Céline Spector | Sorbonne Université (original) (raw)
Rousseau by Céline Spector
This contribution will focus on the reading outlined in Rawls’ Lectures on the History of Politic... more This contribution will focus on the reading outlined in Rawls’ Lectures on the History of Political Philosophy, given to Harvard undergraduates between the second half of the 1960s and the second half of the 1990s, and more precisely on the final version (1994) edited by Samuel Freeman in 2007. In these synoptic courses, covering the period from Hobbes to Marx (taking in Locke, Hume and Mill and a few variants), Rawls ventures a bold interpretation of Rousseau in terms of “realistic utopianism”. The Social Contract’s well-ordered society is not a mere utopia but a “realistic” one. Following Judith Shklar, his colleague and friend at Harvard, Rawls denies the opposition between “realism” and “utopianism”. But contrary to her, he insists on the procedural dimension of Rousseau’s theory of justice. The result is a Kantian reading of the Second Discourse combined with an ultra-rationalist interpretation of the general will in The Social Contract, which in the end lay some of the conceptual foundations for A Theory of Justice.
Rousseau joue un rôle de tout premier ordre dans l’œuvre de Charles Taylor. En faisant de l’auteu... more Rousseau joue un rôle de tout premier ordre dans l’œuvre de Charles Taylor. En faisant de l’auteur du second Discours un maillon fort de l’histoire de la philosophie, entre Hobbes et Hegel ou Marx, Charles Taylor donne une nouvelle assise à sa théorie du « malaise de la modernité ». Rousseau sert ici de caution et d’autorité privilégiée : ayant mis à jour les idéaux modernes d’autonomie, d’égale dignité et d’authenticité, il donne le ton d’une critique moderne de la modernité. Selon la belle formule des Sources du moi, l’auteur du Contrat social et d’Émile est l’inventeur de l’authenticité et l’apôtre de l’autonomie. Pourtant, Rousseau ne peut être suivi jusqu’au bout, car il participe, plus qu’il ne l’avoue, des pathologies de la modernité. Selon Taylor, la liberté autodéterminée dont le Contrat social déploie la théorie risque toujours de s’échouer dans un univers vide de sens, absurdement sécularisé. L’autonomie démocratique conçue par le truchement de la « volonté générale » s’abîme dans une société homogène, négatrice des différences et des hiérarchies. Cette contribution entend donc mesurer la portée de la lecture taylorienne de Rousseau : le prix herméneutique et politique n’en est-il pas trop fort ?
Rousseau et la problématique des « relations externes » des États La question des relations inter... more Rousseau et la problématique des « relations externes » des États La question des relations interétatiques semble à première vue former, dans la pensée de Rousseau, une zone aveugle. Cette introduction est destinée à présenter les Principes du droit de la guerre (désormais reconstitués) ainsi que les Ecrits sur le Projet de paix perpétuelle de l'abbé de Saint Pierre.
L’Extrait du Projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint-Pierre est un texte singulier de Ro... more L’Extrait du Projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint-Pierre est un texte singulier de Rousseau, dans lequel la part de sa contribution propre demeure difficile à évaluer. Dans quelle mesure Rousseau suit-il Saint-Pierre, dans quelle mesure tente-t-il, dans l’Extrait, d’éclaircir la pensée de celui-ci, d’approfondir ses principes et de mettre en valeur ses idées afin de leur donner tout leur prix? Le témoignage des Confessions est délicat à interpréter : « en ne me bornant pas à la fonction de traducteur, il ne m’était pas défendu de penser quelquefois par moi-même, et je pouvais donner telle forme à mon ouvrage, que bien d’importantes vérités y passeraient sous le manteau de l’abbé de Saint-Pierre, encore plus heureusement que sous le mien » . La question est donc celle du sens à accorder à cette «écriture sous le manteau » : quelles vérités clandestines Rousseau tente-il de faire passer sous le manteau de Saint-Pierre ?
Cette contribution se propose d'illustrer les rapports entre art et économie chez deux auteurs ma... more Cette contribution se propose d'illustrer les rapports entre art et économie chez deux auteurs majeurs du XVIII e siècle : Rousseau et Adam Smith. Si les interprètes ont récemment mis en lumière l'importance de Rousseau dans l'élaboration théorique de Smith – jusqu'à en faire un interlocuteur privilégié de sa théorie économique – ils ne se sont pas penchés sur le lien entre leurs théories esthétiques et leurs approches de l'économie. Or Smith discute les thèses de Rousseau sur la nature de l'imitation dans la peinture et la musique ; celui qui est qualifié d'« auteur, plus capable de puissance dans les sentiments que de précision dans l'analyse » a soutenu que l'imitation dans l'art ne renvoie pas à une reproduction de la nature mais à une façon de provoquer dans l'âme des sentiments analogues à ceux que l'on éprouverait à la vue des objets. Surtout, Rousseau et Smith ont en commun leur lecture critique de Mandeville – comme en témoigne le compte-rendu du second Discours à la Edinburgh Review. L'auteur de la Fable des abeilles, qui dialogue lui-même avec Shaftesbury, avait mis en lumière le lien entre évaluation esthétique et évaluation économique : dans les deux cas, il s'agit de donner un prix aux choses, de mesurer leur beauté et leur utilité. Ainsi s'esquisse la figure de l'honnête homme, du well-bred man, du man of taste ou de l'homme de goût : sa sensibilité est éduquée, il participe de certains rites de sociabilité où le luxe et l'art font partie d'un mode de vie civilisé. Il n'existe pas, à cet égard, de séparation entre économie, art et culture.
Centrée sur Droit et Démocratie, cette contribution entend manifester l'ambivalence de Habermas à... more Centrée sur Droit et Démocratie, cette contribution entend manifester l'ambivalence de Habermas à l'égard du républicanisme de Rousseau. D'un côté, l'auteur du Contrat social invente le concept moderne de souveraineté populaire associé à l'autolégislation, et pense les droits de l'homme comme issus de l'autonomie démocratique. De l'autre, il esquisse une conception particulariste du républicanisme, qui ne peut s'accorder avec le principe d'une neutralité ethno-culturelle de l'Etat. L'unanimité du processus politique est garantie par un consensus moral substantiel. En dernière instance, Rousseau sert donc, de même que Kant, de jalon d'une histoire qu'il faut désormais dépasser : ni Kant ni Rousseau n'ont accédé à l'idée d'une conciliation entre autonomie privée et autonomie publique – ce qui témoigne, dans les deux cas, des difficultés inhérentes à une philosophie de la conscience.
Abstract : This paper, focused on Between Facts and Norms. Contributions to a Discourse Theory of Law and Democracy, will highlight Hamermas' ambivalence towards Rousseau. On the one hand, the author of the Social Contract invented the modern concept of popular sovereignty, grounded on autolegislation. He deducted human rights from democratic autonomy. On the other hand, Rousseau advocated a particularistic vision of republicanism, which cannot match the political principle of ethno-cultural neutrality. The unanimity of the political process is supposed to be secured in advance by a substantive ethical consensus. Thus Rousseau stands, like Kant, as a moment of political philosophy which should be overcome: neither Kant nor Rousseau have attained the conciliation between private and public autonomy. This testifies, in both cases, of the shortcomings of a philosophy of consciousness. Au deuxième chapitre de Droit et démocratie, Habermas présente la théorie fonctionnaliste du droit ou « théorie des systèmes » afin d'exposer les effets du désenchantement objectiviste du droit. Son intention est d'emblée annoncée : face à cette objectivation qui dissout la portée normative et volontariste du droit, Habermas n'optera pas pour une solution de type rawlsienne, celle d'une théorie purement normative de la justice ; bien plutôt, dans le sillage de Max Weber et Talcott Parsons, le philosophe entend prendre au sérieux le contenu normatif du système juridique tout en le décrivant en tant que composante de la réalité sociale 2 .
