nagra.htm (original) (raw)

Les premiers magnétophones à bande magnétique 1/4 de pouce construits par la firme allemande AEG/Telefunken en 1936 étaient des appareils à trois moteurs, lourds et encombrants. Bien que leurs dimensions et leur masse aient été réduites dans les années suivantes, les modèles professionnels destinés à la radio étaient difficilement transportables et ne pouvaient être utilisés que dans des véhicules pour les reportages extérieurs. Chaque prise de son nécessitait donc la présence d'une équipe de techniciens chargés de dérouler
les câbles depuis l'endroit où devait se faire
l'enregistrement jusqu'au camion-son.
Dans les années cinquante, quand on voulait interviewer un chanteur
ou un homme célèbre depuis son domicile, on passait les nombreux
fils par les fenêtres. Ils descendaient ainsi jusqu'à une voiture qui
stationnait dans la rue et dans laquelle se trouvaient
le pupître de mixage et le magnétophone.
Quelques firmes avaient bien essayé de construire des appareils de petites dimensions mais ils étaient encore trop lourds et encombrants pour faire un reportage dans une grotte ou en haut des tours d'une cathédrale. D'autant plus qu'il fallait une alimentation autonome.

C'est vers 1949/1950 qu'un jeune étudiant suisse d'origine polonaise, Stefan Kudelski, eut l'idée d'utiliser des bandes magnétiques pour commander des machines-outils. Il était élève de l'Institut fédéral
Suisse de Technologie de Lausanne.
Avec l'un de ses camarades qui fut chargé de la partie mécanique,
il réalisa dans sa chambre d'étudiant les circuits électroniques d'un enregistreur sur bande 1/4 de pouce de petites dimensions
(environ 30 cm de largeur sur 18 cm de profondeur).
Devant les résultats sonores obtenus, il abandonna le marché de la machine-outil et présenta en 1951 son appareil à Radio-Genève
qui en acheta deux.
Comme il était né à Varsovie en février 1929, il décida de l'appeler "Nagra" puisqu'en polonais "on nagra" signifie "il enregistrera".

Le Nagra I, à lampes miniatures, utilisait un moteur de tourne-disque
à ressort pour l'entraînement de la bande qui se faisait
à l'aide d'un cabestan.
Pendant l'enregistrement, il fallait naturellement le remonter de temps en temps, à l'aide d'une manivelle, mais un système de régulation évitait les à-coups audibles dans le son.
Le "Nagra", devint très vite une nécessité chez les preneurs de son
et le professeur Piccard en utilisa un au cours des plongées de son célèbre bathyscaphe "Trieste" à 1000 mètres de profondeur.


Stefan Kudelski, avec son Nagra I sur les genoux,
tient dans ses mains un Nagra SN et un panneau
rappelant l'expédition de Raymond Lambert
qui emporta deux Nagra I à l'Everest.
Reproduction de la photo parue dans la plaquette intitulée
"Half a Century of Experience"
publiée par la société "Nagravision SA Kudelski Group"
à l'occasion du cinquantième anniversaire
du NAGRA (1951-2001).

En 1950, le regretté Jean Thévenot, décédé il y a un peu plus de dix ans, avait créé la première association d'amateurs d'enregistrements sonores dont il diffusait déjà les prises de son dans ses émissions "on grave à domicile" (enregistrements sur disques souples) et "place aux particuliers" (début des enregistrements sur bandes magnétiques au niveau du grand public).
Le premier concours "national" d'enregistrements d'amateurs fut créé également en 1950 et devint international en 1952 sous le nom de CIMES : Concours International du Meilleur Enregistrement Sonore.
Cette année-là, Stefan Kudelski présenta un enregistrement intitulé
"Le bourdon de Notre-Dame de Paris" qu'il avait effectué avec son Nagra I et qui obtint évidemment le premier prix car jusqu'à
cette date, aucun preneur de son n'avait pu monter dans les
tours avec un magnétophone pour enregistrer le vrai
son de la cloche et non celui perçu au niveau du sol,
toujours déformé par le vent, les bruits de la ville
et la distance à parcourir.
Il interrogea le guide et lui demanda de donner
"un petit coup au bourdon pour en entendre le son".

À partir de la diffusion de l'enregistrement sur les antennes françaises
et suisses, ce fut la ruée des responsables des postes de radiodiffusion qui attendaient depuis longtemps la possibilité d'être libérés du
"fil à la patte" tout en conservant une bonne qualité sonore.
Les spécialistes - qui n'ignorent pas que le son d'une cloche aux multiples harmoniques permet immédiatement de déceler du
pleurage ou un défaut d'enregistrement - considérèrent
cette prise de son comme un test de qualité,
d'autonomie et de facilité d'utilisation.

Le "Nagra" allait bouleverser les techniques du reportage en libérant les techniciens des contraintes d'un matériel lourd et encombrant, réduisant ainsi à deux personnes (le journaliste et le preneur de son) les équipes de la radio. Ce qui, on s'en doute, déclencha les protestations des techniciens ainsi qu'une grève contre les réductions de personnel.
De nos jours, c'est maintenant une seule personne, magnétophone
en bandoulière, qui effectue elle-même la prise de son
tout en questionnant les gens.