AlineROBERT (original) (raw)
INSTITUT INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE
C.I.R.S.S.
1 PLACE D'IÉNA 75116 PARIS
institutanthropologie@lemel.fr
01 47 93 09 73
VIIe Colloque euroafricain
Milan - 9 mai 1998
Vue de quelques cercles mégalithiques du site de Sine-N'gayène, Sénégal
Aline Robert
Université de Genève
LES SOURCES ÉCRITES EUROPEENNES DU XVe AU XIXe S. : UN APPORT COMPLÉMENTAIRE POUR LA CONNAISSANCE DU PASSÉ AFRICAIN
Dans le cadre de ce VIIe Colloque Eurafricain du CIRSS portant sur les anciens manuscrits du Sahara et du Sahel: redécouverte, sauvegarde et mise en valeur comme patrimoine universel de l'Humanité, il nous a semblé important d'ouvrir une parenthèse sur un autre type de témoignages: les sources écrites laissées par les Européens qui ont parcouru la région depuis le XVesiècle.
A côté des sources arabes, dont nous savons tous l'intérêt pour la connaissance de l'histoire et dont l'urgence de la conservation et de la mise en valeur a été largement débattue tout au long du présent colloque, il existe en effet dÕautres sources écrites, manuscrits ou relations de voyages, relatives aux zones saharienne et soudano-sahélienne. Comme les manuscrits arabes, ces documents constituent un vaste patrimoine aujourd'hui menacé. En effet, une majorité d'entre eux sont très rares et peu diffusés. Exceptés quelques textes reproduits par de rares éditeurs (éditions Slatkine, Hakluyt Society,...), les documents dont il est question ici - devenus rarissimes - sont conservés essentiellement dans des collections privées et dans quelques-unes des grandes bibliothèques d'Europe et des Etats-Unis, où leur consultation ne va pas de soi...
Il nous paraît nécessaire d'insister ici sur la richesse des informations contenues dans ces textes et sur la nécessité de leur mise en valeur et de leur diffusion. Ils sont en effet un élément du patrimoine de l'humanité, comme apport complémentaire des sources arabes pour l'étude du passé des régions qui nous intéressent.
Les Européens à la découverte de "l'autre"...
La découverte des côtes de l'Afrique de l'Ouest par les Européens fut notamment l'oeuvre des navigateurs portugais entre 1444 et 1446. Dès cette date, la rédaction de relations de voyage est stimulée par la curiosité éprouvée face à une altérité radicale et par la nécessité d'informer ceux dont les explorateurs étaient les mandataires, à savoir les tenants des pouvoirs politique et religieux. Le regard porté par les Européens, modelé par le contexte culturel de leur pays d'origine et par les intérêts particuliers qui motivaient leur venue en Afrique, offre une image originale des populations rencontrées, qui vient compléter utilement les informations fournies par les lettrés musulmans. A la différence des manuscrits arabes, l'apport des sources européennes concerne particulièrement l'histoire sociale et culturelle des peuples africains, les voyageurs s'étant attachés, entre autres, à la description des rituels, de la religion traditionnelle, de l'habillement, des coutumes, de l'alimentation, de l'artisanat, aspects relativement peu traités dans les manuscrits arabes.
Ce sont ces données qui intéressent tout particulièrement l'équipe de la MAESAO (Mission archéologique et ethnoarchéologique suisse en Afrique de l'Ouest, unité de recherche du Département d'Anthropologie de l'Université de Genève), dont les travaux valorisent une approche pluridisciplinaire du passé, notamment par le biais de l'utilisation de données ethnographiques et historiques pour l'interprétation des vestiges archéologiques. L'exemple que nous avons choisi pour illustrer l'importance des sources européennes et de leur mise en valeur portera sur les rites funéraires en Sénégambie. Notre intérêt pour l'étude de ces rites trouve son origine dans un travail de mémoire concernant les sépultures mégalithiques protohistoriques de Sénégambie qui nous a contrainte, au vu des nombreux problèmes interprétatifs posés par ces vestiges archéologiques, à nous plonger dans la lecture des anciennes relations de voyage (Robert, 1997).
Une telle approche est particulièrement féconde dans la mesure où elle permet de mettre en évidence, par l'étude des rites funéraires, un lien entre les populations "historiques", dont nous parlent les voyageurs européens, et les populations "protohistoriques", dont nous connaissons les caractéristiques par le biais des vestiges matériels, en particulier les sépultures.
L'évolution des rites funéraires en Sénégambie à travers les relations des voyageurs européens.
Les récits les plus anciens, datant de la fin du XVe siècle, sont l'oeuvre de navigateurs à la solde de l'Infant Dom Henrique du Portugal. Avant cette date, seules quelques rares mentions tirées de textes arabes nous renseignent sur les rites de sépulture traditionnels. Nous ne prétendons pas faire ici la liste exhaustive des passages contenus dans les écrits européens et évoquant de manière plus ou moins précise les rites funéraires, d'une part parce que nous-mêmes n'avons pu avoir accès à tous ces documents, d'autre part parce qu'il s'agit ici de brosser un tableau général de l'évolution de ces pratiques. C'est pourquoi seules seront mentionnées les informations accessibles les plus pertinentes qui peuvent être classées en plusieurs catégories, selon qu'elles concernent les rites traditionnels des populations dites "idolâtres", les pratiques particulières réservées aux chefs ou à d'autres personnages, ou encore les rites attestant d'une influence musulmane plus ou moins prononcée.
