Programmes jeunesse à la télévision française – Publictionnaire (original) (raw)

À l’inverse du reste du public, « les jeunes », sont envisagés par les professionnels de la télévision française – qu’ils soient responsables de programmes, chargés d’études, producteurs, réalisateurs ou encore scénaristes – comme une population particulière, caractérisée à la fois par des pratiques et des besoins spécifiques relatifs à l’âge et à la génération dans laquelle ils s’inscrivent. Ainsi la catégorie « jeunesse » est-elle construite et saisie à partir du regard et des représentations produites par les adultes, contribuant à la perception d’un public aussi « impalpable » que vulnérable (Poels, 2013 ; Pecolo, 2015). De plus, la jeunesse est toujours historiquement et socialement située, et définie à travers les évolutions sociotechniques relatives aux médias audiovisuels. Ainsi les représentations de la jeunesse, qui évoluent tout au long de l’histoire de la télévision française, ont-elles une incidence sur la place accordée aux publics jeunes dans l’économie générale du média, sur la segmentation des cibles et la programmation, ainsi que sur le contenu des émissions elles-mêmes.

Évolution de l’offre jeunesse au sein du paysage audiovisuel français

Dès 1949, et le lancement de la Radiodiffusion-télévision française (RTF), les professionnels de la télévision s’inspirent de la segmentation déjà opérée par médias traditionnels comme la radio, la presse ou le livre, en proposant une programmation spécifique destinée aux enfants. Celle-ci est prise en charge par des services dédiés, communément qualifiés de « services jeunesse », le terme jeunesse désignant à la fois une catégorie de public et une catégorie de programmes. Ces services, bien que bénéficiant d’appellations variables, sont présents dès les débuts de la RTF. Le réalisateur et scénariste Bernard Hecht (1917-1999) est le premier à assurer, de 1949 à 1952, la charge de ce service alors nommé « Service des enfantines », avant que le réalisateur William Magnin (1916-2007) n’assure sa succession jusqu’en 1961. Ce dernier prête un intérêt particulier à l’adéquation entre les émissions diffusées et le public auquel elles sont destinées. Pour cela, il met notamment en place des systèmes de caméras clandestines « discrètement placées dans une pièce où les enfants regardent la télévision » (Baton-Hervé, 2000 : 44), des tests d’émission auprès des publics visés, et développe les enquêtes auprès des jeunes téléspectateurs. Pierre Mathieu succède à W. Magnin et assure la responsabilité de la jeunesse jusqu’en 1972, rebaptisant le « Service des enfantines », « Service des émissions pour la jeunesse ». Alors que la première appellation insiste sur le type de programmes proposés, la seconde désigne leur public idéal, ce qui sera également le cas pour les appellations suivantes (par exemple « Direction des programmes de la jeunesse » sur TF1 de 1975 à 1987, ou « Unité jeunesse » sur France 2, de 1996 à 2014). C’est durant cette période qu’est lancée la deuxième chaîne et le premier programme jeunesse en couleur, une émission quotidienne intitulée Colorix (1967-1973). Jacqueline Joubert (1921-2005) succède alors à P. Mathieu et prend les rênes d’un service commun aux désormais trois chaînes publiques.

À la suite de l’éclatement de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) en 1974 :

