35 heures (original) (raw)
« Quel que soit l’être de chair et de sang qui vient à la vie, s’il a figure d’homme il porte en lui le droit humain » : si cette citation de Jaurès figure en permanence dans la colonne de gauche de ce blog, c’est qu’elle fonde finalement tout mon engagement, depuis des décennies maintenant, au sein du Parti socialiste auquel j’ai adhéré en mars 1986. Les droits humains… c’est-à-dire ceux qui sont inhérents à l’homme, qu’on ne peut lui ôter, dont on ne peut le priver, qui lui sont propres et pour toujours. Les droits humains ont d’abord été une conquête morale avant d’être officiellement et internationalement reconnus. Et quels sont-ils ? Oh… pardon d’être rabat-joie dans l’ambiance actuelle, et désolé de rappeler qu’ils constituent une base morale et éthique que la société considère nécessaire de respecter pour protéger la dignité des personnes. Des bêtises : droit d’être traité dignement, d’être respecté… Des éléments qui ont trait au travail, et qu’on trouve par exemple dans les articles 23 et 24 de la la déclaration universelle des droits de l’homme, qui rappellent ceci : « _toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ; toute personne a droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal ; quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale ; toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques_«
Et c’est au nom de ces droits humains que toutes les conquêtes sociales ont été obtenues, la plupart du temps après de rudes combats : le décret du 2 mars 1848 qui limite la durée de travail journalière des adultes à 10 heures, la loi du 25 mai 1864 qui établit le droit de grève, le droit syndical en 1884, la durée maximum de travail limitée à 10 heures pour tous y compris les enfants en 1910… et puis, et puis bien sûr le Front populaire, les congés payés, la semaine de 40 heures, les conventions collectives, le SMIG (futur SMIC) en 1950, la 3ème semaine de congés payés en 1956, la 4ème avec De Gaulle, la 5ème avec Pierre Mauroy en 1982, et puis Martine Aubry en 1998 et 2000 avec les 35 heures, la CMU… et j’en oublie sûrement.
Et puis il y a bien sûr tout ce contre quoi je me suis battu avec tous mes camarades socialistes pendant des années (oui… à l’époque nous étions tous d’accord) : la limitation ou le contournement du droit syndical, l’idéologie libérale du toujours plus, la volonté de démonter le code du travail , d’allonger la durée du travail, de limiter la protection des travailleurs, des ouvriers… en gros tout ce qui fonde aujourd’hui, hélas, le projet de loi El Khomry ! Je suis révulsé à l’idée que c’est un gouvernement socialiste qui propose de faire travailler les apprentis mineurs jusque 10 heures par jour, c’est-à-dire de retourner en 1910 ; qu’on prévoit de limiter le pouvoir d’appréciation des juges sur les licenciements économiques ; qu’on envisage de limiter drastiquement les indemnités en cas de licenciement abusif (les salariés deviendront ainsi une simple variable d’ajustement des profits, et le licenciement abusif une méthode même plus sanctionnée), qu’on triture les textes pour faciliter les licenciements et revenir sur les 35 heures etc… etc… hélas encore.
Et puis il y a cette tentative de culpabilisation à l’encontre de tous ceux – très très très nombreux dans ce pays et c’est une excellente chose – qui s’opposent avec force à ce projet de loi : nous serions à côté de la plaque, nous ne comprendrions pas que face à un monde qui bouge à une vitesse folle il faut accompagner le mouvement, que la modernité ne peut pas s’embarrasser de l’attachement à de vieux concepts dépassés… Vieux concepts dépassés ? Dépassée l’idée que plus que jamais, dans un monde où triomphe l’idéologie libérale, les salariés ont besoin d’être protégés, et même peut-être plus qu’avant ? Dépassée l’idée que les salariés sont ceux qui font vivre les entreprises ? Dépassée l’idée que la notion de conquête sociale à fait avancer le monde du travail ? Dépassée l’idée que les salariés les plus faibles, les plus fragiles, ne sont pas destinés à devenir la chair à canon de la bataille libérale que se livrent les grands groupes ? Dépassée l’idée que l’ambition pour le peuple passe par la défense du peuple ? Dépassé l’idée selon laquelle les parlementaires ne sont pas des marionnettes, qu’il sont le droit de débattre d’un texte sans qu’on leur explique qu’ils devront subir un passage en force si par malheur ledit texte ne leur plaisait pas ? OK… alors je suis extrêmement dépassé. Mais je le resterai. Mais qu’est-il arrivé à tous ces camarades qui nous ont rebattu les oreilles pendant des années avec des slogans comme « la parole aux militants » ou « retour à la base », et qui aujourd’hui se sentent « rassurés » par la lecture du texte d’El Khomry, et préfèreraient de pas s’exprimer de manière trop claire en raison d’un impératif besoin de solidarité avec le gouvernement. Solidarité : c’est-à-dire accord, empathie, défense ? Dans un passé récent, ils auraient hurlé avec nous dans la rue, et aux premiers rangs s’il vous plaît… si tout cela avait été proposé par la droite, comme elle aurait pu le faire (ré-écoutons l’interview de Copé sur France Inter il y a quelques jours, qui ne disait pas autre chose). J’ai parfois du mal à comprendre, ou à trop bien comprendre.
Voilà pourquoi j’ai signé ce texte, des deux mains : http://sortirdelimpasse.fr/2016/02/23/sdfggsdfg/
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