Si les navigateurs à la solde de l'Infant Dom Henrique ont le mérite de décrire de manière assez précise les populations rencontrées, ils ne nous livrent aucune information quant à leurs pratiques funéraires. La première description précise nous vient de la compilation de Valentin Fernandes (1506-1507), et concerne la sépulture des rois du Manding :
Voici comment se fait la sépulture du roi quand il meurt chez lui. Dans sa case, ils font un trou de la grandeur d'un grand four et très profond. Et ils prennent le roi et le posent assis sur le derrière, dans la fosse. Et tout près de lui, ils déposent ses armes, c'est-à-dire ses javelots, arcs, flèches et agumias. Et mettent avec lui sa première femme et ses familiers auprès, vivants, avec lui. Alors, ils couvrent de bois la fosse vers le haut comme un plancher avec des branchages. Et sur ces branchages, ils placent une grande butte de terre aussi haute qu'une maison. Et là reste le roi avec ses familiers et femme et on ne se souvient plus d'eux. (Fernandes, 1938, p.39)
Fernandes ne signale pas s'il s'agit là d'un rite exclusivement royal, ni quels sont les rites pratiqués par les Wolof et les Sereer, qualifiés par lui d'idolâtres. Par ailleurs, cette description n'est pas sans rappeler celle faite par le géographe arabe al-Bakri au milieu du XIe siècle à propos de la sépulture des chefs de Ghana:
A la mort d'un roi, ils (les habitants de Ghana) dressent un immense dôme en bois de Sadj au-dessus de la sépulture. On y apporte le corps que l'on place sur un brancard garni de quelques tapis et coussins. Ils posent près du mort ses parures, ses armes, ses objets personnels pour manger et boire, accompagnés de mets et de boissons. On enferme avec lui plusieurs de ses cuisiniers et fabricants de boissons. Une fois la porte fermée, on dispose sur l'édifice des nattes et des toiles. Toute la foule assemblée recouvre de terre le tombeau qui devient peu à peu comme un tumulus impressionnant. On creuse ensuite un fossé tout autour en laissant un passage pour accéder au tombeau. (In Cuoq, 1985, p.100)
Cette pratique est mentionnée également pour les rois des pays situés au sud de la Gambie. Ainsi, à propos des Beaffares, V. Fernandes fait aussi mention de sacrifices humains (Fernandes, 1938, p.79). Dans les siècles qui suivent, si les rois font toujours l'objet de rites spécifiques, la pratique de sacrifices humains n'est plus mentionnée que pour les populations du sud de la Gambie. Ainsi, un passage du père Jean-Baptiste Gaby en 1689, dont la relation s'inspire en grande partie de celle de Chamboneau, lequel explora le Sénégal entre 1674 et 1677, décrit les sacrifices d'esclaves pratiqués lors de l'enterrement des rois des royaumes des "Bissault, Cachaux et Bisagaux". Le dépôt d'objets avec le corps apparaît également. Toutefois, l'inhumation des rois des régions du sud de la Gambie ne se fait pas sous tumulus, comme c'était le cas pour les rois de Ghana et du Manding (Gaby, 1689, pp.68-72).
Une autre relation de voyage signée des initiales T.A. et jointe à la publication de la relation de Le Maire - qui visita pour sa part le royaume du Sénégal dont le roi porte le nom de Brac et la côte sénégambienne entre 1682 et 1684 - rapporte des observations concernant les Papels, faites sur "l'île des Bisseaux" (Bissao), à l'embouchure de la rivière de Saint-Domingue :
Q_uand il meurt quelqu'un des Rois, l'on a soin d'étrangler plus de trente personnes, sur tous des jeunes filles, & les Esclaves qui ont été les plus fidèles au deffunt, que l'on enterre avec lui. L'on met dans sa tombe toutes ses richesses, comme or, argent, ambre gris, étoffes, &c._ (In Le Maire,1695, p.206)
D'autres auteurs, dont les observations se situent dans la seconde moitié du XVIIe siècle, confirment l'existence des pratiques antérieures réservées aux rois des pays situés au sud de la Gambie. Ainsi La Courbe, qui rencontra vers 1685 les chefs de Bissao, rapporte qu'à la mort d'un roi, les femmes qu'il a le plus aimées et les esclaves de sa maison sont égorgés sur son tombeau et enterrés avec lui (in Cultru, 1913, p.222). Des informations similaires, fournies par l'escuyer Villault, sieur de Bellefond, qui visita les côtes d'Afrique entre 1666 et 1667, proviennent de la description de l'enterrement du roi de Fetu sur la Côte d'Or. Il est cette fois précisé que les sacrifices humains sont couramment pratiqués non seulement lors de la mort d'un roi, mais aussi lors de celle de tout autre personnage important (Villault, 1670, pp.233-235). Fait intéressant, c'est à la fin de ce siècle que se place la dernière mention de sacrifices humains. En effet, la relation de Jean-Baptiste Labat, qui transcrit celles de Compagnon et de Brüe dont les observations datent de la fin du XVIIe siècle, raconte dans un passage relatif aux Papels comment un autochtone sachant très bien jouer du balafon fut pris par les Portugais et vendu au roi. Apprenant que le roi ne l'avait acheté que pour l'égorger à sa mort afin qu'il le divertisse dans l'au-delà, cet autochtone se sauva et vint chercher refuge auprès des Portugais (Labat, 1728, vol. V, p.126). De même, des sacrifices sont mentionnés dans une description de l'enterrement des rois des Papels: les femmes du roi, ainsi que ses esclaves, sont égorgés et enterrés avec lui (Labat, 1728, vol. V, p.128). Un peu plus loin toutefois, Labat affirme que le roi des Papels (il ne s'agit pas forcément du même roi que précédemment) tient à abandonner cette coutume :
C'était il y a quelques années une espèce de loi d'égorger ou d'enterrer tout vifs des esclaves pour accompagner les grands seigneurs qui mouroient en l'autre monde. Ils ont commencé à revenir de cette cruelle coutume, de manière qu'à la sépulture du dernier roi, il ne fut enterré avec lui qu'un seul captif vivant ; & l'on ne tua personne pour l'aller servir en l'autre monde. Le Roi qui règne à présent, paroit vouloir absolument abolir cette coutume. (Labat, 1728, vol. V, p.137)
Il semble donc que les rois ont été l'objet de rites particuliers, dont les traits les plus caractéristiques sont l'inhumation, sous tumulus ou non, du corps accompagné de divers objets (notamment des armes, parures et récipients pour manger et boire), et la pratique de sacrifices humains, plusieurs personnes étant enterrées avec le roi pour l'accompagner dans l'au-delà (fig.1).Les relations de voyage européennes montrent que cette pratique, attestée pour les royaumes de Ghana - touchant le nord du Sénégal - et du Manding jusqu'au début du XVIe siècle, n'est plus mentionnée dès la seconde moitié du XVIe siècle que pour les régions jouxtant le sud du Sénégal, habitées par des populations unanimement considérées comme "idolâtres", puis disparaît des écrits européens au début du XVIIIe siècle.