Au début des années 1980, la chaîne ouvre ses antennes le matin et étend son offre jeunesse à ces nouvelles cases. Ainsi, le volume horaire des programmes jeunesse s’est considérablement élargi depuis les années 1950, allant de 110 heures annuelles, à environ 500 heures en 1979, et à plus de 4 450 heures sur les chaînes nationales hertziennes en 1990 – sans compter 5 000 heures sur la chaîne câblée Canal J (Baton-Hervé, 2000 : 134). Cette expansion rapide du temps de diffusion des programmes jeunesse s’accompagne dans les années 1980 de la hausse des achats de programmes étrangers, notamment japonais, qui bénéficient d’un coût particulièrement attractif et d’un stock d’épisodes important. Cependant, cet élargissement des plages de diffusion, et l’inflation du volume d’achats de programmes étrangers qu’il entraine, remettent en cause, du point de vue des pouvoirs publics notamment, la qualité de l’offre proposée, y compris pour les chaînes publiques. Érik Neveu déplore notamment les effets négatifs de l’élargissement de l’audience sur la variété des programmes proposés et leurs objectifs pédagogiques, notamment sur FR3. Selon le politiste et sociologue, les modifications du paysage audiovisuel à cette période conduisent à un « affadissement des contrastes » entre les chaînes (Neveu, 1988 : 48). C’est dans ce contexte qu’en 1989, Catherine Tasca, alors membre de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL, ancêtre de l’ex-Conseil supérieur de l’audiovisuel) et ministre déléguée chargée de la Communication, entend redéfinir le rôle du service public et relancer la production de programmes français destinés à la jeunesse. Les débats relatifs aux besoins de jeunes en tant que public particulier ont ici une résonnance directe dans les discours portant sur l’évolution de la production et de programmation. Dans ce cadre, le gouvernement conduit une politique volontariste vis-à-vis de la production de programmes français destinés à alimenter les plages horaires des chaînes publiques, en déployant notamment un fonds de soutien aux programmes jeunesse de 90 millions de francs en 1989 et 1990. Les chaînes bénéficient de ce fait d’une augmentation de leur volume de commandes et investissent davantage dans la production et le développement de coproductions internationales faisant de l’animation « le fer de lance » des chaînes françaises (Corset, Meissonnier, 1992 ; Baton-Hervé, 2000).

De leur côté, les chaînes privées contribuent largement à l’intensification de la concurrence sur le front des programmes jeunesse tout au long des années 1980. C’est particulièrement le cas de TF1, privatisée en 1987. La fin des années 1980 est notamment marquée par le départ de Frédérique Hoschedé (Dorothée) d’Antenne 2 pour la chaîne concurrente privée, qui diffusera pendant dix ans le Club Dorothée, produit par AB Productions. Cette émission et les programmes qu’elle diffuse sont à l’origine de nombreux produits dérivés, dont les ventes représentent une source de revenus substantielle pour la chaîne, multipliant les annonceurs. Pendant cette période, Dorothée assure en plus de la présentation de son émission la responsabilité du service jeunesse de TF1. Le succès remporté par l’émission semble durablement déstabiliser les chaînes concurrentes. Pendant les dix années d’existence de l’émission, ces dernières verront leurs responsables et leurs programmes se succéder, témoignant d’une incapacité à concurrencer le Club Dorothée. Le début des années 1990 est ainsi principalement marqué par l’offre de TF1 et AB productions, proposant à la fois des fictions animées et de nombreuses séries en prises de vue réelles comme Premier baiser (1991-1995) ou Hélène et les garçons (1992-1994), et les tentatives de la deuxième chaîne de les concurrencer.

« Pendant la pub du Club Dorothée : “Georgie, c’est le 1er épisode ?” ». Source : Génération Club Do sur Youtube.

Toutefois l’offre jeunesse ne se limite pas à ces deux chaînes. Au début des années 1990, La Cinq, alors privée, consacre également de nombreux créneaux à la jeunesse en proposant une gamme de programmes semblable à celle de TF1, c’est-à-dire composée de nombreuses séries animées japonaises, mais également de jeux tels que Babylone (1991) ou Pas de Panique (1991). Parallèlement, les émissions jeunesse, principalement les dessins animés, occupent une place importante dans les grilles des France 3, Canal+ et M6. Les années 1990 constituent ainsi une décennie particulièrement faste en termes de volume de programmes et de diversification des genres et des formats destinés aux enfants et aux adolescents.

Au tournant des années 2000, le paysage audiovisuel se transforme progressivement. Plusieurs directions sont renouvelées entraînant l’annulation d’émissions emblématiques. C’est le cas chez TF1 où Dominique Poussier remplace Dorothée à la direction des programmes jeunesse et lance une nouvelle marque, baptisée TF ! (1997-2006) proposant majoritairement des dessins animés. Sur France 2, Sophie Gigon remplace Rachel Khan à la tête de l’unité jeunesse et renouvelle le concept de l’émission La planète Donkey Kong (1996-2001), destinée aux adolescents, avec KD2A (2001-2009) tout en conservant la même cible.

Générique KD2A. Source : laurylll sur Youtube.

