va bien. Au moindre grabuge, ils « mettent les voiles », comme on dit.

13 juillet

Ma fruitière à Fontenay, Mme Maillette95, rue Boucicaut, a eu l’idée, depuis l’arrivée du contingent de soldats allemands, de se mettre à vendre du pseudo-champagne. Chaque jour, à 6 heures, à la sortie, entre la soupe et le coucher, sa boutique est pleine de ces garçons achetant chacun leur bouteille.

1941 — Jean-Baptiste Suard

04 janvier 1941

Samedi dernier, le matin, j’entre à la fruiterie David, à Fontenay. Aucunes marchandises96. Je reste là dix minutes, à regarder la tête des gens, — j’aime beaucoup regarder la tête des gens. Le fruitier David est sur sa porte : il n’a rien à vendre, il regarde passer le monde.

25 octobre, visite de la maison de Jean-Baptiste Suard

Marie Dormoy, Charles Léger97 et Paul Léautaud souhaitent visiter la maison qu’habitait Jean-Baptiste Suard à Fontenay. Résumons rapidement la vie de ce Fontenaisien et l’anecdote qui lui est attachée.

Jean-Baptiste Suard (1732-1817), est né à Besançon. Comme bien des jeunes gens il est venu tenter sa chance à Paris. Là il est reçu au « royaume de la rue Saint-Honoré » chez la salonnière Marie-Thérèse Rodet Geoffrin. Un jour il assiste à un duel au cours duquel est tué un neveu du ministre de la Guerre. On lui demande le nom du meurtrier mais il refuse. On le conduit en prison pour dix-huit mois, ce qui forge le caractère. Rapidement, Jean-Baptiste Suard publie dans les gazettes ; avant la Révolution, la chose n’était pas aisée. À 34 ans, il épouse Amélie. De journal en journal il parvient dans les plus prestigieux et finit par se faire élire à l’Académie française en 1772. Mais son élection est annulée par Louis XV parce que les voix dont il a bénéficié ne proviennent pas du bon parti. Deux ans plus tard il se représente et est de nouveau élu. Cette fois-ci Louis XV valide l’élection parce que les choses changent. Elles ont même tellement changé que cet ancien prisonnier devient censeur des théâtres. C’est lui qui a refusé le visa à Beaumarchais pour son Mariage de Figaro. On peut penser qu’il n’en a pas été heureux mais qu’il ne pouvait faire autrement. Il gagne de l’argent et en 1882, fait bâtir, à Fontenay. Le temps s’écoule paisiblement jusqu’à ce que survienne la Révolution. C’était le temps de se retirer sur ses terres de Fontenay, suffisamment loin de Paris pour s’y sentir à l’abri, suffisamment proche pour être informé des événements.

Pour tous les proches du pouvoir, c’est la débandade, le retournement de veste ou l’exil. Le mathématicien Nicolas de Condorcet98, ami du couple, est en difficulté malgré son rapprochement des révolutionnaires. Il y a des tendances, les Girondins, les Jacobins, les Montagnards… En 1792 il n’est pas du bon parti et doit fuir. Jean-Baptiste Suard lui a promis de laisser ouverte la nuit la petite porte de derrière, donnant sur le jardin.

Mais voilà, cette nuit-là, Nicolas de Condorcet trouva la porte fermée. Il y a à ce propos plusieurs hypothèses incertaines. Nicolas de Condorcet prit alors le chemin de Clamart et se fit prendre dans une auberge où il était entré pour se restaurer. Qu’ils le veuillent ou non, et plutôt non à l’époque, les nobles, même déguisés, avaient une façon de se tenir et de s’exprimer peu compatibles avec leur déguisement. C’est donc avec suspicion que l’aubergiste examina Condorcet. Toujours dans son rôle, il demanda un plat de pauvre : une omelette. Le gargotier lui demanda « une omelette de combien d’œufs ? » Comme il n’avait sans doute jamais préparé d’omelette sa vie, Condorcet ne savait pas combien d’œuf contient une omelette pour une personne et demanda une omelette de douze œufs. Ce fut sa perte.

La propriété en question est au 7 de la rue Jean-Jaurès actuelle, précédemment rue des Écoles99-100. Elle fut aussi occupée par Fagon101, le médecin de Louis XIV. La propriétaire et occupante actuelle : comtesse [de Mandeville], une femme d’une quarantaine d’années, jolie, brune […]. J’avais déposé une lettre pour le propriétaire ou principal locataire, lui demandant la permission de faire cette visite : Charles Léger, Marie Dormoy et moi, donnant nos qualités à chacun et notant que j’habitais Fontenay depuis trente ans. Le surlendemain, je trouvai dans ma boite à lettres la carte de cette dame, me marquant qu’elle nous recevrait aujourd’hui après deux heures.
[…]
Jolie maison Louis XIV, assez abîmée par le temps et le manque d’entretien par les locataires précédents, mais restée intacte dans son caractère d’époque. Un très joli salon au rez-de-chaussée, où cette dame nous a reçus un moment, venant d’une pièce voisine avec une reproduction du Maréchal de Saxe de La Tour102. Je m’écrie en le voyant : « Mais c’est un La Tour : le maréchal de Saxe ! » Elle corrige, en souriant : « Une copie. C’est moi qui l’ai faite. » Et comme je dis mon admiration pour La Tour, pour le portrait de lui, par lui-même, en veste bleue, qui est au Louvre103 et que je me ferais voleur de tableaux de musée rien que pour celui-là, elle me dit : « Je vous en ferai une copie, si vous voulez. » J’aurai peut-être un jour cela chez moi104.

[…] nous passons dans le jardin, — qui vaut le mien comme abandon, — pour aller voir où peut se trouver la porte que Condorcet devait trouver ouverte […]. Nous n’avons pu trouver la porte en question. La propriété, qui s’étendait jusqu’à la mitoyenneté avec la propriété Leboucq105, a été coupée en deux par la création de l’avenue de la République. La topographie des lieux, avec la création des voies actuelles, a changé complètement. Il faudrait un plan de l’époque.

Comme nous allons nous retirer, voilà que cette dame me demande soudainement à venir chez moi voir mes bêtes. Nous prenons donc le chemin de la rue Guérard.
[…]
Ce doit être une comtesse… je ne sais comment dire ?… par galanterie, épousée sans doute par un vieil amant ? ou un jeune, après tout ?… ou très convenablement mariée à un comte ? et restée veuve. Qu’elle fume en public, ce n’est rien. Tant de femmes fument ainsi aujourd’hui. Mais ces traits : nous passons devant la maison du maire Foy106, je lui dis : « C’est là qu’habite le Maire. — Ah ! M. Foy ? — Oui. » Et faisant allusion à sa bigoterie, à l’un de ses fils prêtre ignorantin107, à l’une de ses filles bonne sœur : « Il porte bien son nom. » Elle rit : « Pour sûr ! » Je parle ensuite de sa collection d’enfants, tous venus à des périodes régulières, avec lesquels on le voyait se promener, tenant par la main l’aîné, qui tenait par la main le suivant, qui tenait par la main le suivant, etc., jusqu’au dernier né, tous lui ressemblant d’une façon étonnante, si bien qu’on l’avait là à tous les âges : à deux ans, à trois, à quatre, à cinq, etc., etc. Je dis que j’ai raconté cela dans une chronique du _Mercure_108, sans le nommer, montrant le comique de cette exhibition, et l’horreur de la progéniture poussée ainsi jusqu’à la lapinerie. « Certainement, faire l’amour est l’occupation la plus agréable de la vie, mais faire l’amour pour avoir des enfants, c’est répugnant. » Loin d’être scandalisée. Au contraire, ces mots : « Il est bien certain que faire l’amour par devoir !… » Enfin, ses allures dégagées, sa façon d’être tout de suite en relations aisées au bout d’une heure.