Les rois ne sont pas les seuls à avoir été l'objet d'un mode de sépulture spécifique : les griots en effet, n'étaient pas enterrés, mais déposés dans la cavité d'un arbre. Plusieurs auteurs font mention de cette coutume, dès le XVIIe siècle, comme R. Jobson qui remonta le fleuve Gambie entre 1620 et 1621 (Jobson, 1968, p.108), ou encore A. de Saint-Lô, missionnaire capucin dont la première mission en Sénégambie date de 1636-1637 (Saint-Lô, 1974, p.109). S'il signale la même pratique, O. Dapper, qui n'a lui-même jamais voyagé, donne de plus amples précisions et la raison de cette étrange pratique. Il tient ses informations essentiellement de Pieter de Maree (1602) et de Samuel Blomert (1635-1640), ce qui les place dans la première moitié du XVIIe siècle :
Lorsqu'un batteur-de-tambour, gens très méprisés chez eux, est mort, il n'est pas donné à la terre, ni ses femmes, ni ses enfants ; mais mis dans un vieil arbre creux ; car les autres noirs s'imaginent que la terre, s'il y était placé, ne produirait plus de fruits. Pareillement ne peut-il être jeté dans la mer ou dans les rivières, parce qu'il croient, qu'alors la mer ne produirait plus de poissons. (In Thilmans, 1971, p.537)
Cette pratique semble avoir longtemps perduré puisqu'encore au milieu du XIXe siècle, l'abbé David Boilat rapporte, dans ses Esquisses Sénégalaises, des informations similaires. Ses observations concernent les Wolof, alors que les autres auteurs mentionnent le plus souvent cette pratique au sein de l'ethnie sereer :
Quand un griot meurt, au lieu de l'enterrer, on le porte loin du village dans un arbre creux ; ordinairement c'est un vieux baobab qui lui sert de tombeau, on l'y jette, et son cadavre devient la proie des vautours et des hyènes. (Boilat, 1984, p.315)
En ce qui concerne les pratiques funéraires réservées aux personnages "ordinaires", nous disposons de nombreuses mentions, quoique de valeur très inégale. Par exemple, A. de Saint-Lô relate un enterrement auquel il a assisté dans le village de Portudal, identifié comme étant le village actuel de Sali-Portudal, à 10km au sud de Gorée. S'il insiste sur les comportements de l'assistance, il note également les offrandes faites au mort :
(...) Ils mettent proche de la fosse du mort le pot où il a fait cuire son Couscou, & l'espace d'un an les plus proches le remplissent de ce Couscou, & mettent du vin de Palme ou de l'eau de vie auprès, disans que c'est pour l'ame du deffunct & de peur qu'elle n'ait faim en l'autre monde. (Saint-Lô 1637, p.109)
La majorité des mentions relatives aux rites funéraires parlent de l'emploi, dans la tombe, de la case ou du toit de la case dans laquelle a vécu le défunt(fig.2). Ensuite, le tout est le plus souvent recouvert jusqu'à former un tertre funéraire de dimensions plus ou moins importantes. A. Alvares de Almada en fait mention en 1594 déjà dans un passage qui semble concerner à la fois les Wolof, les Sereer et les Manding (in Brasio, 1964, pp.265-266). Dans les périodes ultérieures, les descriptions ne s'éloignent que peu de celle d'Alvares de Almada. Ainsi au début du XVIIIe siècle, Loyer, qui a eu l'occasion d'observer des funérailles lors d'une halte dans les environs de Cayor en 1701, rapporte que les gens de cet endroit sont enterrés sous leur case, qui est ensuite abattue sur eux (Loyer, 1714, p.75). Dans sa relation, Jean-Baptiste Labat relate également le mode d'enterrement chez les Sereer :
Ils (les Sereer) enterrent leurs morts hors de leurs villages dans des Cases rondes & pointues comme les leurs, & après qu'ils y ont mis le corps sur un lit, ils mettent de la terre détrempée en forme de mortier tout autour des clayes de roseaux dont la case est entourée, & y font un avantmur d'environ un pied d'épaisseur qui couvre le tour & le toit, et finit en pointe, de manière qu'il semble que ce soit un second village auprès de celui qui est habité (...). Ils n'ont point l'usage de l'écriture pour faire connoître de qui sont les corps qui reposent dans ces petites cases, ainsi au lieu d'épitaphes ils se contentent de mettre un arc et des flèches sur le haut des tombeaux où les hommes sont enterrez & un mortier et un pilon sur ceux des femmes (...). (Labat, 1728, vol. IV, pp.157-158)
Adanson confirme ces informations sur la base de sa visite du cimetière de Rufisque en avril 1750, affirmant de plus que c'était là un usage établi chez tous les peuples de la nation sereer (Adanson, 1757, p.112). Au XIXe siècle, dans sa Notice sur les Sérères, Pinet-Laprade (1865, p.149-150) fournit une longue description détaillée des enterrements. Il nous dit qu'à la mort d'un Sereer, son corps est déposé dans une enceinte circulaire surmontée de la toiture de la case qu'il habitait de son vivant, et qu'un fossé creusé tout autour de la fosse fournit la terre qui servira à le recouvrir.
En revanche, les morts semblent être inhumés de manière quelque peu différente dans la région de la Petite Côte. En effet, quelques relations assez tardives, dont celle de l'abbé Boilat et le manuscrit, un peu plus précis, du docteur Armand Corre, médecin de la Marine qui visita le pays sereer entre 1876 et 1877, mentionnent l'emploi de coquillages pour former le tumulus qui recouvrira le défunt. Les informations concernent les rites funéraires pratiqués à Fadiouth et à Joal :
Quand une personne meurt, on transporte son corps à un endroit marqué pour les sépultures, on le dépose sur un lit de coquilles, sous une case en paille que l'on recouvre de coquilles: ce sont ces tumuli de coquilles d'huîtres ou d'arches que les étrangers prennent pour des carrières en exploitation (...). A la mort d'un parent, on ouvre le tumulus pour placer son corps à côté des restes de celui qui l'a précédé, puis on referme l'ouverture (...). (in Debien, 1964, p.550)
Si ce n'est l'emploi de coquillages pour former le tertre, pratique encore observée au début de notre siècle, les traits caractéristiques du rituel funéraire tel que décrit pour les autres groupes sereer de Sénégambie sont similaires, avec notamment l'emploi d'une case et le dépôt d'offrandes.
