Charalampos Orfanos | Université de Lille (original) (raw)
Papers by Charalampos Orfanos
Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens, 1996
Des cavaliers comme «beaux gosses» Charalampos Orfanos Résumé Des cavaliers comme «beaux gosses »... more Des cavaliers comme «beaux gosses» Charalampos Orfanos Résumé Des cavaliers comme «beaux gosses » (pp. 181-194) Les très aristocratiques cavaliers athéniens sont «bons à montrer», ils constituent, dans les cortèges officiels, la plus belle des attracions. La sublimation de la frise du Parthénon en est le témoignage le plus éclatant. Cependant, quand ces «beaux gosses» entraient en action, lors des opérations militaires de l'armée citoyenne, leur comportement ne semble pas avoir été conforme à l'idéal hoplitique; leurs méthodes retorses les rapprochent des psiloi plutôt que des citoyens lourdement armés qui se battaient de front et en rangs serrés. Le paradoxe de la pièce d'Aristophane est précisément que, dans la gestuelle et la chorégraphie du choeur des cavaliers, pourtant bien guerrières, comme dans les évocations d'exploits militaires que le poète met dans leurs bouches, rien ne semble rappeler leurs véritables méthodes de combat. Les cavaliers aristophanesques, malgré leur jeunesse, sont des anti-éphèbes par excellence et s'identifient volontiers aux marathonomaques, paradigmes de bravoure hoplitique. C'est précisément ce qui leur permet de combattre le Paphlagonien, cet avatar comique de Cléon qui, bien qu'adulte, a tout d'un «chasseur noir». C'est aussi ce qui permet à ces jeunes aristocrates de ne pas entrer en conflit avec le Peuple, vieillard sénile que leur action contribuera à faire rajeunir à la fin de la pièce.
The Journal of Hellenic Studies, 2006
Pallas, 1998
A cause de son caractère moralisateur, à cause de son hypothétique valeur de document pour tout c... more A cause de son caractère moralisateur, à cause de son hypothétique valeur de document pour tout ce qui touche aux problèmes de l'éphébie et du "service militaire" dans l'Athènes classique, mais aussi grâce à sa position-clé dans l'intrigue des Oiseaux, l'épisode du Patraloias a suscité un vif intérêt et des études fort sérieuses de la part de nombreux érudits 1 . On n'aura pas à revenir, ici, sur les problèmes d'ordre historique que soulève le texte. De toute façon, plus que tout autre genre littéraire, la comédie se donne pour tâche de déformer la réalité, et essayer de reconstituer l'histoire à partir de son image déformée relève souvent de l'utopie. C'est d'un fragment d'imaginaire que l'on a choisi de traiter ici. Le conflit entre vieux et jeunes, le fossé des générations dont on dira quelques mots sera considéré comme un conflit imaginé, et le personnage dont on va étudier le comportement dramatique n'aura pas droit à plus de "consistance" historique que l'avatar comique d'Iris ou les oiseaux qui ont appris le grec.
Commençons par le commencement : question célèbre, la question du rapport entre la réalité histor... more Commençons par le commencement : question célèbre, la question du rapport entre la réalité historique et son reflet dans les comédies d'Aristophane est sans doute la plus controversée et la plus complexe après la question homérique. Cette controverse confond deux plans qu'il importe de distinguer. Premièrement, au plan de la synchronie, et pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, une personnalité publique qui devient cible du comique estelle fragilisée par sa caricature dans sa vie publique réelle ? Le jugement des Athéniens sur leurs concitoyens les plus en vue, ceux qui « méritaient », par leur notoriété, d'être la cible des comédies, d'être des « comédiés » 2 , était-il influencé par leurs avatars comiques ?