En 2000, La Cinquième est renommée France 5 et lance une nouvelle marque de programmes jeunesse Les Zouzous (1999-2019), cette fois-ci destinée aux très jeunes enfants. En 2002, sur France 3, Les Minikeums (1993-2002), une tranche horaire animée par des marionnettes, s’arrête également après neuf ans de diffusion, laissant place à TO3 (2002-2004), la nouvelle marque jeunesse de la chaîne. Deux autres marques lui succèderont avec des concepts relativement proches : France Truc (2004-2006) et Toowam (2006-2009). Canal+ et M6 maintiennent leurs émissions emblématiques, majoritairement composées de dessins animés avec ça cartoon (1986-2009) pour la première et M6 Kid, diffusée depuis 1992, pour la seconde.

« France 5 – Les Zouzous ». Source : Génération Télévision sur Youtube.

« France 3 – Toowam ». Source : Génération Télévision sur Youtube.

Ce changement de décennie est ainsi caractérisé à la fois par un renouvellement des programmes et par une certaine constance dans la complémentarité entre l’offre destinée aux enfants et celle destinée aux adolescents, notamment en ce qui concerne le service public.

En 2005 un changement important, relatif au développement de la TNT en France, est néanmoins opéré au sein au paysage audiovisuel. Dans un contexte d’élargissement et de thématisation de l’offre (par exemple, avec le développement de chaînes d’information ou de sport), deux chaînes destinées à la jeunesse sont lancées successivement : France 4 (Groupe France Télévisions) le 31 mars, puis Gulli (Groupe Lagardère et France Télévisions) le 18 novembre. Contrairement aux diffuseurs traditionnels, ces deux nouvelles chaînes disposent d’une grille entièrement dédiée à la jeunesse et à la famille. Bien que les chaînes du câble offrent d’ores et déjà des opportunités de programmation semblables, France 4 et Gulli sont gratuites et progressivement accessibles sur l’ensemble du territoire en diffusion hertzienne et via les « box TV » des opérateurs internet. Ainsi en 2005 le volume de programmes jeunesse disponibles au sein du paysage audiovisuel français est-il à nouveau largement étendu. Ce n’est cependant pas le cas du volume de programmes destinés aux adolescents et jeunes adultes, qui lui, diminue, la fin de cette décennie se caractérisant par un recentrage de l’offre jeunesse sur l’enfance. Chez France Télévisions, Julien Borde prend la tête en 2009 d’un nouveau pôle commun aux émissions jeunesse du groupe qui se concentre sur ce public.

La décennie suivante demeure caractérisée à la fois par cette adresse quasi exclusive aux enfants et aux familles, ainsi que par le développement de ces chaînes et un resserrement des cases jeunesse sur les chaînes historiques. En 2018, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, remplacé depuis 2022 par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [Arcom]) constate que malgré un volume de programme conséquent, l’offre jeunesse est peu diversifiée et majoritairement composée de programmes d’animation visant les enfants de moins de 12 ans (CSA, 2018 : 50). Les chaînes historiques restreignent en effet leur offre à des dessins animés diffusée dans leurs cases matinales. Ainsi, bien que le CSA relève une nette progression de l’offre d’animation depuis 2008, celle-ci est-elle principalement le fait de France 4 et de Gulli.

Ces offres de programmes jeunesse ne se limitent plus à une émission, mais à un catalogue de programmes regroupés sous différentes marques déclinées et circulant dorénavant sur les plusieurs chaînes et plateformes numériques des groupes audiovisuels. Les mutations du secteur télévisuel conduisent en effet à un élargissement de l’offre notamment par le développement de programmes labelisés « en vue de leurs valorisations à venir sur les marchés de la SVOD [Services de vidéo à la demande] » (Lafon, 2021 : 72). Concernant TF1, TFOU est à la fois le créneau horaire proposé le matin sur la chaîne linéaire, une application mobile lancée en 2014, un service de SVOD lancé en 2015. France Télévisions décline, quant à elle, sa marque Ludo (2009-2019) sur France 3, France 4 et France 5, ainsi que sur un portail internet et une chaîne YouTube. Puis, le groupe public lance successivement trois marques : France TV Slash en 2018, une plateforme web destinée aux adolescents et jeunes adultes ; puis en 2019 deux offres complémentaires de contenus destinés aux enfants : Okoo, qui remplace Ludo et propose des programmes de divertissement ; Lumni qui propose des programmes éducatifs. Chacune de ces offres implique une plateforme en ligne, ainsi qu’un catalogue de programmes circulant sur les différentes antennes du groupe.