Dès le XVIIe siècle, un nouveau personnage apparaît dans les descriptions de funérailles - le marabout - attestant d'une influence de l'Islam dont il s'agit encore de mesurer l'importance. Ainsi R. Jobson , membre d'une expédition britannique qui explora le fleuve Gambie en 1620 à la recherche de l'or, rapporte les funérailles d'un chef religieux manding. Celui-ci est enterré dans une case sous laquelle on a creusé une fosse et déposé un pot d'eau. Les gens se déplacent en masse, parfois de très loin, pour assister à la cérémonie funéraire. Divers rites cultuels sont accomplis à cette occasion, parmi lesquels une joute oratoire accomplie par les marabouts en l'honneur du défunt et dont l'enjeu est constitué de cadeaux apportés par l'assemblée (Jobson, 1623, pp.70-72). A. de Saint-Lô, séjournant à Rufisque dans les années 1636-1637, où il a eu la chance d'assister à l'enterrement d'une femme d'un chef, fait également état de la présence de marabouts :
L'on mit le corps de ladite deffuncte sur une forme de claye & couvert de paignes de Coton blanc et bleu: quatre Marabouts ayans des robbes de Coton le portoyent. Ils estoyent précedez de Guiriots(Griots), faisans grand bruit de leurs tambours : les Parents, Amis & Voisins suivent le corps, avec force cris, & tesmoignoyent de très grands ressentiments. Toute ceste compagnie estant auprès de la fosse, laquelle est assez profonde, un Marabout tenant un Labrador, qui est en forme de cousteau à Cordonnier, & dont ils labourent la terre, fit un petit chevet, & hachant la terre du fonds de la fosse, sembloit la vouloir rendre plus molle, pour que le corps y fut plus à son aise: les quatre Marabouts qui avoyent porté ce corps allèrent laver leur visage & leurs mains & leur bouche, revenoyent sur la fosse, & haussant ainsi les mains, marmottoyent je ne sçay quelles paroles: il nous sembloit qu'ils prioyent Dieu, car ils haussoyent souvent les yeux au Ciel, & ayans ainsi eslevé leurs mains & leurs yeux, les abaissoyent sur la fosse & sur le corps de ceste femme. (...) En fin toutes les Cérémonies estans achevées, l'on range des branches de Palme de travers la fosse en forme de Grilles, puis on les couvre de terre: de façon que le corps est comme dans une cave, & pour comble de tout, l'on mit sur la fosse de la deffuncte la Cabane où elle avoit couché tout le temps de sa vie (...). (Saint-Lô 1637, p.69-77)
On trouve de nombreuses mentions de ce genre dans les relations de voyage des XVIIe et XVIIIe siècles, qui attestent de réelles influences islamiques en particulier dans la région du fleuve Sénégal.
D'autres pratiques encore sont couramment mentionnées dans les écrits européens, notamment celle de "l'interrogation du mort" présente aussi bien dans les passages relatifs à des populations animistes que dans ceux montrant une influence de l'Islam. Ainsi, au XVIIe siècle, Le Maire décrit cette pratique et donne l'exemple des questions posées au défunt :
Les enterrements des Nègres se font avec de grandes cérémonies. Un marabou lave le corps du mort, & le pare des plus belles paignes qu 'il ait eu pendant sa vie. Tous les parens & les voisins le viennent pleurer, & lui demande s'il n'étoit pas bien avec eux, quel mal on lui a fait, s'il n'étoit pas assez riche, s'il n'avoit pas d'assez belles femmes, & autres choses semblables. Voyant qu'il ne répond point, ils s'en vont, & font place à d'autres qui en disent autant, pendant que les Guiriots ne cessent point de chanter ses belles qualitez (.... ) (Le Maire, 1695, pp.153-156)
Au siècle suivant, Labat, rapportant les dires de Brüe, relate de façon identique cette pratique de l'interrogation du mort, observée dans le village de Quédé :
(...) Au bout de quelques heures (après l'annonce de la mort) le Marabou du Village entra dans la case du mort, lava le corps, le revêtit de ses plus belles pagnes, & le mit sur son lit avec ses armes à côté de luy. Alors les parens entrèrent les uns après les autres, luy prirent la main et luy firent plusieurs questions, aussi inutiles qu'elles étoient ridicules. Ils finissoient par des offres de services, & voyant qu'il ne répondoit rien à toutes leurs honnêtetés, ils se retiroient en disant d'un ton grave, il est mort (...). (Labat, 1728, vol. III, pp.72-75)
Labat ajoute encore que la tombe sera ensuite recouverte de beaucoup de terre et de pierres afin de protéger le défunt des animaux sauvages, et qu'un piquet est planté devant cette dernière, destiné à recevoir les armes du mort et au pied duquel on déposera deux récipients.
Pour donner un aperçu synthétique des pratiques funéraires sénégambiennes telles qu'elles apparaissent à la lecture des sources écrites européennes anciennes - et que nous avons tenté de présenter à travers quelques citations - nous dirons que se dégagent deux tendances générales.
La première concerne les populations restées fidèles à la religion traditionnelle animiste. Celles-ci enterrent leurs morts soit dans de simples fosses recouvertes d'épines, de pieux ou de pierres (le long du fleuve Gambie par exemple), soit sous la case ou le toit de la case dans laquelle a vécu le défunt, case qui est le plus souvent recouverte de sable ou de coquillages, formant alors un tumulus de dimensions variables (la réutilisation d'un tumulus pour plusieurs défunts successifs n'est mentionnée que par un seul auteur). Cette dernière pratique semble être essentiellement le fait des populations sereer. Toutes ces populations animistes, manding, wolof, ou sereer, semblent avoir réservé un rituel particulier à leurs griots, dont la dépouille était déposée dans le creux d'un arbre au moins jusqu'au XIXe siècle, ainsi qu'aux personnages importants (chefs, princes, rois, termes qui sans doute ne doivent pas être compris dans le même sens qu'en Europe), qui se voyaient accompagnés dans l'au-delà par leurs esclaves, leur(s) femme(s) ou autres personnes sacrifiées. Cette pratique de sacrifices humains semble avoir disparu à une date relativement ancienne en Sénégambie, pour n'être plus mentionnée que pour les populations dites "idolâtres" situées plus au sud, où elle finit également par disparaître si l'on en croit les textes européens.
