« Histoire culturelle et histoire sociale » (original) (raw)
Saeculum, 60, 2010, p. 187-204.
Depuis deux ou trois décennies, l'histoire culturelle est à la mode, particulièrement dans l'historiographie française, au point qu'elle est devenue, pour certains historiens un peu rétifs, une « véritable tarte à la crème de l'histoire françaiseet pas seulement française » 1 . Pourtant, l'histoire culturelle « à la française », en même temps qu'elle produisait des oeuvres inédites qui bouleversaient la manière de faire de l'histoire, a développé une réflexion épistémologique sur son objet, sa nature, ses méthodes et son champ d'investigation 2 . En fait, la notion d'« histoire culturelle » ne correspond pas aux mêmes définitions ni aux mêmes approches selon la culture nationale dans laquelle on se situe (française, allemande ou anglo-saxonne, sans parler des autres …) : « histoire culturelle », Kulturgeschichte et Cultural Studies ne recouvrent pas exactement les mêmes réalités, non seulement à cause de traditions historiographiques différentes qui définissent différemment leurs objets d'étude et leurs problématiques historiques, mais aussi parce que les termes « culture », Kultur et Culture ne correspondent pas nécessairement à la même chose chez les uns et chez les autres 3 . Même en français, le mot « culture » recouvre de nombreuses acceptions, et il n'est pas sûr que l'on en retrouve systématiquement les mêmes d'une langue à l'autre, d'une culture à l'autre … On a d'abord une définition philosophique, qui distingue l'existence humaine d'un état de nature, avec des signes distinctifs et des marques symboliques, des systèmes de fonctions et de pratiques, des systèmes d'appropriation collective et des états de « civilisation »: en ce sens, tout ce qui est un phénomène d'origine humaine ou qui touche à l'humain peut être considéré comme « culturel ». Naturellement, une telle définition ne permet pas de comprendre ce qu'on entend par « histoire culturelle », étant donné que l'histoire a précisément pour objet l'étude et la compréhension des sociétés humaines du passé, et que rien de ce qui est humain ne sort de son champ d'investigation. On a ensuite une définition plus « classique » et « éclairée », qui ramène la culture à un acquis, un processus au cours duquel le sujet pensant sollicite et enrichit les facultés de son esprit (par exemple quand on parle d'une personne « cultivée » ou qui a « de la culture »).