Elle m’a téléphoné ce soir vers 10 heures pour me demander si je ne gèle pas trop et me parler de cette journée qui s’est très bien passée.

1942 — Georges-Armand Masson et Joseph Prat

Journaliste, écrivain et peintre, Georges-Armand Masson (1892-1977) est, dans les années 1920, journaliste au Canard Enchaîné. En octobre 1924, il publie aux éditions du Siècle Le Parfait plagiaire, recueil de pastiches de Maurice Maeterlinck, Anna de Noailles, Jean Giraudoux et divers autres illustres contemporains. Et en 1942, il est directeur des Beaux-Arts.

Paul Léautaud, qui a une mémoire redoutable, se souvient bien de ce texte, qu’il avait qualifié à l’époque d’« imitation fort grossière de mes chroniques de théâtre. » Lues par quelqu’un d’autre que lui et familier de ses chroniques, ces quelques pages sont assez amusantes. Elles seront reproduites ici un jour.

Jeudi 2 Avril

J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre, sorte de circulaire émanant de la Direction des Beaux-Arts de la Préfecture de la Seine, signée de l’Inspecteur général des Beaux-Arts de la Ville de Paris, signature peu lisible, lequel me demandait de lui téléphoner un matin pour une collaboration à une publication que projette la Ville de Paris : quelques centaines de lignes sur un sujet qu’il m’expliquera.

Téléphoné ce matin à ce M. Georges-Armand Masson. Je venais de faire une lettre au maire de Fontenay, mon voisin, pour aller la lui mettre dans sa boîte, sur mon nouveau mécompte avec ce Prat, son adjoint109, son ton d’adjudant et sa sotte omnipotence, en réponse à ma visite, samedi dernier, pour des bons de bougies. J’habite Fontenay depuis 31 ans et ce vaniteux personnage, de genre fort commun, ignore tout de ma personne. Il m’est venu à l’idée que quelque chose de désagréable pour lui pourrait sortir de mon entretien avec un haut personnage de la Préfecture de la Seine, fort bien disposé pour moi, d’après sa démarche à mon égard. Je téléphone donc, suivant l’invitation reçue. Accueil très cordial. Ce M. Georges-Armand Masson me rappelle d’abord qu’il m’a pastiché autrefois dans un journal. Il m’explique ensuite : un ouvrage que projette de publier la Ville de Paris. Collaboration de plusieurs écrivains. Il lui est venu l’idée de me demander d’écrire quelques lignes sur les chats de Paris. Quelques centaines de lignes. Un mois de délai. Ce que j’en pense. Je lui ai répondu que, mon Dieu ! oui, je peux, oui. Seulement, il y a ceci : je suis absolument sans lumière. Étonnement : « Sans lumière ?… — La Mairie de Fontenay, qui m’ignore complètement, me refuse tout. J’ai même des travaux pour la Nouvelle Revue Française que je ne peux faire. » Il me dit alors : « Nous pourrions peut-être intervenir ?… » Je me suis contenté de lui répondre : « Ça… », en lui demandant s’il pourrait me recevoir. Il part pour quelques jours. Rendez-vous à son bureau à son retour le vendredi 10, à 3 heures. Je le mettrai au courant en détails. Je serais ravi, — c’est presque uniquement dans cette vue, me doutant bien qu’il en résulterait plus ou moins cela, que je me suis décidé à téléphoner, — qu’on rappelle ce Prat à une meilleure connaissance de ses administrés et à d’autres façons avec eux.

Je n’en laisse que mieux en suspens ma lettre au Maire. Il aurait pu parler au Prat, le faire m’accorder quelque chose. Ou l’idée aurait pu lui venir d’une réclamation possible de ma part, ailleurs. Mieux vaut leur laisser tomber la tuile, — si tuile il y a, car rien n’est sûr, — sans qu’ils s’y attendent. Tas de salopiauds ! Être obligé d’avoir affaire à eux et en être reçu de cette façon !

Après cela, cette collaboration ne m’amuse pas plus que cela. Cela va encore me déranger dans mon travail. À moins que je réussisse à écrire facilement ces quelques centaines de lignes. J’ai si peu l’habitude d’écrire sur commande. Je vais être gêné aux entournures.

Ce Georges-Armand Masson qui me pastichait autrefois dans un journal, aujourd’hui Inspecteur des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Il y a des gens qui savent se caser. Il est vrai que c’est tout ce qu’ils savent.

Vendredi 10 Avril

Il paraît que toutes les voyantes extralucides annoncent la fin de la guerre pour septembre prochain. Nous verrons cela.

Été au rendez-vous Georges-Armand Masson, service des Beaux-Arts, Hôtel de Ville. Quelle camelote ! Il s’agit d’un Almanach que va faire paraître la Ville de Paris. Georges-Armand Masson me demande un article sur les chats de Paris, traité, écrit, comme il me plaira. 250 à 300 lignes un peu plus longues que les lignes de journaux. À livrer le 1er mai. Honoraires : 750 francs.

Pour l’adjoint Prat et la question d’éclairage, il a téléphoné devant moi à un collègue des « Affaires départementales » qui va intervenir auprès dudit Prat, dont j’ai dit la grossièreté, par-dessus le marché. Camelote encore. Ledit Prat me lâchera, — s’il me lâche, — un litre de pétrole ou un paquet de 8 bougies par mois. Le beau secours ! Je tâcherai du reste d’avoir de préférence les bougies.

Ledit Prat est capable, pour se venger, de faire faire une visite chez moi. Je vais mettre à l’écart ce que j’ai encore de bougies et de cierges.

Je ne sais par où prendre cet article sur les chats, surtout : Les Chats de Paris.

J’ai dit quelques mots à Georges-Armand Masson de la possibilité d’un paiement en nature : pain, par exemple. Absolument rien à faire. Dit que lui-même, quand arrive 5 heures, il ne tient plus de faim.

Les collègues de son service, sa dactylographe, m’attendaient comme une curiosité. Au reste, quand j’ai téléphoné l’autre matin, la dactylographe au bout du fil, à l’énoncé de mon nom, tout de suite un ton de voix très sympathique. Le nom du collègue que j’ai vu ce soir : Marcel Astruc.

Lundi 13 Avril

Encore été tantôt à Bourg-la-Reine, au Sud-Lumière110, pour mon installation d’électricité qui continue à traîner. Je crois pourtant que je vais aboutir. Je regretterai mon éclairage aux bougies.

En rentrant, je trouve une lettre du deuxième adjoint Prat apportée en mon absence par le garde champêtre :

« Par faveur spéciale, je vous adresse un bon d’un litre de pétrole. Recevez, Monsieur, mes respectueuses salutations. »

Petit effet de l’intervention de la Direction des Affaires départementales. Les « salutations respectueuses » surtout sont à noter, après ses grossièretés. Pied-plat.