La seconde tendance est celle de populations qui, à des époques plus ou moins anciennes, ont connu l'influence de l'Islam, qui entraînera petit à petit la disparition des rites funéraires traditionnels. Si l'influence de l'Islam s'est fait ressentir très tôt en Sénégambie, elle n'a pas pour autant conduit à la disparition immédiate des pratiques antérieures. En effet, les relations européennes laissent plutôt entrevoir une longue période de transition, pendant laquelle la présence de marabouts ne suffit pas à supprimer complètement les pratiques ancestrales. Dans ce sens, nous savons par la littérature ethnographique que certains groupes sereer du Sine Saloum construisaient encore des tumulus à la manière de leurs ancêtres au début de notre siècle.
Les données ethno-historiques au secours de l'archéologie.
Il s'agit à ce stade de voir comment les données relatives aux pratiques funéraires issues des relations de voyages européennes viennent au secours de la compréhension et de l'interprétation des vestiges protohistoriques sénégambiens, dont la limite chronologique supérieure ne précède que de peu l'arrivée des premiers explorateurs. Cette proximité chronologique laisse a priori supposer qu'un lien ou qu'une certaine parenté existe entre les populations historiques et protohistoriques, ce que nous tenterons de démontrer ici par le biais des rites d'ensevelissement.
La Sénégambie est parsemée de nombreux vestiges protohistoriques qui témoignent d'une occupation humaine relativement dense, en particulier le long des principaux cours d'eau et de leurs affluents. On a l'habitude de distinguer quatre "provinces" géographiques correspondant plus ou moins à de grands ensembles culturels (fig.3).
La première de ces provinces, appelée "aire mégalithique", comprend une grande variété de monuments funéraires appartenant ou non au phénomène mégalithique, caractérisé par l'emploi de pierres de grandes dimensions fichées verticalement en terre. Ces monuments funéraires peuvent être divisés en trois groupes principaux (fig.4): les tumulus de terre ou de sable, les tombelles - composées soit d'un cercle de pierres, soit d'un petit tertre de pierres - et les cercles mégalithiques (fig.5), composés d'une enceinte circulaire de monolithes dressés (Thilmans et alii, 1980). Tous ces monuments peuvent être précédés à l'est de mégalithes fichés verticalement en terre. Signalons toutefois qu'un seul tumulus de sable a fait l'objet de fouilles au sein de l'aire mégalithique (Gallay et alii, 1982). D'un point de vue chronologique, on peut placer l'édification de ce type de monuments entre le Ie siècle av. J.-C. et le XVIe siècle de notre ère sur la base des quelques datations au radiocarbone actuellement disponibles. Un recensement effectué dans les années 1970 par V. Martin et Ch. Becker (1978, 1982, 1984) a permis de dénombrer au sein de cette aire, qui couvre plus de 33.000 km2, 16790 monuments répartis en 1965 sites, localisés essentiellement le long des fleuves Saloum et Gambie et de leurs affluents. Ces monuments ont tous livré des restes humains (entre 1 et plus de 50 inhumations par monument), parfois des armes (fers de lance), des objets de parure (bracelets, bagues en fer ou en métal cuivreux), ainsi que des poteries rituelles, placées intentionnellement l'ouverture vers le bas et dont le fond avait été percé d'un trou. Aucune tradition orale ne semble se rattacher à ces monuments, laissant supposer que la ou les populations mégalithiques ont été soit refoulées par d'autres arrivants, soit assimilées par ceux-ci.
La seconde province est celle de la vallée du fleuve Sénégal. Elle comprend, selon un inventaire dressé par les mêmes chercheurs, 319 sites s'étendant de Dagana à Bakel, localisés en majorité dans la zone inondable ou en bordure de celle-ci (Martin et Becker, 1978). Ces sites sont des vestiges d'anciens villages résultant d'une accumulation anthropique, et se présentant sous la forme de surfaces parsemées de vestiges archéologiques (fragments de poteries, perles, fragments de métal, restes de bas-fourneaux, ossements humains ou d'animaux). Les recherches menées par Thilmans et Ravise (1980) ont permis de dégager au sein de cette province trois familles céramiques correspondant à trois "ensembles culturels": celles de Sintiou-Bara, de Tioubalel et celle de la poterie toucouleur. Leurs fouilles ont concerné principalement le site de Sintiou-Bara, occupé dès le Ve siècle par des populations protohistoriques, qui s'y sont maintenues au moins jusqu'au XIe siècle sans modifications décelées dans la culture matérielle (les dates C14 à disposition oscillent entre 364-647 A.D. et 1022-1216 A.D.). Des évidences archéologiques permettent d'affirmer que les populations de Sintiou-Bara entretenaient des relations commerciales à longue distance avec le Maghreb, voire avec l'Espagne, ce qui confirme l'existence d'un commerce transsaharien. L'étude des inhumations dans cette zone s'avère décevante, puisque le rite d'ensevelissement répond au schéma classique de l'inhumation individuelle en fosse, sans mobilier funéraire. Une corrélation entre archéologie, traditions orales et sources écrites, en particulier arabes, se justifie particulièrement ici dans la mesure où les sites du fleuve correspondent au territoire de l'ancien Etat du Takrur, qui a connu une islamisation très ancienne à en croire al-Bakri.
La troisième province est celle des amas coquilliers, présents aux embouchures des fleuves Sénégal, Saloum, Gambie et Casamance, ainsi que sur une partie de la frange littorale. Ces monuments sont constitués d'accumulations artificielles de coquillages marins, qui ont progressivement formé d'immenses promontoires sur lesquels ont parfois été installés des villages et, dans le delta du Saloum uniquement, des cimetières, formant alors des tumulus coquilliers (sites de Joal et de Dioron Boumak à l'embouchure du Saloum). Edifiés depuis le IIe siècle av. J.-C., actuellement encore lieux d'habitations et de sépultures, ces amas attestent d'une évolution dans les rites funéraires. En effet, dans un premier temps, les défunts étaient inhumés à la surface des amas. Après un certain temps, l'accumulation de coquilles reprenait par dessus leurs tombes. Dans un second temps, l'on passa à des nécropoles permanentes par l'édification de tumulus coquilliers, pouvant abriter un nombre élevé d'individus. La présence de la métallurgie est attestée par la découverte de mobilier funéraire tel qu'armes et objets de parure. La position littorale de ces amas coquilliers, aire d'habitat ou de sépulture, a favorisé de nombreuses mentions de la part des voyageurs européens, qui ont fait état de la collecte, du traitement et du commerce à longue distance dont les mollusques faisaient l'objet, ainsi que de l'utilisation des amas comme nécropoles.