Comme le titre l'indique, je tenterai de relire ici le dossier de l'autel sacrificiel en comédie.... more Comme le titre l'indique, je tenterai de relire ici le dossier de l'autel sacrificiel en comédie. Il a été établi par Peter Arnott, qui a recensé les pièces où un autel était indispensable : les Guêpes, la Paix, les Oiseaux, les Thesmophories, les Grenouilles et les Danaïdes 1 . J'y ajouterai les Acharniens parce qu'il y est question de sacrifice mais aussi pour l'emploi particulier de l'ἐπίξηνον au début de la pièce. J'y ajouterai aussi Lysistrata, avec son curieux pseudosacrifice, à mi-chemin entre spondai et sphagia. En revanche, je ne m'occuperai pas des Danaïdes car, une fois sa présence constatée, rien de plus ne peut être dit au sujet de l'autel à partir du fragment 256 K.-A. Quelle était la fonction du bômos dans l'agencement de l'espace scénique et de l'espace symbolique des comédies et, partant, quel était son rôle dramatique ? Rush Rehm 2 et, plus récemment, David Wiles 3 ont suggéré que l'autel dramatique était un décor amovible qu'on plaçait au centre de l'Orchestra, en le superposant peut-être à la thymélè, et non point un objet conventionnel placé devant la skénè ; la géométrie de l'espace théâtral devient beaucoup plus cohérente et conforme à celle de l'espace civique si l'on accepte cette idée. Bien que ce ne soit pas mon propos ici, c'est cet agencement centripète de l'espace qui forme la toile de fond des réflexions qui suivent. Voici, par ordre croissant de vis comica, une typologie du bômos à partir des pièces conservées : a. L'autel accessoire, où il n'y a pas de sacrifice sanglant. Ce sont les bômoi des Guêpes et des Grenouilles. 1 . P. D. ARNOTT (1962), pp. 49-50. 2 . R. REHM (1988 ; les deux dernières pages sont consacrées à la Paix).
1 Un tissu de mensonges Essai sur le premier épisode du Philoctète de Sophocle.
Obnubilés par le vertigineux récit de la guerre civile à Corcyre, les Modernes oublient souvent q... more Obnubilés par le vertigineux récit de la guerre civile à Corcyre, les Modernes oublient souvent que, pour Thucydide, la guerre avait commencé à Épidamne 1 , quand, en 436/5, quatre ans avant le début de l'affrontement entre Athènes et Sparte, les habitants de cette colonie grecque en terre illyrienne avaient exporté leur guerre intestine et déclenché un affrontement entre deux cités qui prétendaient en être la métropole. À en croire Thucydide, ces prétentions rivales furent la conséquence d'une manipulation du passé de la part des Épidamniens, chacune des deux factions proposant une interprétation du récit de fondation de la cité ayant sur le présent des conséquences opposées. S'agissait-il d'opérations « normales » d'une conscience collective se scindant en deux à un moment où le récit en question glissait de sa fonction identitaire vers une fonction moins consensuelle et plus politique ? Ou, tout simplement, de scandaleuses tentatives de falsification du passé ? Cet article présentera quelques réflexions sur cette αἰτία primitive, à la fois cause première et grief originel de la guerre du Péloponnèse 2 , sorte de préambule à l'âge des excès.
La figure de Socrate dans les Nuées est déterminée par la dialectique privé / public. En effet, s... more La figure de Socrate dans les Nuées est déterminée par la dialectique privé / public. En effet, si l'idée qu'Aristophane, notamment à travers sa pièce de 423, porte une part de responsabilité dans la condamnation de Socrate prononcée vingtquatre ans plus tard est une idée récurrente, depuis Platon jusqu'à nos jours, une de ses variantes soutient que la raison principale pour laquelle le jury populaire de 399 décida la mise à mort de Socrate n'était pas qu'il était coupable de corrompre les jeunes et d'introduire des dieux nouveaux, mais que le sage homme avait fait preuve, toute sa vie durant, d'un mépris profond pour l'action publique, son attention ayant toujours été entièrement tournée vers l'individu.