28 juillet

Je pars ce matin pour aller à Bourg-la-Reine, au Sud-Lumière, pour mon installation d’électricité, — il faut bien que je m’y décide, — en passant par la place de la Mairie pour mettre des lettres à la poste. Jour de marché. Je tombe en pleine capture de chiens par un agent spécial, accompagné d’un agent en uniforme. Il paraît qu’on ne veut pas de chiens libres dans le marché. La méthode paraît avoir changé, en bien. Tout chien, même avec son maître mais qui n’est pas tenu en laisse, est enlevé, à moins que le maître qui se trouve ainsi en contravention paie sur-le-champ une somme de quinze francs, dont il lui est donné reçu. La même méthode qu’à Paris pour la non-observation des passages cloutés et pour les bicyclistes ou gens à triporteur non en règle. Mme Delaunay, ma crémière, qui était à son étalage du marché, et qui a vu cette affaire plus en détail que moi, m’a raconté : l’agent captureur ayant pris et soulevé par la nuque un tout petit chien qui se trouvait seul, ce qui ne pouvait lui faire aucun mal et ce que font eux-mêmes les possesseurs de chiens de ce genre, s’est entendu traiter de brute par certaines personnes. Il a répondu très placidement : « Mais je ne lui fais aucun mal ! » Encore un exemple que les agents d’aujourd’hui ne sont plus les agents d’il y a encore quelques années, bande de brutes sans pareils. On dit que c’est sous l’influence des Allemands, qui tiennent pour une règle à observer que les agents doivent être polis et obligeants. Celui de ce matin montrait par surcroît du bon sens dans sa réponse, et même de l’indulgence, car peut-être aurait-il pu dresser procès-verbal aux personnes en question pour injures à un agent de la force publique. Le même a raconté à Mme Delaunay que presque chaque matin des officiers allemands viennent à la Fourrière et font un choix dans les chiens non réclamés et pour lesquels le délai de reprise est expiré : en chiens de garde, chiens de chasse, chiens de luxe (pékinois, par exemple), qu’ils emmènent. On peut dire que pour la plupart de ces chiens, même presque tous, étant donné les façons des Allemands à l’égard des bêtes, ils n’auront pas à pâtir du changement de maîtres. Pour en revenir à mon électricité, j’ai dû remettre à un autre jour. Mme Delaunay m’a demandé de venir en vitesse dire à son mari que, s’il venait au marché avec leur chien, il le tienne en laisse, et même plutôt qu’il le laisse enfermé chez eux. Je reviens rue Guérard. Je trouve le crémier Delaunay. Le chien a justement filé depuis deux heures. Il part à sa rencontre. Il ne le trouve pas. Je lui conseille d’aller voir au poste de police, à la Mairie. Il part. […]

À l’adjoint au maire de Fontenay

le 3 août 1942

Monsieur le Premier Adjoint,

Vous serait-il possible de m’accorder, en bougies (de préférence au pétrole) l’éclairage depuis le bon de pétrole que vous m’avez donné (avril dernier) ce qui ferait 4 mois ?

Ne dérangez pas le garde champêtre pour me porter votre réponse, je passerai la prendre chez le concierge de la mairie.

Avec mes remerciements à l’avance, agréez, je vous prie, mes salutations distinguées.

P. Léautaud

20 août

Le ramassage des chiens s’est renouvelé mardi dernier, jour de marché, et d’une façon éhontée de la part de l’agent préposé : jusqu’à courir après les gens, pour leur faire payer 15 francs. Nul doute qu’il doit avoir une prime par opération. Que diable aussi ces gens, qui ne pouvaient ignorer ce qui s’est passé les jours précédents, — tout le monde en a parlé dans Fontenay, — ont-ils été courir ce risque. Trois malheureux chiens qui se promenaient seuls ont été emmenés à la Fourrière. Leurs propriétaires se dérangeront-ils pour aller les réclamer ?

Mercredi 30 Juin [1943]

Il y avait à Fontenay une rue de Clamart. Cela disait quelque chose : rue conduisant à Clamart. On l’a changée en rue Antoine-Salet, lieutenant aviateur111. Cela ne dit plus rien du tout.

Dimanche 15 Août

Le croque-mort de Fontenay, que je connais depuis que je suis dans le pays (33 ans), est toujours là. Le métier doit conserver.

Mardi 28 Septembre

« Monsieur mon Maire », comme dirait Sacha Guitry, est mort, frappé d’une embolie, mercredi dernier dans la nuit, rentrant d’une conférence religieuse, tombé mort sur le trottoir, où son fils, rentrant une demi-heure après lui, l’a trouvé, sur l’indication d’un cycliste qu’un homme y était étendu. Il s’appelait Foy, un nom prédestiné, malgré l’y grec. Soixante-quatre ans seulement. Ce n’est pas positivement la vieillesse. En tout cas, une belle mort. Il était mon voisin112. Je le connaissais depuis longtemps. J’ai voyagé souvent avec lui le matin pendant la guerre 1914-1918, il se rendait à son service à l’Hôtel de Ville, et encore après. Ce matin, les obsèques. Je suis allé à la cérémonie religieuse. Ouverture par La Mort d’Aase, comme pour le mari de ma marchande de pommes de terre. Le bureau des Pompes funèbres doit le mettre sur le programme chaque fois qu’il s’agit d’un enterrement de prix. Les chants : pas de fameuses voix. Le Dies irae chanté par une femme (et voix de première chanteuse), non. À la fin, grand panégyrique du défunt par le curé, sur un ton déclamatoire. C’est la première fois que je vois cela. Parbleu ! Un bel exemple à nous offrir : croyant, ne le cachant pas, à la messe tous les dimanches, depuis sa retraite de fonctionnaire (il y a un an ou deux), communiant tous les matins, chaque soir, chez lui, son chapelet. Onze enfants, dont deux de morts. Il paraît que son père disait de lui : « Il n’est bon qu’à faire des enfants. » C’est de lui dont j’ai parlé dans ma chronique dramatique sur La Maternelle de Léon Frapié113.

Sur les neuf enfants : une fille religieuse, un fils frère des Écoles chrétiennes, un autre d’une douzaine d’années qui se prépare à entrer dans les ordres. L’église était comble. Une heure et demie à être debout. Une demi-heure ensuite à avancer pas à pas pour le défilé devant la famille. J’ai eu ce mot pour mes voisins : « On fait la queue ici aussi. »

Jeudi 2 décembre

Ces messieurs « terroristes » et faux policiers, qui commencent, par leur nombre et leurs méfaits, à rappeler les grandes bandes qui parcouraient autrefois la France, au XVIIe siècle, je crois, ont l’air de commencer à opérer à Fontenay. Hier soir, à 8 heures, rue Jean-Jaurès, en plein dans la ville, un M. Pradon et sa femme, tous les deux fort âgés, ont vu faire irruption chez eux, après avoir forcé la porte de leur grille, quatre jeunes gaillards armés, réclamant l’entrée comme policiers, qui les ont obligés à leur remettre leur argent. Dérangés dans leur travail par un passant qui, voyant de la lumière chez ce M. Pradon, s’est mis à lui crier de la rue : « Comment, Monsieur Pradon, vous n’êtes pas encore couché ! »

Vendredi 31 Décembre

J’ai noté la mort du maire de Fontenay, Léon Foy, extrêmement dévot, toute sa nombreuse famille de même. Une semaine ou deux après sa mort, je demandais à ma vieille voisine, Mlle Ravier, ce professeur de dessin dans les écoles de la Ville de Paris, 78 ans, elle-même très croyante, qui voit souvent Mme Foy, comment celle-ci allait, ayant été ainsi frappée : « Mais très bien. Elle va très bien. Toute la famille va très bien. Ils savent qu’il est là-haut, qui les attend. » C’est prodigieux !

La même vieille voisine me disait ce matin que Mme Foy lui a dit que depuis quelque temps avant sa mort, son mari n’arrêtait pas de prier. Évidemment, je vois bien le réconfort que peut donner la prière à un vrai croyant, qui est persuadé qu’il ne partira d’ici que pour aller revivre ailleurs. Tout de même, il y a, pour moi, un phénomène !… La mère de Mme Foy est morte, fort âgée, et très malade, deux jours après son gendre, dont on ne lui avait rien dit de sa mort. Mme Foy a dit à ce sujet à ma vieille voisine : « C’est maman qui a dû être surprise, en arrivant au ciel, d’y trouver mon mari. » Au diable le respect des croyances. Cela est simplement bouffon.