Le fondement de la justice est la bonne foi, c'est-à-dire la fidélité exacte à la parole donnée e... more Le fondement de la justice est la bonne foi, c'est-à-dire la fidélité exacte à la parole donnée et aux engagements pris » 2 .
L'enjeu de cette contribution est de montrer que dans le modèle de Clarens, Rousseau réinvestit à... more L'enjeu de cette contribution est de montrer que dans le modèle de Clarens, Rousseau réinvestit à sa façon la maxime physiocratique : maximiser les jouissances en minimisant les dépenses8, mais en déplace le sens. Au-delà de la distinction entre éthique et économie, il s'agit de définir l'économie morale comme un art de jouir qui comprend à la fois la jouissance matérielle et la jouissance morale - qui intègre la jouissance des biens matériels à une jouissance sociale et morale.
In The Reveries of a Solitary Walker, Rousseau proposes an original reflection on the pernicious ... more In The Reveries of a Solitary Walker, Rousseau proposes an original reflection on the pernicious effects of charity in the singular circumstances where he is (exile, celebrity, persecution). While the Confessions and the Dialogues tackled the issue of received beneficiency, the sixth walk adresses active charity and justifies ab- stention: not to act is the only ideal in a hostile social world. In the light of the self-examination, which he operates at the threshold of his death, Rousseau prefers to avoid the burden of his obligations. This contribution intends to high- light the meaning of this confession. How can we make sense of the primacy of freedom over virtue? How may we interpret the disgust expressed by Rousseau towards his moral duties?
Jesús Astigarraga et Javier Usoz (éd.), L'économie politique et la sphère publique dans le débat ... more Jesús Astigarraga et Javier Usoz (éd.), L'économie politique et la sphère publique dans le débat des Lumières, Collection de la Casa de
Papers by Céline Spector
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2015
Rawls considere le sens de la justice comme l’une des conditions indispensables a la stabilite de... more Rawls considere le sens de la justice comme l’une des conditions indispensables a la stabilite de la societe bien ordonnee. Ce livre interroge la nature de ce sens moral et met a l’epreuve sa capacite a fonder une «utopie realiste», en mobilisant critiques philosophiques et sciences sociales.
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2015
International audienceLe sens de la justice, selon John Rawls, s’avère indispensable pour qu’une ... more International audienceLe sens de la justice, selon John Rawls, s’avère indispensable pour qu’une société bien ordonnée soit stable et pour que ses membres en soutiennent les principes politiques fondateurs. Or quelle est la nature de ce sens moral auquel Rawls accorde un rôle crucial dans sa théorie de la justice comme équité? Le résultat d’une éducation adéquate, l’effet d’institutions justes? Une hypothèse ad hoc, voire une invention idéologique du libéralisme? Les contributions de ce volume mettent ces hypothèses à l’épreuve de critiques perfectionnistes, postcoloniales, féministes et égalitaristes. Elles prolongent en outre le dialogue initié par Rawls avec les sciences sociales, en confrontant ses analyses aux découvertes les plus récentes de la psychologie sociale et de la sociologie
Cahiers d Économie Politique, 2018
Rousseau et la critique de l'économie politique 1 Dans l'un de ses fragments sur le luxe, le comm... more Rousseau et la critique de l'économie politique 1 Dans l'un de ses fragments sur le luxe, le commerce et les arts, Rousseau soutient qu'il écrit pour contrer des idées accréditées en son temps : « dans le système que j'attaque »… De même dans un autre fragment, où il prétend n'avoir entrepris d'écrire que pour réfuter « deux philosophes modernes » qui ont voulu décrire tous les bienfaits du luxe. D'où l'hypothèse d'une dimension polémique de la philosophie économique de Rousseau, et un questionnement immédiat : qui Rousseau attaque-t-il ? L'adversaire est-il toujours le même ? Peut-on souscrire aux idées reçues sur la critique archaïque adressée par Rousseau à « l'économie politique » naissante ? Sans doute faut-il se méfier d'une approche trop substantialiste : au moment où écrit Rousseau, l'économie politique n'existe pas comme science autonome, dotée d'une épistémologie fondatrice et d'une méthode unifiée. Ce n'est que vers la fin des années 1760 que l'expression « économie politique » en viendra réellement-avec la « science nouvelle » des Physiocrates-à signifier l'étude de la formation, de la distribution et de la consommation des richesses. Mais même à ce moment, l'équivoque ne sera pas levée : les deux articles de L'Encyclopédie, « Economie » de Rousseau (1755) et même « OEconomie politique » de Boulanger (1765), montrent bien que l'économie politique continue à l'époque à traiter d'organisation (en l'occurrence, du corps politique) 2. Par conséquent, si l'on assiste à l'avènement progressif en France, dans la première moitié du XVIIIe siècle, des préoccupations relatives aux richesses, à leur production et à leur distribution, et à l'importation par Melon du paradigme anglais de l'arithmétique politique, il n'existe pas pour autant de science homogène face à laquelle Rousseau pourrait se présenter comme un démystificateur et un pourfendeur des discours dominants. Pourtant, il semble bien que Rousseau envisage son approche comme la critique d'un ou de plusieurs systèmes concurrents. Indice qu'il existe chez lui une conscience de l'unité du discours de ses adversaires théoriques, quand bien même ces adversaires couvriraient tout le champ des positions possibles au sein de l'économie politique naissante : partisans du luxe (même si leur position ne constitue pas un courant économique cohérent au même titre que les autres), mercantilistes et Physiocrates. Or la portée critique de la philosophie de Rousseau est à la mesure de son ambition : ambition qui n'est pas de s'opposer à une doctrine économique particulière (pour mieux établir d'autres énoncés qui lui seraient propres, dans le même registre) mais de s'opposer au fondement même qui unit, par-delà leurs divergences essentielles, ces discours concurrents. La critique rousseauiste, on va le voir, vise les trois courants de pensée dont elle va dégager le socle théorique commun, que l'on peut énoncer dans des termes plus contemporains : le primat accordé à la croissance sur la justice. En s'attaquant simultanément aux partisans du commerce et du luxe et aux défenseurs d'un essor fondé sur l'agriculture, aux partisans d'un ordre arrangé (économie dirigée par l'Etat, chez les mercantilistes) et aux partisans d'un ordre spontané ou d'un ordre naturel (pour lesquels l'Etat se contente dans une large mesure de laisser faire les processus économiques, chez les partisans du luxe et chez les Physiocrates), Rousseau va ainsi remettre en question les deux postulats fondateurs qui structurent le discours de l'économie politique naissante : 1) le primat accordé à la rationalité de l'intérêt (l'appât du gain) 2) l'hypothèse de l'harmonie naturelle ou artificielle de ces intérêts (selon le rôle que l'on accorde à l'Etat dans cette harmonisation). L'oeuvre de Rousseau met en lumière la manière dont les discours édifiés sur ces deux postulats occultent en réalité les préoccupations essentielles de la politique, et se détournent de ses fins : la liberté, l'égalité et la justice 3. Or c'est l'indissociabilité de ces fins qui permet à Rousseau de stigmatiser le discours émergent de l'économie politique. Les critiques, bien sûr, seront élaborées progressivement, dans la mesure où les propositions physiocratiques n'émergeront qu'après les débuts littéraires de Rousseau (l'article « Grains » de Quesnay pour l'Encyclopédie, qui constitue la première manifestation publique de ce qui deviendra 3 Comme l'écrit Rousseau, « le premier et le plus grand intérêt public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions soient égales pour tous, et la justice n'est que cette égalité » (Lettre écrites de la Montagne, Lettres IX, in OC, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. III, 1964, p. 891). La liberté, on le sait, est fondée sur cette égalité devant la loi, que tous les hommes, également, doivent avoir contribué à produire.