Peut-on éduquer un vieillard ? L'horizon d'attente des Nuées et la prétention didactique du poète... more Peut-on éduquer un vieillard ? L'horizon d'attente des Nuées et la prétention didactique du poète comique Aux Dionysies des 423, Aristophane présenta les Nuées, le bide le plus terrible de sa carrière. Comme c'était déjà le cas dans les Cavaliers -la comédie de l'année précédente -, comme ce sera aussi le cas des Guêpes, l'année suivante, l'idée comique des Nuées consiste en un jeu sur le topos du gâtisme, version « retour en enfance ». Il existe en grec un dicton qui résume ce topos : « le vieillard est doublement enfant », δὶς παῖς γέρων, formule qui nous a été transmise verbatim par un fragment de Cratinos 1. En effet, il s'agit, dans ces pièces, de détourner le processus d'agrégation d'un jeune individu à la société des adultes, en en faisant subir une version loufoque à un vieillard plus ou moins gâteux : Dèmos ou Monsieur Lepeuple, dans les Cavaliers, Strepsiade ou Tourneboule dans les Nuées, Philocléon dans les Guêpes. Dans les Nuées, Aristophane cite le proverbe vers la fin de la pièce, en le mettant dans la bouche du fils du protagoniste : δὶς παῖδες οἱ γέροντες 2. Avant d'en arriver là, Aristophane se donne la peine d'octroyer une crédibilité dramaturgique à l'inversion comique de ce qui est l'ordre naturel des choses, en faisant appel à un processus d'initiation religieuse : l'initiation aux Mystères d'Éleusis, qui a souvent été analysée et sur laquelle je ne vais pas revenir ici 3. Ainsi, il n'est plus question, comme c'était le cas dans les Guêpes, de mettre sous tutelle un hyper-citoyen, un vieillard trop exclusivement attaché à la vie civique, afin de lui insuffler une dose revigorante d'hédonisme 1. Cratinos, fgt 34 K.-A. : ἦν ἆρ᾽ ἀληθὴς ὁ λόγος, ὡς δὶς παῖς γέρων (« Alors le dicton est juste : le veillard est doublement enfant »). Voir Platon, Lois, I, 646a 4 (étendu à l'homme ivre) ; Axiochos, 367d 6 ; Ménandre, fgt 450. Voir Orfanos (2003). 2. Ar. Nuées, v. 1417 : « Les vieux ? deux fois enfants ! » (trad. V.-H. Debidour, Aristophane. Théâtre complet I, Paris, 1965. Les traductions dans cet article sont les miennes, sauf indication contraire).
Le syllogisme qui est à l'origine de cet article est délibérément schématique : si l'on admet que... more Le syllogisme qui est à l'origine de cet article est délibérément schématique : si l'on admet que les beuveries de l'andrôn étaient toujours à l'époque classique l'apanage de l'élite athénienne, le banquet formel et l'ecclésia deviennent, du point de vue politique, des antonymes. Je vais commenter quelques textes qui témoignent de cette opposition. Mais avant de commencer, j'aimerais annoncer la perspective dans laquelle j'entends situer les remarques qui suivent : contrairement aux apparences et aux tendances récentes de la recherche, 1 les banquets des oligoi athéniens n'étaient pas à l'ecclésia ce que le privé est au public depuis, mettons, le dix-neuvième siècle et l'invention du libéralisme. Avant Platon, les Grecs ne semblent s'intéresser au banquet que dans la mesure où celui-ci intéresse la communauté et non l'histoire du plaisir chère à Oswyn Murray. 2 Plus tard, quand les Anciens opposent les deux types de réunion, ils les situent invariablement dans la sphère publique. Je vais essayer ici d'étudier cette opposition et je commencerai par en citer deux formulations tardives qui me semblent particulièrement pertinentes.
C omment expliquer que la connaissance que Plutarque avait de la poésie archaïque et classique fû... more C omment expliquer que la connaissance que Plutarque avait de la poésie archaïque et classique fût aussi vaste et profonde que sa poétique paraît naïve, du moins en ce qui concerne le théâtre ? Je tâcherai ici de compléter la réponse habituelle, qui associe platonisme et moralisme, par l'étude d'un aspect matériel de l'univers livresque du I er siècle de notre ère et par quelques remarques sur la lecture plutarquienne des genres dramatiques en général et d'aristophane en particulier. Dans la première partie de l'article, je parcourrai rapidement l'histoire de la réception, ou plutôt du rejet d'aristophane, jusqu'à l'époque de Plutarque. En deuxième partie, on verra que le théâtre, et tout particulièrement la comédie ancienne, est à la fois l'objet d'une hostilité affichée et un élément structurant de la rhétorique et de la pensée plutarquienne. En troisième partie, enfin, j'étudierai cette apparente contradiction à la lumière de la poétique de l'auteur.