1944, La mère Malliette

Vendredi 21 janvier

Moins drôle : on commence en banlieue la réquisition des immeubles pour y abriter des réfugiés. Rencontré ce matin Georges Bohn prenant le même métro que moi à Fontenay. Il venait de voir le maire, lequel lui a dit, pour le grand pavillon qu’il possède à quelques pas de chez moi et qu’il n’habite que l’été, de tâcher d’enfermer dans une seule pièce qu’il fermera à clef, tout ce à quoi il tient le plus, toutes les autres pièces devant être réquisitionnées.

Mercredi 23 Février

La mère Maillette, en temps normal, simple fruitière, mérite bien quelques lignes dans la chronique de Fontenay-aux-Roses au temps actuel. Elle a six ou sept fils, une fille, Madeleine, assez jolie, très beaux yeux, de très beaux cheveux d’un roux sombre, deux petits-enfants : un gamin de deux ans, une petite fille de huit ou neuf ans, tout ce monde ayant absolument le même visage, avec le même petit nez en pied de marmite, rouge au bout, — une boutique en ruines, malpropre, meublée de quelques planches pleines de poussière, d’épluchures, à la suite de laquelle sa cuisine, en même temps sa salle à manger, encore plus malpropre, encore plus pauvre, donnant, par une porte branlante, qui ferme à peine, sur une cour à l’aspect fangeux. Deux ou trois de ses fils, en temps normal, étaient facteurs dans le pays. Depuis la guerre, deux étaient prisonniers. Un vient de rentrer. Il a cette particularité d’être, de tous ces messieurs, le seul poli de langage et de façons. Un autre travaille dans les environs pour les Allemands. Un autre est parti travailler en Allemagne. La jolie Madeleine a été, l’année dernière, travailler quelque temps en Allemagne et en est revenue avec un enfant, ce que j’ai appris ce matin, sans avoir l’air d’écouter, par une conversation chuchotée entre la mère Maillette et trois ou quatre commères. Aux premiers temps de l’occupation, il y avait des Allemands à Fontenay, toujours soldats. Dieu sait ce que la mère Maillette leur a vendu, et probablement à bon prix, de bouteilles de limonade sous le nom de champagne. La nuit venue, la boutique fermée, la rue déserte, on faisait ripaille dans l’arrière-boutique, quelque chose un peu qui n’était pas loin d’un bordel. Le Mercure ayant fermé pendant un mois, dans la journée j’allais passer là une partie de l’après-midi, au milieu de commères qui faisaient comme moi, assis les uns et les autres sur un banc, sur une table, sur des caisses vides, m’amusant beaucoup, et amusant moi-même beaucoup par mes propos. La jolie Madeleine, pas encore vingt ans, toujours s’asseyant près de moi, me demandant ce que je faisais, parlant de venir me voir chez moi. Un jour, voilà-t-il pas qu’elle me caresse de la main une joue, me disant : « Vous êtes très gentil. Comme vous avez la peau douce. Vous me plaisez beaucoup. » J’étais si interloqué que je ne pus me retenir : « Mademoiselle ! vous me dites là des choses… » Ce qui la fit rabrouer par la mère et celle-ci me dire : « Excusez-la. C’est une enfant. Elle ne se rend pas compte… » Puis, le Mercure ayant rouvert, je cessai d’aller là faire salon. Je n’allai plus chez la mère Maillette que de temps en temps, pour avoir d’elle, quand elle le pouvait, quelques tickets de pain, si court que j’en étais quand je fus mis à la carte V, et acheter quelque légume quand il s’en trouvait à mon goût, ce qui était rare. Le règne des topinambours et des rutabagas étant arrivé, dont je n’ai jamais mangé, je me suis remis à la visiter voilà à peu près un an, depuis que j’ai pris le parti de faire quelques sacrifices d’argent pour suppléer aux insuffisances du ravitaillement par tickets, — plus on allait, plus il en fallait pour tout, et plus l’essentiel manquait. Car la mère Maillette, elle aussi, s’est adaptée aux circonstances. On trouve chez elle de tout, ou presque. Il suffit d’être connu d’elle, de lui inspirer confiance, et quitte à venir autant de fois qu’il faut pour trouver enfin ce qu’on désire, car c’est quelquefois long, soit que les « fournisseurs » n’aient pas réussi, qu’ils aient eu des « ennuis » en route, ou qu’une visite d’inspecteur de police oblige à quelque prudence : bien qu’on n’ait jamais sévi contre elle, devant le dénuement de son intérieur, — il paraît que les locaux au-dessus de la boutique, où couche toute la famille, valent celle-ci comme aspect, — sa nombreuse famille, ses fils prisonniers, les inspecteurs se bornant à faire les terribles en paroles. Vrai café (difficile, le vrai café), le beurre, viande en tous genres, poulets, lapins, lard, chocolat (encore plus rare et difficile que le vrai café), tabac en paquets, cigarettes en paquets ou au détail (7 francs la cigarette), chaussures, cacao (qui est en réalité de la simple cosse de cacao moulue), vin ordinaire ou prétendu de choix, sucre (130 francs le kilog.), lingerie de femme, la plupart de toutes ces denrées au cours qu’elles ont à peu près partout. On arrive, on dit un mot. On passe dans la cuisine, on est servi de ce qu’on désire s’il y a, on vient payer à la mère Maillette qui vous recommande de tenir votre sac bien fermé (pour qu’on ne voie pas ce que vous emportez). C’est le marché noir de Fontenay, et les clients ne manquent pas, la mère Maillette répondant à chacun et à tous à la fois, prenant note des commandes d’un bout de craie sur le mur, sur son établi de vente, sur un bout de carreau derrière elle, promettant, assurant que « cela » sera là demain matin, encaissant, rendant la monnaie d’une espèce de sacoche en ruine, bondée de billets de banque, pendue à sa ceinture, certainement refaite de temps en temps par des malins qui, au milieu de toute cette confusion de demandes, de réponses, d’allées et venues, partent sans payer, après s’être souvent servis eux-mêmes, las d’attendre, pour le courant des marchandises, légumes divers, constituant le commerce visible de la maison. Au total, une excellente femme, toujours de bonne humeur, obligeante, serviable, soignant de son mieux sa clientèle, qu’on est bien content d’avoir et de trouver. Grande amie des bêtes, par surcroît, des chats en particulier, une demi-douzaine toujours autour d’elle et, certainement, au temps de ma bonne Marie, sa complice pour les chats que je trouvais souvent, le soir, en rentrant, enfermés dans un cageot suspendu à ma grille, comme apporté par on ne savait jamais qui. Je l’ai compris le jour que, passant devant sa boutique, j’y ai vu des cageots tout semblables. Un mystère : que fait-elle de tout l’argent qu’elle encaisse ? Elle a ses « commissions » à ses « fournisseurs ». Tout n’est pas gain pour elle. Le reste doit passer dans la bonne table, les liquides, car tous, les fils surtout, avaient, ceux qui sont partis et ceux qui restent, une mine superbe, et même, le plus jeune, qui n’a jamais bougé de Fontenay et ne quitte jamais la boutique, une certaine petite élégance de jeune homme au mauvais goût. Pour elle, toujours en loques, mal peignée, pas toujours débarbouillée, un vieux sac en guise de tablier. Elle a eu ce soir pour moi une gentillesse. Il y avait à la cuisine trois paquets de tabac belge. Le fils — celui qui vient de rentrer comme prisonnier — chargé de ce rayon, m’offre à le goûter. Je le trouve bien meilleur que celui que j’ai acheté jusqu’ici. Je dis que je prends les trois paquets. 150 francs le paquet. Elle lui dit : « Laisse-les-lui à 140. C’est un bon client. » […].

