Ijjou Cheikh Moussa | Mohammed V-Agdal. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines. (original) (raw)
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Papers by Ijjou Cheikh Moussa
Les Presses de l'Université de Montréal eBooks, Jul 11, 2016
Bien qu'essentiel à l'esthétique et à la poétique baroques, le Cannocchiale d'Emanuele Tesauro n'... more Bien qu'essentiel à l'esthétique et à la poétique baroques, le Cannocchiale d'Emanuele Tesauro n'a jamais eu de traduction intégrale. Mercedes Blanco, dans son livre, Les Rhétoriques de la pointe. Baltasar Gracián et le conceptisme en Europe (1991) et surtout Yves Hersant, dans son livre La métaphore baroque d'Aristote à Tesauro (2001) nous en proposent d'importants extraits. Sauf indication de notre part, nous citons d'après la traduction d'Yves Hersant ; pour les passages qui n'ont pas fait l'objet d'une traduction, nous suivons l'édition de Turin (Tesauro : 1670). Comme son titre l'indique, le Cannocchiale est placé sous le patronage d'Aristote, qui prête à Tesauro sa lunette astronomique (cannocchiale) pour éclairer les discours. La lunette aristotélique dont il s'agit, c'est La Rhétorique, « lumineuse lunette permettant, dit Tesauro, d'examiner toutes les perfections et les imperfections de l'éloquence » (trad. Hersant : 65). Le choix de la lunette comme symbole de la méthode d'Aristote possède des résonances paradoxales. La lunette est l'attribut de Galilée ; c'est l'instrument qui lui a permis de renverser la science aristotélicienne de la nature, de « dépasser les limites assignées par la nature − ou par Dieu − aux sens et aux connaissances de l'homme » (Koyré 1973 : 118). Tesauro lui-même voit dans cette invention un instrument de transgression : ces « ailes de verre », inventées par « l'intelligence d'un hollandais plus angélique qu'humaine », ont permis, dit-il, de « traverser le mer sans le secours des voiles », de « s'envoler au ciel comme l'éclair », et de voir « ce que Dieu nous a tenu caché » (trad. Hersant : 91). Dans la mesure où il associe cette invention à la nouvelle conception de la science, qui va détruire l'héritage de la physique aristotélicienne, la métaphore du titre relève de l'alliance des contraires. Mais dans la mesure où l'utilisateur de la lunette est Tesauro lui-même, on peut y voir une nouvelle perception de la théorie d'Aristote, nouvelle perception qui égalerait, quant aux signes linguistiques, celle apportée par la lunette astronomique dans le domaine des signes naturels, et qui ferait de Tesauro le Galilée de « la nouvelle rhétorique ». 1. Une rhétorique généralisée Cette nouvelle rhétorique est placée sous la devise «Tout en un » [Omnis in unum], devise que la gravure mise en frontispice de l'ouvrage rend visible dans un miroir conique. Il s'agit donc d'une rhétorique généralisée. En effet, l'ambition de Tesauro est de ramener tout ce qui fait
Revue Langues et Littératures, 2013
Revue Langues et Littératures, 2016
Les Presses de l'Université de Montréal eBooks, Jul 11, 2016
Bien qu'essentiel à l'esthétique et à la poétique baroques, le Cannocchiale d'Emanuele Tesauro n'... more Bien qu'essentiel à l'esthétique et à la poétique baroques, le Cannocchiale d'Emanuele Tesauro n'a jamais eu de traduction intégrale. Mercedes Blanco, dans son livre, Les Rhétoriques de la pointe. Baltasar Gracián et le conceptisme en Europe (1991) et surtout Yves Hersant, dans son livre La métaphore baroque d'Aristote à Tesauro (2001) nous en proposent d'importants extraits. Sauf indication de notre part, nous citons d'après la traduction d'Yves Hersant ; pour les passages qui n'ont pas fait l'objet d'une traduction, nous suivons l'édition de Turin (Tesauro : 1670). Comme son titre l'indique, le Cannocchiale est placé sous le patronage d'Aristote, qui prête à Tesauro sa lunette astronomique (cannocchiale) pour éclairer les discours. La lunette aristotélique dont il s'agit, c'est La Rhétorique, « lumineuse lunette permettant, dit Tesauro, d'examiner toutes les perfections et les imperfections de l'éloquence » (trad. Hersant : 65). Le choix de la lunette comme symbole de la méthode d'Aristote possède des résonances paradoxales. La lunette est l'attribut de Galilée ; c'est l'instrument qui lui a permis de renverser la science aristotélicienne de la nature, de « dépasser les limites assignées par la nature − ou par Dieu − aux sens et aux connaissances de l'homme » (Koyré 1973 : 118). Tesauro lui-même voit dans cette invention un instrument de transgression : ces « ailes de verre », inventées par « l'intelligence d'un hollandais plus angélique qu'humaine », ont permis, dit-il, de « traverser le mer sans le secours des voiles », de « s'envoler au ciel comme l'éclair », et de voir « ce que Dieu nous a tenu caché » (trad. Hersant : 91). Dans la mesure où il associe cette invention à la nouvelle conception de la science, qui va détruire l'héritage de la physique aristotélicienne, la métaphore du titre relève de l'alliance des contraires. Mais dans la mesure où l'utilisateur de la lunette est Tesauro lui-même, on peut y voir une nouvelle perception de la théorie d'Aristote, nouvelle perception qui égalerait, quant aux signes linguistiques, celle apportée par la lunette astronomique dans le domaine des signes naturels, et qui ferait de Tesauro le Galilée de « la nouvelle rhétorique ». 1. Une rhétorique généralisée Cette nouvelle rhétorique est placée sous la devise «Tout en un » [Omnis in unum], devise que la gravure mise en frontispice de l'ouvrage rend visible dans un miroir conique. Il s'agit donc d'une rhétorique généralisée. En effet, l'ambition de Tesauro est de ramener tout ce qui fait
Revue Langues et Littératures, 2013
Revue Langues et Littératures, 2016