Mètis. Anthropologie des mondes grecs anciens, 1996
Des cavaliers comme «beaux gosses» Charalampos Orfanos Résumé Des cavaliers comme «beaux gosses »... more Des cavaliers comme «beaux gosses» Charalampos Orfanos Résumé Des cavaliers comme «beaux gosses » (pp. 181-194) Les très aristocratiques cavaliers athéniens sont «bons à montrer», ils constituent, dans les cortèges officiels, la plus belle des attracions. La sublimation de la frise du Parthénon en est le témoignage le plus éclatant. Cependant, quand ces «beaux gosses» entraient en action, lors des opérations militaires de l'armée citoyenne, leur comportement ne semble pas avoir été conforme à l'idéal hoplitique; leurs méthodes retorses les rapprochent des psiloi plutôt que des citoyens lourdement armés qui se battaient de front et en rangs serrés. Le paradoxe de la pièce d'Aristophane est précisément que, dans la gestuelle et la chorégraphie du choeur des cavaliers, pourtant bien guerrières, comme dans les évocations d'exploits militaires que le poète met dans leurs bouches, rien ne semble rappeler leurs véritables méthodes de combat. Les cavaliers aristophanesques, malgré leur jeunesse, sont des anti-éphèbes par excellence et s'identifient volontiers aux marathonomaques, paradigmes de bravoure hoplitique. C'est précisément ce qui leur permet de combattre le Paphlagonien, cet avatar comique de Cléon qui, bien qu'adulte, a tout d'un «chasseur noir». C'est aussi ce qui permet à ces jeunes aristocrates de ne pas entrer en conflit avec le Peuple, vieillard sénile que leur action contribuera à faire rajeunir à la fin de la pièce.
The Journal of Hellenic Studies, 2006
Pallas, 1998
A cause de son caractère moralisateur, à cause de son hypothétique valeur de document pour tout c... more A cause de son caractère moralisateur, à cause de son hypothétique valeur de document pour tout ce qui touche aux problèmes de l'éphébie et du "service militaire" dans l'Athènes classique, mais aussi grâce à sa position-clé dans l'intrigue des Oiseaux, l'épisode du Patraloias a suscité un vif intérêt et des études fort sérieuses de la part de nombreux érudits 1 . On n'aura pas à revenir, ici, sur les problèmes d'ordre historique que soulève le texte. De toute façon, plus que tout autre genre littéraire, la comédie se donne pour tâche de déformer la réalité, et essayer de reconstituer l'histoire à partir de son image déformée relève souvent de l'utopie. C'est d'un fragment d'imaginaire que l'on a choisi de traiter ici. Le conflit entre vieux et jeunes, le fossé des générations dont on dira quelques mots sera considéré comme un conflit imaginé, et le personnage dont on va étudier le comportement dramatique n'aura pas droit à plus de "consistance" historique que l'avatar comique d'Iris ou les oiseaux qui ont appris le grec.
Commençons par le commencement : question célèbre, la question du rapport entre la réalité histor... more Commençons par le commencement : question célèbre, la question du rapport entre la réalité historique et son reflet dans les comédies d'Aristophane est sans doute la plus controversée et la plus complexe après la question homérique. Cette controverse confond deux plans qu'il importe de distinguer. Premièrement, au plan de la synchronie, et pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, une personnalité publique qui devient cible du comique estelle fragilisée par sa caricature dans sa vie publique réelle ? Le jugement des Athéniens sur leurs concitoyens les plus en vue, ceux qui « méritaient », par leur notoriété, d'être la cible des comédies, d'être des « comédiés » 2 , était-il influencé par leurs avatars comiques ?