Mercredi 29 Mars

Les agréments de la « réputation ». À 6 heures, ce soir, je flânais dans mon jardin. Je vois venir vers moi à la porte de ma grille non fermée à clef, une dame, élégante, encore jeune, tout de noir vêtue, qui m’explique qu’elle est la fille du vieil avoué Leboucq114 (dont la très belle propriété et habitation est à deux pas de chez moi) et qu’elle quête pour une formation de Croix Rouge à Fontenay, en vue des prochains événements possibles115. Le plus poliment possible, je lui donne à entendre, encore plus par ma physionomie que par un non, dit très doucement, que je ne donne rien. J’entendis alors ceci : « Maintenant, Monsieur, j’ai à vous demander, de la part de mon fils, si vous voudriez bien lui écrire un mot sur votre dernier livre qu’il vient d’acheter. On parle beaucoup de vous en ce moment. Cet article dans _Je suis partout_…116 » Je lui demande ce qu’est son fils. Élève à l’École des Sciences politiques. Il me connaît très bien. Elle et lui me voient souvent dans le métro. Cette dame et lui ont souvent parlé de moi avec Maurice Garçon… J’ai faibli dans mon égoïsme et dans ma méfiance à l’égard de toutes ces organisations prétendues de secours. Une idée de politesse l’a emporté. J’ai donné 20 francs.

Jeudi 17 Août

Depuis le débarquement du six juin, les Allemands, après s’être rendus sur le front de Normandie, se replient vers l’est. La libération de Paris aura lieu officiellement le 25 août. Ce 17 août, il ne doit plus y avoir beaucoup d’Allemands en région parisienne et aucun en France à partir du sud de Paris.

La police est, paraît-il, en grève. Au bureau de police de la Mairie de Fontenay, fermé, pas un agent. Sur la porte dudit bureau, une affiche imprimée, du Syndicat des Agents, je crois, dans laquelle il est parlé des Boches en toutes lettres. […]

Vendredi 18 août

Ça marche bien à Fontenay-aux-Roses. Des pavillons dévalisés hier soir. Cette nuit, un camion allemand soulagé de son moteur et de ses pneus. Le maire et le secrétaire de la Mairie arrêtés, avec 500 otages, d’autres disent 200.

Affiché à la Mairie : ordre à tous les hommes de 18 à 60 ans de se rendre demain matin samedi au Petit-Clamart117, munis d’une pelle, d’une pioche et de leur nourriture, pour travaux de tranchées, sous peine, pour manque de présence, de sanctions pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Voilà qui ne concorde pas avec les propos de M. D. hier soir.

Le fils T…, qui habitait en face de chez moi, a été arrêté et emmené il y a quelque temps, pour vols répétés au Fort, où il travaillait pour les Allemands. Sa femme, une petite catin prétentieuse, se vante qu’ils n’auront plus besoin de travailler après la guerre, ayant, dans une cache introuvable chez elle, de quoi vivre en rentiers.

Il y a certainement, de ces cocos, 13 à la douzaine. Comme les dévastations, à l’exode, par les voisins, des pavillons quittés par leurs locataires.

Vendredi 25 août

Nouvelles de la guerre. Tantôt, de ma fenêtre, j’entends, au loin, un grand bruit de voix, d’acclamations, de rires, pendant un bon moment et qui, au jugé, me paraissait venir des environs de la Mairie. Ayant à sortir pour aller chez ma vieille voisine, je fais quelques pas de plus, jusqu’à la rue de Châtenay. Toujours ce bruit, qui me paraît bien se situer comme je viens de dire. Je vois passer une vieille femme, qui venait de la ville, se dirigeant vers Robinson. Je lui demande si elle sait ce que sont ces acclamations que j’entends depuis un moment et qui me paraissent venir des environs de la Mairie. Elle me répond : « Ça a l’air, mais c’est beaucoup plus bas, du côté de Bourg-la-Reine. » Et comme je lui en demande la cause : « C’est le général de Gaulle qui vient d’arriver et qu’on attend pour le voir passer. — Le général de Gaulle à Bourg-la-Reine et qui doit passer par Fontenay ? » J’ai bien un peu d’étonnement, mais comme je ne sais rien et que je ne suis pas sur place… À ce moment, arrive ma crémière Mme Delaunay, venant elle aussi du pays. Je lui dis le renseignement de la bonne femme. Elle hausse les épaules. « J’en viens. J’ai voulu voir ce que c’était. Ce sont quelques femmes qui ont dénoncé des gens aux Allemands. On les connaissait. Quelques-unes aussi qui ont eu des relations, vous comprenez ? avec eux. On a été les prendre chez elles. Aujourd’hui, place de la Mairie, en public, on leur a tondu la tête et marqué, à la peinture, une croix gammée sur le front, ou sur les joues. Un vrai spectacle. Vous jugez si les gens rigolaient. »

Toutes les nouvelles, en ce moment, sont dans ce genre.

11 heures [du soir]. — C’est à n’y rien comprendre. Les troupes allemandes de Paris se sont rendues. Le général de Gaulle a fait son entrée à Paris, tantôt, par les Champs-Élysées et a été reçu solennellement à l’Hôtel de Ville. Et voici que se produit une séance de tir de D.C.A., de détonations extrêmement violentes comme des chutes de bombes. Les vitres de mes fenêtres toutes secouées, le ciel plein de fusées en tous sens, de vrombissements d’avions, d’éclairage comme en plein jour. Le ciel tout rougeoyant vers l’est de Paris. Je viens de sortir dans la rue. Un voisin qui a une terrasse élevée juge que l’incendie doit être vers Villejuif. Les Allemands n’ont pas perdu de temps. Du jour au lendemain, les voilà qui bombardent Paris. J’apprends d’autre part qu’il y a eu tantôt, à son arrivée à l’Hôtel de Ville, des coups de feu tirés, des grenades lancées sur le général de Gaulle. Anciens miliciens camouflés ? Allemands en civil ? J’ai été bien prompt à écrire ma façon d’épilogue. La guerre n’est pas finie, elle s’est déplacée ailleurs.

Mon voisin Delaunay est monté au Fort pour se rendre compte. À son jugement, c’est Pantin qui a reçu les bombes et l’incendie est considérable en étendue.

Samedi 26 août

Jour de marché, donc du monde dehors. Ce matin, dans les rues de Fontenay, quelques gens de la « Résistance », débraillés, les pieds nus dans des savates, vêtus seulement d’un pantalon et d’une chemise, avec des physionomies d’un genre ! — circulant la mitraillette en bandoulière. Il est tout de même inouï qu’on laisse ainsi circuler de pareils apaches armés. Un « coup de rouge » de trop, et on voit le travail.

Jusqu’ici, pour mes courses dans Fontenay, je sortais assez mal fichu, autant par économie que pour n’avoir pas à m’habiller et à me déshabiller. Depuis deux jours, je ne sors plus que mis sur mon trente-et-un.

Il paraît que quelques femmes, ce matin, au marché, trouvaient un peu excessif la punition qu’on a infligée hier publiquement à des femmes qui ont fait l’amour avec des soldats allemands. Elles regrettent peut-être de n’en avoir pas fait autant.

Mardi 29 août

Ce matin, avis affiché dans les cadres municipaux : Fontenay va avoir à loger des troupes américaines de passage. Prière aux habitants pouvant loger un officier ou un sous-officier de se faire connaître.

Dimanche 3 septembre

Les rues, au moins à Fontenay, continuent à ne pas être sûres. Ce matin, en conversation avec les agents de police du bureau de police adjoint à la Mairie, un individu du genre le plus douteux avec un revolver d’officier, un autre, tout jeune, une mitrailleuse sous le bras. Il n’y a pourtant plus un soldat allemand dans Fontenay ni dans les environs. À quoi riment ces lascars armés ?

Mercredi 6 septembre

Un médecin de Fontenay, le Docteur Yoyotte, depuis longtemps dans la commune118, patriote à tous crins, viendrait d’être arrêté.