La quatrième province est celle des tumulus, particulièrement nombreux dans les régions de Thiès, Diourbel et dans le Sine Saloum. Ils sont répartis en très grand nombre (plus de 8000 recensés) sur un vaste territoire, qui déborde au sud sur l'aire mégalithique. Ces monuments n'ont fait l'objet que de rares fouilles et restent relativement mal connus. Ces tertres ont livré un mobilier funéraire important, comprenant notamment des objets de parure en métal précieux, des armes. En outre, dans certains cas, les fouilles ont révélé les traces de l'utilisation d'un toit de case, déposé sur le corps d'un seul défunt et ensuite recouvert de sable. La richesse du mobilier funéraire découverte, jointe à cette pratique de l'inhumation d'un seul défunt sous le toit d'une case, semblerait révéler une société hiérarchisée. La limitation chronologique de l'édification de ces monuments ne peut être précisée aujourd'hui, du fait de la rareté des fouilles.
D'emblée, il apparaît que des parallèles peuvent être tirés entre les pratiques d'ensevelissement protohistoriques et celles dégagées, pour les périodes historiques, par les relations de voyage européennes, bien que la période protohistorique semble révéler des pratiques plus diversifiées. En effet, certains rites attestés par l'archéologie, notamment l'ensevelissement dans des monuments mégalithiques, ne sont plus mentionnés par les sources écrites (exception faite d'une mention de Thevet, 1575, livre III, pp. 75-76, qui, en route pour l'Amérique du sud, fit escale au Sénégal en 1555. Il signale avoir vu des "rochers hault eslevez en façon de langues de feu (...) qui n'estoient naturellement venues, ainsi posées par artifice, & ainsi eslevées des Anciens", sous lesquels il découvrit 6 sépultures. Malheureusement, le lieu de ses observations n'a pas pu être identifié). Un lien semble par contre exister entre les populations protohistoriques et historiques en ce qui concerne les rites d'inhumation sous tumulus de sable et sous tumulus coquilliers. L'édification de tumulus coquilliers est mentionnée par les européens dans la région de la Petite Côte au sein des groupes sereer. Toutefois, les données archéologiques indiquent, sur la base de l'étude des céramiques, qu'au moins deux groupes ethniques différents ont bâti ces monuments. Il ne faut pas oublier en outre que les Sereer ne peuvent être considérés comme les auteurs de ces monuments qu'à partir des XI-XIIe siècles, date de leur installation dans la région. En ce qui concerne les tumulus de sable, les données historiques confirment celles issues de l'archéologie (dépôt du corps sous le toit d'une case, le tout recouvert de sable, dépôt d'offrandes sous forme de nourriture, boisson, armes, objets de parure...). L'édification de ces tumulus peut être attribuée aux Sereer dès leur installation dans la région, pratique maintenue par ailleurs jusqu'au début de notre siècle. Les Sereer auraient donc emprunté ces modes de sépulture, sous tumulus de sable et coquilliers, aux populations qui habitaient ces régions à leur arrivée, dont l'origine ethnique reste à découvrir, et emprunté aux populations mégalithiques l'habitude de dresser des pierres de grandes dimensions devant le monument funéraire.
Il est étonnant de voir que les voyageurs européens ne mentionnent pas les monuments mégalithiques, impressionnants et nettement visibles dans le paysage, alors même qu'ils ont perduré, si l'on en croit les datations au radiocarbone, jusqu'à l'arrivée des premiers explorateurs dans la région. Il faut en conclure que ce mode de sépulture a définitivement disparu aux alentours du XVIe siècle, et que les populations protohistoriques qui en étaient les auteurs se sont vues soit refoulées par l'arrivée de nouvelles populations, soit assimilées par ces dernières, ce qui permettrait d'expliquer l'absence totale de tradition orale à leur sujet. Une hypothèse semble toutefois pouvoir être émise au sujet de ces sépultures: la pratique de sacrifices humains mentionnée par les européens pourrait expliquer le nombre parfois très élevé d'inhumations dans les monuments mégalithiques. De manière générale, tant les sépultures mégalithiques que les tumulus participent de la religion traditionnelle animiste, dans la mesure où la construction de monuments aussi impressionnants, visibles de loin dans le paysage, a pour but d'honorer la mémoire de personnages importants et de permettre qu'un culte soit rendu aux ancêtres.
L'intégration de sources variées pour une vision historique plus cohérente.
Si des éléments de compréhension et d'interprétation apparaissent de la confrontation entre les sources écrites européennes et les données archéologiques, tous les problèmes sont loin d'être résolus. En effet, si une parenté existe entre populations historiques et protohistoriques, elle ne remonte pas plus loin que les XI-XIIe siècles, date de la grande migration sereer. Il apparaît en effet, sur la base des données archéologiques, que les Sereer ont emprunté à d'autres populations dont nous ne savons rien des modes de sépulture qu'ils ont maintenus jusqu'au début du XXe siècle, du moins dans les communautés non converties à l'Islam.
Par ailleurs, il s'agit encore en particulier d'expliquer l'émergence d'une hiérarchisation de la société sereer, visible dans la richesse du mobilier funéraire associé à certains défunts enterrés sous le toit de la case dans laquelle ils avaient vécu. Il faut également expliquer l'émergence, la diffusion, puis la disparition d'une culture mégalithique, impressionnante de par le nombre de ses monuments, qui témoigne d'un développement de la société ayant permis de mobiliser, pour la construction de ceux-ci, une main-d'oeuvre considérable. On le voit, l'étude des modes d'ensevelissement ne suffit pas à elle seule à brosser un tableau cohérent de l'évolution des sociétés sénégambiennes depuis les environs des débuts de notre ère.