Comme le titre l'indique, je tenterai de relire ici le dossier de l'autel sacrificiel en comédie.... more Comme le titre l'indique, je tenterai de relire ici le dossier de l'autel sacrificiel en comédie. Il a été établi par Peter Arnott, qui a recensé les pièces où un autel était indispensable : les Guêpes, la Paix, les Oiseaux, les Thesmophories, les Grenouilles et les Danaïdes 1 . J'y ajouterai les Acharniens parce qu'il y est question de sacrifice mais aussi pour l'emploi particulier de l'ἐπίξηνον au début de la pièce. J'y ajouterai aussi Lysistrata, avec son curieux pseudosacrifice, à mi-chemin entre spondai et sphagia. En revanche, je ne m'occuperai pas des Danaïdes car, une fois sa présence constatée, rien de plus ne peut être dit au sujet de l'autel à partir du fragment 256 K.-A. Quelle était la fonction du bômos dans l'agencement de l'espace scénique et de l'espace symbolique des comédies et, partant, quel était son rôle dramatique ? Rush Rehm 2 et, plus récemment, David Wiles 3 ont suggéré que l'autel dramatique était un décor amovible qu'on plaçait au centre de l'Orchestra, en le superposant peut-être à la thymélè, et non point un objet conventionnel placé devant la skénè ; la géométrie de l'espace théâtral devient beaucoup plus cohérente et conforme à celle de l'espace civique si l'on accepte cette idée. Bien que ce ne soit pas mon propos ici, c'est cet agencement centripète de l'espace qui forme la toile de fond des réflexions qui suivent. Voici, par ordre croissant de vis comica, une typologie du bômos à partir des pièces conservées : a. L'autel accessoire, où il n'y a pas de sacrifice sanglant. Ce sont les bômoi des Guêpes et des Grenouilles. 1 . P. D. ARNOTT (1962), pp. 49-50. 2 . R. REHM (1988 ; les deux dernières pages sont consacrées à la Paix).
1 Un tissu de mensonges Essai sur le premier épisode du Philoctète de Sophocle.
Obnubilés par le vertigineux récit de la guerre civile à Corcyre, les Modernes oublient souvent q... more Obnubilés par le vertigineux récit de la guerre civile à Corcyre, les Modernes oublient souvent que, pour Thucydide, la guerre avait commencé à Épidamne 1 , quand, en 436/5, quatre ans avant le début de l'affrontement entre Athènes et Sparte, les habitants de cette colonie grecque en terre illyrienne avaient exporté leur guerre intestine et déclenché un affrontement entre deux cités qui prétendaient en être la métropole. À en croire Thucydide, ces prétentions rivales furent la conséquence d'une manipulation du passé de la part des Épidamniens, chacune des deux factions proposant une interprétation du récit de fondation de la cité ayant sur le présent des conséquences opposées. S'agissait-il d'opérations « normales » d'une conscience collective se scindant en deux à un moment où le récit en question glissait de sa fonction identitaire vers une fonction moins consensuelle et plus politique ? Ou, tout simplement, de scandaleuses tentatives de falsification du passé ? Cet article présentera quelques réflexions sur cette αἰτία primitive, à la fois cause première et grief originel de la guerre du Péloponnèse 2 , sorte de préambule à l'âge des excès.
La figure de Socrate dans les Nuées est déterminée par la dialectique privé / public. En effet, s... more La figure de Socrate dans les Nuées est déterminée par la dialectique privé / public. En effet, si l'idée qu'Aristophane, notamment à travers sa pièce de 423, porte une part de responsabilité dans la condamnation de Socrate prononcée vingtquatre ans plus tard est une idée récurrente, depuis Platon jusqu'à nos jours, une de ses variantes soutient que la raison principale pour laquelle le jury populaire de 399 décida la mise à mort de Socrate n'était pas qu'il était coupable de corrompre les jeunes et d'introduire des dieux nouveaux, mais que le sage homme avait fait preuve, toute sa vie durant, d'un mépris profond pour l'action publique, son attention ayant toujours été entièrement tournée vers l'individu.