Quatrième partie : Les cinq dernières années : 1946-1951

Le jeudi 11 juillet 1946, Madame Sommet, propriétaire du pavillon occupé par Paul Léautaud, met en vente ses maisons.

Lundi 10 Mars [1947]

J’ai fait connaissance aujourd’hui avec mes nouvelles propriétaires119. Accueil charmant et même plein de considération. Elles savent parfaitement qui est leur locataire. J’ai tout lieu de penser, comme me l’a dit Mme Sommet (ma précédente propriétaire), que je serai laissé tranquille chez moi.

Samedi 5 Juillet [1947]

Été à Paris ce matin. Je m’aperçois, depuis quelques jours, que les prix, à Fontenay, pour les fruits et les légumes, sont plus élevés qu’à Paris. Des pêches petites, certes, 50 francs la livre. À Paris, de très belles pêches, parfaites et mûres, 35 francs. De même, pour les pommes de terre. J’ai pris mon parti : je suis allé me ravitailler à Paris.

Mercredi 10 Mars [1948]

Depuis deux ans les propos à la Radio sur mon compte, dont j’ignore tout, que j’apprends par mon marchand de journaux ou par des gens de Fontenay, ont fini par me faire une certaine réputation dans le pays. Ce matin, en revenant de faire mon marché, je rencontre un bourgeois, que je ne connaissais que de vue, qui m’arrête : « Je suis en train de lire votre livre Passe-Temps. Ce n’est pas mal, ce n’est pas mal. »

Mercredi 24 Mars

Ma nouvelle propriétaire fait faire le ravalement de mon pavillon. Commencé ce matin. Toute la journée de 8 heures du matin à 6 heures, trois ouvriers, à coups de pic, faisant tomber l’ancien ravalement en plâtre. Ensuite ce sera le travail du revêtement en ciment. J’en ai bien pour un bon mois.

Lundi 3 mai

Je suis bien embêté par mes nouvelles propriétaires, une Bretonne, une Belge, qui vivent ensemble, toutes deux richissimes. Un ravalement complet de mon pavillon, qui m’a assommé pendant deux semaines de coups de marteau, ensuite rempli une partie de mon jardin de gravats et de débris de ferraille, et même d’autres travaux. Je regrette ma propriétaire précédente, qui laissait tout en ruines. J’avais la paix. De plus, elle n’habitait pas Fontenay. Les deux nouvelles ont acheté pour elles une autre propriété à cent mètres de chez moi et sont à chaque instant sur mon dos.

1952

Mercredi 1er Octobre

Appris hier du locataire de la baraque en bois de mes deux folles de propriétaires, qu’elles mettent décidément en vente toute la propriété, — l’agence de locations de Robinson chargée de l’affaire. Gare la tuile qui peut me tomber dessus. Elles demandent comme prix 9 millions. Il est douteux qu’elles trouvent acquéreur à ce prix. Mon pavillon est en ruines, et la partie du fond n’a d’autre issue qu’un étroit et mauvais chemin en pente aboutissant rue de Châtenay.

L’une d’elles, Mlle de Hoorn, ma propriétaire, a dit à ma voisine qu’elle achètera (avec le produit de la vente) des fermes qui lui rapporteront davantage. Il semble aussi, à ce qu’elle a dit également à ma voisine que j’ai refusé qu’on déplace la grille pour pouvoir entrer l’automobile de leur ami Delvaux, que c’est cela qui l’a décidée à vendre.

1953

Samedi 4 Juillet

Reçu ce matin une longue lettre de l’avocat de ma propriétaire, cette complètement folle de Belge de Mlle de Hoorn. Les mêmes réclamations, prétentions, exigences, formulées il y a quelques années et mises à néant par moi dans une longue réponse dont j’ai le double. Cet avocat, un homme encore jeune, ne connaît certainement rien aux questions de loyer, de location, des droits des locataires, de l’interdiction absolue de rien modifier aux lieux en période d’occupation. Il me va falloir lui exprimer tout cela, puis bien des choses qu’il ignore sur l’état des locaux dès ma location en 1911, mes débats avec ma première propriétaire Mme Sommet, toujours déboutée en justice de paix de ses prétentions. J’ai écrit dès ce matin une réponse au dit avocat. Je n’ai plus qu’à la mettre au net, avec un double pour moi.
[…]
Ce matin, faisant mes commissions, rencontré chez la fruitière Maillette la nouvelle propriétaire de la Maison de Santé du Docteur Pommier (décédé l’année dernière à Grenoble). Elle me dit que Benda120 et sa femme sont installés chez elle pour tout l’été, et que Benda l’a chargée de me dire, quand elle me rencontrerait, de venir les voir, « toutes griffes dehors », que cela lui ferait grand plaisir. Je n’y manquerai pas et sans attendre longtemps. Benda m’a toujours plu comme homme et comme écrivain et je n’ai pas changé121.

Dimanche 5 Juillet

Je ne suis toujours pas allé à la fête des Rosati, malgré l’invitation très aimable du Maire. Le vacarme de cette fanfare, je le disais chez le boulanger, ce matin, en achetant mon pain. Depuis 44 ans que je suis à Fontenay, c’est toujours le même air que j’entends jouer. Tous les clients présents ont été de mon avis. Même, l’un, plus avisé, a fait cette remarque : les musiciens ont beau changer, l’air reste le même. Ensuite, les invités de marque qu’on va chercher à la gare, « en fanfare », pour les amener à la Mairie et ensuite, le Maire en tête, et toujours « en fanfare », les mène au Parc communal où se tient la fête, et où l’entrée se fait aux accents de La Marseillaise, et tous ces gens marchent au pas militaire. J’aurais cependant bien voulu voir Paul Fort122, — personnage d’honneur cette fois-ci, — je trouve cela d’un grotesque sans borne. Et la nuée de photographes qu’il faut subir. Et les salutations de gens qui viennent à vous et auxquels on ne sait quoi répondre, moi, du moins. J’étais vraiment mieux chez moi, loin de toute cette bouffonnerie et de tout ce tintamarre.

Vendredi 7 août

Tout mon jardin est livré, depuis trois jours, pour l’établissement du chemin pour ma propriétaire, l’abattage des deux marronniers se trouvant à la porte d’entrée, l’élagage et l’abattage de tous les arbres se trouvant sur le tracé dudit chemin, à deux ouvriers, moitié bûcherons, moitié maçons (puisqu’ils doivent démolir le kiosque en ruines et la partie supérieure de mon hangar à bois de chauffage).

Après le passage des bûcherons

Jeudi 12 Novembre

Ma propriétaire n’a pas une bonne presse pour sa dévastation des lieux que j’occupe comme locataire depuis 44 ans. Elle ne l’a pas volé et je le lui ai dit moi-même. Comme un photographe de Paris-Presse-l’Intransigeant venait pour me photographier au milieu de ce chantier de démolitions et d’abattage des arbres, je lui ai dit : « Photographiez-la donc aussi. » Ce qui fut fait, et au bas de l’article accompagnant la photo, ces mots, dont je l’avais prévenue : La propriétaire de Léautaud et sa victime123.

Montage du titre du journal et de de la photo de la page dix

Il se trouve que de décembre 1950 à juillet 1951, pendant trente-neuf émissions, la France entière a entendu les entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet. Paul Léautaud est célèbre. Voici le texte de l’article :

Depuis deux jours. 20, rue Guérard, à Fontenay-aux-Roses, des ouvriers abattent les arbres. Au premier étage d’une bâtisse délabrée, dans une minuscule pièce enfumée, tapi dans un fauteuil défranchi, enveloppé d’oripeaux dépareillés, un vieil homme de 81 ans guette en bougonnant.

— C’est abominable, abominable, abominable ! La zone !

Puis il éclate de rire et le chat roux qui dort sur ses genoux lève une oreille distraite.