Au-delà de la confrontation des sources écrites européennes et de l'archéologie, il est donc intéressant d'intégrer les données issues des sources écrites arabes et des traditions orales. A la lumière des données issues de cette nouvelle confrontation, il est possible de proposer une hypothèse cohérente de l'évolution de la région dans sa dynamique générale: l'évolution des sociétés sénégambiennes s'insère dans le cadre général de l'évolution des chefferies traditionnelles africaines vers les formations étatiques que furent les "empires" soudano-sahéliens qui ont vu s'affirmer l'influence de l'Islam. Cette évolution vers une forme nouvelle d'organisation politique et sociale ne peut être séparée du développement des échanges commerciaux avec les populations du Maghreb. L'étude des modes de sépulture indique que certaines populations ont suivi cette évolution, qui, sous l'influence de l'islam, a entraîné une modification des pratiques funéraires, alors que d'autres semblent être restées en marge de cette influence et ont conservé des pratiques liées à la religion traditionnelle.
Le mode d'ensevelissement sous tumulus a été un mode traditionnel de sépulture qui a perduré au sein des ethnies sereer jusqu'à aujourd'hui. Toutefois, les Sereer opèrent une distinction entre les tumulus protohistoriques, appelés podom, dont les auteurs seraient les Socé, population d'origine mandé, et les tumulus subactuels appelés lomb, représentant les tombes de leurs ancêtres. La mise en relation des données archéologiques, des sources écrites et de la tradition orale permet de retracer l'évolution suivante : lorsqu'ils habitaient encore dans la région du fleuve Sénégal, les Sereer n'édifiaient pas de tumulus, comme le prouvent les vestiges protohistoriques. Ils seraient arrivés dans la région du Sine Saloum, où les ont rencontrés les Européens, dès les XI-XIIe siècles, sous la poussée des Almoravides, dont l'hostilité a entraîné la chute de l'empire animiste de Ghana et le reflux des populations animistes vers le sud. Thilmans et Ravise ont eu l'occasion de consulter des sources traditionnelles relatives à la région du fleuve Sénégal, fondées soit sur des sources orales, soit sur des manuscrits locaux. Ces sources indiquent que les groupes appartenant à la "culture de Sintiou-Bara", définie par un ensemble céramique particulier, correspondraient aux Dia-ogo des traditions, dynastie réputée pour avoir introduit au Fouta Toro la métallurgie et la culture du gros mil. De nombreux passages relatifs au Fouta Toro sont également mentionnés par les auteurs arabes, d'où il apparaîtrait que la ville et l'Etat de Silla puissent être rapprochés du site de Sintiou-Bara. Il apparaît également que l'abandon du site soit bel et bien la conséquence des hostilités menées par Abu Bakr contre les Sudan. (Thilmans et Ravise, 1980, annexes 11 et 12). L'épisode almoravide est important pour nous, puisqu'il marque l'ouverture de la région du fleuve Sénégal à l'Islam, constituant ainsi la voie de pénétration la plus ancienne.
Dès le XIIIe siècle, l'expansion manding devient l'une des données majeures de l'histoire sénégambienne, avec la formation de plusieurs royaumes manding sur les rives nord et sud du fleuve Gambie. Depuis lors, les petits royaumes de la rive nord de la Gambie, dont fait partie l'essentiel de l'aire mégalithique, verront se succéder la domination manding, wolof et sereer. Ainsi, la seconde voie de pénétration de l'Islam en Sénégambie suivit l'expansion manding, l'Islam étant en effet présent à la cour de l'empire du Mali dès le XIIIe siècle. L'Islam a ensuite poursuivi sa progression en Sénégambie dans la mouvance des deux migrations des Peul Denyanke au XVe siècle. Ainsi, lors de l'arrivée des Portugais, la plupart des populations sénégambiennes étaient considérées comme musulmanes, ce qu'attestent les nombreuses mentions de marabouts dans la littérature. Toutefois, l'adhésion à l'Islam n'excluait pas, comme nous l'avons vu, la continuation de pratiques antérieures, d'autant plus que la nouvelle religion restait encore la plupart du temps l'apanage des souverains et de leur cour.
Nous voyons ainsi comment la dynamique évolutive des populations sénégambiennes, à travers entre autres l'accroissement des échanges, l'établissement des routes de commerce transsahariennes, la formation des "empires" et l'introduction progressive de l'Islam, a conduit d'une part à la chute de la civilisation mégalithique à la suite de mouvements de population importants, d'autre part à la modification des rites de sépulture traditionnels sous l'influence de l'Islam.
Sauvegarde, mise en valeur, accessibilité des sources écrites européennes: quelle(s) solution(s)?
La présente contribution, à travers l'exemple des pratiques funéraires, avait pour objectif d'insister sur la nécessité, que nous espérons avoir démontrée, du recours aux sources écrites arabes comme européennes pour la connaissance et la compréhension du passé.
Comme nous l'avons indiqué en introduction à cette contribution, les sources européennes sont en péril, du fait de leur rareté et de leur inaccessibilité générale pour le chercheur. Il se pose donc impérativement la question de trouver une solution qui déboucherait sur une large diffusion de ces documents, permettant ainsi aux chercheurs, tant européens qu'africains, d'accéder à un réservoir d'informations essentiel pour l'étude du passé.
Le premier pas vers une telle solution passe nécessairement par la recherche systématique et la localisation des sources écrites disponibles, que ce soit dans des collections privées ou dans des bibliothèques. Il faudrait en conséquence élaborer une bibliographie globale des ouvrages concernant l'Afrique antérieurs à 1800, faisant mention de leur localisation et de leurs cotes dans le cas où ils se trouveraient en bibliothèque.
La question de la diffusion large de ces documents est plus problématique. En effet, la reproduction moderne de certains d'entre eux ne permet pas toujours de résoudre le problème, dans la mesure où il s'agit le plus souvent de publications à faible tirage, qui ne sont pas diffusées en Afrique et dont le prix reste prohibitif (nous pensons ici par exemple à l'édition de Jannequin chez Slatkine ou à celle de Barbot chez Hakluyt).