Silence, Implicite et Non-Dit chez Rousseau / Silence, the Implicit and the Unspoken in Rousseau, 2020
HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific re... more HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L'archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d'enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. " Pour vous, peuples modernes, vous n'avez point d'esclaves ". Le silence sur la traite dans le second Discours, Emile et le Contrat social
Les Études philosophiques, 2013
De l'union de l'âme et du corps à l'unité de la sensibilité. L'anthropologie méconnue de L'Esprit... more De l'union de l'âme et du corps à l'unité de la sensibilité. L'anthropologie méconnue de L'Esprit des lois 1 .
La Critique du préjugé au prisme de l’herméneutique, 1680-1780 , 2019
Résumé : En confrontant la définition du préjugée élaborée dans L'Esprit des lois à celle que pro... more Résumé : En confrontant la définition du préjugée élaborée dans L'Esprit des lois à celle que proposent Jaucourt et Boucher d'Argis dans L'Encyclopédie, cette contribution se propose de cerner l'originalité de Montesquieu : dans son oeuvre, les préjugés ne sont pas conçus comme des erreurs mais comme des illusions, comme des formes de méconnaissance de soi envisagées à l'échelle d'un peuple. Il reste que tout en distinguant préjugés bénéfiques et préjugés destructeurs, Montesquieu n'envisage pas l'éradication systématique des seconds. Sa réticence face à la lutte violente contre les préjugés et les superstitions enracinés dans l'esprit des peuples tient au risque de « tyrannie d'opinion », forme de violence symbolique ou culturelle dont peut se rendre coupable le politique ou le législateur. Aussi privilégie-t-il l'éducation par le « commerce », censé détruire graduellement les préjugés destructeurs.
Représentation politique et transformations de la citoyenneté. XVIIe-XXIe siècle, 2017
Frontières de la représentation : la « justice anormale » selon Nancy Fraser Les travaux récents ... more Frontières de la représentation : la « justice anormale » selon Nancy Fraser Les travaux récents de Nancy Fraser sont marqués par un regain d'intérêt pour les processus de transnationalisation qui frappent d'obsolescence le cadre westphalien. Dans ce cadre, l'injustice de représentation (misrepresentation) se produit lorsque des frontières politiques et/ou des règles de décision collective conduisent à refuser à tort à certains la possibilité de participer en tant que pair aux interactions sociales et politiques. Cette contribution se propose d'explorer ce concept de « défaut de représentation » ou de misframing, qui se conçoit au niveau méta-politique : il résulte de la non-prise en compte des voix de ceux et de celles qui, en raison de leur extériorité aux Etats-nations, sont exclu(e)s de la scène politique classique. Elle se propose de mesurer la pertinence du concept de « déni de voix » dans les processus démocratiques (political voicelessness) ainsi que de la solution esquissée par Fraser en termes de parité de participation.
Frontiers of Representation: Nancy Fraser's theory of « abnormal justice » Nancy Fraser's recent work takes into account the transnational process of a post-westphalian frame. In this frame, misrepresentation occurs when political boundaries and/or decision rules fonction to deny some people, wrongly, the possibility of participating on a par with others in social interaction and in political arenas. One of the level of misrepresentation concerns the boundary-setting aspect of the political. Here the injustice arises when the community's boundaries are drawn in such a way as to wrongly exclude some people from the chance to participate at all in its authorized contests over justice. In such cases, misrepresentation takes a deeper form, which N. Fraser calls « misframing ». In this talk, I will assess Fraser's theory of « parity of participation » as an answer to the problem of political voicelessness. 1 Texte à paraître aux éditions Garnier (collections « Rencontres ») dans le volume collectif : Représentation politique et transformations de la citoyenneté. XVII e-XXI e siècle, C. Miqueu et P. Crignon (dir.).
Esprit, 2018
This paper adresses Rawls' theory of desert. Objecting to the classical account of distributive j... more This paper adresses Rawls' theory of desert. Objecting to the classical account of distributive justice, the Rawlsian theory of justice rejects the formula "to each according to his own merit". Rawls considers that our natural endowment in intelligence is no more fair than any inequality associated with inheritance. Furthermore, the intrinsic value of a person does not give by itself any right. In the well-ordered society, the regulation of inequalities defines a system of legitimate expectations independent of merit, whether related to performance, skills or efforts. The classical rationale of justice as adapting retribution and contribution is here dismissed. As long as the principles of justice apply, everyone has a right to what is theirs, but this does not imply that they deserve it.
Parue en 1971, A Theory of Justice de John Rawls a fait l'effet d'un tremblement de terre. L'oeuvre demeure la plus discutée au monde en philosophie politique. Il faut dire que son auteur a eu l'ambition de théoriser, non la société parfaite, mais la meilleure société que nous puissions espérer 2. Rawls soutiendra cette idée-phare tout au long de son oeuvre, en affirmant constamment le primat du Juste sur le Bien : quelle que soit la diversité des croyances morales et religieuses, il est possible de découvrir des principes de justice sur lesquels les hommes peuvent parvenir à s'accorder. Le libéralisme politique entend réguler leur vie commune, aussi profonds que soient leurs désaccords religieux ou moraux. Sur le fond, la Théorie de la justice entend à la fois critiquer l'utilitarisme et le libéralisme économique : il s'agit en particulier de renouer justice et égalité, ou plus précisément de reconsidérer les rapports entre équité (fairness) et maîtrise des inégalités. Les sociétés aristocratiques et les sociétés de castes sont évidemment injustes dès lors qu'elles pérennisent un critère arbitraire et font de certaines contingences (la naissance, l'appartenance à un groupe social ou religieux) la raison de l'attribution de certains privilèges. Mais les sociétés « méritocratiques » ou qui prétendent l'être ne sont pas en reste. Sont injustes toutes les sociétés qui prennent pour acquises les inégalités issues de la loterie naturelle ou sociale et qui ne font rien pour abolir le hasard 3. Le constructivisme rawlsien s'oppose ainsi à tout naturalisme et à tout conservatisme. Les hiérarchies spontanées ne doivent en aucun cas être incorporées dans les institutions ; elles doivent être évaluées et corrigées en fonction des principes de justice qui guident l'organisation des sociétés. La position originelle et le voile d'ignorance Dans la Théorie de la justice puis dans la reformulation intitulée La Justice comme équité 4 , Rawls part d'une idée fondatrice : les questions de justice apparaissent aussitôt qu'il faut concevoir l'accès des individus à des ressources plus ou moins rares produites par la « coopération sociale ». La justice 1 in « L'imaginaire des inégalités », Anne Dujin éd., Esprit, septembre 2018, n°447, p. 95-104.