Ce vieil homme, c’est Paul Léautaud, dont la propriétaire a dévasté le jardin pour faire passer sa voiture. Le jardin ? C’était une forêt vierge ou, parmi les broussailles, il avait creuse de ses mains les tombes des animaux qu’il aimait.

— Moi qui me cache ici depuis 44 ans !

— Mais la radio vous a rendu célèbre. Dans votre rue J’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit : « Vous allez voir Léautaud ? II est effondré. Il y a des ouvriers chez lui »

— Des bûcherons ! Des bûcherons ! Heureusement je récupère le bois ! Hi !

C’est le bois frais qui brûle dans le poêle minuscule emplissant la pièce d’une acre fumer bleutée.

— Et pourquoi faire ? s’exclame Léautaud d’une voix pointue, pour que sa voiture puisse aller jusqu’à sa bicoque, cette sale bicoque en bois qui est au fond du jardin !

— Mais vous deviez déménager ?

— Déménager ? À mon âge ? Et puis on ne trouve rien… Tiens, voilà ma propriétaire, c’est une demoiselle, une Belge, allez donc la photographier ! Hi ! Hi !

Dans le jardin rasé une importante dame toute vêtue de violet donne des ordres aux ouvriers. Ici, c’est la réserve à bois de Léautaud que l’on a jeté bas pour la reconstruire, Ici c’est le chemin creusé dans la terre grasse, et là-bas, c’est la rue…

— J’ai voulu lui faire réparer sa masure, dit sa propriétaire. Il n’a rien voulu savoir. Ça fait quatre ans seulement qu’il est mon locataire. Il est bien gentil, mais c’est un homme terrible. Jusqu’à présent toutes les femmes ont eu peur de lui. Mais moi, Il ne me fait pas peur…

— Venez, lui crie Léautaud. Si vous voulez vous faire photographier avec moi, c’est le moment. Mais Je vous préviens, on mettra comme légende : « La propriétaire de Léautaud et sa victime ». Hi ! Hi ! sa victime ; sa victime ! sa victime !

J.-J. H.

1954

Vendredi 6 Août

Ce qui suit vaut d’être noté.

Le déboisement d’une moitié de mon jardin pour le passage d’un camion industriel et d’une automobile.

La construction d’une maison en bois, dans la partie de la propriété faisant suite à celle dont je suis locataire, et pour le passage des matériaux pour cette construction, les allées de mon jardin couvertes de pierres plates concassées que j’ai mis plus d’une année à enlever tant elles s’étaient mêlées à la terre des dites allées.

La grille d’entrée sur la rue démolie et remplacée par une porte en bois, en plusieurs parties, et en retrait de plus d’un mètre, où les automobiles de passage viennent abusivement se garer.

Un kiosque qui se trouvait dans une partie de mon jardin démoli, je ne sais en rien pourquoi, dont les gravats après deux ans sont encore sur le sol.

Un va-et-vient perpétuel de gens pour ma propriétaire logeant dans ladite maison en bois.

Ladite propriétaire, une Belge, énorme, gueulant plutôt que parlant, en vous envoyant des postillons, propriétaire d’une fabrique de brosses et de petits balais à pot de chambre, me dérangeant sans cesse dans mon pavillon pour me raconter, en répétant trois ou quatre fois les mêmes choses, des histoires sans aucun intérêt.

Actuellement, toute la journée, le bruit de coups de marteaux pour la construction d’un garage pour le camion industriel et l’automobile cités plus haut.

Voilà ce que m’a valu un changement de propriétaire, il y a 4 ans.

Je peux y ajouter ceci : le pavillon et jardin formant le numéro 26 de la rue, donc contigu à mon jardin de devant, occupé depuis plusieurs mois par un jeune ménage procréateur de cinq enfants qui gueulent, pleurent, se battent toute la journée et jusqu’à ce que ce soit la nuit complète.

1955

Dimanche 5 Juin

Fête des Rosati. Je me place de façon à éviter Mallet. À la sortie, il me rattrape et me tombe dessus.

Mercredi 8 juin

Également reçu hier une demande du maire de Fontenay d’un volume de moi avec signature, comme lot pour la tombola en faveur de la Caisse des Écoles et les enfants en vacances, ce dont je me fiche dans les grands prix.

Mardi 5 Juillet

Dans l’après-midi, appropriation de ma chambre à coucher par Mlle de Hoorn, ma propriétaire, et son commis Maurice.

On s’interroge…

Notes

Les notes continuent la numérotation des deux pages précédentes.

90 Allusion connue aux Brigands, opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach sur un livret d’Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, créé au théâtre des Variétés en décembre 1869 avec un considérable succès. Le premier acte, après le fameux air « J’entends un bruit de bottes, de bottes, de bottes… » se termine par le non moins excellent air des carabiniers : « Nous sommes les carabiniers, / La sécurité des foyers ; / Mais, par un malheureux hasard, / Au secours des particuliers / Nous arrivons toujours trop tard. »

91 Peut-être Lagane.

92 Peut-être flamand.

93 Charles-Henry Hirsch (1870-1948), poète, romancier et dramaturge, responsable, au Mercure, de la rubrique des Revues depuis 1898. En même temps qu’il était employé de banque jusqu’en 1907. C.-H. Hirsch est aussi un auteur de romans populaires ou naturalistes, comme son célèbre (à l’époque) Le Tigre et Coquelicot de 1905 chez Albin Michel, ou licencieux comme Poupée fragile, chez Flammarion en 1907. En 1910, il a été un des défenseurs des Fleurs du mal. Charles-Henry Hirsch est l’un des auteurs Mercure les plus prolifiques avec 792 textes, d’août 1892 à décembre 1939. Il est aujourd’hui essentiellement connu comme l’auteur du scénario du film Cœur de lilas (Anatole Litvak 1931) avec Jean Gabin. Voir, ici-même, la page « Monsieur Batule et ses amis ». On ne confondra évidemment pas Charles-Henri Hirsch avec son homonyme Louis-Daniel Hirsch, administrateur de la NRF.

94 Antonin Lanquine (1877-1955) épousera en octobre 1951 Désirée Marcellin la voisine de PL au 22, rue Guérard. Professeur à l’école Centrale en 1919 et à l’école spéciale d’architecture en 1921, maître de conférences à la faculté des Sciences de Paris en 1932, professeur sans chaire à la faculté des Sciences de Paris en 1934, directeur du laboratoire de Géologie structurale et appliquée à l’école pratique des Hautes Études en 1937, déclaré démissionnaire d’office par le gouvernement de Vichy en novembre 1941 et réintégré en octobre 1944, professeur honoraire en 1949.

95 Léonie Malliette, fruitière au 42, rue Boucicaut à Fontenay, qui sera citée de nombreuses fois, notamment le 23 février 1944. La brochure Sur les traces fontenaisiennes de Paul Léautaud op. cit. note 18, indique Malliette mais reproduit, page neuf, une facture où la graphie Maillette est employée, origine vraisemblable de la confusion de PL. David Descatoire, conservateur des archives de la ville de Fontenay-aux-Roses, dans une correspondance privée indique bien : « J’ai eu la même interrogation que vous : le nom orthographié sur la facture semble erroné. Le nom de famille est bien MALLIETTE (d’ailleurs les Fontenaisiens le prononcent tous “MA‑LLIETTE” et non “MAI‑LLETTE”). »

96 Graphie fautive mais courante chez PL.

97 Charles Léger (1880-1948), historien et critique d’art. Voir le _Journal li_ttéraire au 21 octobre 1945.

98 Nicolas de Condorcet (1743-1794), mathématicien, inspecteur général de la Monnaie de 1775 à 1791, secrétaire de l’Académie des sciences en 1776, secrétaire de l’Académie française en 1782. Homme politique, Nicolas de Condorcet est élu au conseil municipal de Paris en 1789 et fonde alors plusieurs journaux. Député de Paris en 1789, secrétaire de l’Assemblée nationale législative, député de l’Aisne en 1792. Le combat entre les Girondins et les Jacobins entraîne sa chute et un décret d’arrestation l’oblige à fuir.