Reste donc à imaginer un moyen de diffusion n'exigeant que de faibles moyens financiers. Vu le développement extrêmement rapide du réseau informatique Internet, nous pensons qu'il serait possible d'y recourir pour assurer une large diffusion des sources écrites européennes. En effectuant un scannage systématique des textes et en créant un site qui leur soit réservé, il serait possible de rendre les documents écrits européens accessibles à une grande majorité des chercheurs, y compris en Afrique, et cela sans dépenses considérables.
retour sommaire
Figure 1
Gravure représentant la sépulture du roi de Guinée, les offrandes de boisson et de nourriture
déposées pour le défunt, ainsi que le sacrifice des esclaves qui l'accompagneront dans l'autre
monde (de Maree, 1604, planche 22)
Figure 2
Gravure représentant une scène de funérailles. On remarque notamment, en bas et à gauche,
la fosse destinée à recevoir le corps, surmontée d'un toit.
(de Maree, 1604, planche 18)
Figure 3
Les quatre provinces protohistoriques de Sénégambie.
Figure 4
Les principaux types de monuments funéraires au sein de l'aire mégalithique sénégambienne.
Bibliographie
ADANSON, M.
1757. - Histoire naturelle du Sénégal. Coquillages. Avec la relation abrégée d'un voyage fait en ce pays, pendant les années 1749, 50, 51, 52, 53.- Paris: Claude-Jean-Baptiste Bauche, 2 tomes en 1.
ALVARES DE ALMADA, A.
1964. - Trata do Breve dos Rios de Guiné do Cabo Verde.- In- BRASIO, A., Monumenta missionaria africana.- Lisboa: Agencia Geral do Ultramar, vol.3, pp.229-378.
BOILAT, abbé D.
1984. - Esquisses sénégalaises.- Paris: Karthala.
CORRE, Docteur
1961. - Journal du Docteur Corre en pays Sérère (Décembre 1876-janvier 1877).- In: DEBIEN, G., Bulletin de l'IFAN, T. XXX, série B, n°1, pp.289-353.
CUOQ, J.
1975. - Recueil des sources arabes concernant l'Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle. Traduction et notes.- Paris: Ed. du CNRS, 515p.
DAPPER, O.
1686. - Description de l'Afrique.- Amsterdam, 534p. (nous avons utilisé ici la nouvelle traduction proposée par Thilmans, G. 1971, Le Sénégal dans l'oeuvre d'O. Dapper, In: Bulletin de l'IFAN, série B, T. XXXIII, n°3, pp.508-563).
FERNANDES, V.
1938. - Description de la côte d'Afrique du Ceuta au Sénégal (1506-1507).- Paris: Ed. de Cerival (Trad. Th. Monod)
GABY, père J.B.
1689. -Relation de la Nigritie; contenant une exacte description de ses royaumes et de leurs gouvernements; la religion, les moeurs, coustumes et raretez de ce païs.- Paris: E. Couterot, 90p.
GALLAY, A. et alii
1982. - Mbolop Tobé (Santhiou Kohel, Sénégal): contribution à la connaissance du mégalithisme sénégambien.- In: Archives suisses d'Anthropologie générale, 46, 2, pp. 217-259.
JOBSON, R.
1623. - The Golden Trade; or a discovery of the River Gamba, and the Golden trade of the Aethiopians; also the commerce with a great black merchant, called Buckor Sano, and his report of the houses covered with gold, and other strange observations for the good of our owne country; set downe as they were collected in traveling, part of the years 1620 and 1621.- Londres: Nicolas Okes (impr.) & Nicholas Bourne, 166p.
LABAT, J.-B.
1728. - Nouvelle relation de l'Afrique occidentale: contenant une description exacte du Sénégal et des Païs situés entre le Cap Blanc et la Rivière de Serrelione, jusqu'à plus de 300 lieues en avant dans les Terres...- Paris: Pierre-François Giffart, 5 vol.
La COURBE
1913. - Premier voyage du Sieur de La Courbe....- in: CULTRU, P.- Paris: Champion-Larose.
LE MAIRE, J.J.
1695. - Les voyages du sieur Le Maire aux Isles Canaries, Cap-Verd, Sénégal et Gambie, sous M. Dancourt, directeur de la Compagnie Royale d'Afrique.- Paris: J. Collombet, 213p.
LOYER, R.P.G.
- Relation du voyage du royaume d'Issyni, Côte d'Or, Païs de Guinée, en Afrique. La description du Païs, les inclinaisons, les mÏurs, & la Religion des habitans...- Paris: Arnoul Seneuze & Jean-Paul Morel, 298p.
de MAREE (ou Marees), P.
1604. - Indiae Orientalis. Pars VI. Veram et historicam descriptionem auriferi regni Guineae, ad Africam pertinentis, ...- Francfort sur Main: Johann-Theodor & Johan-Israel de Bry, Wolfgang Richter (impr.), 127p., 26 planches.
MARTIN, V. et BECKER, Ch.
1978. - Sites et monuments protohistoriques de Sénégambie: Données numériques concernant la zone des tumulus et la zone mégalithique. Tableaux et commentaires.- Kaolack: CNRS, 71p., 27 planches.
1982. - Vestiges, peuplements et civilisations protohistoriques de la Sénégambie.- Kaolack: CNRS.
1984. - Inventaire des sites protohistoriques de la Sénégambie.- Kaolack: CNRS.
PINET-LAPRADE, E.
1865. - Notice sur les Sérères.- Saint-Louis: Annuaire du Sénégal et Dépendances, pp.129-171.
SAINT-LO, A. de
1637. - Relation de voyage du Cap-Verd.- Paris: Targa.
THILMANS, G. et DESCAMPS, C.
1980. - Protohistoire du Sénégal I: les sites mégalithiques.- Dakar: Mémoires de l'IFAN, 158p.
THILMANS, G. et RAVISE, A.
1980. - Protohistoire du Sénégal 2: Sintiou Bara et les sites du fleuve.- Dakar: Mémoire de l'IFAN, 213p.
VILLAULT, Escuyer, Sieur de Bellefond
1670.- A relation of the Coasts of Afrik called Guinea with a description of the Countreys, Manners and Customs of the inhabitants; of the production of the Earth, and the Merchandise and Commodities it affords; with some Historical observations upon the Coasts.- London, J. Starkey (seconde édition, traduite de l'édition française de Paris: Thierry, 1669, 455p.)
© C.I.R.S.S. - I.I.A. Paris