Revue de métaphysique et de morale, 2020
Cette contribution tentera de cerner les enjeux de l'interprétation contrastée de la philosophie ... more Cette contribution tentera de cerner les enjeux de l'interprétation contrastée de la philosophie des Lumières proposée par Charles Taylor. Pourquoi le déisme et le matérialisme sont-ils perçus par Taylor comme des fourvoiements de la modernité ? Pourquoi considère-t-il que les Lumières ont méconnu la manière dont la subjectivité pouvait fonder ses aspirations morales et politiques ? Nous verrons que la philosophie des Lumières « radicales », selon Taylor, produit une morale et une poli-tique incohérentes : elle postule que l'harmonie sociale procède de l'intérêt bien compris grâce à une ingénierie législative et éducative ; mais elle n'explique pas pour-quoi l'idéal d'une société harmonieuse mérite d'être poursuivi. L'auteur des Sources du moi entérine de la sorte l'idée répandue d'une incohérence des philosophes matéria-listes : leur psychologie hédoniste et égoïste est incompatible avec leur éthique, qui vise le plus grand bonheur du plus grand nombre. Les Lumières sont donc rendues responsables d'une vision contradictoire de la morale et d'une vision appauvrie de la subjectivité. ABSTRACT.-This contribution will question Charles Taylor's interpretation of the Enlightenment. Why did he analyze deism and materialism as a misdirection of moder-nity? Why did he consider that Enlightenment philosophy misunderstood the way in which subjectivity could ground its moral and political aspirations? I will show that the "radical" Enlightenment, according to Taylor, produces an incoherent account of morality and politics: it postulates that social harmony proceeds from self-interest, thanks to legislative and educational engineering; but it does not explain why the ideal of a harmonious society is worth pursuing. The author of The Sources of the Self thus confirms the widespread idea of an incoherence of the materialist philosophes: their hedonistic and selfish psychology is incompatible with their ethics, which aims for the greatest happiness of the greatest number. The Enlightenment is therefore made responsible for a contradictory vision of morality and an impoverished vision of the self.
This contribution will focus on the reading outlined in Rawls’ Lectures on the History of Politic... more This contribution will focus on the reading outlined in Rawls’ Lectures on the History of Political Philosophy, given to Harvard undergraduates between the second half of the 1960s and the second half of the 1990s, and more precisely on the final version (1994) edited by Samuel Freeman in 2007. In these synoptic courses, covering the period from Hobbes to Marx (taking in Locke, Hume and Mill and a few variants), Rawls ventures a bold interpretation of Rousseau in terms of “realistic utopianism”. The Social Contract’s well-ordered society is not a mere utopia but a “realistic” one. Following Judith Shklar, his colleague and friend at Harvard, Rawls denies the opposition between “realism” and “utopianism”. But contrary to her, he insists on the procedural dimension of Rousseau’s theory of justice. The result is a Kantian reading of the Second Discourse combined with an ultra-rationalist interpretation of the general will in The Social Contract, which in the end lay some of the conceptual foundations for A Theory of Justice.
Rousseau joue un rôle de tout premier ordre dans l’œuvre de Charles Taylor. En faisant de l’auteu... more Rousseau joue un rôle de tout premier ordre dans l’œuvre de Charles Taylor. En faisant de l’auteur du second Discours un maillon fort de l’histoire de la philosophie, entre Hobbes et Hegel ou Marx, Charles Taylor donne une nouvelle assise à sa théorie du « malaise de la modernité ». Rousseau sert ici de caution et d’autorité privilégiée : ayant mis à jour les idéaux modernes d’autonomie, d’égale dignité et d’authenticité, il donne le ton d’une critique moderne de la modernité. Selon la belle formule des Sources du moi, l’auteur du Contrat social et d’Émile est l’inventeur de l’authenticité et l’apôtre de l’autonomie. Pourtant, Rousseau ne peut être suivi jusqu’au bout, car il participe, plus qu’il ne l’avoue, des pathologies de la modernité. Selon Taylor, la liberté autodéterminée dont le Contrat social déploie la théorie risque toujours de s’échouer dans un univers vide de sens, absurdement sécularisé. L’autonomie démocratique conçue par le truchement de la « volonté générale » s’abîme dans une société homogène, négatrice des différences et des hiérarchies. Cette contribution entend donc mesurer la portée de la lecture taylorienne de Rousseau : le prix herméneutique et politique n’en est-il pas trop fort ?
Rousseau et la problématique des « relations externes » des États La question des relations inter... more Rousseau et la problématique des « relations externes » des États La question des relations interétatiques semble à première vue former, dans la pensée de Rousseau, une zone aveugle. Cette introduction est destinée à présenter les Principes du droit de la guerre (désormais reconstitués) ainsi que les Ecrits sur le Projet de paix perpétuelle de l'abbé de Saint Pierre.
L’Extrait du Projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint-Pierre est un texte singulier de Ro... more L’Extrait du Projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint-Pierre est un texte singulier de Rousseau, dans lequel la part de sa contribution propre demeure difficile à évaluer. Dans quelle mesure Rousseau suit-il Saint-Pierre, dans quelle mesure tente-t-il, dans l’Extrait, d’éclaircir la pensée de celui-ci, d’approfondir ses principes et de mettre en valeur ses idées afin de leur donner tout leur prix? Le témoignage des Confessions est délicat à interpréter : « en ne me bornant pas à la fonction de traducteur, il ne m’était pas défendu de penser quelquefois par moi-même, et je pouvais donner telle forme à mon ouvrage, que bien d’importantes vérités y passeraient sous le manteau de l’abbé de Saint-Pierre, encore plus heureusement que sous le mien » . La question est donc celle du sens à accorder à cette «écriture sous le manteau » : quelles vérités clandestines Rousseau tente-il de faire passer sous le manteau de Saint-Pierre ?
Cette contribution se propose d'illustrer les rapports entre art et économie chez deux auteurs ma... more Cette contribution se propose d'illustrer les rapports entre art et économie chez deux auteurs majeurs du XVIII e siècle : Rousseau et Adam Smith. Si les interprètes ont récemment mis en lumière l'importance de Rousseau dans l'élaboration théorique de Smith – jusqu'à en faire un interlocuteur privilégié de sa théorie économique – ils ne se sont pas penchés sur le lien entre leurs théories esthétiques et leurs approches de l'économie. Or Smith discute les thèses de Rousseau sur la nature de l'imitation dans la peinture et la musique ; celui qui est qualifié d'« auteur, plus capable de puissance dans les sentiments que de précision dans l'analyse » a soutenu que l'imitation dans l'art ne renvoie pas à une reproduction de la nature mais à une façon de provoquer dans l'âme des sentiments analogues à ceux que l'on éprouverait à la vue des objets. Surtout, Rousseau et Smith ont en commun leur lecture critique de Mandeville – comme en témoigne le compte-rendu du second Discours à la Edinburgh Review. L'auteur de la Fable des abeilles, qui dialogue lui-même avec Shaftesbury, avait mis en lumière le lien entre évaluation esthétique et évaluation économique : dans les deux cas, il s'agit de donner un prix aux choses, de mesurer leur beauté et leur utilité. Ainsi s'esquisse la figure de l'honnête homme, du well-bred man, du man of taste ou de l'homme de goût : sa sensibilité est éduquée, il participe de certains rites de sociabilité où le luxe et l'art font partie d'un mode de vie civilisé. Il n'existe pas, à cet égard, de séparation entre économie, art et culture.