« TFOU MAX : du divertissement en illimité pour les 3-8 ans ! ». Source : TFOU sur Youtube.

L’offre qui s’est structurée autour des différentes unités jeunesse entre l’éclatement de l’ORTF en 1974 et l’arrivée de la TNT en 2005 – bien que majoritairement destinées aux enfants – est désormais éclatée sur différents canaux, à la fois traditionnels linéaires, et numériques délinéarisés en fonction des cibles auxquelles les programmes s’adressent : globalement, les programmes produits et/ou diffusés à l’initiative des services jeunesse, et bénéficiant d’une programmation linéaire, s’adressent davantage aux enfants voire aux préadolescents, tandis que les programmes destinés aux adolescents et jeunes adultes sont déplacés sur les portails numériques des groupes.

Des catégories d’âge hétéroclites : de la petite enfance aux jeunes adultes

Les cibles par catégories d’âges sont très variables en fonction des périodes. Durant les années 1970, on observe par exemple une distinction entre les enfants de 3 à 7 ans, et les jeunes de 8 à 14 ans. Dans les années 1990, alors que Sabine Chalvon-Demersay et Paul-André Rosenthal (1998 : 133) soulignent le manque de finesse des découpages par âges, les sociologues concèdent cependant une « certaine subtilité en ce qui concerne la population enfantine […] séparée en deux catégories (4-10 ans et 11-14 ans) et différenciée sexuellement (garçons et filles) », contrairement aux personnes âgées de plus de 60 ans qui sont indifférenciées.

Associé à l’extension de la jeunesse, l’essor de la télévision commerciale semble avoir amplifié ces distinctions entre catégories de « jeunes », auxquels les professionnels n’attribuent ni les mêmes disponibilités, ni les mêmes goûts, ni les mêmes besoins. Le ciblage des publics jeunes repose majoritairement sur l’étendue de la pluralité des âges composant la jeunesse, allant de la petite enfance aux jeunes adultes. D’ailleurs, ceci ne concerne pas uniquement la télévision mais une grande partie des offres culturelles à destination de la jeunesse. Agnès Pecolo (2015) relève notamment les exemples « des cibles pré-adolescentes (les tweens du marketing) et post-adolescentes (avec l’irruption de la littérature Young adult) », tandis qu’Émilie Mondoloni (2010) étudie les publics préscolaires de la télévision.

Les cibles établies par les professionnels correspondent généralement aux temporalités de la vie scolaire. Par exemple, on trouve les préscolaires (3-6 ans), qui correspondent aux enfants allant à l’école maternelle, la cible 8-10 ans qui correspond aux enfants allant à l’école élémentaire, les 12-15 ans au collège etc. On observe ainsi la construction de catégories associées à différentes étapes instaurant une forme de périodisation institutionnalisée de la jeunesse (Mauger, 2015 : 76). Ces sous-catégories constituent des cibles plus fines pour les programmateurs, qui ne peuvent s’adresser de la même façon à un enfant de 6 ans et à un adolescent de 14 ans puisqu’en fonction de leur âge et de leurs activités, les jeunes ne sont pas supposés avoir les mêmes compétences, les mêmes attentes, ni les mêmes besoins. De plus, les professionnels ont bien conscience que les enfants plus âgés, et à plus forte raison les adolescents, ne souhaitent pas nécessairement être associés aux publics les plus jeunes (Pasquier, 1999).

La programmation a aussi un rôle à jouer dans ce cadre, et cette segmentation par tranches d’âges restreintes est évoquée dès la fin des années 1960 pour structurer les plages horaires de façon appropriée aux âges des jeunes. Ce mode de programmation par tranches d’âge constitue progressivement l’une des normes relatives à la programmation des émissions jeunesse. Au sein des plages relativement larges, en particulier lors des jours de congés scolaires, les diffuseurs choisissent de programmer les émissions par tranche d’âge successives, par exemple, « les séquences du début de l’après-midi s’adressent plus particulièrement aux tout-petits ; plus avant dans l’après-midi, le programme s’adresse d’avantage aux jeunes enfants, puis aux adolescents » (Mousseau, 1979 : 45). Par conséquent, la programmation se fonde sur les représentations des habitudes d’écoute des jeunes et de leurs comportements en fonction de leur âge. Durant les années 1990, l’équilibre de la programmation s’opère ainsi entre concurrence et complémentarité. Jusqu’en 2010 chez France Télévisions, chaque chaîne est ainsi responsable d’une cible spécifique : France 5 s’adresse aux 2-7 ans, France 3 aux 7-12 ans et France 2 aux 13-18 ans.