99 La rue des Écoles de Fontenay a été renommé rue Jean Jaurès en août 1925. Au numéro sept se trouve de nos jours un immeuble moderne. Le renommage des rues de Fontenay sera plus intense à la Libération.

100 La brochure Sur les traces fontenaisiennes de Paul Léautaud (op. cit. notes 18 et 95) indique : « Progressivement entouré par les constructions modernes dans les années 1960, le 7 rue Jean Jaurès a été détruit en 1974. Seul le portail d’entrée a été sauvegardé et réinstallé à quelques mètres de son emplacement originel. »

101 Guy-Crescent Fagon (1638-1718), médecin. Après avoir pratiqué à l’Hôtel-Dieu, GCF a été nommé premier médecin du roi de 1693 à la mort de Louis XIV en 1715. C’est son oncle, le botaniste Guy de La Brosse (1586-1641) qui est le créateur du premier jardin médicinal de Paris. Guy-Crescent Fagon a fait agrandir ce jardin, qui est devenu en 1793 le Muséum d’histoire naturelle, plus connu de nos jours sous le nom de jardin des Plantes.

102 Ce portrait « officiel » par Maurice Quentin de La Tour (note au 23 janvier 1904)) est visible dans le charmant petit hôtel abritant le musée de la Vie romantique, rue Chaptal.

103 Paul Léautaud pense au portrait — un pastel — où le peintre, en veste bleue d’intérieur, de face, bras croisés peut-être sur une table, regarde le spectateur en souriant. Ce portrait est visible dans la page Ma pièce préférée.

104 L’affaire n’a pas eu de suite.

105 Ernest Leboucq (1867-1953), avoué près le tribunal civil de la Seine. Pour Marie-Thérèse Desforges née Leboucq, voir la note 114.

106 Léon Foy (1879-1943) a été maire de Fontenay de 1935 à sa mort. Il habitait au 30, rue Guérard, à l’angle de la rue de Châtenay, aujourd’hui rue d’Estienne d’Orves. L’endroit a été reconstruit dans les années 1970.

107 « Religieux appartenant à l’ordre de Saint-Jean-de-Dieu (portant ce nom par humilité). Par extension : religieux enseignant dans les écoles de la Doctrine Chrétienne (ainsi nommés par confusion ou par dénigrement). » TLFi.

108 Chronique sur La Maternelle, de Léon Frapié. Voir note 113.

109 Joseph Prat, né en 1872 comme Paul Léautaud, élu en 1935, reconduit en 1941 dans le corps municipal mis en place par le Gouvernement de Vichy, en même temps que le maire, Léon Foy. Joseph Prat, marié sans enfant est un ancien militaire. Paul Léautaud perd ici sa moquerie pour se montrer méchant, ce qui ne lui ressemble pas. Pour Joseph Prat, voir la brochure Fontenay-aux-Roses 1939-1945, la municipalité et la guerre, archives municipales de Fontenay-aux-Roses.

110 À la toute fin du XIXe siècle sont créées en France les grandes compagnies d’électricité. Au début du siècle cinq société se créent et se partagent la distribution dans la région parisienne, qui prendront les noms d’Est-Lumière, Ouest-Lumière, Nord-Lumière, Sud-Lumière et Nord-Est parisien. Sud-Lumière a été créée au début de 1907. En 1946 les 362 entreprises d’électricité existantes sur le territoire français seront nationalisées, ce qui a représenté un dédommagement important pour 1 400 000 actionnaires, petits et grands, à hauteur de 96,5 milliards de francs.

111 André Salel (1904-1934), aviateur. La famille ardéchoise d’André Salel s’était installée à Fontenay-aux-Roses. Après avoir effectué son service militaire dans l’aviation, André Salel est devenu mécanicien dans le civil, puis pilote et a été l’un des premiers à effectuer des vols sans visibilité, uniquement aux instruments. Il a battu plusieurs records, dont, en 1931, la plus courte durée du vol Paris-Tananarive, puis Paris-Le Cap l’année suivante. André Salel s’est écrasé dans son avion en flammes le 18 juin 1934 lors d’un vol d’essai d’un avion de combat Farman. La rue André Salel a pris son nom neuf jours plus tard. Au nord de Fontenay, elle est distante d’un kilomètre de la rue Guérard et éloignée des trajets habituels de PL.

112 Après avoir habité le numéro six, Léon Foy a déménagé au numéro 30 de la même rue, à l’angle de la rue de Châtenay, qui sera renommée rue d’Estienne d’Orves en novembre 1944. Ce renommage n’aura pas davantage l’agrément de PL.

113 Chronique du premier novembre 1920. Léon Frapié, La Maternelle, comédie en trois actes créée au théâtre Moncey, 50, avenue de Clichy (Léon Frapié habitait au 62). Cette pièce est une adaptation par Léon Frapié lui-même de son roman paru à la Librairie universelle, qui a obtenu le prix Goncourt en 1904.

114 Marie-Thérèse Leboucq (1896-1991) Fille d’Ernest Leboucq objet de la note 105, a épousé en 1920 à Fontenay-aux-Roses, Jean Desforges.

115 Les « prochains événements possibles » sont ceux liés à la fin de la guerre — qui ne faisait plus de doute en mars 1944 — donc au retour des prisonniers, et à de nombreux bouleversements plus ou moins prévisibles.

116 Ce texte de Lucien Rebatet qui signait ses chroniques cinématographiques sous le nom de François Vinneuil traite essentiellement de l’adaptation au cinéma, par Jean Anouilh lui-même, de sa pièce Le Voyageur sans bagage de 1937, avec (dans le film) Pierre Fresnay et Pierre Renoir. Le film est sorti l’avant-veille, 23 février. Ce n’est qu’incidemment que François Vinneuil évoque Le Théâtre de Maurice Boissard.

117 Le Petit-Clamart est un lieu-dit situé à treize kilomètres au sud-ouest du périphérique, surtout connu pour être le lieu d’un attentat de l’OAS contre Charles de Gaulle en août 1962.

118 Joseph Yoyotte, 126, rue Boucicaut.

119 Une Mademoiselle de Hoorn, présentée comme Belge par PL et comme Hollandaise dans le documentaire Les Bonnes adresses du passé diffusé le deux février 1970 et une Madame Turpin, veuve d’un militaire.

120 Julien Benda (1867-1956), critique et philosophe a publié La Trahison des Clercs Grasset en 1927, son ouvrage le plus connu. Julien Benda a été dans les années 1930, une des figures intellectuelles les plus respectées de la gauche antifasciste. Julien Benda a été pressenti à quatre reprises entre 1952 et 1955 pour recevoir le prix Nobel de littérature. PL et Julien Benda se fréquenteront régulièrement tout au long de leurs vies.

121 Lire le compte-rendu de cette visite à Julien Benda dans le Journal littéraire au quatorze juillet.

122 Paul Fort (1872-1960), poète et auteur dramatique, créateur du Théâtre d’Art (futur théâtre de l’Œuvre) au côté de Lugné Poe. Les premiers poèmes de Paul Fort sont parus dans le Mercure en 1896. En 1905, Paul fort a lancé la revue Vers et prose aux côtés de Jean Moréas et d’André Salmon. Suite à un référendum dans des journaux, Paul Fort a été élu « Prince des poètes » en 1912. Son neveu, Robert Fort (1890-1950), a épousé en 1911 Gabrielle Vallette (1889-1984), la fille de Rachilde et Alfred Vallette.

123 _Paris-Presse, L’Intransigean_t du six novembre 1953, dixième et dernière page.