Centrée sur Droit et Démocratie, cette contribution entend manifester l'ambivalence de Habermas à... more Centrée sur Droit et Démocratie, cette contribution entend manifester l'ambivalence de Habermas à l'égard du républicanisme de Rousseau. D'un côté, l'auteur du Contrat social invente le concept moderne de souveraineté populaire associé à l'autolégislation, et pense les droits de l'homme comme issus de l'autonomie démocratique. De l'autre, il esquisse une conception particulariste du républicanisme, qui ne peut s'accorder avec le principe d'une neutralité ethno-culturelle de l'Etat. L'unanimité du processus politique est garantie par un consensus moral substantiel. En dernière instance, Rousseau sert donc, de même que Kant, de jalon d'une histoire qu'il faut désormais dépasser : ni Kant ni Rousseau n'ont accédé à l'idée d'une conciliation entre autonomie privée et autonomie publique – ce qui témoigne, dans les deux cas, des difficultés inhérentes à une philosophie de la conscience.
Abstract : This paper, focused on Between Facts and Norms. Contributions to a Discourse Theory of Law and Democracy, will highlight Hamermas' ambivalence towards Rousseau. On the one hand, the author of the Social Contract invented the modern concept of popular sovereignty, grounded on autolegislation. He deducted human rights from democratic autonomy. On the other hand, Rousseau advocated a particularistic vision of republicanism, which cannot match the political principle of ethno-cultural neutrality. The unanimity of the political process is supposed to be secured in advance by a substantive ethical consensus. Thus Rousseau stands, like Kant, as a moment of political philosophy which should be overcome: neither Kant nor Rousseau have attained the conciliation between private and public autonomy. This testifies, in both cases, of the shortcomings of a philosophy of consciousness. Au deuxième chapitre de Droit et démocratie, Habermas présente la théorie fonctionnaliste du droit ou « théorie des systèmes » afin d'exposer les effets du désenchantement objectiviste du droit. Son intention est d'emblée annoncée : face à cette objectivation qui dissout la portée normative et volontariste du droit, Habermas n'optera pas pour une solution de type rawlsienne, celle d'une théorie purement normative de la justice ; bien plutôt, dans le sillage de Max Weber et Talcott Parsons, le philosophe entend prendre au sérieux le contenu normatif du système juridique tout en le décrivant en tant que composante de la réalité sociale 2 .
Le fondement de la justice est la bonne foi, c'est-à-dire la fidélité exacte à la parole donnée e... more Le fondement de la justice est la bonne foi, c'est-à-dire la fidélité exacte à la parole donnée et aux engagements pris » 2 .
L'enjeu de cette contribution est de montrer que dans le modèle de Clarens, Rousseau réinvestit à... more L'enjeu de cette contribution est de montrer que dans le modèle de Clarens, Rousseau réinvestit à sa façon la maxime physiocratique : maximiser les jouissances en minimisant les dépenses8, mais en déplace le sens. Au-delà de la distinction entre éthique et économie, il s'agit de définir l'économie morale comme un art de jouir qui comprend à la fois la jouissance matérielle et la jouissance morale - qui intègre la jouissance des biens matériels à une jouissance sociale et morale.
In The Reveries of a Solitary Walker, Rousseau proposes an original reflection on the pernicious ... more In The Reveries of a Solitary Walker, Rousseau proposes an original reflection on the pernicious effects of charity in the singular circumstances where he is (exile, celebrity, persecution). While the Confessions and the Dialogues tackled the issue of received beneficiency, the sixth walk adresses active charity and justifies ab- stention: not to act is the only ideal in a hostile social world. In the light of the self-examination, which he operates at the threshold of his death, Rousseau prefers to avoid the burden of his obligations. This contribution intends to high- light the meaning of this confession. How can we make sense of the primacy of freedom over virtue? How may we interpret the disgust expressed by Rousseau towards his moral duties?
Jesús Astigarraga et Javier Usoz (éd.), L'économie politique et la sphère publique dans le débat ... more Jesús Astigarraga et Javier Usoz (éd.), L'économie politique et la sphère publique dans le débat des Lumières, Collection de la Casa de
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2015
Rawls considere le sens de la justice comme l’une des conditions indispensables a la stabilite de... more Rawls considere le sens de la justice comme l’une des conditions indispensables a la stabilite de la societe bien ordonnee. Ce livre interroge la nature de ce sens moral et met a l’epreuve sa capacite a fonder une «utopie realiste», en mobilisant critiques philosophiques et sciences sociales.
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2015
International audienceLe sens de la justice, selon John Rawls, s’avère indispensable pour qu’une ... more International audienceLe sens de la justice, selon John Rawls, s’avère indispensable pour qu’une société bien ordonnée soit stable et pour que ses membres en soutiennent les principes politiques fondateurs. Or quelle est la nature de ce sens moral auquel Rawls accorde un rôle crucial dans sa théorie de la justice comme équité? Le résultat d’une éducation adéquate, l’effet d’institutions justes? Une hypothèse ad hoc, voire une invention idéologique du libéralisme? Les contributions de ce volume mettent ces hypothèses à l’épreuve de critiques perfectionnistes, postcoloniales, féministes et égalitaristes. Elles prolongent en outre le dialogue initié par Rawls avec les sciences sociales, en confrontant ses analyses aux découvertes les plus récentes de la psychologie sociale et de la sociologie
Cahiers d Économie Politique, 2018
Rousseau et la critique de l'économie politique 1 Dans l'un de ses fragments sur le luxe, le comm... more Rousseau et la critique de l'économie politique 1 Dans l'un de ses fragments sur le luxe, le commerce et les arts, Rousseau soutient qu'il écrit pour contrer des idées accréditées en son temps : « dans le système que j'attaque »… De même dans un autre fragment, où il prétend n'avoir entrepris d'écrire que pour réfuter « deux philosophes modernes » qui ont voulu décrire tous les bienfaits du luxe. D'où l'hypothèse d'une dimension polémique de la philosophie économique de Rousseau, et un questionnement immédiat : qui Rousseau attaque-t-il ? L'adversaire est-il toujours le même ? Peut-on souscrire aux idées reçues sur la critique archaïque adressée par Rousseau à « l'économie politique » naissante ? Sans doute faut-il se méfier d'une approche trop substantialiste : au moment où écrit Rousseau, l'économie politique n'existe pas comme science autonome, dotée d'une épistémologie fondatrice et d'une méthode unifiée. Ce n'est que vers la fin des années 1760 que l'expression « économie politique » en viendra réellement-avec la « science nouvelle » des Physiocrates-à signifier l'étude de la formation, de la distribution et de la consommation des richesses. Mais même à ce moment, l'équivoque ne sera pas levée : les deux articles de L'Encyclopédie, « Economie » de Rousseau (1755) et même « OEconomie politique » de Boulanger (1765), montrent bien que l'économie politique continue à l'époque à traiter d'organisation (en l'occurrence, du corps politique) 2. Par conséquent, si l'on assiste à l'avènement