Plus récemment, les unités jeunesse sont regroupées autour d’une cible restreinte aux enfants, et les adolescents, perçus comme peu intéressées par la télévision traditionnelle, ne sont plus présentés comme destinataires des émissions sélectionnées ou produites par ces services. L’arrivée de France 4 et sa stratégie visant à fédérer la famille ne vient pas contredire ce constat. Depuis son lancement, la chaîne a oscillé entre enfance, adolescence et famille. Les stratégies des chaînes privées sont assez semblables. Le choix d’une cible large, de 4 à 10 ans, est également effectué à la fin des années 1990 chez TF1, dont la directrice des programmes souhaite privilégier une cible d’enfants la plus large possible.

Ces évolutions pointant la difficulté à fédérer des tranches d’âges diverses, mettent en évidence le travail de fragmentation et de ciblage opéré lorsqu’il s’agit de programmer des émissions jeunesse, alors même que les professionnels témoignent d’une grande réticence à fragmenter les cibles des programmes généralistes. Ils reconnaissent ainsi une forme d’hétérogénéité des publics jeunes, liée à l’âge dans la mesure ou leurs emplois du temps, leurs centres d’intérêt et leurs besoins évoluent au fil du temps.

Des programmes « adaptés » à leurs publics

Dès la RTF, les programmateurs estiment que la télévision possède un rôle d’accompagnement auprès des jeunes. Ce rôle se caractérise de plusieurs façons mais demeure dans un premier temps étroitement lié aux trois fonctions principales de la télévision : informer, éduquer, distraire. D’emblée imaginée comme un média éducatif (Marty, 2013), la télévision grand public, et à plus forte raison la télévision enfantine des années 1950 et 1960, est caractérisée par cette dimension présentée comme centrale. Les premiers programmes jeunesse proposent régulièrement des rubriques sur les sciences (Télévisius, 1949-1953 ; Pile ou face, 1954-1957) ou l’actualité (Martin et Martine, 1953-1957 ; Pile ou face, 1954-1957). Plusieurs magazines traitent plus spécifiquement des arts et de la littérature (Pic et pic et colegram, 1955-1961 ; Livre mon ami, 1958-1968 ; Au galop à travers le temps, 1962-1963). On relève également les émissions de Claude Santelli (1923-2001) comme Livre mon ami (1958-1968) ou Théâtre de la jeunesse (1960-1968) qui ont pour ambition de proposer des programmes éducatifs aux jeunes et à un public populaire (Poels, 2015 ; Pierre, 2023). Cependant, les programmateurs tentent de trouver un équilibre entre éducation et divertissement, puisque la majorité de ces émissions ont également vocation à distraire.

En revanche, ce caractère divertissant est bien moins présent pour les adolescents qui se voient majoritairement proposer des magazines portant sur des sujets dits « de société ». On relève par exemple Le Magazine international des jeunes (1956-1969), L’Avenir est à vous (1960-196) ; Seize millions de jeunes (1964 – 1968), Zoom (1965-1968), Forum Jeunesse (1968-1969), Regard sur les jeunes (1969-1972). Ces émissions traitent de sujets relatifs à la variété des situations et des expériences vécues lors de la jeunesse afin de permettre aux téléspectateurs de se questionner sur leur situation sociale, culturelle ou familiale. La télévision propose de mettre en avant l’expérience de la jeunesse dans un souci d’information pour accompagner l’entrée dans l’âge adulte de ces téléspectateurs (Levy, 1994 : 2). Hormis quelques programmes musicaux, l’aspect distractif, est donc moins présent pour cette catégorie du public.