Peut-on éduquer un vieillard ? L'horizon d'attente des Nuées et la prétention didactique du poète... more Peut-on éduquer un vieillard ? L'horizon d'attente des Nuées et la prétention didactique du poète comique Aux Dionysies des 423, Aristophane présenta les Nuées, le bide le plus terrible de sa carrière. Comme c'était déjà le cas dans les Cavaliers -la comédie de l'année précédente -, comme ce sera aussi le cas des Guêpes, l'année suivante, l'idée comique des Nuées consiste en un jeu sur le topos du gâtisme, version « retour en enfance ». Il existe en grec un dicton qui résume ce topos : « le vieillard est doublement enfant », δὶς παῖς γέρων, formule qui nous a été transmise verbatim par un fragment de Cratinos 1. En effet, il s'agit, dans ces pièces, de détourner le processus d'agrégation d'un jeune individu à la société des adultes, en en faisant subir une version loufoque à un vieillard plus ou moins gâteux : Dèmos ou Monsieur Lepeuple, dans les Cavaliers, Strepsiade ou Tourneboule dans les Nuées, Philocléon dans les Guêpes. Dans les Nuées, Aristophane cite le proverbe vers la fin de la pièce, en le mettant dans la bouche du fils du protagoniste : δὶς παῖδες οἱ γέροντες 2. Avant d'en arriver là, Aristophane se donne la peine d'octroyer une crédibilité dramaturgique à l'inversion comique de ce qui est l'ordre naturel des choses, en faisant appel à un processus d'initiation religieuse : l'initiation aux Mystères d'Éleusis, qui a souvent été analysée et sur laquelle je ne vais pas revenir ici 3. Ainsi, il n'est plus question, comme c'était le cas dans les Guêpes, de mettre sous tutelle un hyper-citoyen, un vieillard trop exclusivement attaché à la vie civique, afin de lui insuffler une dose revigorante d'hédonisme 1. Cratinos, fgt 34 K.-A. : ἦν ἆρ᾽ ἀληθὴς ὁ λόγος, ὡς δὶς παῖς γέρων (« Alors le dicton est juste : le veillard est doublement enfant »). Voir Platon, Lois, I, 646a 4 (étendu à l'homme ivre) ; Axiochos, 367d 6 ; Ménandre, fgt 450. Voir Orfanos (2003). 2. Ar. Nuées, v. 1417 : « Les vieux ? deux fois enfants ! » (trad. V.-H. Debidour, Aristophane. Théâtre complet I, Paris, 1965. Les traductions dans cet article sont les miennes, sauf indication contraire).
Le syllogisme qui est à l'origine de cet article est délibérément schématique : si l'on admet que... more Le syllogisme qui est à l'origine de cet article est délibérément schématique : si l'on admet que les beuveries de l'andrôn étaient toujours à l'époque classique l'apanage de l'élite athénienne, le banquet formel et l'ecclésia deviennent, du point de vue politique, des antonymes. Je vais commenter quelques textes qui témoignent de cette opposition. Mais avant de commencer, j'aimerais annoncer la perspective dans laquelle j'entends situer les remarques qui suivent : contrairement aux apparences et aux tendances récentes de la recherche, 1 les banquets des oligoi athéniens n'étaient pas à l'ecclésia ce que le privé est au public depuis, mettons, le dix-neuvième siècle et l'invention du libéralisme. Avant Platon, les Grecs ne semblent s'intéresser au banquet que dans la mesure où celui-ci intéresse la communauté et non l'histoire du plaisir chère à Oswyn Murray. 2 Plus tard, quand les Anciens opposent les deux types de réunion, ils les situent invariablement dans la sphère publique. Je vais essayer ici d'étudier cette opposition et je commencerai par en citer deux formulations tardives qui me semblent particulièrement pertinentes.
C omment expliquer que la connaissance que Plutarque avait de la poésie archaïque et classique fû... more C omment expliquer que la connaissance que Plutarque avait de la poésie archaïque et classique fût aussi vaste et profonde que sa poétique paraît naïve, du moins en ce qui concerne le théâtre ? Je tâcherai ici de compléter la réponse habituelle, qui associe platonisme et moralisme, par l'étude d'un aspect matériel de l'univers livresque du I er siècle de notre ère et par quelques remarques sur la lecture plutarquienne des genres dramatiques en général et d'aristophane en particulier. Dans la première partie de l'article, je parcourrai rapidement l'histoire de la réception, ou plutôt du rejet d'aristophane, jusqu'à l'époque de Plutarque. En deuxième partie, on verra que le théâtre, et tout particulièrement la comédie ancienne, est à la fois l'objet d'une hostilité affichée et un élément structurant de la rhétorique et de la pensée plutarquienne. En troisième partie, enfin, j'étudierai cette apparente contradiction à la lumière de la poétique de l'auteur.