progressif en France, dans la première moitié du XVIIIe siècle, des préoccupations relatives aux richesses, à leur production et à leur distribution, et à l'importation par Melon du paradigme anglais de l'arithmétique politique, il n'existe pas pour autant de science homogène face à laquelle Rousseau pourrait se présenter comme un démystificateur et un pourfendeur des discours dominants. Pourtant, il semble bien que Rousseau envisage son approche comme la critique d'un ou de plusieurs systèmes concurrents. Indice qu'il existe chez lui une conscience de l'unité du discours de ses adversaires théoriques, quand bien même ces adversaires couvriraient tout le champ des positions possibles au sein de l'économie politique naissante : partisans du luxe (même si leur position ne constitue pas un courant économique cohérent au même titre que les autres), mercantilistes et Physiocrates. Or la portée critique de la philosophie de Rousseau est à la mesure de son ambition : ambition qui n'est pas de s'opposer à une doctrine économique particulière (pour mieux établir d'autres énoncés qui lui seraient propres, dans le même registre) mais de s'opposer au fondement même qui unit, par-delà leurs divergences essentielles, ces discours concurrents. La critique rousseauiste, on va le voir, vise les trois courants de pensée dont elle va dégager le socle théorique commun, que l'on peut énoncer dans des termes plus contemporains : le primat accordé à la croissance sur la justice. En s'attaquant simultanément aux partisans du commerce et du luxe et aux défenseurs d'un essor fondé sur l'agriculture, aux partisans d'un ordre arrangé (économie dirigée par l'Etat, chez les mercantilistes) et aux partisans d'un ordre spontané ou d'un ordre naturel (pour lesquels l'Etat se contente dans une large mesure de laisser faire les processus économiques, chez les partisans du luxe et chez les Physiocrates), Rousseau va ainsi remettre en question les deux postulats fondateurs qui structurent le discours de l'économie politique naissante : 1) le primat accordé à la rationalité de l'intérêt (l'appât du gain) 2) l'hypothèse de l'harmonie naturelle ou artificielle de ces intérêts (selon le rôle que l'on accorde à l'Etat dans cette harmonisation). L'oeuvre de Rousseau met en lumière la manière dont les discours édifiés sur ces deux postulats occultent en réalité les préoccupations essentielles de la politique, et se détournent de ses fins : la liberté, l'égalité et la justice 3. Or c'est l'indissociabilité de ces fins qui permet à Rousseau de stigmatiser le discours émergent de l'économie politique. Les critiques, bien sûr, seront élaborées progressivement, dans la mesure où les propositions physiocratiques n'émergeront qu'après les débuts littéraires de Rousseau (l'article « Grains » de Quesnay pour l'Encyclopédie, qui constitue la première manifestation publique de ce qui deviendra 3 Comme l'écrit Rousseau, « le premier et le plus grand intérêt public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions soient égales pour tous, et la justice n'est que cette égalité » (Lettre écrites de la Montagne, Lettres IX, in OC, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. III, 1964, p. 891). La liberté, on le sait, est fondée sur cette égalité devant la loi, que tous les hommes, également, doivent avoir contribué à produire.
Silence, Implicite et Non-Dit chez Rousseau / Silence, the Implicit and the Unspoken in Rousseau, 2020
HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific re... more HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L'archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d'enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. " Pour vous, peuples modernes, vous n'avez point d'esclaves ". Le silence sur la traite dans le second Discours, Emile et le Contrat social
Les Études philosophiques, 2013
De l'union de l'âme et du corps à l'unité de la sensibilité. L'anthropologie méconnue de L'Esprit... more De l'union de l'âme et du corps à l'unité de la sensibilité. L'anthropologie méconnue de L'Esprit des lois 1 .
La Critique du préjugé au prisme de l’herméneutique, 1680-1780 , 2019
Résumé : En confrontant la définition du préjugée élaborée dans L'Esprit des lois à celle que pro... more Résumé : En confrontant la définition du préjugée élaborée dans L'Esprit des lois à celle que proposent Jaucourt et Boucher d'Argis dans L'Encyclopédie, cette contribution se propose de cerner l'originalité de Montesquieu : dans son oeuvre, les préjugés ne sont pas conçus comme des erreurs mais comme des illusions, comme des formes de méconnaissance de soi envisagées à l'échelle d'un peuple. Il reste que tout en distinguant préjugés bénéfiques et préjugés destructeurs, Montesquieu n'envisage pas l'éradication systématique des seconds. Sa réticence face à la lutte violente contre les préjugés et les superstitions enracinés dans l'esprit des peuples tient au risque de « tyrannie d'opinion », forme de violence symbolique ou culturelle dont peut se rendre coupable le politique ou le législateur. Aussi privilégie-t-il l'éducation par le « commerce », censé détruire graduellement les préjugés destructeurs.
Représentation politique et transformations de la citoyenneté. XVIIe-XXIe siècle, 2017
Frontières de la représentation : la « justice anormale » selon Nancy Fraser Les travaux récents ... more Frontières de la représentation : la « justice anormale » selon Nancy Fraser Les travaux récents de Nancy Fraser sont marqués par un regain d'intérêt pour les processus de transnationalisation qui frappent d'obsolescence le cadre westphalien. Dans ce cadre, l'injustice de représentation (misrepresentation) se produit lorsque des frontières politiques et/ou des règles de décision collective conduisent à refuser à tort à certains la possibilité de participer en tant que pair aux interactions sociales et politiques. Cette contribution se propose d'explorer ce concept de « défaut de représentation » ou de misframing, qui se conçoit au niveau méta-politique : il résulte de la non-prise en compte des voix de ceux et de celles qui, en raison de leur extériorité aux Etats-nations, sont exclu(e)s de la scène politique classique. Elle se propose de mesurer la pertinence du concept de « déni de voix » dans les processus démocratiques (political voicelessness) ainsi que de la solution esquissée par Fraser en termes de parité de participation.
Frontiers of Representation: Nancy Fraser's theory of « abnormal justice » Nancy Fraser's recent work takes into account the transnational process of a post-westphalian frame. In this frame, misrepresentation occurs when political boundaries and/or decision rules fonction to deny some people, wrongly, the possibility of participating on a par with others in social interaction and in political arenas. One of the level of misrepresentation concerns the boundary-setting aspect of the political. Here the injustice arises when the community's boundaries are drawn in such a way as to wrongly exclude some people from the chance to participate at all in its authorized contests over justice. In such cases, misrepresentation takes a deeper form, which N. Fraser calls « misframing ». In this talk, I will assess Fraser's theory of « parity of participation » as an answer to the problem of political voicelessness. 1 Texte à paraître aux éditions Garnier (collections « Rencontres ») dans le volume collectif : Représentation politique et transformations de la citoyenneté. XVII e-XXI e siècle, C. Miqueu et P. Crignon (dir.).