À la suite de l’éclatement de l’ORTF et de la libéralisation du marché audiovisuel, cette vision du rôle de la télévision, notamment comme vecteur de transmission de la culture légitime, tend à se modifier. Alors que les objectifs des émissions jeunesse des années 1950 pourraient être qualifiés de de la façon suivante : « éduquer en divertissant », à partir du milieu des années 1970, même si la mission éducative n’est pas abandonnée, ces objectifs peuvent être envisagés à l’inverse : « divertir en éduquant ». L’importance accordée au divertissement constitue désormais un mouvement de fond pour l’ensemble de la télévision et devient central dans l’adresse aux jeunes. La télévision n’est pas faite pour tenir le rôle de l’école et doit proposer un spectacle – de qualité, certes. Ces programmes divertissants doivent ainsi intégrer des préoccupations d’éveil et d’initiation et bien que cette volonté manifestement éducative soit toujours mobilisée, il est possible d’observer un glissement « de la culture légitime à la culture populaire » dans l’évolution des programmes jeunesse (Neveu, 1988 : 48). En dans un rapport paru en 1989, C. Tasca estime que la télévision « remplace à la maison tout à la fois la lecture, la “baby sitter”, l’étude surveillée, le centre de loisirs, la colonie de vacances et le “alors grand-mère, raconte” et bénéficie d’une “mission d’intérêt général” », témoignant d’une forte volonté institutionnelle d’ériger le poste de télévision en outil incontournable dans l’ensemble des apprentissages relatifs à la jeunesse. À la même période, les jeux et les émissions de variété font progressivement leur entrée dans le domaine de la jeunesse. La dimension pédagogique ou éducative des programmes est désormais rejetée – sur le plan sémantique tout du moins – par certains producteurs d’émissions jeunesse, qui préfèrent par exemple parler de « découverte » ou d’« enrichissement » (Ferrandery, 2022 : 269).

Cette approche prônant l’équilibre entre divertissement, enrichissement et incitation, se poursuit durant les années 1990, reconfigurant l’idéal d’une télévision centrée autour de la transmission des savoirs scolaires prônée dans les années 1950 et 1960. Les années 1990 laissent également entrevoir un premier découpage, renforcé depuis par le développement du numérique, entre une offre ludique et divertissante, et une offre éducative et culturelle. En quelque sorte, ces missions sont réparties parmi les différents canaux, notamment à partir de 1994 et du lancement de La Cinquième, « la Télévision du savoir, de la formation et de l’emploi », partageant son canal avec Arte. Plus récemment, le développement des plateformes numériques permet aussi aux chaînes – publiques principalement – de distinguer une offre décrite comme ludique et une offre éducative. Depuis 2008, France Télévisions a lancé successivement trois portails éducatifs – Curiosphère en 2008, destiné aux éducateurs, France TV éducation en 2012, puis Lumni en 2019 –, destinés à la fois aux éducateurs, aux jeunes et à leurs parents. Le numérique permet ainsi de divertir et d’éduquer au sein d’espaces distincts.

« Bienvenue sur Lumni ! ». Source : Lumni sur Youtube.

La création d’espaces de programmation explicitement réservés à la mission éducative de la télévision n’empêche pas les créateurs d’envisager leur travail à destination de la jeunesse, y compris pour le compte de chaînes privées, dans une perspective d’accompagnement. À partir des années 1990 et jusqu’à la période actuelle, cet accompagnement de la jeunesse dans la vie quotidienne s’opère majoritairement par le biais de la fiction (Pasquier, 1999). Aux séries collège des années 1990 sur TF1 vont se succéder de nombreux titres, bénéficiant de moyens, de formats et d’origines variées, laissant apparaitre une grande constance dans la promotion de programmes présentés comme réalistes et utiles aux jeunes. Même si les professionnels tentent – toujours – de se distancier d’un discours faisant la promotion des objectifs pédagogiques que pourraient supposer ces programmes, les caractéristiques mobilisées pour désigner un bon programme pour la jeunesse sont assez semblables avec les arguments des producteurs des années 1970 : celui-ci doit correspondre à la vie des jeunes, et en ce sens être réaliste, les divertir, tout en les élevant intellectuellement (Ferrandery, 2022). Bien que les professionnels ne souscrivent pas systématiquement, ou totalement, à cet impératif éducatif, qui est parfois présenté comme rébarbatif, ils ne le remettent jamais totalement en question et l’estiment utile – voire incontournable – dans la majorité des cas.

Au-delà du programme, dont l’aspect divertissant est une porte d’entrée vers le public, la télévision se positionne comme une instance nécessaire dans les différentes formes d’apprentissage – non scolaires – des jeunes, enfants et adolescents.

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