Esprit, 2018
This paper adresses Rawls' theory of desert. Objecting to the classical account of distributive j... more This paper adresses Rawls' theory of desert. Objecting to the classical account of distributive justice, the Rawlsian theory of justice rejects the formula "to each according to his own merit". Rawls considers that our natural endowment in intelligence is no more fair than any inequality associated with inheritance. Furthermore, the intrinsic value of a person does not give by itself any right. In the well-ordered society, the regulation of inequalities defines a system of legitimate expectations independent of merit, whether related to performance, skills or efforts. The classical rationale of justice as adapting retribution and contribution is here dismissed. As long as the principles of justice apply, everyone has a right to what is theirs, but this does not imply that they deserve it.
Parue en 1971, A Theory of Justice de John Rawls a fait l'effet d'un tremblement de terre. L'oeuvre demeure la plus discutée au monde en philosophie politique. Il faut dire que son auteur a eu l'ambition de théoriser, non la société parfaite, mais la meilleure société que nous puissions espérer 2. Rawls soutiendra cette idée-phare tout au long de son oeuvre, en affirmant constamment le primat du Juste sur le Bien : quelle que soit la diversité des croyances morales et religieuses, il est possible de découvrir des principes de justice sur lesquels les hommes peuvent parvenir à s'accorder. Le libéralisme politique entend réguler leur vie commune, aussi profonds que soient leurs désaccords religieux ou moraux. Sur le fond, la Théorie de la justice entend à la fois critiquer l'utilitarisme et le libéralisme économique : il s'agit en particulier de renouer justice et égalité, ou plus précisément de reconsidérer les rapports entre équité (fairness) et maîtrise des inégalités. Les sociétés aristocratiques et les sociétés de castes sont évidemment injustes dès lors qu'elles pérennisent un critère arbitraire et font de certaines contingences (la naissance, l'appartenance à un groupe social ou religieux) la raison de l'attribution de certains privilèges. Mais les sociétés « méritocratiques » ou qui prétendent l'être ne sont pas en reste. Sont injustes toutes les sociétés qui prennent pour acquises les inégalités issues de la loterie naturelle ou sociale et qui ne font rien pour abolir le hasard 3. Le constructivisme rawlsien s'oppose ainsi à tout naturalisme et à tout conservatisme. Les hiérarchies spontanées ne doivent en aucun cas être incorporées dans les institutions ; elles doivent être évaluées et corrigées en fonction des principes de justice qui guident l'organisation des sociétés. La position originelle et le voile d'ignorance Dans la Théorie de la justice puis dans la reformulation intitulée La Justice comme équité 4 , Rawls part d'une idée fondatrice : les questions de justice apparaissent aussitôt qu'il faut concevoir l'accès des individus à des ressources plus ou moins rares produites par la « coopération sociale ». La justice 1 in « L'imaginaire des inégalités », Anne Dujin éd., Esprit, septembre 2018, n°447, p. 95-104.
Revue de métaphysique et de morale, 2020
Cette contribution tentera de cerner les enjeux de l'interprétation contrastée de la philosophie ... more Cette contribution tentera de cerner les enjeux de l'interprétation contrastée de la philosophie des Lumières proposée par Charles Taylor. Pourquoi le déisme et le matérialisme sont-ils perçus par Taylor comme des fourvoiements de la modernité ? Pourquoi considère-t-il que les Lumières ont méconnu la manière dont la subjectivité pouvait fonder ses aspirations morales et politiques ? Nous verrons que la philosophie des Lumières « radicales », selon Taylor, produit une morale et une poli-tique incohérentes : elle postule que l'harmonie sociale procède de l'intérêt bien compris grâce à une ingénierie législative et éducative ; mais elle n'explique pas pour-quoi l'idéal d'une société harmonieuse mérite d'être poursuivi. L'auteur des Sources du moi entérine de la sorte l'idée répandue d'une incohérence des philosophes matéria-listes : leur psychologie hédoniste et égoïste est incompatible avec leur éthique, qui vise le plus grand bonheur du plus grand nombre. Les Lumières sont donc rendues responsables d'une vision contradictoire de la morale et d'une vision appauvrie de la subjectivité. ABSTRACT.-This contribution will question Charles Taylor's interpretation of the Enlightenment. Why did he analyze deism and materialism as a misdirection of moder-nity? Why did he consider that Enlightenment philosophy misunderstood the way in which subjectivity could ground its moral and political aspirations? I will show that the "radical" Enlightenment, according to Taylor, produces an incoherent account of morality and politics: it postulates that social harmony proceeds from self-interest, thanks to legislative and educational engineering; but it does not explain why the ideal of a harmonious society is worth pursuing. The author of The Sources of the Self thus confirms the widespread idea of an incoherence of the materialist philosophes: their hedonistic and selfish psychology is incompatible with their ethics, which aims for the greatest happiness of the greatest number. The Enlightenment is therefore made responsible for a contradictory vision of morality and an impoverished vision of the self.
Comment Rawls a-t-il pu se contenter dans la Théorie de la justice de la figure de l’injustice or... more Comment Rawls a-t-il pu se contenter dans la Théorie de la justice de la figure de l’injustice ordinaire sous la figure du free-rider ? Comment le témoin des manifestations de protestation contre la guerre du Vietnam, qui consacre toute une analyse à l’objection de conscience , a-t-il pu réduire le passager clandestin au fraudeur des impôts ou au profiteur de grève, en omettant, semble-t-il, le déserteur de guerre ? « compléter la note 3, pourquoi elle n’est pas satisfaisante et quelle alternative »
Je Cette communication procèderai dans cette contribution en trois temps : en premier lieu, jeAprès avoir montréerai que Rawlsle philosophe n’a pas ignoré qu’il existait des ignorait pas les formes tragiques du mal moral ou et politique, en évoquant dans ses œuvres de jeunesse ; puis , cette contribution évoquera la réduction sciemment opérée par Théorie de la justice à la suite de certains économistes comme Kenneth Arrow, Frank Knight, James Buchanan ou Gordon Tullock : sous leur influence, l’injustice devient une forme de « resquille »en me concentrant exclusivement sur son œuvre majeure. – avec des conséquences importantes pour la philosophie politique « mainstream ».
Esprit, 2018
This paper adresses Rawls’ theory of desert. Objecting to the classical account of distributive j... more This paper adresses Rawls’ theory of desert. Objecting to the classical account of distributive justice, the Rawlsian theory of justice rejects the formula "to each according to his own merit". Rawls considers that our natural endowment in intelligence is no more fair than any inequality associated with inheritance. Furthermore, the intrinsic value of a person does not give by itself any right. In the well-ordered society, the regulation of inequalities defines a system of legitimate expectations independent of merit, whether related to performance, skills or efforts. The classical rationale of justice as adapting retribution and contribution is here dismissed. As long as the principles of justice apply, everyone has a right to what is theirs, but this does not imply that they deserve it.
This paper studies Montesquieu’s influence on Tocqueville on three main issues : commerce, honor ... more This paper studies Montesquieu’s influence on Tocqueville on three main issues : commerce, honor and empire. Like the American Framers such as Madison and Hamilton, Tocqueville knew his debt to the “rarest political writer” of all time. As a political theorist, Tocqueville drew on analyses of England as a free, trade-oriented nation, and he suggested that the French should study the “American model,” to see liberty “as if in a mirror,” and judge how free were their own institutions. Yet as a politician, Tocqueville gradually distanced himself from the author of The Spirit of the Laws. His role in the debate on the colonization of Algeria led him to reject the conception of commercial colonization that Montesquieu had defended in relation to the England of his time. The aim of this article is to identify the breaking points in Tocqueville’s exploration of the new frontier between democratic society and the unprecedented rise of imperial rivalries.
Montesquieu considère que plutôt que par une construction juridique commune, la paix, en Europe, ... more Montesquieu considère que plutôt que par une construction juridique commune, la paix, en Europe, peut être obtenue par le mécanisme immanent du « doux commerce ». Trois paradoxes constituent ainsi l’origine de notre enquête :
- Quoique Montesquieu, contre Hobbes, fasse de la paix la première loi de nature entre les hommes, il persiste à penser l’état de guerre entre les nations, et la pérennité d’un rapport de forces que le droit des gens peut suspendre, mais jamais abolir. Malgré la critique du militarisme et des ambitions belliqueuses de Louis XIV, l’idée de paix perpétuelle se trouve de la sorte congédiée (et non réfutée).
- Connu pour sa théorie de la distribution des pouvoirs, source de liberté politique, L’Esprit des lois ne reconduit pas cette thèse dans les relations internationales : en Europe, la « balance » des pouvoirs, loin de constituer un modèle, est disqualifiée comme perpétuation de l’état de guerre.
- Bien qu’il se donne, dans les temps modernes, comme le « sectateur de l’abbé de Saint-Pierre », celui qui aurait, à l’instar de Saint-Pierre (et non de Locke), tenté de fonder la science politique nouvelle occultée depuis les Anciens, Montesquieu ne le suit nullement dans le projet qui l’a rendu célèbre à travers les siècles, le Projet de Paix perpétuelle qui sera au cœur des réflexions de Rousseau et de Kant. Ce sont les raisons de cette occultation que nous tenterons de mettre à jour, afin de cerner l’apparition d’une conception de l’Europe comme société civile régie par le « doux commerce ».
« Harrington, dans son Oceana, a aussi examiné quel était le plus haut point de liberté où la co... more « Harrington, dans son Oceana, a aussi examiné quel était le plus haut point de liberté où la constitution d'un État peut être portée. Mais on peut dire de lui qu'il n'a cherché cette liberté qu'après l'avoir méconnue, et qu'il a bâti Chalcédoine, ayant le rivage de Byzance devant les yeux » (De l'esprit des lois, XI, 6). Cette contribution tentera d'éclairer la sentence énigmatique de Montesquieu à la lumière de son analyse du républicanisme anglais et de sa défense du rôle de la Chambre des Pairs. A ses yeux, Harrington néglige les conditions réelles du régime libre en Angleterre, dont l'esprit des Anglais, en partie forgé par leur Ancienne Constitution et par leur droit féodal. Pour autant, la puissante critique de Montesquieu ne signe pas la fin du républicanisme harringtonnien ni de sa théorie de la liberté : sa réhabilitation par certains membres du Club des Cordeliers durant la Révolution française témoigne d'un « retour du refoulé » dont il faudra examiner la teneur.
L’axe directeur de cette étude, à cet égard, sera celui-là même qui oriente Les Passions et les I... more L’axe directeur de cette étude, à cet égard, sera celui-là même qui oriente Les Passions et les Intérêts : comment comprendre le renversement axiologique qui affecte au XVIIe et au XVIIIe siècles la catégorie d’intérêt ? Mais l’argumentation retracée ici à la suite d’études récentes diffère profondément de la tradition exhumée par A. O. Hirschman : sans s’attarder sur les effets moraux de la cupidité, elle s’interroge sur le passage d’une condamnation morale à un éloge socio-politique des effets de l’amour-propre. La croyance en un ordre régi par une « main invisible » exige davantage, en effet, qu’une réhabilitation morale et politique du désir de profit : elle suppose la mise en lumière d’un mécanisme d’autorégulation, en vertu duquel les motivations partiales des hommes contribuent à leur insu à l’intérêt public. Non seulement l’ordre collectif, effet de composition des égoïsmes, est supposé parvenir à l’opulence, mais la société civile doit être capable de tenir d’elle-même, sans consensus moral ni discipline des mœurs imposée par le souverain.
« Ce livre ne se met précisément à la suite de personne » : faut-il prendre au sérieux l'affirmat... more « Ce livre ne se met précisément à la suite de personne » : faut-il prendre au sérieux l'affirmation qui clôt l'introduction à la première Démocratie ? Où n'y voir, de façon plus subtile, que l'écho d'une proposition énoncée par Montesquieu au terme de sa préface à L'Esprit des lois (prolem sine matre creatam, une oeuvre née sans mère) ? Pour Tocqueville comme pour Montesquieu, il ne s'agit nullement de renoncer à s'inspirer de sources passées, mais plutôt de revendiquer une nouvelle méthode – la « science politique nouvelle pour un monde tout nouveau » invoquée par l'auteur de la Démocratie en Amérique s'inscrivant dans le sillage de la science des sociétés dont L'Esprit des lois a posé les principes. De la première Démocratie, qui articule causes géographiques, lois et moeurs, à L'Ancien Régime et la Révolution, qui reconduit la méthode déployée dans les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, Tocqueville poursuit le projet de Montesquieu : déterminer les causes des institutions (lois, moeurs) et évaluer leurs effets dans une approche comparatiste ; concevoir l'adaptation de la législation au « génie » du peuple qu'elle doit régir ; expliquer les ruptures historiques par des causes profondes, sans ôter toute marge de manoeuvre à la volonté des hommes. Pour autant, il ne suffit pas de citer la célèbre phrase de Tocqueville sur ses auteurs fétiches, ceux qu'il fréquente chaque jour (Montesquieu, Rousseau, Pascal). Au-delà des parallèles convenus, il importe de revenir sur une filiation reconnue par les contemporains.
Qu’est-ce que l’Europe pour l’abbé de Saint-Pierre ? Comment articule-t-il les dimensions géograp... more Qu’est-ce que l’Europe pour l’abbé de Saint-Pierre ? Comment articule-t-il les dimensions géographique, historique, culturelle, religieuse et politique de l’espace européen ? Corps européen, Société Européenne, République européenne, Union européenne, autant de concepts qui semblent employés indifféremment pour désigner une même entité. Or au-delà du projet d’établir un arbitrage permanent, une « confédération » ou un tribunal suprême devant lequel les différents fauteurs de guerre seraient prévenus ou jugés, que désigne cette entité ? S’agit-il d’un lieu géographique, d’une communauté historique, d’une instance dotée d’une certaine homogénéité culturelle, voire, malgré les divisions et les schismes, d’une certaine consistance religieuse ? S’agit-il seulement d’une collection d’États ou de souverainetés, monarchiques ou républicaines, qu’il s’agit, pour établir la paix perpétuelle, de fédérer ? En d’autres termes, existe-t-il chez Saint-Pierre une notion d’Europe qui ne soit pas simplement instrumentale – l’ensemble variable des États qu’il entend associer à son projet, en substituant la voie du droit à la voie des armes, la sécurité juridique à l’anarchie internationale?
Un ouvrage collectif sur l'histoire de la pensée politique libérale, son paradigme dominant, ses ... more Un ouvrage collectif sur l'histoire de la pensée politique libérale, son paradigme dominant, ses traditions rivales.